Les apports du site pour la connaissance du Néolithique moyen
p. 281-351
Texte intégral
1Le projet de fouilles programmées des Bagnoles portait sur trois problématiques principales : la caractérisation et l’évolution de la culture matérielle, l’économie et l’alimentation, et la question des systèmes funéraires au cours du Néolithique moyen (voir chapitre 2). Au terme de la présentation des occupations du Néolithique moyen du site des Bagnoles, notre objectif est maintenant d’apprécier la manière dont les résultats obtenus s’intègrent dans l’état actuel des connaissances relatives à ces trois problématiques et dans quelle mesure ils contribuent à les élargir.
8.1 La culture matérielle des différentes occupations du Néolithique moyen du site des Bagnoles
A. Reggio, A. D’Anna, S. van Willigen
2Comme nous l’avons vu (chapitres 6 et 7), les caractères des corpus céramiques et lithiques mis au jour sur le site des Bagnoles font référence à deux groupes culturels distincts.
3Le Néolithique moyen de type Chassey est limité à la partie orientale du décapage. Il est essentiellement représenté par les sépultures, des épandages de mobilier ainsi que par le puits 250. Ce dernier renfermait un mobilier abondant et constitue un jalon important pour notre connaissance de la culture matérielle vers 4200 avant notre ère.
4Le Néolithique moyen de type La Roberte, concentré dans la partie sud du décapage, est plus modestement représenté. Un puits à eau (990) marque une occupation vers 4000 avant notre ère. Plusieurs structures en creux dont un puits (994) et un silo (1010) sont sensiblement plus récentes (vers 3900 avant notre ère), mais toujours rattachables au type La Roberte.
5Nous proposons dans ce qui suit de résumer les caractéristiques principales de ces occupations. Cette présentation servira de fondement à la mise en place du séquençage chronologique régional (§ 8.2).
8.1.1 Le Néolithique moyen de type Chassey sur le site des Bagnoles
6Les conditions de conservation des restes organiques n’ont pas permis de réaliser une bonne couverture radiocarbone du site. Le puits 250 est de ce fait la seule structure « correctement » datée, c’est-à-dire dont la datation se fonde sur une série de plusieurs dates radiocarbone réalisées sur des échantillons à vie courte. Il est donc difficile de préciser la durée des occupations correspondant au Néolithique moyen de type Chassey (§ 7.2.2). Cependant, en l’absence de tout indice de recreusement, le puits 250, tout au moins sa partie inférieure, est susceptible de représenter une durée relativement courte (quelques années). Ce sera donc une référence utile pour la description de la culture matérielle du Néolithique moyen de type Chassey des Bagnoles.
8.1.1.1 La céramique
7Le corpus céramique issu des structures attribuées au Néolithique moyen de type Chassey – environ 70 kg et plusieurs centaines d’individus au profil reconstituable – présente des caractères techniques relativement homogènes : le dégraissant (calcite ou quartz) est bien calibré et généralement fin. Dans la majorité des cas, les traces de montage ne sont visibles que sur les vases de grande dimension. Il s’agit alors de raccords de colombins en rigole ou en biseau. Le traitement des surfaces est plus difficile à caractériser en raison de leur altération et de la présence de dépôts calcaires. La céramique issue du puits 250, dans un état de conservation remarquable, est de ce point de vue homogène avec des polissages poussés dans la majorité des cas, à l’exception des rares vases de grandes dimensions qui présentent un lissage sommaire au moyen d’un instrument souple. Les surfaces extérieures sont couramment de couleur beige à orange. Les fonds sont convexes, les lèvres qui correspondent aux formes profondes sont effilées ou aplaties. Les formes basses présentent des lèvres arrondies et parfois éversées ou ourlées.
8Les formes profondes (fig. 268) sont les mieux représentées sur le site et constituent environ les trois quarts du corpus issu du puits 250. Il s’agit alors principalement de vases de taille moyenne (20-30 cm de diamètre) à corps hémisphérique ou elliptique, de vases à paroi sinueuse (tulipiformes), de vases à inflexion basse et partie supérieure rectiligne et verticale et de vases de taille moyenne à grande (20-60 cm de diamètre) dont le bord présente un épaississement externe. Les vases à col sont également attestés, mais semblent être plus rares.
