Les Houillères de Provence, champion national de la productivité charbonnière (1946-2003) ?
p. 119-135
Texte intégral
1Sans doute inspirés par les campagnes de productivité issues du Plan Marshall, les Charbonnages de France organisent en 1951 un concours national de la productivité des bassins. Le concours est semestriel et récompense une équipe1. Les gagnants remportent une prime spéciale équivalant à 50 % de la prime semestrielle attribuée quand la production s’est déroulée normalement. Dès la première attribution, les Houillères du bassin de Provence, sont lauréates. Les récompenses se succèdent : 1960 prix national pour le soutènement marchant, 1964 pour l’exploitation au rabot, récompense encore en 1971 et en 1974, la mine provençale est championne d’Europe du rendement. En 1992 encore, le rendement fond est de 9 397 kg par homme/poste et de tels résultats ne seront dépassés en Europe que par quelques mines britanniques après 1994.
2Comment de tels exploits techniques économiques et sociaux ont-ils été possibles dans un établissement dont la fermeture a été évoquée dès le début des années 1960 ? En effet, en dépit de moments d’espérance comme au début des années 1980, on a le plus souvent travaillé en Provence comme dans les autres mines avec l’incertitude de l’avenir.
3Plusieurs travaux scientifiques concernant les mines évoquent la question pour d’autres bassins et nous fournissent des éléments de comparaison2. Pour la période qui suit la nationalisation, 1946-2003, cette contribution se propose de mesurer la productivité, d’éclairer ses facteurs et d’analyser ses résultats.
La mesure de la production, des rendements de la productivité
4En une cinquantaine d’années, la production n’a pas beaucoup augmenté, elle était de 1,1 million de tonnes en 1946, elle connaît une pointe en 1967 à plus de 1,7 million de tonnes et elle plafonne à 1,760en 1990. À partir de 1994 et la signature du pacte charbonnier par les partenaires sociaux, sauf la CGT, les efforts de l’exploitation sont tournés vers la fermeture.
La production du bassin de Provence

5La production provençale représente une part croissante de la production française de lignite. Depuis 1994, elle est l’unique site de production de cette qualité de charbon.
Production de lignite en France et en Provence

6Il convient de préciser que le lignite (brown coal) fait l’objet d’une comptabilité séparée du charbon (hard coal) et que le lignite français représente une part infime de la production européenne de lignite. En 2000, la production des pays membres de l’Union européenne représente 361 millions de tonnes dont 168 en Allemagne, 64 millions en Grèce.
Pays producteurs de lignite (EU 25) en 2000

7Alors qu’il a été un acteur essentiel de l’industrialisation régionale, le lignite provençal compte peu en Europe. La réunification allemande a considérablement augmenté la production de lignite en Europe avec l’addition des grands bassins du sud de Berlin et du sud de Leipzig. Mais la réduction de cette production est très rapide3.
Production lignite EU 15

8Les résultats de la production provençale occupent peu de place dans la production européenne de lignite, mais aussi, pendant longtemps, dans la production française de combustibles minéraux4.
Production française de charbon et production de la Provence (en milliers de tonne)

9Cependant, on constate que le décrochage de la Provence est plus tardif que celui de la baisse de la production des combustibles minéraux en France. Le résultat est mécanique, la proportion de combustible produit en Provence était devenue de plus en plus importante.
% de la production provençale dans la production française

10De l’ordre de 2 % de la production française à la nationalisation, elle atteint les 20 % en 1994 quand il n’y a plus que deux bassins en exploitation avec celui de la Lorraine. Il est possible que ce poids relatif ait eu des répercussions sur les représentations collectives de la région. Les acteurs se sont-ils perçus comme les héritiers de la culture et de la mémoire de la mine en France ?
