Chapitre 13. Le gouvernement du comté au XVe siècle
p. 319-328
Texte intégral
Louis II et Louis III
1Louis Ier et ses descendants, princes des fleurs de lys, sont rois de Sicile, comtes d’Anjou et comtes de Provence. Longtemps les centres principaux d’intérêt de leur politique sont extérieurs au comté.
2Louis Ier quitte la Provence à la mi-juin 1382 pour conquérir le royaume de Naples, dont il a été investi par Clément VII. Ses succès sont éphémères et fragiles. Il meurt à Bari le 21 septembre 1384, sans être parvenu à s’emparer de sa capitale, et ses troupes se désagrègent au lendemain de son décès. Son fils Louis II, maître de la Provence grâce à l’habile politique de sa mère Marie de Blois, reçoit la couronne de Naples à Avignon à la Toussaint 1389 et s’embarque pour prendre possession de son royaume le 20 juillet 1390. Il rentre vaincu neuf ans plus tard. Deux expéditions, plus brèves et tout aussi vaines, ont lieu à nouveau dans l’été 1409 et d’avril 1410 à août 1411. Son jeune fils Louis III, investi par Martin V en 1419, se lance à nouveau en 1420 dans l’aventure outre-mer et passe l’essentiel de sa vie à guerroyer dans le Royaume. La dernière descendante des Duras, la reine Jeanne II, conforte ses prétentions en l’adoptant en 1433, peu avant qu’il ne meure à Cosenza le 12 novembre 1434.
3Outre les guerres napolitaines, les princes de la maison d’Anjou sont fortement impliqués dans les affaires du royaume de France. Louis Ier, aîné des frères de Charles V, préside le conseil durant la minorité de Charles VI. C’est ce roi qui arme chevaliers de sa main en mai 1389 Louis II et son frère Charles, comte du Maine. Le comte de Ponthieu, le futur Charles VII, épouse, en décembre 1413, Marie, fille aînée de Louis II. Un mois plus tôt, la rupture de l’union projetée entre le futur Louis III et Catherine, fille du duc de Bourgogne Jean sans Peur, avait marqué l’entrée de Louis II dans le camp armagnac. Son épouse Yolande d’Aragon assure l’éducation de son gendre, qu’elle élève avec ses enfants. Elle jouera un rôle majeur à la cour de Charles VII.
4L’Anjou, que Louis Ier avait reçu en apanage de Jean le Bon, retient tout autant l’attention des rois de Sicile. En établissant l’itinéraire de Louis II, Marcelle R. Reynaud a montré qu’il a consacré 47 mois au royaume de France, 44 à l’Anjou et 53 à la Provence. La politique que Yolande d’Aragon inspire à la cour de Bourges vise principalement à protéger l’Anjou de la menace des Anglais maîtres de la Normandie.
5Les circonstances, minorité et absence prolongée du prince, portent au premier plan de l’histoire politique du comté deux femmes qui sont de véritables hommes d’État, Marie de Blois et Yolande d’Aragon, qui exercent le pouvoir comme régente ou comme vice-reine. D’autres membres de la famille d’Anjou bénéficient, plus brièvement, d’une délégation du pouvoir royal : Charles de Tarente, frère de Louis II, vice-roi en 1401 et Charles du Maine, frère de Louis III, lieutenant général en 1424. Ce dernier, sans doute en raison de son jeune âge, se voit associer un gouverneur, Tristan de la Jaille en 1426 et Pierre de Beauvau en 1427, l’un tourangeau, l’autre angevin.
6Ces titulatures nouvelles traduisent l’effacement du pouvoir du sénéchal. Deux réformes portent successivement atteinte aux attributions de ce grand officier. Le 14 août 1415, Louis II institue un parlement constitué de six présidents qui statueront sur les causes civiles et criminelles qui venaient jusque-là en dernier appel devant le conseil royal présidé par le sénéchal. Par cette création, Louis II réforme également la Chambre des comptes, dont les effectifs sont réduits à deux maîtres rationaux tenus d’assister aux séances du parlement. Les présidents désignés par le roi sont tous provençaux et tous docteurs en droit. Cette réforme est éphémère. Les états qui avaient réclamé en janvier 1415 une réforme de la justice, loin de se juger exaucés, obtiennent en 1417 du nouveau comte Louis III la suppression de cette nouveauté au profit du rétablissement de l’office de juge mage, laissé sans titulaire depuis 1402. Le 20 novembre 1424, par un édit expédié d’Aversa, Louis III renoue partiellement avec la précédente réforme. La juridiction suprême – sous réserve de l’appel au roi, toujours théoriquement possible, mais que la distance rend bien difficile – revient désormais à un Conseil éminent présidé, non plus par le sénéchal, mais par le chancelier.
