La méridionalité et le village. Grand Récit et fragments de vécus
p. 273-285
Texte intégral
1J’ai demeuré dans un village de Provence, durant plus de vingt ans. J’y ai vécu en tant que simple citoyen. Je n’y ai jamais été véritablement ethnographe, ni historien. Pourtant, avec la consistance conférée aux choses par la durée, il m’arrive de réfléchir à l’expérience que j’y ai partagée, comme je penserais à un objet d’ethnographie ou d’histoire. L’une des questions qui m’y ont sans cesse interrogé, presque par-devers moi, est celle du sentiment de la méridionalité. En ce village était ce sentiment. De quoi était-il fait ? À travers l’épaisseur du temps, je voudrais réfléchir ici à cette question de manière assez souple, laissant affleurer ce qui, dans mon expérience personnelle comme dans l’expérience collective, m’a semblé donner du relief à ce qui exprimait, avant tout autre chose, une forme d’émotion.
2Je me souviens de mon arrivée au village. Il vivait au pied des collines, sur une sorte de plateau dominant la plaine. Comme sur un îlot, entre deux mondes. Plus une voiture, sur la grand-route, passées cinq heures du soir. Son habitat était encore groupé, et ses contours définis. Au-delà de la dernière maison s’étendait, vers la plaine ou la colline, un autre monde. Vers l’horizon des falaises calcaires, au nord, la nature. Vers le sud les troupeaux sur les landes sèches, et les prés irrigués. Durant l’été, à promener dans ses ruelles sur lesquelles la nuit revenait par l’ampleur du silence, l’on entendait, fenêtres grandes ouvertes, les vieux ronfler. Et c’est cela que l’on me fit d’abord entendre, lors de ma première visite. L’on s’assoupissait là sans nulle crainte. Le village vivait ainsi en son propre lieu, étant sa propre référence. Cela lui donnait sa cohérence tranquille.
3« Aureille est une grande famille », aimait-on dire et redire, en arborant une fierté qui se voulait accueillante1. Cette formule sans cesse répétée soulignait une interconnaissance encore généralisée, le fait d’être en mesure d’égrener les ascendances et les cousinages de chacun. Le fait de pouvoir rapporter, aussi, au travers de quelques anecdotes, une sorte de légende, ou plutôt de geste villageoise. La réalité de cette grande famille se concrétisait dans le loisir de pouvoir, après avoir frappé par politesse et pour respecter une intimité, pousser la porte de chez quiconque et pénétrer dans chaque demeure sans attendre que l’on vous y invite, car chez chacun c’était un peu chez soi. Ôter son chapeau ou sa casquette en entrant était une incivilité, une méconnaissance de l’entre-soi, ou bien une politesse à laquelle un « étranger » se devait, mais non celui qui faisait partie. Le fait, encore, de savoir-faire partagés, autour de traditions de nourriture, d’agriculture, d’élevage, de festivités.
4Le sentiment villageois gîtait dans cette composition simple. Peut-être était-ce un peu partout cela, du moins en cette région et en cette époque, le sentiment villageois. On le précisait, par quelques récits, de repères spatiaux ou temporels. Dès le village d’à côté, vers l’est, et pour quelques maigres dissemblances de vocabulaire ou de prononciation, l’on prétendait que le « patois » n’était plus le même, comme si l’on y avait parlé une autre langue, établissant par cette distinction donnée pour radicale la spécificité d’une petite humanité sur son territoire2. Lorsque le premier train passa, l’on rapportait que tous allèrent assister à son honorante traversée, les infirmes emmenés sur des brouettes, avec le souci de savoir si, ici comme ailleurs, il « sifflerait », apportant la reconnaissance joyeuse d’une modernité désormais acquise, renouvelant les temps anciens. Quelques récits précisaient la teneur de cette identité en ce temps et ce lieu. Les corbeaux disait-on y volaient sur le dos pour ne pas voir la misère, parce que l’on y était pauvres et paysans. D’un autre village, la route qui ramenait par l’ouest était toute sinueuse. Car pour établir son tracé au plus court l’on affirmait avoir lâché, depuis le village relié, un âne, en présumant que celui-ci reviendrait droitement à son râtelier, indiquant ainsi le chemin le plus court aux géomètres. Mais chaque propriétaire, pourvu d’un fort bâton, avait attendu l’âne à l’angle de son champ pour l’en détourner. La route passerait ailleurs. Manière de rappeler que son lopin de terre revenait naturellement à chacun3.
5Peu ou prou, et quoique la population se soit nourrie jusqu’en des temps récents de vagues migratoires diverses, italienne et espagnole notamment, c’était là un récit collectif profondément intégré, parce qu’une très large majorité vivait encore sur le terroir4, et que ce récit était nécessaire, étant comme le récit natif, véridique. Il était, entre tous, le juste et unique lien, ou tout au moins celui auquel l’on pouvait se référer le plus aisément, le plus immédiatement, le plus communément. Et les derniers venus étaient ceux qui le narraient le mieux, le convoquant pour s’inscrire en son sein par sa profération. La multiplicité de pratiques agricoles tout autant concrètes que définitoires, de gestes partagés de la quotidienneté, de manifestations de sociabilité, de gestions des espaces féminins et masculins ou de classes d’âge que ce récit fédérait est extrêmement lisible dans le monument narratif qui lui a été consacré sous forme d’un ouvrage, au simple et juste titre Aureille, paru en 1994 et qui a donné lieu, coordonnées par l’auteure, à toute une quête et une organisation mémorielles collectives5. La représentation mise en avant, par le truchement particulièrement de la photographie, montre bien cette sollicitation d’une identité avant tout cohésive, sorte d’album d’une famille élargie. Ce n’est probablement pas un hasard si cet ouvrage est paru au moment même où le récit cohésif dont il témoigne se délitait définitivement, sous la force d’une ouverture incontournable et définitive au reste du vaste monde. Comme de bien d’autres récits d’identité collective, sa monumentarisation en signale le diluement, et fréquemment une forme de mise en deuil. Cette évocation d’une perte proche semblait là toutefois un sentiment encore latent, un pressentiment dénué de véritable crainte, qui ne voyait pas venir l’étendue de mutations autant profondes que définitives.
