Chapitre 4. L’installation des Capétiens 1245-CIRCA 1265
p. 147-180
Texte intégral
Le comte est mort et j’ai ferme espérance qu’il se trouve avec Dieu, dans la joie et le contentement. Quant aux Provençaux, ils vivront d’une existence pire que le trépas.
Trad. M. Aurell, La vielle, op. cit., p. 143-144.
1La complainte attribuée à Peire Bremon Ricas Novas prédisait, à la disparition de Raimond Bérenger V, de sombres lendemains à ses sujets. Sa mort, le 19 août 1245, précédait de quatre ans celle de Raimond VII, le 27 septembre 1249. Les deux décès marquaient la fin presque simultanée des deux grandes dynasties « indigènes », les maisons de Barcelone et de Toulouse, qui avaient longtemps tenu le pays. Les Capétiens leur succédaient de plein droit, selon eux, mais non sans susciter des résistances. Pourtant, s’ils recoururent à la force, ils reçurent aussi des ralliements volontaires.
Les règlements successoraux
2Autour de 1200, l’appellation de royaume d’Arles, ou d’Arles et de Vienne, apparaissait pour désigner le vieux royaume de Bourgogne. La voie de la Saône et du Rhône lui appartenait. Il donnait accès aux défilés des Alpes et aux ports de la Méditerranée, donc en Italie. Il représentait un chemin pour la croisade. Or, l’espace provençal concentrait ces enjeux géopolitiques. Qui y imposerait son autorité disposerait d’une position clef en Occident. L’ébauche d’une puissance publique par les comtes catalans avait accentué cette réalité. Elle avait éveillé l’intérêt des princes étrangers pour la Provence, ce cœur véritable du royaume d’Arles. Les flatteuses alliances matrimoniales conclues par Raimond Bérenger V, pour ses trois filles aînées, soulignent ce fait. Il avait marié Marguerite à Louis IX de France (1234), Aliénor à Henri III d’Angleterre (1236), Sanche au frère de ce dernier, Richard de Cornouailles (1244).
3À sa mort, il ne laissait que quatre filles. Dès son testament de 1238, il avait désigné sa plus jeune enfant, Béatrice, pour héritière. Il n’assignait que leur dot augmentée d’un legs aux aînées. La coutume de l’exclusion successorale des filles dotées l’autorisait à les écarter de la sorte. Il retardait le moment où il devrait s’accommoder des espérances d’un gendre sur ses domaines. Béatrice († 1267) restait célibataire au décès de son père.
La « grande dot provençale »
Tant que la grande dot provençale n’ôta pas la honte à mon sang, il valait peu, mais aussi ne faisait-il pas de mal. Là commença sa rapine, par la force et le mensonge.
Dante, Purgatoire, chant 20, v. 61-63.
4Adversaire obstiné de la maison de France, Dante prêtait ces paroles à Hugues Capet, dans la Divine Comédie. La grandeur des Capétiens ne partit pas de leur mainmise sur la Provence. Ces vers laissent entendre, néanmoins, le succès considérable, aux immenses conséquences pour l’Italie, que représenta le mariage de Charles Ier avec l’héritière du pays.
5La succession de Raimond Bérenger réveilla toutes les convoitises ou préoccupations. Raimond VII avait les meilleures raisons d’exiger la main de Béatrice de Provence. Le feu comte la lui avait à peine promise, lors du concile de Lyon (juin-juillet 1245), pour salaire de sa réconciliation. Cette union eût permis un rebond politique inespéré au comte de Toulouse. Il réclama son dû. Mais Innocent IV lui fit vainement attendre la dispense apostolique qu’exigeait la parenté entre les fiancés.
6Frédéric II manifesta une fois de plus sa vigilance. Il ne pouvait négliger la Provence ni comme territoire méditerranéen, quand son pouvoir était avant tout maritime, ni comme porte de l’Italie. Un souci immédiat s’ajoutait. Il fallait chasser du royaume d’Arles la papauté. Celle-ci dirigeait depuis Lyon son implacable combat contre l’empereur. Innocent IV et le concile venaient de publier dans cette cité sa déposition (17 juillet 1245). Frédéric désira donc que Béatrice épousât le roi de Germanie Conrad IV, son fils et successeur désigné. Il adressa une ambassade, appuyée par l’envoi de vingt galères sur les côtes de Provence (septembre-octobre 1245).
7Le roi d’Aragon Jacques le Conquérant, proche parent du défunt, se manifesta également. Jusque-là, il s’était montré peu enclin à se mêler des affaires provençales. La croisade albigeoise avait brisé l’expansion barcelonaise au nord des Pyrénées. Mais l’intervention de Jacques Ier avertit d’un dynamisme catalan, que nous retrouverons bientôt. Il ne pouvait oublier l’un des principaux domaines de sa maison. Le testament de Raimond Bérenger reconnaissait à sa dynastie quelque droit sur le comté, par des substitutions d’héritier à son avantage. Le devenir de la Provence avait de trop lourdes conséquences, sur les communications maritimes et la progression de la monarchie française, pour ne pas ne s’en inquiéter. Jacques Ier menaça Aix avec des hommes d’armes, soit pour imposer comme mari l’un de ses fils, Pierre, soit pour appuyer la candidature de Raimond VII.
8Même Henri III d’Angleterre se mêla de la question. Cette préoccupation n’était que la suite logique de son mariage et de celui de son frère avec des filles de Raimond Bérenger. Remarquons que ces unions suivirent celle de Saint Louis avec leur sœur aînée. Au revers du royaume de France, le royaume d’Arles constituait un enjeu sérieux pour la défense des possessions continentales anglaises, alors assez précaires. De surcroît, Henri III aspirait à une grande politique, tournée vers l’Italie et les terres d’empire. Richard de Cornouailles se trouva élu, en 1257, roi des Romains (en concurrence avec Alphonse de Castille). En conséquence, le roi d’Angleterre gardait un œil attentif sur la Provence. Une ancienne dette de son beau-père lui laissait, en 1256 encore, quatre castra en gage. Lors du mariage de Charles Ier, il voulut exploiter le défaut de paiement des dots d’Aliénor et de Sanche. Il prétendit inutilement que le pape interdît au Capétien de prendre possession du comté.
9Innocent IV et Louis IX réglèrent assurément la question du comté de Provence lors de l’entrevue de Cluny, de fin novembre-décembre 1245. Aussitôt, le roi de France envoyait des troupes. Charles suivait bientôt, avec une armée. Pour sa part, il se voyait promptement muni, par le pape, d’une dispense de mariage au quatrième degré. Il épousait Béatrice le 31 janvier 1246. Sa réussite manifestait l’entente entre la monarchie française, la papauté et, aussi, la cour aixoise.
10Le mariage continuait les alliances, avec le roi de France et avec l’Église romaine, léguées par Raimond Bérenger V. Il recevait l’assentiment des conseillers laissés par le comte pour assister son héritière (Romée de Villeneuve et Albeta de Tarascon), et de sa veuve. Quant au pape, ses buts s’opposaient diamétralement à ceux de Frédéric II. Il s’était installé à Lyon pour fuir l’étreinte de l’empereur, en Italie, et demeurer à portée d’un protecteur, le roi de France. Il avait également choisi un lieu stratégique, qui le plaçait au cœur de la chrétienté occidentale, sans le couper de cette même Italie. De longue date, en fait, la papauté avait compris l’importance du royaume d’Arles et voulu y affermir ses positions. Pour Innocent IV, il n’y avait pas de plus heureuse issue, à la succession ouverte, qu’une solution capétienne.
11La conclusion de l’affaire résultait, principalement, de la volonté du roi de France et manifestait sa force. Saint Louis trouvait l’occasion de poursuivre l’œuvre entreprise depuis Louis VIII. Son récent vœu de croisade (décembre 1244) démontrait et accentuait l’actualité d’une politique orientée vers les régions du bas Rhône. Avec son règne, la Méditerranée entrait pleinement dans l’espace politique de la monarchie française. Louis IX ne tolérait pas non plus que, par un remariage, l’incertain Raimond VII connût un regain de puissance. Il n’était pas acceptable qu’il risquât d’avoir un autre descendant que Jeanne de Toulouse.
L’usurpation du Venaissin
12Avec le décès de Raimond VII, les Capétiens parachevaient leur installation dans le Midi. Le comte de Toulouse ne laissait finalement pour postérité que sa fille Jeanne. Conformément au traité de Meaux-Paris de 1229, elle avait épousé Alphonse de Poitiers, frère de Louis IX et de Charles. En 1241, Alphonse avait reçu en apanage le comté de Poitou et la « terre d’Auvergne », ce qui le plaçait dans une excellente situation pour s’assurer des domaines de son beau-père.
13Le traité de 1229 comblait les espoirs placés en lui. À la mort de Raimond VII, Saint Louis, Alphonse et son épouse étaient absents, en raison de la croisade. Blanche de Castille fit prendre sans retard possession de l’héritage. Elle décidait, dès octobre 1249, l’envoi de trois commissaires qui reçurent les fidélités des habitants. Mais parmi les territoires au pouvoir de Raimond VII se trouvait son « marquisat de Provence », la « terre de Venissi » comme l’appelaient les Français. Elle soulevait un problème épineux. Le défunt comte l’avait reprise de force, en 1235-1236, aux dépens de l’Église. Il avait précisément agi au mépris du traité de 1229. Cette récupération avait toutefois bénéficié d’une certaine connivence de la monarchie française. Elle n’entendait pas abandonner, maintenant, cette portion de la succession.
14Innocent IV crut l’heure arrivée de recouvrer le Comtat Venaissin, devenu une position clef pour les projets de la papauté dans le royaume d’Arles. Il chargea le cardinal d’Albano, Pierre de Colmieu, de l’administrer. Celui-ci échoua face à la cautèle des commissaires français. Les envoyés de Blanche de Castille esquivèrent le conflit avec le représentant du pape. Ils mirent à l’épreuve Raimond Gantelme, seigneur de Lunel, un ancien sénéchal du Venaissin pour Raimond VII. Il servit fidèlement la cause d’Alphonse. Sa démarche officieuse permit de lui rallier la contrée. Peut-être avait-il habilement ranimé l’hostilité au pouvoir de l’Église des amis du feu comte.
15De son côté, Innocent IV publiait des bulles pour interdire aux prélats d’obéir à d’autres qu’aux représentants de l’Église et pour excommunier les usurpateurs du pays. Il lui fallut se résigner. Naguère, il avait fini par tacitement accepter la réoccupation du Venaissin par Raimond VII, pour se le ménager. Des considérations encore supérieures jouaient maintenant. Le pape avait trop besoin des Capétiens, dans sa lutte contre Frédéric II, pour se rendre importun.
16Au printemps 1251, Alphonse en personne paraissait dans le Comtat et recevait les hommages des seigneurs. Combinée avec celle de Charles Ier, sa venue en Provence répondait toutefois à d’autres urgences que de confirmer son succès sur une Église complaisante. La mort de Frédéric II (13 décembre 1250) avait libéré la papauté. Mais plus que jamais le clergé provençal espérait dans les princes capétiens.
La Provence rebelle
17L’affaire du Comtat Venaissin met en garde contre des simplifications abusives, quant aux attitudes politiques de la monarchie française, Saint Louis compris. Elle n’était pas l’aveugle « bras séculier » de l’Église romaine. On connaît l’opposition des conseillers de Louis IX aux interventions de la justice ecclésiastique en matière temporelle. Il n’approuva pas l’intransigeance d’Innocent IV envers Frédéric II. Plus tard, il plaida la modération en faveur de ses descendants.