7Des lettres du 22 août 1427 élargissent les attributions de ce conseil. Elles astreignent celui qui exerce le gouvernement, vice-roi, gouverneur ou lieutenant, à prendre l’avis du Conseil éminent avant toute décision. Elles détaillent la composition de cette assemblée où siège, aux côtés d’un prélat et de quatre nobles provençaux, une majorité de grands officiers (juges mages et des premiers appels, maîtres rationaux, avocats et procureurs fiscaux…), tous docteurs ou licenciés en droit. Cette réforme consacre l’ascension dans les organes du pouvoir des gradués, principalement issus des oligarchies urbaines, que l’on constate depuis le début du siècle.
8La convocation des états est fréquente. Les nécessités financières l’exigent. Les besoins de la guerre pour la conquête du royaume de Naples ont pris le relais de la défense du pays. Mais, à partir de 1400, les états n’interviennent plus dans la levée et l’organisation des troupes ni dans la collecte et le contrôle de la perception des impôts. Ils veillent jalousement sur les « privilèges provençaux consentis et octroyés par le roi Louis Ier et Madame Jeanne ». Ils sont parfois entendus, comme le montrent la restitution d’obédience à Benoît XIII ou la suppression du parlement de Louis II. Ils reçoivent un assentiment poli, mais sans suite, lorsqu’ils réclament le respect de l’indigénat dans la distribution des offices et dans l’attribution aux Provençaux des bénéfices ecclésiastiques vacants dans le comté. Mais ils se heurtent à une ferme résistance lorsqu’ils menacent d’empiéter sur le pouvoir princier. Ainsi lorsqu’en 1419 ils demandent une convocation régulière de leur assemblée, au moins tous les deux ans. De même, lorsqu’en 1420 ils demandent l’autorisation de créer des « défenseurs » qui veilleront en permanence sur le respect des statuts provençaux, Yolande et Louis III la refusent en rappelant que ce rôle leur incombe.
9Divers incidents, que l’on a du mal à élucider pleinement, marquent cette période. En 1414, Louis II fait décapiter un chevalier issu d’une illustre famille, Réforciat d’Agout. Il aurait, selon Bertran Boysset, notre unique source, commis « de moult grandes trahisons ». La suppression du parlement a provoqué quelques troubles que révèle une lettre de rémission accordée en 1419 au maître rational Antoine Isnard et à son frère Jean, accusés de menées séditieuses. En 1425, Louis III fait arrêter le chancelier Laugier Sapor, qu’il destitue ainsi qu’un secrétaire du roi, Pons de Rousset. Ils sont accusés de crimes de lèse-majesté et de trahison. La vaine intervention de Yolande en faveur du chancelier montre les limites du partage du pouvoir entre la mère et le fils et suggère des tensions au sommet de l’État. Au même moment, les Aixois, qui ont pris le parti de Pons de Rousset, refusent de reconnaître et recevoir le gouverneur Pierre de Beauvau et devront pour cela faire amende honorable en 1430.
La retraite provençale du roi René
10Louis III meurt sans enfants en novembre 1434. Son frère cadet, qui lui succède et que, par une clause de substitution, Jeanne II a désigné comme héritier du trône de Sicile, est déjà duc de Bar et de Lorraine. Ces titres résultent de l’habile politique de Yolande d’Aragon qui a fait adopter, en 1419, René par son frère le cardinal Louis duc de Bar et qui a marié, en 1420, le jeune prince à Isabelle, fille et héritière du duc de Lorraine Charles II. À la mort de ce dernier, en 1431, un compétiteur se dresse face au nouveau duc, Antoine de Vaudémont, neveu de Charles II, qui va chercher appui auprès du duc de Bourgogne. Battu le 30 juin à Bugnéville, René est remis aux mains de Philippe le Bon qui l’incarcère et le met à rançon. René ne peut donc rejoindre immédiatement Naples pour prendre possession du Royaume. Sa femme Isabelle, avec le titre de lieutenant général, s’embarque à Marseille en septembre 1435. Sa position est très précaire lorsque René la rejoint au printemps 1438 et fait, le 22 mai, son entrée solennelle dans Naples. Mais il accumule les échecs face aux Aragonais. Quatre ans plus tard, René abandonnant au terme d’un long siège Naples et l’Italie du Sud à Alphonse V rentre en Provence à l’automne 1442. Le royaume perdu reste à l’horizon de sa politique avec, notamment, la vaine expédition napolitaine de son fils Jean de Calabre en 1459-1462 et, opération détournée contre l’adversaire aragonais, la tentative de 1466-1470 pour prendre pied en Catalogne, offensive qui tourne court avec la mort de ce même Jean que son père avait désigné comme lieutenant général.