6Le récit du village, s’il établissait par sa composition anecdotique des profondeurs de mémoires différenciées, d’ordre générationnel, rapportant le souvenir de quelques figures originaires hautes en couleur et le plus souvent facétieuses, s’inscrivait peu dans le champ de la grande histoire, ni même d’une conscience historique qui lui aurait été propre. Certes le village avait son château, témoignant d’un ancrage tutélaire dans la longévité. Mais l’évocation de celui-ci se limitait à sa présence. Certes le récit avait aussi son revers secret, relatif à la dernière guerre, et qui semblait s’effacer dans le mutisme. Mais ses rappels les plus fondateurs, les plus explicites, étaient ceux relatant son inscription dans la modernité familière – l’eau à la fontaine puis au robinet –, laquelle modernité l’avait extrait d’une ruralité par trop frugale. Une fois cet acte posé, l’histoire semblait s’être arrêtée. L’on était dans un temps suspendu, de joyeuseté, qui bornait de l’amont à l’aval ce que le lien villageois, désormais épanoui dans l’éclairement du monde par la mythologie du Progrès, devait être6.
7Il serait difficile, ici, de dépeindre en détail les entrelacements complexes et nuancés de ce sentiment villageois avec d’autres horizons d’appartenance, d’autres pôles d’attirance ou de distinction : villes et villages à l’entour, terroirs environnants, région, méridionalité, nation7. Ces horizons existaient, mais il ressortait de l’examen de chacun d’entre eux toujours le même constat : l’absence de tout récit historique conséquent pour les étayer d’une légitimité narrative8. Être provençal, être méridional, comme on l’a vu pour le sentiment villageois, c’était participer à des entités quasi intemporelles. Il faudrait plus justement dire êtres habités par ces entités.
8La provençalité semblait un songe creux. Elle était vide de toute histoire, aux divers sens de ce mot. Plus vide encore que les récits du village. Il semblaitque l’on ne se souvienne pas, de ses origines. À peine quelques motifs égarés décrochés de toute construction. Le roi René et la reine Jeanne, parfois, références aussi peu causantes que des vestiges de pierre, mais peut-être motifs tout aussi beaux que des statues désenfouies. Juste les nommer. Et sur les deux rives du Rhône, célébrant la symbolique du fleuve, les châteaux9. Il était étonnant de constater cela : que la narration historique s’étant dissoute, les bribes qui en restaient opéraient comme des hiérophanies. N’étaient plus des récits mais des monstrations. Des apparitions. Des icônes.
9Je me suis longtemps interrogé sur ce qui me semblait un vide, attendant une narration démonstrative. La provençalité ritualisée au village ne me paraissait pas être le lieu de son expression la plus profonde. Le groupe folklorique farandolant devant le café aux lueurs nocturnes ou sous l’astre solaire ne diffusait pas de sens vraiment collectif. Le félibre local – ainsi qu’il fut pendant quelques décennies d’usage que toute localité ait son félibre pour témoigner de son surgissement originel depuis un acte littéraire10 – semblait comme un ancêtre oublié, fantomatique, auquel l’on portait révérence mais dont on n’absorbait plus la sève vivifiante. L’on se défiait des grands hommes, probablement parce que l’existence de ces derniers est liée à l’imposition d’un récit dont ils se proclament l’incarnation. Et l’on paraissait ne pas désirer de récit. Ceux des deux guerres avaient montré ce qu’il en était des récits. Il suffisait donc d’avoir arrêté enfin le temps, après cette page bénéfique de la modernité mais en gardant encore le soleil. La provençalité était dans l’ensoleillement. C’était éminemment une sensation.
10L’on se défiait tellement des grands hommes que, dans les années 1980, le conseil municipal décida de débaptiser toutes les rues dénommées par un patronyme, quel qu’il soit, se libérant ainsi de toute tutelle. Ainsi déboulonna-t-on Frédéric Mistral de la rue centrale qui devint une « rue du mistral » – car le mistral souffle très fort en ce village –, et de même Charloun Rieu, le chantre du terroir, de la place principale, laquelle devint une « place du moulin »11. Peut-être se souvenait-on que ces rues avaient été ainsi baptisées durant la guerre. Mais cet aléa malencontreux ne suffisait pas à faire prendre toute référence à Mistral ou à Charloun Rieu comme un acte inévitablement pétainiste. Non. L’on se défaisait seulement d’une pesanteur ancestrale vaine, car les temps étaient heureux. L’on était provençal sans blessure, sans mémoire douloureuse, et même sans revendication.