Les facteurs de la productivité provençale
11Les conditions naturelles du gisement constituent son atout principal et plus on avance dans le temps, plus les Charbonnages d’une façon générale se concentrent sur les veines les plus rentables. La partie utile du bassin présente des conditions d’exploitation favorables :
« Le pendage y est faible. La couche de charbon est inégalement puissante, mais elle assez régulière pour que l’on puisse l’exploiter avec de moyens mécaniques d’abattage ; le risque de « coups de toit », phénomène spécifique du Bassin, impose toutefois certaines contraintes, mais les terrains percés en travers-bancs sont solides et de très grands roulages au fond sont ainsi permis. »5
12Ces avantages sont cependant relatifs car le lignite de Provence n’est pas de bonne qualité. Son pouvoir calorifique est de 4 kth/t au lieu de 6,6 kth/t pour les produits marchands des Houillères du bassin de Lorraine. La teneur en soufre est 5 fois supérieure à celle des autres charbons. Il n’est pas transportable6. Les réserves estimées sont importantes. Elles justifient les investissements. Un document des HBP en 1952 affirme que les réserves estimées sont de 150 millions de tonnes, « soit plus d’un siècle d’exploitation au rythme actuel »7. Soit l’épuisement du gisement vers 2040 à 1,5 million de tonnes par an. Une campagne de sondage réalisée entre 1976 et 1979 conclue à l’exploitabilité de la zone à l’ouest de Gardanne pendant 30 ans au rythme de 1,6 million de tonnes par an. Cette découverte joue un rôle important dans la relance de l’investissement dans les années 1980. Elle est confirmée et précisée par une autre étude publiée en 19848. Suite à une nouvelle campagne de sondages, le gisement est décrit. Il y a vers l’ouest, une zone tectonique perturbée où la Grande mine est à 1 200 mètres de profondeur. Enfin, la zone monoclinale de l’Arbois où la Grande mine est à 1 000 mètres, ce qui a permis de définir une « zone utile » dont la profondeur maximum serait de 1 050 mètres et l’épaisseur de la couche retenue entre 1,30 et 2 mètres. Le gisement ainsi défini s’étend sur 50 km2 et recèle 138 millions de tonnes en place, soit 62 millions de tonnes de ressources identifiées. « Toutefois, si l’on repousse la limite sud à l’isobathe – 1 200 mètres, le montant des réserves en place atteint 174 millions de tonnes et celui des ressources identifiées 85 millions de tonnes ». En prenant l’hypothèse basse d’une profondeur de 1 000 mètres, celle qui correspond aux conditions d’exploitation des années 1980, on obtient une espérance d’exploitation de 41 ans sur la base d’une production annuelle moyenne de 1,5 million de tonnes et de 57 ans pour l’hypothèse haute.
13L’investissement est le second acteur de la productivité. Depuis la nationalisation, les investissements ne se décident plus en Provence. Le cadre général est élaboré par le Commissariat général du plan en particulier pour les quatre premiers plans (1947-1965)9. Entre 1946 et 1967, les Houillères du bassin de Provence font leurs propositions à Charbonnages de France. L’entreprise nationale fait les arbitrages et les présente à son ministre de tutelle. Les grandes opérations sont étudiées par le Conseil des ministres. De 1968 à la fermeture, le bassin de Gardanne est regroupé avec neuf autres bassins dans les Houillères des bassins du Centre Midi dont le siège est à Saint-Étienne10. HBCM est donc un niveau d’arbitrage supplémentaire, mais les mécanismes généraux de décisions restent les mêmes. Les conséquences de ces évolutions juridiques sont importantes pour les sources sur l’établissement. À l’époque des Houillères du bassin de Provence, il existe un rapport annuel du conseil d’administration qui permet une étude distincte du bassin. Ensuite, les présentations de résultats par les HBCM sont généralement consolidées et il est souvent plus difficile de saisir ce qui se passe en Provence. Ceci d’autant plus que les bassins des HBCM sont très différents du point de vue des qualités et des méthodes d’exploitation ; il y a de l’anthracite comme à la Mûre ou des découvertes comme à Carmaux. Inversement, la création des HBCM fait entrer la Provence dans les statistiques de la CECA. En effet, de 1952 à 1967, le lignite provençal est quelque part dans « autres mines françaises ». Avec les HBCM, la ligne Centre Midi apparaît au même titre que la Lorraine ou les HBNPDC. Nous décomposerons l’histoire de l’investissement en deux périodes : 1946-1967 et 1968-2003.
