Societas, foedus, amicitia : la société des « princes » dans la correspondance de Gerbert d’Aurillac
p. 57-78
Texte intégral
1« Vivre en société au Moyen Âge » : on pourrait écrire « sociétés », utilisant le pluriel, car c’est bien dans des sociétés que les hommes du Moyen Âge s’inscrivent : parentèle, confrérie, paroisse, communauté urbaine ou villageoise, cour princière, groupe épiscopal,... Au sein de ces sociétés et entre elles se tissent des liens divers, des alliances qui peuvent prendre plusieurs formes selon les groupes sociaux qui les pratiquent. Or, dans le cadre du Moyen Âge central où les relations sociales se recomposent peu à peu autour des notions de vassalité, de fidélité, ces alliances, nommées societas, foedus ou amicitia, « régulent la société humaine »1 et sont vues « comme une institution essentielle à la vie politique et à l’ordre social »2.
2Il parait donc intéressant d’étudier comment fonctionnent ces types de liens au sein de la société des « princes », c’est-à-dire entre ceux qui sont à la tête de la société féodale. Pour cela, la correspondance de Gerbert d’Aurillac3 constitue une source riche et intéressante, puisque le savant, écolâtre, évêque et abbé a été en contact ou a servi de secrétaire à beaucoup de « princes » de la fin du Xe siècle : empereurs ottoniens, rois carolingiens, puis capétiens,... À la lecture de ces lettres, il est intéressant de voir en quoi les « princes » forment une societas spécifique au sein de la société chrétienne dans son ensemble. On y observe, entre autres, comment ces grands personnages se lient d’amitié entre eux, quel langage ils utilisent pour cela, quels rituels ponctuent ces alliances, ces relations. D’où quelques questions : les « princes » ont-ils une pratique spécifique de l’amitié, de l’alliance ? Ces relations font-elles partie des signes qui permettent de définir ce qu’est la « société des princes » en l’an Mil ? La nature de la source utilisée, le rôle de secrétaire de leur auteur poussent aussi l’historien à s’interroger sur ces lettres elles-mêmes qui mettent en avant l’alliance, l’amitié : les mots utilisés foedus, amicitia, societas renvoient-ils à de véritables traités entre « princes », à des relations interpersonnelles intimes que l’on peut qualifier d’amitié au sens actuel du mot ou bien s’agit-il d’un langage convenu de chancellerie sans lien avec la réalité sociale ?
3Pour tenter d’apporter des réponses à ces questions, il convient d’abord de revenir sur le rôle de Gerbert de Reims dans la société de la fin du Xe siècle et de comprendre pourquoi il a servi de secrétaire à tant de « princes ». Le terme de « prince » doit aussi être analysé dans la correspondance du lettré pour saisir ce qu’il recouvre exactement. Le lettré de Reims emploie parfois le mot societas pour définir les relations entre les grands de la chrétienté : une étude détaillée du langage de l’amitié utilisé entre les « princes » peut alors permettre de préciser la façon dont cette relation est pensée mais aussi vécue selon des rituels spécifiques à cette societas.
Gerbert d’Aurillac, au cœur de la « société des princes »
4Dans la lettre 163 de sa correspondance, qu’il adresse à l’abbé d’Aurillac Raymond, Gerbert affirme que ses ennemis le désignent comme « celui qui déposerait les rois, celui qui ferait les rois »4. En effet Gerbert, quoique d’origine assez modeste, a eu un rôle très important dans la vie politique de la fin du Xe siècle et a côtoyé les plus grands « princes » de l’époque5. C’est pourquoi il a écrit un certain nombre de lettres au nom de ces « princes » ou a servi d’intermédiaire entre eux. Par ailleurs, dans ses lettres, il nous donne une image de ceux que l’on peut appeler des « princes » en cette fin de Xe siècle, de ceux qui sont à la tête de cette société féodale. Sa correspondance constitue donc une source de première importance pour étudier ces relations entre grands personnages de la chrétienté occidentale, des grands qui forment une societas particulière que nous allons définir.
Gerbert, secrétaire et « familier » des « princes » d’après sa correspondance
5Gerbert a laissé une importante correspondance de plus de 220 lettres : les premières lettres conservées de lui datent de son séjour à Bobbio en 983 et ses dernières de son installation en Germanie en 997. Cette correspondance a été organisée selon ses propres choix. Il se place ainsi comme l’héritier de Cicéron ou de Symmaque6 qui ont préparé l’édition de leur correspondance avec soin. Il entend laisser une trace de son action, de sa vie, de ses intérêts. Il veut aussi montrer sa place dans la société de la fin du Xe siècle en conservant les lettres qu’il a échangées avec de grands personnages tels que des rois, des empereurs ; il choisit ainsi de conserver les lettres ex persona, c’est-à-dire celles qu’il a écrites au nom d’autres personnes en qualité de secrétaire. Les grands occupent donc une place de choix dans sa correspondance, soit parce qu’ils ont écrit au lettré de Reims, soit parce qu’ils ont utilisé sa plume habile pour correspondre entre eux. Ainsi Gerbert a rédigé des lettres au nom de Charles de Lorraine7, de Godefroy comte de Verdun8, de la reine Emma9 épouse de Lothaire, d’Hugues Capet10. Gerbert a aussi écrit pour Otton III11 et reçu des lettres de sa part. On retrouve donc parmi les commanditaires des lettres des membres de quatre des grandes familles souveraines de la fin du Xe siècle : les Wigéricides, les Carolingiens, les Ottoniens et les Capétiens. Parmi ces lettres, certaines d’entre elles s’adressent à d’autres « princes » et sont donc particulièrement intéressantes pour analyser les rapports qu’ils entretiennent entre eux : ainsi Hugues Capet a demandé au lettré de rédiger des lettres qu’il destine à deux empereurs byzantins12, à Borell le comte de Barcelone13, que Gerbert connaît bien14, à l’impératrice Théophano15, à Conrad roi de Bourgogne16 et à Béatrice17 duchesse de Haute-Lorraine, sœur du roi capétien. De même Gerbert a peut-être écrit la lettre 214 qu’Otton III destine au comte des Marses et la lettre 215 que l’empereur adresse à sa grand-mère Adélaïde. Il prête sa plume à la reine Emma pour écrire à sa mère l’impératrice Adélaïde dans les lettres 74 et 97 et pour écrire à Théophano dans la lettre 119. On peut aussi constater que Gerbert a rédigé des lettres pour des ecclésiastiques qui appartiennent à ces familles : ainsi écrit-il au nom d’Adalbéron de Reims et Adalbéron de Laon, deux membres de la famille de Lorraine ou au nom d’Arnoul de Reims, un carolingien. Par ailleurs on trouve un grand nombre de « princes » parmi les destinataires de ses lettres personnelles : on peut citer entre autres les noms d’Otton II18, de l’impératrice Adélaïde19, de Théophano20 et d’Otton III21 pour la famille des Ottoniens ; parmi les « princes » italiens, Gerbert écrit au duc de Spolète et au marquis de Toscane22. Au sein de la famille de Lorraine, Gerbert envoie des lettres à dame Imiza23, installée en Italie, mais qui est peut-être la sœur de Godefroy de Verdun, à Mathilde de Verdun24 et à Sigefroy de Luxembourg25, cousin de Godefroy et intime d’Otton III. Le lettré rémois entretient des relations épistolaires avec Charles de Lorraine26, héritier carolingien et avec la reine Adélaïde27, épouse de Hugues Capet. On retrouve donc dans ces destinataires des lettres les quatre grandes familles régnantes déjà citées avec en outre quelques « princes » italiens. Mais il ne faut pas oublier que Gerbert écrit aussi beaucoup de lettres au nom de son archevêque Adalbéron de Reims : parmi les lettres d’Adalbéron, qu’il a rédigées lui-même ou le plus souvent fait rédiger par son secrétaire, certaines d’entre elles sont adressées aux « princes » que nous avons déjà cités28.