11Je me demandais alors où était le récit afférent au sentiment collectif. Peut-être était-il mort dans le bonheur. La provençalité affichée était acquise et joviale. Quelquefois surgissait une bribe d’un vécu plus ancien qui avait connu ses douleurs. Ainsi les vieilles personnes, qui parlaient encore couramment et quotidiennement le provençal, ne conversaient-elles au téléphone qu’en français. Elles s’en justifiaient en affirmant que le provençal, sûrement trop grossier, ne passerait pas dans le fil. C’était une plaisanterie. Mais, de fait, l’on ne parlait vraiment pas provençal au téléphone. Il y avait ainsi, attachée à la langue originaire, l’image d’une archaïcité incompatible avec une certaine modernité. Aussi la petite plaisanterie qui affublait cette langue d’un dénigrement était-elle tout à fait pertinente comme témoin du récit. Elle était devenue, à peu près, concernant la mémoire de la délégitimation de la langue12, l’ensemble du récit. Alors, on le voit, chaque morceau de ce tissu déchiré d’un récit absent ne manquait pas de sens. Mes menues observations, faites presque malgré moi tant elles me semblaient porter sur des faits insignifiants, me laissaient peu à peu convaincu toutefois que le récit, le Grand Récit était là, dans ces pratiques presque chétives, dans ces lambeaux qui semblaient décollés les uns des autres, flottant épars, mais qui néanmoins, de l’un à l’autre, à la manière d’un puzzle éparpillé, proposaient une narration latente, une réserve densifiée de sens.
12La provençalité s’accrochait ainsi à de petites choses. On était provençaux parce qu’on faisait la crèche. Ça n’est pas rien, de dresser une petite humanité modelée, reconnaissable, avec des figures du pays – le rémouleur, le meunier, la femme brassant l’aïoli – et d’aller chercher sous les chênes, les vieilles femmes surtout, aux abords sauvages du village, de la mousse humide et verte pour assouplir l’horizon sec des collines de papier. « La crèche c’est vraiment la Provence. » L’on recréait ainsi, l’espace d’un rituel, une ancestralité sans noblesse sociale ni même narrative, quotidienne (ainsi que le village se définissait en des usages eux-mêmes quotidiens), mais pourtant auréolée de la sacralité que lui conférait sa relation à la Nativité13. Le quotidien était ainsi ce qui était natif. Il faisait naître, était originaire. À en croire la profusion des chants de Noël en provençal, il ne faisait pas de doute que le petit Jésus entendait cette langue. L’on était provençaux, aussi, parce que l’on aimait aller manger l’aïoli au cabanon, le lundi de Pâques. Avec les escargots du jardin. Ce n’est pas peu de chose que d’honorer ensemble un renouveau. L’enfleurissement des vergers nourriciers est alors à son comble. L’on était provençaux, encore, parce qu’on avait de la verve. Le cafetier qui, le jour de l’ouverture de la chasse, ferma les volets de son établissement – ce qui lui était acquis bien sûr pour un si grand jour car le gibier foisonnait – en leur apposant l’écriteau cocasse « Fermé pour cause d’ouverture », obtint d’emblée le droit d’entrer dans la légende. Par cette facétie, prouesse de langage, il établissait un récit significatif de la passion de tous. La chausse-trappe tendue par le terme ouverture inaugurait, par une sorte d’« acte verbal »14, l’ouverture même de la chasse. La rencontre avec le sauvage. L’écriteau valait déjà toutes les chasses. Selon le jeu de langage, le monde de la chasse n’était plus le monde ordinaire. L’on y fermait les portes pour les ouvrir. Le petit récit illustrait l’exceptionnalité de ce territoire comme narratif15. Son caractère minimal même et cocasse la fondait. Car, en cette provençalité, la facétie, le cocasse tenaient lieu d’art unique du récit. La galéjade était amplement perçue comme participant de l’originaire, comme l’instaurant. Cela semble un paradoxe. Mais il n’est guère possible d’entendre ce récit si l’on n’admet pas cela. Pourquoi le récit de soi, le récit des origines, les récits ancestralisants, naturellement nobles, s’énonçaient-ils toujours sur le mode de la dérision ? Pourquoi cette inversion de statut ? L’usage de la dérision ne signifiait pas bien sûr que l’enjeu du récit ni le récit lui-même étaient sans noblesse. Il s’agissait bien de récits fondateurs, marqués de cette étrange qualité16.
13Une intense passion, des journées hivernales aux soirées d’été, était le jeu de boules. Il se jouait en plein centre, sur la place de l’église, avant que d’être reporté à l’extérieur par un souci probable de propreté sociale grandissante. Les vieux s’asseyaient sur des bancs. Le dimanche, ou pour les grandes fêtes, les femmes, les enfants, tout le monde jouait. Parfois, la place était noire de monde. Mais qu’est-ce qui fascinait dans ce jeu ? C’était inévitablement les boules. Leur trajectoire sur le sol, ou quelquefois dans les airs, lorsqu’une boule lancée par un joueur expert suit une ligne pure pour en chasser une autre et s’installer très exactement à sa place. Le carreau. Ou bien ce silence, lorsqu’une boule roule longuement à terre, comme poussée par une claire destinée, se frayant le chemin sans détour jusqu’à son but, s’apposant pour finir contre le « bouchon », ainsi qu’une planète rejoignant son soleil. J’ai toujours observé la passion du jeu de boules comme ressortissant au geste même du jeu. Sa solennité renvoie alors immanquablement à une dimension titanesque de l’homme, tenant en sa main la boule comme un dieu antique le disque, et la jetant sur le ciel de la terre (ainsi qu’à la marelle on pousse le palet de la « terre » au « ciel ») pour en dessiner une cosmogonie instable17. N’est-ce pas là le jeu de Gargantua, de tous les géants, épandant leurs boulets de pierre sur la plaine, leurs boules de rochers sur les sommets ronds des montagnes. N’y avait-il pas, dans la dense passion dédiée à ce jeu, comme le nourrissement d’un sentiment mythique18 ? Il faudrait décliner ce mythe19.