14L’investissement et la modernisation des Houillères du bassin de Provence ont été continus. La généralisation de l’électrification de l’exploitation est une étape décisive. Entamée avant la guerre, l’électrification des travaux du fond est réalisée à plus d’un tiers en 1952 et à 70 % en 1964. Cette évolution rapide est liée à la construction de la centrale thermique mise en service en octobre 1954. Celle-ci permet d’amplifier l’électrification. L’obtention d’équipements américains dans le cadre du Plan Marshall renouvelle le travail du fond. Les matériels arrivent dès 1948 : unité Joy, haveuses Shortwall Goldmann, etc. Au milieu des années cinquante, les Houillères commencent à moins dépendre des fournitures américaines. L’exemple le plus significatif est celui du soutènement marchant. Les premiers essais sont réalisés en 1955. Les résultats parviennent quelques années plus tard :
« On arrivait à faire marcher, en septembre 1961, une première taille complète, en foudroyage intégral sans épis intermédiaires. On démontrait ainsi que le soutènement marchant fournissait bien la ligne de cassage très raide nécessaire aux toits de Provence, et que le foudroyage était la meilleure méthode de contrôle du toit (sécurité et prix de revient). »11
15Le cas du soutènement marchant est particulièrement intéressant car il s’agit d’une innovation réalisée dans le contexte d’un dialogue avec les fournisseurs français d’équipement, en l’occurrence l’entreprise stéphanoise Les bennes Marrel12. L’introduction d’engins de plus en plus puissants a nécessité un vaste réaménagement de la circulation au fond.
16La seconde série d’investissements porte sur la concentration des puits. Il y a 7 puits en 1946, cinq en 1957. La première concentration de l’extraction intervient autour du puits Gérard dont le fonçage a commencé en 1941. Il est en service en 1949. Pour l’année 1948, ce nouveau puits représente à lui seul 36 % des travaux neufs du bassin. La deuxième concentration intervient autour du puits Courau. C’est le Grand ensemble Meyreuil/Gréasque. Il est en service en 1971.
17Outre les investissements du fond et du jour, le bassin a bénéficié d’importantes réalisations avec les centrales thermiques. Le Plan Monnet prévoit la construction de nombreuses centrales thermiques à proximité des houillères. L’objectif est d’alimenter les mines pour moitié et le réseau EDF pour l’autre moitié. Il s’agit évidemment de valoriser les bas produits de la mine, les « menus ». La première centrale de Gardanne est mise en service en octobre 1954 pour une petite capacité de 50 MW. Cette première tranche est suivie du groupe II en 1957 (50 MW) et III en 1958 (50 MW). Enfin, un quatrième groupe est réalisé en 1967 pour une puissance de 250 MW.
Investissements HBP

18Le graphique en euros constants montre la montée en puissance des investissements pendant le Plan Monnet (1946-1952), la stagnation pendant le Deuxième plan, la régression du Troisième plan, puis la relance du Quatrième. L’importance de l’investissement réalisé au cours du Quatrième plan correspond pour l’essentiel à la construction du groupe IV. Pour la période 1967-2003, la mise en place des télévigiles a été une étape importante de la modernisation. Toutes les informations du fond convergent vers cet équipement de surface. À la fin de l’exploitation, les galeries sont creusées au mineur continu, les tailles de 200 mètres puis de 220 mètres sont équipées de rabots et de soutènements marchants.
