Vivre dans la société des Célestins. Les familiers laïcs à travers les « martyrologes » de l’ordre
p. 293-316
Texte intégral
1Fondé par un fils de paysan du Molise devenu ermite dans les Abbruzes l’ordre des Célestins avait adopté en 1264 la règle de saint Benoît, rattachement approuvé en juin de la même année par une bulle d’Urbain IV1. Pierre de Murrone, leur fondateur, fut par la suite élevé au souverain pontificat par un Sacré Collège en mal de majorité depuis plus deux ans, le 5 juillet 1294. Il prit le nom de Célestin V. Mais ses liens avec la branche radicale des Franciscains spirituels, sa naïveté politique qui le fit manipuler par Charles II, son grand âge et l’austérité de ses pratiques le poussèrent à démissionner le 13 décembre 1294. Son successeur fut Boniface VIII (Benoît Caetani) qui avait également été son conseiller en abdication. Pour éviter les rumeurs et une éventuelle tentative de restauration, celui-ci le fit arrêter et détenir dans le château de Fumone jusqu’à l’heure de sa mort, le 19 mai 1296.
2Ce n’est que quelques années plus tard, et dans un contexte fortement politisé, que ceux que l’on appelait désormais les Célestins (en raison du nom choisi par leur défunt fondateur) furent invités à venir s’installer en France par Philippe le Bel. Dans sa lutte contre la primauté pontificale et contre Boniface VIII, le roi de France s’appuyait sur ses légistes et sur le procès en canonisation de Célestin V (soutenu par les Franciscains spirituels) qu’il soumit à l’Église et qui aboutit le 5 mai 1313. Cette bonne nouvelle suscita une célébration dans la cathédrale d’Avignon.
3Entre temps, Philippe le Bel avait obtenu de faire venir six Célestins d’Italie pour peupler le monastère qu’il avait fondé sur ses terres et de ses deniers, Notre-Dame d’Ambert, en 1304. Quatre années plus tard, un deuxième monastère royal voyait le jour à Saint-Pierre-au-Mont-de-Châtres (diocèse de Soissons). La démarche paraissait claire : il s’agissait de souligner la légitimité de l’élection de Célestin V et l’admiration qu’il suscitait déjà lorsqu’il n’était encore que Pierre de Murrone et, ce faisant, de jeter le discrédit sur son successeur.
4Après ces premiers prieurés, d’autres virent le jour pour lesquels il est toujours possible de souligner les rapports avec la royauté française. Ainsi se présentait la situation de cet ordre dans le royaume de France lorsqu’intervinrent les trois créations de monastères dans la vallée du Rhône2.
5Ces trois fondations ne sont pas identiques et leur historique explique en grande partie la différence de composition sociale que l’on enregistre parmi les bienfaiteurs. Le plus ancien des trois, le prieuré de Gentilly, près de Sorgues était une fondation cardinalice « involontaire ». Le neveu du cardinal Annibal de Ceccano, François dei Atti (ou de Todi), lui aussi membre du Sacré Collège, avait en effet transformé les dernières volontés de son oncle.
6Le monastère de Notre-Dame de Colombier (près d’Annonay) avait été installé dans le château familial de la gens des Bertrand par la volonté de Pierre Bertrand de Colombier, lui aussi cardinal.
7Enfin, la fondation de Saint-Pierre Célestin d’Avignon était disputée. Le pape Clément VII comme le roi de France Charles VI en revendiquaient la paternité. En effet, les religieux avaient été appelés par les cardinaux exécuteurs testamentaires de leur collègue le jeune Pierre de Luxembourg, mort en odeur de sainteté et apparenté aux « deux pères » du prieuré, pour veiller sur le tombeau du « saint » de l’obédience clémentine.
8Grâce aux « martyrologes » conservés pour les monastères de Gentilly et d’Avignon, ainsi qu’à l’ouvrage d’un Célestin du XVIIe siècle qui relève d’un souci à la fois généalogique et biographique, une étude de la population des bienfaiteurs laïcs des trois implantations célestines peut être tentée3. Concernant ces sources spécifiques qui sont nommées « martyrologes » par les religieux eux-mêmes, il convient de faire remarquer qu’elles ne sont pas à proprement parler ce que l’on connaît d’ordinaire sous cette dénomination. Un martyrologe est un recueil de brèves notices sur les saints à fêter. Il se distingue généralement du calendrier, plus bref et ne comportant généralement pas d’indication topographique. Or, les registres conservés par les Célestins sous ce nom relèvent plutôt de l’obituaire, en ce qu’ils renferment des notices sur la biographie des principaux bienfaiteurs et sur leurs dons les plus insignes, classées au jour de leur mort et se déroulant le plus souvent chronologiquement. Mais après cette première partie en vient une autre qui relève du calendrier romain (avec calendes, nones, ides, ainsi qu’une lettre allant de A à E et évoquant le quantième) et à chaque date, le nom du saint est rappelé, ainsi que celui du donateur à se remémorer. Par fidélité à la terminologie des Célestins, le terme « martyrologe » sera donc conservé dans le présent article, mais employé avec les guillemets de rigueur.
9Pour une approche moins élitiste eu égard aux sources, les dépôts d’archives ont permis de mettre au jour quelques testaments qui ont révélé d’autres noms. L’ensemble a été comptabilisé pour la présente approche.
10Le registre de Saint-Martial de Gentilly contient 57,7 % de noms de laïcs dont 51,2 % de femmes dont 28,6 % de veuves (sur 71 noms). La noblesse arrive en tête, bientôt suivie par les artisans-commerçants et enfin, les fonctionnaires royaux et apostoliques.
11Celui de Colombier contient 80,5 % de laïcs dont 43,1 % de personnes de sexe féminin et 16 % de veuves (sur 72 donateurs). Les donateurs sont essentiellement issus de la noblesse (mais son rayonnement est plutôt local ou régional), puis viennent les fonctionnaires apostoliques et royaux. En troisième position se trouvent les artisans-commerçants.
12Enfin, le monastère d’Avignon comptait 52,63 % de laïcs dont 28,3 % de bienfaitrices dont 47 % de veuves (sur 114 patronymes). Typologiquement parlant, la maison d’Avignon comptait de très grands personnages issus d’une noblesse à la renommée parfois internationale. Ensuite, les fonctionnaires royaux et apostoliques, enfin, les commerçants et artisans.
13Très homogène à cet égard, la population des bienfaiteurs émet essentiellement deux types de revendications : l’octroi du droit de sépulture à l’intérieur de l’église ainsi que des messes et oraisons en tout genre. Ces deux pratiques furent en effet très en vogue pendant les deux derniers siècles du Moyen Âge et perdurèrent pendant le début du XVIe siècle. De fait, elles découlent souvent l’une de l’autre. La connivence qui existait entre les Célestins et leurs bienfaiteurs avait une dimension spirituelle affirmée.
Les messes et les prières
14En effet, la société chrétienne de l’époque médiévale est largement tributaire du souci lié à la dette pénitentielle. Le péché originel suscite l’angoisse du Jugement dernier. Or, le monachisme semble fournir la meilleure réponse à ces interrogations. Sans fin, les moines accomplissent un service de substitution qui a le mérite de proposer l’image d’un ordre social stable dans une époque qui est loin de correspondre à cet archétype. Les moines sont en effet ceux qui ont quitté le monde pour se retirer dans une solitude qu’ils mettent à profit dans le but de prier pour l’humanité entière4. Etablis à perpétuité, ils sont liés par des vœux qui leur font renoncer à tout ce que représente la vie séculière. et offrent ce que Philippe Racinet nomme l’« assurance-mort », articulée sur la célébration liturgique de messes et d’anniversaires.
15Traditionnellement, les « martyrologes » des prieurés célestins sont de bons indicateurs des espoirs des donateurs. En effet, ces obituaires établissent non seulement la liste des défunts, mais également les attentes précises qui sont les leurs. Chaque jour, soit au chapitre, soit au chœur, soit encore à l’office de prime, l’on procède à la lecture de la liste des morts du jour. Ce livre rappelle également les services anniversaires et autres œuvres de miséricorde fondées par les donateurs. Enfin, l’obituaire précise les revenus qui ont été alloués pour ces services, et parfois leur mode de perception et de distribution. Le « martyrologe » est donc à la fois un document à caractère économique mais aussi liturgique. Parfois, en effet, les attentes du défunt sont très détaillées, ce qui permet une approche typologique différenciée5.
16Si l’on reprend par exemple les 71 individus dont les noms sont contenus dans le « martyrologe » de Gentilly, 23,53 % demandent que les Célestins prient pour eux. Souvent, cette attente n’est pas égoïste. En effet, si 37,5 % d’entre eux réclament ce service pour leur seule âme, 12,5 % y associent leur conjoint et 56,25 % leurs parents. Comble de l’altruisme, 6,25 % demandent ces suffrages pour leurs parents, et non pour eux-mêmes.
17Les pratiques en vogue à l’époque attestaient que les prières des vivants représentaient le viatique préféré pour le voyage des âmes vers l’au-delà. Il s’agissait donc d’une démarche collective, les vivants priant pour les défunts avant que d’autres ne le fassent à leur tour pour eux. Le service liturgique proposé par les Célestins, comme par les Chartreux, avait de quoi séduire tant par son sérieux que par son abondance. Jour et nuit, les religieux célèbrent le culte divin dans le cadre d’une observance dont la rigueur n’est plus à démontrer et qui est attestée par les contemporains au moins jusqu’au milieu du XVIe siècle. Les messes sont un moment liturgique fort. C’est pourquoi elles sont plébiscitées par les donateurs et arrivent en tête des demandes : 22,05 % des bienfaiteurs en réclament. Ce pourcentage augmente si l’on prend en compte les obits. Ces anniversaires célébrés le jour du décès du donateur peuvent être plus ou moins longs et fastueux, en relation avec le nombre de lectures que l’on souhaite.
18Dans la plupart des cas (60 %), les fidèles des Célestins optent pour une messe annuelle, parfois deux (un tiers du total, soit 20 %). D’autres, plus fortunés, choisissent une célébration hebdomadaire (20 %). De façon plus exceptionnelle, l’on peut trouver mention de messes quotidiennes dans 6,66 % des cas. Enfin, dans 13,1 % des cas, les informations fournies sont laconiques. Le plus souvent, le mot « messes » apparaît au pluriel, sans plus de précision.
