Avant-propos
p. 5-10
Texte intégral
1Le présent ouvrage constitue les actes du colloque international Individu, récit, histoire, organisé par l’UMR Telemme (Temps, Espaces, Langages, Europe Méridionale-Méditerranée – Université de Provence - CNRS), à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, les 19, 20 et 21 octobre 2006. Ce colloque se situait dans le cadre du contrat quadriennal 2004-2007, au sein du programme n° 4 : Trajectoires individuelles, constructions culturelles (Anne Carol, Martine Lapied). Il a fourni un point d’aboutissement au travail du groupe n° 3, L’expérience du passé. Transmissions, réappropriations, configurations, coordonné par Maryline Crivello et Jean-Noël Pelen.
2Le programme n° 4, comme son titre l’indiquait clairement, se proposait d’interroger particulièrement « la construction des identités individuelles, des phénomènes d’identification collective, donc des rapports entre l’individuel et le collectif » (rapport pour le contrat quadriennal), ce à quoi répondait précisément notre projet, par le questionnement du rapport entre l’individu et l’histoire. Le groupe numéro 3 visait quant à lui à réévaluer la relation entre mémoire et histoire par l’intermédiaire du récit, et plus spécifiquement de l’identité narrative, notion qui a été centrale dans notre problématique.
3Ce questionnement prolonge l’étude des représentations, initiée à Aix-en-Provence, dès les années 1970. Durant la dernière décennie, ces travaux se sont poursuivis en se spécifiant autour des représentations de l’histoire : de son écriture, ses narrations, ses « mises en spectacle ». On rappellera ainsi, dans le cadre du quadriennal 1999-2003, le programme Représentations (Régis Bertrand, Jean-Noël Pelen), avec notamment les travaux des groupes Images, imaginaires et scénographies (Maryline Crivello, Christiane Villain-Gandossi) et La production du récit collectif (Jean-Noël Pelen). Diverses journées d’étude peuvent être citées pour illustrer notre propos, sur Expérience et écriture de l’histoire : approches nationales et régionales (2004) ; Historiographie, histoire orale et représentations de l’histoire (2004) ; Trous de mémoire. Silences de l’histoire ? (2005), et plus encore les principales publications issues de colloques ou journées d’étude : Le temps bricolé. Les représentations du progrès (XIXe-XXe siècles) (2001)1, Façonner le passé. Représentations et cultures de l’histoire (XVIe-XXIe siècle) (2004)2, Récits d’Occitanie (2005)3, Les narrations de la mort (2005)4, La quête des ancêtres (2008)5. Dans le cadre de ces divers travaux, il faut souligner tout ce que nous devons à une collaboration étroite avec divers chercheurs aixois, notamment Karine-Larissa Basset de Telemme, et Jean-Luc Bonniol de l’Idemec. Qu’ils soient ici remerciés, ainsi que tous les autres participants à nos travaux, de leur précieuse présence dans nos échanges.
4Le colloque tenu, poursuivant ainsi un effort depuis longtemps entrepris, a été résolument pluridisciplinaire. Outre la participation d’historiens de périodes diverses, y ont contribué également, ainsi que le nécessitait la problématique abordée, des psychanalystes, ethnologues, linguistes, narratologues. Au sein de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme, il a permis à Telemme de poursuivre la collaboration entreprise avec d’autres laboratoires, notamment l’Idemec et le Centre Paul-Albert Février. Il a été nettement ouvert à l’apport critique de collègues d’autres institutions et universités (Lyon, Grenoble, Paris) ainsi que de collègues étrangers (Belgique, Grèce, Algérie).
5Le rapport du Sujet au récit ou à la factualité de l’histoire a amplement été travaillé, dans le cadre des recherches historiennes, sous les questionnements dudit Sujet comme acteur, comme témoin, ou comme réceptacle et miroir de la complexité de l’histoire (micro-histoire). Dans tous les cas il s’agissait, au premier chef, d’informer la discipline historique, en vue d’accroître l’objectivation de son propre point de vue.
6Repartant de la notion d’identité narrative proposée par Paul Ricœur, dont nous avons souligné la valeur heuristique encore trop délaissée, nous avons déplacé le regard pour interroger les capacités d’inscription de l’histoire, dans ses manifestations objectivées comme dans ses mises en récits, dans l’économie narrative du Sujet pour lui-même. Particulièrement, l’on a interrogé comment l’histoire s’intégrait, au sein des Sujets, dans le cadre d’une identité feuilletée, une pluralité de récits, dont on a questionné la nécessité de cohérence globale. C’est, reformulée ainsi à des fins d’observation méthodique et concrète, la notion même d’identité narrative.
