Le récit occitan de L’Humanité réponse à Jean-Marie Guillon*
p. 105-109
Texte intégral
1Je vous dirai que c’est extrêmement intéressant, lorsqu’on a pratiqué les coulisses de l’histoire, de voir un historien analyser les rebondissements extérieurs et voir les mêmes événements du point de vue de leurs résultats. En ce qui me concerne, j’ai essayé de dire sur le Parti Communiste et cette période ce que je pouvais en dire en quelques pages qui sont en occitan et qui ont paru récemment dans un livre qui s’appelle Companhs e camins « Compagnons de route », où je raconte mes rapports avec le Parti Communiste. D’autres éléments se sont trouvés dans l’exposition qui m’a été consacrée à Nîmes et à Béziers, en particulier l’entrevue avec Marchais.
2Il se trouve que j’ai vu depuis une semaine un film qui a été tourné sur l’écrivain Robert Lafont, par Christian Passuello. C’est un montage sur fond de quatre grandes luttes : les luttes de la viticulture, les luttes du Larzac que curieusement vous n’avez pas mentionnées, parce que les communistes n’y étaient pas, et qui sont la clef de tout, la lutte de l’Adrech. Mais je pense qu’il y a quelque chose de très important et c’est comme ça que j’ai terminé « l’Ancien Régime »… avant l’élection de Mitterrand, c’est Arles et c’est le Chantier des Aciéries de Provence. Il y a eu une lutte très importante avec un contenu culturel extrêmement important. J’ai participé à des séances avec les ouvriers des Chantiers des Aciéries de Provence. Et ils avaient des vues politiques et économiques très pertinentes, par exemple sur l’exploitation, la colonisation par l’acier long. Pour qu’il y ait une autonomie, il faut que l’industrie métallurgique fasse quelque chose avec l’acier long de Fos. Fos était pour ces ouvriers en lutte un moyen de coloniser la région et d’étrangler le développement économique diversifié de la région.
3Il y a eu 62, 63 la grève de Decazeville où est apparue l’expression « colonialisme intérieur ». Serge Mallet l’avait répandue dans L’Observateur, je l’ai reprise dans mon livre La Révolution régionaliste. J’ai essayé de l’analyser, d’en faire une théorie. Et cela s’est développé en dehors du Parti Communiste, totalement. Les gens qui ont adhéré à ce moment-là à un autonomisme socialiste – terme qui est allé jusqu’à François Mitterrand et aussi jusqu’à ma présence au Palais d’Orsay, à la création de la Convention des institutions républicaines –, c’était les Socialistes et le PSU. Maffre-Beaugé poursuivait, lui, une ligne occitane, mais sur le terrain de l’alignement.
4Il y a eu l’histoire du Congrès de Metz qui a marqué le recul de la tendance Rocard. C’est à ce moment-là que Chevènement apparaît, c’est-à-dire le centralisme à l’intérieur du PS. Soit dit en passant, je parle comme quelqu’un qui n’a jamais appartenu à un parti politique. C’est vérifiable…
5Ensuite éclate l’affaire du Larzac. Les 113 paysans en 1973 arrivent à mobiliser 100 000 personnes sur le Larzac. C’est à mon avis un événement d’importance mondiale, d’une richesse insoupçonnée. Les paysans du Larzac ont filmé toute leur lutte. Je simplifie, c’est le peuple de Seattle qui a parlé. Ce n’est pas par hasard que José Bové est sorti de là. Les communistes n’y sont pas, sauf qu’on les trouve avec les ouvriers de la ganterie de Millau à ce moment-là.
6En 1974 Lafont pendant quelques jours est candidat à la présidence de la République. Et à ce moment-là il est en contact nécessairement avec la gauche, avec Mitterrand. Je n’avais jamais abandonné les rapports personnels ni avec Rocard, qui est un ami, ni avec Mitterrand. Ma campagne, qui a été arrêtée par le Conseil Constitutionnel, avait pour titre Volem viure al païs. Ça avait été inventé par les Niçois. C’est Lutte Occitane – Nice qui avait trouvé le slogan. A commencé alors à exister un mouvement occitan qui était différent de celui que j’avais promu, qui était plus à gauche, qui s’appelait Lutte Occitane, ça veut tout dire, c’est l’époque de Lutte Ouvrière etc. Et c’était fait essentiellement de gens qui pensaient très à gauche et qui ont participé à cette apogée de 73-75.
7À ce moment-là il y avait une opposition dans le parti Communiste. C’était par exemple Félix Castan, un ami de cinquante ans, qui vient de mourir. Félix Castan, membre du PC, était contre les thèses politiques occitanistes jusqu’au bout. Nous avons divergé totalement là-dessus. Il animait donc culturellement le Festival de Montauban et il animait le Parti Communiste de Midi-Pyrénées. Nous nous sommes rencontrés dans des manifestations, à Béziers où il y avait 50 000 manifestants. Il me disait : « C’est le contraire du marxisme ». Il y avait des tensions internes qui ont toujours existé.