19La situation économique et financière des Charbonnages de France semble totalement renouvelée par le choc pétrolier et la forte hausse du fuel. En 1973, le kilo d’équivalent thermique, mesure utilisée afin de comparer les différentes sources d’énergie, est de 9 F pour le pétrole et de 20 F. pour le charbon. Cinq ans plus tard, en 1978, il est de 37 F. pour le pétrole et de 30 F. pour le charbon. Pour la première fois depuis les années cinquante, il est plus rentable d’utiliser du charbon national que du pétrole importé. Les exercices 1979 et 1980 sont bénéficiaires. Les décisions importantes se succèdent. Le Conseil des ministres du 23 janvier 1980 entérine le plan d’investissement dit du « Grand ensemble de Provence », soit 2,5 milliards de F. La date est importante car elle indique un consensus national en faveur du charbon. Avant la relance de la gauche, le gouvernement de Raymond Barre avait engagé la modernisation de Gardanne. L’année suivante, le gouvernement de Pierre Mauroy proclame « la grande relance charbonnière ». Cependant les objectifs quantitatifs durent être rapidement corrigés à l’échelle nationale. Dès 1984, les nouvelles embauches sont interrompues partout en France.
20Il reste que Gardanne connaît un nouvel élan d’investissements. Il s’agit de construire le nouveau puits Yvon Morandat (nom d’un directeur des Houillères du bassin de Provence devenu président des Charbonnages de France). Ce puits Y peut descendre 150 personnes ou 40 tonnes de matériel à plus de 1 100 mètres ; il est en service en 1987. Il se dresse à l’extrémité d’un carreau de 17 hectares. C’est ainsi que Gardanne bénéficie de l’installation de surface la plus moderne de France sinon d’Europe. Le puits Z, d’une profondeur de 879 mètres, est réservé à l’extraction et à l’aérage. Les deux puits constituent le nouveau « Grand ensemble de Provence ». La réalisation du cinquième groupe est décidée en janvier 1980. La construction commence en juillet, la mise en service intervient en octobre 1984. C’est un investissement logique et corollaire de l’investissement minier. Pour la centrale thermique, il est d’autant plus nécessaire que les groupes antérieurs vieillissent. La question de leur renouvellement se pose. Les trois premiers, devenus obsolètes, sont arrêtés en 1984. À ce moment, la fermeture du quatrième est programmée pour 1995. La construction du cinquième groupe est supposée assurer la pérennité de l’exploitation jusqu’en 201013. Sa puissance avait d’abord été fixée à 350 MW pour un fonctionnement de base. Mais il est apparu que la nouvelle unité, ne pouvant pas concurrencer les centrales nucléaires, devait pouvoir assurer efficacement la fourniture de courant en période de pointes de consommation. Il fallait donc une marge de puissance suffisante et on a opté pour un palier de 600 MW. L’investissement, sans l’équipement de désulfuration, est de 2 milliards de francs 1980.
Dépenses à la tonne extraite

21Le graphique ci-dessus repose sur les statistiques communautaires. Le pic concerne les bassins du Centre Midi et les investissements comme ceux de Carmaux. En Provence ils concernent « le grand ensemble ». L’effort d’investissement redouble à l’époque des HBCM. Si bien que le Centre Midi émerge brusquement dans les années 1980 comme le plus important lieu d’investissement en France. Il convient de souligner que cet investissement a été une flambée à court terme brutalement interrompue et qu’il concerne encore plus Carmaux que Gardanne (cf. tableau ci-dessous). L’effort d’investissement a été important pendant presque toutes les 60 années. L’État n’a pas été malthusien avec ses charbonnages.
Investissements des HBCM 1985-1992 (millions de F. courants)

Source : CA HBCM
22La diminution des effectifs est le troisième facteur de l’amélioration de la productivité. En Provence, cette diminution est plus précoce qu’ailleurs en France.