7Vingt et une communications ont été présentées, dont seize sont ici publiées6. Nous les avons ordonnées ci-après, après une réflexion introductive qui a inauguré ce colloque – et qui n’en est donc aucunement une synthèse (J.-N. Pelen) –, en deux grands volets. L’on voudra bien considérer que cet ordonnancement reste bien entendu relatif quant aux diverses possibilités d’entrecroisement problématique de ces textes.
8Le premier volet, Expériences de soi et écritures de l’histoire, regroupe les communications qui interrogent les relations du sujet historien au récit que celui-ci produit de l’histoire. La palette de ces interrogations est chronologiquement large, allant de la période antique (K. Berthelot à propos de Flavius Josèphe) à la période contemporaine (B. Cousin à propos de Georges Duby) en passant par la période moderne (I. Luciani à propos de César de Nostredame). Sont là exposées, en allant de l’un à l’autre historien, la complexité et la diversité de ces entrelacements entre le récit historiographique et le récit de soi, le premier se faisant le reflet et exprimant par détours les arcanes du second, dans la multiplicité de ses inscriptions. Dans un mouvement de balance, l’on y perçoit combien l’identité narrative du sujet écrivant s’imprime en retour dans les filigranes de son œuvre, qu’il s’agisse de récit familial, d’appartenance à une large collectivité, de considération du soi intime, d’identité sociale, ou seulement d’une perception très intériorisée du temps et de sa chronologie. Il a pu s’agir aussi d’une auto-interrogation par l’historiographe de sa propre écriture, soit qu’il ait été confronté au « retour » de son objet dans son expérience personnelle (K. Dirèche), soit qu’il ait été amené à « écrire l’histoire » sur un autre mode que celui de l’historiographie ordinaire, et notamment par le biais de la fiction (C. Lecouteux). Un cas particulier de tentative historiographique, présent dans diverses contributions, est celui des « mémoires » des acteurs de l’histoire, avec la variation individuelle du rapport à l’histoire et donc de son écriture, et les divers usages de la réception de ces mémoires (O. Polycandrioti).
9Le second volet, Le moi face à l’histoire, se déplace de l’historiographie socialement instituée vers le vécu, la réception ou la narration de l’histoire par ses acteurs ou témoins, ordinaires ou reconnus. Des expériences fortes et singulières montrent à quel point l’histoire dialogue avec la constitution intime du Sujet. Soit que le vécu violent de l’histoire ait heurté la mise en représentation du Sujet pour lui-même dans le cadre d’expériences traumatiques ; soit que les récits propres au Sujet aient été projetés par celui-ci dans le cadre de ses actes d’histoire comme espace d’autoreprésentation. Cette superposition des plans entre récit du Sujet et récit de l’histoire, observée ci-dessus chez les acteurs du récit historien, est tout aussi nécessairement présente chez les individus ordinaires qui, quoique ayant un rapport moins convulsif à l’histoire, n’en construisent pas moins, au sein de l’histoire réelle et des représentations qu’ils en ont, la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes : êtres historiques participant aux grandes mutations des temps, ou témoins au lointain des grands événements. Leur insertion dans ces récits collectifs ordonne l’économie de leur représentation identitaire.
10L’on interroge ici l’historicité de la notion même d’individu – de l’individuation – et, conséquemment, la modulation historique de la construction de l’identité narrative (J. Guilhaumou). À travers le récit romanesque (J. Lyon-Caen) ou le récit de voyage (S. Venayre), place est faite plus spécifiquement aux rapports entre le sentiment de soi et l’identité sociale, dans ses figures ou modes historicisés. L’impact des grands événements traumatiques, la façon dont ils s’entrelacent dans l’identité narrative des sujets en raison de leur appartenance (H. Wallenborn), la possibilité ou l’impossibilité même de les dire par une écriture qui se voudrait comme universelle et qui est en même temps toujours intérieure (J.-F. Chiantaretto), éclairent leurs inévitables résonance et dialogue dans et avec l’intimité du soi. L’acteur, se considérant comme un témoin indéfectible, finit par devenir anachronique, ne sachant plus lire l’histoire avec les yeux et le recul d’un temps qui a changé (P. Garcia). Enfin, ce moi face à l’histoire passe parfois par d’étranges et presque secrètes épousailles. L’identification entre l’individu et ses héros historiques peut être jouée dans une mise en scène littérale, à la quête d’une proximité rituelle et d’apparence qui ne laisse d’interroger sur les profondeurs de leur relation (M. Crivello). Le même événement, la même période historique peuvent se diffracter diversement dans la conscience et l’inconscient des sujets, agissant par-devers eux, comme une même forme en une diversité de miroirs (C. de la Genardière). Ou bien encore le récit de l’histoire prend-il corps en substance dans un sujet singulier, lorsque le sang de l’histoire anciennement versé vient à se fondre métaphoriquement avec celui-là même qui court dans ses veines (K.-L. Basset).