18Il n’y avait pas, non plus, de vaste plan d’asservissement des sociétés méridionales, conduit avec méthode et malignité. Ainsi la royauté ne tentait-elle pas, après le traité de 1229, d’imposer la coutume de Paris dans ses nouvelles sénéchaussées du bas Languedoc, contrairement au temps de Simon de Montfort. Elle conservait au pays ses formes juridiques. À l’égard de l’Aragon, Saint Louis devait encore prouver son désir du compromis. Quant à Charles Ier, son ambition, certes effrénée, détournait son attention bien loin du Sud, en 1254-1256. Il profitait d’une querelle successorale sur les comtés de Flandre et de Hainaut, entre les Avesne et les Dampierre, en se portant à l’aide de ces derniers.
19Pour autant, ne repoussons pas les évidences. La dynastie du plus puissant souverain d’Occident s’enracinait à l’est du Rhône. Elle trouvait dans le parti de l’ordre et de l’Église un allié naturel. La seule pesanteur des faits eût suffi au renforcement de l’autorité princière et à son débordement sur les contrées voisines. Or, le dynamisme du pouvoir capétien était une réalité tangible. Charles Ier démontrait bien vite son insatiable appétit de conquête.
20Les puissances rivales voyaient se confirmer leurs appréhensions. Les territoires occupés, au premier chef, ne pouvaient ignorer les conséquences de la situation nouvelle. Il fallut dix-huit ans pour éradiquer l’opposition. Il est vrai qu’elle bénéficia d’un contexte qui favorisa d’abord l’indocilité.
Les défaillances de l’autorité
21« Plus on l’humilie, plus il se fait petit. » Telle était la surprenante raillerie que le troubadour Bertrand de Lamanon se permettait, en 1247, contre Charles d’Anjou. Sa conduite semblait toute de ménagement et de compromis. Il paraissait se satisfaire des soumissions intéressées qu’on voulait bien lui porter. Le troubadour-jongleur Granet lui reprochait de ne pas réagir contre les manœuvres du dauphin, en Gapençais, et l’apostrophait : « Seigneur, un puissant homme vit ici dans la honte quand il perd son bien et n’en est pas rancunier. »
22De son côté, l’Église s’essayait à la longanimité. Innocent IV, principalement, agit avec circonspection. Il ménagea longuement les Avignonnais et Barral de Baux, pourtant dressés contre l’évêque Zoen Tencarari. Il alla jusqu’à suspendre, en février 1249, la sentence du concile de Valence, de décembre 1248, contre les confréries, conjurations ou alliances, qui visait nommément les cités et leurs hommes, comme les barons. À partir de 1246, la bienveillance du Saint-Père fut sensible envers Marseille. Certes, la ville s’abstenait d’excès criants contre l’Église. Elle entrait également dans les calculs du pape. Débarrassé de Frédéric II, il s’y embarqua pour l’Italie, en mai 1251, alors que le Piémont lui était fermé. Indépendante de fait, Marseille représentait une puissance qu’il considérait. Bref, l’Église acceptait de plier, alors qu’elle ne tablait plus avec la confiance de naguère sur le comte de Provence.
23Après la mort de Raimond Bérenger, l’autorité comtale resta longtemps un sujet d’incertitude, à commencer pour son partage. Dans son testament, le feu comte accordait l’usufruit sur tous ses biens à sa veuve. Elle le réclamait maintenant de Charles. Le 9 mars 1248, il transigeait avec elle. Il reconnaissait à sa belle-mère des avantages qui l’affaiblissaient d’autant. Béatrice de Savoie conservait le douaire constitué par son époux : comté de Forcalquier et « bailliage de Gap » (c’est-à-dire de Sisteron). Elle tenait plusieurs seigneuries dans le reste du pays. Elle y percevait, de plus, un tiers des revenus, une fois déduites les dépenses d’administration et hors la quête au six cas. Ce coûteux arrangement était nécessaire pour Charles, qui se préparait à la croisade organisée par Saint Louis.
24Dans ses premières années, le pouvoir des Capétiens en Provence fut miné par leurs absences. Déjà, un « interrègne » de presque six mois avait suivi la disparition de Raimond Bérenger, répandant la confusion. À peine marié, Charles laissait le comté. Plus jeune frère de Louis IX, il n’avait pas été armé chevalier ni n’avait reçu d’apanage. Le 27 mai 1246, il se trouvait donc à Melun, où Saint Louis l’adoubait et lui confiait les comtés du Maine et de l’Anjou, contre son hommage.
25La croisade, surtout, entraîna une certaine vacance du pouvoir, ou en donna le sentiment. Accompagné de son épouse, Charles quitta Aigues-Mortes le 28 août 1248. Il resta au loin plus de deux ans. Alphonse, pour sa part, rejoignait ses frères à Damiette, le 24 octobre 1249. La mort de Raimond VII survint alors qu’il faisait route, avec Jeanne, vers l’outre-mer. Dès l’annonce de l’expédition, on jugea qu’elle interdirait à Charles Ier de défendre efficacement ses droits en Provence. Deux chansons de Bertrand de Lamanon n’en laissent pas douter. Dans l’une, il déclare qu’il paraît difficile que Charles conquière sur les Turcs et les Corasmins, quand il a le dessous parmi ses voisins. Dans l’autre, il demande si agit bien et adroitement qui veut réclamer aux Turcs ce qu’il perd ici.
26Certes, l’énergique conduite de la régente du royaume de France, Blanche de Castille, dans le règlement de la succession du comte de Toulouse devait inspirer le respect. Elle convainquit, apparemment, un personnage comme le redoutable Barral de Baux de venir à Melun faire sa paix, au 1er mars 1250. Cette soumission se révéla sans lendemain. La nouvelle de la capture de Saint Louis et de ses frères en Égypte (6 avril 1250) encouragea sans aucun doute l’insoumission. Charles et Alphonse ne repartirent qu’en août 1250 de Saint-Jean-d’Acre. Leur retour devenait une urgence pour réduire la rébellion dans leurs domaines provençaux.
Le front de la résistance
27Le succès de Raimond Bérenger V fut définitif sur les grands consulats de Provence orientale, Nice et Grasse, a fortiori sur le médiocre consulat de Brignoles. Envers ceux de Provence occidentale, plus puissants, il n’obtint que des résultats éphémères. Le consulat de Tarascon n’avait connu qu’une éclipse. Avec Avignon, le comte n’avait conclu qu’une alliance. Avant même son décès, son autorité s’effondra sur Arles et sur Marseille (j’entends la ville basse, celle de la commune). L’heure était à un rapide et vigoureux sursaut du mouvement d’émancipation urbaine.
28Marseille retourna sous la seigneurie de Raimond VII dès 1244. La commune voyait certainement en lui un plus sûr garant de son avenir. Le viguier qui le représentait dans la ville ne différait guère d’un podestat. La commune accepta, en mars 1246, d’adresser des ambassadeurs à Aix, pour reconnaître les droits de Charles Ier. Cette apparente docilité ne donna rien de concret. Marseille conserva le viguier du comte de Toulouse. Quand ce dernier décéda, elle revint au régime du podestat. Arles vécut une répétition des années 1235-1239. La confrérie se reforma. Les officiers de Raimond Bérenger furent remplacés, dès le début d’août 1245, par douze consuls. Huit avaient été activement mêlés aux anciens troubles. Une période de rapides mutations institutionnelles s’ouvrait. En 1246, cinq recteurs se plaçaient au-dessus des consuls. En 1247, les consuls disparaissaient et six recteurs dirigeaient la commune. Parmi eux se trouvait Pons Galhard, l’un des chefs de la confrérie de 1235-1238. En mars 1248, enfin, on leur substituait un podestat. Avignon vit également se reconstituer la confrérie, contre le gouvernement consulaire soutenu par l’évêque. À la suite de désordres, qui agitèrent la cité au printemps de 1246, elle imposait le retour au podestat.
29Dans Arles, la commune ne se contenta pas de reconquérir des magistratures. Pour la première fois, elle décida un élargissement considérable de son assise sociale. Elle pensait se consolider par ce moyen. C’est très probablement le sens de l’accord conclu, le 8 octobre 1247, entre les chefs des métiers et l’archevêque, Jean Baussan. À cette date, il gardait théoriquement sa place à la tête de la ville, mais il intervenait tant au nom des recteurs que du sien. Les chefs des métiers se voyaient associés au gouvernement de la commune. Ils accédaient au conseil, en la personne de six « semainiers » élus hebdomadairement, comme leur nom l’indique. De la sorte, les institutions arlésiennes se rapprochaient de celles de Marseille. Bientôt, le remplacement des recteurs par un podestat accentuait cette ressemblance. Le nouveau régime arlésien adoptait le modèle de la seule commune ayant durablement résisté à ses adversaires.
30Les communes manifestèrent leur emprise retrouvée ou sauvegardée (pour Marseille) sur la vie urbaine par d’importantes révisions des statuts municipaux. Ainsi faisait Avignon en 1246, Arles vers le même moment, et Marseille en 1253. Bien sûr, domptée par Charles en 1252, la ville basse devait adapter une partie de sa législation aux conditions du traité de paix. Le travail de classement et de mise au point effectué manifestait autant l’autonomie préservée. Que le pouvoir statutaire fût un symbole et un instrument de liberté, certaines dispositions adoptées à cette époque le montrent suffisamment. Avignon imposait au podestat le serment de donner aide et faveur à la confrérie. Arles édictait la peine de mort contre quiconque traiterait, publiquement ou en secret, de l’assujettissement de la ville. Dans une retouche aux statuts de 1253, Marseille s’efforçait de prévenir les complots contre la commune, notamment une trahison du recteur (qui remplaçait, en 1253, le podestat). Ces précautions préparaient, peut-être, une nouvelle lutte contre le comte.
31Les villes poursuivaient, plus résolument que jamais, un affranchissement total du pouvoir de leurs seigneurs. Pour Marseille, la tutelle de Raimond VII était légère. À sa mort, la ville basse connut une indépendance de presque trois ans. L’évêque Zoen Tencarari, le maître tout-puissant d’Avignon, n’eut d’autre issue que de quitter sa cité, dès 1246. Les Arlésiens commencèrent, vers 1246-1247, à s’en prendre aux prérogatives du comte et à ses gens. Ils assaillirent des serviteurs du sénéchal en Crau, sillonnèrent le Rhône et coururent les territoires voisins. Puis, ils poussèrent l’archevêque au départ. En septembre 1249, Jean Baussan se résolut à déserter sa cité.
32Les circonstances donnaient simultanément à l’aristocratie seigneuriale l’occasion de desserrer l’étreinte du prince et de l’Église. Dans son cas, également, les résultats de la politique de Raimond Bérenger V se révélaient fragiles. Il n’avait qu’estompé la dissociation du pouvoir. Un personnage comme Faraud de Thorame illustre l’atomisation de l’autorité que certaines régions du pays connaissaient toujours vers la fin du gouvernement de Raimond Bérenger et le début de celui de Charles. Ce modeste baron étendait sa domination sur une poignée de villages de haute Provence orientale : Entraunes, Saint-Martin-d’Entraunes et Piégut (sur l’actuelle commune de Thorame-Basse). Néanmoins, la cour n’exerçait aucun droit chez lui. Faraud mobilisait ses chevaliers et ses hommes pour des guerres de voisinage dans les vallées du Var, du Verdon, de l’Ubaye ou de la Stura. Un témoin décrit fort bien la situation : « Il a vu trois ou quatre fois le seigneur Faraud […] faire la guerre à ses ennemis avec les susdits chevaliers, personnes chevaleresques, caslans et autres hommes de ces villages […]. Interrogé contre quels ennemis, il a déclaré : contre les hommes de Bersezio, de Faucon, de Sauze, et contre certains hommes de Thorame. »
33Au milieu du XIIIe siècle, la guerre privée demeurait ordinaire. Il n’en allait pas autrement en basse Provence. Une telle « liberté » ne touchait pas la seule haute aristocratie. Une clause de la capitulation d’Avignon, en 1251, entre les mains de Charles Ier et de son frère Alphonse, apprend la généralité de cet usage. Les vainqueurs autorisaient tout citoyen de la ville « à aider en guerre n’importe quel ami », sauf contre eux.
