Antiquité romaine
p. 95-176
Texte intégral
Consommation de la viande au cours de l’Antiquité
1Modifications de l’alimentation carnée reliables au processus de romanisation
Introduction générale
2Abondance du matériel et sélection des données en fonction de leur statut
3Le développement des villes du sud/sud-est de la Gaule au début de l’Empire1, s’accompagne de modifications de l’urbanisme et même de l’architecture privée2. Ses effets sont également perceptibles dans la composition du cheptel et les prélèvements des consommateurs de viande. Pour les périodes gallo-romaines comme pour l’âge du Fer, le développement récent des travaux d’aménagement des villes modernes met à la disposition des archéozoologues de grands ensembles de matériel animal exploitable. La production de viande est une activité essentiellement (mais pas uniquement) rurale et son étude est ainsi entreprise, indirectement, à travers l’analyse de restes osseux qui ne proviennent pas des centres d’élevage mais de lieux de sa préparation ou, le plus souvent, de sa consommation. Il convient donc d’être prudent afin de ne pas réduire considérablement la pertinence des sources utilisées et plus particulièrement lorsqu’il s’agira de comparer des résultats entre eux. La provenance d’un lot de restes osseux animaux est un des éléments fondamentaux de son interprétation, car les faunes archéologiques mises au jour lors des fouilles d’une habitation urbaine ne sont pas comparables, sans précautions, avec celles qui ont été retrouvées lors de la fouille d’une cour de ferme ou d’un établissement dont le statut n’est pas connu.
4L’étude de la faune archéologique d’un milieu urbain est entreprise ici à l’aide du matériel mis au jour dans quelques villes du sud-est de la Gaule et principalement d’Orange, dans le Vaucluse.
5La consommation de la viande au cours de l’Antiquité est aussi fonction des productions des éleveurs locaux et des partis qu’ils adoptent pour organiser et développer leurs élevages. L’interaction ville-campagne, déjà observée au cours du ve s. av. J.-C. à propos des faunes de Béziers, apparaît encore plus puissante ou, peut être, devient plus apparente au cours des périodes gallo-romaines. Les établissements ruraux ne sont évoqués dans ce travail qu’à travers la faune qu’ils produisent, mais là aussi des différences séparent ces sources de matériel archéozoologique, dont il faut tenir compte lorsqu’on est conduit à en rapprocher les données. Certains établissements sont d’une taille et d’un décor qui suppose au moins une large aisance, sinon la richesse, comme ceux de la villa des Prés-Bas à Loupian (Hérault)3 ou celle de Saint-Julien-les-Martigues, près de l’étang de Berre dans les Bouches-du-Rhône4; d’autres apparaissent comme des centres importants de production, tels Les Soires dans les Bouches-du-Rhône5 ou Saint-Michel à La Garde, près de Toulon dans le Var6. Parallèlement à ces ensembles importants, des établissements plus modestes comme La Pousaraque (Bouches-du-Rhône)7, ou l’Ormeau à Taradeau (Var)8, ont aussi livré du matériel animal dont l’intérêt est à souligner.
6Ce ne sont là que quelques exemples pris dans le sud/sud-est de la Gaule (parmi d’autres) qui illustrent quelle peut être la diversité des sources prises en compte pour parvenir à mettre en lumière les variations de la consommation de la viande par les habitants de cette région, de la fin du ier s. av. J.-C. à la fin du iiie s. ap. J.-C. L’élevage, mais aussi l’utilisation des animaux pour le trait ne peuvent être perçus qu’à travers les restes de repas, c’est-à-dire après un tri qui ne conserve, parmi les animaux, que ceux qui sont abattus et seulement pour ce qui constitue les carcasses de viande consommable.
7L’étendue des investigations possibles est aussi limitée par les choix des consommateurs, qui répugnent à manger la viande de certains animaux ou qui ne le font que rarement, comme celle de cheval et de chien. La majorité des restes de ces deux espèces devient alors inapparente lors des fouilles. Les équidés et le chien n’apparaissent que très rarement dans la faune archéologique, alors qu’ils devraient constituer une part considérable de la faune urbaine, chacun dans son univers : le chien au ras du sol, à la recherche de restes animaux à dévorer, qu’il contribue à faire disparaître de la faune archéologique non seulement dans les rues mais aussi dans les cours et jusqu’à l’intérieur même des demeures. Les équidés, chevaux, mulets et ânes, dans des fonctions plus élevées (du moins en hauteur), mais aussi très variées, de monte, de bât, de trait, sans oublier leur travail aux moulins9. Ces deux espèces illustrent bien la fragilité des sources dont dispose l’archéozoologue et combien elles sont fragmentaires, pour parvenir à restituer un panorama de l’environnement animal des citadins du sud/sud-est de la Gaule. La faiblesse des quantités de restes d’avifaune et d’ichtyofaune en est un autre exemple qui ne reflète pas, à l’évidence, le foisonnement des espèces présentes, ni même l’utilisation culinaire des produits de la basse-cour et des bassins.
8Certains aspects de la consommation de la viande dans les villes du sud de la Gaule sont déjà perceptibles à travers l’étude du matériel retrouvé dans plusieurs agglomérations qui soit n’est pas encore publié, soit demeure peu accessible aux chercheurs en Archéologie et en Histoire10. Deux grands centres de la vie urbaine de l’Antiquité dans le sud/sud-est de la Gaule ne sont pas évoqués pour les périodes gallo-romaines : ni Arles, ni Marseille ne peuvent être prises en compte dans une étude sur la consommation de la viande dans l’Antiquité, leur matériel archéozoologique n’étant pas accessible, pour des raisons différentes, qui n’ont pas à être évoquées dans cet exposé. Ce sont des carences considérables dans la documentation, s’agissant d’agglomérations dont l’importance dans le monde antique n’a plus à être démontrée.
9Les lots de restes osseux pris en compte dans ce travail proviennent pour leur plus grande part des fouilles de la ville d’Orange, effectuées dans deux quartiers proches du centre de la ville antique. Deux autres sites, proches de ces quartiers, sont évoqués ici, le Mas des Thermes11, demeure privée qui s’appuie sur la face interne des remparts et, à la périphérie de la ville et l’établissement de la Brunette, ensemble de bâtiments fastueux à trois cents mètres des remparts d’Orange12. Les fouilles des quartiers de Saint Florent et du Cours Pourtoules à Orange13, ont mis au jour des traces d’occupation datées du début de l’Antiquité à la fin du Moyen Âge. Ce sont les séquences des stratigraphies de ces sites qui sont utilisées comme références chronologiques pour l’Antiquité, d’autant plus aisément que les lots de faune de chaque grande étape de ces occupations sont abondants. Les modes de consommation de la viande de ces milieux sont comparés à des lots de faune disponibles, (également inédits) de villes du sud de la Gaule (Saint-Bertrand-de-Comminges, Rodez, Toulon) ou situées plus au nord (Argentomagus, Vannes), afin de mieux comprendre dans quelle mesure l’alimentation carnée du sud/sud-est de la Gaule a pu, dans son environnement urbain, faire l’objet d’un phénomène singulier ou si elle est intégrable à une évolution qui concerne des territoires plus vastes de la Gaule romaine14.
10On essayera de mettre en évidence les éléments qui ont permis, du ier au ive siècle, la mise en place progressive d’un mode de ravitaillement en viande différent de celui observé jusqu’alors dans le sud de la Gaule. L’évolution dans les villes est progressive, d’une part parce qu’elle s’appuie sur les ressources proposées par les campagnes et ensuite parce qu’elle induit, par les pressions économiques qu’elle exerce, des changements dans l’organisation du cheptel élevé dans la campagne alentour.
11Le traitement du bétail qui est introduit dans les villes pour l’abattage pose des questions qu’il faut aborder parallèlement aux changements de mœurs alimentaires. Conduire un ou deux bœufs en ville ne devait pas rencontrer de difficultés particulières, mais il en allait autrement dès qu’il s’agissait de l’abattre, de le dépouiller, de préparer sa carcasse. Il faut bien reconnaître qu’il n’est pas possible actuellement de quantifier la circulation de viande dans une ville ou même dans un quartier donné, car les résultats obtenus ne sont que relatifs. Rien ne permet d’évaluer la quantité de viande disponible par habitant ou par famille, ni même par quartier, dans la mesure où les datations proposées par les fouilleurs (ou les spécialistes de tel ou tel matériel susceptible de donner un terminus) restent toujours plus ou moins larges, même si elles se resserrent parfois remarquablement. De plus, le nombre estimé d’animaux d’après les restes est toujours plus ou moins incertain. Peut-on comparer la consommation de la viande provenant de l’abattage de quelques animaux, s’il s’agit d’un milieu dont la datation porte sur quelques années ou au contraire sur près d’un demi-siècle ? Il faut insister toujours davantage sur le fait que les résultats obtenus sont relatifs et ne peuvent représenter que des tendances applicables à de longues périodes. Les chiffres que l’analyse de la faune utilise ne peuvent pas, dans la plus grande majorité des cas, constituer des éléments d’une évaluation quantitative des productions et des consommations de viande, que l’on pourrait mettre en rapport avec des évaluations de populations, soit d’une ville, soit d’une insula ou même, d’une maison. La question du partage et de la circulation de la viande n’est pas approchable par la seule étude du matériel osseux animal. Il convient de toujours garder ces remarques en mémoire lorsqu’on aborde la question de l’installation et de l’activité de bouchers, dans le sens artisanal de ce terme.
12Quelques pages sont consacrées à la consommation de la viande sur le domaine (ou hameau) de Larina, au nord est de la Narbonnaise, qui est encore à la campagne, mais qui occupe une position particulière, différente de celle d’une simple exploitation agricole.
Orange
Introduction
13La durée de l’occupation des sites fouillés offre un panorama de l’évolution de l’alimentation carnée sur plus de six siècles.
14Le rapide développement des fouilles urbaines au cours des dix dernières années a contribué à la mise au jour d’une masse considérable de restes osseux archéologiques, dont une partie seulement a pu être exploitée par des spécialistes. Les données qui proviennent de ces études viennent éclairer d’une façon mieux argumentée ce que nous ont apporté des travaux plus anciens qui n’ont pas eu l’opportunité d’être renouvelé depuis près de vingt ans. Pour le sud de la France, aucune étude d’ensemble sur le matériel archéozoologique prélevé en milieu urbain n’est parue à ce jour. Le matériel en attente d’être analysé est pourtant très abondant, mais son volume même agit comme un frein sur la publication des données obtenues par son examen. L’étude d’une grande quantité de vestiges osseux provenant d’Orange éclaire d’une lumière originale les modes de ravitaillement en viande et les choix des animaux familiers qui ont participé à tout un aspect quotidien et important de la vie urbaine, publique ou privée. Bien que les phases de l’occupation antique soient les mieux représentées, la datation de ce matériel urbain ou périurbain comprend aussi des phases tardo-antiques, médiévales et même modernes, qui sont l’occasion d’une approche de l’alimentation carnée en ville sur une durée exceptionnellement longue.
15Ces trois caractéristiques — abondance, variété des lieux de prélèvement et amplitude chronologique — font d’Orange une référence commode pour une étude de la consommation de la viande en milieu urbain, élargie au sud/sud-est de la Gaule.
Matériel étudié
16Le matériel osseux présenté au cours de ce travail provient de quatre gisements archéologiques d’Orange encore inédits. Les fouilles du Cours Pourtoules et de Saint Florent sont situées à l’intérieur des remparts, à peu de distance du théâtre antique. Les fouilles du Mas des Thermes sont accolées au rempart, côté intérieur et les fouilles dites de la Brunette ont mis au jour un établissement vaste et luxueux à quelques centaines de mètres des remparts. Les restes les plus nombreux proviennent des fouilles du Cours Pourtoules, qui ont mis au jour, ainsi que celles du quartier Saint Florent, un quartier d’habitations comprenant plusieurs insulae et une ou plusieurs rues15.
17Les données obtenues pour Orange pourront être comparées à celles de lots de faune provenant d’autres sites, voire d’autres milieux. Les sites qui seront présentés plus bas comme comparaisons avec ce matériel sont très divers. Certains sont proches de la ville, géographiquement et chronologiquement, mais d’autres sont plus éloignés, ou bien sont des gisements ruraux. Ce choix est dicté par la rareté des éléments de comparaison proches, voire situés dans le sud/sud-est de la Gaule : peu de villes ont fait l’objet d’études archéozoologiques (publiées), dont l’exposé donnerait un panorama mieux argumenté de la consommation de la viande en milieu urbain. Il a été évoqué plus haut l’absence de données sur Arles et sur Marseille, mais on peut y ajouter aussi Avignon et Aix-en-Provence16. De plus, il ne saurait être envisagé de présenter la consommation de viande en milieu urbain, sans s’appuyer sur les ressources animales des campagnes et les usages alimentaires qu’elles impliquent. La recherche de la caractérisation d’un mode alimentaire urbain qui serait indifférent à celui pratiqué en milieu rural est très risquée. Aussi, plutôt que définir des limites ville-campagne, ce à quoi l’archéozoologie seule ne peut prétendre, est-il est préférable d’essayer de mettre en évidence ce qui est original ou au contraire ordinaire dans tel ou tel mode d’alimentation carnée. La séparation ville-campagne ne peut être faite globalement, mais on retrouve ça et là des différences dans la distribution anatomique des restes, l’âge des animaux ou l’importance des espèces qui suggèrent une cohésion plus étroite de l’alimentation avec le statut social plutôt qu’avec son caractère urbain ou rural.
18Le matériel osseux présenté dans ce travail provient de restes alimentaires prélevés dans des niveaux d’habitat ou dans des recharges de rues et non dans des décharges d’ateliers artisanaux. Une exception à cette règle a été faite pour les débris osseux provenant des fouilles du quartier des Riaux près du port de Toulon (Var)17. Il s’agit dans ce cas de présenter la faune d’un atelier de tabletier, dont le nombre de métapodes et de chevilles osseuses de bovins est tel qu’il permet de restituer des séries de hauteur au garrot de ces animaux. Ces séries, comparées à celles des sites ruraux du Var, sont l’occasion d’une meilleure approche de l’évolution du gabarit des bovins, mais aussi contribuent à mettre en évidence la bonne qualité du ravitaillement urbain en viande bovine. En effet, les ossements rassemblés par l’artisan tabletier proviennent eux aussi de restes de repas, mais plus indirectement et ne peuvent pas donner un aperçu du nombre d’espèces consommées.
19La présence de chiens au sein des restes alimentaires indique, lorsque des traces en attestent la découpe ou la cuisson, que ces animaux ont figuré au menu des habitants. Mais parmi les restes de ces espèces certains ne présentent aucune trace particulière et la question se pose de savoir si leurs chairs ont réellement été consommées. Ce n’est là en fait qu’une question de principe, car leur nombre reste si réduit qu’il n’influence pas la distribution d’abondance des espèces. Les chevaux posent aussi un problème quant à leur utilisation éventuelle à des fins alimentaires18. Il est très rare que des traces de découpe ou de cuisson apparaissent sur les os des chevaux, mais dans une proportion comparable à celle des restes de bœufs, si on ramène les quantités d’os attribués aux bœufs au même niveau que celles d’os attribués aux chevaux. Il semble que la viande de cette espèce ait été consommée occasionnellement dans la mesure où, comme pour le chien, ses restes se retrouvent mêlés à ceux des autres déchets de cuisine19. Il est difficile de concevoir une dépouille de cheval ou même d’une moitié antérieure d’un cadavre de cheval laissée, encore entourée de ses chairs, traîner dans l’arrière-cour d’une habitation. Le cas est différent lorsque les restes de chevaux sont retrouvés dans un milieu plus éloigné d’un habitat, comme le membre antérieur et un fragment du thorax du cheval de la Bourse à Marseille20, qui avait été jeté dans le port antique. L’abattage du bœuf en grande quantité, au détriment des autres espèces, apparaît une fois dans ce travail. Il s’agit du seul cas où le problème de l’existence d’une boucherie pourrait se poser avec quelque vraisemblance, encore que bien indirectement, les fouilleurs ayant noté que la maison où ces restes ont été mis au jour était celle d’un tabletier. Cet artisan aurait fort bien pu recevoir, de particuliers, les os de bœuf dont il avait besoin : il s’agit là aussi non pas d’abattage, mais de collecte de morceaux choisis dans le cadre d’un artisanat non alimentaire.
