Mourir au village. Testaments du pays d’Aix au XVe siècle
p. 21-30
Texte intégral
1Les travaux, assez nombreux, qui ont été conduits sur les Provençaux et la mort dans les testaments du bas Moyen Âge1 ont presque entièrement laissé de côté les villages. Seules apparaissent marginalement dans ces études quelques localités voisines de Draguignan, de Marseille et d’Apt dont des habitants ont testé devant des notaires de la cité voisine. Pour combler cette lacune j’envisagerai ici une série de 238 testaments du XVe siècle provenant de trois localités dont les territoires se touchent situées au nord-est d’Aix-en-Provence dans le val de Durance : Le Puy-Sainte-Réparade (76 testaments dictés entre 1405 et 1485), Peyrolles (63 testaments établis entre 1409 et 1485) et Jouques (99 testaments datés de 1438 à 1497)2. Selon l’affouagement de 1471 Jouques est un gros village de 77 feux, Peyrolles et le Puy-Sainte-Réparade, plus modestes, ont respectivement 41 et 35 feux3.
2Les notaires indiquent rarement le statut socioprofessionnel de ces testateurs : à côté de notaires (un dans chaque localité), de prêtres (cinq au total), du châtelain du Puy-Sainte-Réparade et d’un chevalier du même village, figurent plusieurs artisans ou femmes d’artisans : savetier, tisserand, tailleur, lapicide (maçon), lignifabre (menuisier), exploitants de paroirs, et aubergiste. L’échantillon ne semble pas donner une image trop faussée de la réalité sociale4. Les femmes sont assez bien représentées dans ce corpus : 40 % de l’ensemble (38 % à Jouques, 39 % au Puy-Sainte-Réparade, 42 % à Jouques). Ce taux est semblable à celui que l’on trouve dans le village de Figanières, et légèrement supérieur à ce que l’on voit dans les villes et villages du Comtat Venaissin5.
3Ces documents sont muets sur les derniers instants. À la différence des testaments provenant des villes qui laissent filtrer quelques indications, on ne trouve aucune mention de la présence d’un prêtre auprès du mourant, de la dernière communion ou de la veillée funèbre. L’essentiel du dispositif concerne le cortège funèbre qui apparaît surtout au travers des legs attribués au clergé qui accompagnera le corps à la sépulture. Presque tous les testaments de Jouques et la moitié de ceux de Peyrolles fixent le montant des sommes à distribuer aux prêtres qui seront présents, au clerc qui portera la croix et à celui qui portera l’eau bénite. Le clergé peut se réduire au curé de la paroisse (une seule attestation) ou au curé et au secondaire (quatre mentions), mais la formulation de loin la plus fréquente, « à chaque prêtre qui sera présent », laisse penser que le nombre de participants à cette procession cléricale est plus important. Deux testateurs donnent le chiffre de 4 et Fabrice de Gaëte, châtelain et capitaine du Puy-Sainte-Réparade dont le testament de 1457 offre le seul exemple, comme on le verra, de pompes funèbres flamboyantes dans ces villages, demande la participation de 25 prêtres6. Certains testateurs distinguent par le montant de la rémunération qui leur est allouée ceux qui se borneront à accompagner le corps, qui recevront 8 deniers, et celui qui célébrera la messe à qui l’on donnera 12 deniers ou 1 gros. Cette messe est-elle dite corps présent ? Cela ne fait aucun doute pour Douce Ruffi du Puy-Sainte-Réparade qui stipule, en 1462, que la messe sera célébrée « circa corpus meum »7. Le cortège comprend aussi les confréries avec leur luminaire. Les trois-quarts des testateurs de Jouques font un legs aux deux confréries du village, la confrérie du Saint-Esprit et la Charité, confréries dénommées aussi parfois luminaire ou aumône. Les legs qui leur sont destinés et qui se montent dans la majorité des cas à un setier de froment pour la confrérie du Saint-Esprit et à un panal (soit un demi-setier) pour la Charité, quantités à remettre aux premières moissons suivant le décès, sont généralement assortis de l’obligation d’accompagner le corps du défunt avec leurs cierges. Un testateur révoque explicitement ce legs si cette obligation n’est pas respectée. Ces mêmes dispositions se retrouvent, avec une fréquence un peu moins massive, à Peyrolles. À deux exceptions près, aucun testateur ne demande, comme cela devient de plus en plus courant en ville à mesure que l’on avance dans le XVe siècle, la présence de torches autour du corps du mort et celle de pauvres vêtus à ses frais dans le cortège funèbre. Seul Fabrice de Gaëte stipule que douze pauvres vêtus de noir participeront aux funérailles en portant des torches. Un autre testateur, Suffren Blacherie de Jouques, est le seul de tout le corpus à prévoir, en 1485, l’achat de 4 torches de 2 livres pour ses obsèques8.