34Vers 1252, Charles Ier ordonnait une enquête sur ses droits, supposée s’étendre à toute la Provence. Elle confirme combien le contrôle du territoire, par le pouvoir comtal, restait imparfait. Elle ignore le comté de Forcalquier et le bailliage de Sisteron, aux mains de Béatrice de Savoie. Marseille, bien sûr, n’apparaît pas davantage. Les agents de Charles Ier s’abstinrent encore d’investigations dans des pans entiers du pays. Ce fut le cas sur les bords de l’étang de Berre, dominés par les Baux. Ajoutons que les enquêteurs oublièrent de même les possessions plus dispersées de Barral de Baux. En haute Provence, la zone de la moyenne vallée du Verdon et de son affluent l’Artuby, contrôlée par les Castellane, était pareillement négligée.
35La baronnie de Castellane, centrée sur le gros bourg de ce nom (plus de deux cents feux en 1278), s’étendait sur trente localités. À sa périphérie, dix-neuf autres lieux échappaient à l’enquête. En fait, les biens, donc l’influence, des Castellane se disséminaient sur les hautes terres des Préalpes de Digne aux abords de Barjols et de Draguignan, de la Durance aux portes du haut pays grassois (Thorenc).
36Au contraire d’un Faraud de Thorame, les chefs de certaines grandes familles continuaient de concentrer entre leurs mains une considérable puissance, confortée par celle de leur parenté. Aux côtés du maître de Castellane, retenons encore l’exemple de Barral de Baux. Seigneur du village des Baux et de domaines immenses aux environs, il leur ajoutait une très large partie de la Camargue et des droits sur Arles, Trinquetaille, Fourques et Saint-Gilles. Dans l’ancienne vicomté de Marseille, son patrimoine se répartissait sur une série de localités allant d’Aubagne au Castellet. La commune de Marseille lui devait une rente de trois mille sous royaux, souvenir de la coseigneurie de sa famille sur la ville. Il était solidement possessionné dans le Comtat Venaissin, avec une dizaine de localités, outre le mont Ventoux. Ses alliances le fortifiaient. Il avait épousé Sibylle d’Anduze, nièce de Raimond VII, et marié sa fille Cécile avec Amédée IV, comte de Savoie. Songeons, enfin, à sa parenté avec les Baux d’Orange, qui prétendaient à la couronne d’Arles. Or, la grandeur de Barral le rendait dépositaire des rancunes de sa maison. Ne se disait-elle pas frustrée de ses droits sur le comté de Provence ?
37Cette inquiétante aristocratie baronniale participa bientôt à des coalitions. Des seigneurs de haute Provence se groupèrent autour de Béatrice de Savoie, comme le célèbre troubadour Boniface de Castellane de Riez, qui héritait de la baronnie de Castellane en 1252. Forte de ses domaines dans le haut pays, et malgré l’accord de 1248 avec son gendre, la comtesse douairière animait un parti de mécontents. Toutefois, la rébellion s’était plus vite diffusée et durcie dans les cités de basse Provence occidentale. Leur audace révèle le poids que les villes représentaient désormais dans la société provençale. Ce fut l’alliance avec les communes qui donna aux révoltes seigneuriales leur tournure la plus alarmante. Car les barons séditieux, autre signe des temps, acceptèrent ce rapprochement. Barral de Baux se fit ainsi l’un des artisans de la grande ligue d’avril-mai 1247 :
Au nom de la sainte et indivisible Trinité. Pour l’honneur de Dieu et de la bienheureuse Vierge Marie, et pour le bon gouvernement des cités de Marseille, d’Arles et d’Avignon et du seigneur Barral de Baux et de tous ceux qui seront admis dans cette société, et pour la conservation des droits et franchises de ces [villes] et dudit seigneur Barral, que tous présents et futurs sachent que Hugues Audoard de Carreria Nova, syndic de la cité, communauté et université de Marseille […], et Bertrand Borgondion, citoyen d’Arles, syndic de la cité et communauté ou université d’Arles […], et Jordan d’Avignon, chevalier, et G. Magistre, syndics de la cité, communauté et université d’Avignon […], et le seigneur Barral de Baux, pour lui, ses héritiers, toute sa terre et ses hommes, ont véritablement établi de façon réciproque une union et société entre eux pour cinquante ans, de la manière qui suit, en se liant mutuellement par des pactes et des conventions :
[1] Ils ont convenu […] et ont promis que, pendant tout le temps de ces cinquante ans, lesdites cités, leurs communautés et ledit seigneur Barral s’aideront, se défendront et se sauveront réciproquement, de tout leur pouvoir et à leurs frais, dans leurs personnes et leurs biens. De même, ils se fourniront et se donneront conseil, aide, secours et appui contre toute personne publique ou privée, tout baron ou prince, et contre toute cité, communauté, tout village ou ville qui voudrait ou s’efforcerait d’enfreindre, d’ôter ou de diminuer les droits, libertés et franchises, et l’immunité de ces cités et du seigneur Barral, de sa terre et de ses hommes, ou de leur infliger des dommages, des injustices et des violences. [Il s’entend], toutefois, sans manquer au respect et à l’honneur de l’Église romaine et de l’empire, et sans préjudice du droit d’autrui […].
[6] De même, ils ont convenu que soient désormais effacés tous les dommages qu’auraient infligés, jusqu’à ce jour, l’une de ces cités ou ses hommes à une autre desdites cités ou à ses hommes, ou que ledit seigneur Barral aurait infligés à l’une d’elles, ou que l’une d’elles lui aurait infligés […].
[12] De même, ils ont convenu et ont promis […] au seigneur Jean, par la grâce de Dieu archevêque d’Arles, que lesdites cités et le seigneur Barral sauveront, garderont et défendront de bonne foi le seigneur archevêque Jean lui-même, ses droits et ceux de l’église d’Arles […].
[14] De même, ils ont convenu […] que la paix et la concorde soient conservées dans les lieux et districts de ces cités et dudit seigneur Barral […], de sorte que les marchands et les voyageurs aillent et puissent aller sans danger et en sécurité sur les voies publiques de ces cités et de la terre du seigneur Barral […].
[16] De même, ils ont convenu que la cité de Marseille tienne dans la cité d’Arles dix navires de course, pendant toute la durée de ces cinquante ans, dont chacun soit de cinquante rameurs, et que la cité d’Avignon en tienne autant chez elle […].
[17] De même, ils ont convenu que chacune des susdites cités tienne, pendant toute la durée des cinquante ans, cent chevaux armés [cavaliers lourds] en temps de guerre, et cinquante en temps de paix, et ledit seigneur Barral trente chevaux armés en temps de guerre […].
Éd. L.-H. Labande, Avignon, op. cit., p. 332-344. Traduction de l’auteur.
38La coalition fondée en 1247 survécut jusqu’au printemps de 1251. Elle constitua le principal péril pour la domination capétienne en Provence. Pour la première fois, les trois grandes communes parvenaient à s’unir. Elles joignaient leurs forces à celles du plus considérable seigneur de la région. Le traité montre que sa capacité militaire était réduite, comparée à celle des villes. Ceci aide à comprendre leur rôle moteur dans les révoltes. Cependant, Barral pouvait mobiliser le vaste réseau de sa parentèle et de ses amitiés. Le sire des Baux représentait encore un chef « naturel », selon les conceptions aristocratiques qui dominaient, y compris dans les villes.
39Le souci de la cohésion était, de fait, fort sensible dans les dispositions de l’alliance. Elle prétendait effacer ses querelles internes. Des clauses très précises créaient une active solidarité militaire entre ses membres. Enfin, l’entente serait confortée par un serment général : des hommes des cités, de Barral, et des hommes de sa terre. Bientôt, nous le savons, les institutions arlésiennes imitèrent celles de Marseille. N’y a-t-il pas là un indice du rapprochement des deux communes ? Le premier podestat d’Arles, en 1248, fut un Marseillais, Albert de Lavagne. Ensuite, Barral de Baux cumula la charge de podestat d’Avignon, qu’il exerçait depuis 1246, avec celle de podestat d’Arles. À ce moment, la ligue semblait parvenue à une véritable unité.
40Ceci correspondait aux ambitions que, dès l’origine, elle s’était fixées. La sédition de 1247 ne représentait pas une pure explosion « d’anarchie ». Le traité comportait des dispositions qui réglaient les relations commerciales et visaient à la conservation de la paix publique. Les coalisés reconnaissaient leur appartenance à des ensembles plus vastes, encore que flous : l’Église associée à l’empire. Ils affectaient de ne pas même mentionner l’autorité comtale. Leur conception du politique approchait d’une fédération de consulats et de seigneurs, chapeautée de loin par l’empereur, dans le respect des privilèges de chacun.
41Les alliés manifestaient leur respect pour l’Église romaine et promettaient leur aide à l’archevêque d’Arles. Ils proposaient, néanmoins, un « contre-modèle » cohérent de société, susceptible de rallier les mécontents face au programme mis en chantier par les prélats et le comte de Provence depuis Raimond Bérenger V. Pour l’essentiel, les griefs restaient les mêmes. Ils s’exaspéraient seulement sous le gouvernement des Capétiens. La ligue de 1247 indiquait la continuité du « gibelinisme » provençal, ainsi que les historiens l’ont qualifié. L’idée convient, bien qu’on n’usât jamais, en Provence, ni du mot de gibelin ni de celui de guelfe.
La grande subversion anticléricale
42Avignonnais puis Arlésiens ne se contentèrent pas d’abolir la seigneurie épiscopale sur leur ville. Une nouvelle explosion d’anticléricalisme fut la plus spectaculaire manifestation du réveil des communes. La révolte contre l’épiscopat prit une tournure brutale et radicale.
43Elle débuta par Avignon. Zoen Tencarari s’y refusait absolument à transiger. Ses biens furent pillés, ses seigneuries de Bédarrides, de Châteauneuf et de Barbentane dévastées. Un régime de terreur s’instaurait contre ses partisans. La vanité des efforts de coexistence avec la commune de l’archevêque d’Arles est toutefois plus instructive. Les bonnes intentions de la ligue de 1247, à son égard, firent long feu. Ses adversaires les plus acharnés l’emportaient. Ils se livraient à des excès pires qu’à Avignon. Des meurtres étaient commis. Avant qu’il ne se résignât à partir, Jean Baussan était gavé d’avanies, sans respect ni pour sa personne ni pour son état. Le 29 août 1249, le conseil prononçait contre lui un véritable interdit laïque. Il servit de coup de grâce :
Que personne d’Arles n’ose parler au seigneur archevêque, ni entrer dans son hôtel, ni encore lui rendre quelque service, à lui ou à son entourage ; et qu’on ne lui vende, ni ne donne, ni ne prête quelque chose, sans ordre du seigneur podestat, des semainiers et de ceux élus pour conseiller le podestat.
Éd. J.-H. Albanès, Gallia, op. cit., t. 3, Arles, n° 1127. Traduction de l’auteur.
44L’opposition des communes à l’épiscopat se vérifia vers la même époque à Marseille, encore qu’avec retenue. La ville basse empiétait dans la ville supérieure sur la juridiction de l’évêque, Benoît d’Alignan. Plus tard, en 1263, le prélat excommuniait ceux des Marseillais qui refusaient de payer les dîmes. La commune avait également mis l’embargo sur les navires des Templiers et des Hospitaliers.