20Les restes de faune que les fouilles ont pu mettre au jour ont été trouvés dans leur quasi-totalité, dans un état de fragmentation tel, que très peu d’ossements ont pu être mesurés. Ce sont surtout des restes de bœufs et de porc, plus résistants. Les séries biométriques espérées lors de la détermination, n’ont pas été obtenues qui auraient abouti à une connaissance plus précise de la stature et du sexe des animaux. Ce travail se propose donc de présenter les résultats de l’étude de la faune archéologique dans le dessein de mieux connaître le ravitaillement en viande et l’alimentation carnée, ne laissant qu’au second plan l’étude proprement zoologique.
Les espèces
21Le mulet était peut-être présent, sans qu’il ait été possible de le distinguer des autres équidés, faute de rencontrer des restes dans un état de conservation qui aurait permis de le faire. Des restes peuvent être attribués à un grand lapin. Chez les oiseaux, 94 % des restes retrouvés ont été attribués au coq domestique (Gallus gallus), seuls trois fragments ont appartenu à un oiseau de grande taille, probablement une oie, sans qu’il soit possible d’être absolument affirmatif.
La faune par Périodes
22Les fouilleurs ont pu distinguer sept Périodes principales et trois ensembles de phases d’occupation plus larges pour une chronologie qui s’étend du tournant de l’ère chrétienne jusqu’au xviie siècle. Les fouilles du Cours Pourtoules ont dégagé une stratigraphie qui donne une chronologie assez complète qui servira de base à l’étude qui suit. Comme cela a été noté plus haut, les différentes époques d’occupation sont d’intérêt variable pour l’archéozoologue. Celles intermédiaires ou de peu d’intérêt ne seront pas exposées ici.
Période 1 (– 10 à 10)
23La Période 1 de la stratigraphie des fouilles du Cours Pourtoules recouvre le changement d’ère. Deux sites ont restitué des vestiges de cette époque, le Cours Pourtoules et Saint Florent. La faune de Pourtoules est un petit lot de 159 fragments déterminés, pour 47 individus au moins (Fig. 78-70). La faune archéologique de Saint Florent est beaucoup plus abondante avec une diversité des espèces domestiques et sauvages mieux marquée (Fig. 80). Mais, dans le deux cas pour les animaux domestiques, le bœuf n’occupe pas la première place, ni en NR ni en NMI. Le poids de son squelette lui procure la première place au sein des ressources en viande. Il est le seul animal de grande taille à être régulièrement consommé dans les trois quarts, ou les deux tiers des cas, selon les quartiers de la ville. Les autres grands animaux, équidés et cerf, sont soit absents (Pourtoules), soit très faiblement représentés (Saint Florent).
24Les ossements bien conservés et mesurables sont relativement rares. Les mesures prises donnent pour le bœuf des tailles moyennes pour le Cours Pourtoules, plutôt grandes pour Saint Florent, alors que des mâles sont présents sur les deux sites (Fig. 81). Il ne s’agit là que de quatre individus, mais la présence d’une seule femelle est peut-être significative de leur rareté, au profit d’animaux plus précisément destinés à la boucherie, à l’alimentation carnée d’une population urbaine. Les tailles du bœuf sont plutôt réduites par rapport à ce qui a pu être retrouvé en Germanie. Il est au contraire plus grand (et celui de Saint Florent encore bien plus) en moyenne que les spécimens retrouvés lors des fouilles augustinno-tibériennes du forum de Vannes (Morbihan)21. À Saint-Bertrand-de-Comminges (Haute-Garonne), les hauteurs au garrot du bœuf que l’état des os a permis de restituer sont en moyenne plus petites qu’à Orange. Elles varient de 110,7 cm à 114,1 cm22.
25À Ambrussum (Hérault), les mesures des phalanges proximales postérieures donnent des résultats divergents : proches de celles d’Orange pour les postérieures, elles sont plus petites pour les antérieures. Il est possible de restituer dans ces deux gisements des bœufs très comparables. À Ambrussum, les proportions de bœufs sont encore moindres que celles restituées à Orange, et ce que le calcul concerne le NR, le NMI ou le Poids de Viande : il représente à Ambrussum environ trois fois moins d’ossements et d’individus qu’à Pourtoules et seulement 54,7 % de la viande consommable au lieu des trois quarts retrouvés à Orange. Au forum de Vannes, au contraire, il est nettement prédominant avec respectivement 73,3 % du NR, 54,2 % du NMI et 85,9 % du PV (valeurs moyennes). À Sallèles d’Aude, pour un petit lot de faune de 176 fragments provenant de l’étude d’un site de potiers, le bœuf connaît des fréquences biens moindres, de l’ordre de 7 % du NR et du NMI et seulement 38 % de la viande. À Saint-Bertrand-de-Comminges les proportions de restes de bœufs varient de 57,1 % à 46,7 % selon les phases d’occupation de la Période 1 soit des fréquences toujours plus élevées qu’à Orange. Le calcul du PR donne des résultats plus proches de ceux du Cours Pourtoules (83,8 % à 77,2 %). Le calcul du PV, pour l’ensemble de la Période 1, donne 75 % pour le bœuf. Les données obtenues d’après les différents modes de calcul situent la place du bœuf entre les valeurs retrouvées à Pourtoules et celles de Saint Florent. À Nîmes, les résultats de l’étude de la faune d’une fosse augustinienne, un petit ensemble de 248 restes déterminés, donne également au bœuf des fréquences relativement faibles, par rapport à celles qui ont été observées à Orange ou à Vannes, de l’ordre de 20 % du NR et de 10 % du NMI, mais lui accordent plus de la moitié (53,8 %) de la viande consommée. Pendant ce temps, sur l’oppidum de Nages (Gard), les bœufs, qui y sont abattus jeunes pour près de la moitié d’entre eux, ne comptent que pour 10,8 % des individus (sur 193), proportion largement en dessous de celle des O/C (44,5 %). En poids de viande, ces données sont corrigées en direction d’un rapprochement avec ce qui se retrouve par ailleurs, le bœuf apportant à Nages 42,8 % de la viande consommable (Fig. 127).
26À Orange, c’est au porc que les plus nombreux restes ont été attribués. Cette espèce ne l’emporte toutefois que de peu sur le bœuf, que ce soit en NR ou en NMI. Le calcul du Poids de Viande accorde la prééminence au bœuf, mais laisse au porc une seconde place qui conserve quelque signification, à l’inverse de ce qui se produit pour les autres espèces et, principalement, pour les O/C, dont le % PV atteint à peine plus de 1 % à Pourtoules et 3,4 % à Saint Florent. Avec la faiblesse de la chasse, la discrétion des O/C au profit du porc est ce qui caractérise la distribution des espèces dans le lot de faune de la Période 1. On retrouve ces caractéristiques à Ambrusum et à Vannes (Fig. 125 et 126).
27À Saint-Bertrand-de-Comminges23, la viande des porcs est plus souvent consommée que celle des O/C, dans une proportion (17,2 % du PV) qui rappelle beaucoup celle du Cours Pourtoules à Orange. Bien que très rares aussi à Saint-Bertrand-de-Comminges, les O/C y sont un peu plus fréquents qu’à Pourtoules (3,6 % du PV). Le cheval y est présent, mais très rare (1,4 % du PV). Dans l’ensemble, le ravitaillement en viande de la Période 1 de Saint-Bertrand-de-Comminges est plus proche de celui de Pourtoules que de celui de Saint Florent, tandis qu’à Vannes, la répartition entre la consommation de viande de porc, de mouton et de chèvres apparaît plus équilibrée.
28À Vaison-la-Romaine, les fouilles de la Maison au Dauphin ont apporté quelques restes de faune, dont l’examen a montré, pour le niveau I, une nette prédominance du bœuf, suivi là aussi avec une quasi-parité, par les fréquences du porc et des O/C (constitués pour l’essentiel de moutons). Au cours du niveau II, les fréquences du bœuf sont en nette régression — il passe d’environ 45 % du NMI à moins de 30 %, puis remonte un peu au cours du niveau III, tandis que le mouton, supérieur en nombre au cours du niveau II, laisse la plus haute fréquence au porc au niveau III. Il apparaît que la consommation de la viande à Vaison-la-Romaine s’adapte plus tardivement (le niveau III est daté de la fin du ier s. ap. J.-C.) pour se trouver avec un tableau non pas identique mais comparable à celui qui est apparu à Pourtoules au cours de la Période 1, avec des nuances importantes : le bœuf conserve toujours la plus haute fréquence en Poids de Viande consommable.
29Ce repli des O/C est à peine sensible à Nages entre les périodes Nages II « moyen-final » et « final », au cours desquelles il perd 6 % du NMI. Il est en outre accompagné par un petit recul du NMI du porc, au profit de certaines espèces sauvages sans grande valeur alimentaire, comme le lapin de garenne ou la perdrix. En % PV, au cours de Nages III « final », les porcs24 et les O/C, sont, à peu près, équivalents, ce qui donne une valeur alimentaire aux O/C beaucoup plus grande qu’à Pourtoules ou même à Vaison-la-Romaine.
30L’importance des porcs est visible également dans la faune de la rue Saint Laurent à Nîmes, où leur % PV se place après celui du bœuf, avec 28,1 % — ne laissant que 10,9 % aux O/C. La chasse au cerf reste à Nîmes d’un apport sensible en nourriture : plus de 6 % du PV. Rappelons qu’à Nages, à cette époque, elle fournit plus de 20 % du PV, soit un plat de viande sur cinq. À noter enfin que l’âge d’abattage des porcs est plus modulé que celui des bœufs : 54 % des fragments de porcs proviennent d’animaux jeunes, pour 42 % d’adultes à Pourtoules. Ces animaux sont peu consommés au moment où leur chair est la plus tendre25. Ils ne sont que pour la moitié d’entre eux sacrifiés avant de devenir adultes. En dépit de la faible représentation des canines, il est possible de penser que les jeunes porcs abattus devaient être pour la plupart des mâles.
31Les O/C sont consommés plus jeunes encore, puisque aucun reste d’animal adulte n’a pu être attribué (sauf peut-être un reste indéterminé) à Pourtoules.
32Bien que ne portant que sur 20 fragments, ce fait à Pourtoules n’est pas indifférent et peut laisser supposer un choix variable pour l’abattage des animaux — ou de certains animaux, selon le quartier où l’on se trouve. Le choix observé à Pourtoules n’est pas celui propre aux éleveurs — comme à Nages ou Vaison-la-Romaine, qui conservent dans leur consommation de viande une certaine proportion d’adultes. Les habitants de Pourtoules gèrent les troupeaux de moutons comme le feraient des consommateurs (aisés ?), qui peuvent avoir plus de recul vis-à-vis des contraintes dues au maintien des troupeaux. À Saint Florent, où les restes de faune sont plus nombreux, le cumul par zones des restes du squelette et par espèce indique une prédominance des restes des membres postérieurs par rapport aux antérieurs, qu’il s’agisse du bœuf (+ 9 %), du porc (+ 4 %) ou des O/C (+ 8 %). Elle demeure cependant trop faible pour supposer un choix systématique des habitants.
33La stratigraphie des fouilles de Pourtoules comprend deux petits ensembles dont la datation n’a pas pu être placé à l’intérieur d’une seule Période. Il s’agit de la Période dite 1-2, qui daterait de – 20 à 70 et de la Période 2-3, datée de 40 à 200 environ. Elles ne comprennent que des ensembles de faune très réduits. L’examen de ces petits lots de faune (respectivement, de 12 et 72 fragments), montre une proximité avec ce qui a été observé pour la Période 2 de Pourtoules. La Période 2-3 apparaît très proche de la Période 2, avec seulement quelques variantes mineures.
34La phase chronologique qui correspond au milieu du ier s. ap. J.-C., ou juste avant (30 à 40), est illustrée par un lot de faune plus important provenant des fouilles du quartier Saint Florent.
Période 2a (10 à 30)
35La faune de la Période 2, qui couvre seulement les 2 ou 3 décennies immédiatement postérieures à celles de la Période 1, est beaucoup plus abondante en NR, mais aussi en espèces retrouvées. La consommation de la viande de cette courte période — vingt ans environ — n’est représentée à Orange que par le matériel provenant du Cours Pourtoules. Pour les animaux domestiques, un fragment a été attribué à une très jeune chèvre. Un autre fragment a été attribué, sous réserves, à une espèce domestique : il s’agit d’un fragment ayant appartenu à un grand oiseau, peut-être une oie. Chez les animaux sauvages, les espèces sont aussi plus nombreuses avec l’apparition du chevreuil, du cerf, (adulte et jeune), du lièvre, et, enfin, du lapin de garenne. Cela contribue — surtout le cerf — à donner à la chasse une place plus importante, bien qu’encore modeste, dans le ravitaillement en viande, avec un peu plus de 10 % du PV (pour 6,3 % du NR).
36L’examen de la figure 72 confirme cette impression de proximité, en l’étendant à l’ensemble des espèces en présence. La faune de la Période 2 étant plus abondante, donne une assiette plus large aux remarques faites à propos de la Période 1 : par rapport à l’ensemble de la faune, les proportions de bœuf sont plus réduites encore au cours de la Période 2 que de la Période 1. Le % PV du bœuf n’atteint pas 60 % de la viande consommable (Fig. 84). Il représente environ un cinquième du NR et du NMI, au lieu du tiers lors de la Période 1. Sa taille, pour autant que la rareté des mesures le laisse entrevoir, reste proche également de celle qui a été retrouvée pour la Période 1, sauf pour les mesures des phalanges proximales antérieures, plus grandes et plus robustes. Elles laissent apparaître une proportion de bœufs plus grands qu’au cours de la Période précédente. Serait-ce là le signe d’une amélioration du cheptel bovin ? Les indices sont rares pour l’affirmer.
37On constate, par contre une modification dans la répartition des espèces au sein du cheptel une modification, qui ne bouleverse pas les données antérieures mais au contraire, les précise. La prédominance du porc, observée pour la Période 1, s’accentue encore ici : ces animaux fournissant désormais plus du quart de la viande consommable. L’âge d’abattage des animaux est lui aussi du même ordre que précédemment, avec une prédominance de porcs jeunes et très jeunes plus nette encore. Les mesures prises indiquent que les porcs de la Période 2 sont légèrement — mais distinctement — plus petits que ceux qui ont été mesurés pour la Période 1 (Fig. 85 et 86).
38La diminution des proportions de bœuf, l’accroissement de celles de porc s’accompagnent d’un sensible gonflement de la participation des O/C au ravitaillement en viande. Bien qu’ayant laissé relativement moins de restes qu’au cours de la Période 1 (2 % de moins), le % NMI des caprinés est en général nettement plus important, ce qui indique un éparpillement plus intense des fragments au cours de la Période 2 (1,7 fois plus grand). Les deux périodes s’étendent sur deux décennies chacune : il est possible que la sédimentation des restes au cours de la Période 2 ait été plus lente. Cela ne se retrouve pas pour les autres espèces, plus résistantes, comme le porc et le bœuf. L’augmentation du NMI des O/C se répercute sur leur % PV, qui s’accroît par rapport à la période précédente. Ce phénomène doit avoir été particulièrement accusé, car il se retrouve aussi dans le calcul du % PRV, indépendant du NMI. La forte consommation des O/C — principalement des moutons — laisse apparaître des restes d’adultes qui comptent pour 37 % des O/C consommés, soit une proportion plus conforme à ce qui se retrouve par ailleurs, à l’inverse de ce qui a été vu pour la Période 1, d’où les adultes étaient absents.