9Les formes basses (fig. 269) sont essentiellement représentées par des coupes à bourrelet interne et, plus rarement, par les coupes en calotte. Les assiettes à marli (fig. 270, 1-12) sont attestées en tout et pour tout par une dizaine d’individus, dont trois issues de sépultures. L’aile des assiettes à marli peut-être courte ou large, rectiligne, convexe ou concave et décorée ou non. Les assiettes à socle sont encore plus rares puisque seuls deux individus ont pu être identifiés sur le site (fig. 270, 13-14).
10Les décors ne sont attestés que sur les assiettes à marli et les vases à socle. Ils sont exclusivement constitués d’incisions ou de gravures effectuées avant la cuisson. Il s’agit de triangles ou de bandes disposées en chevrons. Le remplissage est généralement constitué de croisillons ou, plus rarement, de hachures. Ce type de décor présente parfois encore les restes d’incrustation d’une matière blanche constituée, au moins dans un cas, de carbonate de calcium (Sargiano et al. 2010:219).
11Les décors peints sont exceptionnels. Malgré la méthode de nettoyage des objets archéologiques mise en place lors des campagnes 2012-2015 (§ 4.2.4), aucun décor de ce type n’a pu être mis en évidence. Les seuls vases peints du site sont donc ceux découverts à l’occasion du diagnostic de 2006 dans les sépultures 47 et 48 (Sargiano et al. 2010). La conservation du pigment, vraisemblablement appliqué après la cuisson, est dans ces cas liée à la cuisson secondaire de la céramique lors de son passage sur le bûcher funéraire.
12Les préhensions/suspensions (fig. 271) sont essentiellement constituées d’anses en boudin ou en ruban de dimensions variables et d’anses tunnéliformes, plus rarement de boutons proéminents à tendance corniforme, parfois perforés horizontalement. Ces types sont souvent fixés à la panse au moyen de tenons. Les cordons et bandeaux multiforés sont également représentés, mais sont beaucoup plus rares. Ces derniers peuvent être décorés ou multitubulés. Les préhensions/suspensions sont généralement jumelées et unilatérales sur les formes basses, les vases tulipiformes et les vases à inflexion basse, doubles et opposées sur les vases à corps sphérique ou ovoïde.
13On notera la présence occasionnelle d’une forme particulière de préhension constituée par une applique quadrangulaire placée à hauteur de l’inflexion, immédiatement au-dessus du fond, perforée verticalement ou horizontalement à ses deux extrémités (fig. 272, 1 et 3) ou encore horizontalement sur l’ensemble de sa largeur (fig. 272, 2). La présence de cet élément, placé sur un seul côté du récipient, semble être limitée aux vases tulipiformes. Ce type de suspension, rare au sein du corpus des Bagnoles est relativement abondant à La Clau (Gigean, Hérault ; fig. 272, 4) et au Crès (Loison et al. 2004, fig. 102, 104, 108, 109 et 115). Il est également attesté sur quelques autres sites du Néolithique moyen de type Chassey tels que Le Cadereau d’Alès (Nîmes, Gard ; fig. 272, 5) et Jacques Coeur (Montpellier, Hérault ; Jallot et al. 2000).
14Le site a également livré une série d’éléments de louches (fig. 273, 1-11) et de cuillères (fig. 273, 12-15). Les poignées de louches, plates, sont parfois décorées sur leur face ventrale (fig. 273, 7-9). Leur extrémité est généralement quadrangulaire, mais peut présenter des excroissances (fig. 273, 2-4), être enroulée sur elle-même (fig. 273, 5) ou perforée (fig. 273, 5-6).