45À Arles, il semble que les violences les plus graves les aient visés. La maison de Saint-Thomas-de-Trinquetaille, des Hospitaliers, était assaillie et quelques chevaliers assassinés. Des habitations appartenant au Temple étaient détruites. Les attaques contre les ordres militaires étendaient la lutte de la seigneurie épiscopale aux forces sur lesquelles elle pouvait s’appuyer. Elles s’inscrivaient dans une opposition générale à l’Église hiérarchique. Avignon n’interdisait pas que le paiement de ses revenus à l’évêque. On tarifait les oblations au clergé. Arles les prohibait. La commune d’Avignon prenait le contrôle d’établissements religieux. Les officiaux étaient persécutés dans les deux villes. Pour Avignon, la commune prétendit surveiller les activités de l’Inquisition. Tout le pouvoir et la richesse de l’Église se voyaient menacés.
46Ce radicalisme trouvait un encouragement dans un mouvement d’opinion contre le clergé, qui débordait des cités consulaires. La poésie lyrique le confirme. Un sirventes de Boniface de Castellane, composé vers 1252, dévoile sa virulence. Il dénonçait les projets du pape aux dépens de l’héritier de Frédéric II, Conrad IV :
Les faux clercs renégats veulent déshériter Conrad pour faire des largesses à leurs petits bâtards. Et ils maintiennent l’empire vacant par leurs méchants sermons et espèrent ainsi régner parmi nous.
Trad. M. Aurell, La vielle, op. cit., p. 211.
47L’avidité et l’appétit de domination du haut clergé étaient flétris. Au travers de Conrad, ils mettaient en péril tous les pouvoirs laïques. Cette ambition démesurée des fals clerge renegat correspondait à un état de péché, qui la rendait illégitime. Les blâmes du puissant sire de Castellane introduisent aux complexes ressorts de l’anticléricalisme provençal.
48La seigneurie ecclésiastique était rivale de la seigneurie laïque. Selon une pure tradition gibeline, le sursaut anticlérical unissait les classes dirigeantes, urbaines et seigneuriales, pour disputer à l’Église le gouvernement des hommes. Le conflit portait sur leur administration temporelle. Toutefois, il n’épargnait rien de ce qui faisait la puissance ou la réputation de l’Église hiérarchique. De la sorte, les élites laïques se faisaient les porte-parole de ressentiments plus communs. À cet égard, avarice et immoralité représentaient deux griefs majeurs et fréquents. La société provençale connut, en particulier, une résistance longtemps diffuse au système de détournement des richesses par le clergé, aux dépens des laïcs. La libération de cette forme d’exploitation représentait l’un des enjeux de l’insurrection.
49La véhémence des reproches suggère que la fièvre anticléricale trouvait un substrat spirituel favorable, qui stimulait l’impatience face au despotisme de l’Église hiérarchique et à ses exigences matérielles. L’influence des Mendiants se développait. Elle n’impliquait pas le refus de l’autorité ecclésiastique. Elle encourageait, pourtant, le courant d’évangélisme qui traversait la société provençale. Par-delà, des dérives hétérodoxes contribuaient à durcir la révolte.
50Dans Avignon, l’institution cléricale paraît parfois combattue dans son principe. Les saints mystères et les offices étaient perturbés ou empêchés, des prêtres malmenés en ces circonstances. Benoît d’Alignan, dans sa sentence d’excommunication de 1263, montrait des prédicateurs hérétiques à l’origine de la grève des dîmes de Marseille. Ils moquaient ceux qui versaient dîmes, prémices ou oblations aux clercs et aux églises. Ils déniaient donc au clergé le droit à un entretien matériel par les laïcs, ce qui mettait en cause sa spécificité dans la communauté chrétienne. En interdisant les oblations, la commune d’Arles avait montré la voie. S’étonnera-t-on que l’archevêque Jean Baussan dénonçât le leader à l’origine de cette mesure, le récidiviste Pons Galhard, comme « suspect de vice hérétique » ? Une certaine tolérance pour l’hérésie jusqu’à la tête des communes paraît se vérifier à Avignon, dans la bienveillance de la municipalité pour les prisonniers de l’Inquisition.
51À peine maîtres d’Avignon, Alphonse de Poitiers et Charles Ier avertissaient la population, dans leur ordonnance du 11 mai 1251 : « Que tous et chacun se gardent des hérétiques, vaudois ou autres, et qu’ils traquent et dénoncent ceux qu’ils connaîtront. » Quelques affaires d’hérésie à Monteux, à Avignon, à l’Isle-sur-Sorgue et à Marseille, poursuivies entre environ 1253 et 1264, années de reprise en main des régions du bas Rhône, complètent le tableau. L’accusation de valdéisme, explicite dans les cas de Monteux et de Marseille, s’accorde aux avertissements donnés, en 1251, par Charles et Alphonse.
52L’hétérodoxie persistait au milieu du XIIIe siècle en basse Provence orientale, et il s’agissait du valdéisme. On en relève quelques manifestations plus tard encore. La violence des troubadours dans la critique morale du clergé indique une sympathie potentielle de l’opinion pour la propagande vaudoise. Cette hérésie discrète et corroborée par de rares exemples concrets pose, cependant, le problème de sa place effective dans le soulèvement anticlérical. Plus qu’un progrès de l’hétérodoxie, il y eut une avancée de « l’imaginaire de l’hérésie » (Jacques Chiffoleau). La grand-peur de l’épiscopat le poussa à l’intransigeance face aux revendications urbaines. Selon une pratique éprouvée, l’accusation d’hérésie lui servit autant d’arme contre ses adversaires. Sa crainte légitima et renforça, enfin, la coopération avec les Capétiens.
53De leur côté, ils adhéraient volontiers à la « Sainte-Alliance » qui semblait si nécessaire. L’ordonnance de 1251 nous a montré Charles et Alphonse au service de la cause commune. Lors des affaires des années 1253-1264, leurs administrations intervinrent dans la poursuite de l’hérésie. Ils donnaient une efficacité nouvelle à la répression. En même temps, leur position matérielle et idéologique se confortait de la collaboration avec l’Église. Le péril d’un tel rapprochement n’échappait pas aux communiers. À Arles, la révolte contre les clercs fut, dans sa phase aiguë, une réaction contre la complicité entre l’archevêque et le pouvoir comtal. La situation de Jean Baussan se dégrada quand on le soupçonna de négocier « la paix » avec le sénéchal de Provence, c’est-à-dire la sujétion à Charles Ier. Attestée par des preuves plus tardives, l’entente des ordres militaires avec le nouveau comte n’est guère douteuse non plus. En réalité, la collusion entre l’Église et les Capétiens était prévisible avant de s’inscrire dans les faits. Le déchaînement de l’anticléricalisme s’enflait de la peur d’adversaires autrement redoutables que les clercs.
La tyrannie des nouveaux maîtres
54Charles et Alphonse venaient d’une monarchie parmi les plus évoluées du moment, et fort consciente des prérogatives du souverain. Dès les premiers temps, leur faiblesse passagère et relative ne les empêcha pas de manifester d’inquiétantes prétentions. Ainsi conservons-nous copie d’un « Cartulaire des albergues, des cavalcades, et de toutes les autres taxes que le seigneur comte possède dans le bailliage de Fréjus, ainsi que de [ses] terres, prés, moulins et fours ». Il est daté du 25 décembre 1246. Cette enquête systématique sur le domaine et les revenus comtaux fut donc conduite dans la première année du gouvernement de Charles. Et une telle entreprise n’avait aucun précédent en Provence.
55Cet inventaire constituait un premier essai pour l’enquête générale sur les droits et revenus du comte d’environ 1252. Malgré ses lacunes, elle traversa cette fois le pays de part en part. Le comportement des agents de Charles, leur efficacité et leurs tracasseries se lisent en filigrane dans le texte. Ils s’arrêtaient dans les principales agglomérations. Les témoins des localités environnantes y convergeaient, pour déposer sous serment. Cependant, les enquêteurs ne se contentaient pas toujours d’affirmations orales. Ils demandaient l’origine de certaines prétentions. Ils voulaient voir les actes qui les fondaient. Ils en dénonçaient l’absence : « Pourtant, ils n’ont pas de privilège ». D’autre part, certains témoins se révélaient acquis au comte. Pour Saint-Julien-d’Asse, l’évêque de Riez, manifestement lésé, protesta qu’ils n’étaient pas dignes de foi. On connaît pourtant la bienveillance des prélats pour Charles Ier. L’exactitude de la nouvelle administration aboutissait certainement à bien des appropriations, sous le prétexte de récupérations, d’autant qu’elle s’appuyait dès ce moment sur des conceptions précises quant aux droits comtaux. Et il n’en alla pas autrement dans le Comtat Venaissin. Alphonse dépêcha ses commissaires, qui dressèrent l’enquête domaniale de 1253-1254.
56Comme l’a montré Martin Aurell, le sirventes : Gerra e trabailh e brega.m plaz, composé en 1260 par Boniface de Castellane, donne la clef de l’opposition seigneuriale :
La guerre, le trouble et la mêlée me plaisent ; il me plaît de voir l’arrière-garde ; il me plaît de voir les chevaux armés ; il me plaît de voir assener de grands coups au point que la terre en semble arrachée. Mon cœur et mon esprit sont tels que, pour ce qui est des procès, j’en sais chaque jour moins. Cela m’ennuie de voir ces avocats aller en si grand équipage, et je déteste le conseil des prélats, car jamais je n’y vis d’homme joyeux : quand quelqu’un leur apporte son droit, ils disent que cela ne vaut rien et que tout, en vérité, appartient au comte.
Trad. M. Aurell, La vielle, op. cit., p. 271-273.
57La date trop tardive de cette chanson ne permet pas de la considérer comme un pamphlet direct contre l’enquête d’environ 1252. Son intérêt n’en est qu’accru. Il s’agit d’une dénonciation de portée générale d’un mode de gouvernement, dont l’enquête ne fut qu’une manifestation. Le baron-troubadour s’insurgeait devant le triomphe de l’avocasserie. Il dévoilait un désaccord fondamental, au sens propre, entre État et seigneurs. Ceux-ci n’avaient pas à rendre raison pour leurs possessions. Le leur demander constituait, à lui seul, un attentat sur leur première « liberté », le privilège par excellence, celui d’échapper aux règles ordinaires du droit. Les prérogatives des barons reposaient, en dernière analyse, sur le monopole de la violence. Le déploiement de la force leur suffisait comme unique justification. En leur déniant cette faculté fondatrice, le prince brisait leur identité et, par mimétisme, celle de toute l’aristocratie militaire. Il détruisait du moins sa personnalité rêvée. Elle éprouvait le sentiment d’un bouleversement de l’ordre des choses.
58Bertrand de Lamanon exprimait cette douleur, vers 1260 : le « siècle » a changé, « la glace » a remplacé « les fleurs des prés ». Derrière ces considérations idéologiques, la colère pour la pure et simple perte de revenus se dissimulait. Le même troubadour la laissait éclater dans un sirventes d’environ 1262, De la ssal de Proensa.m doill. Il protestait contre la gabelle du sel. Elle le privait sans doute, comme d’autres chevaliers arlésiens, de ses profits sur les salins de Camargue.
59Organisé en 1259, le monopole du sel représenta la mesure fiscale la plus fructueuse imposée par le nouveau régime et, peut-être, la plus désagréable. Elle ne fut, toutefois, qu’un aspect d’une vaste réorganisation des revenus comtaux. Inscrite dans la longue durée, cette politique déborde le cadre du présent chapitre. Néanmoins, les enquêtes de 1246 et d’environ 1252 apprennent son caractère méthodique dès les origines.