Effectif total Provence

23Après la poursuite de l’embauche de la « bataille de la production » jusqu’en 1948, la diminution des effectifs est quasi continue jusqu’en 197514. En fait, on a commencé dès 1946 par remercier les prisonniers de guerre allemands, ils étaient 698 en décembre 194615, et les étrangers ; avec une désinvolture certaine16. Dès 1952, les premières mutations vers d’autres bassins sont proposées, 150 mineurs partent vers le Nord et la Lorraine17. Au total, entre 1948 et 1961, l’effectif au fond est réduit de 75 % ce qui est un record en France. La relance de l’emploi se prolonge du premier choc pétrolier à 1984. Depuis lors, la baisse est constante, avec une accélération après 1994. Mais la dernière phase d’embauche provoque mécaniquement une augmentation du nombre de Provençaux et des Lorrains dans la main-d’œuvre charbonnière nationale car les autres mines ferment plus vite, en particulier dans le Nord Pas-de-Calais (cf. graphique ci-après).
24Il faut souligner que la baisse précoce des effectifs s’est accompagnée d’une importante politique de reconversion. Dès 1949, les Houillères ont racheté les terrains de l’entreprise de carbochimie mort-née pendant la guerre (110 hectares au Rousset, 20 hectares à Gardanne La Palun). Elle crée le 31 mars 1961 la zone industrielle du Rousset qui est la première réalisée dans le département.
25Les entreprises qui s’installent reçoivent des prêts. C’est le début d’une nouvelle aventure industrielle qui changera le destin de la région avec l’essor de la micro-électronique18. Une seconde zone est inaugurée en 1963 sur le terrain de Gardanne La Palun. En agissant ainsi, les Houillères ont réalisé un acte fondateur pour l’avenir. Les politiques de développement industriel et de reconversion conduite par la SOFIREM créée en 1967 étaient bien plus faciles à mettre en œuvre en période de plein-emploi, comme c’est le cas au début des années soixante, que plus tard, quand la récession industrielle sera généralisée.
% des effectifs de Gardanne dans les effectifs français

Les résultats de la mine en Provence
26C’est en 1960 que la Provence prend la tête du rendement français (graphique ci-après)19. La différence de 27 % avec la Lorraine compense la moindre qualité du charbon provençal. Il est à noter que l’écart entre les deux bassins est plus significatif encore pour le rendement fond : avec 4 134 kg par homme/poste au fond en 1964, la Provence dépasse la Lorraine de 32 %. À ce moment, le rendement du jour pénalise la Provence. La courbe du rendement des ouvriers du fond global en Provence permet de distinguer quatre périodes. De 1946 à 1974, l’augmentation du rendement est forte et assez régulière. Le rendement est multiplié par 6. De 1975 à 1988, le rendement est irrégulier et stagnant, sinon décroissant. De 1988 à 1994, il connaît une belle augmentation, surtout lors du pic historique de 1993, c’est le résultat du « Grand ensemble de Provence ». Il s’abaisse dans la période finale.
Rendement ouvrier fond (en kilos par homme/poste)20

Source : C. Ferreira, 1988 et Charbonnages de France, Statistique charbonnière annuelle, édition 2002
27Les investissements, en particulier ceux portant sur la mécanisation, contribuent toujours à l’augmentation du rendement. L’état du marché peut être un facteur contradictoire. En effet, quand les débouchés manquent, les Houillères font des stocks. Mais quand les stocks sont pleins, elles recourent au chômage technique. Le chômage technique se traduit par une baisse du rendement annuel. Quand les Houillères suppriment des emplois au fond, le rendement augmente. Enfin, le nombre et la durée des conflits sociaux interviennent dans le sens de la baisse du rendement. C’est le cas par exemple en 1988.
28L’important effort de formation réalisé par les Houillères et la qualité des rapports sociaux en général sont aussi des facteurs de l’amélioration de la productivité et des rendements. Est-il plus agréable, plus motivant de travailler à Gardanne qu’ailleurs ? On ne suivra pas l’explication paternaliste, un peu condescendante, de la direction en 1955 :
« Généralement recruté dans la région, le mineur de Provence s’oriente volontiers vers le travail de la mine. Grâce à sa finesse et son intelligence, il s’adapte remarquablement à l’utilisation du matériel moderne que la technique met à sa disposition. Le mineur devient mécanicien, chauffeur, électricien ; il a parfaitement compris que la mécanisation était le seul moyen d’humaniser son travail et d’améliorer ses conditions de vie. » 21
29Faut-il prendre à la lettre la réponse du directeur général Charrette aux syndicalistes lors d’un mouvement social en 1966 ?