6Cette rapide présentation de la présence des « princes » dans la correspondance de Gerbert d’Aurillac nous montre que le lettré se trouve au centre d’un réseau de relations qui compte donc les trois grandes familles régnantes de la fin du Xe siècle, les Carolingiens, les Capétiens et les Ottoniens, auxquelles on peut ajouter la famille des Wigéricides qui domine la Lorraine et dont Adalbéron de Reims fait partie. Gerbert tour à tour écrit à ces « princes » ou leur sert de secrétaire, ce qui implique qu’il est l’un de leurs « familiers », même si le terme n’est employé dans la correspondance de Gerbert que pour désigner son propre entourage ou celui d’Adalbéron de Reims. Le lettré a pu tenir ce rôle d’autant plus facilement qu’il réside à Reims, qui est à la fois proche du royaume de Francie occidentale, des cours impériales germaniques, de la Lorraine où dominent les derniers Carolingiens et les Wigéricides. Gerbert cependant n’entretient pas exactement les mêmes relations avec ces familles : on sait qu’en tant qu’abbé de Bobbio il est devenu le vassal des empereurs ottoniens auxquels il reste fidèle. Il a d’ailleurs toujours pu compter sur leur appui, depuis sa rencontre avec Otton Ier en Italie en 970, jusqu’à ce que Otton III le prenne pour maître et le place sur le siège pontifical en 999. Il entretient donc d’excellentes relations avec Théophano et Adélaïde, auxquelles il se sent tenu de rendre service de par son serment de fidélité, et devient très certainement un familier, voire un ami d’Otton III, autant que l’on puisse être l’ami de l’empereur29. Pour accroître son influence à la cour impériale, Gerbert entretient aussi des relations épistolaires avec de grands ecclésiastiques, tels Egbert de Trêves, chancelier de l’empereur vers 976-977, Willigis de Mayence, chancelier de l’empereur et qui a couronné Otton III ou Everger de Cologne un fidèle de Théophano30. Le lettré rémois semble être beaucoup moins proche des Carolingiens, souvent ennemis des Ottoniens et leurs concurrents possibles pour le trône impérial. Il ne leur prête aucun serment, bien que son archevêque Adalbéron soit le vassal des rois carolingiens pour l’archevêché de Reims jusqu’en 987. Par contre il sert parfois de secrétaire au bouillonnant Charles de Lorraine : peut-être ne peut-il pas refuser de rendre service à un personnage aussi puissant et aussi proche de Reims ou peut-être espère-t-il ainsi se garder les bonnes grâces d’un haut personnage du royaume. Cependant, en 987, il soutiendra nettement la candidature d’Hugues Capet au trône de France contre Charles. Cela lui vaudra l’hostilité de ce dernier et de son neveu Arnoul, clerc de Reims qui deviendra en 989 archevêque de Reims avant d’être destitué pour trahison envers Hugues Capet. C’est Gerbert qui le remplacera à cette fonction en 991. Ainsi, même si parfois, poussé par les événements, Gerbert sert la famille carolingienne, il ne fait pas vraiment partie de leurs familiers. Il n’entretient de bonnes relations qu’avec la reine Emma, épouse de Lothaire, quand celle-ci, à la mort de son mari, s’oppose à son fils Louis V devenu roi. Gerbert apprécie cette femme qui est la fille de l’impératrice Adélaïde et, dans son désir d’aider les Capétiens, il la soutient lorsqu’elle est rejetée par son fils. C’est donc de la famille capétienne que Gerbert se rapproche pendant son séjour à Reims : le but d’Adalbéron de Reims et de son secrétaire est de soutenir les Capétiens, de leur permettre d’obtenir le trône de Francie occidentale afin que les Carolingiens ne viennent plus concurrencer la légitimité impériale des Ottoniens31. Hugues Capet n’oubliera pas l’appui que Gerbert lui a accordé en 987 : en 991 il le nomme archevêque de Reims et en fait donc son vassal. Face aux réticences de la papauté à accepter cette nomination, il le soutiendra jusqu’à sa mort en 996. Rappelons aussi que Gerbert a certainement servi d’écolâtre au jeune Robert, le fils de Hugues Capet qui a fait ses études à Reims. Enfin Gerbert, par fidélité à son maître Adalbéron de Reims, est devenu un familier de la famille des Wigéricides : il sert de secrétaire et de messager à la famille en difficulté, quand Godefroy de Verdun, le frère d’Adalbéron, est emprisonné par les rois carolingiens vers 983-985. Il fait ainsi passer les messages de Godefroy à sa femme et à ses fils32. Il entretient par ailleurs des relations avec de nombreux membres de cette famille tels que les évêques Adalbéron de Laon, Adalbéron de Verdun et Adalbéron de Metz. Gerbert a donc une position charnière à la fois entre ces différentes familles mais aussi entre le clergé qui l’entoure et ces familles puissantes. Celles-ci, qui reconnaissent ses qualités d’écriture, lui confient en outre le soin de rédiger les épitaphes de certains de leurs membres les plus illustres : ainsi le lettré rémois a rédigé les épitaphes du roi Lothaire33, du duc Ferry de Haute-Lorraine34, d’Otton II35 et celle de son maître Adalbéron36, qui est gravée dans la cathédrale de Reims. De cette façon, le lettré participe à la mise en place de la mémoire de ces familles. Gerbert, en tant que secrétaire d’Adalbéron de Reims, mais aussi de par ses relations personnelles avec les grandes familles de la fin du xe siècle, est donc un personnage-clé qui joue le rôle d’intermédiaire entre les « princes » et « princesses » de l’époque.
La notion de « prince » dans la correspondance de Gerbert d’Aurillac
7La correspondance de Gerbert nous met donc en présence des relations nouées entre « princes » ; il convient de s’attarder ici sur cette notion de « prince », telle que ces lettres nous la font concevoir. Jusqu’à présent, nous avons utilisé ce terme pour traduire différents substantifs employés par le lettré rémois pour désigner les grands personnages de son temps. Ainsi, dans la lettre 32, écrite au nom de Charles de Lorraine à l’évêque Thierry de Metz, Gerbert écrit : « pourquoi invoques-tu contre nous madame la duchesse Béatrice avec son fils et les grands du royaume (regnique primatibus) ? »37. Cette phrase renvoie à la lettre que Thierry de Metz avait adressée à Charles et qui figure dans l’édition de la correspondance de Gerbert sous le numéro 31 ; dans cette missive, les mêmes personnages sont désignés de la façon suivante : Thierry rappelle à Charles que toute la Lorraine ne lui appartient pas puisque certaines parties sont possédées par « leur nièce commune », c’est-à-dire Béatrice de Lorraine, et par « d’autres princes (principes) »38 qui ne dépendent pas de lui. Les regnique primatibus correspondent donc aux principes : il s’agit des plus grands personnages de Lorraine39. Il apparaît donc que les termes primas et princeps sont ici synonymes. Plus loin, dans la même lettre 32, Gerbert évoque « les princes de la Gaule et les rois des Francs »40 qui sont censés soutenir Charles de Lorraine dans son conflit avec Thierry. Là encore, le terme princeps désigne les plus grands personnages de Francie occidentale mais il est bien distinct du substantif rex : les princes se situent en dessous des rois dans la hiérarchie sociale. Dans la lettre 52 qu’il adresse à Théophano, à l’occasion de l’emprisonnement de son vassal Godefroy de Lorraine, Gerbert affirme à l’impératrice que « la concorde entre ses princes [lui] semble être un remède à de si grands malheurs »41. Dans ce cas, principes désigne les grands vassaux de l’empereur. Dans une autre lettre écrite au nom de la reine Emma, Gerbert parle des Francorum principes42, dans lesquels il inclut le duc Hugues Capet qui n’est pas encore roi. Enfin, s’adressant à Raymond d’Aurillac, Gerbert fait mention d’une paix signée entre « des ducs et des princes »43. D’après P. Riché et J.-P. Callu, les éditeurs de la correspondance, il fait référence à la paix de Francfort qui réconcilie, en 985, Otton III avec Henri de Bavière entre autres princes. Ainsi, dans le vocabulaire de Gerbert, le terme de princeps renvoie aux grands du royaume de Francie occidentale, aux comtes, aux ducs mais il désigne aussi les grands vassaux de l’empereur germanique. On retrouve donc dans ses lettres un usage classique du terme princeps à la fin du Xe siècle : K. F. Werner44 a bien montré que ce terme, qui, à l’origine, désignait le pouvoir suprême en la personne de l’empereur romain, a ensuite été appliqué aux rois occidentaux puis aux ducs et aux princes territoriaux au fur et à mesure que le pouvoir était délégué à ces derniers. Depuis le haut Moyen Âge, le mot princeps est accompagné de valeurs telles que la nobilitas, la dignitas, l’honor et la potestas45. On retrouve ces grandes valeurs sous la plume de Gerbert. Le prince doit être cependant différencié du nobilis. Dans la lettre 20, qu’il adresse à l’impératrice Adélaïde, Gerbert parle de « nobles pauvres »46 qui s’attaquent aux possessions de Bobbio. Il semble donc qu’il puisse y avoir des nobles assez modestes, alors que les princes se distinguent par leur niveau de vie élevé. On peut, pour les définir, s’appuyer sur une lettre que Gerbert écrit au nom d’Emma à Théophano. Emma réclame l’aide de Théophano face à son adversaire Charles de Lorraine. Pour attendrir l’impératrice, elle fait référence à sa déchéance depuis qu’elle n’est plus reine de France : « Jadis moi aussi j’ai eu la naissance et la dignité et le titre des rois »47. Cette définition convient bien à une reine de France, l’épouse de Lothaire, mais aussi à une femme issue d’une grande famille puisqu’elle est la fille de l’impératrice Adélaïde. En tant que telle, elle a une dignitas particulière au sein de la société. Les princes sont donc ceux qui se distinguent par leur genus, leur famille illustre et noble, leur dignitas, c’est-à-dire leur rang dans la société, matérialisé par des marques de richesse, et enfin leur nomen, leur titre de comte, duc, marquis, roi ou empereur. Ce titre symbolise la charge, l’honor qu’ils possèdent et donc leur fonction de commandement, leur potestas au sein de la société féodale. Il faut enfin noter avec K. F. Werner que le princeps domine la hiérarchie des laïcs48.