4Quelques détails du cérémonial de la cérémonie funèbre apparaissent au travers de mentions sporadiques dans les testaments : ceux qui sonnent le glas reçoivent une petite rémunération, de même que les quatre porteurs du corps et les hommes qui creuseront la fosse. Deux testaments mentionnent la récitation des « exaudis », l’un d’eux au Puy-Sainte-Réparade en 1450 stipule que six prêtres chanteront ces sept psaumes de la pénitence au moment où le corps sera extrait de la maison du défunt9. Le corps de Fabrice de Gaëte est déposé dans une bière (feretrum). Un seul autre testateur, Jacques Bernard de Peyrolles, évoque le transport du corps en stipulant qu’il sera placé sur un drap cousu rempli de paille et recouvert d’un drap.
5Une quinzaine de testaments fait allusion au casuel des funérailles. Le curé, ou le vicaire, doit recevoir une somme forfaitaire pour le lit du défunt, un florin le plus souvent. Ils évoquent aussi le contentieux, dont on a plusieurs traces à cette époque, que suscite cette redevance : plusieurs testateurs révoquent des legs à l’église, notamment des célébrations de messe et de trentains, au cas où le curé exigerait davantage que la somme léguée10.
6Le testateur a fixé le lieu de l’ensevelissement de son corps en faisant élection de sépulture au début de son testament. Presque tous les disposants reposeront dans leur village. Seuls deux hommes du Puy-Sainte-Réparade qui testent avant de partir, l’un pour un pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle, l’autre pour un voyage au but indéterminé, prévoient d’être ensevelis là où il plaira à Dieu de les faire mourir. Un habitant de Peyrolles originaire d’Orgon choisit de reposer dans le cimetière de cette localité. Une veuve qui partage visiblement sa résidence entre Aix et Jouques demande à être enterrée dans celle de ces deux localités où surviendra son décès. Dans chacun des trois villages la pratique majoritaire est l’ensevelissement dans le cimetière de la localité. Cette nécropole jouxte au Puy-Sainte-Réparade l’église paroissiale Notre-Dame-de-Beauvezer, à Jouques la nouvelle église paroissiale Saint-Pierre et à Peyrolles le vieux sanctuaire du Saint-Sépulcre qu’entourent les tombes. Ces deux derniers édifices sont situés hors les murs et les autres églises du village, Notre-Dame de la Roque à Jouques et Saint-Pierre à Peyrolles recueillent des legs, stipulés dans presque tous les testaments, destinés à l’entretien de leur luminaire et sont le cadre des célébrations de messes pour les défunts mais ne bénéficient d’aucune élection de sépulture. À la différence de ce que l’on voit en ville11, l’ensevelissement à l’intérieur de l’église est exceptionnel : 8 testateurs seulement – 3 % – le demandent. Ce choix est le fait de prêtres ou de notables. Pierre Fossati, prêtre de Peyrolles, veut reposer devant la grande porte de l’église paroissiale, peut-être, comme les testateurs aixois contemporains qui font ce choix, avec l’humble désir que sa dépouille soit foulée aux pieds par ceux qui entrent dans le sanctuaire. Suffren Monget, vicaire de Jouques, veut que son corps soit déposé devant le grand autel, peut-être pour être mieux associé à la célébration eucharistique12. Honorate Alsam de Peyrolles veut rejoindre son fils prêtre dans son tombeau à l’intérieur de l’église. Le châtelain du Puy-Sainte-Réparade, Fabrice de Gaëte demande à être enterré dans l’église du village devant l’autel de Notre-Dame comme le chevalier Jean de Regina dont un cousin est déjà enseveli au même endroit. Deux notaires font le même choix, Pierre Martin à Jouques, qui veut rejoindre son fils Alexis dans son tombeau13 et Jacques Goyran au Puy-Sainte-Réparade qui désire, lui aussi, être enterré devant l’autel de Notre-Dame. Ce dernier testament prévoit, ce qui témoigne du caractère encore exceptionnel de ce mode de sépulture, l’éventualité où ce choix serait récusé, auquel cas il rejoindrait ses parents dans le cimetière paroissial14. Un seul testament, tardif, en 1480, celui de Bertrand Giraud de Peyrolles, lie l’ensevelissement dans l’église à la fondation d’une chapelle. On ignore le statut social de ce personnage, mais la somme de 100 florins qu’il a affectée à cette fondation révèle une certaine richesse15.