8Ce qui s’est passé, je l’ai raconté, je publie le livre chez Gallimard : Autonomie : de la région à l’autogestion. Vous trouverez l’essentiel dans la proposition de loi du PC que vous avez citée. Ils ont pompé le livre, ils l’ont fait avec mon accord. Il y avait à Montpellier un secrétaire de la Fédération du PC qui avait écrit dans le journal local : « Quant à l’autonomisme de Robert Lafont, nous n’y croyons pas. » Il s’appelait Maurice Bérenguier. C’est une figure symbolique du PC languedocien. Et je reçois de sa part une invitation à dîner. Il me dit : « Voilà ! On vient de lire ton bouquin. On pense qu’on va en tirer une proposition de loi. On pense que tu as raison sur beaucoup de points. Alors, écoute, on va essayer de fonctionner. » Il m’a envoyé manger en tête à tête avec Georges Marchais. Et Georges Marchais a eu cette phrase qui est reproduite dans l’exposition qui m’est consacrée et qui m’a fait un plaisir immense : « Moi, je n’y comprends rien. Les camarades disent que vous avez raison. »
9Cela, c’est très important. En effet à Arles, à Montpellier, à l’Adrech, les thèses sur le colonialisme intérieur étaient passées par la CGT, qui a été l’élément moteur et qui a entraîné le PC à sa suite dans cette affaire. Alors arrive Montredon, 100 000 personnes à Montpellier, 200 drapeaux occitans, que le mouvement occitan était bien incapable de fabriquer. Ils avaient été fabriqués par la CGT dans la nuit…, et dans une période très importante. Et alors se passe ce phénomène, que le PC essaie bien sûr de prendre pied. Moi, je ne défends personne, j’analyse ce qui s’est passé, comme acteur à un moment principal. Ce qui s’est passé, ça a été ensuite, après cette mobilisation, la reprise de la grève, avec ce personnage qui était sorti à cette occasion, un mineur de l’Adrech, qui met le drapeau occitan sur la mine. Ensuite il y a cette longue grève de l’Adrech qui prend des couleurs occitanes, avec Lafont portant le drapeau occitan, au fond de la mine, à l’endroit où il y avait eu du grisou, où la mine était fermée. Et ça veut dire une mobilisation constante… C’était fort émouvant pour moi.
10J’ai rencontré deux fois ce qu’on pourrait appeler entre guillemets « le peuple occitan », c’est-à-dire la classe ouvrière : dans la Résistance, d’abord. Et j’ai trouvé ces mêmes en lutte quand Maffre-Beaugé dit : « Peuple occitan, réveille-toi. » C’est devant la menace de l’entrée de l’Espagne dans le Marché Commun. Et alors il était en voyage, il allait vers la Suède. Il s’était arrêté à Heidelberg. Il lit dans Le Monde cette nouvelle. Il dit : « Aïe, aïe, la gaffe ! On n’a pas le droit d’être anti-européen. » Alors j’écris Lo païs escorjat à Heidelberg. Ensuite on le corrige, je le soumets à Chabrol et à Maffre-Beaugé. Immédiatement Maffre-Beaugé dit : « On va le faire signer. » Ça a été imprimé par les Presses du Travailleur du Languedoc, contrôlées par le PC. Mais les premiers signataires sont les présidents des chambres, des caves coopératives du Languedoc, qui ne sont pas toujours à gauche. Donc c’est un rassemblement sur le modèle qui a souvent été analysé et qui remonte à 1907. La lutte contre le centralisme est capable de réunir la classe ouvrière et la paysannerie. Et si cette union n’est pas réalisée, c’est le fascisme qui passe. C’est tout le poujadisme occitan qui va nous mener à Le Pen.
11Quand la divine surprise se produit, l’élection de Mitterrand, le maire de Narbonne me dit : « Il n’y a pas besoin de mouvement occitan. Le mouvement occitan, tu le sais bien, c’est le parti socialiste. » À ce moment-là certains députés socialistes me disent : « Tu sais, Mitterrand est au pouvoir. On n’a pas le PC. Les PC vont tomber. » Je vois Mitterrand d’ailleurs immédiatement dès son élection et par-delà je vois Lang bien sûr : c’est le rapport Giordan.