« Il n’y a pas un bassin en France où les salaires soient plus élevés qu’en Provence, où le gisement soit mieux mécanisé et moins difficile, où l’aide des Charbonnages de France pour sa modernisation soit plus importante et où l’avenir paraît être le mieux assuré grâce au débouché que donnera le IVe groupe de la centrale. »22
30Nous formulons l’hypothèse que le climat général des rapports sociaux était, hors moments de confrontation, suffisamment bon. L’établissement a produit un rapport social global dynamique. Il faut, pour comprendre cette hypothèse, rappeler les menaces précoces qui pesaient sur le site.
31En 1968, le Plan Bettancourt programme la décroissance nationale des effectifs et de la production jusqu’en 1987. L’arrêt des Houillères du bassin de Provence est prévu pour 1990. De 1984 à 1994, les bassins sont en sursis. En 1994, l’organisation de la fermeture devient l’objectif de l’entreprise. Au total, de 1946 à 2003, soit 57 ans, il y a eu 26 années de confiance dans l’avenir et 31 ans de doutes et d’inquiétudes. Dans un climat pareil, les efforts de productivité et les résultats obtenus par les salariés de Provence sont admirables. Ceci d’autant plus que les résultats financiers ne récompensent pas les efforts des uns et des autres.
32L’extraction du charbon en France depuis la Seconde Guerre mondiale ne permet pas de gagner de l’argent, sauf dans de très brèves conjonctures. Depuis 1956, les Charbonnages de France sont déficitaires, leur équilibre a reposé sur des compensations financières du budget national. Ce déficit s’est aggravé de façon vertigineuse depuis le début des années 1980. À la fin du siècle, le déficit des Charbonnages s’amplifie : le prix de revient moyen est de 792 F. la tonne en 1999 et le prix de vente de 242 F. La Cour des Comptes affirme :
« En Provence, la valeur ajoutée est constamment négative depuis 1993. Le simple arrêt de l’exploitation y aurait permis, tout en ayant l’intégralité des charges de main-d’œuvre, une économie de 90 MF pour le seul exercice 1998. En 1999, la perte à la tonne s’élevait à 838 F. »23
33Pendant les 60 ans que nous étudions, le charbon s’est heurté à deux obstacles économiques. D’abord la compétition des charbons importés dont le prix était meilleur que celui du charbon français. Pendant longtemps, la France et l’Europe ont importé du charbon américain. Les salaires y sont plus élevés qu’en Europe, mais les conditions d’extraction à ciel ouvert en particulier bien plus faciles. Ce à quoi s’ajoute la diminution vertigineuse des coûts du transport maritime. Progressivement d’autres fournisseurs se sont imposés comme la Pologne ou l’Australie. À grands traits, le charbon américain en vient à être moitié moins cher que le charbon européen.
34Plus encore, le charbon français s’est heurté à la politique énergétique nationale. Le Plan Monnet de 1946 privilégie le fuel, le président V. Giscard d’Estaing en 1974 donne son envol à l’énergie nucléaire. Les adversaires du charbon sont trop forts pour lui. Ces remarques générales valent pour le groupe Charbonnages de France, mais valent-elles pour les houillères de bassin et pour les unités d’exploitation ? En fait, en matière de prix de revient, la Provence n’a pas démérité.
Prix de revient de la tonne extraite en Provence

35Ce graphique est exprimé en euros constants. Il semble d’une grande stabilité autour de 60 euros la tonne. Mais cette stabilité est une réussite économique, elle signifie que les gains de productivité absorbent l’augmentation réelle des coûts, y compris l’augmentation des coûts sociaux comme l’amélioration des congés payés ou la baisse de la durée légale du travail. Par ailleurs, la comparaison – partielle il est vrai – des prix de revient entre la Provence et les autres bassins qui composent les HBCM montre que le prix de revient à Gardanne est nettement inférieur à celui des autres bassins et à la moyenne du prix de revient HBCM.