60Une brutale multiplication des demandes du prince marqua les vingt premières années du gouvernement angevin. La croisade de 1248 donna déjà l’occasion d’une quête. C’était, au vrai, un cas reconnu de la quête comtale. À son tour, la capture en Égypte entraîna une quête pour le rachat du comte. Cette fois, elle n’entrait pas dans la coutume. La circonstance permit de faire de la rançon un cas supplémentaire de quête générale, et d’étendre la levée de cette imposition sur des localités jusqu’alors exemptes. Au cœur des années 1260, les exigences se multiplièrent. L’expédition de Sicile en fut la cause au moins principale. Étant une croisade, elle permit, semble-t-il, une nouvelle levée de la quête générale. Surtout, Charles Ier ne recula pas devant les exactions extraordinaires : emprunts forcés, réquisitions d’avoine ou de cavaliers lourds (« chevaux armés »), « quête faite pour les chevaux armés », afin de racheter cette obligation militaire. Le clergé acquitta, lui, la décime accordée pour trois ans (1264-1267) par la papauté. En outre, Charles pratiqua un affaiblissement graduel des monnaies (1263-1267), qui l’aida à financer sa politique. L’astuce n’était pas indolore. Elle lésait les créanciers et les détenteurs de revenus fixes : clergé, aristocratie, patriciat urbain.
61Décidément, les classes dirigeantes provençales voyaient se confirmer leurs appréhensions. Au milieu des années 1260, le comte donnait libre cours à ses appétits, maintenant que l’opposition était mâtée. Mais il n’avait pas été nécessaire d’attendre des mesures d’exception pour comprendre l’efficacité financière de la nouvelle administration.
62Dans son sirventes contre la gabelle, Bertrand de Lamanon pouvait à juste titre comparer les gens du comte à un « pressoir », image qu’il empruntait à Boniface de Castellane. Bien entendu, la politique fiscale de Charles Ier touchait peu ou prou l’ensemble des Provençaux et, sans aucun doute, plus sévèrement les humbles. L’élite sociale se donnait le beau rôle en protestant au nom de tous. L’avertissement lancé par le troubadour Granet reflète cette volonté : « Seigneur comte, gardez les Provençaux de la force de tous vos baillis qui donnent à tort beaucoup d’ordres durs. Mais tout est juste, s’ils en tirent de l’argent ! ». En fait, les protestations exprimaient pour une part la déception d’une aristocratie qui ne se voyait plus associée par le pouvoir comtal, au même degré que naguère, aux profits du régime.
63Autour de 1252, Boniface de Castellane reprochait à Charles de croire au « conseil de petites gens » (conseilh menut), donc méprisables. Attribuer les fautes du prince à ses auxiliaires tenait du poncif. Dans les accusations portées contre les « baillis » ou les conseillers de Charles Ier, il faut voir, avant tout, des preuves supplémentaires de la précoce activité des officiers comtaux. S’ajoutait, toutefois, une tenace rancune contre des nouveaux venus et des hommes jugés infâmes, qui assistaient maintenant le comte.
64Bertrand de Lamanon concluait sa dénonciation de la gabelle sur une violente attaque contre les juifs. Les associant aux méfaits de ce monopole, il exhortait les « barons indolents » à les chasser. Le cas de Sisteron confirme que l’hostilité contre Charles Ier s’accompagna de démonstrations judéophobes. Vers l’époque où il annexa la ville aux dépens de Béatrice de Savoie, il y eut des troubles. On tua des juifs. Nous ignorons, il est vrai, le mobile du pogrom. Dans les statuts donnés à la Provence vers 1266, la question de la participation de juifs à l’administration se trouvait cette fois clairement évoquée : « Que nul juif ne soit nommé bailli ou officier, ni qu’il ne soit donné à l’un d’eux un tel pouvoir contre un chrétien. Ils peuvent être conseillers des officiers ». Or, ces ordonnances visaient une forme de réconciliation avec les Provençaux. L’emploi de juifs marquait le progrès d’une logique du prince. Sa supériorité lui permettait d’imposer, à des sujets rétifs, les auxiliaires qui lui convenaient. Par ailleurs, ces exclus apportaient à Charles, dans un pays en partie contraire, un gage de loyauté. Rien ne permet d’estimer, cependant, leur place parmi les serviteurs du nouveau comte.
65En revanche, il n’y a pas de doute que des étrangers à l’avidité réelle ou supposée, en tout cas d’une redoutable compétence, prirent le contrôle de l’administration provençale. Charles et Alphonse puisèrent dans un vivier commun d’officiers « capétiens ». Hugues d’Arcis offre un exemple remarquable de cette pratique. Bailli de Louis IX, il dirigea le célèbre siège de Montségur. Par la suite, il devint sénéchal de Provence pour Charles Ier (1251-1253) puis, en 1254, sénéchal de Toulouse et de l’Albigeois pour Alphonse. Il était certainement parent de Jean d’Arcis, sénéchal pour Alphonse du Rouergue, puis du Venaissin (1253-1266).
66Un cas justifie encore qu’on s’y arrête, celui d’Alain de Lusarches. Il apparaît, en 1252, comme chanoine de Lusarches, clerc et notaire du comte Charles. Il devenait évêque de Sisteron, en 1257, manifestement avec le soutien de son puissant protecteur. Jusqu’à sa mort (1277), il resta son homme de confiance en Provence, son représentant de fait. Cependant, le personnage avait de la famille. Nous voyons prospérer dans le comté un bon nombre de Lusarches, sûrement de sa parenté. Nous pouvons citer Henri, chanoine de Chartres et chapelain du comte. Matthieu fut évêque de Riez (1273-1288). Nous rencontrons, auprès de celui-ci, son neveu Jean et un autre Lusarches, du nom de Baudouin, chanoine de la cathédrale. Un Renaud de Lusarches fut châtelain de Forcalquier, un maître Pierre de Lusarches, gabeleur comtal aux Saintes-Maries.
67Alain de Lusarches avait remplacé, sur le siège de Sisteron, le dominicain Humbert Fallavel, conseiller de Béatrice de Savoie, indubitablement poussé à la résignation. Dans l’administration comtale, les Français ne se contentaient sans doute pas, non plus, des places vacantes. Ceux qui avaient servi Raimond Bérenger V subissaient des vexations. Le fait est manifeste pour son entourage catalan. Chacun connaît la disgrâce de Romée de Villeneuve, encore que l’affaire demeure mal éclaircie. Après sa mort (1251), Charles Ier éleva des revendications sur les biens considérables qu’il laissait. Au temps de sa splendeur, il avait servi ses intérêts avec ceux de son maître. Les agents du comte mirent la main sur plusieurs de ses terres. La cour reçut, de la sorte, Villeneuve-Loubet et Cagnes. Probablement catalan, lui aussi, Guillaume de Revenga avait exercé un pouvoir considérable dans la Provence alpine. Certainement congédié, il devenait l’un des chefs de l’opposition au nouveau comte, dans le haut pays.
68Les fidèles de France, de la France du Nord, recevaient les positions clefs. Des treize sénéchaux que Charles employa, les onze premiers furent Angevins ou Français. Son chapelain, maître Philippe, se retrouvait archevêque d’Aix en 1251… Il serait aisé de montrer également un nombre appréciable de Français à des postes moins en vue, mais névralgiques. Alphonse n’agit guère autrement. Jusqu’en 1253, Raimond Gantelme, presque un indigène, demeura sénéchal du Venaissin. Il n’y eut aucun autochtone parmi ses quatre successeurs.
69Boniface de Castellane dénonçait, vers 1262, « ces Français » qui « ne laissent pas même leurs braies » aux Provençaux. Devant les avanies, l’hostilité aux « envahisseurs » prenait quelquefois des accents de résistance « patriotique ». Née dans le sillage de la croisade albigeoise et des luttes de Raimond VII, la francophobie restait enracinée dans les villes de Provence occidentale. Les Arlésiens reprochaient explicitement à leur archevêque et à ses familiers de se rapprocher des « Français ». Ces manifestations de refus ne suffisent pas, néanmoins, à démontrer l’émergence d’un authentique sentiment national. Elles demeurèrent fugaces. La Provence ne connut pas d’insurrection générale, au nom de valeurs communes. Il y a mieux. Dans la première moitié du XIVe siècle, les habitants du haut pays ne savaient pas tous qu’ils étaient Provençaux.
70L’hostilité aux « Français » exprimait un seul sentiment certain. La seigneurie des Capétiens n’était pas légitime. D’autres avaient plus de droits sur la contrée.
Des attentes déçues
71Pendant les deux premières décennies du gouvernement capétien, la Provence continua de préoccuper les puissances étrangères. Ses habitants en avaient pleine conscience. L’opposition aux Capétiens en conçut de vaines espérances.
72Les troubadours manifestaient une vive attention pour les questions internationales, principalement pour les affaires impériales et italiennes. Pour l’essentiel, ils montraient leur attachement aux idéaux gibelins. Après la mort de Frédéric II, ils se préoccupaient de la vacance de l’empire. Nous avons vu Boniface de Castellane la déplorer, vers 1252, et afficher sa sympathie pour le roi des Romains, Conrad IV. Plus tard, Paulet de Marseille (à ce moment en exil) et Raimond de Tors, également marseillais, célébraient Manfred, fils bâtard de Frédéric II.
73Profitant du décès de Conrad (1254), il était devenu roi de Sicile, en 1258. Il finissait par devenir, en Italie, le chef des « impérialistes » ou des nostalgiques du régime des Hohenstaufen (la maison de Frédéric II). Une propagande gibeline se développait à son sujet : Les mots de guelfe et de gibelin se généralisèrent plus tard en Italie, mais les concepts conviennent dès ce moment, et plus encore qu’en Provence. Les amis de Manfred voyaient en lui l’incarnation des vertus aristocratiques. Ils dénonçaient les manœuvres de l’Église et sa collusion avec Charles Ier, qui le menaçaient. Nos troubadours reprenaient ces thèmes.
74On ne doutera pas de la longue survivance de sentiments pro-impériaux dans une partie de l’opinion provençale. Un incident survenu en 1276/1277 mérite qu’on le rapporte. À l’occasion d’une rixe entre les habitants de Lamanon et ceux de Salon, ces derniers auraient attaqué aux cris de : « Allemagne ! Allemagne ! Vive l’empereur ! Vive ! Nous avons un bon seigneur ! ». Toutefois, le statut particulier de Salon, fief impérial de l’église d’Arles, pouvait inspirer ces paroles ou les rendre plausibles. Car n’oublions pas qu’elles furent consignées dans les accusations portées par les gens de Lamanon.
75La ligue de 1247, en revanche, comptait expressément sur le soutien de Frédéric II, se donnant les allures d’une « ligue lombarde » inversée. Elle ne se reconnaissait pas seulement partie intégrante de l’empire. Une clause envisageait l’arbitrage « de celui qui représenterait l’empire dans ces contrées ». Des sources narratives relatent l’activité souterraine d’agents de Frédéric II presque jusqu’à sa fin. Une base réelle à ces assertions est vraisemblable. Quelques indices en convainquent.
76Il ne paraît pas que l’appui de Frédéric ait beaucoup apporté aux rebelles. Après sa mort pourtant, les Marseillais cherchèrent comme naturellement du secours auprès d’un candidat à l’empire, Alphonse X de Castille. La ville basse établit, en 1256, une alliance avec lui. Il ne représenta pour elle qu’une nouvelle illusion. Cela n’empêcha pas les insoumis de se tourner ensuite vers le « gibelin » Manfred. Avant que Charles ne devînt, en 1263, le prétendant presque officiel de l’Église au trône de Sicile, la rivalité au moins potentielle des deux princes existait déjà. Manfred devait s’inquiéter des premiers projets de la papauté d’offrir ce royaume à Charles (1252-1253), puis à Louis IX ou à l’un de ses fils. Autour de 1260, les intérêts de Manfred en haute Italie et en Méditerranée occidentale s’opposaient, de toute façon, de plus en plus manifestement à ceux de Charles Ier.