19En affinant l’approche, l’on voit se dessiner les préférences. Sur la totalité des messes célébrées, 60 % sont des messes basses et 26,66 % des hautes. Les célébrations cum nota sont plébiscitées par 20 % des bienfaiteurs en ayant demandé. Dans 53,33 % des cas, les messes doivent être célébrées extra conventuale. Enfin, parmi tous ces services liturgiques, 40 % sont liés à la commémoration des défunts. Les messes des défunts sont, bien entendu, et autant que l’on puisse en juger, partie intégrante des obits, mais elles peuvent également donner lieu à des célébrations annuelles plus ponctuelles. Dans ce cas, les messes demandées le sont souvent lors des temps forts de l’année liturgique. Ainsi Anna Vincentie, veuve d’un docteur ès lois, laisse-t-elle 50 florins pour la célébration annuelle de deux messes, l’une le 17 mai (jour de la saint Yves, apparemment en vogue chez certains papes avignonnais6), et l’autre le lendemain de la commémoration des défunts7. Classiquement, elle demande en outre aux religieux de prier pour son âme et celle de ses parents. À cet effet, elle laisse 30 écus aux Célestins de Gentilly.
20Les « obits » sont en effet un pratique davantage codifiée. Ils se déroulent le plus souvent sur deux jours, ainsi que les Constitutions des Célestins de France le précisent. Néanmoins, il est possible de les moduler en fonction de la richesse et des désirs du commanditaire. Ainsi, dans le « martyrologe » de Gentilly, 60 % des obits demandés doivent comprendre trois lectiones et 20 % neuf. Dans 20 % des cas restant, le mot « obit » est mentionné sans plus de précision.
21Pour le monastère de Gentilly, les messes sont particulièrement demandées par les nobles, les fonctionnaires apostoliques, les commerçants ainsi que pour les individus pour lesquels on ne possède aucune indication à caractère socio-professionnel.
22Pour les représentants de la noblesse, les précisions données concernant leurs attentes sont plus grandes. Ainsi le seigneur Pierre Rubei, camérier et exécuteur testamentaire du fondateur de Gentilly, le cardinal François dei Atti (ou de Todi), laisse-t-il 300 florins pour que les Célestins célèbrent annuellement une messe dans laquelle la première oraison est destinée aux deux cardinaux fondateurs du monastère, Annibal de Ceccano et François dei Atti ; la deuxième devait lui être dédiée, à lui, Pierre Rubei8. Ainsi qu’on le voit avec cet exemple, la stratégie de familia se traduit dans les attentes liturgiques des donateurs. Que les liens soient spirituels ou de sang, les services célébrés par les religieux doivent bénéficier à tout le « clan », que celui-ci soit familial, dans l’aristocratie laïque, ou spirituel et social dans le cadre de la familia cardinalice, ici illustré. Les préceptes chrétiens obligent les vivants à prier pour les morts, dans la perspective de l’Église éternelle, mais cette obligation éthique peut parfois se doubler d’un témoignage de gratitude.
23Dans le cadre de l’aristocratie laïque, la démarche s’apparente encore davantage à la glorification de la lignée sur la longue durée.
24Parfois, les exigences sont précises. Ainsi, dame Bedosse de l’Isle demande-t-elle un obit de trois lectures basses se terminant par le De profundis et suivi de prières. Le lendemain de cet anniversaire, elle demande une messe extra conventuale9.
25Afin d’acquitter le prix de ces exigences, les donateurs n’ont pas toujours laissé d’espèces sonnantes et trébuchantes. Certains ont gratifié les Célestins de biens immobiliers10. Le plus souvent, les religieux, qui étaient soucieux de posséder des ensembles territoriaux cohérents, vendaient alors les biens ainsi reçus, quitte à acheter avec le prix qu’ils en avaient retiré d’autres possessions plus intéressantes.
26Quant aux oraisons demandées, ce sont sans conteste les messes anniversaires qui arrivent en tête, suivies par les neuvaines, ou les liturgies célébrées pour l’âme du trépassé pendant la première année suivant son décès. Parfois, certains donateurs plus pieux et/ou plus angoissés expriment le désir d’être associés à toutes les prières effectuées par les Célestins. Mais dans un cas comme dans l’autre, loin de se montrer égoïstes, les donateurs veillent à ce que leurs parents et leurs bienfaiteurs en profitent concurremment. Les suffrages des Célestins étaient donc tout particulièrement plébiscités.
27Les messes arrivent également en tête des demandes à Colombier. La noblesse et la haute noblesse semblent d’autant plus sensibles à ces rites qu’ils abondent dans le sens de leur tradition lignagère. Ensuite, les milites (ou hommes de guerre), puis les fonctionnaires royaux ou pontificaux, sont également de grands amateurs. Ce type d’attente est également majoritairement masculin11.
28Dans le cas du monastère « ardéchois », le nombre de messes peut parfois atteindre des records. Claude de Bayas autour de l’année 1512 laisse aux religieux quatre-vingt florins pour la célébration de cinquante messes12. Jacques de Miolans, insigne représentant de la noblesse du Dauphiné proche, lègue quant à lui soixante florins qui doivent servir à honorer la mémoire de son défunt frère Louis de Miolans par trois trentains.
29Le plus souvent en effet, ce sont des messes anniversaires, dans le cadre d’obits ou non, qui sont demandées. Ainsi en 1496, Jeanne de Polignac, femme de Jacques de Tournon, miles, généreuse donatrice du prieuré de Colombier, manifeste le souhait de voir les Célestins prier pour elle et son conjoint et laisse pour cela, ainsi que pour la célébration d’une messe quotidienne, la somme de cinquante cinq livres tournois assortie de biens immobiliers13. La noblesse locale semble avoir particulièrement, et beaucoup plus que dans les monastères du Comtat Venaissin, apprécié les célébrations quotidiennes. Le couple Louis de Montlor et Alix de Miolans avait, pour ce faire, laissé aux religieux la somme de huit cents écus d’or.
30Les messes des morts étaient au nombre des messes les plus fréquemment demandées. Certaines étaient dites perpétuelles et devaient donc s’intégrer à une stratégie d’aide aux défunts dans la longue durée14.
31Pour le monastère d’Avignon, les demandes de prières et de messes arrivent en seconde position. Là encore, ce sont surtout des attentes masculines et ce d’autant plus que certains maris associent leur épouse à leurs bienfaits15. Tout comme pour les deux autres prieurés étudiés, ces demandes émanent essentiellement des nobles et de la catégorie des fonctionnaires apostoliques ou royaux. Ce sont donc des hommes proches du pouvoir ou détenant une certaine autorité qui affectionnent ces pratiques. Dans le peuple, les commerçants sont également assez nombreux à souhaiter les suffrages des religieux.
32Chez les plus hauts personnages, la demande semble assez vague et le détail des célébrations est laissé à l’appréciation des Célestins. En effet, le martyrologe précise ainsi « prier pour lui », sans plus d’informations. Ainsi est-ce le cas pour Galéas Visconti duc de Milan16. Mais le plus souvent, comme on a pu le constater pour les monastères de Gentilly et de Colombier, la démarche est faite dans un but de bénéfice communautaire. Le bienfaiteur demande aux Célestins de prier « pour lui et les siens ». C’est ainsi que procède Jean de Fuilheto, damoiseau ayant servi dans les armées pontificales, qui veut que les moines prient « pour les siens et le pape » et fait un don de 400 florins17.
33Certains en revanche se contentent de vouloir être associés à tous les biens spirituels fournis et obtenus par les Célestins tant de jour que de nuit, souhait incluant donc les messes et autres oraisons, mais aussi les aumônes, etc.
34Il est vrai que la situation du monastère avignonnais élevé sur le tombeau d’un « saint » (du moins était-ce l’avis de la population à cette époque) ne pouvait que donner une singulière et efficace valeur aux offices et œuvres pies des religieux chargés d’en garder le tombeau18.
35Pour Avignon encore, les offices à caractère mortuaire sont plébiscités. Le lignage des Luxembourg accentue ici une pratique déjà relevée à Gentilly et Colombier. Par ailleurs plusieurs grands zélateurs de l’ordre figurent au nombre des donateurs. Ainsi, en avril 1451, Hélène de Angia, veuve de Pierre Dacigne, sénéchal de Provence, justifie-t-elle ses largesses en se présentant comme consanguinea Petri de Lucemburgo19. Galéas, duc de Milan, se reconnaît quant à lui comme particulièrement dévôt de Pierre de Luxembourg, tout comme Jean, comte de Foix, et Morindus Gui, seigneur d’Alègre, miles.
36En outre, il faut remarquer que les legs et dons concédés en échange de messes et prières sont plus importants à Avignon, le pouvoir financier des bienfaiteurs étant plus fort que pour les deux autres prieurés.
Les demandes de sépultures
37Dans le but également d’apaiser l’angoisse existentielle des fidèles, les moines proposent « l’accès à la propriété funéraire »20. Il s’agit des demandes d’inhumation à l’intérieur de l’espace sacré de la clôture monastique. Cette localisation est particulièrement recherchée car elle permet de bénéficier de l’ensemble des prières dites dans le sanctuaire et de reposer dans une terre consacrée. Le cas est d’ailleurs abordé dans les Constitutions célestines21.
38Ainsi que la première phrase le prouve – « Or, les frères de notre religion peuvent recevoir à la sépulture tous les chrétiens » – toute personne peut rechercher ce type d’ultime demeure. Quelques précisions permettent d’aborder les restrictions à cette hospitalité posthume : le fidèle ne doit pas avoir fait l’objet d’un interdit nominal ou d’une excommunication, ni être un usurier manifeste. L’accueil du défunt par les Célestins est également impossible si l’individu meurt en temps d’interdit général.
39Il est particulièrement intéressant de constater que la législation célestine ne semble pas faire de différence entre les fidèles : cela implique donc que les religieux peuvent accueillir les femmes à l’intérieur de leurs murs et apparemment sans discrimination22. Cette pratique paraît donc naturelle aux Célestins et ce d’autant plus que leur liturgie est tournée vers la célébration des défunts, ainsi que l’on a pu le constater.