8Cependant Gerbert, dans sa correspondance, ne se limite pas à ce sens classique du mot princeps, qui se rapporte aux « premiers » personnages de la société féodale laïque49. En effet Adalbéron de Reims et Gerbert considèrent qu’eux aussi font partie de ces principes. Ainsi Adalbéron écrit-il à l’un de ses amis : « nous qui semblons être les seigneurs et les princes des choses (terrestres) »50. Et effectivement certains membres du clergé peuvent légitimement être considérés comme des princes en cette fin de Xe siècle : ainsi l’archevêque de Reims, qui est le chancelier du roi des Francs, a le rang de comte, il frappe monnaie et dirige de nombreux chevaliers51. Il en est de même pour l’archevêque de Mayence52. Gerbert, qui est l’abbé d’un des plus puissants monastères d’Italie, doit mener de nombreux chevaliers au combat pour l’empereur. Par ailleurs il semble être venu à Bobbio avec une suite impressionnante ce qui a provoqué certaines moqueries dans la région : ainsi écrit-il dans la lettre 11, adressée à Otton II, que ses adversaires « le traitent à voix basse d’étalon avec femelle et petits parce qu’il a réuni, en la faisant venir de France, une partie de sa familia »53. Cependant cette notion de princeps appliquée aux hommes d’Église s’explique aussi par le fait qu’ils détiennent un ministerium divin qu’ils reconnaissent aussi aux rois. Dès le IXe siècle, Jonas d’Orléans avait défini ce ministère : « le ministère sacerdotal détient une telle autorité et même un tel poids de décision que pour les rois eux-mêmes, [les clercs] auront à répondre à Dieu »54. De même, pour Hincmar de Reims, les clercs sont au sommet de la hiérarchie sociale puisqu’ils sont responsables du roi55. Adalbéron de Reims et Gerbert font donc bien partie des « premiers » personnages du royaume de France en raison de leur potestas et de l’« autorité » de leur ministère, si bien que l’on reprochera à Gerbert de faire et de défaire les rois, nous l’avons vu. Le lettré se définit d’ailleurs lui-même comme un homme qui « connaît les factions, les conspirations, les spécialistes en droit et les conseillers »56 ; il est donc, par ses relations, au cœur de la société du pouvoir. Certains membres du clergé peuvent ainsi se compter parmi les princes de la chrétienté occidentale de la fin du Xe siècle et ce d’autant plus qu’ils appartiennent souvent à des familles illustres et que ce sont leurs frères ou leurs oncles qui ont les titres de rois, comtes ou ducs57.
Gerbert d’Aurillac et la « société » des princes
9Tous ces personnages de haut rang, laïques ou ecclésiastiques, font alors partie de cette « société » des princes que nous allons essayer de mieux circonscrire. Gerbert en est un exemple à la fois typique et singulier : singulier, car il semble issu d’une famille assez modeste d’Aquitaine ; typique cependant car il a côtoyé les plus grands hommes, les plus grandes familles de la fin du siècle, qu’il est devenu, comme nous l’avons vu, l’un de leurs familiers et qu’ainsi il a pu acquérir une influence politique exceptionnelle. Mais commençons par examiner son emploi du mot même de societas pour mieux en saisir tout le sens. Le plus souvent, Gerbert de Reims emploie cette notion pour caractériser des relations entre clercs : elle désigne alors une association de prières entre deux clercs ou deux monastères, une entraide pour accéder au salut. Par ailleurs Gerbert l’emploie dans sa lettre 217, adressée à Wilderod, évêque de Strasbourg, pour désigner la recherche de « la compagnie de Dieu »58. Le terme de societas peut donc prendre une forte connotation religieuse. Cependant le lettré de Reims utilise aussi ce terme pour désigner une relation entre princes en associant alors amicitia à societas. Dans la lettre 111 que Hugues Capet destine aux deux empereurs byzantins, Gerbert écrit que le roi recherche avec eux « cette amitié très sacrée et cette compagnie (societas) si légitime »59. Plus loin, cette relation est qualifiée de coniunctio entre les deux souverains. La lettre 120, que Hugues Capet adresse à Théophano contient aussi le « couple » amicitia et societas : Hugues affirme avoir levé un siège car il désirait « demeurer dans sa foi et dans sa compagnie et dans les liens sacrés de son amitié »60. Cet emploi du mot societas, que nous traduisons par compagnie, renvoie donc bien à une « société » qui existe entre les plus grands princes, puisqu’il est réservé par Gerbert aux relations entre Hugues Capet et les familles impériales. Par ailleurs, le mot societas, s’accompagne systématiquement du champ lexical du bien commun, du juste, qui, depuis Cicéron, était souvent associé à la relation d’amitié61 : on retrouve, dans la suite de la lettre 111, l’idée habituelle que la compagnie ainsi formée va être utile et servir le bien commun62. Dans la lettre 120, l’emploi de societas s’accompagne de marques d’affection et d’une référence à « ce qui est bon et juste »63.
10La notion de societas est donc riche de sens sous la plume de Gerbert de Reims. L’utilisation du vocabulaire du bien commun, de l’utilité pour désigner le type de relation qu’elle implique l’inscrit dans la théorie cicéronienne de l’amitié : Cicéron reprend en partie les idées du philosophe grec Empédocle, pour qui « tout ce que le monde et l’univers entier renferment d’êtres fixes ou mobiles doit la cohésion de ses éléments à l’amitié, leur dislocation à la discorde »64. Ainsi, par analogie, la societas entre princes, qui se traduit aussi par une relation d’amitié, garantit l’harmonie sociale. Par ailleurs, le terme de societas peut donner une très forte connotation religieuse à ces relations qui sont alors conformes au plan divin, ce que Gerbert exprime par la notion de bonum, de bien commun. Ce n’est donc pas un hasard si Gerbert utilise ce terme de societas uniquement pour exprimer les relations entre Hugues Capet et les empereurs byzantins ou ottoniens. En effet le roi de Francie occidentale comme les empereurs germanique et byzantins ont en charge la destinée de la société chrétienne : ce sont des princes terrestres qui ont une mission religieuse et ils doivent gouverner en respectant la volonté de Dieu pour faire le salut de leur peuple. Ainsi leurs relations au sein de la societas qu’ils contractent entre eux doivent répondre au plan divin en garantissant la paix entre les sujets. Gerbert insiste dans ses lettres sur la notion de paix, liée au bien commun lorsque, par exemple, il rejette les fauteurs de discorde : ainsi dans sa lettre 27, il écrit : « quant à la perturbation dans les royaumes, qu’est-ce d’autre que la désolation des églises ? »65. Ecrivant à Théophano, il précise que « puisque la dissension entre les princes est la mort des royaumes, la concorde entre ses princes [lui] semble être un remède à de si grands malheurs »66. Il montre également que les souverains sont aussi responsables de la concorde dans la societas que forment leurs vassaux. Le modèle de societas se retrouve en effet entre vassaux de moindre rang, qui ont eux aussi le devoir de faire respecter la paix entre leurs propres hommes, même si le terme de societas n’apparaît pas à ce niveau dans les lettres que nous avons étudiées. Gerbert met d’abord en exergue la paix entre les princes, gage de paix dans les royaumes : ainsi en 984, lors du difficile accès au trône d’Otton III, il écrit au nom d’Adalbéron de Reims à Willigis de Mayence, qui soutient le jeune empereur : « Avec beaucoup de constance il faut œuvrer, mon père, à l’instauration de la paix et de la tranquillité »67. Dans une autre lettre, les deux hommes doivent s’entretenir sur « l’état et la paix des royaumes »68. La societas entre les princes sert donc à rétablir ou à conserver cet état de paix : Gerbert écrit à propos d’une rencontre prévue entre Louis V et Otton III que « si son seigneur (Otton III) fait la paix avec le roi, il contribuera beaucoup à la paix entre les royaumes »69. De même Hugues Capet écrit à Conrad de Bourgogne ou à Théophano qu’il souhaite que « la paix et la concorde entre les royaumes et entre les églises de Dieu ne soient pas abandonnées par sa faute »70 ; pour cela il organise des pourparlers avec son interlocuteur. On constate souvent, dans ces mentions de la paix, de la concorde entre les royaumes qu’il ne s’agit pas seulement de faire cesser les conflits politiques mais en même temps de garantir la paix de l’Église71. En effet, selon la théorie de Gerbert sur l’harmonie du monde, si la société laïque est déséquilibrée par la guerre, par le conflit, la société ecclésiastique souffre par la même occasion car cela nuit à la caritas, qui doit régner entre tous les chrétiens. Ceci explique pourquoi Gerbert et Adalbéron de Reims, mais aussi par exemple Willigis de Mayence dans l’Empire, se sentent obligés d’intervenir dans les affaires politiques : il ne s’agit pas seulement pour eux de faire valoir leurs choix politiques à un moment donné, il s’agit surtout de protéger la societas des chrétiens72 d’Occident de tout schisme dangereux. Ils visent donc par leurs interventions, leurs médiations entre les princes, le souverain bien. On trouve d’ailleurs assez souvent dans les lettres des allusions à la res publica, au bien commun qu’il faut protéger, à côté de la paix et de la concorde : ainsi, dans la lettre 63, Gerbert écrit à Béatrice de Lorraine que « la paix est confirmée entre les princes, la res publica (le bien commun) est bien en ordre »73. Il écrit à Everger de Cologne, après l’avènement de Hugues Capet « combien la paix, heureusement fondée entre leurs rois, a été utile au bien public (res publica) et combien elle le sera encore »74. La societas des princes est donc au service de la societas chrétienne en général, c’est pourquoi cette notion, dans ce contexte, a une si forte connotation religieuse. Cependant il ne faut pas oublier que cet idéal de « société » domine des stratégies politiques complexes : ainsi l’emploi du terme de societas pour désigner les relations entre Hugues Capet et les empereurs permet au lettré de Reims de mettre le roi de Francie occidentale sur un pied d’égalité avec les chefs de la chrétienté. L’idéal religieux rejoint alors la vision politique du lettré qui légitime ainsi l’arrivée au trône d’une nouvelle dynastie. La société des princes présente des aspects très concrets puisque toutes les familles princières d’Occident sont liées entre elles par des relations de parenté, de vassalité ou d’amitié. Et donc la notion de societas est tout à fait susceptible d’être comprise par les interlocuteurs de Gerbert : la rhétorique rejoint alors la réalité politique et gagne en efficacité.