11Comme ses prédécesseurs, René est étroitement mêlé aux affaires du royaume de France. Il a guerroyé dans le camp de son beau-frère Charles VII contre les Anglais et contre les Bourguignons en 1429-1430. Le mariage conclu entre sa fille Marguerite et Henri VI, en 1443, s’inscrit dans le cadre des négociations de paix alors ouvertes entre la France et l’Angleterre. Charles VII apporte son aide à René pour punir les Messins révoltés contre leur duc en 1445 et c’est lui qui, la même année, obtient du duc de Bourgogne qu’il renonce à exiger les sommes qui restaient dues pour la rançon du roi de Sicile. Au mois de mai 1445, l’ambassadeur du duc de Milan écrit à son maître que « le roi de Sicile est celui qui dirige toute chose dans le royaume [de France] ». C’est encore Charles VII qui dirige le siège du Mans qui, en mars 1448, permet à la maison d’Anjou de reprendre le Maine. Et René prend part en 1449-1450 aux côtés de Charles VII à la reconquête de la Normandie. Mais des nuages montent : le même ambassadeur milanais écrit aussi à la même date qu’ « il ne pourrait y avoir hostilité plus violente que celle qui règne entre […] le dauphin [le futur Louis XI] et le roi de Sicile ».
12Comme ses prédécesseurs aussi, René partage son temps entre ses domaines, en particulier entre l’Anjou et la Provence. Longtemps ses séjours dans le comté ne sont que de brève durée, d’autant qu’ils sont souvent de simples haltes à l’aller et au retour de ses expéditions d’outremonts ou d’outre-mer : 5 mois en 1437-1438 et en 1442-1443, 1 mois en 1453 et 3 mois en 1453-1454. Il y tient sa cour plus longuement du printemps 1447 à la fin de l’été 1449. C’est alors qu’il organise dans l’île de Jarnègues, en face de son château de Tarascon, le tournoi du Pas de la Bergère, qu’il fonde l’ordre du Croissant, qu’il procède à l’élévation des reliques des saintes Maries et qu’il acquiert à Aix les terrains qui vont constituer le grand jardin du roi, face à son palais. Il y fait un plus long séjour encore de l’automne 1457 à janvier 1462. Revenu en Provence dans l’hiver 1469 pour suivre de plus près les développements de l’expédition en Catalogne, il repart à la fin de l’été 1470, mais en laissant dans le comté sa seconde femme Jeanne de Laval. Progressivement, la balance penche davantage vers le pôle provençal de la principauté.
13René s’est détaché de la Lorraine au lendemain du mariage, célébré en 1445, de sa fille Yolande avec Ferry, fils d’Antoine de Vaudémont, qui éteignait la contestation de ses droits. Il a, dès lors, abandonné à son fils aîné Jean le gouvernement des duchés de Bar et de Lorraine, auquel il ne peut « pour le présent, personnellement vaquer ». Dans l’hiver 1471, quelques mois après avoir repris le chemin de la Provence, il fait faire l’inventaire de ses résidences angevines et organise le transfert de ses collections dans le comté. En 1472, une lettre adressée aux gens des comptes d’Angers les informe des intentions du roi qui, installé dans les pays de par-deçà, a « espérance de s’y tenir ». Il y restera jusqu’à sa mort en 1480, partageant son temps entre son palais, son jardin et sa bastide d’Aix, son château de Tarascon, sa maison et sa bastide de Marseille, sa demeure d’Avignon, sa bastide de Gardanne et ses résidences de Peyrolles et de Pertuis. Il y entretient une cour fastueuse et y anime, en mécène avisé, un brillant foyer de vie artistique. C’est alors que, sur commande du prince, Francesco Laurana décore l’autel de Saint-Lazare à la cathédrale de Marseille et sculpte le retable de Notre-Dame-du Spasme au couvent des célestins d’Avignon, tandis que Nicolas Froment peint le retable du Buisson ardent pour la chapelle princière du couvent des carmes d’Aix. C’est le moment où Josquin des Près fait partie des chantres de la chapelle royale.