14Bien entendu, ce ne sont là qu’hypothèses. L’on ne peut, si rapidement, prétendre à une si profonde résonance narrative de menus faits sans en faire la démonstration. Et pourtant. Ne fallait-il pas que tout soit là de ce qui fonde une autochtonie, cette reliaison au lieu comme totalité ?
15Un samedi de fin d’hiver devait avoir lieu le bal masqué du Club de foot nouvellement né. Ces bals masqués étaient pratiqués, à mon étonnement, avec grand engouement. L’on s’y appliquait des semaines à l’avance. Le bar et son arrière-salle s’en trouvaient bondés d’une population joyeuse, pour laquelle les travestissements soigneusement préparés étaient source de rires, d’exclamations en cascades, comme de contacts, dans l’entrechoc des identités bigarrées, inaccoutumés et presque libertins. Le Club de foot, avec les courses effrénées et les shorts ensués des garçons de tous âges, voire de quelques filles, assemblait la jeunesse dans l’illusion sportive, et ouvrait surtout aux dernières formes des combats villageois, nourris des réminiscences des batailles de conscrits. Il occasionnait, dans l’euphorie des victoires, dans le commentaire profus de défaites presque toujours imméritées, d’abondantes libations. Son bal constituait de cette façon une festivité annuelle majeure, dans lequel se coulait, comme dans un creuset, d’une manière tout aussi dense mais plus intime que dans les bals aux nuits chaudes de la fête votive estivale, le sentiment villageois.
16Aussi avais-je, par un souci inquiet d’intégration, décidé de me rendre à cette soirée, malgré la réticence très personnelle que j’avais alors envers tout travestissement. La veille ou l’avant-veille, je croisai un villageois dans la rue et babillai avec lui. Il s’enquit de mes activités pour les jours à venir et je lui indiquai, avec une sorte d’enthousiasme contraint, que bien sûr le lendemain ou le surlendemain j’irais au bal. Que faire d’autre ! Il porta sur moi un regard surpris : « Mais comment, me dit-il, tu ne sais pas ? Mais il est supprimé ! » Je fus fort étonné à l’instant même, et presque consterné, d’une telle nouvelle. Car il ne pouvait y avoir, à l’annulation de tant d’enthousiasmes, qu’une raison radicale. « Mais pourquoi ! Demandai-je. – Mais il y a Marius, à la télé ! »
17 Marius, le film de Pagnol20. Le bal annulé. Bien sûr. Il n’y aurait personne. Car l’on assisterait, ce soir-là, en famille, avec quelques voisins aussi ou amis proches, à une geste des ancêtres. L’on en revisiterait toutes les scènes, connues par cœur, qui tenaient lieu de récit fictif, de dramaturgie des sentiments, de légitimation et légendification d’une grandiloquence du verbe qui faisait office de tragédie. Marius partirait pour les îles. L’on entendrait sonner la Malaisie. Monsieur Brun chavirerait. César s’emporterait dans de tonitruantes colères, rehaussant, par l’art colossal de Raimu, le verbe originel en une sacralité. Ah ! Sacré Marius ! Fanny pleurerait. Et Panisse serait cocu. Certes, l’on ne raterait pas cela. La trilogie de Pagnol était à lire, alors, comme une véritable mythologie, récupérée presque au hasard. Le report d’un Grand Récit inexistant sur une fiction lumineuse. Honorine allait jeter les derniers mots de provençal. Et Césariot parlerait pointu, tel une descendance perdue.
18Au mur du bar, au grand format, comme en bien d’autres débits de boisson de Basse-Provence, trônait, en photographie, la scène du jeu de cartes21. C’est sous son apparente tutelle que se déroulaient les parties de belote. La scène ancestrale était souvent évoquée par allusion. Tu me fends le cœur. Les payeurs de tournées étaient tous des monsieur Brun22. Mais qui jouait à qui ? La scène, malgré ses échos, restait muette. Tandis que la partie se jouait vraiment. L’art entremêlé du jeu et du verbe était d’une science autant improvisée que remarquable. Les emportements souvent calculés. Les rires, les mots allusifs, savants d’une stratégie codifiée. Et le patron s’autorisait aussi de jouer son coup. C’était « le coup du glaçon ». Au sein d’une session trop sérieuse ou démonstrativement bruyante, il jetait, depuis le comptoir et d’un geste adroit, un glaçon qui traversait la salle pour s’effondrer et rebondir sur le tapis, déclenchant des exclamations de protestation, et tout aussi immédiatement des éclats de rire. Aussi la partie originelle se rejouait-elle sans cesse si librement, avec tant d’inventivité et d’attention spontanée à la théâtralité que, à la fin de chaque jeu et comme dans une boucle parfaite, c’était la représentation murale qui semblait descendre de la réitération sans prétention mais épique que l’on venait d’en redonner. Cette réception coutumière par chacun d’une once de déité se lisait au plaisir, à la fierté détendue avec lesquels ces hommes, le jeu achevé, se levaient de la table, arpentaient les quelques mètres qui les séparaient du comptoir, ou prenaient leur chapeau ou leur veste pour rentrer chez eux, repus d’un récit réapparu. Ils avaient, par cet instant, littéralement incorporé une geste et se mouvaient, selon un jeu du corps qui s’observait mais qu’il est vraiment difficile de décrire tant il ne se déclarait pas ouvertement, comme des acteurs. Avec cette chose étrange que le rôle qu’ils jouaient était le leur propre et que, pourtant, ils le jouaient. Ils s’étaient agrandis de leur propre légende.