Période 3 (70-210)
39Les années 70 à 210 qui recouvrent la Période 3 de l’occupation de Pourtoules sont bien représentées par du matériel osseux provenant de plusieurs fouilles, surtout pour la phase terminale de la Période, fin iie et début du iiie s. ap. J.-C. Ces sites sont :
40Les fouilles du Cours Pourtoules avec un lot de faune très important, divisé en deux phases, « Occupation » et « Abandon-Destruction ». Les fouilles du quartier Saint Florent avec deux lots distincts pour l’État II de ce site « Occupation » et « Abandon-Destruction ».
41Les fouilles du Mas des Thermes, une maison artisanale accolée à l’extérieur des remparts.
42Les fouilles du lieu-dit « La Brunette », un établissement très vaste et luxueux, de type palatin, situé à environ trois cents mètres des remparts de la ville.
43Dans son ensemble, la Période 3 présente des différences avec la Période 2, mais qui ne bouleversent pas la répartition générale des espèces. La présence de plusieurs gisements contemporains permet de distinguer deux groupes d’habitat : Les quartiers intra muros, Pourtoules et Saint Florent. Les habitats à la limite de la ville et périurbains, respectivement le Mas des Thermes et le gisement de la Brunette.
Quartiers intra muros
44Que ce soit à Pourtoules ou à Saint Florent, il est possible de distinguer deux phases dans l’évolution des quartiers, qui trouvent un écho sensible dans le mode de consommation de la viande. La phase de construction, ou d’installation des quartiers de la ville27 est marquée par une abondance plus marquée du bœuf, à Saint Florent comme à Pourtoules (Fig. 80 et 97). La viande de bœuf apparaît dès lors comme un signe sinon de prospérité — toujours difficile à mettre en évidence, mais au moins accompagne un certain dynamisme dans la vie des quartiers, où les gens se réinstallent, construisent et aménagent de nouvelles demeures. Parallèlement la viande de cheval et d’âne est peu consommée au cours du début du iie s. ap. J.-C. : ces espèces ne sont présentes que symboliquement à Pourtoules, et absents de la faune de Saint Florent. Là aussi il est intéressant à noter le lien qui existe entre les équidés et les bovins — qui constituent à eux deux le groupe des grands animaux domestiques.
45Lorsque les bœufs deviennent plus rares, les équidés apparaissent dans l’alimentation pour devenir moins fréquente dès que la viande bovine redevient plus abondante. Ce lien pendulaire qui rythme les proportions de bœufs et d’équidés reste, au contraire, indépendant des variations des animaux de taille moyenne, les O/C et le porc. Le groupe des grands animaux peut aussi comprendre le cerf, chez les animaux sauvages, mais à Orange au cours de l’Antiquité la chasse occupe une place si modeste que cela reste insensible — sauf à Saint Florent, où la proportion de la chasse est inversement proportionnelle à celle des bœufs, mais pour des taux très faibles. Les variations du sanglier qui portent sur des quantités encore plus faibles sont ici difficiles à interpréter. Simultanément à l’augmentation des bœufs, la consommation de la viande de porc varie légèrement au cours de la réinstallation des quartiers de Pourtoules et de Saint Florent. La variation est peu sensible à Pourtoules (1 %) où la consommation de viande porcine reste stable. Elle varie plus sensiblement à Saint Florent (de 3,6 %), vers une faible augmentation de sa fréquence. En fait, il faut remarquer que lors de cette phase de réinstallation dans les quartiers de la ville, au cours du iie s. ap. J.-C., la consommation de viande des animaux de taille moyenne reste stable par rapport à ce qui a été vu précédemment.
46L’âge d’abattage des porcs varie à Orange d’un quartier à l’autre : alors qu’à Pourtoules les carcasses de porcs proviennent en majorité d’animaux jeunes, les habitants de Saint Florent, pourtant proches voisins, se contentent de la viande de porcs adultes dans 61 % des cas (d’après le NR, ou dans 52 % des cas selon le NMI). De même, la chair des porcelets est près de deux fois plus consommée à Pourtoules qu’à Saint Florent. Le quartier de Pourtoules a une distribution de la faune qui apparaît plus stable entre le ie et le iie s. ap. J.-C. que celle de Saint Florent. Il est vrai que les périodes « intermédiaires » dans l’occupation du site de Pourtoules, entre le ie et le iie s. ap. J.-C. contiennent des lots de faune trop réduits pour indiquer des données significatives à l’inverse, dans ce cas, du quartier Saint Florent.
47Lors de la phase d’« Abandon-Destruction » des quartiers intra muros, toute la ville n’est vraisemblablement pas abandonnée — ni détruite en même temps. Il s’agit néanmoins, pour les quartiers étudiés, de moments où l’activité est plus réduite et où une partie des bâtiments n’est plus occupée, vers la fin du iie et le début du iiie s. ap. J.-C. L’affaissement de l’activité économique tout au moins de la densité de l’occupation est sensible de façon proche dans les deux quartiers étudiés, pour ce qui est de la faune archéologique. Les deux gisements connaissent un déficit des fréquences du bœuf, lié à une augmentation de celles des équidés (Fig. 92 et 101). Ces derniers augmentent un peu à Pourtoules et réapparaissent à Saint Florent, pour des taux qui peuvent être importants : 19 % selon le PR (soit plus que le porc) et 8 % selon le PV (Fig. 93 et 102). La chasse (au cerf) prend une place importante dans l’alimentation à Saint Florent, par rapport à ce qu’elle représentait précédemment. À Pourtoules, ces variations sont moins sensibles, comme est moins forte la diminution des fréquences du bœuf. Le quartier Saint Florent apparaît au cours de cette phase plus perturbé que celui de Pourtoules.
48Les os entiers ou les fragments d’os permettant de prendre des mesures sont relativement rares. Les données biométriques du bœuf pour la Période 3 donnent des résultats apparemment contradictoires, mais en fait complémentaires (Fig. 94 et 97). La restitution de la taille de quelques animaux indique des variations d’un quartier de la ville à l’autre. La hauteur au garrot des bœufs est différente d’un site à l’autre. Les bœufs dont la viande a été consommée à Saint Florent au cours de la phase d’installation du quartier sont (curieusement ?) plutôt plus petits que ceux abattus au cours de la phase suivante (« Abandon-Destruction ») de la vie du site (Fig. 94). La restitution de la hauteur au garrot de certains spécimens (un pour Saint Florent et un autre pour Pourtoules), indique une taille respectable. Elle ne présuppose pas, toutefois, du développement de l’ensemble du troupeau, mieux perçu à travers l’ensemble des mesures prises sur d’autres restes osseux bien conservés (Fig. 93). Celui qui a pu être mesuré avait 1,335 m au garrot, d’après le métacarpien. Le processus est inverse dans le cas de Pourtoules, où les bœufs retrouvés pour la phase d’occupation du site sont probablement plus grands (l’un d’eux mesurait 1,28 m au garrot, d’après le métacarpien et 1,21 m d’après le métatarsien) qu’au cours de la phase d’abandon, au cours de laquelle le bœuf a une hauteur au garrot restituée de 1,03 m environ (d’après le métacarpien), soit un gabarit sensiblement équivalent à celui qu’il connaissait au cours du ier s. ap. J.-C. sur le site. Ces indications (même partielles) de variation de la taille des animaux d’un quartier à l’autre de la ville d’Orange sont intéressantes, car cela peut être mis en parallèle avec celles, beaucoup plus nombreuses, obtenues pour la faune archéolcgique de la villa des Prés-Bas à Loupian (Hérault)28. On peut supposer des façons différentes d’aborder l’approvisionnement en carcasses d’animaux : certains troupeaux, plus sélectionnés, mieux élevés que d’autres, pouvaient donner des produits plus recherchés. Cela constitue aussi un premier élément pour approcher ce qu’un bœuf de grande taille peu représenter. Il est possible que les bœufs de grande taille qui apparaissent à Orange au cours de l’Antiquité ne soient pas plus prisés que les petits, étant plus difficiles à écouler une fois débités. C’est au contraire en tant qu’animaux de travail qu’ils devaient connaître une faveur plus grande des acheteurs29.
49À Pourtoules, les rapports Bp/Dp des métacarpiens indiquent que les bœufs avaient la même stature lors de la « Destruction » que lors de l’« Occupation ». Il s’agit du même genre de bêtes et non d’un autre troupeau. Les mesures montrent que le troupeau de bœufs était constitué — pour le ravitaillement en viande — surtout de mâles et de quelques femelles, soit environ un rapport d’une femelle pour trois mâles. La taille des animaux est homogène, et il est possible de reporter les données des phalanges antérieures sur les mesures des phalanges postérieures. Il est possible qu’elles aient pu appartenir aux mêmes animaux. Cela indique une faible dispersion des restes (tout au moins pour les extrémités des membres) et une sédimentation rapide (Fig. 95)
50Ces données sont complétées par l’examen des mesures des phalanges proximales, qui portent sur un nombre plus élevé de cas, provenant de Saint Florent (Fig. 100). Les mesures de quelques phalanges postérieures de bœuf, seules disponibles pour comparer l’État I à l’État II de Saint Florent, indiquent que le gabarit des bœufs consommés ne varie pas entre les phases d’occupation et d’Abandon-Destruction. Par contre elles se modifient entre l’État I et II. Au cours de l’État II, les habitants de Saint Florent abattent des bœufs d’une taille sensiblement supérieure à celle de l’État I. La longueur totale moyenne des phalanges postérieures de bœuf pour l’État I est de 62,4 mm pour la phase d’Occupation et de 62,5 mm pour celle d’Abandon-Destruction. Ces dimensions passent à 66,3 mm pour la phase d’occupation de l’État II et à 67,7 mm pour la phase Abandon-Destruction de l’État II. Les variations de la hauteur au garrot des bœufs observées entre les sites de Saint Florent et de Pourtoules portent sur un nombre limité de sujets. Les données biométriques des phalanges proximales antérieures des bœufs, plus nombreuses pour les deux sites que les hauteurs au garrot (avec 10 Phalanges pour Saint Florent et 13 phalanges pour Pourtoules) indiquent une homogénéité du gabarit des animaux plus grande entre les deux sites. En fait les restes de bœufs mis au jour à Pourtoules et à Saint Florent provenaient d’animaux des mêmes troupeaux, mais certains bœufs abattus à Saint Florent sont plutôt plus petits que ceux retrouvés à Pourtoules. Enfin la mesure d’une phalange proximale antérieure, datée de la phase « Abandon-Destruction » de l’État II, confirme les observations faites à partir des phalanges postérieures, en s’intégrant pleinement dans le domaine de variation des phalanges antérieures de la phase « Occupation » de l’État II.
51La consommation de la viande de porc est également modifiée à Saint Florent et à Pourtoules. La différence est moins sensible que pour le bœuf à Saint Florent. Elle reste équivalente à celle du bœuf à Pourtoules — où les changements sont moins grands. À Saint Florent, les porcs sont consommés jeunes dans une proportion (36 %) plus forte que précédemment : il s’agit là d’un élément qui coïncide avec la consommation de viande de bœuf provenant d’animaux plus grands (et plus chers ?).
52Enfin, il faut signaler que la population d’Orange ne consomme au cours de l’Antiquité que très peu de viande de mouton et ne s’intéresse quasiment pas aux chèvres. Les moutons sont abattus à 50 % adultes.
53À Pourtoules, l’augmentation des taux de porcs adultes et jeunes au cours de la Période 3 Destruction-Abandon peut être dû au nombre réduit d’individus, qui rend difficile l’utilisation des pourcentages (Fig. 129). La régularité de l’abattage par classes d’âge peut être considéré comme un indice révélateur de la constance de l’approvisionnement en viande de porc. La consommation de cette viande resterait alors la même qu’au cours de la Période 2, mais l’augmentation de viande de bœuf laisserait apparaître une baisse relative des fréquences du porc. Nous nous trouverions ainsi devant un accroissement de la masse de la viande prise en compte par surconsommation de viande de bœuf, les autres animaux fournissant la même quantité de viande qu’auparavant. Cette hypothèse est séduisante, mais ne peut cependant pas être vérifiée par de simples calculs relatifs. La seule masse totale de fragments étudiés n’est pas non plus une base valable d’estimation du mode d’approvisionnement en viande. La surface des sondages ou le volume de terre enlevée peuvent varier énormément d’une période à l’autre et rendre impossible toute approche de la réalité.
Distribution anatomique des restes
54Le grand nombre de restes déterminés pour la Période 3 a permis la recherche de la répartition anatomique des restes des principales espèces. Au cours de la Période 3 à Pourtoules les restes des principales espèces, bœuf, porc, mouton et chèvre sont répartis sur l’ensemble du squelette. On observe (Fig. 130) que l’abattage des animaux, la découpe des carcasses et le rejet des os après consommation de la viande se sont effectués aux mêmes endroits. Il n’y avait pas dans ce quartier de la ville une boucherie au sens propre du terme, mais des lieux (arrière-cours, dépendances de cuisines) où les animaux étaient abattus et préparés en vue d’une consommation familiale de la viande, ou pour un petit groupe d’habitants, qui revenaient ensuite y rejeter les reliefs des repas. Il n’y a pas de trace, pour le bœuf, d’une anomalie dans la répartition des restes qui puisse indiquer que le lieu de découpe et de désossement de l’animal soit différent de celui où les habitants ont déposé les reliefs de leurs repas. Les vertèbres et les côtes sont moins abondantes chez les O/C et les porcs. Cela est dû en grande partie à la préparation plus poussée de ces pièces anatomiques qui contribue à ne laisser dans les dépotoirs que des fragments la plupart du temps, très difficiles à déterminer spécifiquement voire, même, à dénombrer de façon fiable. Ils ne sont ainsi pris en compte que pour une faible part de leur nombre initial, tandis que les restes de côtes et de vertèbres de bœuf résistent mieux.
55Au cours de la même période, à Saint Florent, la distribution anatomique des restes des animaux est plus homogène. Elle est à peu près équitablement répartie entre le rachis (côtes et vertèbres) et les membres au cours de la phase « A » de l’État II. Dans ce lot de faune, la détermination des côtes et des vertèbres, mieux préservée, a été possible dans une plus large mesure. Les restes de membres de bœuf sont plus rares au cours de la phase « Abandon-Destruction » de l’État II. Il est possible qu’une partie des métapodes de bœuf de cette phase ait été récupérée pour un travail de tabletterie, situé en dehors du périmètre fouillé. La présence d’un grand nombre de restes de côtes et de vertèbres indique qu’il s’agit là aussi de dépôts domestiques et alimentaires.
56À Pourtoules et à Saint Florent, les restes de membres postérieurs et antérieurs sont retrouvés pour des fréquences assez proches (Fig. 131 et 132). On ne peut envisager, à l’aide d’un déficit des membres antérieurs ou postérieurs, un commerce d’une partie ou l’autre des animaux, accompagnée d’une consommation locale des parties restantes, ni même une consommation préférentielle d’une partie ou d’une autre des animaux (par exemple, des gigots de mouton ou des cuisseaux de bœuf). Ceci peut être interprété comme un indice supplémentaire d’une consommation familiale ou en petits groupes des morceaux de viande, en dehors des services d’un commerce organisé autour de la viande, si ce n’est pour les porcs, dont les restes de membres postérieurs sont toujours légèrement plus abondants que ceux des antérieurs. Une telle surreprésentation (limitée, mais réelle) de restes de membres postérieurs de porcs indique un achat ou, tout au moins, un apport de jambons qui s’ajoute à la consommation de carcasses de porcs fraîches.
Les habitats à la limite de la ville et périurbains
57À l’extérieur de la ville proprement dite, mais dans son environnement immédiat et contre son rempart, les fouilles de deux maisons très différentes l’une de l’autre ont apporté une documentation originale sur les modes de vie autour d’une agglomération au début du iiie s. ap. J.-C.
58La première maison se trouve au lieu-dit le Mas des Thermes. Elle est urbaine puisqu’elle est juxtaposée à l’intérieur du rempart, lui-même plus ou moins entretenu à cette époque. Les fouilles entreprises en 1986 ont indiqué la présence d’une maison modeste, habitée peut-être par un artisan.