7Trois testateurs du Puy-Sainte-Réparade, sans vouloir entrer dans l’église, recherchent le contact avec les murs du sanctuaire et désirent être ensevelis derrière la chapelle de saint Jean. L’un d’eux, Rostaing Arquerii, précise que cette chapelle abrite l’image de Notre-Dame, vraisemblablement la même statue pour laquelle une testatrice fait faire un manteau avec le produit de la vente de ses vêtements16. Mais le choix de l’emplacement de la tombe dans le cimetière est surtout dominé par le désir de retrouver les membres de sa famille. Près de la moitié des testateurs de Jouques (44 %) et de Peyrolles (49 %) et les trois quarts de ceux du Puy-Sainte-Réparade veulent que leur corps soit déposé dans ou à côté de la sépulture d’un ou plusieurs membres de leur famille (prédécesseurs, grands-parents, père, mère, enfants, plus rarement conjoints, voire oncle ou cousin). Il n’y a sur ce point aucune différence sensible avec le monde urbain : les pourcentages sont de 49 % dans le Comtat et de 72 % à Arles17. Dans plusieurs testaments la mention conjointe de « son mari et ses enfants », « ses parents et prédécesseurs », son mari, ses enfants et ses affins » révèlent l’existence de véritables sépultures familiales. On ne sait pas quel aspect ont ces tombes ; seul le testament d’un lignifabre (menuisier) de Peyrolles en 1449 ordonne aux héritiers de faire placer sur le sépulcre, dans un délai d’un an après l’ensevelissement, un couvercle (copertam) de pierre d’une longueur d’une canne (2 mètres)18.
8Le jour même des obsèques (« ipso sepulto »), ou le lendemain, commence la célébration quotidienne de neuf messes, la neuvaine. Attestée de façon sporadique dans les testaments urbains elle figure dans 60 % des testaments de Peyrolles et dans 80 % de ceux de Jouques. Au terme de ces neuf jours une messe chantée, le « cantar », marque une première césure dans le temps de la mort. Plusieurs prêtres participent à cette célébration : certains testateurs en demandent 6, 9 et même 16. Pour disposer d’un tel nombre de célébrants il faut en faire venir d’au delà de la localité : un testateur de Peyrolles en 1449 prévoit une rémunération plus élevée pour les prêtres extérieurs au village19. Les célébrants de la neuvaine reçoivent le plus souvent 10 deniers par messe, ceux qui officient au cantar touchent 1 gros (16 deniers) et un repas leur est offert. Un nouveau cantar est célébré, dans les mêmes conditions, le jour anniversaire du décès, au bout de l’an, Fabrice de Gaëte souhaite que 25 prêtres y participent.