19Fallait-il des dieux ? Certes il y en avait un, bien usé, à l’église. En celle-ci la plupart des hommes, par une sorte d’honneur presque rigide plus que par une conviction que l’on n’aurait su motiver, n’entraient pas. Les enterrements faisaient un tri net. Les femmes dedans, les hommes dehors, à attendre qu’on leur restitue le mort. Le Christ ne faisait pas recette. Beaucoup de défunts, même, évitaient l’église. Peu de dieu, donc, mais le taureau.
20Par des cheminements historiques qui, par exception, n’étaient pas tout à fait oubliés, le taureau avait trouvé ici un lieu d’apparition. Du printemps à l’automne, en maintes occasions, dans les arènes ou par les rues, on le faisait courir, au gré de jeux et de rites divers. En tous ceux-là, la représentation conférée au taureau était celle d’un resurgissement bénéfique et presque intempestif du sauvage. Tous vivaient cela23.
21Parmi les multiples prestations du taureau, il y en avait une qui m’impressionnait beaucoup. Ce rituel impromptu se déroulait généralement vers midi bien sonné, plutôt vers une heure, au cœur de la fête votive, au mois d’août. La fête battait son plein depuis plusieurs jours. Le village, sous un été parfois sans fin, crevait de chaleur. Les ombres étaient des havres. Les taureaux avaient couru les rues, traversant le soleil éblouissant. Il y avait eu des cris, des piétinements de chevaux, des émotions fortes, des cornes frôlant les poitrines et les visages. Les gardians étaient venus. Après leur prestation considérée comme magnifique, ils s’étaient assemblés à cheval et en bon ordre, devant le bar. À cheval, ils avaient bu le pastis, levant haut le verre24. Les cuivres de la peña avaient sonné, claironnant leurs notes criardes. La coupo santo, le chant de la coupe provençale célébrée par Mistral – laquelle était inévitablement confondue avec le verre de pastis qu’on haussait à nouveau – avait retenti25. Les musiciens étaient ensuite entrés dans le bar et la musique, aux couleurs chaudes de l’Espagne, cette exacerbation du Sud, avait éclaté, assourdissante. Les marais originaires de la Camargue d’où surgissait le taureau, la provençalité comme libation chantée, l’éclat hispanisé de la grande méridionalité, tous les horizons d’appartenance étaient assemblés. Le pastis coulait à flots. L’on ne s’entendait plus. Le bruit de la musique, l’air saturé d’anis, cela créait une bulle.
22Alors on fit entrer dans le bar un taureau. Il pénétra dans le brouhaha, avec d’abord une confusion, une bousculade, devant la porte. Puis un cercle s’ouvrit et le silence se fit, immédiat. Le taureau avança lentement. C’était Hector, l’animal apprivoisé de la manade Chapelle. On lui offrit, devant le comptoir, un seau d’eau mêlée de pastis, et il but. Un instant le calme se fit jusqu’à l’extinction des souffles, tant que le taureau buvait, absorbant la boisson festive, instant suspendu que le silence s’employait à élargir pour lui donner toute sa mesure. Puis lorsqu’il eut fini, et après, encore, une cessation brève du temps, un rire isolé jaillit, alors tout aussitôt une cascade de joies, de cris. Hector a bu ! Et le pastis à nouveau de couler, et la peña de tempêter.
23J’avoue avoir été sidéré par la puissance de cette scène, dont il faudrait déplier le sens comme l’on déplie une boule de papier pour retrouver la cohérence d’un dessin chiffonné. Car quoique rien ne soit exactement dit, il me semblait que c’était là le point nodal de la fête, celui où les sentiments villageois, provençal et méridional, étant fondus entre eux, étaient actés, aspirés dans un même trou noir – ce silence étourdissant d’avoir jailli et disparu du bruit – par le taureau en « personne ». L’on saisit sans difficulté, par tous les rituels et les monstrations dont le taureau faisait l’objet, que son entrée dans la maison commune du bar ait pu évoquer celle d’un dieu. L’on comprend aisément aussi, si l’on admet du sens, qu’il pouvait être presque violemment significatif que ce taureau ingère la boisson festive, étant comme accoudé au bar. La déité sauvage, incarnation de l’autochtonie, trinquait avec les hommes au creux de la liesse, lorsque le sentiment du collectif se reforgeait. Il faudrait déplier le dessin brouillé du pastis. Montrer que cette cocasserie que l’on associe à la méridionalité comme son bonnet à une Bécassine est en vérité gorgée de réserve métaphorique. J’ai déjà notifié ci-dessus l’élèvement littéral de la boisson, sa vocation à être toastée pour signifier la célébration cohésive. Il faudrait étendre la description des pratiques de ce breuvage, et toutes les capacités qu’on lui conférait à représenter et opérer la fusion. Ce qui était attaché à sa constitution même, son origine végétale, anisée, exhalant l’odeur des collines, son intense couleur jaune, solaire, sa fabrication encore quelquefois familiale qui l’authentifiait comme extrait du lieu. Le fait qu’il se troublât, se densifiant sous l’eau, ce qui l’apparentait à une lie, proposant la magie minimale de ce qui soudain prend corps26. La façon dont on le buvait, à l’excès, le recrachant parfois dans un éclat de rire, pour qu’il emplisse l’air ambiant, jusqu’à ce que chacun et tous soient imprégnés de son odeur, devenant ce que l’on respire, le suc du terroir qui ouvrait à l’ivresse27.