15Signalons pour finir la présence dans le puits 250 d’un fragment de vase à préhensions tunnéliformes verticales décoré d’incisions probablement cruciformes (fig. 274, 1). Il appartient à un vase de type Montbolo pour lequel les meilleures comparaisons proviennent de la sépulture 9 du Camp del Ginèbre (Caramany, Pyrénées-Orientales ; Vignaud et al. en préparation ; fig. 274, 2). Cet élément est important dans la mesure où il permet de synchroniser un des faciès du groupe de Montbolo (représenté en particulier par le corpus issu du site éponyme (la Balma de Montbolo, Pyrénées-Orientales ; Guilaine et al. 1974) avec le Néolithique moyen de type Chassey. La contemporanéité au moins partielle de ces deux groupes culturels avait déjà été envisagée suite à la découverte à Caramany d’une sépulture associant assiette à marli décoré et socle avec plusieurs vases à anse tunnéliforme verticale. Accessoirement, la présence d’un vase de type Montbolo dans le puits 250 permet de disposer d’une série de datations radiocarbone qui font cruellement défaut pour le groupe de Montbolo.
16Hormis cet élément, potentielle importation en provenance du domaine Montbolo (la Catalogne), le corpus céramique du Néolithique moyen de type Chassey des Bagnoles trouve de bons points de comparaisons sur le site du Champ du Poste (Carcassonne, Aude ; Convertini & Georjon 2018). On y retrouve en effet les mêmes formes (vases tulipiformes, vases ovoïdes à épaississement externe, coupes à bourrelet interne…) et les mêmes types de préhensions dans des proportions analogues.
8.1.1.2 L’industrie lithique
17L’industrie lithique du site des Bagnoles est intégrée dans une thèse de doctorat en cours actuellement. Les résultats présentés ici ne sont donc que préliminaires.
Les méthodes d’études
18La détermination des matières premières, analysées à la loupe binoculaire, constitue la première étape de notre étude. Le classement s’effectue selon le référentiel MPALP (Tomasso et al. 2016). Un certain nombre de pièces en silex n’ont pu être déterminées en raison de la présence d’une patine trop importante. Cinq catégories de matières premières ont été identifiées sur le site des Bagnoles.
19Le silex bédoulien (catégories MPALP201A, MPALP201A4 et MPALP201B4) est présent en importante quantité. Les gisements les plus proches sont localisés à environ 20 km du site des Bagnoles, dans les ateliers de taille et sites d’extraction de Murs-Gordes (Deydier 1904, Raymond 1904, Sautel et al. 1933, Courtin 1974, Binder 1998, Léa et al. 2004, Léa 2004a, de Labriffe et al. sous presse ; fig. 275). Ces sites producteurs occupent une vaste superficie liée aux affleurements de silex bédoulien (Crétacé : n5, n5u2 et n5u3), souvent qualifié de « silex blond ». Une provenance depuis les gisements du Nord Vaucluse/Sud Drôme (à environ 40 km des Bagnoles) de Veaux-Malaucène (Deydier 1905, Moulin 1905, Catelan & Catelan 1921, Schmid 1980, Courtin 1974, Binder 1998, Weiner 2003, Léa et al. 2004, de Labriffe et al. sous presse) ne peut être exclue. Notons que les gisements tertiaires situés dans un rayon de 20 km autour du site (Isle-sur-la-Sorgue, Fontaine-de-Vaucluse, Saumane-de-Vaucluse) n’ont pas été exploités.
20Le silex bédoulien chauffé : le traitement thermique du silex bédoulien est bien connu dans les ensembles du Néolithique moyen méridional (Phillips 1982, Binder 1984, 1991, Vaquer 1990, Léa 2004b, Briois 2005), il constitue ici la catégorie « silex bédoulien chauffé ».
21Le silex brûlé : la rubéfaction, le blanchiment de certaines pièces ou les cupules thermiques indiquent un traitement thermique involontaire (Tiffagom 1998, Inizian et al. 1995, Schmidt 2013). Ces objets, nombreux, sont regroupés dans la catégorie « silex brûlés ».
22Enfin, des matières de provenance lointaine complètent l’assemblage lithique taillé : une dizaine de pièces en obsidienne a été analysée par Ion Beam Analysis (IBA) au Centre Études Nucléaires de Bordeaux-Gradignan. Les résultats indiquent une provenance depuis l’île de Lipari (à plus de 1000 km du site). Le quartz hyalin est également présent. Il n’a pour l’instant fait l’objet d’aucune analyse, mais les sites producteurs connus les plus proches sont les cristallières de l’Oisans à environ 180 km à vol d’oiseau des Bagnoles (Rostan & Thirault 2016, Thirault 2016).