11Ainsi le lettré de Reims est bien au cœur de cette société des princes telle qu’il la conçoit : une alliance devant Dieu entre les souverains de la chrétienté qui sont responsables de l’ensemble de la société chrétienne. Cette societas a une structure horizontale, elle unit des égaux et elle a pour finalité de maintenir la paix, la concorde entre les grands princes et leurs vassaux. Cette concorde est par ailleurs garante de la paix dans l’Église. Dans la correspondance de Gerbert, le terme de societas est systématiquement accompagné du mot amicitia quand il désigne une relation entre grands laïques. L’amicitia apparaît donc comme le corollaire nécessaire de cette idéologie de la societas.
La société des princes, unie par l’amicitia et le foedus
12 Amicitia sert avec foedus à désigner les relations entre princes au sein de leur societas. Comment sont donc pensées ces relations sociales et comment se matérialisent-elles dans les rituels ? Nous avons choisi de nous concentrer sur les relations entre princes laïcs, bien que ces relations soient essentiellement perçues par le regard et par la plume des ecclésiastiques, afin de voir s’il existe une spécificité de leur façon de vivre ces relations personnelles.
Penser l’amicitia et le foedus dans la société des princes
13Les lettres de Gerbert nous permettent en effet de connaître la façon dont les princes pensaient l’amitié. Ce dernier, en tant que secrétaire réputé pour ses talents d’écriture, devait recevoir quelques directives de la part de ceux qui lui commandaient des lettres, mais il est peu probable qu’on les lui ait dictées. Il a formulé les relations entre princes avec son propre vocabulaire, selon sa façon de penser, mais tout en respectant une forme de discours qui soit comprise par le destinataire laïc et par ses propres secrétaires. Tout ce processus d’écriture implique que Gerbert devait respecter quelques conventions générales, un langage commun aux grandes chancelleries occidentales. On peut le constater si l’on étudie le vocabulaire employé par le lettré pour parler d’amitié entre princes : en étudiant plus particulièrement les lettres que les grands laïcs s’adressent entre eux dans la correspondance de Gerbert, on observe une nette prédominance du mot amicitia pour désigner les relations entre grands. Ce terme apparaît au moins dans une dizaine de lettres75 échangées entre princes et désigne les relations entre Hugues Capet et Otton III, le plus souvent, mais aussi entre Hugues Capet et des empereurs byzantins, Conrad le roi de Bourgogne ou Théophano76. Ce terme est employé dans la lettre 129 pour désigner les relations entre la famille des Wigéricides et Eudes de Blois et Herbert de Vermandois. Pour la plupart des rapports qualifiés par le mot amicitia, on sait qu’il existait réellement de bonnes relations, des « amitiés » ou alliances solides entre les personnes concernées puisque, par exemple, Hugues Capet avait fait alliance avec Otton II, contre les Carolingiens, dès le début des années 980 lors d’un voyage à Rome, alliance qui sera perpétuée entre son fils Robert et Otton III. La lettre adressée par Hugues aux empereurs byzantins est unique dans la correspondance, il est donc plus difficile de juger de leurs relations. Par contre la lettre 129 est plus étonnante puisque Herbert de Vermandois et Eudes de Blois semblent « réclamer l’amitié promise »77 par les Wigéricides après un conflit, durant lequel Eudes et Herbert ont emprisonné Godefroy de Verdun. Dans ce cas l’amicitia s’apparente plus à une réconciliation après un conflit qu’à une relation stable et durable.
14Pour mieux cerner à quoi renvoie ce terme d’amicitia, il convient d’observer à quels mots, à quelles expressions ce terme est associé. Des termes à connotation féodale sont souvent présents aux côtés du mot amicitia. La notion de fides78 lui semble consubstantielle, pas de vraie amitié sans confiance ni fidélité réciproque ; mais on trouve aussi l’expression consilium et auxilium dans la lettre 174 qui définit l’amitié entre Hugues Capet et Conrad de Bourgogne. Il est évident que Gerbert peut aisément employer ces expressions qui renvoient aux relations vassaliques que connaissent bien les princes. Gerbert accole aussi à la notion d’amicitia des termes habituels dans ce type de relation : l’amitié se pense dans la durée, est établie in perpetuum79 ; elle s’accompagne d’amor80, d’affabilitas, de benivolentia81. La relation d’amitié entre deux princes peut donc comporter une part d’affectivité digne d’être soulignée. Ainsi, dans la lettre 181 qu’il adresse à la reine Adélaïde, épouse de Hugues Capet, Gerbert rapporte les paroles que tient Otton III à son sujet :
Otton vous aime vous et ce qui est à vous d’un si grand amour, que, jour et nuit, il discute avec moi pour savoir où et quand il pourrait vous voir dans l’intimité et quand il pourrait s’entretenir avec mon seigneur le roi Robert, de la même génération que lui et qui a fait les mêmes études, et l’embrasser82.
15On constate ici qu’à l’amicitia habituelle entre Capétiens et Ottoniens, s’ajoute une nuance affective qui est due à la proximité entre les deux jeunes rois. Dans ce cas l’affection est due aux qualités de la personne concernée et à une relation plus personnelle établie entre les princes. Dans la lettre qu’il adresse au roi Conrad de Bourgogne, Hugues Capet écrit, par la plume de Gerbert : « donc si vous possédez ce mérite, comme nous le croyons et le souhaitons, montrez-nous que le fait d’avoir préféré votre amour à l’amour du roi Otton (III) ne nous nuit pas »83. Le mot amor est associé dans la lettre au mot amicitia qui apparaît à plusieurs reprises. Ici les deux mots sont presque synonymes : l’amor d’Hugues Capet pour Conrad vient compléter son alliance avec lui, en raison de ses mérites personnels. Cependant le plus souvent, Gerbert emploie des expressions plus neutres pour désigner ces relations d’amicitia : il parle de « lier amitié »84, de « renforcer une amitié »85, ce qui évoque des liens conventionnels, mais peut déboucher, on l’a vu dans le cas de l’amitié entre Capétiens et Ottoniens sur des relations affectives. Finalement cette analyse de l’emploi du terme amicitia pour exprimer les relations entre princes ne présente pas de particularités notables par rapport à l’emploi que Gerbert en fait pour ses propres relations « amicales ». Ceci peut avoir deux raisons : Gerbert exprime ses idées par sa plume, il est donc naturel qu’on les retrouve dans ces lettres de commande. Il est aussi possible qu’il partage avec les princes laïcs un certain type de langage, de représentations concernant les relations, les amitiés entre princes. C’est très certainement le cas pour Robert le Pieux et Otton III, qui ont été ses disciples.
16Si le mot amicitia est le plus utilisé pour désigner les relations entre princes, on trouve aussi, dans les lettres de Gerbert d’autres mots qui, eux, sont réservés aux relations entre grands laïcs. Gerbert ne les utilise jamais dans le cadre de ses relations personnelles. Il s’agit avant tout de la notion de « pacte » qui traduit un accord entre Ottoniens et Carolingiens86 ou un accord que Béatrice, femme de Godefroy de Lorraine, pourrait passer avec ses ennemis87. Ce mot n’a évidemment pas de connotation affective mais un sens juridique précis puisqu’il peut désigner des accords, dont certains sont écrits, entre ennemis. Le mot conventio88, utilisé une fois pour désigner les relations entre les Wigéricides et Eudes de Blois et Herbert de Vermandois, leurs ennemis, semble avoir un sens assez proche de pacte. Gerbert utilise aussi le terme de foedus89, pour désigner l’alliance entre Hugues Capet et Otton II : il rappelle cette ancienne alliance afin d’inciter les Wigéricides à organiser le même type de relations entre Hugues Capet et Otton III. Nous connaissons cette alliance entre les deux hommes par l’Histoire de France de Richer, qui, nous le savons, était proche de Gerbert et avait accès à sa correspondance. Richer qualifie cette relation, entamée à Rome en 981, d’amicitia à plusieurs reprises90. Cet exemple enrichit notre analyse du terme amicitia comme expression des liens entre princes. Outre les sens habituels que nous avons soulignés ci-dessus, il apparaît que ce terme est proche du mot foedus, qui a le sens de traité, d’alliance diplomatique entre deux princes. Le foedus a donc pour finalité l’amicitia. On sait d’ailleurs que le terme amicitia a une connotation autant diplomatique qu’affective depuis l’antiquité, puisqu’à Rome certains peuples, qui passaient des traités avec le peuple romain étaient qualifiés d’« amis du peuple romain ». Ce sens ancien a été longtemps utilisé dans le haut Moyen Âge, comme l’a montré V. Epp91 et jusqu’à la fin du Xe siècle, si l’on en juge par nos exemples. Il faut donc nuancer la part affective dans les relations d’« amitié » entre princes, et faire place aussi à d’autres notions impliquées par une alliance politique.