24La rencontre du taureau et du pastis n’était ainsi pas fortuite. L’animal solaire buvait le breuvage solaire. L’animal resurgissant ingérait le breuvage de la création. Incarnant une autochtonie perdue il absorbait le breuvage autochtone28. Déifié par les rituels, le taureau s’abreuvait du terroir dont il était l’allégorie. Il offrait sa sacralité aux hommes29. Et ceci non plus n’était pas fortuit : si le taureau, ayant traversé le village ensoleillé, se désaltérait abondamment du breuvage anisé, juste réconfort et honneur que l’humanité du lieu lui rendait, il n’était jamais question de se gausser de lui, de le rabaisser en l’enivrant. Sa libation était toute symbolique, qui ouvrait l’ivresse de la localité pure. L’on atteignait probablement par ce rite la totalité quêtée. Cela n’était qu’un point de paroxysme, étant soudain dilué par les rires. Mais l’on sentait alors, à une jovialité, une légèreté qui s’étaient agrandies, que le temps n’était plus tout à fait le même, s’étant ouvert à ses prémisses.
25Il ressort de ces évocations que si le sentiment villageois possédait bien quelques récits épars pour exprimer une sorte d’historicité en suspens, flottante, marquée d’identité sociale et de modernité acquises, c’est plutôt dans des fragments de vécus non verbalisés, non revendiqués, que s’exprimait un sentiment d’autochtonie plus radical. Ce sentiment se référait d’abord à la provençalité, territoire spatial et temporel plus large que celui du bâti villageois et ses parages immédiats. Mais c’est dans la méridionalité que le sentiment d’autochtonie se déployait le plus. Celle-ci incluait, par un jeu d’emboîtements, les sentiments précédents et leurs diverses manifestations. Elle leur offrait surtout une extension tout à la fois indéfinie et infinie, faite seulement d’émotions, de sensations non assujetties à une chronologie ni même à un territoire clos. Le décor le plus puissant de cette méridionalité était celui de la colline sauvage au pied duquel le village semblait se blottir, comme dans la crèche. C’était les Alpilles, que l’on se contentait d’appeler communément « la colline ». Faire la sieste sous un romarin était avancé comme le comble du bonheur. Songe-t-on que cela s’opérait par la fusion au paysage, au soleil, au sol pierreux, aux senteurs, soit par une expérience concrète, physique et intime de reliaison au lieu30 ? Les Alpilles ne connaissaient pas d’adjectivation – le terme « alpillois » n’existait pas –, probablement parce qu’elles étaient comme une totalité littéralement dressée, territoire échappé de tout espace, lieu en lui-même, distinct de tout commerce possible avec l’homme, avec le temps, hormis les activités de cueillette et de chasse, qui reconnaissaient sa prodigalité édénique.
26C’était cela le Grand Récit. La transmutation de la narration en émotion. L’adéquation au lieu solaire que la méridionalité manifestait, n’étant elle-même plus que cela. Dans les années 1990, lorsqu’advint le sécuritarisme, imposant un ordre extérieur à l’expérience du local, j’ai vu un vieil homme pleurer lorsque le garde communal lui enjoignit de ne pas mettre d’obstacle à la traversée des taureaux, lequel obstacle n’était constitué que d’un ruban de papier traversant la rue... Il faudrait déplier pareillement ces pleurs, leur signification d’une blessure sociale, culturelle, d’une relation au monde que le taureau manifestait, offense brisant le sens d’une vie31. Certes, Hector n’entrerait plus dans le bar. L’intensité d’un fragment de vécu signalait à nouveau – et maints autres exemples pourraient être proposés de cela32 – la force du Grand Récit inexprimé. Même le soleil, en cet instant, était lui-même dérobé, par la force de l’ordre33.
27Je me suis dit alors, rétrospectivement et au vu de cet écrasement de la localité qui s’est établi depuis de toutes parts34, que l’engouement pour la dérision, la facétie, notifiait cela : une sorte de prescience de la disparition. Si les « Méridionaux » ont tant chanté leur pays, s’ils ont tant ri de leur propre histoire, des figures chatoyantes de leurs ancêtres, s’ils ont tant ri d’eux-mêmes, c’était peut-être qu’ils chantaient et riaient d’un monde disparaissant, appelé à disparaître, déjà disparu. Et c’est cela qu’énonçait la dérision : la défaite déjà acquise, la distance déjà prise au deuil de soi-même35. Le sentiment de la méridionalité était probablement le récit d’une cause perdue, héritage d’une confrontation à l’histoire oubliée et déportée dans le culte d’une douceur presque extatique, en définitive sans temps ni territoire autres que ceux de la sensation intime, du soleil.
Notes de bas de page
1 Sur l’histoire et la vie quotidienne à Aureille, cf. Françoise Arlot, Aureille, Marguerittes, Équinoxe, « Le temps retrouvé », 1994 ; Laurent Merlo et Jean-Noël Pelen, Jours de Provence. Mémoire de la vie quotidienne entre Crau et Alpilles, Paris, Payot, 1995.
2 C’est en vérité une fonction bien connue de la variation dialectale que de distinguer. Elle a notamment été soulignée par Jean Séguy, « La fonction minimale du dialecte », Les dialectes romans de France à la lumière des atlas régionaux, Paris, CNRS, 1973, 27-42 ; et Xavier Ravier, « L’incidence maximale du fait dialectal », ibid., 43-59.
3 Ces anecdotes et petits contes, ainsi que quelques autres qui illustrent ces mêmes pôles narratifs, sont rapportés dans Merlo et Pelen, op. cit.
4 Une enquête effectuée par la directrice de l’école primaire à la fin des années 1970 notait que 65 % de la population active se situait dans le secteur agricole.