77Dès les environs de 1252, Charles avait un pied dans la Stura et la Maira. L’annexion de Cuneo, en 1259, ouvrait le temps de sa politique active en Piémont. Depuis les années 1240, il opérait sur les confins de la Rivière du Ponant. De son côté, l’activité de Manfred se combinait avec le rapprochement, en Italie septentrionale, des adversaires du comte de Provence, que l’expansionnisme angevin alarmait. Entre la formation d’un faisceau d’alliances autour de Manfred et d’un front anti-angevin et les séditions que connut la Provence, au début des années 1260, il n’y eut pas une coïncidence fortuite. En 1262, cependant, Charles et Gênes parvenaient à un accord opportun, quand la révolte grondait en Provence. Quant au soutien de Manfred, il n’offrit rien de concret aux factieux.
78Il n’y eut pas jusqu’au différend entre Charles et Béatrice de Savoie qui ne reflétât des enjeux internationaux. Pour riposte contre la captivité de son frère Thomas II de Savoie (novembre 1255), au pouvoir des Turinois et des Astesans, la comtesse douairière emprisonnait des marchands d’Asti. Or, Charles s’opposait à de telles représailles, qui nuisaient à sa politique piémontaise. L’affaire démontrait ses divergences d’intérêt, précisément en Piémont, avec la maison de Savoie. Béatrice ne reçut néanmoins aucun secours tangible de sa famille.
79Le seul appui de quelque fermeté aux révoltés provençaux vint d’Aragon. Jacques le Conquérant ne faisait pas de difficulté pour promettre à Louis IX, en juillet 1262, de ne soutenir ni Marseille ni Boniface de Castellane contre Charles d’Anjou, ni Manfred contre l’Église et ses ayants cause. Mais il y avait là un raccourci du système d’alliances que les Capétiens redoutaient. Louis IX voulait prévenir les conséquences du mariage de Pierre, fils aîné de Jacques Ier, avec Constance, fille de Manfred. Or, Pierre et son frère Jacques n’observaient pas la réserve de leur père. Ils continuaient de regarder vers la Provence. Le mariage de Pierre n’apportait pas qu’un appui potentiel à ses agissements. Il renforçait sa position idéologique, donnant une dimension gibeline aux entreprises catalanes. Après la mort de Manfred, Pierre apparaîtrait en héritier et en vengeur de celui-ci. En attendant, les Catalans entretenaient durablement de dangereux foyers d’opposition. Ils recevaient les faiditi (« proscrits ») de Provence. Bientôt néanmoins, le pays échappait définitivement à leur attraction.
La Provence pacifiée
Venant en Provence, lorsqu’il obtint le comté, Charles donc commença à faire justice dans le pays, châtiant les pillards, tuant les voleurs et rendant les routes sûres pour les marchands. Cependant, pour y parvenir parfaitement, il prit soin de tenir dans sa main toutes les forteresses de la contrée, afin qu’il n’y eût personne qui favorisât les brigands. En effet, ceux qui auparavant occupaient les châteaux s’associaient aux bandits qu’ils recevaient et gardaient là, les soutenant de toutes les façons. De plus, il replaça sous son autorité et soumit à son entière seigneurie Marseille, épuisée par les sièges et les guerres, elle qui était demeurée longtemps alors réfractaire et rebelle au feu comte.
Tommaso Tosco, Gesta Imperatorum et Pontificum, MGH, SS., t. 22, p. 520. Traduction de l’auteur.
80Le franciscain Tommaso Tosco da Pavia décrivait en ces termes, dans le dernier quart du XIIIe siècle, l’installation de Charles Ier en Provence. Il apprend la réputation d’énergie acquise par le nouveau comte dans la répression. Il offre, surtout, une interprétation de la politique de l’Angevin radicalement opposée à celle de ses adversaires. Instaurateur d’une société policée, il répondait aux attentes de beaucoup. Cependant, le chroniqueur insiste sur la punition des barons brigands dans une perspective apologétique. Le cas de Marseille rappelle que Charles et son frère Alphonse s’en prirent autant, ou davantage, aux consulats.
La répression
81Revenant de la croisade, Charles et Alphonse débarquèrent à Aigues-Mortes en octobre 1250. Ils ne s’arrêtèrent guère. Diverses missions, confiées par Louis IX, les appelaient vers le Nord. Ce n’était qu’un sursis pour les rebelles. Quand les deux princes revinrent au printemps, l’opposition se disloqua.
82Il n’y eut pas de véritable action militaire. L’investissement des cités et la manifestation de la force suffirent. Le 30 avril 1251, Arles capitulait, abandonnant les biens et droits de la commune aux mains de Charles. Le 7 mai, Avignon se soumettait de la même façon à Charles et à Alphonse, qui tiendraient la ville en coseigneurie. Barral de Baux ne se révélait pas plus opiniâtre. Il concluait une trêve avec Charles dès le 19 juin 1251. Il lui prêtait hommage le 19 novembre. Entre-temps, il avait promis de faire une guerre acharnée à Marseille, si elle ne cédait pas à son tour.
83Elle offrait seule un semblant de résistance. Elle finit par transiger, lors du traité d’Aix, le 26 juillet 1252. Les Marseillais prêtaient serment au comte, à la comtesse et à leurs héritiers, reconnaissaient leur seigneurie, partageaient avec la cour les revenus municipaux, fournissaient des chevauchées, recevaient un bailli et un juge comtaux. Néanmoins, la commune survivait et gardait une large sphère d’attributions.
84Charles se résolvait à une demi-victoire. Il laissait du champ à un redressement de l’opposition. Il s’absentait longuement de Provence, entre l’hiver 1252 et le printemps 1257. L’occasion était belle pour regimber. Les Marseillais renâclaient à appliquer le traité de 1252. En 1256, les adversaires de Charles se renforçaient dans le gouvernement de la ville basse. Ce fut à la même époque qu’elle complota avec Alphonse de Castille. Pendant ce temps, Béatrice de Savoie profitait des circonstances pour braver son gendre. Elle suivait une politique opposée à ses volontés dans l’affaire des représailles contre Asti. Mais ces nouvelles mutineries offraient au pouvoir comtal l’occasion d’un nécessaire durcissement.
85Béatrice dut consentir à un arbitrage, rendu par Louis IX le 6 novembre 1256. En échange de compensations pécuniaires, elle perdait à peu près tous ses domaines de Provence. Charles les annexait. Ceux des seigneurs du haut pays qui avaient soutenu la comtesse douairière rentraient dans l’obéissance. Il y eut dans la même période, nous le savons, une tentative de rébellion du consulat de Sisteron. À cette occasion, le château de la ville fut détruit. La révolte fit long feu. Il suffit à Charles de paraître pour obtenir la reddition de Marseille, préparée à cette extrémité par une révolution municipale. La commune livrait tous ses droits et possessions, par les Chapitres de paix du 2 juin 1257, comme précédemment Arles et Avignon.
86Pour l’heure, toutefois, la victoire du prince n’était pas définitive. Les mécontents redressèrent la tête, profitant probablement de l’absence de Charles, en 1261. En 1262, une union de tous les milieux hostiles au comte avait repris forme. Dans Marseille, la commune se trouvait restaurée. Hugues de Baux-Meyrargues, de la puissante famille de basse Provence, l’appuyait. La révolte s’associait à celle de Boniface de Castellane. Bien que nommément pardonné dans l’arbitrage de Louis IX de 1256, il animait une nouvelle rébellion dans le haut pays. L’aristocratie de cette région, domestiquée de fraîche date, y supportait impatiemment sa sujétion. Boniface se faisait particulièrement menaçant. Il avertissait, dans un sirventes, du sort des gens du comte qu’il rencontrerait : « Je les frapperai tant, que mon brand en sera sanglant et ma lance presque réduite à un tronçon ». Ce n’était qu’une rodomontade.
87À l’été, Charles Ier marcha sur Castellane. Boniface fuit, pour trouver refuge auprès de la maison de Barcelone. De son côté, Hugues de Baux ne suscita aucun soulèvement des seigneurs de basse Provence. Marseille, investie, s’inclina. Le traité du 13 novembre 1262 rétablissait, pour l’essentiel, les Chapitres de paix de 1257. Ils étaient toutefois aggravés sur quelques points. Le comte désarmait la cité, qui livrait ses arbalètes. En 1263, un complot des derniers irréductibles fut éventé dans la ville. Cette découverte entraîna une soixantaine d’arrestations, puis une série de décapitations, le 22 octobre 1264.
88La réduction de Marseille retentit bien au-delà du comté, si nous en croyons l’écho tant chez Tommaso Tosco que chez Jean de Meun. Ce dernier faisait l’apologie de Charles Ier dans le Roman de la Rose (v. 6732-37) :
Celui-ci dompta l’orgueil de Marseille et prit les têtes des plus grands de la ville, avant que le royaume de Sicile ne lui fût donné, dont il fut ensuite couronné [comme] roi et vicaire de tout l’empire.
89La soumission définitive de la ville basse faisait désormais du comté une base sûre pour les ambitions de l’Angevin. En Provence, seule Marseille avait approché de la puissance des grandes communes italiennes. Il n’y avait pas de résistance efficace sans sa participation. Sa chute signifiait, plus généralement, la fin de ces consulats urbains qui avaient représenté la principale force que le comte eût à redouter.
La maîtrise des agglomérations
90L’ère des communes provençales s’achevait. Charles Ier abolissait tous les consulats de quelque importance qui survécussent : Tarascon, Apt ou Sisteron. Parallèlement, un ample reflux des petits consulats commençait, toujours au profit du comte. Ce mouvement se prolongerait, lui, sur la longue durée. La chronologie et les circonstances de beaucoup de ces disparitions demeurent obscures. Cela ne change rien au sens de cette régression générale.
91Cependant, la préoccupation majeure de Charles était l’établissement d’une autorité sans partage sur les principales villes. Il y bornait les seigneuries ecclésiastiques, en même temps qu’il éliminait les consulats. Il faut dire qu’il trouvait une Église prête aux abandons. Elle payait le prix d’une alliance nécessaire, en particulier pour une pacification des cités, qui dépassait ses forces. L’archevêque d’Arles résignait ses prétentions sur la commune. À Avignon, le rigide Zoen Tencarari lui-même laissait se perdre sa légitime prépondérance sur la cité, à l’avantage de Charles et d’Alphonse. Les deux frères garantissaient, pour compensation, les libertés et possessions de l’Église.
92Les Chapitres de paix du 2 juin 1257 apportaient au comte, avec la ville basse, la partie la plus précieuse de Marseille. Le contrôle de l’agglomération exigeait néanmoins qu’il s’assurât des villes hautes, soumises à l’évêque et à son chapitre. Quelques semaines plus tard, le 30 août, il obtenait de l’évêque ses droits sur la ville épiscopale avec la haute seigneurie sur la ville de la Prévôté et de l’Œuvre du Siège de Marseille, c’est-à-dire sur la petite seigneurie du chapitre cathédral1. Si Saint-Victor conservait 1/6e de la Cité vicomtale (ville basse), celui-ci ne tarda pas à être racheté (1275).
93Je retiendrai encore l’exemple de l’évêque de Digne. Il détenait le castrum, bâti sur la hauteur de la localité, le modeste bourg relevant du chapitre. Dès 1257, il se résolvait à une sorte de pariage avec Charles sur ledit castrum. Comme ses confrères, il éprouvait certainement des difficultés avec ses hommes. Aux marges de la Provence, une telle situation conduisait, plus tard, à l’accord de 1281 entre Charles Ier et l’évêque de Gap.
94L’évêque d’Aix témoignait aussi de la complaisance de l’Église. Il cédait son domaine de Bormes, en 1256. Charles désirait cette fois s’approcher d’Hyères. Les confiscations de 1257, aux dépens de Marseille, apportaient Brégançon et la portion d’Hyères appartenant à la commune. Des conventions avec les seigneurs possessionnés à Hyères et à Toulon s’ajoutaient pour assurer la mainmise comtale sur ces villes relativement importantes.