59La faune déterminée pour cette période de l’occupation du site représente un peu plus d’un millier de fragments (Fig. 104). Les espèces sont variées et comprennent, outre les animaux domestiques et sauvages couramment retrouvés, des restes d’animaux familiers, chien et chat. Le chien a laissé de nombreux restes qui permettent de préciser sa taille au garrot, qui se situe entre 41,9 cm et 42,3 cm, soit celle d’un petit chien de chasse ou de compagnie. Le chat est moins bien connu, car seuls deux fragments nous sont parvenus. Leurs dimensions plutôt frêles l’apparentent à la race domestique. Des restes de chats domestiques sont connus par ailleurs en Gaule à cette époque et même en Germanie, où ils constitueraient des reliefs de repas.
60Pour leur alimentation carnée, les habitants de la maison du Mas des Thermes s’approvisionnent à peu de choses près comme les citadins demeurant plus strictement intra muros, qu’ils logent au quartier Pourtoules ou à Saint Florent. Ils achètent ou abattent à peine moins de bœufs qu’au cœur de la ville et mangent un peu plus de viande de porc (environ 6 %). Malgré sa variété, la chasse n’apporte pas plus de nourriture aux habitants du Mas des Thermes qu’à ceux de Pourtoules ou de Saint Florent. La hauteur au garrot des bœufs retrouvés n’a pas pu être connue (faute d’un os long entier) mais les autres dimensions qui ont été obtenues indiquent des animaux forts, à quelques exceptions près.
61Il s’agit d’une famille d’artisans qui se nourrit plutôt bien, de viande de bœufs, (pour 56 % du PV) le plus souvent adultes (à 73 %), de porcs (pour 26 % du PV) encore jeunes (48 %) et souvent de porcelets (dans 16 % des cas). Lorsque la viande de cheval vient compléter le menu, les morceaux sont pris dans l’arrière-train de la carcasse. Des restes de bassin et de fémur ont été retrouvés. Parfois, des morceaux de joues et de langues varient l’ordinaire (des restes de mandibules et des dents ont été retrouvés) (Fig. 131). Ces repas devaient être rares, car le cumul des pourcentages sur une année indique que la viande de cheval ne figure que quinze jours par an au menu, alors que le bœuf est servi pendant plus de deux cents jours par an. La consommation des porcs est bien équilibrée et concerne l’ensemble de la carcasse des animaux abattus. Les membres antérieurs regroupent 35,4 % des restes, et les postérieurs 26,1 %, soit une légère préférence pour les membres antérieurs de l’animal (Fig. 106 et 107). Enfin le lapin domestique, le canard et le poisson indiquent que les opportunités locales ne sont pas négligées pour varier les menus, mais sans parvenir à constituer un apport alimentaire bien considérable.
62À peu de distance de là, les fouilles du lieu-dit « La Brunette » ont mis au jour les vestiges d’un établissement considérable par son luxe et son étendue. Bien que les murs aient été presque entièrement rasés, la restitution du plan indique un établissement aristocratique luxueux, comprenant salons, galeries, cours, thermes et bassins sur une grande superficie. Les restes de faune ont, pour leur quasi-totalité, été ramassés dans un coin plus modeste de la demeure, mêlés à des cendres. Le volume d’ossements retrouvés est du même ordre que celui du Mas des Thermes.
63Parmi les ossements recueillis lors des fouilles des vestiges d’habitat du quartier de La Brunette à Orange (Vaucluse), le lot de restes de l’État II, daté de la première moitié du iiie s. ap. J.-C. de notre ère, est le plus homogène (Fig. 108). Il est en volume d’importance moyenne ; il regroupe 945 fragments déterminés pour une masse totale de 12 683 gr. Fresque tous les os sont fragmentés et, parmi les gros animaux, chaque espèce représentée comprend des ossements qui portent des traces de découpe, de décarnisation, de consommation ou de feu. Il s’agit bien là de restes de repas. La fragmentation avancée des os ne permet pas de retrouver beaucoup de traces significatives qui puissent permettre de définir les méthodes employées pour la préparation de la viande, la désarticulation des membres ou encore pour l’enlèvement de la peau.
Animaux domestiques
Bœuf
64Peu représenté sur le site pour cette période, il ne regroupe que 17 fragments pour 8 individus au moins. Deux fragments attribués à cette espèce ont été retravaillés pour la tabletterie, ou plus précisément par l’artisanat de l’os. Seul le rebut a été retrouvé. Son examen indique une conformité avec ce qui a déjà été décrit par ailleurs. Ce sont deux fragments de métapode d’un animal de grande taille, dont un fragment de métatarsien. Les bœufs retrouvés à La Brunette, bien que peu nombreux, sont de deux tailles différentes, mais une seule pièce osseuse a pu être mesurée, une phalange postérieure (Fig. 112). Ses dimensions appartiennent au groupe des grands bœufs. Il n’y a pas de reste de grand bœuf sauvage (Bos t. Primigenius).
Porc
65Le porc est l’espèce qui a laissé le plus de matériel pour la Période 2, avec 46,2 % des restes déterminés. Certaines pièces osseuses portent des marques de préparation de la viande : quatre vertèbres dorsales, dont les disques ne sont pas épiphysés, ont été sciées dans leur longueur. Un humérus droit a été scié au niveau de sa partie articulaire distale ; un autre humérus a été brûlé sur des braises.
66Des traces de consommation, pratiquées au couteau, se retrouvent sur les métacarpiens d’un animal adulte et d’un jeune. L’ensemble du squelette du porc est représenté avec, ainsi qu’il est normal, une plus forte représentation des zones du squelette qui comprennent le plus de pièces sur l’animal vif. Un décompte cumulatif des proportions des restes osseux des membres antérieurs d’une part (de la scapula aux métacarpiens) et postérieurs d’autre part (de l’os coxal aux métatarsiens) indique une proportion de restes de membres antérieurs de 14,3 % et de membres postérieurs de 9,2 %, soit un déficit de 5,1 % dans la consommation de membres postérieurs (Fig. 111 et 112). Ce nombre, qui a l’air important, est en fait trop faible pour être significatif d’une activité économique fondée sur l’exportation des jambons et la consommation sur place des épaules.
67La fragmentation des os de ce site est telle que seuls 14 ossements (os et dents) ont pu être mesurés, soit 3,2 % des restes de porc. Les dimensions relevées indiquent des animaux d’une stature comparable à celle retrouvée par L. Jourdan à La Bourse à Marseille, ou légèrement plus petits.
Caprinés
68Chez les caprinés, les deux espèces sont présentes, mais le mouton comme la chèvre sont rares sur le site de La Brunette pour la Période 2. À peine 13 fragments ont pu être attribués à ces espèces, soit 1,3 % du total des ossements déterminés. Malgré le petit nombre de restes, un talus de mouton a pu être mesuré. Ses dimensions suggèrent un animal de forte taille, bien plus grand et fort que ceux retrouvés à Marseille, dont les dimensions sont près de deux fois moindres.
69La liste des animaux domestiques comprend aussi le coq, (Gallus gallus), peu représenté (1,5 % des restes). Les oiseaux (dont un canard et un indéterminé) qui figurent plus bas sur la liste des animaux sauvages sont peut-être eux aussi des animaux domestiques, mais rien ne l’indique expressément.
Animaux sauvages
70Les animaux sauvages sont surtout représentés à La Brunette, par la venaison : cerf, sanglier et lièvre.
Cerf
71Le cerf est abondant, avec près de 9 % des fragments déterminés. Douze os des membres ont pu être mesurés. Les données biométriques indiquent des animaux de petite taille, si nous les comparons à ceux qui sont décrits par ailleurs31. Un animal au moins à La Brunette a une taille qui se situe légèrement en dessous du minimum donné par Pietschmann pour la moyenne des cerfs en France. La plupart des mesures obtenues se situent près de la moyenne inférieure des chiffres obtenus en Europe centrale32. Il s’agit à La Brunette d’animaux de petite taille, plutôt chétifs. Un scapho-cuboïde de cerf provenant également d’Orange, mais des fouilles du cours Pourtoules (DT 45) a une dimension qui le situe dans la moyenne de ce qui a été vu par ailleurs, soit un animal sensiblement plus gros que ceux mis au jour à la Brunette, à quelque distance de là. L’ensemble du squelette est représenté et certaines pièces osseuses présentant des traces de sciage ou de découpe : un crâne de cerf adulte, comportant l’os frontal et le départ des bois sciés à leur base — ainsi que cela a déjà été noté pour Saint-Bertrand-de-Comminges. Des traces de feu apparaissent sur un fragment de diaphyse de tibia et des traces de découpe sont visibles sur deux métapodes (Sur la partie articulaire proximale d’un métatarsien et sur un métacarpien scié longitudinalement). Il n’a pas été retrouvé de trace d’un travail artisanal du bois de cerf sur le site.
Sanglier
72Le sanglier a laissé beaucoup d’ossements pour la Période 2 de La Brunette : plus d’un tiers des fragments déterminés a été attribué à cette espèce. L’animal est tué le plus souvent adulte. Les restes attribués à des jeunes ne représentent que 15,5 % de l’ensemble de l’espèce. Des dents et de nombreux os ont pu être mesurés, qui indiquent la présence d’au moins une femelle adulte pour trois mâles, adultes également33. Les mesures des os donnent des dimensions variables : un sanglier au moins — qui peut être une femelle — est de taille plutôt chétive, d’après les dimensions de la poulie distale des humérus34, tandis que d’autres animaux semblent avoir été, d’après le tibia (Bd), d’une taille supérieure à la moyenne. Les dimensions des dents indiquent selon Jourdan des animaux de taille plutôt grande, ce que confirment les comparaisons faites avec les données publiées par H. Arbinger-Vogt pour l’Allemagne35.
Lagomorphes
73Le lièvre n’est représenté que par 6,3 % des os déterminés. Il s’agit presque exclusivement d’os des membres — des métapodes surtout, et des fragments d’humérus et de tibia, ainsi que quelques calcanéums. Aucun crâne ni aucune mandibule n’ont été retrouvés et il n’a pas été possible de prendre des mesures, mais il peut être signalé qu’a priori ces restes ne présentaient rien d’exceptionnel.
74Le lapin de garenne est présent sur le site, mais pratiquement pour mémoire, tant ses restes sont discrets : trois fragments seulement sont attribués à cette espèce, mais ils peuvent aussi être intrusifs.
Commentaire
75La faune de la Période 2 de La Brunette provient exclusivement de restes alimentaires, même si certains os ont été retravaillés ensuite par l’artisanat de l’os. Les proportions des différentes espèces — et principalement de celles à fort impact alimentaire — sont remarquables par l’importance considérable de la chasse dans le ravitaillement en viande (49,1 % du PV), qui varie entre la moitié et les deux tiers de l’alimentation carnée, selon les modes de calcul. Cette importance est due en premier lieu à la forte consommation de viande de sanglier. Il atteint le tiers, voire près de la moitié de la viande consommée.
76Les repas de viande sont principalement composés de viande de suidés porcs et sangliers — pour les deux tiers des viandes (en % PV) ou plus de 71 % (en PR) (Fig. 109). L’ensemble de la carcasse des sangliers est consommée sur le site, avec une légère préférence pour les membres antérieurs, qui représentent 20 % des restes attribués à cette espèce contre 16,5 % seulement pour les membres postérieurs (Fig. 111). Il a été noté plus haut que les viandes de sangliers provenaient principalement d’animaux adultes, tandis que les porcs étaient majoritairement (46,6 %) abattus avant 18 mois, lorsque leur viande est encore excellente ; un petit lot (9,7 % de restes de porcs dont l’âge a pu être déterminé), était sacrifié encore très jeune, entre la naissance et quelques semaines seulement ; une forte proportion (43 %) était abattue adulte. La participation des cerfs au ravitaillement en viande, bien qu’inférieure à celle des sangliers, est considérable et rappelle ce qui a été vu au cours de l’âge du Fer dans le Languedoc oriental (13,3 % du PV) et non une proportion de cerf que l’on attendrait dans la liste de faune d’un habitat de l’Antiquité.
77La forte proportion de viande de porc observée ici se retrouve dans d’autres gisements du sud de la France, mais sans être associée à une profusion de viandes de sangliers et de cerfs : la faune de la fin du ier s. av. J.-C., pour certains gisements du sud/sud-est de la Gaule, comprend une proportion (en PV) de viande de porc de 31,9 %, c’est à dire, deux à trois siècles avant la Période 2 de La Brunette, pratiquement les mêmes chiffres36. La faune prise en considération provient de milieux indigènes (Oppida de Vié-Cioutat et de l’Ermitage dans le Gard) et faiblement romanisés (Ambrussum, Hérault)37.
78Au cours du ier s. ap. J.-C., à Fréjus, deux sites d’habitat romanisé ont livré de la faune : Fréjus les Aiguières et Fréjus Capitou. À Fréjus les Aiguières, où l’occupation du début du ier s. ap. J.-C. revêt un caractère particulier38, la consommation de la viande est composée pour 62 % de bœuf, pour 19,4 % de porc et 7 % de cerf, ce qui est très éloigné des proportions observées à La Brunette, un siècle et demi plus tard. Un point commun existe cependant, dans la faible participation du petit bétail à corne. À Fréjus Capitou39, la faune archéologique provient d’un habitat urbain. La proportion de viande de porc consommable y est très importante (51,5 % du PV), mais la chasse (au cerf et au sanglier) rapporte moins de gibier. Pour ce site, l’essentiel de la viande consommée provient d’animaux domestiques. L’âge d’abattage des porcs correspond aussi à ce qui a été vu à La Brunette.
79Plus près dans le temps, les fouilles du quartier du Sablas à Ambrussum40 ont mis au jour un lot de faune daté de la fin du iie et du début du iiie s. ap. J.-C. pour la Période 7 du gisement (180 à 230 ap. J.-C. environ). Les espèces sauvages sont présentes parmi la faune de ce site d’habitat, cerf, sanglier et lagomorphes, mais l’apport alimentaire de la chasse n’excède pas 6,3 %, soit une proportion très éloignée de ce qui a été observé à La Brunette. Chez les animaux domestiques les O/C sont rares (7 % du PV), tandis que le porc occupe la place primordiale dans la consommation de la viande avec 42,3 % du PV. Avec 36,8 % du PV, le bœuf ne vient qu’en seconde position : l’importance du porc dans l’alimentation est déjà confirmée à Ambrussum, pour une période antérieure d’un demi-siècle environ à celle de La Brunette. Le bœuf reste cependant très consommé, complété occasionnellement par de la viande de cheval. La fréquence du grand bétail, bœufs et chevaux cumulés, est en fait comparable à celle du porc (42,7 % du PV). La taille du bœuf retrouvé à Ambrussum pour la Période 7 est, d’après les dimensions des phalanges proximales postérieures, à peu de chose près la même que celle qui a été décrite — mais à partir d’une seule phalange — pour le bœuf de La Brunette. Les porcs des deux gisements ont également la même taille.
80L’étude de la faune archéologique du Mas des Thermes a permis de retrouver des espèces domestiques et sauvages plus nombreuses qu’à La Brunette, pour un nombre de fragments à peu près comparable. Pour les animaux domestiques, le cheval, le chien et le chat sont présents, ainsi que le lapin domestique (Fig. 104).
81Les restes de chien sont nombreux. Ils appartiennent pour la plupart d’entre eux (63 %) à un animal de taille moyenne (entre 42 et 45 cm au garrot, d’après Harcourt)41. Chez les animaux sauvages, le chevreuil vient compléter la liste donnée pour la faune de La Brunette.