5 Cf. Françoise Arlot, op. cit. Le même éditeur a produit, à la même époque et sur l’aire provençale, toute une série de monographies communales de modèle identique. Cela a correspondu, certainement, à un état historique singulier du sentiment villageois au sein de cette aire. Cf. Grégory Deléglise, L’écriture du village. Rognes, dans la collection « Le Temps Retrouvé », mémoire de maîtrise d’histoire, Université de Provence, 1999.
6 Cette absence du récit historique, ce gommage presque, ne signifient pas son oubli absolu mais définissent la teneur dévolue au récit villageois. Une comparaison détaillée mériterait d’être faite avec Françoise Zonabend, La mémoire longue. Temps et histoires au village, Paris, PUF, 1980. L’on notera que cela n’est pas une généralité de l’époque puisque, en des régions proches comme les Cévennes, le sentiment d’une véritable histoire jouait au même moment un rôle prépondérant dans l’élaboration identitaire. Cf. Philippe Joutard, La légende des Camisards. Une sensibilité au passé, Paris, Gallimard, 1979 ; Jean-Noël Pelen, « Le légendaire de l’identité communautaire en Cévennes, du XVIIIe au XXe siècle », Le Monde alpin et rhodanien, n° 1-4/1982, 127-141 ; id., « Genres narratifs et vision de l’histoire. Le récit cévenol », Le Monde alpin et rhodanien, 3-4/2004, 7-26.
7 Pour une présentation plus détaillée du sentiment d’identité en pays d’Arles et dans les Alpilles, cf. Jean-Noël Pelen, « Le pays d’Arles : sentiments d’appartenance et représentation de l’identité », Terrain, Carnets du Patrimoine ethnologique, Paris, n° 5, 1985, 37-45 ; id. (dir.), Le pays d’Arles par ses gens. Sentiments d’appartenance et référents d’identité, rapport pour la Mission du patrimoine ethnologique, Aix-en-Provence, Arles, Paris, Crehop, Parc naturel régional de Camargue, Mission du patrimoine ethnologique, 1987 ; notamment Nicole Coulomb, « Les Alpilles des villages », 1-92.
8 À l’exception de la référence française, dont l’historicisation était établie par les récits scolaires et la mémoire, essentiellement, des guerres.
9 Je fais allusion ici aux châteaux « de la reine Jeanne » et du « roi René », se faisant face sur les deux rives du Rhône, à la hauteur de Tarascon et Beaucaire. C’était les seuls motifs attachés à l’évocation du « Roi René » et de la « Reine Jeanne ». Cela n’est pas sans signifier, si l’on veut bien voir qu’ils en dressaient la noblesse et dans le même temps en présentaient les ruines. Ce sont aussi les ruines du récit, et la valeur du récit comme ruine. Sur la poétique de la ruine comme confluence des temps, l’on peut lire l’étrange nouvelle de Wilhelm Jensen, Gradiva. Fantaisie pompéienne, 1903. Ce motif est, avec des résonances proches, également présent dans la tradition orale.
L’importance du fleuve comme définitoire d’un pays originaire est très probante. Le fleuve joue comme frontière. Mais il joue aussi comme océan, dans le sens où il délimite une forme d’iléité. L’on n’appartient non pas à une rive, mais à la rive, l’unique rive. L’on dit communément à Arles, pour contester la provençalité de quelqu’un : « Toi je te jette dans le Rhône et tu n’es plus provençal ». Cela parce que de l’autre côté du Rhône, c’est le Languedoc. Mais aussi parce que si je te jette dans le fleuve tu n’appartiens plus à la rive. Tu n’es plus du monde que le fleuve crée. L’image de l’identité comme iléite est très présente en pays d’Arles. Sur la poétique du fleuve et de l’île comme matrices du récit originel cf. Karine-Larissa Basset, Le légendaire sarrasin en France, Grenoble, Centre alpin et rhodanien d’ethnologie, 2006, « Le songe de l’île ». Sur la poétique du Rhône cf. Céline Magrini, Création et développement d’une image littéraire : le Rhône dans la littérature française et provençale des XIXe et XXe siècles, thèse de Lettres, Université de Provence, Aix-en-Provence, 2000.
10 Cet acte est sans conteste la publication de Mirèio. Pouèmo Prouvençau par Frédéric Mistral, en 1859. Quoique les groupes folkloriques développent en propre un discours plus complexe, l’image fondatrice que leur apparition sur la place du village fait surgir est celle-là seule, et le plus populairement. Le sens minimal partagé de la manifestation folklorique en pays d’Arles, aune de toute autre déclinaison, est que toutes les jeunes filles sont des Mireille.
11 Charloun Rieu (1845-1924), paysan et poète très populaire du Paradou, chantre de la Provence des Alpilles. Cf. Marie Mauron, Charloun Rieu ou le solitaire enchanté (titre intérieur Charloun Rieu du Paradou, poète), édition bilingue provençal - français, Raphèle-lès-Arles, Marcel Petit, 1981. E. o. 1949 ; Robert Lafont, Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, Paris, PUF, 1970, t. II, 655.
12 Sur celle-ci cf. Jean-Noël Pelen, « Les peuples méridionaux face à l’irruption de l’histoire. Essai d’egohistoire », in Le récit aux miroirs. Essai sur l’expérience narrative, à paraître.
13 Cf. Régis Bertrand, Crèches et santons de Provence, Avignon, Barthélémy, 1992 ; id., « Des santons à la recherche d’ancêtres : les récits des origines de la crèche provençale », Le Monde alpin et rhodanien, 2006, à paraître.