Pratiquer l’amitié : les rituels de la société des princes
17Il est difficile d’appréhender la façon concrète dont les princes se rencontrent, discutent, pratiquent l’amitié à partir de la collection de lettres de Gerbert. En effet, par définition, les lettres sont utilisées quand les protagonistes de la relation sont éloignés, n’ont pas de contact direct. Il n’existe donc que quelques allusions à ces rituels de l’amitié et de l’alliance dans la correspondance du lettré rémois. Ainsi il est fait mention à plusieurs reprises de l’importance des intermédiaires pour établir une amicitia ou un foedus. Dans la lettre 41, qui parle d’un foedus entre Otton III et Hugues Capet, Gerbert écrit au nom d’Adalbéron de Reims que « c’était cela même que César (Otton II), au moment de sa mort, désirait par l’intermédiaire du fils de Sigefroy qu’il chérissait particulièrement »92. Il s’agit de Sigefroy, fils de Sigefroy de Luxembourg et cousin de Godefroy de Verdun. Ce grand personnage lorrain sert donc d’intermédiaire pour les relations entre Capétiens et Ottoniens, de même que Gerbert et Adalbéron de Reims. Les Lorrains, situés entre la Francie occidentale et l’Empire sont particulièrement bien placés pour ce genre de négociations. On trouve d’autres mentions de ces grands personnages qui jouent les intermédiaires : ainsi Béatrice de Lorraine, sœur de Hugues Capet, a pu jouer ce rôle entre les Wigéricides et les Capétiens93. Une fois ces contacts établis entre princes, il faut organiser une rencontre pour concrétiser la relation d’amitié : ces rencontres ont lieu dans des endroits neutres ou aux limites des royaumes concernés afin qu’aucun des participants n’ait l’air de faire allégeance à l’autre en se rendant sur son domaine. Ainsi, dans la lettre 138, envoyée par Hugues Capet probablement à Conrad de Bourgogne, le Capétien propose une rencontre « aux confins de notre Francie, de la Bourgogne et du royaume de Lorraine »94. Ces rencontres entre princes se caractérisent ensuite par des gestes spécifiques, qui démontrent à l’assistance la volonté d’amicitia entre les deux hommes : dans sa lettre 59 à Théophano, Gerbert affirme que Hugues Capet s’est réconcilié avec le roi Lothaire car « le duc a embrassé sur la bouche le roi et la reine »95. Le verbe osculor renvoie au baiser sur la bouche, l’osculum : on sait que ce type de baiser était fréquent dans la société féodale, dans le rituel vassalique et dans les rituels religieux96. Ce geste symbolise l’échange des souffles, de la salive et donc l’entrée dans la même communauté, dans une certaine intimité pour les deux hommes qui l’échangent. Par ailleurs son caractère religieux, pensons au baiser de paix dans l’Église, renvoie aussi à ce qu’implique de sacré la societas unissant les princes. Une autre allusion est faite à ces embrassades dans la lettre 174 que Hugues Capet adresse à Conrad de Bourgogne : il parle « d’embrasser son amitié unique et particulière »97. Après ces gestes, il semble que les deux princes fassent un véritable serment d’amitié ou d’alliance, serment prêté le plus souvent sur un livre sacré, sur des reliques, et parfois même dans l’église en présence d’un évêque : ainsi dans la lettre 31, Thierry, évêque de Metz, rappelle que Charles de Lorraine a trahi « la foi donnée devant l’autel de saint Jean dans des termes sacrés en présence de Notger, vénérable évêque »98 de Liège. Ce passage renvoie, selon P. Riché et J.-P. Callu, à une rencontre organisée entre les rois carolingiens, Lothaire et Louis V, Charles de Lorraine, Godefroy de Verdun, Egbert de Trêves et Notger de Liège ainsi que Thierry de Metz. Lors de cette rencontre, les participants se seraient engagés à une mutuelle assistance par un serment que Charles aurait trahi par la suite. Nous savons très peu de choses sur ce serment qui lie des princes laïcs et ecclésiastiques. Mais d’autres allusions sont faites, dans la correspondance, à des serments d’alliance ou d’amitié. Adalbéron écrit à Notger de Liège, à propos de biens à restituer : « Croyez en la foi d’un ami qui l’a promise. Et si cela ne suffit pas, qu’un otage soit reçu de la part de ceux pour lesquels nous demandons la restitution des biens »99. Ainsi un « serment d’amitié » – le mot amicus est ici employé – peut être renforcé par l’échange d’otages, quand il s’agit de négocier des affaires importantes. Pour ces affaires, l’amicitia s’appuie sur des garanties supplémentaires. On en a un exemple dans les lettres de Gerbert de Reims : dans la lettre 111, qu’Hugues Capet adresse aux empereurs byzantins, le roi de Francie propose comme garantie de leur amicitia un mariage entre Robert son fils et l’héritière de l’Empire byzantin100.
18Les lettres de Gerbert de Reims nous apportent seulement des éléments épars qui permettent d’entrevoir les rituels d’amitié et d’alliance entre les princes. Cependant, nous disposons d’une source proche de cette correspondance, qui est, elle, beaucoup plus riche : ici encore l’Histoire de France101, rédigée par Richer, un disciple très proche de Gerbert. Il semble que Gerbert lui-même lui ait demandé d’écrire cette histoire pendant son séjour à Reims et il tient une place prépondérante dans ce récit qui se termine au moment où le lettré rémois, privé de son archevêché de Reims, est nommé archevêque de Ravenne par Otton III. Gerbert emmène probablement avec lui en Italie le moine de Reims et son manuscrit autographe102. L’intérêt de cette source est qu’elle nous permet d’observer un rituel d’amicitia dans son ensemble. On peut donc suivre ce rituel pour deux exemples : la réconciliation entre Lothaire et Otton II en 980 et l’amicitia entre Otton II et Hugues Capet en 981. Rappelons qu’entre 978 et 980, Lothaire et Otton II se sont opposés lors d’une véritable guerre faite de chevauchées successives. L’objectif de Lothaire était de reconquérir la Lorraine, sous domination impériale. Cependant, face à la réaction militaire de l’empereur, Lothaire a dû faire appel à Hugues Capet et craint désormais son puissant vassal. Il décide donc de se réconcilier avec Otton II pour lutter contre le Capétien. L’amicitia, c’est le terme employé103, va se faire en cinq étapes. La première étape est celle de la prise de décision. Pour cela Lothaire fait appel à ses conseillers : « Il fut enfin décidé par les conseillers qu’Otton devait être ramené dans l’amitié du roi »104. Suit l’envoi d’ambassadeurs pour s’assurer de l’accord de l’autre partie : « Lothaire envoya donc des ambassadeurs, qui furent reçus très courtoisement par Otton, pour mettre sur pied l’amitié qui devait régner entre les deux hommes à l’insu du duc (Hugues Capet) »105. Richer rapporte, ou imagine, ensuite les discours des envoyés et d’Otton. La deuxième consiste à fixer une date et un lieu de rencontre pour concrétiser cette amitié : « On fixe une date pour une rencontre et l’on choisit un endroit commode pour les deux parties ; et puisque les deux royaumes sont délimités par la Meuse »106, on décide de se rencontrer à proximité, à Margut-sur-Chiers. La troisième consiste en la rencontre elle-même, mise en scène à l’aide de gestes, de signes visibles d’amitié : « Ils se rencontrèrent donc, et, après s’être donné la main droite, ils se donnèrent le baiser très volontiers et sans aucune hésitation »107. La quatrième voit se sceller le serment d’amitié : « ils consolidèrent leur amitié par un serment réciproque »108. Enfin l’accord comprend une cinquième étape, qui concrétise l’amitié : « La partie de la Belgique qui faisait litige passa sous le pouvoir d’Otton »109. On retrouve ces principales étapes avec certaines nuances dans l’accord entre Otton II et Hugues Capet : cet accord suit de près la réconciliation entre Carolingiens et Ottoniens. En effet Hugues Capet, qui se sent menacé par cette amitié, va essayer de s’allier avec l’un des deux partenaires pour ne pas subir une attaque commune. Après réflexion, il choisit l’alliance ottonienne pour contrecarrer Lothaire, son rival direct en Francie occidentale. Cette amicitia se met en place en 981 : on y retrouve l’appel aux conseillers110 et l’envoi d’ambassadeurs111 qui sont accueillis par Otton « avec une merveilleuse bienveillance »112. Puis on fixe la rencontre et Otton déclare que « si le duc lui-même venait à sa rencontre afin d’éprouver plus amplement la force de leur amitié commune, il le recevrait lui et les siens décemment et avec honneur »113. Hugues Capet part alors pour Rome avec ses fidèles, comme Bouchard de Vendôme ou Arnoul d’Orléans. La rencontre a lieu dans la ville sainte vers le mois de mars 981 et est caractérisée par des marques d’affection : « le roi (Otton) mit de côté ses griefs et les querelles et donna au duc un baiser sur la bouche puis il accorda à son ami ses bonnes grâces »114. Il n’est pas fait explicitement mention de serment d’amitié mais les deux hommes semblent prendre des dispositions communes puisqu’ils « parlèrent longuement de l’amitié qu’ils devaient entretenir »115. À ce moment, Richer place une anecdote étrange selon laquelle l’empereur aurait voulu, par une ruse, faire porter son épée par le duc en public, certainement en signe de soumission. Heureusement l’évêque qui accompagne le duc prend l’initiative de porter lui-même l’épée ce qui laisse Hugues Capet sur un pied d’égalité avec l’empereur. Enfin, en signe de cette nouvelle amicitia, Otton « fit reconduire le duc, qu’il avait pris en grande amitié, jusqu’aux Alpes avec grand honneur et en paix »116.