23Les supports se répartissent en quatre catégories principales : les produits laminaires, les éclats, les débris et les nucléus.
24Parmi les lames, nous avons distingué les lames corticales, les lames d’entretien (lames de flanc, outrepassées et les réfections du plan de frappe), les lames à plus de trois pans, les lames à section triangulaire, les lames à section trapézoïdale pour lesquelles le code opératoire du débitage est pris en compte (Binder & Gassin 1988) et les lames indéterminées.
25Pour les éclats, le classement suit la même logique. On retrouve les éclats corticaux, les éclats d’entretien du débitage (outrepassés, réfection de la table, tablette d’avivage), les éclats avec négatifs laminaires sur la face supérieure et les éclats simples (sans traces de mise en forme).
26Les débris regroupent les cassons et les esquilles.
27Les nucléus sont classés selon le nombre de plan de frappe, leur agencement (successifs, alternes) et la morphologie (semi-conique/conique, quadrangulaire plat, polyédrique).
28L’identification des techniques de débitage suit la démarche proposée dans les précédentes études du site (Reggio 2015). L’angulation des talons des produits débités par pression, tout comme la technique de réduction des corniches (par pression ou par abrasion) et la terminaison des nervures (convergentes, divergentes, régulières) sont prises en compte, au vu de leur intérêt pour l’étude du Néolithique moyen (Binder 1984, 1991, Léa 2004b, Binder et al. 2008). En l’absence d’étude fonctionnelle, les supports qualifiés d’outils sont ici ceux portant des retouches. Les types d’outils sont définis selon les travaux de Thomas Perrin, Alexandre Angelin et Elsa Defranould (Perrin et al. 2018).
Caractérisation de l’industrie lithique du Néolithique moyen de type Chassey (hors funéraire)
Les matières premières (fig. 276)
29Les structures attribuées au Néolithique moyen de type Chassey retenues pour l’analyse livrent 1175 pièces. La majorité de ces objets sont en silex bédoulien non chauffé (70 %) ou brûlés (20 %). Le silex bédoulien est essentiellement représenté par la variété MPALP201A (820 pièces, 69 % du corpus). La présence des autres matières (quartz hyalin, obsidienne et autres variétés de silex) est anecdotique.
Les supports en silex bédoulien (fig. 277)
30Les débris constituent près de 55 % des supports en raison du tamisage minutieux appliqué à certaines structures. Bien qu’il s’agisse de la principale catégorie d’artefacts lithiques en silex bédoulien, nous n’en tiendrons pas compte ici en raison de leur caractère peu informatif.
31Les supports les mieux représentés sont les lames de section trapézoïdale à code opératoire 123/321 et celles à section triangulaire. Les éclats simples sont également nombreux. Les produits d’entretien du débitage sont principalement représentés par des lames et éclats à cortex marginaux (seuls deux éclats d’ouverture de petits blocs sont présents), des éclats de réfection de la table de débitage et des lames d’entretien des flancs du nucléus.
32Le débitage des lames (à section triangulaire ou trapézoïdale) sans traces de mise en forme est principalement réalisé par percussion indirecte : 17 sur 35 lames sans trace de mise en forme sur lesquelles la technique peut être étudiée. Quelques lames, notamment des produits de grande dimension (structures 31 et 261), évoquent le débitage par pression. Le débitage, qu’il soit par pression ou percussion indirecte, est réalisé à partir de plans de frappe lisses et non inclinés.
33Les pièces d’entretien ont été débitées essentiellement au percuteur dur, mais quelques lames à cortex marginal présentent les stigmates de la percussion indirecte (11 sur les 73 pour lesquelles le type de débitage a pu être déterminé).
34Les nucléus sont peu nombreux (11) et peu caractéristiques puisqu’ils sont pour la plupart arrivés à exhaustion ou repris pour un débitage d’éclat.