40Au prieuré de Gentilly, c’est le troisième type d’attente par ordre d’importance. Cette demande semble tout particulièrement prisée par les nobles, les fonctionnaires apostoliques et les gens de négoce. En revanche, elle est absente chez les hauts fonctionnaires royaux (qui ont déjà des nécropoles attitrées par ailleurs, le plus souvent dans un sanctuaire parisien ou encore près de leurs terres d’origine) et chez les hommes de guerre.
41Se faire inhumer à l’intérieur d’un lieu sacré était cependant un privilège, car il était réservé le plus souvent à des individus particulièrement généreux à l’égard de l’ordre, ou encore apparentés aux fondateurs. En outre, les places les plus attractives étaient en nombre limité.
42De fait, il existe deux types d’inhumation. Certains bienfaiteurs, parmi les plus illustres, se faisaient construire une chapelle collatérale au sanctuaire, laquelle se muait en chapelle funéraire à leur mort et devenait le plus souvent la nécropole familiale sur plusieurs générations. La dédicace de ce lieu de culte privatif correspond dans la majorité des cas au saint patron du bienfaiteur ou encore à une dévotion traditionnelle dans la famille. Parfois, certains membres de la familia ou de la clientèle d’une illustre lignée aristocratique étaient accueillis dans cette chapelle funéraire, marque honorifique toute particulière.
43Dans le cas de Gentilly, trois chapelles reçurent des inhumations : celle de Sainte-Catherine, celle de la Résurrection, toutes deux de fondation privée, et celle des saints Pierre et Paul (pour laquelle il est difficile de statuer). Plusieurs générations se retrouvaient alors à bénéficier des suffrages des religieux tout en partageant le même lieu familial d’inhumation et en recréant ainsi le lignage dans la mort. Ainsi, à Gentilly, Marguerite de Lévy, veuve du noble seigneur Antoine d’Arpajon, baron de Lers, était-elle enterrée dans la chapelle Sainte-Catherine avec ses parents23. On remarquera que cette même chapelle abritait également la sépulture de Gui de Saint-Martial, miles et seigneur de Lers lui aussi24.
44Dans le prieuré avignonnais, l’édification de chapelles privées atteint des records. Nul doute que la sépulture toute proche de Pierre de Luxembourg et sa réputation de sainteté n’y sont pas étrangères. En outre, la chapelle lignée construite sur son tombeau, et dont les Célestins avaient été choisis pour être les gardiens, avait par la suite été transformée en un sanctuaire de pierre, disposition doublant les possibilités d’aménagement de chapelles collatérales25.
45De nombreux et illustres personnages (liés à la famille du défunt cardinal mort en odeur de sainteté, le plus souvent) profitèrent de l’opportunité. C’est ainsi que Louis d’Orléans procéda à une fondation à ses armes du côté droit de l’église26. Galéas Visconti, duc de Milan, beau-père de Louis d’Orléans, fit de même dans la croisée du côté droit du chœur, également décorée à ses armes27. Son frère Jean de Luxembourg souhaita également être inhumé dans le lieu où gisait le corps de son frère28.
46Dans la plupart des cas, le « martyrologe » précise que ces illustres personnages firent édifier ces constructions à leurs frais. Selon le programme de décoration et l’éventuelle création simultanée d’un desservant, les sommes laissées aux Célestins s’échelonnent de 500 à 1000 florins et de 2000 à 6000 francs ou encore 4000 ducats dans le cas de Galéas Visconti. Or, ainsi qu’on l’a déjà vu, ces sommes ne tenaient pas compte de celles engagées séparément par les bienfaiteurs. Elles ne prenaient donc vraisemblablement en compte que les frais engagés pour le parement et l’entretien de la chapelle et de son desservant éventuel. Ces montants colossaux réservaient évidemment de telles pratiques à des élites sociales proches des lieux de pouvoir.
47Enfin, chaque création s’accompagnait de la remise de parements d’autel et de tous les ustensiles nécessaires à une chapellenie. Cela comprenait évidemment des livres (les missels sont le plus souvent mentionnés), mais également les vêtements liturgiques idoines et utiles aux desservants, le plus souvent de couleur blanche, verte et rouge, correspondant aux divers temps liturgiques de l’année chrétienne. Enfin les calices, patènes et autres vaisselles cultuelles sont également parmi les biens en nature que les Célestins reçoivent de leurs bienfaiteurs fondateurs d’une chapelle privative. Selon les moyens du donateur, les tissus peuvent être plus ou moins luxueux. Ainsi, à plusieurs reprises, le détail des notices biographiques mentionne-t-il des damas ainsi que des joyaux en pierres précieuses ou encore des objets en argent ou dorés. Quelques retables sont également évoqués, sans que le détail de l’iconographie soit précisé. Enfin, des reliquaires sertis de perles et de pierres précieuses font également partie des dons que les bienfaiteurs firent aux Célestins29.
48Toutefois, tous les monastères célestins ne pouvaient s’enorgueillir d’abriter le tombeau d’un bienheureux de l’Église, ainsi qu’à Avignon. Les fidèles souhaitent donc fréquemment être inhumés dans le sanctuaire ou bien dans un lieu conventuel. Dans cette logique, la place de choix se situait devant le grand autel. De fait, elle était le plus ordinairement dévolue aux plus illustres bienfaiteurs ou encore au fondateur du monastère. Restait alors l’intérieur de l’église, plébiscité par les bienfaiteurs de l’ordre.
49Ainsi en était-il à Gentilly, dans les deux tiers des cas. Contrairement aux Constitutions des Célestins et aux tendances enregistrées puis généralisées dans le monachisme occidental, il ne semble pas y avoir eu de sur-représentation masculine dans ces demandes. Dans plus de la moitié des cas ce sont en effet des donatrices qui élisent ainsi sépulture dans l’espace sacré. De la même façon, les inhumations à l’intérieur des chapelles privatives ne semblent-elles pas plus déterminées par le sexe. Ainsi, le seigneur Robin Faucher et la noble dame Bitrona de Penne, qui possèdent la seigneurie de la bastide et du port de Traille sur le Rhône, font donation de tous leurs biens, droits et dépendances aux Célestins de Gentilly, avec l’accord de leur fille Isabelle Faucher30. Ils font alors la demande de bénéficier d’une sépulture à l’intérieur de l’église du prieuré, précisant qu’ils ont déjà perdu cinq fils, lesquels les ont présentement précédés dans le sanctuaire.
50D’autres individus souhaitaient être enterrés dans l’espace monastique, sans donner plus de précision (sanctuaire, ou espace conventuel ?). Plus rares sont cependant ceux qui désirèrent et obtinrent d’être enterrés revêtus de l’habit des Célestins. De fait, il s’agit bien évidemment toujours d’hommes mais pas forcément de clercs réguliers.
51Pour le prieuré de Gentilly, les cas recensés sont au nombre de deux seulement sur l’ensemble de la période étudiée. Ainsi en fut-il pour François dei Atti (ou de Todi), le vrai fondateur du monastère. Le deuxième cas est celui de Jean de Loberto, auditeur du cardinal de Saint-Martial dont il est précisé qu’il fut enseveli ad habitu nostro31 (sic !).
52À Colombier, la demande de sépulture est surtout le fait d’hommes et se situe en deuxième position, juste derrière les messes. Elle est même plus importante que les attentes de prières. Comme dans le cas des deux autres monastères, ce sont surtout des fonctionnaires, des hommes de guerre et des nobles qui expriment ce type de souhait. Il semble toutefois qu’à Notre-Dame de Colombier-le-Cardinal plus qu’ailleurs, ce privilège ait été réservé aux principaux donateurs ainsi qu’aux membres de la famille du fondateur ou de toute autre famille importante sur le plan local. Très fréquemment, les individus qui obtinrent cet honneur étaient apparentés à la famille du cardinal Pierre de Colombier.
53Dans certaines circonstances particulièrement atypiques, lors de périodes très heurtées de l’histoire locale, les Célestins acceptèrent même de garder les restes de défunts et de les conserver jusqu’à ce que leur famille puisse les récupérer pour les inhumer dignement et définitivement dans la nécropole familiale. La plupart des demandes concernent le sanctuaire du monastère. Ainsi l’on trouve quatre fois plus de demandes pour une inhumation dans l’église (soit huit au total contre seulement deux) que dans une chapelle privée construite latéralement.
54Cette démarche d’élection de sépulture à l’intérieur du sanctuaire implique aussi celle de se rapprocher le plus possible d’une dépouille particulièrement vénérée et estimée influente. En l’absence de corps saint, il s’agit ici de jouxter du mieux possible la dépouille du cardinal fondateur. Prince de l’Église ayant fait don d’une propriété familiale afin d’y faire bâtir un monastère de Célestins, son influence et son exemple ne peuvent qu’être particulièrement bénéfiques. Pierre de Colombier semble jouer ici le rôle de « protecteur » d’une familia élargie, dans laquelle on retrouverait les parents et les familles alliées, mais également d’autres fidèles partageant les mêmes attentes et les mêmes valeurs. Ainsi en est-il pour Raoul de Saint-Georges, mari de Philippa de Colombier, nièce du cardinal fondateur et fille de Barthélemy de Colombier32. Il apparaît donc bien que l’église du monastère célestin faisait office de nécropole pour les parents par le sang ou encore par alliance du cardinal défunt. Il est vrai que le château et la seigneurie qui en découlait appartenaient à la famille avant d’avoir été concédés aux religieux. Il s’agissait donc ici pour cette petite noblesse de continuer à jouir de son patrimoine par l’intermédiaire des moines célestins.
55Dans cette même optique, il semble qu’à Colombier la sépulture ait été le plus souvent réservée à ceux des donateurs qui faisaient des religieux leurs légataires universels (cinq sépultures sur huit). C’était le cas lorsque le bienfaiteur n’avait plus d’héritier vivant (ou n’en avait jamais eu33). Ainsi cédé à un ordre monastique, le patrimoine était préservé et pouvait indirectement être utilisé par la lignée34.