12À partir de là les communistes marquent le pas. Je dois dire quand même qu’il y a eu une manifestation le 10 mai 1980, qui est extrêmement importante, à Montpellier, où il m’a été donné de parler occitan. Et ça a été l’un des derniers rassemblements avant l’élection de Mitterrand. Ce fut totalement occitanisé, y compris de façon populaire. Les communistes de Béziers ont décidé de faire une cargolada, d’apporter des escargots. Et, comme il faut les faire jeûner, ils ont pris l’omnibus pour aller là-bas… Et je me souviens de cette cargolada sous le drapeau occitan, Marchais passant, les dignitaires passant et disant : « C’est bien, c’est bien ! »
13Le véritable problème, c’est la rupture de la gauche, c’est la fin du mouvement politique occitan. C’est comme le mouvement breton, c’est exactement pareil. Quand la gauche s’est brisée – ce n’est pas à moi de juger si c’est la faute de Marchais ou de Mitterrand –, ces mouvements ont perdu leur assise populaire. Alors moi, je suis allé à peu près tout seul, avec Alranq, jusqu’au bout, jusqu’à Chateaudun et même au-delà, puisque vous devez avoir dans les archives une conférence sur le colonialisme intérieur au moment où les CRS – Mitterrand était au pouvoir – encadraient L’Adrech et où on discutait de l’avenir du charbon sur le thème qu’on répandait à ce moment-là : l’avenir des mineurs, ce n’est pas le charbon… c’est l’autonomie régionale, c’est l’autogestion…
14Dans le parti communiste, il y a toujours eu cette opposition, y compris de certains occitanistes, pas nombreux : il y avait Castan par exemple. Cette opposition a ensuite repris du poil de la bête, mais je n’ai rien à dire, parce qu’à ce moment-là je n’ai plus connu personne. Quant à Maffre-Beaugé, je vais vous raconter encore. On avait lancé Mon païs escorjat à trois. Moi, je vais téléphoner à Chabrol, parce que Chabrol était une autre figure cévenole, un homme très populaire, un romancier à succès, et nous avons toujours parlé occitan entre nous. Il était un homme très enraciné. Et je vois Emmanuel Maffre-Beaugé qui nous apporte son éloquence. Il y a des manifestations. Et puis nous apprenons au meeting de Béziers, où j’ai parlé occitan d’ailleurs, meeting qui réunissait de dix à quinze mille personnes, nous apprenons que Marchais et Maffre avaient mangé ensemble à Gignac. Il a trahi le pacte et le prix de ce pacte trahi, ça a été un siège de député. Marchais est venu le chercher et le convaincre. Mais ça vous explique que le PC était manœuvré.
15Le 10 mai 1980, j’étais en tête du cortège avec le député-maire, Deschamps. C’était le dernier grand défilé, celui qui a été filmé. Il y avait comme une foule de drapeaux occitans. Et Deschamps se tourne vers moi et me dit : « Professeur – il m’appelait professeur ! –, vous devez être content, regardez cette foule qui vous suit. Il y en a qui disent : Lafont est en train de se faire récupérer par le PC. » J’ai dit à Deschamps : « Écoutez, entre nous qui récupère qui ? » Il a eu le bon sens de rire. C’est la dernière confidence que je vous livre. Krasucki m’a dit : « Je n’avais jamais vu ça, quand tu as parlé occitan, je n’avais jamais vu ça dans un meeting. » Vous sentez la charge d’émotion de la langue de famille.
16Je vous donne quelques clefs qu’il faudra utiliser. L’histoire, il faut la connaître dans son épaisseur. Vérifiez sur le texte de la proposition de loi « Pour une république unitaire démocratique », vous verrez que c’est du Lafont en grande partie. C’était le bouquin que je n’écrirais plus, qui s’appelle Autonomie : de la région à l’autogestion. Et le thème autogestionnaire, qui est né au PSU, comme vous savez, avec Heurgon essentiellement, comme doctrinaire, Mallet et Rocard. Et cette notion d’autogestion, le PC l’a prise en chemin, en prenant l’occitanisme en charge. Ce n’était pas toute l’Occitanie. L’Occitanie du nord est restée tout à fait étrangère : les Occitanistes limousins étaient présents, mais les masses qui ont bougé sous le drapeau occitan, elles ont prise entre Marseille, Narbonne et Carcassonne. Elles sont là avec des points forts : la municipalité d’Arles, la municipalité de Narbonne et Montpellier avec sa complexité et le Larzac. Le Larzac, c’est le point essentiel de notre siècle1.
Notes de bas de page
1 Note de janvier 2004 : Le grand rassemblement alter-mondialiste du 9 août dernier l’a montré. Je n’ai pu y participer, mais mes jeunes amis y ont diffusé le manifeste que j’avais écrit Gardarem la Tèrra, que même José Bové a repris.
Notes de fin
* Ce texte est la transcription, relue par Robert Lafont, de son intervention orale.
Auteur
Université Paul-Valéry, Montpellier
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