82La faune du Mas de Thermes qui évoque bien la variété de l’approvisionnement en viande d’une maison familiale, probablement artisanale, laisse à la chasse une place beaucoup plus modeste que celle qu’elle occupe dans l’établissement plus riche, peut-être même aristocratique de La Brunette. Le bœuf représente la ressource principale en viande, pour un repas sur deux environ. Il est à 88,5 % adulte, et vraisemblablement de réforme. Comme à Ambrussum, mais moins souvent, la viande de cheval vient compléter l’approvisionnement en viande de grand bétail42. Le bétail de taille moyenne pouvait alors fournir des viandes d’accompagnement, moins prisées, mais fréquentes43 : le porc en premier lieu, comme à Ambrussum et surtout comme à La Brunette, et à l’occasion du mouton et de la chèvre (Fig. 131).
83Le ravitaillement à La Brunette procède des mêmes principes, mais dans un ordre de grandeur tout à fait différent. La viande la plus prestigieuse, la venaison, est aussi la plus abondamment consommée, sans doute chaque fois qu’il était d’usage — ou simplement convenu de le faire, et probablement en commun.
84La venaison remplace ainsi le plus souvent la viande de bœuf, qui est ailleurs — à Ambrussum, mais aussi au Mas des Thermes — le plat de viande par excellence, ce qui peut expliquer la faible proportion de viande de bœuf à La Brunette. En effet si l’on ajoute les fréquences des viandes de grand bétail et de grand gibier — bœuf, cerf et sanglier — on obtient une fréquence en PV de 66,2 % soit les deux tiers de l’alimentation carnée. Cette proportion atteint même 72,5 % selon le calcul en PR. Le porc et les O/C, alors, ne fournissent plus que la viande d’accompagnement, pour un tiers environ de la consommation de la viande à La Brunette et 29 % du PV au Mas des Thermes.
85Pour une période à peine antérieure, les fouilles du Cours Pourtoules à Orange ont mis au jour un quartier d’habitation de la ville, dont la Période 3 d’occupation précède de peu la Période 2 de La Brunette. Elle débute vers 70 ap. J.-C. et se termine à la fin du iie s. ap. J.-C. Pour 1969 fragments déterminés la liste des espèces est très variée et il est inutile de la reproduire ici dans sa totalité. La distribution des espèces les plus importantes est comparable avec ce qui a été vu pour le Mas des Thermes (Fig. 125). La chasse devait rapporter environ 6,7 % de viande. Ici, comme dans la maison du Mas des Thermes, l’approvisionnement en viande est fondé sur le bœuf, de façon encore plus appuyée. La viande d’accompagnement reste le porc, car le mouton et la chèvre ne font l’objet que d’une consommation marginale. La variété des espèces retrouvées rappelle le matériel du Mas des Thermes plus que celui de La Brunette.
86Un autre quartier de la ville d’Orange a été fouillé, il y a peu de temps, le quartier dit de Saint Florent qui a livré de la faune archéologique contemporaine — ou peu s’en faut — de La Brunette.
87Le calcul des pourcentages en fonction du PV indique une répartition des fréquences éloignée de celle de La Brunette, mais qui se situe dans le même ordre de hiérarchisation des espèces que celui des faunes du Cours Pourtoules ou encore du Mas des Thermes. Le bœuf représente plus des deux tiers de la viande consommée (70,1 % du PV), le porc environ un quart (24,8 %), les O/C 3,7 % et la chasse au cerf, au sanglier et aux lagomorphes, seulement 0,9 %.
88La consommation de la viande, à La Brunette, apparaît après ces comparaisons, à la fois différente et isolée des modes d’approvisionnement qui peuvent être observés tant dans la ville intra muros qu’à l’intérieur d’une maison modeste adossée aux restes de l’enceinte de la cité. Situé à l’extérieur de la ville antique, mais très proche d’elle, cet habitat remarquable a livré des restes de repas fondés sur la consommation de viande de grand gibier, pour près de la moitié de son ravitaillement, et sur la consommation courante de viande de porc d’excellente qualité, si l’on se fie à l’âge d’abattage de ces animaux.
89À part Fréjus Capitou trois siècles auparavant et dans un contexte alimentaire différent, les habitudes des occupants de cette maison apparaissent comme les seuls qui ne fondent pas leur consommation de la viande sur l’abattage des bœufs. À Fréjus Capitou, l’essentiel de la viande provient des porcs, mais à La Brunette, c’est la venaison qui fournit la plus grande partie des ressources en viande. La dimension plutôt chétive des cerfs pose à ce propos le problème de leurs lieux de capture. Les bords du Rhône et la campagne autour d’Orange ne devant pas a priori — mais cela peut être infirmé — être particulièrement néfastes au développement de ces animaux, il serait tentant d’avancer l’hypothèse que les cerfs destinés à la consommation — courante — des habitants de La Brunette, aient été placés vivants dans des réserves, des parcs d’où ils ne pouvaient sortir, dans lesquels ils se reproduisaient, mais où la place venant à manquer, ou l’affouragement étant insuffisant, il ne leur était pas possible de se développer et d’atteindre les tailles qui leur sont attribuées par ailleurs44. L’absence des bois des cerfs se fait ici sentir, car leur examen aurait permis de distinguer, au moins pour une part — si leur développement était harmonieux ou souffrait de carences alimentaires. Il se peut qu’aux portes d’Orange une communauté, qui en avait les moyens, ait voulu par, ce parcage, s’assurer la présence d’une venaison toujours disponible.
Comparaisons de l’ensemble de la Période 2
90La distribution de la faune à Orange pour la Période 2 peut être comparée avec celle mise au jour dans d’autres gisements du sud de la France. Trois sites ont livré de la faune archéologique contemporaine de la Période 2 : Ambrussum pour son gisement du sommet de la colline et Fréjus, pour Fréjus Capitou (intra-muros) et les Aiguières (aux abords de la ville).
Fréjus-les-Aiguières
91Ce gisement, qui a livré un matériel osseux animal abondant et en bon état de conservation, est situé non loin de la ville antique. La faune de la première occupation du site, la plus abondante, constitue un lot de 3 969 fragments déterminés, pour 389 individus45. Dans l’ensemble, la distribution des espèces serait plus proche de celle de la première que de la deuxième période de Pourtoules.
92Remarquons toutefois que les vestiges animaux des Aiguières ont été prélevés lors de la fouille dans des horizons archéologiques très différents, selon leur situation à l’intérieur du site. Il est nécessaire de l’examiner plus finement. Le matériel provient dans sa grande majorité, de fosses et de dépotoirs (certains d’une taille considérable). C’est ce groupe-là qui donne sa teinte à l’ensemble de la faune du site, alors qu’un lot plus réduit, de 1 448 restes, pour 132 individus (soit 36 % de l’ensemble) provient d’autres ensembles, pour l’essentiel des rues et des habitats. C’est de ce type de milieu que provient aussi le matériel de Pourtoules. L’examen de ce lot de faune montre aux Aiguières, une grande ressemblance avec celui de la Période 2 de Pourtoules, principalement pour le % PV.
Fréjus Capitou
93De l’autre côté des remparts de Fréjus, à l’intérieur de la ville, la fouille du cardo sud, au Capitou, a mis au jour un lot de faune beaucoup plus réduit (293 fragments pour 130 individus), mais qui présente la singularité d’être constitué, en majorité, d’ossements de porcs46. Ceux-ci représentent 57 % du NR, 51,5 % du NMI et du PV, soit bien plus que le bœuf, qui ne parvient qu’à 31,2 % du PV. Les O/C, enfin, contribuent pour 9,3 % du PV au ravitaillement. La chasse apportait encore, en ville, plus de 7,5 % de la viande, (cerfs, sangliers, lapins) soit un peu moins qu’à Orange, dont la distribution de la faune en est très éloignée (Période 2) de même qu’aux Aiguières. La ressemblance de la faune d’Orange avec celle des Aiguières est-elle singulière ? Les fouilles conduites par J.-L. Fiches47 à Ambrussum, dans l’Hérault ont, elles aussi, donné un lot de faune contemporain de la Période 2 de Pourtoules.
Ambrussum
94Le sondage pratiqué au sommet de la colline d’Ambrussum a permis de dégager une demeure. Les couches datant de sa destruction ont livré un lot de faune contemporain de la Période 2 de Pourtoules48. Le nombre de restes (363) et d’individus (157) permet une estimation fiable. Le bœuf y est relativement rare (16,5 % du NR, 15,9 % du NMI et 57 % du PV), mais ses fréquences, à peine plus faibles que celles du bœuf de Pourtoules, lui restent très voisines. Les proportions du porc et des O/C sont également proches de celles de Pourtoules. L’apport de la chasse y est infime. La présence du cheval, absent à Pourtoules, est à signaler, d’autant qu’avec près de 6 % du PV, sa valeur alimentaire n’est pas négligeable : elle est le double de celle du cheval des Aiguières.
95Ce bref aperçu de la faune contemporaine de la Période 2 montre qu’à Pourtoules la distribution des espèces et leurs proportions au sein des classes d’âge est curieusement plus proche de sites ruraux (Ambrussum), ou péri-urbains (les Aiguières), que d’un site véritablement urbain comme Fréjus Capitou. Mais dans tous les cas on aperçoit de façon plus ou moins accentuée un affaissement de la consommation de viande de bœuf, à laquelle se substitue principalement celle de porc. Serait-ce le signe d’un appauvrissement ? Rien ne l’indique, car il s’agit là d’une viande de bonne qualité, provenant d’animaux jeunes ou très jeunes pour une bonne part. Il est possible que ce soit au contraire la conséquence d’une évolution du goût ou d’une autre conception de la gastronomie. La chasse n’est pas seulement un loisir, sa fonction alimentaire est plus importante qu’on aurait pu le croire de prime abord. Les prises sont aussi variées que celles qui ont été retrouvées à Nages ou à Ambrussum, ou même Vaison-la-Romaine ou Nîmes, mais surtout elles prélèvent en priorité des sangliers, alors que jusque-là et depuis des temps fort anciens, la chasse dans cette région consistait presque exclusivement en une chasse au cerf. L’apport alimentaire de la chasse en % PV est seulement environ deux fois moins important qu’à Nages (Fig. 133) où l’on imagine, pourtant, une vie privée bien moins urbaine qu’à Orange, même si certains signes y indiquent une romanisation sensible du mode de vie49.
Saint Florent État I « Abandon-Destruction »
96Cet ensemble, qui regroupe 717 fragments pour 256 individus, est assez nourri et la variété des espèces y est grande (16 espèces différentes), mais malgré le nombre des espèces prises, la chasse ne contribue que très symboliquement aux ressources en viandes dans ce quartier d’Orange, bien que les proportions de son Poids de Viande augmentent faiblement. Pour les animaux domestiques le bœuf est moins abondant qu’au cours des décennies précédentes à Saint Florent, mais il reste l’espèce la plus fréquente. Ce fléchissement se retrouve aussi chez le porc (dans les mêmes proportions) tandis que la fréquence de la viande d’équidés — âne et surtout cheval (et mule ?) est en nette augmentation, jusqu’à représenter deux fois l’apport en viande des moutons. Ces perturbations dans le régime carné des habitants du quartier Saint Florent, bien que légères, traduisent sans doute l’affaissement économique visible dans cet ensemble d’habitations, qui sont en cours d’abandon et de lent remaniement. Le cumul par zones anatomiques des restes du squelette ne donne aucune préférence — ni exclusion — dans ses différentes parties : les proportions de restes des membres antérieurs et postérieurs sont pratiquement identiques.
Comparaisons de l’ensemble de la faune de la Période 3
97Les faunes de la Période 3 d’Orange peuvent elles aussi être comparées à celles de plusieurs gisements du sud de la France, dont la plupart sont malheureusement situés en milieu rural. Les fouilles du village gallo-romain et médiéval de Lunel Viel (Hérault) ont mis au jour deux lots contemporains de la Période 3 de Pourtoules50. Le premier lot est daté de la deuxième moitié du ier s. ap. J.-C. Les proportions sont différentes de celles de Pourtoules, surtout pour la phase d’occupation de la Période 3. La répartition des espèces dans la consommation de viande est plus harmonieuse à Lunel Viel qu’à Orange. Le bœuf n’atteint pas la moitié du ravitaillement, le porc est près de 40 %, les O/C sont beaucoup plus abondants qu’à Pourtoules et ont à Lunel une importance alimentaire bien plus réelle. Ils sont abattus adultes pour les 2/3 d’entre eux, jeunes et très jeunes pour le 1/3 restant, tandis que les porcs sont majoritairement consommés jeunes et très jeunes.
98Le deuxième lot est daté du iie s. ap. J.-C. La répartition de la faune y est un peu différente et se rapproche légèrement de celle de la phase de « Destruction-Abandon » de la Période 3. Les proportions du bœuf, surtout en PV, y sont voisines tandis que celles du porc et des O/C tendent à se rapprocher l’une de l’autre. À Lunel Viel aussi le cheval est présent au cours de cette période, mais en quantité beaucoup plus importante, près de trois fois plus qu’à Orange. D’un autre côté la chasse apporte plus de viande à Orange qu’à Lunel, où elle n’a qu’un impact alimentaire négligeable. Le gibier y est abondant et principalement le cerf, aucun reste osseux n’ayant pu être attribué au sanglier tandis qu’à Orange le gros du PV de la chasse est apporté par les prises de sangliers. Les fréquences du cerf à Pourtoules et à Lunel sont pratiquement identiques.
99Toujours dans l’Hérault, à Ambrussum, les couches de la Période 4 du Quartier du Sablas ont livré une grande quantité de restes animaux51. La distribution des espèces de cet ensemble daté du début du iie s. ap. J.-C. est assez proche de celle qui a été observée pour la phase d’occupation de Pourtoules. La Période G du Sablas est également une phase de reconstruction d’un îlot d’habitation52 (Fig. 136).
100Le cheval est présent à Ambrussum, mais en très petite quantité : un seul fragment lui a été attribué. Comme à Pourtoules et à la différence de Lunel Viel tout proche, la chasse traque surtout le sanglier. Les taux relatifs de la chasse à Ambrussum et à Pourtoules (occupation) sont tout à fait comparables ainsi que, dans une moindre mesure, ceux des espèces domestiques.
101Le cheval est aussi présent dans la faune contemporaine de la Période 3, provenant d’autres sites du sud de la France. Il est parfois beaucoup plus abondant qu’à Orange, revêtant une importance alimentaire non négligeable, comme dans le gisement situé au sommet de la colline d’Ambrussum, où il représente en moyenne 16,1 % du PV mais, selon les endroits du site, sa fréquence peut atteindre plus de 25 %53. Les autres espèces domestiques ont des fréquences proches de celles de la phase « destruction-abandon » de la Période 3, alors qu’elles sont datées de la fin du ier s. ap. J.-C., soit peut-être cent ans auparavant. Mais il convient de remarquer que les fouilles ont mis là au jour une phase de destruction et de remblai54. Pour la même époque, des fouilles conduites en milieu rural55 dans la Villa Rustica de l’Ormeau à Taradeau (Var), ont livré un lot de faune où le cheval reste moins abondant56 qu’à Ambrussum. La fréquence du bœuf y est moins élevée que celle du porc57, fait qui ne s’est rencontré qu’à Fréjus Capitou au cours de la période précédente. À l’Ormeau la viande des caprinés est beaucoup plus consommée qu’à Pourtoules, avec 28 % du PV. On assiste là à une distribution de la faune mieux répartie qu’à Orange.
102Un autre gisement rural, Vié-Cioutat dans le nord du Gard, ne contenait que très peu de cheval (1 % du PV). La répartition des espèces y est différente de celle d’Orange et de l’Ormeau, avec 58,1 % pour le bœuf, 19,8 % pour le porc et 10,8 % — beaucoup, plus, qu’à Pourtoules, pour les O/C. La chasse y rapporte environ 10 % de la viande58.