19Le moine de Reims fait donc une longue et complète description de ces rituels d’amitié : son traducteur, R. Latouche et d’autres historiens voient dans ces récits une « invention de l’historien »117, des « détails controuvés »118. Pour notre part nous émettons l’hypothèse que si Richer a été aussi précis dans ces descriptions c’est parce qu’il entendait décrire un rituel social bien connu dans lequel les gestes, les mots avaient un sens pour les contemporains. Rappelons que Jacques Le Goff avait reconnu dans le rituel symbolique de la vassalité tout un système de représentations qui s’appuyait sur les « trois catégories d’éléments symboliques par excellence, la parole, le geste et l’objet »119 mis en scène dans un certain ordre. J.-C. Schmitt a donné cette analyse de l’anecdote de l’épée rapportée par Richer : pour lui il ne s’agit pas de « pimenter » l’histoire de cette rencontre entre deux princes, au contraire,
les gestes, définis de la manière la plus générale comme les mouvements et les attitudes du corps, revêtent au Moyen Âge, dans les relations sociales une très grande importance, et (...) sont perçus (...) par les clercs [comme des] objets de réflexion politique120.
20Il convient donc de revenir sur les étapes de ces rituels d’amitié et d’essayer d’en montrer le sens.
21La première étape insiste beaucoup sur le rôle des conseillers du roi dans le choix de cette alliance : le roi Lothaire vérifie d’abord son bien-fondé, il veut savoir si elle correspond au bien commun avant de la mettre en pratique. On retrouve le même souci chez Hugues Capet qui attend de ses conseillers un « conseil sur l’aspect utile et honnête »121 de cette amitié. Le rôle des ambassadeurs est ensuite de vérifier si les deux parties sont d’accord, d’insister sur le désir réciproque nécessaire à la réalisation de l’amitié. La seconde étape consiste à fixer la rencontre en une date et un lieu. Leur choix ne se fait pas au hasard : Lothaire et Otton en particulier choisissent de se rencontrer sur un fleuve qui fixe la frontière entre les deux royaumes. Ce lieu est donc neutre et n’implique aucune soumission de l’une des parties à l’autre122. Hugues Capet, quant à lui, accepte de venir trouver Otton à Rome : pour Otton, qui le lui demande, il s’agit certainement déjà de montrer sa supériorité envers un simple duc. Mais Hugues Capet met d’abord en avant son intention d’effectuer un pèlerinage123. Les deux étapes suivantes font ressortir les « éléments symboliques » que sont le geste et la parole. La rencontre entre les princes est marquée par d’importants gestes d’affection : le baiser sur la bouche, l’osculum, est présent dans les deux rituels. Dans le cas d’une amitié, il signifie la relation d’égalité entre les deux partenaires, leur union au sein d’une societas et l’affection qu’ils ont l’un pour l’autre, qui est une partie essentielle de l’amitié, nous l’avons vu. Dans le rituel effectué entre Lothaire et Otton II, les deux hommes se donnent aussi la main droite. Le symbolisme de la main est très riche au Moyen Âge et il peut renvoyer au pouvoir royal que détiennent Lothaire et Otton124. Vient ensuite la parole ; le serment, échangé entre Lothaire et Otton II et certainement prêté sur des reliques ou un livre liturgique, donne un caractère sacré à cette amitié qui est désormais scellée devant Dieu. La parole est aussi présente dans le rituel entre l’empereur et Hugues Capet puisque les deux hommes semblent fixer les termes de leur amitié. Enfin, dernière étape du rituel, l’acte concret qui rend effective l’amicitia : pour les princes de la fin du Xe siècle, l’amitié n’existe que si elle est « utile », efficace. Lothaire rend donc la Belgique à Otton, ce qui apparente leur rencontre à un traité entre souverains, tandis que Otton fait raccompagner Hugues Capet jusqu’aux limites de son royaume avec les honneurs.
22On constate donc que ces rituels d’amicitia entre princes ne sont pas issus de l’imagination du moine de Reims. Au contraire, ils constituent un système cohérent et symbolique dans lequel chaque détail a son importance. Ces rituels ont pour but de montrer ouvertement au public de la cour l’existence de la relation personnelle ainsi mise en scène. Leur aspect public est aussi une garantie de l’accord passé entre les deux hommes. Revenons un moment à l’anecdote de l’épée, sur laquelle Richer insiste beaucoup. Depuis le début du rituel, Otton II essaye de mettre Hugues Capet dans une situation d’infériorité : il le fait venir à Rome et tente de lui faire porter son épée. En effet l’empereur a du mal à accepter d’être mis sur un pied d’égalité avec un simple duc, même si c’est l’homme le plus puissant du royaume de France ; il tente donc de faire glisser le rituel d’amitié vers un rituel vassalique par lequel le duc lui devrait fidélité. Il s’agit d’une véritable stratégie politique et, selon J.-C. Schmitt, Richer l’a bien compris : nous savons que son Histoire n’a été écrite que dans les années 990, après l’accession d’Hugues Capet au trône de France. Ainsi pour le moine de Reims, « l’évêque qui accompagne le duc Hugues “sait” que le duc doit devenir roi des Francs et qu’il ne peut donc porter l’épée de l’empereur sans compromettre sa souveraineté future »125. Richer atténue par cette anecdote l’inégalité de la relation entre les deux hommes afin de montrer que dès les années 980, le destin de Hugues Capet était de devenir roi. Ceci prouve l’impact important que pouvait avoir ce rituel d’amitié sur les spectateurs, la cour des princes concernés. Ces rituels d’amitié, bien codifiés, sont donc spécifiques à la « société » des princes même s’ils passent par le filtre du langage et de la pensée ecclésiastiques126.
23Les lettres de Gerbert présentent donc une société des princes qui pense l’amitié par le filtre de modèles ecclésiastiques mais qui possède ses propres rituels d’amitié et d’alliance, connus voire codifiés. Ceux-ci garantissent l’efficacité et la publicité des relations d’amitié ainsi mises en scène. Cependant cette societas entre princes renvoie aussi chez Gerbert à un idéal religieux plus large : les premiers personnages de la chrétienté doivent, par leurs alliances, garantir la paix pour l’ensemble de la société chrétienne.
24Nous nous sommes interrogée sur la « société » des princes à la fin du Xe siècle en Occident. À partir de l’analyse des lettres de Gerbert de Reims et de l’Histoire de son disciple Richer, on peut présenter effectivement les princes comme un groupe social particulier qui se distingue du reste de la société par différents aspects. Ce groupe est soudé par le langage spécifique de l’amicitia, du foedus qui traduit les liens entre ses membres. Il partage ce langage avec un autre type de princes, les princes ecclésiastiques, qui servent souvent de secrétaires, de chanceliers aux grands. Ce langage, en particulier celui de l’amicitia, définit des relations sociales qui mêlent étroitement les aspects politiques et affectifs. Ces relations sociales sont pratiquées selon des rituels spécifiques aux princes laïques, un langage des signes soigneusement mis en scène et qui allie la parole et les gestes. Gerbert de Reims interprète donc les relations entre les plus grands de ces princes, les rois et les empereurs, comme une forme de societas, d’union destinée à mettre en pratique la paix voulue par Dieu, pour assurer l’harmonie au sein de la société chrétienne.
Notes de bas de page
1 Friendship in medieval Europe, J. Haseldine (sd), Sutton, 1999, introduction p. XVII : « how does the institution of friendship form and regulate human society ? ».
2 Friendship..., [n. 1], introduction p. XVIII : « Friendship was still seen in the Middle Ages as an institution central to political life and social order ». Notre doctorat, sous la direction du professeur H. Taviani-Carozzi, porte sur le rôle de l’amitié dans les relations sociales à travers la littérature épistolaire (Xe-XIIe siècle).
3 Correspondance de Gerbert d’Aurillac, P. Riché et J.-P. Callu (éd. trad.), Paris, 1993. Toutes les citations en latin des lettres sont tirées de cette édition. Les traductions sont personnelles sauf mention contraire.
4 Lettre 163, p. 404 : Me (...) digito notabant, qui reges deponerem, regesque ordinarem.
5 Voir la biographie que lui consacre P. RICHÉ, Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, Paris, 2006.
6 J.-P. CALLU a montré les liens entre les deux hommes dans l’article suivant : « Symmaque et Gerbert », Haut Moyen Âge. Culture, éducation et société. Mélanges P. Riché, coll., Paris, 1990, p. 517-528.
7 Lettre 32, p. 72.
8 Lettre 43, p. 104.
9 Gerbert a écrit 4 lettres en son nom, voir par exemple les lettres 74, p. 180 ou 147, p. 358.
10 Gerbert a écrit 9 lettres en son nom, voir par exemple les lettres 111, p. 268, 120, p. 286 ou 138, p. 340.
11 Gerbert a écrit 3 lettres en son nom (n° 213 à 216, p. 564 et sq.) et a reçu de sa part les lettres 186, p. 480 et 218, p. 574.