Prix de revient de la tonne par bassin HBCM

36Ceci étant, il ne suffit pas d’avoir un bon prix de revient relatif, encore faut-il obtenir un prix de vente rémunérateur pour gagner de l’argent. C’est là que le bât blesse. Au fil du temps, le charbon n’a plus qu’un seul débouché : celui de la centrale. La production d’électricité est le fait des Houillères jusqu’à la création de la SNET en janvier 1995. Avant cette date, la gestion de la facturation interne est une affaire de stratégie d’entreprise. Or, la centrale bénéficie de résultats en équilibre ou presque. Mais, de 1946 à nos jours, la distribution de l’électricité thermique qui est placée sur le marché revient à EDF. Le volume et la valeur du débouché de la centrale dépendent d’EDF24. Compte tenu de ses autres ressources, les besoins réels d’EDF se situeraient en 1988 par exemple entre 0 et 2 000 heures d’appel, soit une consommation de charbon de 0 à 1 million de tonnes. Une convention de 1988 assure 3 500 heures d’appel de 1988 à 1991, puis une baisse à 3 000 heures en 1993. En dépit du partenariat d’EDF, le marché échappe à la mine. Le bassin est pris en étau entre son unique client et ses contraintes de production.
37La fermeture du bassin de Gardanne s’inscrit dans le contexte européen de déclin des activités charbonnières. La cause fondamentale est la compétition des prix relatifs de l’énergie. La date de la fermetures’inscrit dans la stratégie de désengagement de l’État français qui ne veut plus supporter les déficits du groupe Charbonnages de France. Les cadres de l’entreprise ont fait leur l’objectif de la fermeture. Dans ce contexte, l’accélération finale de la fermeture (2003 au lieu de 2005) est la conséquence des craintes apparues au sujet de la sécurité de l’exploitation aux profondeurs atteintes. La fermeture du bassin a suscité l’amertume du syndicat CGT et d’une partie de la population qui s’exprime par l’intermédiaire du maire de la ville de Gardanne, M. Roger Meï. On peut comprendre cette amertume sans partager le regret de la fermeture. Il y a moins de vingt ans, le Grand ensemble de Provence était inauguré. Cette réalisation semblait écarter durablement la perspective de la fermeture.
38Les gisements demeurent importants, la nouvelle flambée des cours pétroliers et du gaz valorise à nouveau le prix relatif du charbon. Il est vrai aussi que la Commission européenne se préoccupe de façon croissante de l’indépendance énergétique du continent. Vu de Bruxelles, l’évolution de la production allemande et le destin des mines polonaises constituent des questions majeures. L’exploitation du charbon se poursuit et se développe dans le monde. Mais en Provence et en France, la page est tournée. Le meilleur hommage que l’on puisse rendre au travail des hommes de la mine, c’est de construire une mémoire et de produire une histoire. C’est le plus utile pour aborder l’avenir.
39Le bassin de Provence a bien été un champion national de la productivité charbonnière. Il a conquis ce résultat grâce à la qualité naturelle de son gisement, à l’effort d’investissement voulu par l’État et surtout à l’engagement des hommes qui ont travaillé ici. L’État français, qui n’en est pas à une contradiction près, a soutenu ces charbonnages tout en supportant son producteur d’électricité. Les adversaires économiques du charbon étaient trop puissants pour lui. Nous laissons le dernier mot à un ancien président des Houillères de Lorraine préfaçant un ouvrage sur l’histoire de la mine.
