Avant-propos
L’Occitanie, ou la quête du Récit
p. 5-7
Texte intégral
1Le présent ouvrage rassemble et constitue les actes du colloque Récit d’Occitanie, qui s’est tenu à Aix-en-Provence, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, les 4 et 5 mai 2001. Originellement conçu à la demande de l’Association Internationale des Études Occitanes, ce colloque était organisé par l’UMR TELEMME (Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionale-Méditerranée), dans le cadre de son programme n° 4 (Régis Bertrand, Jean-Noël Pelen). Deux groupes de recherche de ce programme se sont plus particulièrement associés pour concevoir cette rencontre : le groupe n° 2, « Les enjeux du langage dans l’espace provençal » (Jean-Claude Bouvier), et le groupe n° 3, « La production du récit collectif » (Jean-Noël Pelen).
2L’Occitanie, clairement et simplement définie comme l’ensemble des pays de langue d’Oc, n’a jamais existé qu’au cœur d’un irrésoluble paradoxe : celui de son inexistence même, de son impossible existence. L’histoire de l’Occitanie est en effet toute liée à celle des langues romanes, à leur émergence, leur évolution, voire leur dissolution, cela en relation étroite avec l’histoire politique et la constitution territoriale des états – royaumes, empires, nations. Brillante langue véhiculaire et de haute culture à l’époque des Troubadours, la langue d’Oc ne s’est toutefois jamais trouvée instituée comme la langue d’un pouvoir, qui lui aurait conféré une ferme reconnaissance et une légitimité. Elle n’a jamais été non plus, du même fait, une langue strictement codifiée dans le champ social, unitairement enseignée, avec une syntaxe, un lexique, une prononciation dûment référencés. Elle n’a jamais joui, de la sorte, d’aucune centralité propre, ni politique ni linguistique, qui lui assurât une claire conscience de son être. Ce fut une langue apatride, dénuée de sol.
3Fragmentée en dialectes, sous-dialectes, parlers locaux, sa territorialité a été éclatée dans l’horizon de provinces, petits pays, villages même, selon les sentiments d’appartenance de ses locuteurs, appuyés sur la perception géographique, l’organisation administrative, la réalité du peuplement..., que ces sentiments soient linguistiquement justifiés – ce qui fut le plus souvent le cas – ou non. Ainsi a-t-elle été longuement, et jusqu’à il y a quelques décennies, une langue essentiellement de la pratique, de la quotidienneté, de l’ascendance, définissant ou participant à des espaces d’identification matriciels, dans le sens où ils étaient comme en repli de celui que découpait, avec une évidence crue et dans une autre langue – le français –, la nationalité.
4À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, et selon un mouvement qui est allé en s’accélérant, la langue d’Oc a été concurrencée dans ses usages puis son existence même par le français, langue de l’état, qui a emprunté pour cela les voies multiples – outre de l’administration – du commerce, de l’école, du « Progrès » sous toutes ses formes, voies de la domination politique, sociale, économique, culturelle, jusqu’à laisser cette langue, de nos jours, sans presque plus de locuteurs natifs.
5La problématique de l’Occitanie, espace de la langue d’Oc, au fil de l’histoire, a ainsi été celle d’un territoire indéfini, malléable, quêté au travers de l’univers à cet égard fictionnel de la langue – puisque celle-ci ne pouvait établir un territoire réel ou tout au moins reconnu –, pour se renforcer peu à peu, à partir du XVIIIe siècle, d’une double problématique du deuil : la lente perte, au travers de la langue, de ce territoire originel, et la dissolution des ascendances tutélaires qui se déployaient dans l’univers disparaissant de la langue.
6Les locuteurs de langue d’Oc ont été, à bien des égards, comme des orphelins. Orphelins d’un sol quasi mythique – l’Occitanie et ses multiples déclinaisons internes –, orphelins d’ancêtres emportant dans leur tombe la langue originaire, orphelins de savoirs, de pratiques, de quotidiennetés disparues devant le Progrès en même temps que s’évanouissait la langue, tout cela établissant la nostalgie et la valeur refuge de cette dernière, comme réceptacle disparu d’une ancienne adéquation intime de l’être au monde. Naître en langue d’Oc fut, durant quelques siècles et face aux diverses formes de la domination du français, comme naître bâtard : naître dans une illégitimité.
7Les contributions qui suivent interrogent, chacune pour sa part, l’émergence et l’évolution du fabuleux travail narratif que les locuteurs de langue d’Oc – et désormais leurs descendants – ont dû opérer pour créer, incorporer, justifier des récits qui les légitiment eux-mêmes dans leur naissance. Récits historiques, œuvres littéraires, trésors des parlers, des us et coutumes, revendications politiques, et il faudrait ajouter à cela : contes, petites légendes ou grands cycles légendaires, chansons, productions cinématographiques même... Tous les récits d’Occitanie sont récits d’origine. On lira, au travers des exemples développés, les caractères presque obsessionnel, désordonné, désespéré et en définitive presque vain de cette quête. Ces caractères ne ressortissent pas à l’incapacité quasi naturelle de cette langue et donc de ses gens à créer, comme quelques esprits bien pensants mais attardés le suggèrent régulièrement. Ils ressortissent plutôt au déclassement de fait que cette même langue et ces mêmes gens ont subi au travers de l’histoire, les conduisant sur les chemins de l’errance, à la recherche d’un monde déjà disparu puisque jamais il n’a été : un pays originel.
8C’est dans ce schéma archétypal que les récits se rassemblent. S’il est quelques référents événementiels plus connus et partagés que d’autres – le temps originel des Troubadours, la mort précoce à Montségur, la résurgence fleurie du félibrige, l’embrasement du Larzac comme ultime épopée –, aucun n’est nécessaire ni ne suffit. Car il s’agit là de la grande histoire. Récits de territoire. Mais le Récit d’Occitanie dans son unité de fond est aussi, par essence, plus secret, plus intime. Récit de langue. Il s’ancre, pour chacun des individus qui le portent, dans un horizon plus restreint, le « petit pays », quelques ancêtres aux visages encore proches, les images enfouies d’une enfance gorgée de vie, de raisins abondants sous la treille, et plus loin encore, en amont, à la source, l’originaire même, l’aune du récit, le Récit en sa forme pure, en deçà de toute concrétisation narrative : l’euphonie disparue.
Auteurs
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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