La bibliothèque de Jean-Louis Médard
p. 43-47
Texte intégral
1Monsieur Médard n’aimait pas seulement les livres en philosophe, il les aimait en artiste… Bien peu de mains étaient dignes de toucher à ces bijoux précieux. Placés dans une grande bibliothèque, ils devaient y figurer pour l’ornementation et pour la communication réservée, non pour l’usage quotidien ». Ainsi s’exprimait Paulin Blanc, bibliothécaire à Montpellier, à la mort de son ami Jean-Louis Médard. Paulin Blanc s’interrogeait : un fonds de bibliophilie peut-il être aussi un fonds d’étude ?
2Telle était pourtant la volonté de Louis Médard – de ses prénoms, il n’avait gardé que le second. Quelques années auparavant, il avait légué à Lunel sa bibliothèque : une collection de livres rares et précieux de près de 5 000 volumes, accompagnée d’un riche mobilier, de gravures et de peintures flamandes.
« Le tout représente mon cabinet » est-il écrit dans le testament en 1834 « que je donne et lègue en toute propriété à ma ville natale de Lunel, mais aux conditions expresses… de maintenir en tout temps le collège, de ne jamais dénaturer ma collection de livres et d’en faire jouir les habitants de Lunel avec l’aide d’un bibliothécaire… ».
3Ainsi le cabinet de lecture d’un bibliophile averti, bien connu à Paris, dans les ventes comme à la Bibliothèque royale, était-il appelé à devenir le fonds d’une bibliothèque publique, et cela à la demande du collectionneur lui-même.
Aperçu chronologique et bibliophilique
4Louis Médard « aimait les livres en artiste ». Les livres remarquables, en effet, ne manquent pas dans cette collection, jalons classiques dans l’histoire de l’art du livre depuis le Moyen Âge jusqu’en 1841 : seule la mort a interrompu la passion de Louis Médard, quelques achats restés en suspens en témoignent.
5Nous ne donnerons ici qu’un rapide aperçu chronologique de l’aspect bibliophilique de ce fonds et si nous citons quelques ouvrages parmi les plus connus, ce n’est que pour le plaisir d’en rappeler l’image, car ils ne doivent pas cacher la richesse de l’ensemble :
- Le Moyen Âge. La bibliothèque contient quinze manuscrits du Moyen Âge, dont les Prophéties des Papes qui sont l’objet d’une communication de ce colloque, ou le « Psautier de Gellone », du XIIe siècle ; et deux incunables (ouvrages imprimés avant 1500) significatifs, l’un de l’art du livre à la fin du Moyen Âge, et l’autre, de la nouvelle esthétique, celle du livre « triomphant », du XVIe siècle.
- La Renaissance. Des années de la Renaissance, Louis Médard a rassemblé une centaine d’éditions qui témoignent de l’intense activité intellectuelle de cette époque : italiennes, comme celles d’Alde Manuce à Venise, ou des Giunta à Florence, parisiennes ou lyonnaises, comme l’édition originale des Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye, une fresque historique et mythique adressée à Anne de Bretagne par Jean Le Maire.
- L’âge classique. Du XVIIe siècle, une période difficile pour l’art du livre, le fonds possède plus de 350 éditions, ornées souvent de belles gravures, sorties principalement des ateliers français ou flamands, telle l’édition originale des Provinciales de Pascal, parue à Leyde en 1657.
- Le siècle des Lumières et la Révolution. Le XVIIIe siècle si riche, est bien représenté au Fonds Médard avec près des deux tiers des ouvrages de la collection : les éditions illustrées notamment françaises et faites pour le plaisir : nous ne citerons que les célèbres Baisers de Dorat, ou les Contes de La Fontaine, dans l’édition dite des Fermiers Généraux, deux ouvrages illustrés par Eisen réputé pour son dessin délicat et sensuel. Cependant, les 10 volumes des Oiseaux de Buffon et ses 1 008 planches gravées et coloriées fascinent toujours autant les visiteurs… Le XVIIIe siècle est aussi le siècle des Lumières et de la Révolution : Louis Médard avait vingt ans en 1789, et pour cette période qui l’a fortement marqué, il a fait, peut-être, plus œuvre d’historien que de bibliophile, nous le verrons plus loin.