103La faune du IIe siècle du sud/sud-est de la Gaule est illustrée par quatre sites59 qui présentent des variations dans la répartition des espèces, nettement visibles d’après le calcul du PV. La villa des Prés-Bas à Loupian (Hérault) a une répartition du PV au sein des espèces qui laisse une fréquence de 8 % à la chasse, mais plus de 21 % au cheval, tandis que le bœuf, avec 48,7 %, a un niveau moyen (entre ceux de l’Ormeau et ceux de Pourtoules). Le porc et les O/C ont chacun environ 9 % du PV, ce qui est très peu pour le porc — et moyen pour les O/C. La faune de ce gisement indique une alimentation largement fondée sur la consommation des grands mammifères, domestiques et sauvages. Le bœuf, le cheval et le cerf fournissent 77,4 % de la viande, ne laissant qu’un peu plus du cinquième du ravitaillement aux mammifères de taille moyenne, caprinés, porc et sanglier. À la villa de Saint Michel à La Garde, près de Toulon dans le Var, la faune trouvée dans le comblement des cuves d’une huilerie désaffectée a donné un % PV de 75 % pour le bœuf, accompagné de seulement 12 % pour les porcs et 2,7 % pour les O/C. Le cerf contribue pour 6,8 % au ravitaillement, ce qui donne un % PV pour les grands mammifères (ici sans le cheval, mais avec seulement un âne) de 82 %. Dans le Var encore, les niveaux de la deuxième occupation des Aiguières à Fréjus contenaient des restes d’animaux dont la répartition a attribué 45,7 % du PV au bœuf (comme à la villa des Prés Bas et dans les couches de destruction de la maison au sommet de la colline d’Ambrussum). On y rencontre seulement que 2,4 % de restes de chevaux. Cependant, 17,5 % du PV sont apportés par le cerf — ce qui ne donne que 65,6 % du PV aux mammifères de grande taille, soit environ 10 % de moins que pour les sites vus précédemment. Les porcs ont un taux très proche de celui de Pourtoules, de 22 %. Il est supérieur pour les O/C, avec 9,8 %. L’importance de la chasse pour un site de cette époque, si proche d’une ville, est surprenante.
104À Chessy-les-Mines, dans le département du Rhône, la fréquence du bœuf (61,4 %) est complétée par celles du cheval (12,1 %) et du cerf (7,1 %) qui forment un groupe de plus de 80 % de la viande provenant des grands mammifères. Le porc a un taux plutôt bas (12,1 %) ainsi que les O/C. Le chevreuil, qui peut être classé parmi les mammifères de taille moyenne, ne fournit que 0,5 % de la viande : il s’agit d’un animal qui n’est chassé qu’exceptionnellement. La faune de Chessy, de la villa des Prés-Bas et de la villa de Saint Michel a un taux élevé de consommation de viande de mammifères de grande taille, au détriment en particulier du porc, dont les taux sont remarquablement plus bas que ceux d’Orange pour la Période 3 dans son ensemble. Le faciès retrouvé aux Aiguières (plus de 65 % du PV est fourni par les grands mammifères — bœuf et cerf) attribue au porc plus de 20 % de la viande et se rapproche plus que les autres de la distribution observée à Orange. Ces deux gisements peuvent être considéré à cette époque comme étant urbains, tandis que les quatre autres (Chessy, l’Ormeau, Saint Michel, les Prés-Bas) appartiennent au monde rural. Sans doute est-ce là ce qui les rend plus comparables, même si les solutions pour se ravitailler en viandes de grands animaux sont un peu différentes chez chacun d’eux.
105Plus loin vers le Nord, l’étude de la faune provenant des fouilles du parking de la Mairie à Besançon (Doubs)60 a mis en évidence un affaissement continu des proportions de restes de bœufs, du début de notre ère au début du iie s. ap. J.-C. Les proportions de restes d’O/C diminuent dans le même temps tandis que la consommation de viande de porc augmente considérablement, jusqu’à doubler autour des années 65-120. Ces données recoupent en partie celles d’Orange, mais au sein d’un monde complètement différent qui est à la limite d’un site indigène et d’un habitat proto urbain. Il est difficile de comparer ces deux ensembles, mais on notera que l’augmentation de la part du porc dans l’alimentation au cours des deux premiers siècles de notre ère est un phénomène qui se situe au sein d’une aire géographique plus vaste que le seul sud/sud-est de la Gaule.
Toulon, quartier artisanal du port
106Des fouilles conduites par le Centre de Documentation Archéologique de Toulon et du Var, dans la vieille ville de Toulon, (Var), ont mis au jour l’agencement des quais et un quartier artisanal proche du port. Les fouilles des bâtiments construits sur cette zone humide ont révélé l’existence d’ateliers de confection de cordes, un atelier de forgeron, des habitats de pêcheurs et la proximité d’un atelier de tabletterie61. L’activité de ce quartier est continue du iie au ve s. ap. J.-C., avec une phase d’occupation plus intense au cours des iie et iiie s. ap. J.-C. La faune recueillie lors des fouilles du quartier artisanal est un lot de 2 878 ossements déterminés. Une grande partie de ce matériel a été ramassée sur une zone de rebut d’un atelier de tabletier. Ce matériel de rebut est constitué essentiellement de restes de métatarsiens de bœuf sciés au niveau de leurs extrémités distales et proximales, pour en extraire la diaphyse. Les diaphyses n’ont pas été retrouvées et ont dû être transformées en épingles, dés à jouer, gonds de coffres, charnières pour la plupart. L’étude par l’auteur de la faune provenant de ces maisons a mis en évidence plus de douze espèces différentes, domestiques et sauvages. L’intérêt majeur de ces restes réside dans les ossements de bœuf, dont une grande partie a pu être mesurée. L’ensemble de ces mesures donne un aperçu assez net des bovins qui étaient produits au cours de l’Antiquité autour de Toulon. La comparaison des données obtenues avec celles déjà connues provenant du matériel de Fréjus-les-Aiguères et d’Orange, étendra les conclusions à un plus grand territoire de la Province. La présence de rebut d’un atelier de tabletterie fausse les données pour l’estimation du NMI, car la faune retrouvée lors des fouilles ne provient pas directement de déchets alimentaires, mais d’un second tri très sélectif de la part d’un artisan, qui ne retenait que les métapodes et les cornillons des bovins.
107Les restes de bœufs sont surreprésentés au sein de la figure 113, qui indique aussi une forte proportion d’ossements de porcs, équivalente à celle d’O/C. Remarquons que la viande de suidés était prisée à Toulon au cours de l’Antiquité, car sur quatre-vingt-six restes de gibiers, soixante-dix-sept appartiennent au sanglier. Il n’est pas sûr que les équidés, le chien et le félin aient été consommés, tandis que le très petit nombre de restes de poissons pose un problème d’interprétation, pour un site qui se trouve à proximité immédiate de la mer. Chez les animaux consommés sur le site (dont une partie des bœufs), les adultes restent fortement majoritaires, avec plus des deux tiers des restes. Seuls les porcs sont abattus plutôt jeunes et très jeunes dans des proportions équivalentes qui, cumulées, constituent une somme plus importante que les adultes qui ne comptent que pour 41,2 % de l’espèce. Certains bœufs aussi sont abattus jeunes et très jeunes. Ce sont des animaux élevés pour l’alimentation et dont les os non épiphysés n’ont pas été retenus pour la tabletterie. Les restes de bœuf ont pu dans un grand nombre de cas être mesurés, ce qui nous renseigne sur l’aspect des animaux retrouvés à Toulon.
108Métatarsiens Bp : N. : 216 var. : 41,8-69,6 m, 9
109Dp : N. : 218 var. : 37,6-67,8 m 50,7
110Les mensurations des métatarsiens entiers donnent des résultats plus précis, avec huit taureaux, huit bœufs et seize vaches. Deux bovins ont des mensurations qui s’inscrivent dans le domaine de variation des aurochs (Bos t. Primigenius) pour deux femelles.
111À Toulon, (Var), la mise au jour d’une grande quantité de restes de bœuf, composés essentiellement de déchets de tabletterie et, pour une part, de reliefs de repas, est l’occasion de disposer de séries de pièces osseux mesurables qui précisent bien l’aspect des bovins au cours des iie et iiie s. ap. J.-C. dans cette partie de la Narbonnaise62 (Fig. 113). L’examen des chevilles osseuses et des os des membres à Toulon indique que les bœufs du sud de la Provence apparaissent plus massifs que les sujets du Lapis Niger à Rome, ainsi que les bœufs de la race alpine actuelle. Ils correspondent, d’après les mesures des phalanges proximales antérieures (Fig. 117), à la taille des restes de bovins mis au jour lors de la fouille d’une citerne de la fin de la République à Bolsena. Ils s’intègrent dans le domaine de variation des grands bœufs des fouilles de La Bourse à Marseille.
112Par les mensurations des cornillons, et particulièrement de leurs bases, on obtient des indices qui renseignent sur le gabarit des bovins de l’Antiquité à Toulon : six individus ont des tailles correspondant à celles d’aurochs femelles ; vingt-six correspondent à un bœuf de grande taille, un seul à un bœuf plus petit. Treize sont incertains, appartenant, par certaines de leurs dimensions (en général, la hauteur à la base) au « grand » bœuf et par le diamètre antéro-postérieur (DAP) à la base, à des bovins plus petits. Enfin, cinq sujets restent indéterminés.
113Les cornillons retrouvés à Toulon sont dans l’ensemble plus grands que ceux de Fréjus-les-Aiguières, mais ils leur restent proches. Ils sont aussi plus récents, au moins pour une partie d’entre eux. Les tailles varient de 1,25 m pour les plus petits, à 1,58 m pour le plus grand (cet animal devait connaître un développement exceptionnel) (Fig. 114). Les hauteurs au garrot ont été établies selon deux facteurs : le premier63, donne des hauteurs plutôt excessives et le second64 suggère des animaux plutôt chétifs. Là encore, il faut rechercher la vraisemblance entre ces deux extrêmes65.
114La plus grande partie des hauteurs au garrot des bœufs de Toulon (Fig. 115 et 116) se retrouvent pour les animaux des Aiguières à Fréjus, mais à Toulon une partie du cheptel est composée d’animaux plus grands et aussi probablement plus larges, ce qui les rend plus puissants et plus lourds. À Orange, les bovins mâles de la Période 1 des fouilles du Cours Pourtoules ont une hauteur au garrot de 1,10 m, et de 1,25 m et pour une femelle, de 1,13 m. Pour la Période 3, un bovin a une hauteur au garrot de 1,03 m seulement. Il apparaît que les bœufs élevés dans la campagne d’Orange sont plutôt plus petits que ceux du littoral de la Province mais, malheureusement, seulement quatre sujets en tout ont pu livrer leur gabarit.
115Les bœufs consommés au quartier Saint Florent à Orange étaient plutôt plus petits que ceux de Pourtoules, quartier pourtant voisin. La hauteur au garrot d’un bœuf daté du début de l’occupation du quartier Saint Florent était de 1,34 m selon les facteurs de Fock, ce qui le situe dans la moyenne de ceux retrouvés à Toulon et aux Aiguières. À la fin de la Période 1 de Saint Florent, les quelques mesures prises indiquent des animaux dont le gabarit se situe dans la moyenne inférieure de Toulon. Au cours de l’État II, les dimensions des phalanges proximales antérieures de bœufs mettent en évidence l’existence d’animaux plus grands que précédemment et plus proches de ceux de Toulon et des Aiguières. À la fin de l’État II la hauteur au garrot d’un bœuf est de 1,33 m, soit une hauteur équivalente à celles du début de l’Antiquité à Orange66. À Orange, les mesures prises sur des phalanges indiquent aussi des animaux de gabarit très moyen, d’autant qu’il s’agit d’un mâle.
116Il semble bien que le bœuf de Narbonnaise au cours de l’Antiquité ait connu une croissance rapide, avec un maximum au cours de la fin du iie et au cours du iiie et du ive s. ap. J.-C. Ensuite le gabarit des animaux stagnerait dès le courant du ive s. ap. J.-C. Ce que confirmerait le travail récent effectué sur la faune d’un établissement rural des Pyrénées Orientales du haut Empire67 où il a été observé que l’élevage « s’exerçait sur des bovins de grande taille, conformes à ceux observés pour les premiers siècles de notre ère en Languedoc occidental et en Provence, mais sensiblement plus grands que ceux du iiie s. ap. J.-C. de la vallée de l’Aude » (en référence à ceux observés par Vandevyver à Auriac, près de Carcassonne)68. Le rythme de l’augmentation de la taille des bœufs varie donc d’un bout à l’autre de la Narbonnaise, mais surtout à partir des iiie et ive siècles, avec des animaux sans doute mieux choisis pour alimenter les villes que pour l’approvisionnement des campagnes. Vers la fin de l’Antiquité, il semble bien que les consommateurs des villes ne puissent plus se procurer que des animaux au développement moyen, voire médiocre.
117Les études de faunes entreprises par les spécialistes dans le nord de la France, ont conclu à l’existence de bœufs de grande taille dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie, dès les deux dernières décennies du ier s. av. J.-C.69, avec des spécimens encore rares. La taille des bovins augmente ensuite rapidement, pour atteindre 142,7 cm au garrot pour un bœuf (mâle castré) provenant du puits de Gournay-sur-Aronde70. À Fresne-les-Montauban71, un mâle atteint 135 cm de hauteur au garrot, tandis qu’à la villa de Zouafques, une série de bovins connaissait des hauteur au garrot de 122,5 cm en moyenne pour les femelles (N : 20), de 130,2 cm en moyenne pour les mâles (N : 9) et de 144 cm en moyenne pour les bœufs (N : 30). L’auteur72 souligne que ces animaux sont en moyenne 25 % plus grands que ceux de La Tène73. Cette augmentation de la taille des animaux s’accompagnerait d’une gestion rigoureuse des troupeaux. Le bœuf gallo-romain est grand mais aussi plus puissant ; ses jambes sont trapues.
118L’augmentation de la taille des bovins s’accompagne d’une modification de leur morphologie. Ces changements affectent les proportions des membres qui deviennent plus importantes au-dessus du genou, par allongement de la scapula, de l’humérus et du radius-ulna pour les membres antérieurs et du fémur et du tibia-fibula pour les membres postérieurs. Les animaux conformés ainsi seraient plus favorables au trait74.
119La mise en évidence de tels changements dans la morphologie des bovins est rendue délicate par la rareté des ossements demeurés intacts pour les sites de Narbonnaise, alors qu’ils sont beaucoup plus nombreux à être mis au jour lors des fouilles de sites en Germanie, comme Magdalensberg75. Ce site a livré des séries d’ossements en bon état qui, mesurées, permettent de restituer à la fois le sexe et la taille des bovins. Les bœufs de Magdalensberg sont de grande taille pour le tournant de l’ère chrétienne.
120La mise en relation des restitutions de H. G. d’après les métapodes indique que ces animaux ont un arrière-train plus puissant que la partie antérieure de leur corps. Cette observation permet de se représenter l’aspect que devaient avoir nombre de bovins sur les sites du sud/sud-est de la Gaule, alors même qu’elle n’y est pas restituable aussi complètement faute d’os entiers.
121Ainsi, à Loupian, l’examen des restes osseux de bœufs de la villa des Prés-Bas montrent qu’il s’agit d’animaux puissants et morphologiquement adaptés au trait76. Deux hypothèses principales tentent d’expliquer cet accroissement de la taille (et de la puissance) des bovins en Gaule. L’une se fonde sur les recommandations de Columelle77 et affecte ces animaux aux travaux des champs ; l’autre78 met en relation l’augmentation de la taille des bœufs en Gaule du nord et la demande accrue de charroi lourd pour le ravitaillement du limes et, d’une manière générale, pour le transport des produits agricoles devenus plus abondants pour un territoire ouvert par la pax romana.
122Cette hypothèse est difficilement transposable en Gaule du sud/sud-est, car l’augmentation du gabarit des bovins n’est apparente que tardivement après la conquête (au cours des iie-ive s. ap. J.-C). Sur la figure 75 les hauteurs au garrot des bœufs connues pour le sud/sud-est de la Gaule, depuis la fin du iie s. av. J.-C. jusqu’au ve s. ap. J.-C. sont réunies : les animaux sont effectivement plus grands trop longtemps après la conquête pour qu’il soit possible de relier ces deux faits entre eux. L’origine de l’agrandissement des bœufs par les éleveurs est, plus probablement, à rechercher dans les mutations que les domaines ont connu au cours des iiie et ive s. ap. J.-C.79.