35L’outillage représente 10 % de l’assemblage (fig. 278). Bien que tous les types de support soient retouchés, ceux qui ne présentent pas de trace de mise en forme sont privilégiés. Ils servent principalement de racloirs (RA.22). Parmi l’outillage « significatif » on trouve des bitroncatures géométriques de type Jean Cros (Guilaine et al. 1979 ; BG.32a et b) et une pièce bifaciale amygdaloïde (PB.53a).
Le silex chauffé
36Les objets issus de structures attribuées au Néolithique moyen de type Chassey ne présentent aucun indice de traitement thermique.
Le silex brûlé
37Le silex brûlé est la seconde matière la plus représentée ici (19 % du corpus, soit 228 objets). En raison du caractère destructif du traitement thermique involontaire, ce sont les débris brûlés qui sont les plus nombreux (181). Hormis 12 lames ou éclats d’entretien et en excluant les débris, les supports les mieux représentés sont les lames de section triangulaire ou trapézoïdale (23). Comme ils sont souvent très fragmentés, il est impossible de proposer une étude des techniques de débitage. Les nucléus (2) sont également très altérés. Aucun de ces objets ne porte de retouches.
L’obsidienne
38L’obsidienne dans les structures du Néolithique moyen de type Chassey est représentée par trois lamelles : un fragment proximal portant des traces de mises en forme sur le pan droit (aménagement postéro-latéral ?), un fragment proximal de lamelle de section triangulaire et un fragment de lamelle de section trapézoïdale à code opératoire 212’. Cinq lamelles, issues de structures non datées, mais localisées dans le secteur est du site, peuvent être, sous toute réserve, attribuées aux occupations du Néolithique moyen de type Chassey.
39Il est possible d’identifier sur les deux fragments proximaux datés un débitage par pression. Les talons sont facettés et les angles non inclinés. Ces mêmes caractéristiques sont également visibles sur deux autres fragments proximaux issus de structures non datées. Deux fragments portent des retouches rasantes sur l’un des bords (RA.22).
40L’ensemble de ces pièces provient de Lipari1. Cette origine confère à cette petite série une importance particulière.
41En effet la présence d’obsidienne dans les gisements néolithiques du midi de la France a été depuis longtemps reconnue (Marion 1887). Ce matériau est absent de Provence et la question de son origine géographique a été très tôt posée (Cann & Renfrew 1964, Courtin 1972, Halam et al. 1976, Thorpe et al. 1984). Elle reste un élément majeur des débats actuels (Crisci et al. 1994, Tykot 1996, 1997, Poupeau et al. 2000, 2010).
42Le sujet a fait l’objet de nombreuses publications spécifiques au midi de la France (Binder & Courtin 1994, Vaquer 2007, Binder et al. 2012). Il en ressort que plus d’une centaine de sites du Néolithique moyen entre les Alpes et la Catalogne ont livré de l’obsidienne. Il ne s’agit généralement que de quelques pièces et seulement huit sites en ont livré plus de dix. La majorité de ces gisements (plus de 90) est communément rapportée au « Chasséen » et la présence de quelques objets aux Bagnoles pourrait donc paraître anecdotique. Cependant, le contexte chronologique attire l’attention.
43Dans le midi la plus grande partie des fragments provient en effet de gisements que l’on peut rapporter au Néolithique moyen de type La Roberte et Mourre de la Barque : Sainte Catherine et Terres-Longues (Trets, Bouches-du-Rhône), Miouvin (Istres, Bouches-du-Rhône), Cazan-l’Héritière (Vernègues, Bouches-du-Rhône) pour ne citer que les principaux. La principale source d’origine reconnue est alors le Monte Arci en Sardaigne et en particulier la source SA (Binder & Courtin 1994, Vaquer 2007, Binder et al. 2012).