14 Sur cette notion, voir André Jolles, Formes simples, Paris, Seuil, 1972. E. o. 1930.
15 Il faudrait ici documenter les pratiques de chasse encore existantes, et la sociabilité très forte qui les entourait. La chasse était l’un des lieux où la pratique de la narration de haute volée, relevant parfois d’un art véritable, était la plus intense. L’on dénommait « seconde chasse » celle qui se rejouait au comptoir du bar. L’on y goûtait souvent au jus du perdreau avant que de l’avoir tué, voire après l’avoir raté. J’ai entendu cette expression pour décrire l’art de ces récits singuliers.
16 S’il est un génie à reconnaître à Pagnol, dont a témoigné sa popularité, il est dans la perception et la transcription, que pour ma part je considère comme justes, de cette dimension. Cf. infra.
17 Le jardin public d’Arles, dit « jardin d’été », est orné de deux statues de joueurs de palets se faisant face, nus comme des athlètes. Elles sont l’œuvre de l’aquarelliste et sculpteur Gaston de Luppé.
18 Un homme, qui durant sa vie avait été d’une activité extraordinaire, me dit un jour que, s’il devait réchapper à la maladie qui le condamnait, il savait ce qu’il ferait de sa rémission. À mon regard interrogateur, il confia avec une assurance pleine déjà des regrets de la vie : « J’irai jouer aux boules. » Il mourut quelques temps après.
19 Sur la présence possible du mythe sous les dehors de l’ordinaire, cf. le numéro d’Ethnologie française coordonné par Nicole Belmont sous le titre « Textures mythiques », 1993/1.
20 Marius est le premier film de la « trilogie » filmique de Marcel Pagnol (scénario et dialogues) : Marius, 1931, réalisation Alexander Korda ; Fanny, 1932, Marc Allégret ; César, 1936, Marcel Pagnol. Cf. le n° 180 de Marseille, revue culturelle, consacré à « Pagnol et le Midi », mai 1997 (le numéro est également donné comme étant le 179).
21 Scène célèbre d’une partie de manille entre César, Panisse, Escartefigue et monsieur Brun, dans Marius. Cette scène est aussi quelquefois représentée en peinture.
22 À la fin de la scène, monsieur Brun, le « Lyonnais », est contraint par César de payer l’ensemble des tournées.
23 Sur les vécus de la tauromachie dite camarguaise, cf. Jean-Noël Pelen et Claude Martel (dir.), L’homme et le taureau en Provence et Languedoc, Grenoble, Glénat, 1990.
24 Sur la mythologie du gardian cf. Jean-Pierre Belmon, « L’invention des mythes gardians », in Pelen et Martel, op. cit., 135-144.
25 La coupo santo. Chant composé en 1867 par Frédéric Mistral en l’honneur des poètes catalans, devenu l’hymne du Félibrige puis celui incontesté de la Provence, jusqu’à nos jours. Les circonstances de sa composition comme le sens du texte, hormis celui du refrain et des premiers couplets, sont toutefois peu connus des Provençaux non érudits.
26 La lie comme matière de la création est largement attestée dans les cosmogonies. On la retrouve aussi dans les rituels carnavalesques comme retour à l’originaire, avant toute narration. Cf. les belles photographies de Charles Camberoque in Daniel Fabre et Charles Camberoque, La Fête en Languedoc, Toulouse, Privat, 1977, 85-97.
27 Cette évocation rapide, qui va au sens, peut être largement documentée.
28 Sur le taureau comme déité de l’autochtonie, se manifestant avant une définitive disparition, cf. Joseph d’Arbaud, La Bèstio dóu Vacarés -La bête du Vaccarès, Paris, Grasset, 1926, édition bilingue provençal-français.
29 Que l’on songe à ceci : depuis le 31 décembre 1973, le mur du bar est orné de la magnifique tête naturalisée d’un taureau camargue, ayant appartenu à la manade Chauvet et portant ce nom : Aureillois. Une plaque indique : « Aureillois. 1960-1973 ». Ce taureau de valeur ne fut pas un « grand » taureau. Mais il eut cette qualité, édifiant sa légende pourvoyeuse de vie, d’avoir tué un homme en piste de Beaucaire. C’est donc sous sa tutelle, dans le rite décrit, que buvait le taureau apprivoisé.
30 Cf., à ce propos, le beau paragraphe introductif au témoignage de Laurent Merlo, in Merlo et Pelen, op. cit., 21.
31 Je connaissais parfaitement cet homme, et étais assis à côté de lui lors de la scène. Il m’en a souvent reparlé par la suite, avec une immense amertume. Sa biographie éclairerait parfaitement ce que j’en dis.
32 Ainsi concernant la relation au vent omniprésent, ou bien les choix, très significatifs, des lieux de sépulture.
33 Dans le paragraphe 5 de « Les peuples méridionaux... », op. cit., « L’histoire est sous le lampadaire », je décris, d’une façon virulente mais très fidèle quant aux faits rapportés, l’un des multiples épisodes de cette imposition de l’ordre extérieur.
34 La notion de localité, comme celle d’autochtonie, serait à approfondir.
35 Le motif de la défaite attaché au sentiment de la méridionalité est déjà explicitement présent chez Mistral. Ainsi en 1899 dans son crépusculaire et visionnaire Lou pouèmo dóu Rose, où les verres sont haussés « à la cause vaincue ». On le trouve antérieurement chez d’autres écrivains méridionaux dès au moins les années 1840. Pour une analyse détaillée de ce motif, cf. les trois premiers paragraphes de « Les peuples méridionaux... », op. cit.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence - CNRS
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