123La figure 75 indique aussi que les tailles des bovins se répartissent sur un large éventail de dimensions et qu’il existe toujours, dans cette région, au cours des iiie, ive et ve s. ap. J.-C, des animaux d’une taille intermédiaire entre celles des représentants des grands et des petits bovidés. Ce phénomène est illustré aussi d’une façon complémentaire par la figure 76, qui montre qu’à Loupian les bœufs de taille « intermédiaire » et les grands bœufs sont plus nombreux que ne l’indiquait la seule prise en compte des os proximaux des membres.
124Ces quelques exemples mettent en évidence que l’évolution du cheptel bovin, dans le sud de la Gaule, mais aussi dans les autres provinces et jusqu’au limes, constituent un phénomène très complexe, qui ne peut être isolé d’une approche plus globale des établissements agricoles et de leur évolution propre80. De plus, il n’est plus possible de cataloguer les bœufs des périodes gallo-romaines en deux catégories, grands et petits, comme cela peut l’être fait pour l’âge du Fer. Enfin, l’approche des modalités de sélection de ces animaux, en vue d’obtenir des races plus grandes est bien plus ardue que la seule hypothèse de l’importation de géniteurs italiens. Il convient de tenir compte d’une diversité des races propres à chaque région qui sous-tend ces questions sans pouvoir être mis en évidence de façon systématique, mais seulement çà et là81.
125On a vu plus haut que la préférence pour la consommation de la viande de bœuf de grande taille, dans les villes de Gaule du Nord et du Sud, s’accompagne parfois de difficultés d’approvisionnement, sensibles, dans le cas d’Orange, d’un quartier à un autre. On a pu restituer aussi la taille d’un bœuf du iiie s. ap. J.-C. à Issoudun (Indre)82 d’après un humérus. Cet animal atteignait 1,27 m au garrot, ce qui est une taille plutôt grande, mais comparable à celles qui sont retrouvées dans le Nord et l’Est de la Gaule. Elle est supérieure à celles qui sont retrouvées pour les bovins de Saint-Bertrand-de-Comminges83 et se situe dans le domaine de variation (mais parmi les plus grands) des bœufs d’Europe Centrale et de l’Est84, qualifiés de « bétail romain »85.
Larina, faune de l’Antiquité
126Une fosse datée de l’Antiquité contenait un petit lot d’ossements de 439 fragments, soit 4,4 % du total de la faune de Larina. C’est peu pour être représentatif de l’ensemble de la faune archéologique d’une période donnée, mais l’étude de ce petit groupe permet de jeter quelques lumières sur la répartition des espèces dans la consommation de la viande. Une autre réserve vient du fait que ces restes animaux proviennent d’une fosse et non d’un sol d’habitat, ce qui lui donne un faciès un peu particulier. Malgré cela, il est à noter que les différences sont peu sensibles.
127À Larina, au cours de cette période, les espèces domestiques et sauvages sont moins variées : pas d’équidés, ni de cervidés, ni de lagomorphes (Fig. 118). Les restes les plus nombreux proviennent du porc, mais le bœuf est pratiquement aussi abondant (environ un tiers pour chacune de ces espèces). Les moutons sont encore plus nombreux que les chèvres, dans la mesure très limitée où ces deux espèces ont pu être distinguées. Enfin la fosse 9 contenait des restes de deux chiens adultes et d’un sanglier. Les trois quarts de la viande proviennent du bœuf qui a des proportions de poids de viande qui augmentent nettement depuis l’âge du Bronze — mais principalement au détriment de la chasse et des équidés, plus que par substitution à la consommation de viande de porc, de mouton ou de chèvre qui connaissent des proportions, en poids de viande, stables depuis la protohistoire, après la baisse qui suit l’âge du Bronze.
128D’après les mensurations qui ont pu être prises (rarement, car la fragmentation des os est très poussée) le bœuf semble curieusement être un peu plus petit au cours de l’Antiquité qu’au cours de l’âge du Bronze (il n’y a pas de mesure prise pour cette espèce dans le lot de la Protohistoire). Au cours de l’âge du Bronze, les tibias de bœuf mesurent, pour leur extrémité distale, 60 et 61 mm de large (Bd), tandis que les trois mesures de la même région du tibia prises sur le matériel de l’Antiquité donnent des résultats toujours légèrement inférieurs : 51,5 et 59 mm. Le mouton et le porc n’ont pas non plus augmenté de taille, d’après les mesures qui ont été prises. Le rythme d’abattage des bœufs, des porcs et des moutons est peu changé par rapport à celui de la Protohistoire : les bœufs abattus adultes sont un peu plus fréquents (Fig. 120 et 121).
129Les porcs et les moutons ont des tranches d’âge d’abattage très proches de celles de la Protohistoire. La consommation de la viande de bœuf concerne à peu près équitablement l’ensemble de l’animal, avec une légère prédominance des restes des membres antérieurs (avec 14,9 % des restes de l’espèce, pour 13,6 % pour les membres postérieurs) (Fig. 122 et 123). Chez le mouton et la chèvre, les membres postérieurs sont plus abondants que les antérieurs d’environ 8 %, en raison de la fréquence relativement élevée des tibias. Le déséquilibre le plus apparent se rencontre chez les porcs, dont les restes de membres antérieurs concernent 25,4 % des restes de l’espèce, alors que ceux des membres postérieurs ne comptent que pour 3,3 %. Ce déficit est en progression sensible depuis l’âge du Bronze et indique nettement une tradition de vente de jambon et de salaison à Larina qui se développe au point de ne plus être seulement marginale : la viande de porc représente plus de 15 % de la production de viande sur le site et concerne une activité agricole à part entière, dont les rendements devaient être planifiés. C’est ce qui expliquerait que cette espèce soit la seule dont les individus sont abattus en majorité jeunes, au moment où la viande est la plus goûteuse. Outre que le porc ne donne ni lait ni laine, l’origine de ce choix de viande jeune serait plus à rechercher dans la nécessité de produire des salaisons de bonne qualité pour la vente que dans la gourmandise des riverains dont les repas auraient laissé sur le site les ossements des membres postérieurs des jeunes porcs.
130À Larina, au cours des périodes du bas Empire, c’est au sein de la faune provenant des bâtiments du ive s. ap. J.-C. que se situe l’apogée de l’importance de la consommation de viande de bœuf (Fig. 155) avec plus de 80 % du PV. La chasse est là aussi pratiquement inexistante — la viande de cerf et de sanglier ne regroupe que 1 % de la viande consommée. La pauvreté de la chasse et l’absence du cheval montrent que le gonflement des proportions de viande de bœuf se fait au détriment principalement de la consommation de la viande de porc, dont les pourcentages baissent jusqu’à rejoindre ceux de la chèvre. On notera au passage que le troupeau de caprinés est principalement composé de moutons. Les chèvres ne représentent que 1/3 environ des individus (Fig. 157). Il ne s’agit là que d’un élevage d’appoint, mais dont l’importance s’affirme lentement depuis l’âge du Bronze. Bien qu’il faille être très prudent, c’est là d’un indice mettant en évidence que le rôle de chèvre devait être en premier lieu de produire du lait, la consommation de sa chair devant, sur ce site, être considérée comme marginale.
131La proportion d’adultes abattus pour le bœuf est la plus faible qui a pu être observée jusque-là à Larina : moins de la moitié des bœufs est abattue adulte, la viande bovine consommés provenant le plus souvent d’animaux jeunes (dans un cas sur cinq) et souvent très jeunes (Fig. 157). Ces chiffres sont à réviser en fonction du nombre de fragments dont l’âge n’a pas pu être précisé, mais dans les mêmes proportions que précédemment. Pour les porcs également le rythme d’abattage est différent de ce qui a été observé plus haut : les animaux sont en moyenne abattus plus vieux. Les jeunes porcs sont moins consommés, alors que les poulets très jeunes sont plus nombreux. Les membres antérieurs sont plus fréquemment retrouvés, pour plus du double, que les postérieurs (24,7 % pour les antérieurs et 10 % pour les membres postérieurs). Un examen plus détaillé indique un net déficit en fémurs, par rapport à la proportion d’humérus pour le membre antérieur (Fig. 163 et 164). La tradition de la fabrication et la commercialisation de jambon se poursuit donc à Larina. Le déficit en animaux jeunes chez les porcs laisse supposer que certains d’entre eux peuvent avoir été vendu dans leur entier (sur pied ?) encore jeunes. La consommation de viande de bœuf a également laissé plus de restes de membres antérieurs (25,7 %) que de membres postérieurs (22,5 %), phénomène qui s’observe dans des proportions comparables pour le mouton (18,9 % pour les membres antérieurs et 15,2 % pour les membres postérieurs). Il se peut que le commerce de charcuterie et de salaisons se soit étendu à la vente (mais sous quelle forme ?) de viande de bœuf provenant d’animaux plutôt adultes, en raison du petit nombre des spécimens retrouvés. Pour les moutons, le prélèvement dû aux ventes se serait réparti, curieusement, chez les adultes et les très jeunes, les animaux jeunes étant consommés sur place. Toutefois, les variations entre les membres postérieurs et antérieurs restant faibles, la vente de viande bœuf et de mouton devait, si elle a eu lieu, rester de peu d’importance. La mise en évidence de traces d’activités liées à la vente (ou l’échange) de pièces de viande ou de salaisons est utile à deux niveaux : En premier lieu pour une approche plus complète des activités économiques du site pour une période donnée, ensuite parce qu’elle permet de comprendre la distribution des restes des membres, dont les restes attribués aux membres postérieurs ont été retrouvés en surnombre sur certains sites urbains. Il n’est hélas pas possible de situer ici où les restes osseux, absents de Larina ont pu être envoyé. Mais l’étude de ce lot de faune montre comment le déficit de certaines parties du squelette des animaux peut être mise en relation (et expliquée) avec le surnombre de restes de zones anatomiques semblables, notamment lorsqu’ils sont mis au jour lors de fouilles urbaines. Les échanges, le commerce devaient avoir un impact beaucoup plus grand, sur la diffusion du matériel osseux, que la seule surface fouillée du site.
132La comparaison de la faune des iie-iiie et du ive s. ap. J.-C. de Larina avec celle d’Ambrussum dans l’Hérault86 montre des différences considérables dans la consommation de la viande sur les deux domaines. Au cours des iie-iiie s. ap. J.-C. à Ambrussum (Périodes V et VI), les proportions de viande de bœuf sont de 54,6 % — pour 74,6 % à Larina, le porc de 31,3 % (pour 15 % à Larina) et de moutons et de chèvres de 3,7 % (Larina : 7,7 %). Le bœuf est moins consommé à Ambrussum, ainsi que la viande de mouton, au profit d’une plus grande consommation de viande de porc, au cours de la Période V.
133Les bœufs sont surtout abattus adultes (66 %), de même que les moutons (pour 62,5 % d’entre eux), tandis que les porcs sont consommés majoritairement jeunes, pour 60,5 %. Au cours de la Période VI de l’occupation d’Ambrussum, qui se déroule une ou deux générations après la Période V, la situation évolue quelque peu. Elle tend à se rapprocher de celle qui a été observée à Larina au cours de la période « antique », avec des proportions de poids de viande de 60,3 % pour le bœuf, de 29,4 % pour le porc et de 3,3 % pour les caprinés. La consommation de viande de bœuf augmente sensiblement, de 4 %, tandis que celle des moutons reste stable et que la viande de porc ne varie que très peu à la baisse — de 2 % environ. Les bœufs sont abattus presque tous adultes à Ambrussum (80,6 %). L’abattage des porcs est plus équilibré, en réservant plus de la moitié de la consommation de la viande à partir d’animaux jeunes (57 %), tandis que les adultes représentent un peu plus du tiers (34 %). La viande des porcelets est peu consommée (8,6 %).
134Le prélèvement des animaux de ces deux espèces pour la boucherie est opéré selon le même schéma à Ambrussum qu’à Larina. Il n’en va pas de même pour les caprinés — qui sont d’ailleurs surtout du mouton sur l’un et l’autre site. Les moutons sont abattus majoritairement encore très jeunes, alors que cela reste exceptionnel à Larina. Les agneaux (jeunes) représentent 13,7 % de la viande — alors qu’à Larina ils sont moins de 10 %. Les habitants d’Ambrussum ne consomment qu’un tiers environ de moutons adultes, alors qu’ils constituent les 3/4 de cette espèce à Larina. Il ne devait s’agir à Ambrussum que d’un élevage d’appoint, sans grand poids économique, que ce soit pour le lait, la laine et même la viande, plus rare que celle du sanglier.
135La Période VII d’Ambrussum est de peu antérieure à celle de Larina du ive s. ap. J.-C. La répartition des espèces selon le poids de viande y est très différente de celle de Larina : les bœufs n’y apportent que 36,8 % de la viande, la plus grande part du ravitaillement étant fondée sur la viande de porc (42,3 %), alors que le mouton et la chèvre restent confinés dans leur rôle d’appoint (7 %). L’abattage des animaux prélève 80 % des adultes chez le bœuf — pour 7 % de jeunes. La viande des porcs est consommée, en gros, pour moitié adulte et pour moitié jeune, alors qu’à Larina ces deux espèces sont à cette époque adultes principalement, tout en laissant plus de place à la viande de bœuf encore jeune. Il y a à Ambrussum plus de moutons abattus très jeunes (29,3 % au lieu de 14 % à Larina) et moins qui le sont adultes (54 %), comme cela était déjà pratiqué un siècle plus tôt.
136La comparaison des faunes de Larina et d’Ambrussum met en évidence l’existence de deux partis différents dans la consommation de la viande qui accorde plus de place au porc à Ambrussum. Elle confirme aussi le rôle très marginal que devait tenir à cette époque l’élevage et la consommation du mouton et, a fortiori, des chèvres sur les deux domaines. La faune de la fosse A/B est riche (Fig. 165) : 959 fragments, soit 9,7 % de l’ensemble de la faune et 44,4 % des restes animaux de cette période. Les restes de bœufs sont nombreux, plus du tiers des fragments retrouvés. Ils apportent les deux tiers de la viande. Malgré le nombre important de fragments dont l’âge n’a pas pu être précisé, cette viande est prélevée pour la plupart (environ 50 %) parmi les animaux adultes. Mais un cinquième au moins ou un quart des bœufs est abattu jeune, ce qui laisse une place non négligeable à l’élevage pour la boucherie, et non exclusivement aux animaux de réforme, dans le ravitaillement en viande.
137Le calcul des proportions des tranches d’âge de l’espèce selon le NMI (Fig. 167) corrige dans ce sens les données du calcul en % NR, rendu aléatoire par la part importante de fragments d’âge indéterminé. Que sont ces animaux consommés jeunes ? Il est bien difficile de le dire, mais il est possible de supposer que sont choisis en premier les animaux qui ont des défauts — stérilité, absence de lait, boiteries irréversibles, mauvaises manières. Mais le nombre relativement important d’animaux jeunes et très jeunes (en tout plus de 50 % du NMI) autorise l’hypothèse d’un élevage pratiqué spécialement pour la boucherie, sans que les bêtes soient dirigées auparavant vers un travail quelconque, ce qui suppose une certaine aisance des éleveurs de gros bétail. La consommation de viande de bœuf intéresse l’ensemble de la carcasse de l’animal et il n’est pas possible de discerner une différence notable entre la consommation des membres antérieurs et postérieurs. Chez le mouton et le porc, la consommation des membres représente une part plus importante des restes (43,2 % des restes chez le bœuf, 50,4 % pour le porc et 56,3 % pour le mouton et la chèvre). Des différences sont discernables entre les proportions de restes des membres antérieurs et postérieurs, qui mettent en évidence un déficit des membres antérieurs de 4 % chez le mouton — ce qui, somme toute, est faible. Chez le porc ce déficit concerne les membres postérieurs, mais dans une proportion (7,6 %) plus faible que celle qui a été vue précédemment pour cette espèce.