44Pour le Néolithique moyen de type Chassey, le nombre de site est très faible (moins d’une dizaine). Pour la région, il s’agit essentiellement de Villa Giribaldi et Caucade (Nice, Alpes-Maritimes) auxquels il faut maintenant ajouter les Bagnoles. Cette diffusion reste néanmoins modeste et concerne principalement, sinon uniquement, l’obsidienne liparote. Pendant la première moitié du IVe millénaire, la diffusion de l’obsidienne va connaître un fort accroissement du nombre de sites concernés, une augmentation considérable du volume de matière première importée et surtout un changement de source et de réseau.
Le quartz hyalin
45À l’instar de l’obsidienne, le quartz hyalin est représenté par un nombre restreint d’objets (13 ; signalons toutefois la présence d’un nucléus dans une structure non datée, mais située dans l’emprise de l’occupation du Néolithique moyen de type Chassey). Les supports se répartissent entre huit fragments de lamelles de section triangulaire ou trapézoïdale (dont le code opératoire est indéterminable), quatre débris et un éclat de réfection de plan de frappe. Les deux seuls fragments proximaux ont été probablement débités par pression. Aucun outil n’est présent.
Les autres matières premières
46Cette catégorie regroupe le silex d’origine alluviale et les silex indéterminés. Le silex d’origine alluviale est représenté par 23 objets. Il s’agit en grande partie d’éclat simple (10), le reste de l’industrie se répartit entre les débris (6) et les pièces d’entretiens (5). Six éclats sont débités par percussion directe dure. Deux nucléus polyédriques sont présents. Un éclat cortical est utilisé comme pièce esquillée. Les silex indéterminés (88) regroupent essentiellement des esquilles (63) patinées ou de trop faible dimension pour en identifier la matière première. Quelques éclats (7) sont réalisés en matières premières inconnues (dont deux dans un silex « jaspé »). Ils sont trop petits pour qu’on puisse aller plus loin dans l’analyse.
Caractérisation de l’industrie lithique du Néolithique moyen de type Chassey issue de contextes mortuaires
47Les structures mortuaires avérées et possibles (catégories A et B ; voir § 6.2) ont livré 255 éléments, soit 20 % de l’industrie attribuable au Néolithique moyen de type Chassey. Les matières présentes ici sont le silex bédoulien et le silex brûlé.
Le silex bédoulien
48Le silex bédoulien est représenté par 202 objets, dont 159 esquilles. Cette surreprésentation est liée au soin accordé au tamisage de ces structures et à l’identification des matières premières qu’elles ont livré. La plupart de ces fragments provient de l’épandage 760/762/763. Hormis ces débris, les quelques objets restants sont principalement des éclats provenant de la partie supérieure du remplissage. Il est donc possible qu’ils ne soient pas associés aux dépôts d’ossements brûlés et correspondent à des vestiges non funéraires.
49Parmi les objets non brûlés directement et indubitablement associés aux dépôts funéraires, on trouve deux lames de section trapézoïdale dans la structure 527. De dimensions importantes, elles sont tronquées, l’une en partie proximale et l’autre en partie distale. Pour cette dernière il est possible de proposer l’emploi du débitage par pression.
50Une bitroncature géométrique de type Jean Cros (BG.32a) réalisée en silex bédoulien est issue de l’ensemble D de la structure 763, situé non loin de l’ensemble A, possible structure funéraire annexe.
Le silex brûlé
51Le silex brûlé compte 49 artefacts, principalement des débris ou fragments d’éclats brûlés. Quatre bitroncatures proviennent de la structure 54 : une bitroncature géométrique de type Jean Cros (BG.32A) aux retouches soignées et trois bitroncatures plus simples réalisées sur lame et sans retouches rasantes sur la face supérieure (BG.31A et A). La structure 833 a livré une bitroncature géométrique de type Jean Cros. Plusieurs fragments de lame(s) proviennent de la structure 527.
52Cet ensemble correspond probablement à des objets déposés sur le bûcher funéraire ou à proximité, puis récoltés après la consumation de celui-ci et déposés dans la structure funéraire.
Les chaînes opératoires de l’industrie lithique du Néolithique moyen de type Chassey
53Les blocs de silex semblent arriver partiellement préformés sur le site, au vu de l’absence des produits d’entame et de produits à cortex important. L’objectif du débitage est ici la production de lames de section trapézoïdale et triangulaire, principalement par percussion indirecte à partir de plans de frappes lisses et non inclinés selon un code opératoire 123/321. Les terminaisons des nervures (convergentes) et quelques fragments de nucléus indiquent un débitage sur nucléus plutôt semi-conique.