9Une petite minorité de testateurs concentre dans cette année qui suit le décès la célébration des messes qu’ils font dire pour le salut de leur âme. Antoine Peytavin de Jouques, qui teste en 1437, veut qu’un trentain soit célébré dès la fin de la neuvaine et qu’à la suite soient dites cent messes. Honorat Rolland de Peyrolles, lègue, en 1450, 100 florins pour dire des messes (près de 2000 sans doute d’après le prix payé alors) dans ce village et dans les couvents de mendiants d’Aix dès qu’il aura quitté ce monde. Jean Astraud d’Orgon habitant Peyrolles demande en 1437 que 50 messes soient dites moitié à Orgon, moitié à Peyrolles dans l’année qui suivra sa mort20. Mais ceux qui agissent ainsi ne sont que 13 % de ceux qui demandent des messes dans leur testament. La majeure partie des disposants étalent dans le temps les messes et trentains qu’ils font dire pour le salut de leur âme et celle de leurs parents. La prière pour le défunt se prolonge ainsi pendant trois ou quatre ans dans la majorité des cas, parfois jusqu’à dix ans.
10Le souci d’assurer la continuité de l’intercession inspire les dernières volontés d’une veuve du Puy-Sainte-Réparade qui teste en 1451 : elle prévoit la célébration de trois trentains pour son âme en trois ans, puis de deux trentains pour son premier mari dans les deux ans d’après, puis par deux autres trentains pour son père et sa mère les deux années suivantes et enfin par un trentain pour un dernier personnage la dernière année. Au total l’accumulation des suffrages s’étend sur huit ans21. Une préoccupation identique inspire Hugua Judaci de Jouques qui veut, en 1457, que les carmes d’Aix célèbrent un trentain pour son âme le lendemain de sa neuvaine, les mineurs un autre pour l’âme de son père la seconde année, les augustins un autre pour l’âme de sa mère la troisième année et les dominicains un dernier trentain pour l’âme de son fils la quatrième année22.
11Ces pratiques illustrent les conclusions de Jacques Chiffoleau sur les mutations des images du passage de l’âme dans l’au-delà au bas Moyen Âge : « Celui-ci (le passage) ne se réalise plus rituellement en un an, mais possède une durée variable, que chaque testateur évalue, mesure, en organisant avec minutie la célébration de messes pro mortuis »23. Il reste que des considérations économiques peuvent aussi présider à cette organisation du temps de la prière pour les défunts en imposant l’étalement en raison des disponibilités financières comme on le voit dans le cas de cette veuve du Puy-Sainte-Réparade qui prévoit, en 1464, la célébration de deux trentains, l’un dès la première année après son décès et l’autre quand cela sera possible pour son fils et héritier24.
12Un peu moins de la moitié des testateurs de nos villages lèguent des messes (45 %)25. Les testateurs aixois sont plus nombreux à le faire : 50,5 % des 1612 testaments dépouillés entre 1390 et 1450. La quantité demandée est modeste : moins de 30 messes dans 42 % des cas, de 31 à 50 messes dans 26 % des testaments, de 51 à 100 pour 21 % des testateurs. Un petit nombre de disposants, 11 %, prévoient la célébration de plus de cent messes. Dans les testaments de la grande ville voisine entre 1390 et 1450 la répartition est sensiblement différente. Les demandes de moins de trente messes y sont presque moitié moins nombreuses (28 %) et les legs de plus de cent messes près de trois fois plus nombreux (28 %)26.
13Plus que les messes, les testateurs de nos villages privilégient le trentain dans leurs demandes de suffrages. Les trois-quarts d’entre eux (73,50 %) en demandent au moins un27. La comparaison avec les testaments aixois de 1390-1450 est au premier abord surprenante car en ville 56 % seulement des testateurs requièrent des trentains. Ce contraste s’éclaire si l’on tient compte de la chronologie. Si l’on considère uniquement les testaments dictés avant 1450 le pourcentage des testaments prévoyant la célébration de trentains est seulement de 54 %, pourcentage très voisin de celui que l’on trouve alors à Aix. Le trentain est, en effet, une forme d’intercession qui apparaît assez tardivement dans la documentation et se développe progressivement dans le courant du XVe siècle. Son histoire reste à faire. Il apparaît en Provence dans la seconde moitié du XIVe siècle et ne s’affirme que modestement dans les premières décennies du XVe siècle28. À Aix sa première mention date de 1401. Dans la strate la plus ancienne de nos testaments, ceux qui sont dictés au Puy-Sainte-Réparade entre 1413 et 1425, il n’est présent que dans un quart des documents ; il s’impose massivement à partir du milieu du XVe siècle : 73 % des testateurs du Puy-Sainte-Réparade, 88 % de ceux de Peyrolles et 96 % de ceux de Jouques stipulent alors la célébration d’un ou plusieurs trentains, rarement plus de trois. Tous ces trentains ne sont pas grégoriens. Fabrice de Gaëte veut que l’on célèbre pour lui cinq trentains, un de saint Pierre, deux de saint Grégoire et deux des morts. D’autres testateurs parlent de trentain de Notre-Dame ou de trentain du Saint-Esprit29. La forme de cette dévotion comme sa chronologie est encore à étudier.