56Au monastère Saint-Pierre-Célestin d’Avignon, de nombreux bienfaiteurs demandent une sépulture à l’intérieur du sanctuaire. Jean Cadard, miles et conseiller du roi de France, seigneur du Thor et mari de Jeanne de Moulins, fut enseveli avec son épouse dans l’église35. Dans la plupart des demandes, le chœur, espace pourtant par définition limité, semble plébiscité. Or, chaque requête paraît avoir été honorée par les religieux. Il en est ainsi pour Jean Isnard, docteur en lois d’Aix-en-Provence et citoyen d’Avignon, qui fut inhumé dans le chœur, sa femme Guillermata l’y ayant précédé36. Cet emplacement si prisé semble néanmoins avoir été concédé à des bienfaiteurs particulièrement dévôts et importants pour les Célestins. Ainsi Jean Isnard, d’après la notice biographique sommaire que lui consacre le « martyrologe », visitait le monastère une fois par semaine et contre une donation de mille florins avait fondé un religieux qui devait célébrer deux messes. Qui plus est, c’était un proche de la communauté monastique, ainsi que le prouvent ces quelques lignes issues de sa notice biographique : ad presens monasterium et fratres eiusdem quam plurimum affectus quamdiu vixit semper et ubique profectum et honorem monasterii et personnarum cum magno zelo procuravit ac in consiliis et aliis negociis multum propitius fuit. C’est une place de choix qui a ainsi été demandée et obtenue par celui que les religieux qualifiaient eux-mêmes de « grand zélateur » de l’ordre célestin37.
57Au monastère d’Avignon, d’autres donateurs furent inhumés devant le dortoir ou, par humilité, devant les degrés y conduisant. D’autres encore dans le cimetière des moines. Pierre Firesmes, alias « Bout du Monde », serviteur du cardinal de Foix, demanda à être enterré dans le cimetière des Célestins, devant la porte de l’église, afin d’être foulé par les pieds de tous les fidèles38. Le savetier Jean Arnaudi, décédé en 1447, fit des Célestins également ses héritiers universels et obtint quant à lui une inhumation dans le cloître de Saint-Pierre-Célestin d’Avignon39.
58De la même façon, il semblerait que les femmes aient été plus facilement admises à l’inhumation dans les bâtiments claustraux qu’à l’intérieur des sanctuaires. Certaines bienfaitrices firent la même requête. Jeannette Philippona, épouse de Pierre de Terris d’Avignon, avait fait le modeste don de 50 florins pour la fabrique de l’église et pour le monastère afin d’être ensevelie dans le cimetière des Célestins40. Il s’agit donc d’un acte de modestie à l’heure des fins dernières. Enfin, dans de rares cas, certains donateurs purent être inhumés à l’intérieur du cloître. En fait, il s’avère que le cas est unique dans le prieuré avignonnais et s’applique à un membre de la famille d’un Célestin. Jean Arnaudi, savetier du diocèse de Nîmes, habitant de Beaucaire, était en effet le neveu de Jean Calcerii qui fut prieur du monastère de Colombier41. Les sépultures à l’intérieur des bâtiments de la clôture monastique semblent avoir été plus limitées et essentiellement destinées aux moines.
Les fondations de religieux
59Les fondations de religieux sont le plus souvent liées à la création d’une chapelle ou d’une chapellenie. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait en effet veiller à ce que les exigences liées au culte fussent remplies. Or la liturgie des Célestins était déjà pléthorique, ce qui ne leur laissait vraisemblablement pas le loisir de procéder à des services particuliers. Fonder une place de religieux relevait donc de la nécessité et assurait qui plus est une relative indépendance au bienfaiteur. La plupart du temps, et parce que les demandes s’accompagnaient le plus souvent de célébrations d’obits et de messes, le frère devait en outre avoir reçu la prêtrise. L’expression frater sacerdos revient en effet très souvent dans ces circonstances. Parfois, les exigences de certains donateurs légitimaient pleinement le recours à cette pratique.
60En raison également du caractère perpétuel de cette création et de l’existence de ce desservant, cette fondation était réservée à une élite aisée. La dotation qui l’accompagnait devait en effet permettre d’acheter le nécessaire à la célébration et la décoration de la chapelle, mais en plus couvrir les dépenses liées à la vie du desservant.
61Ces fondations sont donc réservées à des membres des couches sociales les plus puissantes économiquement parlant. De fait, pour l’ensemble de la période étudiée, l’on ne relève que treize cas de fondations de religieux sur soixante-douze donateurs pour le monastère de Notre-Dame-de-Colombier. Ce pourcentage de 18,05 % est malgré tout ici assez élevé, le sanctuaire de l’édifice religieux ayant apparamment servi de nécropole à la noblesse locale et en particulier au lignage du cardinal fondateur. 69,23 % des demandes émanent de laïcs. Dans 15,38 % des cas, cette création se fait en couple. Dans 15,38 % des occurrences également, les donateurs fondent deux religieux en une seule fois. Cette demande n’est pas typiquement masculine, loin de là. En effet, dans 53,85 % des demandes, il s’agit d’une femme qui souhaite ainsi traduire sa dévotion envers le lieu et ses occupants. La fondation est néanmoins très majoritairement liée à des services liturgiques particuliers. Dans 15,38 % des demandes, le religieux est créé simultanément avec une chapelle et seuls 15,38 % des bienfaiteurs créent un religieux sans qu’aucun service spécifique n’apparaisse. Il y a alors, très certainement, une volonté d’augmenter le nombre de religieux vivant à l’intérieur du couvent. Néanmoins, dans 30,76 % des cas, les donateurs procèdent à cette création afin d’assurer la célébration d’une messe quotidienne. Pour 46,15 % des bienfaiteurs, le moine fondé doit assurer des anniversaires ou des obits, la liturgie funéraire et commémorative étant ici clairement majoritaire.
62Dans le cas de Saint-Pierre-Célestin d’Avignon, certaines tendances semblent se confirmer. Sur 113 donateurs, seuls 21 fondent un religieux, soit 18,58 %. On le voit, le pourcentage est étonnamment voisin de celui constaté à Colombier, et ce alors que la nature même des sources varie. En revanche, le pourcentage de laïcs tombe ici à 42,85 %, soit près de vingt-sept points de moins que pour la maison avignonnaise.
63Les nombres sont également grandement divergents en ce qui concerne la représentation des femmes. Seules 19,05 % des bienfaiteurs créant des religieux sont de sexe féminin. Les constatations déjà entrevues concernant l’ensemble de la population des fidèles se confirment ici. En conséquence, le nombre de couples est moindre : 9,52 %.
64Les fondations de multiples religieux sont également un peu moins nombreuses : elles représentent 14,28 % (contre 15,38 % pour Colombier), sans que la différence soit significative.
65Dans 28,57 % des cas, le religieux est lié à une chapelle également fondée par le bienfaiteur et dont il doit assurer les services liturgiques. Ce pourcentage est presque le double de celui enregistré pour le prieuré de Colombier-le-Cardinal et reflète le recrutement anormalement élitiste de la cité provençale, résidence pontificale pendant de nombreuses années.
66Dans 4,76 % des créations, le moine doit assurer une messe quotidienne. Dans 4,76 % des cas, ce sont des services annuels et commémoratifs qui occupent le Célestin créé. Mais dans le « martyrologe » d’Avignon et pour la majorité des cas (76,19 %) la liturgie n’est pas détaillée. Le scribe précise alors que le religieux est censé prier Dieu à perpétuité pour le bienfaiteur et les membres désignés de son entourage. La qualité des donateurs variant entre Colombier et Avignon, il semble que les attentes fassent de même, à moins que les Célestins n’aient bénéficié de souhaits moins directifs à Avignon, ou que leur manière de consigner les attentes dans le martyrologe ait été moins détaillée. Finalement le type de fondation semble à peu près constant, mais c’est la population des donateurs, qui les ordonnent, qui varie de façon assez importante.
67Reste le cas parfaitement atypique du monastère de Gentilly, pour lequel une seule fondation de religieux est attestée, ce qui ne permet bien évidemment aucune approche statistiquement satisfaisante. La seule occurrence qui existe en effet pour la maison de Pont-de-Sorgues est celle de la création de six religieux que l’on doit au cardinal François de Clermont. Il est d’ailleurs, et pour cette raison, reconnu par les Célestins comme le troisième fondateur du prieuré. Il est vrai qu’il y eut beaucoup moins de chapelles privatives à Gentilly et que les bienfaiteurs étaient d’un niveau inférieur économiquement parlant. Toutefois, dans le cas de François de Clermont, cette fondation ne s’accompagne pas de celle d’une chapelle privée. Les six moines dont il désirait voir augmenter le prieuré n’étaient donc, selon toute vraisemblance, pas là pour desservir et assurer des célébrations liturgiques spécifiques et privatives.
68Inversement, la chapelle Sainte-Catherine dont on a mesuré l’importance pour les barons de Lers successifs ne paraît pas avoir bénéficié d’un desservant particulier. Peut-être, en raison du faible nombre de sanctuaires collatéraux, l’un des Célestins pouvait-il se charger de la liturgie spécifique, ce qui aurait été impossible à Avignon en raison du succès même de cette pratique.
69La formule perpetuis temporibus intus Deo servituri pro sue et propinquarum (ou parfois suarum) animarum remedio et salute (ou des équivalences) revient le plus souvent dans les notices biographiques du « martyrologe ». La démarche est donc collective, destinée à bénéficier à un ensemble de personnes liées par des relations de parenté ou de clientèle. En un mot, les suffrages et les célébrations liturgiques se font pour l’ensemble de la familia, au sens le plus large du terme. Ainsi Jean de Filheto, damoiseau servant dans les armées pontificales, fonde-t-il un frère perpetuis temporibus intus Deo servituri pro sue et domini Clementis pape VII supradicti ac aliorum pro quibus intendit remedio et salute animarum domum suam ad signum scuti Sabaudie42.
70La notice consacrée au chancelier du duc de Bourgogne Nicolas Rolin contient une exigence beaucoup plus englobante :
pro fundatione et dotatione unius fratris sacerdotis huius conventus qui ipsos fundatores suos eorumque parentes et benefactores in vita pariter et post mortem in omnibus suis specialiter et expresse recommissos habeat et pro ipsis orare perpetuo teneatur43.
71Il est assez peu fréquent que les bienfaiteurs aient fondé de leur vivant un religieux afin qu’il prie pour eux ainsi que pour leurs parents et bienfaiteurs44.