54L’étude morphométrique des lames sans trace de mise en forme (fig. 279) montre une « rupture » dans la largeur de ces supports autour de 17 mm. Le débitage de tel support, souvent par pression (modes 4 et 5 ; Pelegrin 2012), implique un savoir-faire important. Cette nécessité et l’absence de sous-produit de grandes dimensions indiquent une production sur un site spécialisé (Binder & Gassin 1988, Gassin 1996, Léa 2006), et une arrivée des « grandes lames » sous forme de produits finis. Les lamelles en silex semblent être absentes puisque, au vu de la répartition morphométrique, le débitage se fait de manière continue sans rupture réelle. Le terme de lamelles peut cependant être employé pour qualifier les supports en obsidienne et en quartz hyalin.
55Les éclats, bien que moins nombreux que les produits laminaires, représentent une part non négligeable de l’assemblage (21 % de la totalité des éléments lithiques). Un certain nombre d’entre eux présente des traces d’enlèvements laminaires sur leur face supérieure, indiquant une reprise des nucléus. Ils peuvent également être le résultat de débitage de petits blocs (les éclats complets dépassent rarement 40 mm).
56Les nucléus sont pour la plupart exploités jusqu’à exhaustion ce qui rend difficile leur étude.
57L’outillage est essentiellement représenté par des racloirs sur lames, les autres types étant plus anecdotiques. Le corpus étudié livre également quinze armatures de flèches (fig. 280), parmi lesquelles treize bitroncatures géométriques et deux pièces bifaciales foliacées simples, dont les retouches couvrantes ne concernent que la face supérieure.
58Les structures funéraires se distinguent par une proportion d’outils plus élevée. La structure 54 contient à elle seule quatre bitroncatures géométriques, les structures 833 et 763, une chacune. La structure 527 présente également des éléments originaux que sont deux lames à troncature oblique. Ce type d’outil, sur lames de grandes dimensions, n’est présent dans aucune autre structure du site. Il pourrait s’agir d’un objet spécifique du domaine funéraire (outil utilisé puis déposé auprès du défunt ou bris volontaire d’une grande lame lors des funérailles ?).
59La principale chaîne opératoire réalisée peut être résumée de la manière suivante (fig. 281) :
acquérir des blocs de silex bédoulien préparés hors du site ;
produire des lames par percussion indirecte ou par pression (en plusieurs phases comme le montrent les éclats d’entretiens de la table de débitage et du plan de frappe) ;
reprendre les nucléus pour un débitage d’éclat.
60Les lames produites servent de support à la majeure partie de l’outillage.
61Une seconde chaîne opératoire concerne la production d’éclats à partir de petits blocs ou d’éclats épais (peut-être récupérés dans les étapes de la chaîne opératoire principale). Quelques-uns portent des retouches, mais il n’est pas impossible qu’ils constituent une part plus importante de l’outillage, ce type de support étant souvent utilisé à l’état brut (Gassin et al. 2004 ; Negroni 2014).
62Les lamelles en quartz hyalin semblent également avoir été débitées sur place comme le montre la présence de plusieurs esquilles et d’un nucléus malheureusement hors structure mais découvert dans le secteur néolithique moyen de type Chassey du site. En parallèle de ces productions, des grandes lames en silex bédoulien (dont deux déposées dans une structure funéraire) et des lamelles en obsidienne de Lipari sont importées sous forme de produits finis.
8.1.1.3 Les autres éléments de la culture matérielle
63Les autres catégories de mobilier sont rares sur le site.
64L’outillage lithique poli attribuable au Néolithique moyen de type Chassey n’est représenté que par trois objets issus de sépultures avérées ou supposées : une lame de hache dans la sépulture 527 et deux lames de hache dans la sépulture (probable) 760A. Dans les trois cas, il s’agit d’objets de petits modules (inférieurs à 10 cm) en éclogite et en omphacitite. Les meilleurs points de comparaison sont issus de contextes funéraires du midi de la France et de la plaine du Pô (voir ci-dessous § 8.3).