14La fondation d’un anniversaire est l’apanage d’une minorité : elle figure dans 15 % de nos testateurs, un peu moins que dans les testaments aixois de la première moitié du XVe siècle où 19 % des testateurs en instituent au moins un. Le plus urbain de nos villages, Jouques est celui où le pourcentage des testateurs demandant un anniversaire est le plus élevé : 21 % face à 12,5 % à Peyrolles et 8 % au Puy-Sainte-Réparade. Il faut en effet pouvoir doter ces services d’une rente assurant un revenu régulier, gagée sur une maison, une vigne ou une terre. Aussi seuls quelques rares testateurs fondent-ils plus d’un anniversaire. Mitria Gontarde, une veuve de Jouques, en dote deux en 1457 ; Suffren Monget, vicaire de ce village, fonde quatre anniversaires en 1450 et une autre veuve de cette localité, Jeanne Bernard, en 1444, ajoute à deux anniversaires, dotés chacun de dix florins, une messe perpétuelle à célébrer tous les jours après l’Ave Maria pour le repos de son âme et de celle de ses parents pour laquelle elle lègue 120 florins30. Quelques disposants parlent, au lieu d’anniversaire, de cantar perpétuel et les précisions qu’ils ajoutent stipulant que chaque célébrant recevra un gros et un repas montrent bien qu’ils souhaitent renouveler dans son déroulement le cérémonial du cantar du bout de l’an et le prolonger à perpétuité. Sous ces différentes formes la messe est bien selon la formule justement devenue classique de Jacques Chiffoleau, « le viatique essentiel »31. Les autres gestes propitiatoires et le recours à d’autres intercessions n’occupent dans ces testaments villageois, comme dans ceux des citoyens des villes, qu’une place modeste.
15Un seul rite s’ajoute parfois aux célébrations de messe : la récitation des sept psaumes de la pénitence, pendant un an le plus souvent, plus rarement – dans deux cas – pendant quatre ans. Onze testaments seulement en font mention. Deux testatrices seulement ont recours à l’efficacité du pèlerinage. La fille de Jeanne Bernard de Jouques est tenue à faire faire pour l’âme de sa mère les pèlerinages de Notre-Dame de Consolation d’Aix, de Saint Honorat de Lérins et de Saint Pierre de Luxembourg à Avignon. Et l’héritier de Huga Judaci du même village devra se rendre à Saint Honorat dès que cela lui sera possible32. L’accompagnement des confréries, et en particulier de la confrérie du Saint-Esprit qui, vraisemblablement, comme dans bien d’autres localités provençales regroupe l’ensemble des habitants33, est très visible le jour des obsèques à Jouques et à Peyrolles34. Jacques Bernard de Peyrolles qui teste en 1459 avant de partir en voyage ne veut pas être privé de cette compagnie du fait de son éloignement et lègue un setier de froment à la confrérie du Saint-Esprit du lieu où il mourra pour être escorté par les cierges de cette confrérie. En revanche, les autres aspects de la vie des confréries et, en particulier, leur participation à la prière pour les morts, que révèle pourtant le texte de leurs statuts partout où on les conserve, apparaît peu dans les testaments. Un savetier du Puy-Sainte-Réparade lègue en 1415 une vigne à la confrérie du Saint-Esprit en la chargeant de faire dire une messe tous les ans à la Pentecôte et une ferrage à la Charité pour qu’elle célèbre un anniversaire perpétuel35. La fonction charitable des confréries transparaît dans la forme même des legs qu’elles reçoivent qui sont presque exclusivement libellés en quantités de grains. On relève une allusion à la célébration de la fête patronale de la confrérie dans un testament de Peyrolles dont l’auteur lègue une nappe pour servir « quand on fera la confrérie » ; cette nappe est conservée par les ouvriers de l’église