72Le nombre de religieux fondés dans le monastère avignonnais est sans commune mesure par rapport à celui de Gentilly, mais en relation directe avec les fondations de chapelles privatives. Pourtant, certains bienfaiteurs fondèrent un religieux sans que cela soit en rapport avec l’édification d’une quelconque chapelle. Ainsi, Louis d’Orléans et son beau-père Galéas Visconti, duc de Milan, qui firent construire des chapelles à leurs frais, ne créèrent-ils pas de desservants45. Jean de Luxembourg, comte de Cupersani, et son fils Pierre agirent de pareille façon. C’est également le cas de Jean de Filheto, damoiseau des armées pontificales, et de Bertrande Giraude, épouse de Jean de la Garde, damoiseau des armées du pape lui aussi46.
73La somme de mille florins est celle qui revient le plus souvent au milieu du XVe siècle. Elle semble convenir à la fondation d’un frère47.
74La pratique de laisser des biens immobiliers, afin d’assumer les dépenses et d’assurer des revenus pour le frère fondé, est assez courante48. Certains donateurs ont ainsi pu fonder des religieux sans que ces derniers aient à assurer une quelconque liturgie privée et spécifique. Dans cette optique, aucun ne put rivaliser avec le roi René de Provence qui, en une seule et unique volonté, pourvut à la création de douze religieux. Il est avéré que cet illustre personnage vouait non seulement un culte tout particulier à Pierre de Luxembourg, mais qu’il entretenait également une dévotion sincère et profonde à l’égard de saint Pierre Célestin et ses disciples49. Pour assurer des revenus suffisants et décents à ses douze moines, tout en associant son épouse, la reine Jeanne, à sa démarche, il céda aux Célestins les péages sur le sel et les marchandises qu’il possédait à Tarascon, Saint-Gabriel et Aurel50.
75Parfois les sommes laissées aux religieux n’étaient pas suffisantes pour assurer les revenus nécessaires au desservant. Ainsi Antoinette Furneria, veuve de Claude Bertrandi, légua par testament des possessions diverses qui furent vendues par les Célestins pour la somme de 600 florins environ51. Grâce à cette somme, ils purent fonder un demi-frère sacerdos. Il est donc probable, encore que cela ne soit pas démontrable en vertu des informations contenues dans le « martyrologue », que divers legs pouvaient être unis afin de parvenir à une création complète. Très certainement, le religieux prêtre devait-il alors s’acquitter des deux services demandés par les deux bienfaiteurs52.
76Parfois aussi, les religieux ne purent récupérer suffisamment de l’hoirie du défunt bienfaiteur pour assurer la fondation voulue. Dans bien des cas, ils ne parvenaient à récolter qu’une partie des sommes dues, et encore après un laps de temps qui pouvait être considérable. De tels comportements ne doivent toutefois pas occulter la présence de donateurs n’exigeant aucune contrepartie.
Ultimes échanges
77Les Célestins et leur entourage renforcent par d’autres éléments le processus d’échanges de suffrages et de services qui les lient : legs sine onere speciali du côté des bienfaiteurs, réception de ceux-ci comme participants aux œuvres de l’ordre et encadrement spirituel du côté des religieux.
Les legs sine onere speciali
78Parmi les fidèles des Célestins certains paraissent avoir été moins soucieux de rentabiliser au mieux leurs dons. Environ un sur cinq semble se trouver dans ce cas, mais il faut manipuler ce chiffre avec toute la prudence requise. Si l’expression sine onere speciali est explicitement formulée dans 20 % des cas environ pour le monastère de Gentilly, les individus dont les exigences ne sont pas spécifiées sont plus nombreux. Oubli du scribe de l’obituaire, ou volonté du testateur non consignée par écrit, le taux de 20 % paraît donc être un minimum, témoignant bien de la piété profonde qui animait certains dévots des Célestins. Ce pourcentage que l’on retrouve rigoureusement identique dans le cas d’Avignon semble donc devoir être considéré comme une constante de la dévotion à cet ordre, dans la vallée du Rhône.
79Bien que dans un peu moins de 50 % des cas une somme d’argent revienne aux Célestins, elle est rarement la seule chose donnée : les biens en nature représentent une très forte proportion des gratifications pratiquées sans exiger de contrepartie, ni spirituelle, ni temporelle. Pas de sépulture en lieu consacré, pas d’obit, ni de participation aux œuvres pieuses assurées par les religieux. Pour autant, les biens laissés aux monastères n’en sont pas moins importants puisque, parfois, les Célestins sont les héritiers universels et uniques de ces personnes. Néanmoins, par gratitude, les religieux décident souvent de prier pour eux ou de les associer à leurs offices et suffrages. Pour le prieuré de Gentilly, cette démarche concerne 4,45 % des bienfaiteurs du « martyrologe ».
80À Colombier-le-Cardinal, ce type de démarche n’existe apparemment pas. Il est vrai que la logique de nécropole pour la noblesse locale peut en partie expliquer cette absence. La volonté de manifestation de la puissance du lignage ne peut en effet s’exprimer de cette façon. De plus, le manuscrit du père Grasset qui est une source irremplaçable mais centrée sur la famille du fondateur et les principaux bienfaiteurs n’est pas propice à garder la trace de telles pratiques53.
81Pour Avignon, les legs sine onere speciali représentent 10,76 % des cas. Pour 71,42 %, ces bienfaiteurs sont des hommes. Les deux femmes qui procèdent ainsi sont toutes deux veuves et ne semblent pas avoir été nobles. Elles vouaient en outre une dévotion particulière à ces religieux. Giraudea Ortolane fit d’ailleurs d’eux ses héritiers universels, ce qui laissa environ 500 florins au monastère après son décès en 144154. Parmi les hommes, les artisans sont également représentés par Jean Sabatier, alias Le Breton, pierrier habitant de Villeneuve, qui laissa la somme de 600 florins à sa mort en février 144455.
82Parfois, cette donation se faisait du vivant du bienfaiteur56. Là encore, on peut constater par le vocabulaire employé à l’égard de ces donateurs par le scribe célestin qu’il s’agissait de fidèles parmi les fidèles. Finalement, on peut avancer que ce type de donation est représenté dans toutes les catégories sociales, mais avec des motivations diverses. En effet, Jean, comte de Foix, en raison d’une affection et d’une dévotion toute particulière qu’il portait à Pierre de Luxembourg et en manifestation de gratitude pour la guérison de son fils fit un ex-voto et offrit un calice en or et des objets en métal précieux, sine onere speciali. Dans ce dernier cas, il s’agit de remercier un saint (ou présumé tel par la vox populi) pour une intervention d’ordre quasi miraculeux dans la guérison. Par définition, l’ex-voto ne demande pas de contrepartie, puisqu’il est un témoignage de gratitude suite à la satisfaction d’un vœu.
83Il semble donc que les legs sine onere speciali aient été davantage le fait de commerçants et d’artisans, bien plus que de gens nobles.
La participation aux pratiques et aux œuvres des Célestins
84Vers la fin de la période étudiée et surtout dans la seconde moitié du XVe siècle ainsi qu’au XVIe siècle, apparut un certain besoin d’ostentation inconnu (ou du moins inavoué) auparavant. Plusieurs individus exprimèrent expressément leur volonté de voir figurer leur nom dans le « martyrologe » des frères.
85Dans le celui d’Avignon, plusieurs cas sont attestés57. Pierre Marchi, bourgeois de Nîmes, fait dans son testament un legs de 50 livres tournois cum hac conditione quod nos patres dicti monasterii debemus et teneamur ponere et describere ipsum Petrum Marchi et dominam Dulciam eius uxorem in nostro mortilogi ac ipsos coniuges et eorum parentes in associatione nostrorum beneficiorum...58 Il mourut en 1459. Maître Henri Mellin, notaire habitant Avignon, propter singularem devocionem quam erga nos et monasterium nostrum gerebat, fit des Célestins ses héritiers. Les religieux reçurent environ 200 florins. Le défunt avait en outre ordonné une chapelle ainsi qu’une messe annuelle pour les malades, dans la chapelle de Tous les Saints. Mais, nous explique la notice :
ex eo quod ad id faciendi non suppetunt ne fructum sue oblacionis et bone voluntatis perdat Reverendus pater Provincialis frater Johanes Roberti ordinavit in martirologo eum aggregari ut princeps sit omnium bonorum spiritualium et inter benefactores enumeretur59.
86L’inscription dans le « martyrologe » est donc ici décidée par le provincial en personne. Elle n’était donc pas automatique pour tous les bienfaiteurs. Les critères nécessaires ne sont pas toujours uniquement liés à l’importance des dons, ainsi qu’on l’a vu. Voir son nom consigné dans ce registre particulier paraît agir ici comme une consolation pour un bienfaiteur dont les dernières volontés n’ont pu être exécutées. Néanmoins elle assure au bénéficiaire le souvenir et la gratitude de toute la communauté présente et à venir. Probablement allait-elle de soi lorsque les bienfaiteurs vivaient longuement dans la société et la proximité des Célestins. Ainsi, même après leur mort, ces fidèles continuaient à faire partie d’une communauté de prières et de dévotion.
87Certains dévots des religieux ont ainsi souhaité se voir unis aux différentes œuvres pieuses réalisées habituellement par les Célestins. Les formules utilisées dans le « martyrologe » sont de plusieurs types, et plus ou moins détaillées60 :
... in associatione nostrorum beneficiorum recolligere ac in missis orationibus elemosiniis et aliis suffragiis spiritualibus quibuscumque que per nos aut successores nostros de cetero divina pietas dignabus (ou imur) operari participes facere61, ou encore : ... in vita pariter et post mortem associemus et participes faciamus omnium bonorum spiritualium que Domino cooperante a modo et antea per nos aut in presenti monasterio successores nostros fieri contingerit62.
88Ainsi qu’on peut le constater, il s’agissait de bénéficier non seulement des suffrages spirituels et des prières et messes célébrées par les religieux, ce qui était déjà un viatique de choix, eu égard à leur pratique pléthorique, mais aussi de se voir associés dans les aumônes, les jeûnes, les abstinences et les disciplines que supportaient les Célestins (qui étaient également nombreux en raison du caractère extrêmement ascétique de leur fondateur et modèle). Comme à l’accoutumée, il est rarissime que le bienfaiteur opte pour une telle demande à son seul profit. Il souhaite toujours en faire bénéficier son entourage, que celui-ci soit réduit à son seul foyer ou qu’il soit au contraire étendu à toute sa familia63.