12 Lettre 111, p. 268.
13 Lettre 112, p. 270.
14 Rappelons que Gerbert a, tout jeune moine, suivi le comte de Barcelone en Catalogne pour s’instruire.
15 Il s’agit des deux lettres 120, p. 286 et 138, p. 340, avec un doute sur le destinataire de la seconde.
16 Lettre 174, p. 432.
17 Lettre 175, p. 436.
18 Gerbert lui écrit 4 lettres : par exemple les lettres 10, p. 20 et 11, p. 22.
19 Gerbert lui adresse 4 lettres dont les lettres 204, p. 542 et 208, p. 552.
20 Gerbert lui envoie les lettres 52, p. 126 et 59, p. 148.
21 Gerbert lui adresse 5 lettres dont les lettres 182, p. 466 et 183, p. 468 par exemple.
22 Gerbert adresse la lettre 84, p. 198 au duc de Spolète et la lettre 83, p. 196 au marquis de Toscane.
23 Le lettré lui adresse la lettre 22, p. 44.
24 Gerbert adresse à Mathilde, l’épouse de Godefroy la lettre 50, p. 122.
25 Gerbert lui envoie la lettre 51, p. 124.
26 Gerbert lui adresse la lettre 115, p. 276.
27 Gerbert s’adresse à elle dans la lettre 181, p. 456.
28 Ainsi Adalbéron adresse quatre lettres à Théophano, trois à Béatrice de Lorraine et il écrit à Lothaire, roi carolingien, à Hugues Capet, à Charles de Lorraine, à son frère Godefroy de Verdun, à la reine Adélaïde.
29 Voir les articles suivants sur les relations entre Gerbert et les Ottoniens : B. FAUVARQUE, « Gerbert-Sylvestre II, Otton III et la politique d’expansion chrétienne : bilan de deux décennies de recherches », Gerberto d’Aurillac-Silvestro II, linee per una sintesi, Atti del Convegno internazionale, Archivum Bobiense Studia V, F. G. Nuvolone (sd), Bobbio, 2005, p. 239-284.
H. GLAESNER, « Rapports entre Gerbert, les Ottonides et Notger de Liège », Revue du Nord, tome XXXI, nos 122-123, 1949, p. 126-136.
30 En fait, c’est surtout au nom d’Adalbéron de Reims qu’il écrit à ces grands personnages ; il favorise ainsi les relations de son maître avec la cour impériale.
31 Il semble que l’on trouve déjà une référence à cette politique en 983 dans un poème que Gerbert avait rédigé pour l’empereur Otton II et sa femme Théophano, le Carmen figuratum. Voir l’article de F. G. NUVOLONE, « Gerbert d’Aurillac et la politique impériale ottonienne en 983 : une affaire de chiffres censurée par les moines ? », Faire l’événement au Moyen Âge, C. Carozzi et H. Taviani-Carozzi (sd), Aix-en-Provence, 2007, p. 244.
32 Lettres 47, p. 116, 48, p. 118 et 50, p. 122.
33 Il est mort le 2 mars 986, son épitaphe est conservée sous la forme de la lettre 75, p. 182.
34 Il s’agit du mari de Béatrice de Lorraine, mort le 17 juin 983. Voir la lettre 76, p. 184.
35 La lettre 78, p. 186 constitue son épitaphe. Il est mort le 7 décembre 983.
36 Épitaphe présente dans MGH, Poet. Lat., V, éd. K. Strecker, Leipzig, 1937, p. 474.
37 Lettre 32, p. 74 : Cur dominam ducem Beatricem, cum filio regnique primatibus, nobis praetendis ?
38 Lettre 31, p. 70 : quid neptis utriusque nostrum (...) quid alii praeterea principes qui nichil tuo juri debent eiusdem habeant.
39 D’après Isidore de Séville, le princeps « se définit par le degré de dignité ou de rang » : Isidore de Séville, Étymologies livre IX, M. Reydellet (éd. trad.), Paris, 1984, 3, 21, p. 132 : Princeps et dignitatis modo significatur et ordinis.
40 Lettre 32, p. 72 : Galliae principes, reges Francorum.
41 Lettre 52, p. 126-128 : principum vestrorum concordia remedium tantorum malorum nobis fore videtur.
42 Lettre 74, p. 180.
43 Lettre 91, p. 216 : pace inter duces ac principes redintegrata.
44 Voir l’ouvrage suivant et en particulier l’avant-propos : K. F. WERNER, Naissance de la noblesse, Paris, 1998, p. 1 et sq.
45 K. F. WERNER, Naissance..., [n. 44], p. 3.
46 Lettre 20, p. 40 : nobilium pauperum.
47 Lettre 119, p. 284 : Et michi quondam fuit, et genus, et dignitas, ac regium nomen.
48 K. F. WERNER, Naissance..., [n. 44], p. 19.
49 Rappelons que, d’après les dictionnaires cités ci-dessous, le mot princeps désigne au Moyen Âge tout d’abord le « premier », le chef, le prince ou le souverain mais aussi le prince de l’Église, l’évêque. Voir A. BLAISE, Dictionnaire latin-français des auteurs chrétiens, Turnhout, 1967 et C. DU CANGE, Glossarium mediae et infimae latinitatis, 10 volumes, Niort, 1883-1887.
50 Lettre 64, p. 162 : Qui domini rerum ac principes esse videmur.
51 Voir les études suivantes : O. GUYOTJEANNIN, Episcopus et comes. Affirmation et déclin de la seigneurie épiscopale au nord du Royaume de France (Beauvais-Noyon, Xe-début XIIIe siècle), Paris, 1987.
Id., « Les évêques dans l’entourage royal sous les premiers capétiens », Le roi de France et son royaume autour de l’an mil, Paris, 1992, p. 91-98.
52 Les historiens de l’Allemagne ont relevé cette dignité de prince accordée dans l’Empire aux grands archevêques, évêques et abbés : par exemple M. PARISSE, Allemagne et Empire au Moyen Âge, 2002, p. 73 et sq.
53 Lettre 11, p. 22 : Taceo de me quem (...) equum emissarium susurrant, uxorem et filios habentem, propter partem familiae meae de Frantia recollectam. Traduction de P. Riché et J.-P. Callu.
54 Jonas d’Orléans, Le métier de roi, A. Dubreucq (éd. trad.), Paris, 1995, I, 21, p. 176 : ergo tantae auctoritatis, immo tanti discriminis est ministerium sacerdotum, ut de ipsis etiam regibus Deo sint rationem reddituri.
55 Ce thème est développé dans l’ouvrage suivant : J. DEVISSE, Hincmar archevêque de Reims 845-882, Genève, 1975, p. 519 et sq.
56 Lettre 164, p. 410 : Ego quidem factionum, conspirationum, iuris consulti, ac consulentium conscius...
57 K. F. Werner, dans le livre déjà cité, montre que, depuis le IVe siècle, l’Église est considérée comme une autre militia que la noblesse, comme elle au service de l’empereur. L’épiscopat appartient donc à la noblesse et en partage la plupart des valeurs. K. F. WERNER, Naissance..., [n. 44], p. 362-363.
58 Lettre 217, p. 582 : Quidnam aliud ad heremi devia mortales attraxit, nisi ad deum societas ?
59 Lettre 111, p. 268 : Hanc sanctissimam amicitiam iustissimamque societatem sic expetimus,...
60 Lettre 120, p. 286 : fidissimam societatem ac sanctam amiciciam conservare cupientes.
61 Voir les deux ouvrages de Cicéron, le De Amicitia et le De Officiis. Il faut rappeler que le moine Richer de Reims, disciple de Gerbert, emploie lui aussi les notions cicéroniennes d’utile et d’honestum pour désigner par exemple l’amicitia entre Hugues Capet et Otton II : Richer de Reims, Histoire de France, 888-945, R. Latouche (éd. trad.), Paris, 1967, III, 82, p. 102 : Non praeter fructum utilis et honesti consilium a doctis expetitur.
62 Lettre 111, p. 270 : magnoque usui, si placet, haec nostra coniunctio erit. Et plus loin : ut haec bona fiant perpetua.
63 Lettre 120, p. 288 : ea quae inter vos de bono et aequo sanxeritis.
64 Cicéron, De Amicitia, VII, 24 : Agrigentinum quidem doctum quemdam virum (...) vaticinatum ferunt, quae in rerum natura totoque mundo constarent quaeque moverentur, ea contrahere amicitiam, dissipare discordiam.
65 Lettre 27, p. 54 : Regnorum perturbatio, quid aliud est quam ecclesiarum desolatio ?
66 Lettre 52, p. 126-128 : Sed quia principum dissensio interitus regnorum est, principum vestrorum concordia remedium tantorum malorum nobis fore videtur. On ne sait pas si Gerbert pense à certains vassaux de l’Empire en particulier. Il écrit cette lettre en 985, au moment où le comte de Verdun et ses alliés, vassaux de l’Empereur, ont été faits prisonniers par le roi Franc qui a attaqué la Lorraine.
67 Lettre 27, p. 54 : Magna, pater, constantia inlaborandum, pro habenda ratione pacis atque otii. Traduction de P. Riché et J.-P. Callu.