14Cette cour cosmopolite fait une large part aux Angevins et aux Lorrains. Les Provençaux y occupent une place modeste. Dans le cercle privilégié des fidèles du roi, qui reçoivent de lui à certaines occasions des robes de velours, Honorat de Berre, seigneur d’Entrevennes, est l’unique Provençal aux côtés de Guy de Laval, de Louis de Laval-Châtillon et de Bertrand de Beauvau, Angevins, et des Lorrains Philippe de Lénoncourt, Jean comte de Salm et le marquis de Bade. Sur les 28 premiers chevaliers admis dans l’ordre du Croissant, entre 1448 et 1452, ne figurent que trois Provençaux : Fouques d’Agout, Hélion et Pierre de Glandevès, auxquels on peut ajouter Pierre de Mévouillon, seigneur de Ribiers, d’une famille plus dauphinoise que provençale, et Jean Cossa, capitaine napolitain qui a suivi René en Provence après la déroute de ses troupes. Des vingt participants au Pas de la Bergère, où s’affronte l’élite de la noblesse des États angevins, cinq seulement sont des Provençaux. Peu de Provençaux occupent des offices de premier rang à l’Hôtel du roi : Honorat de Berre, grand-maître de l’Hôtel, Balthazar Jarente et son petit-fils Thomas, Jean Ier Arlatan et son fils Jean II, tous maîtres d’hôtel, Pierre de Mévouillon et Baptiste de Pontevès, chambellans.
15Le roi René ne se soucie pas davantage que ses prédécesseurs de l’indigénat dans l’attribution des offices pour le gouvernement du comté. Il choisit comme sénéchal successivement un Breton, ancien serviteur de Charles VII, Tanguy du Châtel, un Angevin, Louis de Beauvau, un Lorrain, son gendre Ferry de Vaudémont, un Napolitain, Jean Cossa, et un Tourangeau, Pierre de La Jaille. En revanche, les juges mages qu’il nomme sont tous issus du comté à l’exception du Napolitain Jérôme de Miraval (1439-1443). Il en va de même pour l’office de chancelier, qui revient aux Provençaux Jean Martin et Jean Jarente. Quant à la Chambre des comptes, sur 28 maîtres rationaux nommés par René, 18 sont des Provençaux, une courte majorité.
16Quelques figures se détachent de l’entourage provençal du roi René. Peu appartiennent aux plus anciennes lignées du comté, même si des Agout, des Glandevès et des Villeneuve siègent au conseil. Honorat de Berre, issu d’une vieille famille de petits chevaliers de Provence orientale, est l’un des agents préférés de la diplomatie du roi de Sicile. Les Jarente, qui tirent leur origine d’un lignage modeste de chevaliers des environs de Seyne qui a été porté au premier plan avec Guigonnet, homme de confiance de Marie de Blois, se voient confier de nombreuses missions en Provence : Thomas, notamment, est gouverneur du marquis du Pont, un des bâtards du roi. Nobles aussi, mais à la faveur d’une substitution de nom survenue à la fin du XIVe siècle, les Arlatan d’Arles, dont Jean Ier qui organise les fouilles des Saintes-Maries. Un bon nombre de ces serviteurs du roi René n’appartiennent pas à la noblesse ou y sont agrégés par ses soins. Ainsi le chancelier Jean Martin, seigneur de Puyloubier, d’obscure origine. Ainsi Michel et Jean Matheron, petit-fils d’un maçon et fils d’un notaire aixois, auxquels le roi, en reconnaissance de leurs mérites, fera don d’un diptyque le représentant face à sa femme Jeanne de Laval. Ainsi Palamède Forbin, descendant d’un artisan de Langres immigré à la fin du XIVe siècle à Aix, puis à Marseille où ses successeurs feront fortune dans le commerce maritime, que René nomme grand président de la Chambre des comptes et à qui il confie, sur la fin de sa vie, d’importantes missions diplomatiques auprès de Louis XI.
L’explosion fiscale
17Les besoins d’argent du prince sont considérables. L’organisation des expéditions militaires, l’achat et l’entretien des alliances et des fidélités, le faste de la cour et des fêtes, l’enrichissement des collections, les commandes passées aux artistes, tout cela coûte très cher. Or, la Lorraine est très tôt marginale à l’État angevin, l’Anjou est sorti appauvri des longues années où il fut aux premières lignes du conflit franco-anglais. La Provence supporte donc seule le poids de la fiscalité.