89En outre, cette démarche a parfois lieu bien avant la mort des demandeurs, puisqu’il est précisé que cette association devra être effective et efficace leur vie durant aussi bien qu’après leur décès. Dans la plupart des cas, la demande paraît avoir été le fait de personnes particulièrement attachées à la communauté célestine. Outre le terme de « zélateurs », employé avec parcimonie, d’autres expressions viennent souligner cette affection particulière : ad conventum huius monasterii quam plurimum affectus pour Pierre Marchi, bourgeois de Nîmes. Dans tous les cas, que le privilège soit le résultat d’une demande ou qu’il ait été concédé à de très fidèles soutiens des monastères célestins, participer à leurs œuvres pieuses procurait assurément une aide spirituelle enviable et efficiente.
Une aide spirituelle et un réconfort dans les épreuves
90Bien que la clôture monastique ait été particulièrement importante dans les Constitutions des Célestins, elle n’empêcha pas certains d’entre eux de devenir les directeurs de conscience ou les confesseurs de certains de leurs bienfaiteurs. Apparemment, cette fonction était réservée aux prieurs ou aux plus illustres représentants de l’ordre. Elle était donc dûment réglementée par les Constitutions de l’ordre, mais néanmoins prévue, ainsi que cet extrait l’atteste :
Quinta pars
In singulis monasteriis religionis nostre instituantur a prioribus certi fratres pro confessionibus audiendis : nec liceat alicui fratri alteri confiteri nisi ex speciali licentia prioris pro illa hora exceptis prioribus hospitibus quibus licet confiteri sociis suis vel confessionibus illius monasterii in quo fuerint : aut prioribus hospitibus aliis si fuerunt ibidem nec audiant ipsi priores hospites aliquas confessiones preter quam sociorum vel aliorum priorum. Porro in singulis mensibus tam in monasteriis quam extra sublata occasione quacumque ad confessionem saltem bis accedant omnes et singuli fratres clerici et oblati : et in prima dominica cuiuslibet mensis in monasterio semper communicent, nisi ex causa forte, quam abbati priori aut penitentiariis proprii monasterii non differant intimare eorumque judicio abstineant differant vel accedant. Qui in predictis vel predictorum aliquo contrarium fecerint : pene levioris culpe ad voluntatem presidentis suiacent infra mensem (...)
Sexta pars
Sane ne predictis penitentiariis via pateat obevrandi confessiones hominum secularium et maxime mulierum audisse sibi noverint penitus interdictum : nisi speciali priorum monasteriorum licentia quo ad homines et abbatis quo ad mulieres, dum etiam predicti seculares qui confiteri voluerint habeant a suis parrochialibus presbiteris super hoc licentiam specialem. Confitentes autem eosdem de reservatis casibus non absolvant super omnia autem districte precipimus ne abbas priores et fratres quilibet alii : corpus Christi, extremam unctionem et matrimonium solemnizationem clericis vel laycis secularibus non habita super hoc parrochialis presbiteri eorum licentia speciali dare presumant aliquatenus vel attemptent. Contra facientes excommunicationis sententiam incurrisse se noverint : non nisi a Romano Pontifice absolvendi64.
91Comme on peut le constater, le statut de confesseur était déjà très réglementé à l’intérieur des monastères entre les religieux eux-mêmes. Mais la sixième partie qui concerne le fait, pour un Célestin, de pouvoir entendre en confession un séculier dénonce ce qui est a priori penitus interdictum, c’est-à-dire absolument et profondément interdit... sauf exception ! Ces exceptions sont du ressort des supérieurs hiérarchiques du moine, à savoir du prieur s’il veut entendre en confession un homme, et de l’abbé, s’il s’agit d’une femme, le danger étant plus grand, l’autorisation devant émaner de l’autorité la plus haute. Ces licences une fois accordées, les laïcs devaient de leur côté obtenir la permission du prêtre ayant la cura animarum dans leur paroisse. Enfin, les confesseurs célestins ne pouvaient absoudre leurs pénitents des cas réservés.
92Ces cas devaient donc, dans l’esprit régulier des disciples de Pierre de Murrone, rester des raretés. La peine encourue par les religieux contrevenants était par le fait très grave, puisqu’il s’agissait de l’excommunication, assez souvent employée à des fins politiques contre les dirigeants séculiers à la fin du Moyen Âge, mais plus exceptionnelle à des fins religieuses et individuelles. Le monastère Notre-Dame-de-Colombier connut néanmoins plusieurs cas de ce genre.
93Marie de Tournon, épouse en premières noces du seigneur Charles de Tournon, seigneur de Beauchâtel et de Serrières, et en secondes noces de René de Cosses, napolitain, sénéchal de Provence, seigneur de Marignagne et de Feyre, premier gentilhomme du roi René d’Anjou, avait pour directeur de conscience le prieur Jean Britonis65. Artauld de Beausemblant fut assisté par le prieur André Jean et Gilles de France66. Le père Grasset note également qu’atteint par la maladie et proche de sa fin, Claude de Bayas fut assisté en 1512 par Jean Colin, prieur du monastère67. Déjà le cardinal Pierre de Colombier avait été accompagné, puis sa dépouille veillée par six Célestins d’Avignon. Par la suite, son corps fut acheminé vers le château familial qui devait devenir le couvent célestin et dans le sanctuaire duquel il souhaitait être inhumé en présence de moines.
94Cependant, certaines aides octroyées par les Célestins à certains de leurs bienfaiteurs sont encore plus étonnantes au regard de l’austérité de leur ordre. Ainsi, les sources rapportent le cas d’Aymar, seigneur de Montchal, et de sa femme Louise de Godefroy qui confièrent aux Célestins leur fils Claude à la charge du prieur du lieu en contrepartie de biens immobiliers et de cens68. Il est difficile de préciser s’il s’agissait pour le prieur d’assurer l’éducation du fils de ce seigneur ou bien s’il s’agissait là d’un placement ayant pour but d’en faire un Célestin. Peut-être s’agissait-il aussi de placer un enfant dont on n’était pas sûr que les parents vivent assez longtemps pour en faire un homme. Malheureusement, les précisions manquent pour statuer sur ce point ainsi que sur la réalisation de cette aide et sur le devenir du jeune garçon. Cependant, les novices célestins étaient recrutés plus âgés que cela et il ne semble pas y avoir eu d’enfants dans les maisons de l’ordre. Il est probable qu’il faut voir là un service rendu à d’excellents fidèles à titre tout à fait exceptionnel ce cas n’étant pas prévu par les Constitutions de l’ordre.
95À l’issue de l’étude de ces trois prieurés célestins de la vallée du Rhône, des caractéristiques apparaissent, qui individualisent chaque établissement. Les raisons sont le plus souvent liées à leur localisation, à leur histoire (et notamment aux conditions de fondation), ainsi qu’au recrutement de leurs bienfaiteurs.
96Ainsi peut-on constater que les attentes des bienfaiteurs des Célestins relevaient à la fois du domaine spirituel et du domaine temporel. Les liens qui les unissaient aux religieux semblent avoir été, pour les plus fidèles d’entre eux, solides et étroits. Conseillers, confesseurs, soutiens, les Célestins endossaient toutes ces fonctions, tout en demeurant des professionnels de l’intercession et des œuvres pieuses prisées dans la perspective de l’au-delà. Assurément, la société formée par les moines et leurs bienfaiteurs était originale, basée sur un souci d’efficacité et d’intercession mutuelles, chacun œuvrant dans la perspective de renforcer l’autre, tant sur le plan matériel que spirituel et religieux. Les liens qui furent ainsi tissés déterminaient tout un réseau d’influences dont les tentacules aboutissaient le plus souvent parmi les milieux les plus notables de l’époque et ce tant à l’échelle locale ou régionale qu’à celle du royaume de France. Il n’est qu’à considérer certaines des personnalités bienfaitrices de l’un des trois monastères de la vallée du Rhône pour se rendre compte de cet état de fait.
97Si l’on tient compte des deux principales acceptions par lesquelles on peut comprendre le terme societas, la première évoque des relations habituelles que l’on entretient avec quelqu’un au sein d’un groupe organisé et uni par des goûts, une activité, des intérêts communs. Au terme de l’étude de ces trois prieurés, il apparaît que les goûts, les tendances spirituelles et notamment les tendances réformatrices rejoignaient les religieux et leurs donateurs. Quant aux intérêts communs, ils sont manifestes et ont laissé des traces tant sur le plan matériel que spirituel jusqu’au sein des pages des martyrologes. Les pouvoirs, savoir-faire et réseaux des bienfaiteurs ont été rentabilisés par les religieux et inversement.
98La deuxième acception, plus juridique, établit la societas comme étant un contrat de mise en commun en vue de partager le bénéfice qui pourra en résulter. Dès lors, comment ne pas penser à la société de prières qui lie dans le présent et l’au-delà le bienfaiteur aux « professionnels » du sacré qu’il a chargés de prier pour lui et les siens afin d’assurer la survie de son âme ? Et comment passer sous silence le fait que les richesses des donateurs ainsi que ses relations étaient au centre d’un partage très matériel qui avait pour principal but d’augmenter le temporel et le rayonnement des frères célestins au mieux de leurs intérêts ?