« Lorsque les dernières tonnes de houille auront été remontées, les enfants de nos enfants, en lisant cet ouvrage et en visitant les paysages où pour toujours s’inscrira le souvenir de cette activité souterraine, salueront la grandeur des anciens. Ils sauront y puiser la confiance dans le lendemain. Ils tireront fierté et honneur d’être de ce pays et descendants de tels hommes. »25
Notes de bas de page
1 Cf. D. Barjot, 2002.
2 N. Sougy, 2003 ; M. Luirard, 1984 ; O. Hardy-Hémery, 1985 ; G. Chastagnaret, 2000, en particulier p. 693 et suiv. ; S. Daviet, 1990, en particulier p. 140. et suiv.
3 Voir la contribution de M. Deshaies dans le présent volume.
4 Ce graphique est à double entrée : à gauche la production provençale, à droite la production française.
5 « Concentration et mécanisation assurent un nouvel essor aux houillères du bassin de Provence », Rhône Alpes Méditerranée, n° 5, 1984.
6 Archives HBCM, « La situation économique des Houillères de Provence », juin 1988, in : Rapport « Provence », juillet 1988, 86 p.
7 Archives HBCM, Plaquette de présentation des Houillères du bassin de Provence, 1952 probable.
8 J.-C. Besson, C. Glintzboeckel, 1984, p. 459 et suiv.
9 H. Rousso, 1986. B. Cazes et P. Mioche (dir), 1990.
10 HBCM : Carmaux (Tarn), charbon gras à ciel ouvert à partir de 1986 (la grande découverte), fermée le 30 juin 1997 ; Decazeville (Aveyron), charbon flambant à découvert ; Aumance (Allier), charbon flambant à découvert fermée en 1991 ; Blanzy (Saône et Loire), charbon maigre anthraciteux, fermée en 1991 ; Alès et la Grande Combe (Gard), demi-gras et maigre à découvert, fermée en 1994 ; Le Bousquet d’Orb (Hérault), demi-gras en découvert, fermée en 1994 ; La Mure (Isère), anthracite en souterrain, fermée le 31 mars 1997 ; Gardanne charbon ligniteux en souterrain, fermée en 2003.
11 Arch. HBCM : MM. Mellet et Le Jan, « Le soutènement mécanisé en Provence, 1957-1963 ».
12 É. De Banville, J. Vérillac, Saint Étienne, 1983, p. 85 et suiv.
13 A.-G. Fichet, « Le groupe V », Industrie minérale, supplément au numéro d’août-septembre 1984.
14 La petite reprise d’embauche en 1959-1960 est vraisemblablement provoquée par la centrale.
15 Arch. HBCM, CA, rapport décembre 1946.
16 Arch. HBCM, CA, rapport décembre 1949 : « Toutes ces réductions de personnels ont porté sur les ouvriers étrangers en commençant par les plus récemment embauchés et les moins chargés de famille ».
17 C. Ferreira, 1988, p. 256.
18 S. Daviet, 1999, p. 33 et suiv.
19 INSEE, Annuaire statistique rétrospectif, 1966, p. 231.
20 L’étude des rendements pose de nombreux problèmes de méthode. Le plus simple consisterait à diviser la production par l’effectif total, ce que les houillères ont fait jusqu’en 1980 et même au-delà dans certains documents. L’inconvénient est d’amalgamer les effectifs de la centrale aux mineurs. C’est pourquoi, nous donnons ici les rendements du fond.
21 Arch. HBCM, Plaquette de présentation des HBP, 1955.
22 AD BdR 1 ETP 923, Conseil d’administration HBP 9 décembre 1966. Nous remercions les Archives départementales des Bouches du Rhône qui ont rendu possible la consultation de ces documents.
23 Cour des comptes « La fin des activités minières », 11 décembre 2000, p. 20.
24 Arch. HBCM, « La situation économique des Houillères de Provence », juin 1988, Rapport « Provence », juillet 1988, 86 p.
25 P. Loiseau, Président des Houillères du Bassin de Lorraine, Du charbon et des hommes. Histoire des Houillères du Bassin de Lorraine de 1946 à 1992, Charbonnages de France, 1994, p. 7 in quarto.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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