11Outre la valeur de cette problématique considérée pour elle-même, celle-ci interrogeait également la pratique d’écriture de chacun des participants, et ses reliaisons à son propre récit. La difficulté et l’intérêt du débat résidaient probablement dans le statut paradoxal qu’il fallait attribuer à une éventuelle expérience personnelle, déplaçant celle-ci de la confession hors de propos pour laquelle on la tient communément, en un document sur l’élaboration de l’écriture scientifique, des rapports entre le moi et l’historiographie et plus généralement l’histoire, document produit par le sujet même qui en témoigne, avec tout ce que cela peut impliquer d’embûches. Et l’on a souligné que cette confrontation ne relevait pas d’un déficit de scientificité mais, tout au contraire, d’une cohérence profonde entre l’écrivant et l’objet de son écriture.
12Ainsi a été constamment interrogé le dialogue entre les divers récits – entendant ceux-ci dans les diverses formes et actes de mise en narration –, sans préjuger d’aucune détermination de l’un sur l’autre. Tout au contraire, l’hypothèse prospectée a été celle d’une égalité de présence, au profit d’une cohérence de chaque plan de la narration, comme de l’ensemble narrativement organisé. C’est dans cette cohérence globale des plans narratifs que le Sujet est supposé trouver son identité la plus aboutie.
13De ces diverses approches, l’histoire, en définitive, se trouve informée de ce en quoi elle agit, profondément, au sein des Sujets, créant parfois entre les horizons des récits – historique et intime – un véritable tissu de relations. La question de savoir comment le récit intime s’articule aux récits historiques, comment il est travaillé par les représentations de l’histoire, ouvre inévitablement sur celle de savoir s’il n’est pas, lui aussi, en filigrane et à certains égards, une représentation de cette même histoire. Élargissant le propos, l’on peut alors se demander si le récit historique ne prend pas en charge la confluence des récits intimes ou, plus justement, ne réalise une confluence de ces récits qu’il met lui-même en place.
14Il est à signaler que l’interrogation de ces problématiques sera poursuivie dans le nouveau quadriennal de l’UMR Telemme (2008-2011), notamment au sein du programme n° 4, Récits. Pratiques sociales et constructions de soi (M. Crivello, J.-N. Pelen), et particulièrement dans le groupe n° 1, Identités narratives : formes, figures, pratiques.
15Nous tenons à remercier, à l’occasion de la parution de cet ouvrage, les directeurs successifs de l’UMR Telemme, Bernard Cousin et Jean-Marie Guillon, qui ont permis ce travail collaboratif. Remercier les membres du comité d’organisation, qui ont orienté et rendu possible la tenue même de cette réflexion, en lui peaufinant un contenu et un cadre : Jean-Luc Bonniol (Idemec), Patrick Garcia (IUFM Versailles), Karine-Larissa Basset, Bernard Cousin, Karima Dirèche, Jean-Marie Guillon, Isabelle Luciani, Martine Lapied (Telemme).
16Dire notre gratitude aussi au personnel de l’UMR Telemme qui, chacun dans sa compétence, a collaboré au très bon déroulement de ce colloque, depuis son organisation jusqu’à la présente édition : Marie-Françoise Attard-Maraninchi, Claude Bruggiamosca, Éric Carroll, Christine Dotto, Laurence Lablache, Agnès Rabion.
17Remercier enfin tous nos collègues participants, qui ont accepté de contribuer à cette réflexion collective en lui proposant un apport personnel. Que cette publication soit pour tous la marque de notre reconnaissance.
Notes de bas de page
1 Jean-Noël Pelen, Anne-Marie Granet-Abisset (dir.), Le monde alpin et rhodanien, n° 1-3/2001.
2 Jean-Luc Bonniol, Maryline Crivello (dir.), Aix-en-Provence, PUP, 2004.
3 Jean-Claude Bouvier, Jean-Noël Pelen (dir.), Aix-en-Provence, PUP, 2005.
4 Régis Bertrand, Anne Carol, Jean-Noël Pelen (dir.), Aix-en-Provence, PUP, 2005.
5 Jean-Noël Pelen, Maryline Crivello (dir.), Grenoble, Musée Dauphinois, 2008 (sous presse).
6 L’absence de cinq communications est due soit à leur non remise soit à leur caractère non inédit.
Auteurs
UMR TELEMME, Université de Provence – CNRS
UMR TELEMME, Université de Provence – CNRS
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