- Le début du XIX e siècle. Après la Révolution, le livre de luxe reprend sa place grâce à des éditeurs comme Pierre Didot : Louis Médard est son ami et nous pouvons admirer les éditions de Daphnis et Chloé, roman grec sorti en 1800 des presses du Louvre, ou de Paul et Virginie, à laquelle ont participé en 1806 « les plus grands maîtres », renouant ainsi avec la tradition du livre de peintre. Les goûts artistiques changent au XIXe siècle, et Louis Médard achète des livres illustrés par des artistes nouveaux et rebelles à l’art officiel, comme Alexandre Desenne dont il possède les Figures pour les Œuvres de Voltaire de 1822, ou par des peintres romantiques, comme Tony Johannot. Il reste jusqu’au bout dans la modernité de la bibliophilie : en témoigne, par exemple, sa collection de fac-similés d’œuvres manuscrites du Moyen Âge, dont certains sont très rares, tirés en très petit nombre pour des sociétés de bibliophiles influencés par Charles Nodier, qu’il a bien connu.
Les catalogues
6Cette collection est le résultat de plus de trente ans de recherches. En relation avec des libraires parisiens, tels Pierre Didot ou Techener, ou son ami le relieur René Simier qui le représentait dans les ventes, il recherchait ces éditions remarquables. Mais la qualité bibliophilique des exemplaires est également exceptionnelle : tirages de tête, gravures avant la lettre, papier… Louis Médard qui n’a gardé qu’environ deux cent reliures anciennes, choisissait ses relieurs à Paris : Simier, Bozérian, Thouvenin ont notamment travaillé pour lui. Il aimait truffer ses livres de lettres autographes, de suites de gravures, ou même de reliques. Il leur faisait ajouter aussi des préfaces qu’il dictait à ses secrétaires, précieuses sources d’informations sur l’ouvrage, mais aussi sur la pratique bibliophilique et la vision que pouvait avoir des siècles précédents un homme du début du XIXe siècle.
7Une autre source précieuse de renseignements est constituée par les deux catalogues que Louis Médard a fait rédiger à la fin de sa vie :
- Le Grand Catalogue, destiné au maire de Lunel et parfaitement calligraphié, contient, outre la liste des ouvrages décrits en détail, de petites notes pour le lecteur, qui sont des conseils que Louis Médard puisait dans son expérience de lecteur : ainsi s’il recommande de « lire la plume à la main », c’est que lui-même en a pris le goût dans son adolescence, poussé par son père qui, pour le préparer au commerce, exigeait de lui des notes sur l’Histoire des deux Indes de l’abbé Raynal.
- Le Petit Catalogue, que le bibliophile confie au futur bibliothécaire, donne les titres des ouvrages qui sont rangés dans un meuble spécial et dont la lecture doit rester réservée : il s’agit essentiellement d’œuvres libertines ou de controverses religieuses. On constate ici que le protestant Louis Médard ne cherche pas la polémique.
8Mais une question se pose aussitôt : destinait-il de tels livres aux collégiens ?
9Les deux catalogues présentent les livres de la collection suivant la classification des libraires de l’époque, qui met en évidence quelques ensembles exceptionnels en dehors du cadre de la bibliophilie, et ce sont eux qui sont désormais à explorer.
Quelques ensembles exceptionnels
10Louis Médard, en effet, aimait les livres « en philosophe », selon le mot de Paulin Blanc. Les Préfaces de ses livres, comme les notes de son Grand Catalogue, le montrent : Louis Médard est autant ouvert à l’histoire des idées véhiculées par le livre que par la forme même du livre.