99Les Célestins et leurs bienfaiteurs formaient donc bien une « société » dans la pleine et entière acception du terme, et cette solidarité d’intérêts semble avoir été particulièrement bien intégrée à tout ce que la société de la fin du Moyen Âge et du début du XVIe siècle comptait comme détenteurs de pouvoir.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire de l’ordre des Célestins, voir l’article « Célestins » de l’encyclopédie Catholicisme : hier, aujourd’hui et demain, 7 vols, Paris, Letouzey et Ané, 1948- ainsi que celui du Dictionnaire de théologie catholique, sous la direction de A. Vacant et continué par E. Mangenot, Letouzey et Ané, Paris, 1905-, tome II, p. 2064-2068, Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastique, sous la direction de R. Aubert, 21 vols, Paris, Letouzey et Ané, 1952- ou encore, celui, un peu vieilli, du sixième volume de P. HELYOT, Histoire des ordres monastiques, religieux et militaires et des Congrégations séculières de l’un et l’autres sexe..., 8 vols, Paris, 1714-171, dont une version revue et corrigée se trouve dans le premier volume de MIGNE (Abbé) : Encyclopédie théologique, vol., Paris, 1847. Pour une approche de l’ensemble de cet ordre de fondation italienne, la consultation du Dizionario degli istituti di perfezione, diretto da G. Pellicia e da G. Rocca, 8 vols, Rome, Paoline, 1974-1988, est irremplaçable. L’article de G. ETTORE « Sinopsi storica dell’Ordine di Celestino V », dans Celestino V ed il VI centenario della sua incoronazione, L’Aquila, 1894, p. 371-380 est également intéressant. Pour l’histoire de la province de France, les ouvrages sont anciens mais toujours utiles : A. BECQUET, Gallicae Coelestinorum congragationis Ordo sancti Benedicti monasteriorum fundationes virorumque vita aut scriptis illustrium elogia, Paris, Delaulne, 1719, ainsi que les manuscrits de N. MALET Historia generalis ordinis Coelestinorum ab eorum origine deducta, cum ejusdem ordinis progressu in Gallis, chronographico modo descripta, Avignon, Bibliothèque municipale, ms 1363 (XVIIe siècle) et Historia monasteriorum Coelestinorum Franco-gallorum, secundum dictorum monasteriorum ordinem chronologique scripta, cum rebus majori memoria dignis iisdem annis per multas orbis partes actis, et historia fundatorum et benefactorum praeceptorum, Avignon, Bibliothèque municipale, ms 1438 (XVIIe siècle), et Ch. SUSTRAC, Les Célestins de France : essai sur leur histoire et leurs Constitutions (1300-1789), thèse inédite de l’École des Chartes, Paris, 1899.
Pour le monastère de Gentilly, BRUYERE (Abbé) « Les Célestins à Gentilly près de Sorgues », Revue des bibliothèques paroissiales, Avignon, 1873, L. H. (Dom) COTTINEAU, Répertoire topo-bibliographique des abbayes et prieurés, Mâcon, Protat frères, 1939, et S. COMTE, Le monastère des Célestins de Gentilly (de sa fondation en 1356 à sa destruction en 1562), mémoire de DEA sous la direction des professeurs D. Le Blévec et P. A. Sigal, Université Paul Valéry-Montpellier III, 1993. Ma thèse de Doctorat, en préparation, est dirigée par le professeur D. Le Blévec.
Pour le monastère de Colombier GRASSET (Père), Discours généalogique de la noble maison des Bertrands et de leur alliance avec cele des Collombiers, Archives départementales de l’Ardèche, 52 J 140 (1648) et E. NICOD, « Le cardinal Pierre de Colombier », Revue du Vivarais, 1897, p. 343-355.
Pour le monastère d’Avignon, G. DE LOYE, « L’héraldique du prieuré des Célestins d’Avignon àla fin du Moyen Âge », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, 7e série, tome III, Avignon, 1982, p. 103-141, L. DUHAMEL, « Les œuvres d’art du monastère des Célestins d’Avignon », Bulletin monumental, LIV, 1888, p. 109-130 et 217-255, L.-H. LABANDE, « Le cloître des Célestins d’Avignon », Le Monde illustré, 4 janvier 1903, p. 14, L.-H. LABANDE, Le palais des papes et les monuments d’Avignon au XIVe siècle, F. Detaille, Marseille, 1925, vol. 2 ; L.-H. LABANDE, « La dernière fondation des papes d’Avignon. Le couvent des Célestins », L’Art, LXII, 1903, p. 586-599, LXIII, 1904, p. 15-25, 70-78, 153-169 et 209-214, ainsi que S. COMTE, Les Célestins d’Avignon et leurs bienfaiteurs (fin XIVe-début XVIe siècle), mémoire de maîtrise sous la direction des professeurs P. A. Sigal et D. Le Blévec, Université Paul-Valéry-Montpellier III, 1992, et N. MALET, Historia Coelestinorum Avenionensium et historia factorum aliorum memorabilium ab ann° 1347, Avignon, Bibl. mun., ms. 2885 (XVIIe siècle).
2 En 1331, sortit de terre le prieuré de Sainte-Croix d’Offemont, près de Soisson, là encore par la volonté du seigneur local, Jean de Nelles. En 1328, c’est au tour de l’ancien évêque d’Orléans (diocèse où avait été crée le premier monastère d’Ambert), Roger le Fort de fonder dans son nouveau diocèse de Limoges celui de Notre-Dame des Ternes (dans l’actuelle Creuse).
À partir de 1352, les Célestins possèdent un monastère à Paris, érigé grâce aux largesses du bourgeois Garnier Marcel, mais à la demande de Robert de Jussy, secrétaire du roi, qui y établit d’ailleurs une chapelle, lieu de réunion pour la confrérie des notaires et secrétaires royaux. Très vite, Charles V dispensa biens et privilèges à cette nouvelle création, assurant notamment la construction d’un nouveau lieu de culte placé sous la protection de Notre-Dame de l’Annonciation.
D’autres fondations allaient encore voir le jour à Sens en 1366 et Metz en 1370 et près de Rouen, à Limay (autre fondation de Charles V). Enfin, Charles VI suivit l’exemple paternel en fondant un prieuré de l’ordre à Amiens et Enguerrand de Coucy à Villeneuve Saint-Germain de Soissons pour des religieux venus de Paris. La plupart des maisons de l’ordre n’est pas très éloignée de la capitale du royaume.
3 Les manuscrits consultés sont les suivant :
Pour Gentilly, Règle de saint Benoît. Constitutions des Célestins de France. Obituaire des Célestins de Gentilly, Avignon, Bibl. mun, ms 711, sur parchemin (XVe-XVIIe siècles).
Pour Colombier : GRASSET (Père), Discours généalogique de la noble maison des Bertrands et de alliance avec cele des Collombiers, Archives départementales de l’Ardèche, 52 J 140.
Pour Avignon, Martirologium insignium benefactorum hujus regii coenobii Beatri Petri de Luxembourgo de Avenione..., Avignon, Bibl. mun, ms 1754, sur parchemin (XVIIe siècle) et Martyrologium fratrum Coelestinorum monasterii Sancti Petri confessoris Avenionensis, ibidem, ms 1753 (XVe siècle).
4 Cf. J. DELUMEAU, Le péché et la peur : la culpabilisation en Occident, Paris, 1983 ; J. Dubois (dir.), Sous la règle de saint Benoît : structures monastiques et sociétés en France du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, 1982 ; A. KNOWLES, Les moines chrétiens, Paris, 1969, J. LECLERCQ, « Monachisme », Dictionnaire du catholicisme, t. IX, col. 506-535 ; J.-L. Lemaitre (éd.) : Prieurs et prieurés dans l’Occident médiéval, Genève, 1987 ; L. MILIS, Les moines et le peuple dans l’Europe du Moyen Âge, Paris, 2002 ; L. MOULIN, La vie quotidienne des religieux au Moyen Âge (Xe-XVe siècles), Paris, 1978 ; Ph. RACINET, Moines et monastères en Occident au Moyen Âge, Paris, 2007.
5 Néanmoins, il ne faut pas perdre de vue que dans 23,94 % des cas (17 sur 71), aucune attente n’est mentionnée, correspondant à la donation enregistrée. Dans un quart des cas, l’on ne peut donc pas connaître les contreparties exigées, ni les préférences liturgiques des donateurs.
6 Saint Yves était un saint avocat en Bretagne, vénéré comme défenseur des pauvres.
7 Avignon, Bibliothèque mun., ms 711, fol. 145 v.
8 Ibid., fol. 147 v. Petrus Rubei honore ainsi non seulement la mémoire des deux fondateurs du monastère de Gentilly (dont le réel fondateur, François dei Atti qui avait quelque peu transformé le vœu de son oncle en attribuant ses possessions aux disciples de Pierre de Murrone), mais il remercie aussi le cardinal de Todi qui lui avait fourni une place enviable en le nommant camérier de sa demeure et en lui manifestant ainsi toute sa confiance.
9 Avignon, Bibl. mun., ms 711, fol. 148.
10 Ainsi, la noble dame Berengère Gaufride, veuve du seigneur Veyran, miles, laissa en héritage au monastère de Gentilly tout ce qu’elle possédait à Pont-de-Sorgue, soit, dans le détail, des terres labourables, des prés, des friches, des jardins et des hospices. Pour cette raison, elle méritait, si l’on suit le martyrologe, de figurer au nombre des plus insignes donateurs du prieuré (Avignon, Bibl. mun., ms 711, fol. 148 v).
11 Toutefois, il faut se rappeler que les femmes ne sont pas les plus nombreuses parmi la masse des donateurs. En outre, si la demande de messes contribue à développer une stratégie familiale et clanique, il est normal que les individus de sexe masculin qui ont en charge l’avenir du lignage soient également ceux qui se soucient de fournir des aides spirituelles aux défunts de leur lignée, ce qui rejaillira sur l’ensemble de la famille.
12 Cf. GRASSET (Père), Discours de la noble maison des Bertrands et de leur alliance avec cele des Collombiers, Archives départementales de l’Ardèche, 52 J 140, fol. 380v.
13 Ibid., fol. 370v.
14 Ainsi Aliénor de Chastes, veuve en secondes noces de Pierre de Monestier, lui-même neveu par alliance du cardinal Pierre de Colombier, fonda-t-elle trois messes perpétuelles contre la somme de trois cents livres et la moitié de tous ses biens, ce qui fut évalué à six cents florins, plus dix livres de cens (ibid., fol. 345v).
15 Manifestement, ce sont alors les hommes qui choisissent la teneur du don, leur moitié semblant y être associée pour la forme. En effet, dans certains cas, le martyrologe avignonnais ne conserve même pas le prénom de l’épouse, ce qui est assez significatif.
16 Avignon, Bibl. mun., ms.1753, fol. 11v.
17 Ibid., fol. 21 : ... pro sue et domini Clementis pape VII supradicti ac aliorum pro quibus intendit remedio et salute animarum...