95Au début des années 1260, constate Édouard Baratier, le comte contrôlait toutes les agglomérations de quelque poids. Parmi celles d’environ 500 feux ou plus (selon les estimations pour le début du XIVe siècle), hors Pertuis aux mains des Baux, seule une poignée de seigneuries d’Église lui échappait. Il n’en redoutait rien. Il s’agissait de Manosque (aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem), de Salon (à l’église d’Arles), de Riez (aux mains de son évêque), et de Valensole (à l’abbaye de Cluny).
96Sur les localités du domaine, l’administration comtale affirmait son autorité directe. Pour les communes supprimées, le tournant fut radical. Leur condition rejoignit le mode d’administration habituel des communautés d’habitants.
97Le nouveau pouvoir commençait par ruiner dans leur principe les consulats et la vie politique urbaine, comme fondés sur les serments communs et les ententes jurées. Parmi les premières mesures imposées à Avignon par Charles et Alphonse, se relève la prohibition de tout serment qui ne fût pas d’ordre strictement privé. Les serments politiques devenaient le monopole du prince. L’abolition des consulats s’accompagnait, de fait, d’un serment individuel des citoyens au comte (aux comtes, pour Avignon). Il garantissait le respect des conventions et la fidélité. Pour Marseille, selon les Chapitres de paix de 1257, il se renouvellerait même tous les cinq ans, et à chaque réquisition.
98Le pouvoir comtal confisquait également ce qui avait fait la force matérielle des communes. Contraintes de renoncer à leurs droits et possessions, les villes se trouvaient privées de leurs revenus domaniaux, seigneuriaux ou fiscaux. Avec leur patrimoine, ils passaient sous le contrôle du viguier ou du bailli comtal. Celui-ci restait seul responsable du gouvernement de la ville. Il dirigeait une administration locale entièrement aux mains du comte. Il dépendait de sa désignation, avec les principaux officiers. À son tour, il nommait les agents subalternes.
99Anciens consulats ou non, les communautés du domaine ne disposaient à l’ordinaire que de deux moyens d’expression. Elles se réunissaient à l’occasion en « parlement public », en assemblée générale de leurs membres. Toutefois, convocation et présidence revenaient aux officiers comtaux. Les parlements pouvaient encore nommer des « syndics » (représentants des intérêts d’une collectivité), mais temporaires et pour une affaire déterminée. Certes, Arles et Avignon conservaient un conseil restreint de citoyens, par-dessus le parlement. À Marseille, les deux conseils secret et général survivaient. Un comité de six citoyens composerait les nouveaux statuts. Un autre assisterait le viguier dans le choix des officiers et des conseillers. Mais ceci souligne que ledit viguier formait les conseils et commissions. Les conseillers d’Arles ou d’Avignon ne se désignaient pas autrement. En réalité, aucune institution indépendante ne subsistait.
100Que Charles Ier souffrît les libertés consulaires dans quelques localités ne modifie pas le bilan. Ces consulats ruraux n’exerçaient que de modestes prérogatives. Fondamentalement, il s’agissait des consulats alpins favorisés par Alphonse II et Raimond Bérenger V, comme instruments de leur politique dans le haut pays. L’autorité comtale les contrôlait. Plus manifestement, Digne faisait exception. Son castrum obtenait, en 1260, de premières franchises administratives. Elles n’entamaient guère, néanmoins, les pouvoirs du comte et de l’évêque, qui accordaient ensemble ces avantages. La récente participation de Charles à la coseigneurie sur la ville, aux côtés du prélat, constituait la grande raison de mesures qui tranchaient sur le reste de sa politique urbaine. Comme pour la fondation des consulats alpins, la bienveillance comtale confortait les progrès de sa domination. Ne négligeons pas toutefois cet indice sur la recherche d’un consentement.
Les prodromes du ralliement
101On souligne volontiers le poids des traditions capétiennes dans la conduite de Charles Ier et d’Alphonse de Poitiers, parfois avec malveillance. L’affirmation est évidente, mais réductrice. Les deux frères n’incarnaient pas des conceptions étatiques singulières. Charles ajouterait bientôt à son expérience l’exemple de « l’État modèle » sicilien. Le moindre paradoxe n’est pas de voir les adversaires provençaux du prince se réclamer des Hohenstaufen, représentants du système monarchique le plus oppressif de l’époque.
102Les Capétiens accompagnaient un mouvement de fond de l’histoire, favorable au redressement du pouvoir central, même en Provence. Ils continuaient l’œuvre de Raimond Bérenger V. Quant à ceux qui cristallisaient les espoirs des combattants de la liberté, ils n’agissaient guère autrement sur leurs propres domaines, dans l’affirmation de leurs prérogatives. Pendant la dernière partie de sa vie, Raimond VII renforçait activement son autorité en Venaissin. Dans son douaire, Béatrice de Savoie, que conseillait le juriste Robert de Laveno, ordonnait une enquête contre les nouveaux péages illicites (1253). Elle en abolit une dizaine. En 1248, elle recevait la donation du consulat de Saignon par ses membres, alors que l’évêque d’Apt était seigneur du lieu. (Il bénéficiait d’une rétrocession en 1254).
103La politique capétienne n’infligea pas en Provence un choc culturel aussi profond que le disent quelques sirventes. Elle s’adressait à un pays disposé à recevoir l’État. Dans l’ensemble, l’opposition provençale ne se montra point farouche, en dépit de sa durée. Parallèlement, la modération des Capétiens, dans la répression, est incontestable. Cette retenue apparaît surtout chez Charles Ier, qui soutint les plus longues luttes. En 1262, il accordait encore à Marseille une amnistie entière, étendue aux proscrits de la révolte précédente. Seul le complot de 1263 entraîna des exécutions capitales propres à terroriser. La clémence de Charles ne venait pas de sa miséricorde. La rationalité politique éclaire son comportement face à des adversaires pour beaucoup irrésolus, entourés d’hommes déjà ralliés.
104Le fait est patent dans les communes. Les rébellions, contre l’Église ou le pouvoir comtal, ne furent jamais des soulèvements unanimes. Elles revêtirent l’aspect de luttes intestines. Le traité constitutif de la grande ligue de 1247 apprend l’existence d’un groupe d’Avignonnais « bannis ou expulsés » de la ville, à la façon des cités italiennes. L’acte de reddition d’Arles aborde la question de « proscrits », qui avaient subi « de nombreux dommages […] infligés par leurs concitoyens sur leurs maisons et autres biens ». Il s’agissait de partisans de Charles. Au long de la progressive domestication de Marseille, on constate l’existence d’un parti du comte dans la ville basse. Au moins en 1252 et en 1257, son action fut décisive. Les Chapitres de paix de 1257 suggèrent de véritables combats de rue dans la ville, pendant les deux mois précédant sa chute.
105Certes, il faut voir dans ces discordes un effet de rivalités entre groupes sociaux ou entre clans, de l’aristocratie et du patriciat urbains, de nouveau comme en Italie. Les vendettes, entre grandes familles, sont bien connues dans la Marseille du milieu XIVe siècle. Précisément dans cette cité, l’opposition à Charles Ier ne reposa pourtant guère sur des solidarités claires. Les patriotes marseillais représentèrent assez largement l’éventail de la population : chefs des métiers, chevaliers, élite marchande. L’opulent homme d’affaires Jean de Manduel compta au nombre des conjurés de 1263, ce qui vaut aux historiens de conserver un remarquable ensemble d’actes commerciaux, saisis avec sa fortune. Mais le drapier Raoulin d’Aix, autre notable de premier plan, fut l’un des organisateurs de la capitulation de 1257. En revanche, le gendre de ce dernier perdait ses biens en cette circonstance. Il s’agissait de Guigues Ancelme, frère de Briton Ancelme, le chef de la rébellion de 1256-1257. Dans cette famille chevaleresque, on trouvait néanmoins des partisans du comte.
106Les raisons de résister coûte que coûte n’étaient pas si fortes qu’il semble. Le nouveau régime supportait aisément des franchises, implicites ou explicites. Il se montrait prodigue en privilèges, confirmés ou octroyés. Les consulats qui succombaient obtenaient de longues listes de libertés, insérées dans l’acte même de leur capitulation. Marseille jouit d’une complaisance exceptionnelle à cet égard. Et pour donner plus de force à ses assurances, Charles Ier appuya de son serment les traités de 1252, de 1257 et de 1262. Il décida que ses héritiers, les viguiers de Marseille et les sénéchaux de Provence jureraient de respecter les Chapitres de paix. La sollicitude comtale s’étendait jusqu’aux plus petits habitats avec, par exemple, les faveurs accordées à Néoules vers 1252.
107Le cas du castrum de Digne, en 1260, mérite qu’on y insiste derechef. La transaction conclue avec les habitants, par Charles Ier et l’évêque de la cité, constituait une charte de franchises collectives et individuelles de grande ampleur. Or, elle profitait à une communauté qui n’avait aucune tradition en matière de libertés. En réalité, beaucoup de villes ne voyaient pas leur situation se détériorer. Aix n’avait jamais accédé au rang de commune. Quant aux consulats définitivement abattus par Raimond Bérenger V, comme Nice, ils se trouvaient depuis longtemps ramenés à l’embryon de vie municipale qui devenait la norme.
108L’alignement des agglomérations jamais émancipées et des anciens consulats sur un type presque uniforme faisait comme une moyenne entre eux. À l’administration directe des villes par le prince, se combinait une certaine considération pour leurs particularités, leurs intérêts et les aspirations de leurs classes dirigeantes. Le modèle s’approchait de celui des « bonnes villes », en gestation dans le royaume de France. Dans l’ensemble, il le dépassait même.
109Les communes s’effaçaient, mais les communautés survivaient comme « universités » (universitates). C’est-à-dire qu’elles conservaient leur personnalité morale, ainsi que le confirme la latitude de nommer des syndics. Elles préservaient un minimum de pouvoir d’expression. Quant aux villes d’Arles, d’Avignon et de Marseille, où le viguier désignait des conseillers, la raison lui interdisait de s’abandonner à l’arbitraire dans son choix. D’ailleurs, pour Arles et pour Avignon, le conseil se composait à parité de bourgeois et de chevaliers. C’était son organisation traditionnelle. L’aristocratie et le patriciat arlésiens retrouvaient, de la sorte, un monopole perdu depuis 1247. Nous le voyons, en effet, il n’y avait plus de place pour les chefs des métiers. Ils disparaissaient également à Marseille. En bref, les élites sociales des trois grandes cités gardaient de leur influence et la garantissaient pour l’avenir.
110Les administrations urbaines subissaient, dans ces anciens consulats, des bouleversements moins radicaux qu’on ne le croirait. Diverses garanties subsistaient à propos des offices municipaux. Les citoyens des trois villes gardaient le monopole de certains d’entre eux. Mais l’autonomie administrative, somme toute modeste, ne représentait probablement pas l’essentiel. Quand même la liberté politique se perdait, ce préjudice ne menaçait pas les intérêts matériels. Les franchises portaient avant tout sur eux. Les promesses d’avantages individuels dominaient. Elles satisfaisaient les sujets, sans entretenir le risque d’une résistance à l’autorité comtale. Ces garanties touchaient aux questions judiciaires et aux obligations militaires. Elles étaient particulièrement nombreuses en matière fiscale et économique. Pour les impôts, Charles Ier assurait par exemple dans sa paix avec Arles :
De même, le seigneur comte, ou son viguier, ou quelque officier de la cour d’Arles ne pourra pas lever de quête ou de tolte à Arles sur ses citoyens, ni non plus les contraindre à faire un prêt, ni imposer quelque exaction nouvelle ou surtaxe, ni établir un nouveau péage.