18Les formes du prélèvement y sont fixées par une longue tradition. Les états votent un don gratuit réparti entre les communautés du pays en fonction du nombre de feux qui leur sont affectés, grille de répartition régulièrement révisée pour tenir compte de l’évolution de la capacité contributive de chaque localité. Accordé en principe pour une durée déterminée, le subside tend à devenir un impôt permanent. Après avoir, en 1435, l’année de l’avènement de René, accepté un don pour trois ans, à verser chaque 1er novembre, les états, à nouveau sollicités en 1437 par René qui prépare son expédition à Naples, consentent à un nouveau subside à acquitter, pendant trois ans, le 8 février.
19Mais la taxation directe ne suffit pas. Les habitudes de la fiscalité angevine, où l’essentiel des ressources provient des « traites » qui frappent la circulation commerciale, inspirent à René un nouveau procédé pour faire rentrer de l’argent. Il crée le 28 septembre 1441 un droit de douane de 1 gros par livre (6,66 %) sur les importations et exportations du comté. Devant les protestations que cette innovation soulève, il révoque sa décision l’année suivante, mais vend aux différentes villes ses lettres de révocation pour un montant proportionné à leur capacité contributive. Il s’était engagé à ne plus jamais percevoir de telles taxes. Mais il y eut à nouveau recours à partir de 1458 en instaurant un droit sur les entrées et sorties du blé, des peaux et des laines qui fut levé jusqu’à sa mort. Pour en améliorer la perception, il crée en 1477 un maître des ports placé à la tête d’une véritable organisation douanière.
20René exploite aussi les profits de justice. En 1447 et en 1449, il expédie dans les principales villes du comté des commissaires chargés de la « réformation de la justice », habilités à accorder des remises de peine pour divers délits et crimes moyennant une compensation versée par chaque communauté. En 1472, il crée, sous couvert d’accélérer le cours des procès, un juge des crimes qui met tout son zèle à poursuivre les criminels susceptibles d’acquitter de fortes amendes de composition.
21Pour obtenir de l’argent, René s’adresse également à la communauté des Juifs du comté. Elle est, depuis Charles Ier, astreinte à verser une taille spécifique dont le montant peut être alourdi de « dons » sollicités à diverses occasions. René recourt sans mesure à cette possibilité. En retour, il protège les Juifs contre la montée des pulsions antisémites qui s’exacerbent à la fin du XVe siècle. Il ne donne aucune suite aux requêtes des états qui voudraient concentrer les israélites dans un quartier à part et il ordonne des poursuites contre les auteurs de l’assaut contre la juiverie de Digne en 1475.
22Pour alléger les charges qui pèsent sur les finances du comté, René s’efforce de rationaliser l’administration. Mais sa politique manque de cohérence. Pour améliorer la gestion des finances, il emprunte au royaume de France en 1443 l’office de général des finances. Mais, dans le même temps, il détourne une part importante des ressources publiques au profit de son trésor privé, l’Argenterie. Pour donner plus d’efficacité à la Chambre des comptes, qui contrôle la gestion du domaine, il la dote d’un grand président en 1460. Il avait eu l’intention en 1439 de réduire à trois le nombre des maîtres rationaux qui la composent, mais il ne se tient pas à cette décision : ils étaient dix à sa mort.
Charles III : la Provence devient française
23Les dernières années du règne sont dominées par les problèmes que pose la succession de René. Ses deux fils sont morts, Louis dès 1443 et Jean en 1470. Le fils de ce dernier, Nicolas, qui porte après le décès de son père le titre de duc de Calabre et de Lorraine, s’éteint en 1473. Trois proches parents peuvent prétendre hériter du roi de Sicile : son petit-fils René II, l’enfant de Yolande et de Ferry de Vaudémont, nouveau duc de Lorraine et ses deux neveux, Charles du Maine, fils de Charles frère cadet de René, et Louis XI, fils de Marie d’Anjou, sa sœur (cf. tableau généalogique). Le testament que René dicte le 12 juillet 1474 exclut Louis XI de la succession. René II recevra le duché de Bar, et l’Anjou et la Provence échoient à Charles du Maine qui vient d’épouser Jeanne de Lorraine, petite-fille de René. Dans ses dernières volontés, le roi de Sicile adopte Charles pour son fils. Furieux, Louis XI décrète aussitôt la saisie du Barrois et de l’Anjou. René se tourne alors vers divers adversaires du roi de France, dont le duc de Bourgogne, Charles le téméraire. Informé de ces « machinations et conspirations », Louis XI assigne en 1476 son oncle devant le parlement de Paris pour y répondre du crime de lèse-majesté. Des négociations menées à Pertuis et à Lyon la même année calment le jeu. La saisie de l’Anjou et du Barrois est levée. D’autres tractations se déroulent à Châtellerault avec Charles du Maine qui renonce à l’Anjou au profit du roi de France. Mais, contrairement à une tradition historiographique bien ancrée, aucun accord, public ou secret, ne promet la Provence à Louis XI.