dans le même coffre où ils tiendront les six draps qu’il destine à l’hôpital36. Les pauvres, on l’a vu, sont absents du cortège funèbre, à l’exception de la pompe funèbre de Fabrice de Gaëte. Ce sont les prêtres célébrants et non les pauvres qui partagent le repas du jour des cantars de la neuvaine et du bout de l’an. La générosité envers les indigents est presque absente : elle ne se manifeste même pas dans un dixième des testaments. Douce Chabert de Jouques lègue en 1455 à une pauvre fille à marier une robe nuptiale, une patenôtre d’ambre, un anneau d’argent et une bourse. Monnet Boniface de Peyrolles veut, en 1471, que l’on revête à ses frais un pauvre d’une tunique de drap blanc37. Onze autres testateurs instituent des distributions alimentaires, « donnes » ou « aumônes », et lèguent une ou deux saumées, exceptionnellement quatre, de grain, du froment le plus souvent ou une association de froment et de consegal (méteil)38, pour faire le pain que recevront les pauvres. La majorité d’entre eux limitent cette libéralité à l’année du décès. Alexis Codonelli du Puy-Sainte-Réparade prévoit en 1436 une unique distribution de pains d’une valeur de 2 deniers donnés à tous ceux qui se présenteront. Son héritier la fera à celle des fêtes de la Vierge qu’il préférera dans les trois ans qui suivront son décès39. Trois autres testateurs demandent de renouveler la distribution pendant 2, 4 ou 6 ans. Suffren Blacherie de Jouques est seul à instituer, en 1485, une donne perpétuelle qui fournira tous les jeudis à un pauvre un repas constitué d’une écuelle de fèves, un quart de pain et un quartayron de vin (un peu plus d’un litre)40. L’hôpital, qualifié parfois d’hôpital des pauvres, est présent dans sept autres testaments à Peyrolles et surtout à Jouques. Il reçoit, classiquement, un lit garni ou de la literie. Le vicaire de Jouques, Suffren Monget, lègue 10 florins pour la réparation de l’hôpital de cette localité. Ce village compte sans doute plusieurs hôpitaux car Jeanne Bernard oblige en 1444 sa fille et héritière à entretenir l’hôpital établi dans une maison qu’elle a achetée à cette fin et Mitria Gontard lègue en 1457 deux florins pour réparer sa maison détruite située dans la bourgade où l’on ouvrira un hôpital41.
16Les cérémonies qui accompagnent le décès et les célébrations qui intercèdent pour le salut de l’âme du défunt se déroulent presque toutes dans le village. Les testateurs d’origine extérieure, qui sont peu nombreux – 25 soit 10,5 % – manifestent rarement un attachement à la localité dont ils proviennent. C’est le cas uniquement de quatre d’entre eux. Hugues Astraud d’Orgon habitant Peyrolles, en 1433, fait élection de sépulture à Orgon et lègue les 12 deniers de son gage spirituel à l’église de ce village. Il veut que l’on place le drap d’or de l’église d’Orgon sur son corps lorsqu’il sera porté en terre. Il demande la présence de la confrérie du Saint-Esprit et de la Charité d’Orgon dans son cortège funèbre et il partage les messes qu’il fonde entre Orgon et Peyrolles. Moins enracinée, Antoinette Baconi d’Aix, mariée à Peyrolles, ne destine à sa ville d’origine qu’un des deux trentains qu’elle lègue. Le Piémontais Barthélemy Calve de Stroppo, établi à Jouques, répartit, en 1480, ses legs pies entre son village natal et Jouques : c’est à la confrérie du Saint-Esprit de Stroppo qu’il lègue un panal de froment et il demande la célébration de six messes dans cette localité. Jean Robert, d’Esparron-du-Verdon, habitant le Puy-Sainte-Réparade partage en 1449 les trois trentains dont il demande la célébration entre l’église d’Esparron, le couvent de franciscains de Riez voisin de ce village et l’église du Puy-Sainte-Réparade42.