138La faune des ive-ve s. ap. J.-C. prélevée lors de la fouille des bâtiments présente une distribution du poids de viande consommable légèrement différente de celle observée pour la fosse A/B (Fig. 170). La différence la plus sensible est une faible augmentation de la viande de bœuf et de porc, au détriment de celle de mouton. L’âge d’abattage des animaux est, lui aussi, différent (Fig. 172) : les bœufs des bâtiments sont plus souvent consommés adultes. Ces variations sont peut-être dues seulement aux fluctuations importantes qui affectent les proportions de fragments d’âge indéterminé : le taux de ces variations (19 % environ) coïncide avec celui des animaux consommés adultes dans les bâtiments. Les proportions de restes de porcs adultes sont plus importantes dans les bâtiments que dans la fosse (+ 15 %), alors que les jeunes sont moins abondants. On observe une consommation bien répartie sur l’ensemble de la carcasse des animaux, qu’il s’agisse des bœufs, des porcs, des moutons ou des chèvres. Un léger déficit des restes de membres postérieurs est discernable sur l’ensemble de ces deux espèces, dans les mêmes proportions (environ 7 %).
139La consommation de la viande par les habitants du sud est de la Narbonnaise apparaît au cours de l’Antiquité gallo-romaine, dominée par un fait majeur, d’ailleurs attendu : les effets de la romanisation sur les sociétés indigènes. L’influence du mode de vie romain sur une proportion de plus en plus étendue de la population atteint peu à peu, parmi les activités de la vie quotidienne, celles qui sont les plus privées, se déroulant généralement à l’intérieur des demeures.
140Cette affirmation, qui n’a rien ici de bien nouveau, ne peut toutefois pas être énoncée sans plusieurs nuances, qui en modifient considérablement la portée. En premier lieu les modifications de l’alimentation carnée ne sont pas reliables aux effets de la romanisation, institutionnels mais surtout architecturaux et relatifs à la déstabilisation de certains peuplements87. Un décalage d’un siècle, parfois de deux, est souvent observé entre les modifications des structures bâties et celles de la consommation de la viande88.
141Ensuite, il est imprudent de ne considérer l’alimentation carnée des habitants de cette période que comme une notion globale, sans risquer de la rendre fortement réductrice. Des tendances communes apparaissent qui intéressent l’ensemble des sites de façon à la fois spatiale et diachronique ; les exemples de La Brunette, de l’étang de Berre et de Larina l’illustrent bien. Ces variations qui sont parfois plus que des nuances, affectent aussi les sites d’une même micro-région, comme les Soires ou Calissanne d’une part et Saint-Julien-les-Martigues et la Pousaraque de l’autre, pour les rives de l’étang de Berre. Ou encore l’oppidum des Caisses à Mouriès et les Tours de Castillon dans la vallée des Baux.
142La mouvance de la romanisation se discerne sur beaucoup de sites, mais sans parvenir à en gommer les particularités locales, qu’elles soient dues à la proximité d’une agglomération importante (comme Orange ou Marseille) ou encore à l’ensemble des données naturelles d’une micro-région.
Données archéozoologiques de l’Antiquité
143Orange, faune des fouilles du Cours Pourtoules et de Saint Florent Période 1 – 10 à + 30
Notes de bas de page
1 Février, 1964 ; 1981, 1989.
2 Goudineau, 1979, p. 203-213 et 307-313.
3 Lugand et al., 1994, p. 246-278.
4 Rivet, 1993, p. 5 et 6.
5 Trément, 1997, p. 33-58.
6 Pour le contexte archéologique, voir en général, Boréani, Lecacheur, 1986 ; Boréani et al., 1985 ; Brun, 1989.
7 Gateau, 1993, p. 136 à 171, (pour la faune, sp. 147 à 150).
8 Brun, 1993b, p. 111-146 ; pour la faune archéologique, voir Columeau, 1993, p. 233-243.
9 Molin, 1997, p. 142.
10 Notamment les études des faunes archéologiques de Saint-Bertrand-de-Comminges (Guillemin, 1992 ; My, 1993) et de Saint-Étienne à Toulouse (Personnaz, 1992) qui ont fait l’objet de Thèses de Doctorat en Médecine vétérinaire, dans le cadre de l’étude de l’Histoire de la faune. Également l’analyse de la faune archéologique de Rodez, parue dans la Revue de Médecine Vétérinaire (Lignereux et al., 1994, p. 839-856), périodique d’ordinaire peu fréquenté par les chercheurs en Archéologie et en Histoire. On ajoutera aussi les travaux entrepris sous la direction de J. Boessneck et A. von den Driesch, de l’Université de Munich, qui sont du même type et qui, sans être confidentiels, demeurent malheureusement peu diffusés.
11 Magdinier, Thollard, 1987, p. 77 à 96 (sp. p. 95).
12 Mignon, 1997, p. 175.
13 Bellet et al., 1988, p. 174 ; Bellet et al., 1990, p. 195 ; Bellet et al., 1990, p. 197 à 201.
14 Ces lots de faune ont été étudiés par l’auteur, grâce à la confiance que lui ont témoignée les fouilleurs qui lui ont confié le matériel osseux, pour des délais parfois assez longs. La plupart des gisements d’où ils proviennent sont encore inédits, et la documentation archéologique les concernant est éparse ou inexploitable dans sa plus grande part pour qui n’a pas participé aux fouilles. Il a été possible dans certains cas, et notamment pour Orange, de réunir un minimum de données sur les structures mises au jour, ainsi que sur la stratigraphie, grâce à la collaboration des responsables de fouilles. Les documents sur les fouilles archéologiques des sites évoqués dans les pages suivantes constituent le minimum pour accompagner les réflexions sur le ravitaillement en viande. Elles n’ont pas d’autre but, et le lecteur désireux d’approfondir ses connaissances sur chacun de ces sites devra se reporter aux publications préliminaires des fouilleurs et, patiemment, attendre les monographies définitives, qu’une étude de faune ne saurait en aucun cas remplacer.
15 Pour la topographie antique d’Orange, se reporter en dernier lieu à : Mignon, 1997, p. 174.
16 Se reporter en dernier lieu à Leguilloux, 1997, p. 239-259.
17 Boréani, Lecacheur, Pasqualini, 1985, p. 17-18 ; Brun, Brien-Poitevin, 1993, p. 8 et 9.
18 La consommation de la viande de cet animal est signalée par Méniel (1990, p. 274). Lepetz indique la fin de l’hyppophagie dès le début de la période gallo-romaine (1997, p. 160).
19 On notera aussi qu’il est très difficile de distinguer le cheval d’un hybride, bardot ou mulet (Driesch, 1988, p. 36). Aussi dans certains cas des restes de « chevaux » consommés peuvent avoir en fait appartenu à des mules ou des bardots. Les mulets sont en effet connus pour avoir été largement répandu au cours de l’Antiquité (Molin, 1997, p. 143).
20 Jourdan, 1976, p. 223-224.
21 Columeau, 1991, inédit.
22 My, 1993, p. 52-53.
23 Guillemin, 1992, p. 33, 36, 38.
24 Le porc représente 19,4 % du PV et les O/C 15,9 %.
25 5 % des porcs de Saint Florent sont très jeunes et seul un fragment de porcelet a été retrouvé à Pourtoules.
26 D’après J.-M. Mignon, Service archéologique du Conseil Général de Vaucluse.
27 À Saint Florent, les fouilleurs ont reconnu, la mise en place après les années 70, d’un nouvel état, à la suite d’une importante inondation. Les constructions datées de cette époque sont caractérisées par leurs plus grandes ampleurs, qui reflètent une condition sociale plus élevée de leurs propriétaires (Bellet, Mignon, Hasler, 1990, p. 201). À la même époque, l’occupation du quartier des fouilles du Cours Pourtoules consistait en une rue, bordée d’un trottoir, à la couverture soutenue par une colonnade. Elle est alors bordée de boutiques. Les fouilleurs signalent aussi l’existence d’une construction comprenant plusieurs pièces qui rejoignent un bassin semi-circulaire et qui peuvent avoir communiqué avec un déambulatoire, aménagements qui laissent supposer un statut social relativement élevé des habitants (Bellet, Borgard, Carru, 1987, p. 162).
28 Columeau, 2000 d : La faune archéologique, dans Pellecuer, (C), 2000, La villa des Prés-Bas (Loupian, Hérault), dans son environnement. Contribution à l’étude de la villa et de l’économie domaniale dans le sud de la Gaule. Thèse de l’Université de Provence, 2000, 432 p. et fig. Les résultats de l’étude sont présentés dans le chapitre 8, Éléments d’économie domaniale. Finage, activités et hypothèses sur le système de production (p. 335-346 et Annexe). Pour l’archéologie de ces sites, se reporter aussi à Lugand et al., 1994 ; Pellecuer, 1995 ; Pellecuer, 1996.
29 Raepsaet, 1996 ; Columeau, 1997, p. 155 ; Lepetz, 1995, p. 160.
30 Avec l’aimable autorisation de l’auteur.
31 Jourdan, op. cit. indique des mesures en moyenne plus grandes pour les cerfs de la Bourse à Marseille, de même que My, 1993, p. 81 à 92.
32 Missel, 1987, p. 70 ; Mc Eneaney-Schneider, 1984, p. 88-97.
33 D’après les données de L. Jourdan, op. cit.
34 On observe (Fig. 112), des dimensions de l’humérus (Bd) de 40,5 et 41,5 mm, tandis que Missel, 1987, p. 71, donne pour la même prise de mesure sur un sanglier, 48,5 mm et Moser, 1986, p. 90, 54 millimètres pour un sanglier contemporain.
35 Arbinger-Vogt, 1978, p. 147.
36 Columeau, 1991, p. 60.
37 Fiches, 1986, p. 129.
38 Goudineau, 1982, p. 279-292, suggère une occupation militaire du site.
39 Février, 1977.
40 Fiches, 1989, p. 215.
41 Harcourt, 1974.
42 Ugolini et al., 1991, p. 195-196.
43 Corbier, 1989, p. 130 et 157.
44 Il peut s’agir aussi de spécimens peu développés du sud de la Gaule, si on se réfère aux recherches conduites sur la faune protohistorique et antique de la Péninsule ibérique. On y observe que la taille des cerfs d’Espagne est, au cours de ces périodes, réduite pour des animaux plus faibles (schwächer) que leurs contemporains d’Europe Centrale (Driesch, 1980, p. 110). Toutefois au nord des Pyrénées la taille des cerfs apparaît plus développée. My, 1993, indique (p. 85 et 88) que la taille des cerfs, d’après les restes osseux de Saint-Bertrand-de-Comminges, était élevée. Ces mesures ont été pratiquées sur des dents et une extrémité distale de radius (Bd : 56 mm), ce qui correspond à un animal de grande taille. Pietschmann, [1977], pour la France, indique que cette mesure est comprise entre 44,4 et 57,5 mm, (citée par My, 1993, p. 88). Un spécimen pouvait avoir une hauteur au garrot de 1,30 m, d’après la comparaison d’un tibia avec celui d’un cervidé monté du Muséum d’Histoire Naturelle de Toulouse. Pour certains auteurs (Grzimek et Fontaine, 1972, cités par My, 1993, p. 88), la hauteur au garrot du cerf élaphe varie du simple au double : 0,75 m à 1,50 m. Un fragment de métacarpien de cerf de Saint-Bertrand-de-Comminges provient d’un animal de petite taille, confirmant la grande variabilité de la hauteur au garrot de cet animal, pour un même territoire.
45 Columeau, 1991, p. 61 à 63.
46 Columeau, 1991, p. 69 et 70.
47 Voir Fiches, 1986, p. 129, pour les conclusions sur le contexte archéologique.
48 Columeau, 1991, p. 66.
49 Py, 1978, p. 317 et suivantes.
50 Columeau, 1990b, p. 306.
51 Columeau, 1989, p. 214.
52 Fiches, 1989, p. 58-59.
53 Columeau, 1991, p. 66 et 67.
54 Fiches, 1989, p. 51.
55 Brun et al., 1993b, p. 245-250 et Columeau, ibid., p. 233-244.
56 Il ne représente que 4,3 % du PV, (Columeau, 1991, p. 66).
57 31,5 % du PV pour le bœuf et 32,2 % pour le porc.
58 Columeau, 1991, p. 67-68.
59 Columeau, 1991, p. 70 à 73.
60 Voir en général, Méniel, 1992.
61 Brun, 1993a, p. 8 et 9.
62 cf. p. 75-78 pour les données chiffrées.
63 Driesch et Boessneck, 1974.
64 Fock, 1966.
65 La taille des bœufs a fait récemment l’objet d’un essai de classification. S. Lepetz (1995, p. 68) suggère que la taille des bœufs varie autour de 1,10 m pour les petits, et de 1,35 m pour les grands. F. Audouin-Rouzeau (1995, p. 80-81 et 1995b, p. 282), qui collige des données sur l’ensemble de l’Europe, indique que la taille des petits bœufs varie de 0,95 m à 1,30 m. Celle des grands bœufs de 1,25 m à 1,50 m.
66 La hauteur au garrot moyenne pour les bovins actuels est de 1,35 m pour les vaches et de 1,45 m pour les taureaux (Forest, 1987, p. 38).
67 Callou, et Vigne, 1994-1995, p. 44.
68 Vandevyver, S., 1994, cité par Callou, Vigne, op. cit. p. 44.
69 Lepetz, 1996, p. 319-320 ; Audouin-Rouzeau, 1993, p. 80-81.
70 Brunaux, Méniel, 1983, p. 17.
71 Lepetz, 1995 et 1997.
72 Lepetz, 1995, p. 68.
73 Au cours de La Tène les taureaux et les vaches n’excèdent pas 110 cm de H.G., les bœufs ne dépassent que rarement 125 cm.
74 Lepetz, 1995, op. cit.
75 Hildebrandt, 1966, p. 10.
76 La H.G. la plus haute est restituée d’après la longueur totale d’un radius, conformément aux préceptes de Dechambre, 1922, cité par Lepetz, 1995, p. 69-70.
77 Columelle, Rust., 6, 37, 11, recommande que les travaux trop durs pour les mulets soient effectués par des bœufs (Molin, 1995, p. 142).
78 Raepsaet, 1997, p. 139.
79 Brun, Congès, 1986, p. 246 ; Pellecuer, 1996, p. 281.
80 Cela est particulièrement sensible à la villa des Prés-Bas à Loupian (Pellecuer, 1995, p. 277 à 221 et 1999) et pour la villa de Saint-Julien-les-Martigues (Columeau, 1996, p. 133) où l’on observe une transformation du cheptel bovin en relation avec les changements de statut de ces établissements. On observe que ce phénomène concerne la question de l’implication du domaine dans le développement de son élevage, indépendamment des aléas de l’économie de la région et plus encore de l’histoire politique. Ces modifications des produits de l’élevage bovin apparaissent dans des établissements différents, à des périodes différentes (donc déconnectés de l’histoire, qu’elle soit régionale ou plus vaste encore). Leur point commun étant la concomitance avec un changement de statut du domaine ou, tout au moins, des zones fouillées.
81 Columeau, 1996, p. 8-9.
82 Columeau, inédit.
83 My, 1993, p. 53.
84 Colligées par Audouin-Rouzeau, 1993, p. 57-434, passim.
85 À noter toutefois que les bœufs retrouvés à Sacaojos en Espagne, Boessneck et Driesch (1980, p. 132), ont une hauteur au garrot moyenne comparable à celle qui a été retrouvée ici (125 cm à 135 cm pour les mâles). Les bœufs consommés sur le site de la Rue Neuve du Château à Issoudun au cours du iiie et au début du ive siècle apparaissent grands, d’une stature qui les fait intégrer parmi ce qu’il est convenu d’appeler le « bétail romain ».
86 Columeau, 1989b, p. 213-216.
87 Goudineau, 1979, p. 307-313 ; Fiches, 1989, p. 274 et 275.
88 Columeau, 1989b, p. 217-218.
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