68 Lettre 34, p. 82 : de statu et pace regnorum.
69 Lettre 101, p. 246 : Si pacem cum rege senior noster confecerit, pro pace regnorum plurimum elaborabit.
70 Lettre 138, p. 342 : ut pax et concordia regnorum et aecclesiarum Dei nostro vitio non destituatur.
71 Paix entre les royaumes et paix de l’Église sont d’ailleurs étroitement liées chez Gerbert, par exemple dans la lettre 144, adressée à Adalbéron de Laon, p. 352-354 : Obsecramus ut exequi curetis, cum pro vestra benivolentia circa nos, tum propter pacem aecclesiae Dei, pace principum proventuram.
72 On trouve d’ailleurs cette idée d’une societas de tous les chrétiens dans la lettre 95 que Gerbert rédige au nom des abbés de Reims à destination des moines de Fleury : Una est aecclesia catholica, cunctorumque fidelium una societas.
73 Lettre 63, p. 158 : pace inter principes stabilita, r(e) p(ublica) bene disposita.
74 Lettre 100, p. 240 : Quantum utilitatis rei publicae contulerit, quantumve collatura sit pax inter reges nostros bene fundata.
75 Voir les lettres 48, 49, 51, 60, 111, 120, 129, 138, 174, 175.
76 On ne sait si les lettres 138 et 174 sont adressées à Conrad de Bourgogne ou à Théophano même si P. Riché et J.-P. Callu penchent plutôt pour le roi de Bourgogne.
77 Lettre 129, p. 306 : Instant et promissam amiciciam requirunt.
78 Voir la lettre 49, p. 120. À propos du lien entre fidélité et amitié chez les auteurs du Moyen Âge, comme Fulbert de Chartres, voir l’étude suivante : A. GERMAIN, « Fidélité, amitié et amour dans la correspondance de Fulbert de Chartres », à paraître dans la revue Imago temporis, n° 2.
79 Voir par exemple la lettre 120, p. 288.
80 Voir les lettres 111, p. 268, 174, p. 432.
81 Pour ces deux termes voir la lettre 120, p. 286.
82 Lettre 181, p. 464 : [Otto] qui tanto amore vos vestraque diligit, ut dies noctesque mecum sermonem conferat ubi et quando vos familiariter videre possit, coevum sibi et studiis consimilem seniorem meum regem Rot(bertum) alloqui et complexari.
83 Lettre 174, p. 432 : Si ergo ea in vobis est virtus quam credimus et optamus, sentiamus non nobis obesse, quod vestrum amorem amori regis O[ttonis] praeposuimus.
84 Voir la lettre 51 par exemple, p. 124 : Si Hugonem in amicitiam vobis colligaveritis...
85 Voir la lettre 174, p. 432 : ut (...) coepta amicitia corroboretur.
86 Lettre 27, p. 54.
87 Lettre 50, p. 122 : Pactum cum Francis hostibus nullum facite. Gerbert, messager de Godefroy, dissuade Béatrice de céder aux pressions de ses ennemis.
88 Voir la lettre 129, p. 306.
89 Lettre 41, p. 100.
90 Richer de Reims, Histoire... [n. 61] : tome II, livre III, chapitres 83 à 85, le mot amicitia revient à de très nombreuses reprises dans le récit de la rencontre entre Otton II et Hugues Capet à Rome. Par exemple, Richer III, 83, p. 106 : Unde et facilius eius amicitiam adipisceris ou Richer, III, 84, p. 106 : ut amplius uterque amicitiae vim experiretur.
91 V. EPP, Amicitia : Zur Geschichte personaler, sozialer, politischer und geistlicher Beziehungen im frühen Mittelalter, Stuttgart, 1999.
92 Lettre 41, p. 102 : hoc ipsum Caesarem morientem expetisse persuasimus per dilectissimum sibi filium Sigefridi.
93 Voir la lettre 61, p. 154 dans laquelle Adalbéron de Reims fait de Béatrice sa porte-parole auprès de Hugues Capet : apud ducem Hugonem de nostra mente pura fide constanti absque haesitatione praesumite.
94 Lettre 138, p. 340 : in confinio nostrae Franciae, Burgundiae, ac Lothariensis regni, occurrere vobis parati sumus.
95 Lettre 59, p. 150 : Dux Hugo (...) regem ac reginam osculatus est. La lettre est datée de 985 par P. Riché et J.-P. Callu mais chez Richer de Reims, la seule mention d’une réconciliation formelle intervient en 981. Il est donc possible qu’il faille avancer la date de la lettre. Par ailleurs nous traduisons le verbe osculor par « embrasser sur la bouche », car selon Y. Carré, dans l’ouvrage suivant, c’est le seul sens de ce verbe à cette époque : Y. CARRE, Le baiser sur la bouche au Moyen Âge, rites, symboles, mentalités XIe-XVe siècles, Paris, 1992.
96 Voir Y. CARRE, Le baiser..., [n. 95].
97 Lettre 174, p. 432 : Precipuam ac singularem amicitiam vestram dum artius amplectimur... Amplector signifie au sens propre embrasser, entourer de ses bras.
98 Lettre 31, p. 66-68 : Fidem (...) praesente venerando episcopo Notkero (...), ante Beati Iohannis aram in sacra verba datam.
99 Lettre 66, p. 164 : Fidei spondentis amici credite. Si id satis non est, obses accipiatus ab his, quibus sua rursus restitui oramus. Spondeo peut renvoyer à un serment solennel comme à une simple garantie. Dans le contexte de la fin du Xe siècle, on peut supposer qu’il renvoie à un serment.
100 Lettre 111, p. 270 : quoniam est nobis unicus filius, et ipse rex, nec ei parem in matrimonio aptare possumus propter affinitatem vicinorum regum, filiam sancti imperii praecipuo affectu quaerimus.
101 Richer de Reims, Histoire de France..., [n. 61]. La traduction que nous proposons est le plus souvent personnelle.
102 Pour des détails sur la rédaction et le contenu de cette œuvre voir l’article suivant : M. SOT, « Le cursus scolaire de Gerbert d’après Richer vers 997-998 », Autour de Gerbert d’Aurillac, le pape de l’an Mil, O. Guyotjeannin et E. Poulle (sd), Paris, 1996, p. 243-248.
103 On trouve aussi le terme de concilatio, réconciliation, Richer III, 81, p. 100.
104 Richer, III, 78, p. 96 : A consultantibus tandem deliberatum est Ottonem in amicitiam regis revocandum.
105 Richer, III, 78, p. 96-98 : Legati igitur a Lothario directi, ab Ottone liberalissime suscepti, de habenda utriusque amicicia duce ignorante elaborant.
106 Richer, III, 80, p. 100 : Constituitur tempus colloquendi ; locus utrique commodus deputatur ; et quia circa fluvium Mosam regna amborum conlimitabant, in locum qui Margolius dicitur eis sibi occurrere placuit.
107 Richer III, 81, p. 100 : Convenerunt ergo, datisque dextris, osculum sibi sine aliqua disceptatione benignissime dederunt.
108 Richer, III, 81, p. 100 : amiciciam altrinsecus sacramento stabilierunt.
109 Richer III, 81, p. 100 : Belgicae pars quae in lite fuerat in ius Ottonis transiit.
110 Richer III, 82, p. 102 : Non praeter fructum utilis et honesti consilium a doctis expetitur.
111 Richer III, 84, p. 106 : Legatis igitur directis, dux animum huiusmodi Ottoni Rome indicavit.
112 Richer III, 84, p. 106 : Otto mira benivolentia legatos excepit.
113 Richer III, 84, p. 106 : quod si ipse dux ad se veniret, ut amplius uterque amiciciae vim expereritur, eum cum suis se decenter et cum honore excepturum.
114 Richer III, 85, p. 108 : Rex iniuriarum querelam deponit et, osculum dans, gratiam sui favoraliter amico impertit.
115 Richer III, 85, p. 108 : Post multa colloquia de amicicia habenda.
116 Richer III, 85, p. 108 : Ducem quoque in plurima amicicia susceptum cum honore et pace pene usque ad Alpes deduci fecit.
117 Richer de Reims, Histoire..., [n. 61], volume II, p. 101, note 1.
118 Richer de Reims, Histoire..., [n. 61], volume II, p. 109, note 1.
119 J. LE GOFF, « Le rituel symbolique de la vassalité », Pour un autre Moyen Âge, temps, travail et culture en occident : 18 essais, dans Un autre Moyen Âge, Paris, 1999, p. 333-400.
120 J.-C. SCHMITT, La raison des gestes au Moyen Âge, Paris, 2003, p. 14.
121 Richer III, 82, p. 102 : Non praeter fructum utilis et honesti consilium a doctis expetitur.
122 Au contraire J. Le Goff avait montré, pour le rituel vassalique, que le plus souvent le vassal allait trouver son futur seigneur sur ses terres : J. LE GOFF, « le rituel... », [n. 119].
123 Richer III, 84, p. 106 : Sanctos apostolos honorat atque sic regem petit.
124 En effet la main, droite surtout puisque la gauche est « sinistre », renvoie souvent au pouvoir, à l’action, à l’efficacité.
125 J.-C. SCHMITT, La raison des gestes..., [n. 120], p. 14.
126 Rappelons que Gerbert comme Richer appartiennent au monde des clercs et des moines et que c’est par leur intermédiaire que nous connaissons ces rituels. Cependant on ne retrouve pas de rituels semblables entre ecclésiastiques dans les lettres de Gerbert. Ils ont leurs propres pratiques de l’amicitia qui passent plus par l’échange de lettres, d’idées, de conseils, par des rencontres moins ritualisées.
Auteur
Doctorante de l’Université de Provence
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