17La ville voisine d’Aix occupe une place un peu plus importante, mais le rayonnement de ses églises et de ses couvents reste modeste. Elle est présente dans 32 testaments, soit 13 %. La cathédrale est citée trois fois comme lieu de célébration d’un trentain, d’un cantar et d’un anniversaire. Un testateur du Puy-Sainte-Réparade destine à l’église des hospitaliers les trentains qu’il fonde. La majorité des legs va aux ordres mendiants y compris, à partir de 1471, les franciscains de l’Observance installés à Aix en 1466. Quelques indices montrent que ces couvents ont tissé des relations étroites avec les habitants de ces villages. Jeanne Bernard de Jouques charge son héritière de fournir un vêtement neuf à frère Gilet, augustin, le jour où il célébrera sa première messe, qu’il devra dire dans l’église de Jouques. Un père Brancays du couvent des dominicains bénéficie de legs personnels de testateurs du Puy-Sainte-Réparade en 1484 et 1485 pour dire des prières ou célébrer des trentains43.
18L’exploitation de ces testaments villageois donne une image de la mort et des rites qui l’encadrent qui, par de nombreux aspects, diffère peu de ce qu’ont révélé les enquêtes menées sur les sites urbains de la Provence et du Comtat. Ici aussi la confiance des testateurs va principalement aux messes cumulées et répétées et ils font peu de place dans leurs dernières dispositions aux autres formes de suffrage et d’intercession. Mais la mort au village se distingue par la simplicité de son appareil. Les cierges des confréries qui accompagnent tous les habitants n’ont pas la même signification d’ultime ostentation que le port des torches et le défilé des pauvres derrière le cercueil des notables urbains. Le cimetière accueille presque tous les habitants et l’église paroissiale est presque vide de ces chapelles qui témoignent en ville du rang et de l’ascension sociale de ceux qui les ont édifiées. Les prêtres qui desservent l’église du village célèbrent en grand nombre des messes et trentains mais ces offices n’atteignent ni ne dépassent le millier comme en ville où se manifeste ce que Jacques Chiffoleau a qualifié d’usage obsessionnel de la messe44. La prière perpétuelle de l’anniversaire est une pratique réservée à une petite minorité. Les contrastes entre ville et villages que révèlent ainsi les testaments renvoient moins à une différence de sensibilité qu’à une différence de structure sociale.
Notes de bas de page
1 Pour reprendre le titre de la contribution de Louis Stouff dans La mort et l’au-delà en France méridionale, Cahiers de Fanjeaux 33, 1998, p. 199-222, qui recense la bibliographie du sujet.
2 Registres utilisés : AD BDR 302 E 218-9, 222-229, 231, 330, 337, 381, 384, 387, 389-394, 397-399, 401-2. 307 E 1079, 1093, 1085-1087, 1089-1099, 1100, 1105-1109, 1111-2, 1115. 308 E 218, 225, 228, 230.
3 Édouard Baratier, La démographie provençale du XIIIe au XVIe siècle, Paris, 1961, p. 135.
4 Sur la sociologie des testateurs cf. les observations de Jacques Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà, Rome 1980, p. 48-66.
5 Gunilla Neukirchen, « Du patrimoine au salut. Recherches sur les testaments dracénois 1357-1413. » Dans Bulletin de la société d’études scientifiques et archéologiques de Draguignan et du Var, 2001, p. 70 ; J. Chiffoleau, op. cit., p. 50.
6 AD BDR 307 E 1083 f° 1.
7 AD BDR 307 E 1111 f° 191.
8 AD BDR 302 E 392 f° 57.
9 AD BDR 307 E 1097 f° 102v.
10 Cf. Noël Coulet, « Les mortalages de Gardanne », dans Provence historique, 1988, p. 351-357.
11 Cf. J. Chiffoleau, op. cit., p. 165-171.
12 Ibid., p. 170.
13 Il est remarquable que le notaire a d’abord inscrit, entraîné par l’habitude, une élection de sépulture dans le cimetière, qu’il a rayée pour la remplacer par la mention de l’église. AD BDR 302 E 225 f° 7.