18 Pierre de Luxembourg, mort en odeur de sainteté, fut béatifié par l’Église mais jamais canonisé, sans doute en raison de son très jeune âge et du caractère particulier de sa nomination en pleine période de schisme.
19 Avignon, Bibl. mun., ms. 1753, fol. 35.
20 Selon l’expression de Philippe Racinet : Moines et monastères en Occcident au Moyen Âge, Paris, 2007, p. 175.
21 Avignon, Bibl. mun., ms 728, chapitre XVI : De divino officio et celebratione missarum, sixième partie : Ad sepultum autem fratres religionis nostre omnes christianos recipere valeant : qui in nostris monasteriis sive locis in suis ultimis voluntatibus per se vel per alios qui hoc facere possint sibi elegerint sepulturam, nisi forte fuerint publice excommunicati aut nominatim interdicti vel usurarii manifesti : seu etiam moriantur tempore generalis interdicti. Contra facientes penam et summam latam a canone eripso se noverint incursurus.
22 Et ce, beaucoup plus aisément que lorsque ces dernières sont en vie !
23 Avignon, Bibl. mun., ms 711, fol. 142.
24 Ibid., fol. 148.
25 A. BRETON, « La chapelle du Bienheureux Pierre de Luxembourg aux Célestins d’Avignon », Annuaire de la Société des Amis du Palais des Papes, LVV-LXVI, 1988-1989, p. 55-73.
26 Avignon, Bibl. mun., ms 1753, fol. 11.
27 Ibid., fol. 11v.
28 Ibid., fol. 12v. Jean de Luxembourg, comte de Cupersani et frère de Pierre, ainsi que Pierre, comte de Cupersani, son fils aîné, édifièrent aussi une chapelle. Du même côté, dans un angle à droite du chœur s’élevait aussi celle de Georges de Marles, miles et sénéchal de Provence.
Pierre Cadard, fils de Jean Cadard fit édifier pour lui et ses parents une chapelle qui lui coûta 1 200 florins.
Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, fit édifier une chapelle pour lui, sa femme et son fils du côté Est (Avignon, Bibl. mun., 1753, fol. 28).
29 Ibid., passim.
30 Avignon, Bibl. mun., ms 711, fol. 147v. Comme on le constate, la chapelle funéraire abritait donc l’intégralité de la famille, unie dans la mort.
31 Ibid., fol. 148. On remarquera ici que l’auteur a commis une faute de grammaire. Il est donc vraisemblable qu’il faut lire in ou peut-être ab habitu nostro.
32 Arch. dép. Ardèche, 52 J 140, fol. 325-326.
33 Il est donc possible que de telles donations aient eu un caractère de stratégie nobiliaire visant à ne pas éparpiller ni perdre le patrimoine acquis au long d’une vie.
34 Afin de valider cette hypothèse qui est ancienne dans l’approche du monachisme, puisqu’on la connaît déjà aux temps carolingiens, il eut été souhaitable de vérifier si des membres de cette lignée descendant du fondateur et de ses neveux et nièces firent profession parmi les Célestins du lieu et de mesurer leur nombre. Malheureusement aucun livre de profès ou de listes systématiques des religieux n’est parvenu jusqu’à nous. Les traces qui nous sont encore connues sont celles laissées par les prieurs, et il semblerait qu’aucun des prieurs successifs de Colombier n’ait été issu de ce « clan ». Du moins, ne peut-on pas mettre en exergue de tels liens. L’hypothèse doit donc rester en l’état, sous réserve de découvertes ultérieures et fortuites.
35 Avignon, Bibl. mun., ms 1753, fol. 30.
36 Ibid., fol. 33.
37 Ibid., fol. 6. Un dernier exemple peut prouver qu’il s’agissait d’une place tout particulièrement recherchée : celui de Louis d’Orléans. Ce prince vouait un attachement sans limite et presqu’exclusif aux Célestins dont il dota chacune des maisons édifiées avant sa mort. Le monastère d’Avignon ne fait pas exception et ce d’autant plus que le cardinal Pierre de Luxembourg lui était apparenté. Louis fit donc très naturellement construire à ses frais une chapelle du côté droit de l’église, mais également pro edificatione capelle sue in dextro latere ecclesie nostre site et unius voti in medio chori ipsius ecclesie armis suis notabiliter insignite summam duorum milium francorum nobis realiter dedit quequidem summa in huiusmodi opere expensa est. Pour mesurer l’importance de cette dévotion du prince, il n’est qu’à lire son testament, parfaitement atypique pour l’époque, donné dans l’ouvrage du père Louis Beurrier : Histoire du monastère et convent des Pères Célestins de Paris, contenant ses antiquités et privilèges : ensemble les tombeaux et épitaphes des rois, des ducs d’Orléans et autres illustres personnes, avec le testament de Louis, duc d’Orléans, Paris, 1634, p. 313-315.
38 Avignon, Bibl. mun., ms 1753, fol. 27v. Pierre Firesmes mourut le 8 octobre 1449.
39 Avignon, Bibl. mun., ms 1753, fol. 32v. Est-ce en raison d’une richesse et d’un statut social inférieur qu’il n’eut seulement droit qu’à une sépulture claustrale et non pas un lieu plus prisé comme l’église ? Ce choix suivait-il les directives qu’il avait pu laisser dans ses dernières volontés, ou bien était-il une décision monastique motivée par des raisons autant financières qu’honorifiques, les places étant en nombre limité ?
40 Ibid., fol. 32v.
41 Ibid., fol. 27v. Jean Arnaudi avait fait des Célestins d’Avignon ses héritiers universels.
42 Ibid., fol. 21.
43 Ibid., fol. 28.
44 Ces exigences expliquent que, dans de très nombreux cas, la notice insiste sur le fait que le religieux doit être prêtre (sacerdos), donc avoir reçu les ordres majeurs, afin de pouvoir remplir toutes les demandes liturgiques, notamment la célébration des messes.
45 Ibid., fol. 11 et 11v pour Jean Galéas Visconti.
46 Ibid., fol. 21.
47 Ibid., fol. 28. Nicolas Rolin, chancelier du duc de Bourgogne, quant à lui, donna au monastère d’Avignon la somme de 800 florins pour acheter des revenus destinés à l’entretien de la chapelle et de son desservant. On connaît même le nom du premier religieux desservant, Reginaldus Ancelmi.
48 Ainsi, Jean de La Garde, damoiseau servant dans les armées du pape, laissa-t-il deux vignes franches et libres, ainsi que la somme de 300 florins (dont les religieux se servirent pour acheter une maison qui leur assurait un revenu annuel de 10 florins) et les sommes qui lui étaient dues par diverses personnes et dont le montant s’élevait à 3370 florins (ibid., fol. 27).
49 Ibid., fol. 37. La notice utilise en effet ces termes : ob precipuam devocionem et honorem beate Marie sanctorum Petri Celestini et sancti Petri de Lucemburgo singularissimam dilectionem ad monasterium nostrum usque ad finem dierum suorum gessit qui obiit die decima mensi Julii anno domini MCCCCLXXX.
50 Ibid. : Item donavit nobis et donationis participem fecit Illustrissimam Regnam Johanam eius consortem scilicet pedagium salis et mercaciarum Tharasconis et Sancte Gabrielis et de Aurata pro fundatione duodecim fratrum. Cette donation était particulièrement intéressante pour les religieux, car elle assurait des revenus sûrs et appréciables, bien que soumis aux aléas des fluctuations de la conjoncture économique.
51 Ibid., fol. 36v. Antoinette Furneria décéda le 16 janvier 1467.
52 De fait le « martyrologe » atteste le fait que certains obits ou anniversaires furent jumelés avec l’accord des autorités célestines, afin probablement de faire des « économies », en des temps financièrement difficiles pour les religieux.
53 On ne peut pourtant pas exclure que certains donateurs du monastère « ardéchois » pour lesquels on n’a pas gardé d’informations, aient pu donner leurs biens sans avoir d’exigences particulières.
54 Avignon, Bibl. mun., ms 1753, fol. XXX v.
55 Ibid., fol. XXXII v.
56 Ibid., fol. XXXIII. Ainsi, Guillaume Ramas, laboureur d’Orange, donna tous ses biens sous réserve d’en conserver l’usufruit sa vie durant. A son décès, les Célestins reçurent de son frère Rostan la somme de 200 florins toujours sine onere speciali.
57 C’est une démarche qui n’est pas forcément immédiate, comme le prouve l’exemple de maître Henri Mellin.
58 Ibid., fol. 35v.
59 Ibid., fol. 38v.
60 Outre les deux formules mentionnées ci-dessous, on trouve : ut ipsum in vita sua pariter et post mortem habeamus recommissum in omnibus orationibus et piis operibus nostris ipsiusque animam Ac patris et matris eius Necnon benefactorum et omnium aliorum pro quibus orare intendit et teneatur animas participes facimus omnium missarum orationum, jeunniorum, disciplinarum, abstinentiarum elemosinarum et omnium quorumcumque bonorum spiritualium que a modo fieri contingerit per fratres hujus monasterii ou bien ... cupiens fieri particeps omnium orationum et suffragiorum spiritualium que per fratres huius monasterii altissimus dignabitur operari... (ibid., fol. 35v, notice de Hugues Filheti qui mourut le 23 novembre 1448, et fol. 42v et 43, notice de maître Michaël Thaseponis, du 9 janvier 1580.
61 Cf. Ms. 1753, Bibl. Mun. Av., folio 35 verso.
62 Ibid., fol. 29, notice d’Henriguet Tigrini, datée de 1447.
63 La familia regroupait indifféremment ses parents de sang et par alliance ainsi que les personnes de son réseau de connaissances, sans lequel il est difficile de réussir dans la vie à cette époque.
64 Avignon, Bibl. mun., ms.728, Constitutiones fratrum Celestinorum provincie Francie et partum eidem adiacentium, chapitre XVI : De divino officio et celebratione missarum, cinquième et sixième parties.
65 Arch. dép. Ardèche, 52 J 140, fol. 354 v.
66 Ibid., fol. 318.
67 Ibid.
68 Ibid., fol. 365 v.
Auteur
Doctorante de l’Université Paul-Valéry-Montpellier III
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