111La perte des propriétés collectives n’entraînait pas celle des droits d’usage sur les espaces incultes. Citons encore la reddition d’Arles :
Le seigneur comte signifie qu’il n’entend pas que les chasses et bois, pacages et paluds, dont l’usage appartenait à quiconque du peuple d’Arles ou à toute personne, lui soient appropriés par la susdite donation, ni qu’ils soient transférés dans son droit. Mais qu’ils soient utilisés librement par ceux à qui le droit d’usage revenait auparavant.
112Bien sûr, intérêts individuels et communs se rejoignaient inéluctablement. De façon générale, le nouveau pouvoir promettait une bonne administration urbaine, tel l’entretien des levées du territoire arlésien. Il assurerait la protection personnelle et collective des habitants et de leurs droits au-dedans et au-dehors, comme Charles le déclarait encore aux Arlésiens, lors de sa paix avec eux :
De même, ledit seigneur comte a promis de conserver et de défendre les personnes, possessions et droits de la cité d’Arles : tous ceux que possèdent lesdits citoyens et où qu’ils soient, dans ou hors de la cité.
Éd. R. Sternfeld, Karl von Anjou als Graf der Provence (1245-1265), Berlin, 1888, p. 269-273. Traductions de l’auteur.
113Cet engagement signifiait, entre autres, qu’il veillerait sur les relations commerciales de la ville. Dans ce domaine, Charles se révélait singulièrement attentif aux besoins des Marseillais. Selon les Chapitres de paix de 1257, il les défendrait partout, avec leurs biens. Il permettait que « la communauté de Marseille puisse conclure des trêves et faire la paix avec tous les sarrasins et communes ou cités, pour les affaires maritimes ». La seule différence avec le passé serait que les représentants de la ville auraient l’agrément du comte, ou de son viguier, pour ces tractations.
114La convention imposée par Charles et Alphonse à Avignon résumait la situation, en annonçant : « Sauf la juridiction des seigneurs, les bons usages et bonnes coutumes de la cité demeureront inébranlables à perpétuité. » Le nouveau régime prétendait offrir les avantages attendus des consulats. Or, il semblait le plus capable d’assurer la protection des intérêts et les conditions de la prospérité.
115La coopération avec une maison forte et ambitieuse ne représentait-elle pas un choix profitable pour une cité marchande ? Ce raisonnement fut sans doute celui d’une partie des élites urbaines, comme celles de Marseille. Remarquons le parallèle entre certains flottements dans sa résistance et la première croisade de Saint Louis. Le bénéfice en fut moindre qu’un accord de 1246, avec le roi, ne le laissait espérer. Cependant, plusieurs seigneurs embarquèrent à Marseille, dont le sire de Joinville, le célèbre chroniqueur. Louis IX rentra lui-même, en 1254, sur une nef marseillaise. De surcroît, la croisade revigora probablement les échanges avec le Levant.
116Les intérêts du port dans cette région étaient menacés. Les rivalités y étaient féroces entre marchands des différentes nations. Montpellier et Gênes, la plus redoutable, se montraient d’âpres ennemis dans le commerce maritime. Charles Ier eut beau jeu de traiter avec les deux villes, respectivement en juin 1255 et juillet 1262. En dehors de toute autre considération, ces ententes tournaient au désavantage spécial de Marseille. En revanche, la soumission au comte en faisait un protecteur efficace. Les Chapitres de paix de 1257 ne révélaient pas qu’une sollicitude platonique. Charles traçait un programme d’action, que lui seul saurait mettre en œuvre. Il n’écouterait pas, ainsi, les plaintes des Montpelliérains. Il agirait pour que la ville récupérât ses franchises et possessions à l’étranger, spécialement outre-mer, à Acre et à Chypre. Dans la foulée, il obtenait une réconciliation avantageuse avec Montpellier. En 1267, il se souciait derechef de faire rendre aux Marseillais leurs anciennes libertés outre-mer. Ne parlons pas, pour l’heure, des alléchantes perspectives qu’ouvrirent à la même époque les conquêtes angevines.
117Cependant, la bonne marche des affaires exigeait d’abord la tranquillité dans les villes et sur les routes de Provence. L’acte de reddition d’Arles comportait un engagement de Charles Ier fort significatif : « Le seigneur comte pourvoira intégralement à la paix de la cité et à la sécurité des personnes ». Cette paix, sous tous ses aspects, représenta la raison majeure et générale qui justifia l’adhésion finale des classes dirigeantes urbaines au gouvernement des Capétiens.
118Elles pouvaient s’émouvoir du tour pris par les révolutions qui agitaient les villes. Principalement à Arles, la révolte dégénérait dans le désordre et une violence débridée. Ces excès, qui accompagnaient la radicalisation de l’anticléricalisme provençal, s’éloignaient des origines du mouvement. Dans ces conditions, les censures ecclésiastiques ne restaient certainement pas sans effet. En revanche, les sanctions encourageaient certains à la surenchère. Voici Barral de Baux proclamant, dans Arles, « que tous ceux qui auront été absous seront ses ennemis, et que tous ceux qui auront été excommuniés seront ses amis ». Les divergences s’accentuaient au sein de la rébellion.
119Par son monitoire du 15 décembre 1249, l’archevêque Jean Baussan faisait admonester : « le podestat, le viguier, les juges, et ceux qui sont dits du conseil secret des chefs des métiers, et les chefs des métiers eux-mêmes, et ceux qui sont dits de leur conseil […], en outre le noble homme Barral […], en outre le peuple d’Arles ». Cet avertissement confondait, dans une commune réprobation, Barral de Baux, les chefs des métiers et le « peuple ». Ce dernier terme pouvait désigner des réalités diverses. Toutefois, il n’y a pas de doute que l’archevêque affrontait désormais un mouvement de masse. Sa dénonciation insistante des chefs des métiers confirme la situation. Entrés dans le gouvernement de la ville, ils jouaient maintenant un rôle déterminant. Or, l’élite arlésienne avait su se garder jusqu’alors d’une telle poussée « démocratique ». L’exemple marseillais n’empêchait pas que la réforme lui fût pénible. Pour s’en convaincre, il suffit de noter comment les statuts d’Avignon, de 1246, interdisaient l’organisation des métiers en corps. Bien qu’également en pleine lutte pour l’indépendance, les dirigeants de cette cité refusaient obstinément d’élargir leur assise sociale. De surcroît, Barral se faisait l’un des principaux animateurs de la révolution arlésienne, dans son ultime période. Selon un schéma classique, une entente entre un parti populaire, enclin aux débordements, et un grand aristocrate démagogue se dessinait. Cette perspective portait assurément à son comble l’inquiétude des élites urbaines. La situation dénonçait les ambiguïtés de la grande coalition réalisée entre les communes et l’aristocratie baronniale, par le truchement dudit Barral.
120Au vrai, dans la ligue de 1247, ce qui divisait les alliés apparaissait mieux que ce qui les unissait. Il fallait gommer de vieilles et solides inimitiés. Le plus déconcertant était bien la participation de Barral à la confédération. Passe que, ancien ennemi des Arlésiens, il s’en rapprochât. Il adhérait à un traité qui voulait aplanir les différends, qui protégeait les voyageurs et les marchands sur les routes, qui réglementait les péages et les « coutumes » pesant sur le commerce, qui supprimait le droit d’épave. Il représentait, pourtant, une catégorie sociale qui tirait ses revenus des exactions, voire qui pratiquait une économie de prédation, comme source de richesse et de prestige. Il était plus disposé à se mêler aux troubles qu’à respecter l’ordre des marchands. L’acte de reddition d’Arles au comte mentionnait, de fait, une « pillerie » dans laquelle il se trouvait impliqué. En outre, membre de la plus haute noblesse, estimait-il beaucoup les gens des villes ? Il n’hésitait pas à les abandonner pour faire des offres de service empressées aux Capétiens, contre ses « amis » de la veille.
121En revanche, le traité de 1247 ne répondait pas qu’à des considérations politiques pour les villes. Des besoins de sécurité réels le justifiaient aussi. Le redressement de l’autorité princière lui ôtait cette fonction. Des communautés d’habitants ou des dépendants de toute la Provence se tournaient vers le comte, comme un secours contre les seigneurs. Les consulats de Moustiers, de Reillanne ou d’Apt se donnaient à lui, aux dépens des seigneurs de ces lieux. Pour Reillanne, de graves dissensions entre les hommes et les maîtres de la bourgade précédèrent cet abandon (1254-1255). Une querelle, suivie d’un arbitrage (1252), opposait Apt aux Simiane, cinq ans avant que la ville ne renonçât à son consulat. En 1248/1249 des habitants de Boulbon se rachetaient à leurs seigneurs, pour passer sous l’autorité comtale.
122La volonté du nouveau pouvoir de pacifier et de stabiliser la société trouva son expression la plus originale et la plus large dans l’institution des « partageurs de territoires ». Désignés par la cour à l’échelon régional, ils s’activaient, au tout début des années 1250, pour fixer les limites contestées des finages. Ils prévenaient de la sorte les conflits de voisinage, pour l’avantage des communautés comme des seigneurs.
123En fait, la classe seigneuriale ne choisit pas plus que les communes la résistance à outrance. Son plus éminent représentant, Barral de Baux, apprend le contraire. Les solidarités traditionnelles ne jouèrent qu’imparfaitement en son sein. Le fait est patent pour l’ultime révolte de 1262. Hugues de Baux, renié par les siens, se trouva abandonné de son père, converti à la fidélité au comte par leur parent, Barral. En retour, Charles et Alphonse s’abstinrent de spoliations aussi amples que certains témoignages donneraient à le croire. Que l’affirmation de la souveraineté conduisît à un déclin de la seigneurie est une autre affaire. Barral de Baux, rentrant en grâce, recouvrit ses possessions. On ne remarque pas de saisies massives et définitives des patrimoines, hors les biens de Boniface de Castellane. Charles Ier ne bouleversa pas la société seigneuriale, comme il s’y résolut dans le royaume de Sicile.
124Voici qui confirme l’hypothèse que les seigneurs ne constituaient qu’une force d’opposition médiocre, impuissante une fois réduits les consulats. D’un autre côté, les Capétiens souhaitaient l’adhésion de l’aristocratie. Ils l’épargnaient, car elle leur paraissait l’auxiliaire naturel du prince. À ce titre, les fidèles venus de France ne suffisaient pas. Jamais Charles Ier n’écarta totalement les Provençaux du pouvoir. Le premier lieutenant connu du sénéchal, en 1258, était Truand de Flayosc, dont le nom indique l’origine. L’aristocratie provençale devait avant tout soutenir l’expansion angevine. Dès le 5 février 1259, les « amiraux de Nice », Jacques Cays et Guillaume Olivier, concluaient un traité commercial avec Cuneo, qui marquait les vrais débuts de la politique italienne de Charles Ier. Bientôt, Jacques de Gantelme, membre d’une importante famille tarasconnaise, devenait son premier sénéchal de Lombardie (1260), comprenons de Piémont.
125Ces réussites initiales apportaient l’espoir d’un enrichissement. L’aventure, qui débutait, attachait davantage à un chef prestigieux. Il manifestait ses vertus chevaleresques. Il confirmait la grandeur de son extraction, à savoir la maison de France. À toute cette gloire, l’aristocratie ne pouvait qu’être spécialement sensible. Plus que pour tout autre groupe, elle trouverait dans les conquêtes une raison de se rapprocher de Charles Ier.
126L’établissement des Capétiens en Provence se révéla somme toute facile. Ils bénéficièrent de la conjonction entre la désunion de leurs adversaires et une vaste aspiration à l’ordre et à la sécurité. À partir des années 1260, l’expansionnisme angevin achevait l’évolution politique du pays. Il se combinait avec un considérable renforcement du prince. Le ralliement définitif des Provençaux associait la contrainte, la conviction et l’intérêt.
Notes de bas de page
1 L’union administrative de Marseille ne se décida cependant qu’en 1348.
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