14 AD BDR 307 E 1106 f° 79v.
15 Dans son testament AD BDR 302 E 384 f° 40 il se borne à indiquer qu’il a l’intention de fonder une chapelle. Un acte de 1481, 302 E 391 f°1, atteste du montant de la dotation.
16 AD BDR 307 E 1111 f°137, 1097 f° 53.
17 J. Chiffoleau, op. cit., p. 182. Louis Stouff, « Mourir à Arles aux derniers siècles du Moyen Âge » dans Mélanges Michel Vovelle, volume aixois, Aix, 1997, p. 397.
18 AD BDR 302 E 543 f° 28.
19 AD BDR 302 E 225 f° 91v.
20 AD BDR 308 E 230 f° 3, 302 E 226 f° 2, 302 E 218 f° 117.
21 AD BDR 307 E 1097 f° 128.
22 AD BDR 302 E 228 f° 119 v.
23 J. Chiffoleau, op. cit., p. 348-9.
24 AD BDR 307 E 1100 f° 219 v. Ces préoccupations se manifestent aussi dans ce testament du Puy-Sainte-Réparade de 1459 où Richard Die charge son héritier de faire célébrer deux trentains dans l’église du village ou in aliis ecclesiis ubi melius precium potuerit, AD BDR 307 E 1097 f° 127.
25 Jouques 46 %. Peyrolles 40 %. Puy-Sainte-Réparade 49 %.
26 Répartition des demandes de messes à Aix 1390-1450 : moins de 30 messes 28 %, de 31 à 50 17 %, de 51 à 100 27 %, plus de 100 28 %.
27 Peyrolles 63,5 %. Jouques 85 %. Puy-Sainte-Réparade 73,5 %.
28 Quelques jalons dans L. Stouff, « Les Provençaux et la mort… », art. cit., p. 218-9. Cf. aussi J. Chiffoleau, op. cit., p. 343.
29 J. Chiffoleau, op. cit., p. 325, relève des trentains de Requiem, de saint Bernard et de saint Jérome.
30 AD BDR 302 E 223 f°61, 302 E 226 f° 19, 302 E 228 f° 105. Deux autres testateurs à Jouques en 1492 et au Puy-Sainte-Réparade en 1485 fondent une messe perpétuelle célébrée l’une le mardi, l’autre le vendredi, dotées de 100 florins AD BDR 302 E 397 f° 18 et 302 E 393 f° 46.
31 J. Chiffoleau, op. cit., p. 323.
32 AD BDR 302 E 223 f° 61. et 308 E 228 f° 119 v.
33 Cf. Noël Coulet, « Les confréries du Saint-Esprit en Provence : pour une enquête », Histoire sociale, sensibilités collectives et mentalités. Mélanges Robert Mandrou, Paris, 1985, p. 205-217.
34 Outre la confrérie du Saint-Esprit et la Charité, une confrérie de Notre-Dame est mentionnée deux fois à Peyrolles en 1449 et 1493, AD BDR 302 E 543 f° 28 et 302 E 543 f° 14. Au Puy-Sainte-Réparade la demande d’accompagnement par les confréries figure rarement. Le testament d’une veuve en 1456 mentionne trois confréries : Saint-Esprit, Sainte-Réparade et Charité, AD BDR 307 E 1099 f° 56.
35 AD BDR 307 E 1086, non folioté, 2 juin 1415.
36 AD BDR 302 E 321 f° 17v.
37 AD BDR 308 E 228 f° 119v, 302 E 384, 5 mai 1471.
38 1 saumée = 163,18 litres.
39 AD BDR 307 E 1093 f° 62.
40 AD BDR 302 E 392 f° 57.
41 AD BDR 302 E 223 f° 61, 226 f° 19v, 228 f° 105.
42 AD BDR 302 E 218 f° 217, 225 f° 55, 388 f°52, 307 E 1097 f° 80v. Stroppo, province de Cuneo.
43 AD BDR 302 E 223 f° 61, 392 f° 42, 393 f° 46.
44 Jacques Chiffoleau, « Sur l’usage obsessionnel de la messe pour les morts à la fin du Moyen Âge », Faire croire, Rome, 1981, p. 235-256.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence - CNRS
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