- Les Belles-Lettres et l’histoire. Ainsi, si, dans l’ensemble des belles-lettres et de l’histoire qui représente plus de huit livres sur dix, les auteurs de l’Antiquité ont une large place, c’est que : « une bonne latinité est un début précieux ; dans ce mot de latinité je comprends le grec et le latin, c’est la base des bonnes études : aussi ai-je tenu à mettre sur mes tablettes autant d’auteurs classiques que j’ai pu » : près de quatre-vingt-dix auteurs grecs et latins sont présents, la plupart dans plusieurs éditions achetées chacune pour une raison précise, les commentaires savants n’excluant pas la beauté. Ainsi pour Horace dont une dizaine d’éditions annotées par les philologues du XVIIe siècle voisine avec un exemplaire du premier tirage de ses Œuvres imprimées à Londres en 1733, entièrement gravé. Louis Médard est toujours attentif à la qualité, la « pureté » du texte : c’est ainsi que pour les Odes de Pindare, il achète l’édition vénitienne de 1513 et celle de Rome de 1515, qui offrent chacune le meilleur texte pour certains poèmes, une autre édition de 1818, bilingue et critique, étant plus universitaire. Il est aussi sensible aux problèmes de traduction, et acquiert pour le roman Daphnis et Chloé, une édition destinée « de préférence aux jeunes personnes ». Bien d’autres exemples montreraient que Louis Médard est un bon connaisseur des textes et de l’histoire des éditions.
- La Révolution. L’ensemble concernant la période de la Révolution comporte une centaine d’ouvrages. Ici Louis Médard fait œuvre d’historien : car si le théâtre du XVIIIe siècle est largement présent dans le fonds, le Répertoire du Théâtre républicain est d’une autre nature. Ce recueil de 15 volumes de pièces de théâtre réunies tout au long de sa vie par le collectionneur n’est certes pas politique, mais il est un reflet de la Révolution et met en évidence « l’histoire morale du peuple ». Il faut aussi retenir parmi les brochures et périodiques de cette époque la collection des Œuvres de Marat en 31 volumes, « Marat en entier et plus que Marat ».
- L’histoire religieuse et la théologie. Le fonds d’histoire religieuse et de théologie, d’une centaine d’ouvrages, semble avoir une place particulière pour Louis Médard qui, protestant, s’intéressait particulièrement à l’histoire de la religion réformée. Il a d’ailleurs ajouté quelques souvenirs personnels dans ses livres, par exemple dans un ouvrage du pasteur Jean-Paul Rabaut Saint-Étienne, homme politique guillotiné en 1793 et qui, originaire du Midi, avait été proche de sa famille. La collection possède quelques livrets rares ou même uniques comme ces plaquettes de Calvin, de Théodore de Bèze ou de Claude Brousson.
- La littérature du Moyen Âge. Rappelons, enfin, cet ensemble, qui est encore à étudier, de la littérature du Moyen Âge remis à l’honneur au début du XIXe siècle. Louis Médard s’y est intéressé au point de vouloir en faire une de ses spécialités, au même titre que la littérature grecque ou latine. Il acquiert des rééditions d’opuscules du XVIe siècle ou des premières éditions de manuscrits en fac-similé, ainsi que les premiers ouvrages consacrés aux troubadours.
11Louis Médard aimait les livres en « artiste » et en « philosophe », disait son ami. Ses réflexions mêlées sur le fond et la forme du livre laissent deviner son esprit de tolérance, sa générosité, son ouverture d’esprit. Mais quelles valeurs guidaient ses choix ? Le colloque qui s’ouvre pour répondre à ces questions montre que la collection, si elle est toujours un objet d’admiration pour les visiteurs, devient un objet d’étude et un outil pour les chercheurs. Cela ne déplairait pas sans doute au collectionneur pour qui la bibliophilie avait une mission éducative.
Auteur
Conservatrice du Fonds Médard, Lunel
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