24René meurt le 10 juillet 1480. Ses entrailles sont déposées devant l’autel de la chapelle qu’il avait fait construire dans l’église du couvent des carmes d’Aix. Sa dépouille prendra le chemin d’Angers où, selon ses dernières volontés, son corps doit reposer à la cathédrale tandis que son cœur est destiné au couvent des cordeliers.
25Charles III fait dans l’été son entrée dans les principales villes du comté. Le 8 novembre, il réunit les états à Aix. À leur requête, il abolit les droits de douane et s’engage à ne lever aucun impôt sans l’assentiment des états, il supprime le juge des crimes, le maître des ports, le général des finances et quelques autres offices créés par René en rupture avec la coutume du pays. Il accepte l’institution de procureurs du pays désignés par les états, que Louis III et Yolande avaient refusée. Comblés, les états prêtent serment de fidélité au nouveau comte et lui allouent un généreux don gratuit.
26Au printemps 1481 se dévoilent les revendications de René II, duc de Lorraine, petit-fils du roi René. Il s’assure les services de quelques chefs de bande, le Bourguignon Jean de Tinteville et le Basque Menaut d’Aguerre. Il trouve un petit nombre de complicités dans la noblesse provençale auprès de Raimond d’Agout, seigneur de Cipières, et de son oncle Fouquet d’Agout, seigneur de Sault. Parties du Comtat, les troupes du parti lorrain s’emparent de Carpentras, de Manosque et de Forcalquier et tiennent le nord du comté. Quelques seigneurs favorables à René II lancent en outre des escarmouches à l’est, dans la viguerie de Draguignan. Louis XI, qui veut faire échec au duc de Lorraine, envoie des troupes en Provence en juillet. Ces renforts permettent à Charles III de briser la rébellion au début du mois d’août.
27Victorieux, le comte tombe malade à Marseille où il s’est installé. C’est là qu’il dicte son testament, le 10 décembre. Il y institue comme légataire universel Louis XI et, après lui, le dauphin Charles et ses successeurs, non sans leur recommander de conserver tous les privilèges, droits, franchises et statuts du comté et d’en maintenir les coutumes.
28Charles III meurt le 11 décembre. Le 19, Louis XI désigne Palamède Forbin comme gouverneur de la Provence et le munit de lettres patentes lui permettant d’adopter toute disposition pour prendre possession des terres dont il vient d’hériter, et de « donner provision au régime, gouvernement et administration d’icelles », faisant de lui un véritable vice-roi.
29Arrivé en Provence dans les premiers jours de janvier 1482, Forbin réunit le 15 janvier à Aix les états qui lui soumettent une longue série d’articles définissant les conditions de l’union de la Provence à la France. Le roi de France n’est reconnu comme souverain qu’en vertu de son titre de comte de Provence. La Provence conserve ses institutions et sa procédure judiciaires. Le roi confirmera tous les privilèges accordés par les précédents comtes et devra respecter la règle de l’indigénat dans l’attribution des offices. Forbin accepte ces chapitres sous serment et promet de les faire ratifier par Louis XI. C’est ce texte qui, baptisé improprement « constitution provençale », va transmettre à l’époque moderne une vision idéalisée de la Provence médiévale.
30Des cinq princes qui ont gouverné la Provence entre 1380 et 1481, le légendaire historique n’a retenu que la figure du roi René, idéalisé à l’instar de la reine Jeanne et de manière tout aussi paradoxale. Le mythe du « bon roi » s’installe sous la plume de Nostradamus : « Sa bonté et sa magnificence royale lui avaient acquis le cœur de tous ses sujets, dont il mérita le nom de Bon ». Il se développe très tôt, en marge de la réalité historique, exaltant notamment la générosité d’un prince qui diminue ou abolit l’impôt lorsque les intempéries ou les excès du mistral ont provoqué de mauvaises récoltes. Il s’enrichit au XIXe siècle de l’idéologie de la Restauration et cristallise une vision idyllique de la Provence aux derniers temps de son indépendance, clôturant par un véritable âge d’or l’histoire médiévale du comté.
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