65L’outillage de mouture n’est représenté que par une vingtaine de fragments de meules, molettes et broyons dont plus de la moitié est issue de la sépulture 51. Les meules/molettes sont principalement en grès et en grès quartzitique.
66Aucun outil en matières dures animales ne peut être attribué à l’occupation du Néolithique moyen de type Chassey. Cela est probablement dû aux conditions taphonomiques qui règnent sur le site. On notera toutefois l’absence de tels objets dans le puits 250, étant donné l’excellente conservation des restes fauniques qui en proviennent.
67La parure n’est représentée que par les 14 perles en lignite déposées dans le vase ossuaire de la sépulture 527. Ces petits objets, inconnus jusqu’à présent dans le contexte du Néolithique moyen régional, établissent un lien intéressant entre les sépultures secondaires à crémation du Néolithique moyen de type Chassey et les tombes à coffre d’Auvergne, du Bassin lémanique, du Plateau suisse et d’Émilie-Romagne (§ 6.2)
68La rareté de l’outillage lithique poli, de l’outillage de mouture, de l’outillage osseux et de la parure n’est pas une spécificité du site des Bagnoles. Cette constatation est valable pour la grande majorité des sites de plein air du Néolithique moyen de type Chassey et, au-delà, de l’ensemble du Néolithique moyen du midi de la France.
8.1.2 Le Néolithique moyen de type La Roberte
8.1.2.1 La céramique
69Le corpus céramique issu des structures attribuées au Néolithique moyen de type La Roberte représente moins de 20 kg pour une cinquantaine d’individus au profil reconstituable. Les caractères techniques sont relativement homogènes et ne présentent pas de différences majeures par rapport à l’époque précédente.
70Les formes profondes constituent moins de la moitié du corpus de formes reconstituables (fig. 282). Il s’agit alors essentiellement de vases à corps ovoïde munis de languettes horizontales non perforées et de gobelets à épaulement doux ou à décrochement (« micro-épaulement »), panse elliptique horizontale et col concave vertical. Les vases profonds à corps sphérique ou hémisphérique et les vases à col sont attestés, mais rares.
71Les formes basses (fig. 283), fréquentes, sont essentiellement constituées de jattes carénées, de coupes en calottes souvent ornées d’un ou de plusieurs sillons internes et de jattes à épaulement. Les jattes ont des dimensions très variables (entre 10 et 50 cm de diamètre). La carène est parfois surmontée par un sillon horizontal.
72Les décors sont rares et sont réservés aux coupes en calottes (sillons internes). Un gobelet présente un décor constitué d’incisions rectilignes convergentes formant une frise de petits triangles sous le décrochement.
73Les préhensions sont essentiellement des languettes horizontales non perforées et des boutons à perforation verticale ou horizontale. Les bandeaux multitubulés sont ponctuellement attestés.
74De manière générale, ce corpus est tout à fait comparable au mobilier céramique issu des sites classiques du Néolithique moyen de type La Roberte : Les Moulins (Saint-Paul-Trois-Châteaux, Drôme ; Beeching en préparation), La Roberte (Châteauneuf-du-Rhône, Drôme ; Beeching, Thomas-Beeching 1975), Plaine de Chrétien (Castelnau-le-Lez, Hérault ; Georjon 2003) ou encore le vallon de Cazan (Vernègues, Bouches-du-Rhône ; Thirault et al. 2016, Moreau et al. 2017).
75Une comparaison succincte entre les corpus céramiques issus des trois principaux ensembles du Néolithique moyen de type La Roberte du site (le puits 990, daté vers 4000 avant notre ère, le puits 994 et le silo 1010, tous deux datés vers 3900 avant notre ère) fait apparaître quelques aspects intéressants. Les trois ensembles ont livré une série de jattes carénées et de coupes à sillon interne qui ont motivé leur attribution au Néolithique moyen de type La Roberte. Toutefois, les gobelets à épaulement ne sont représentés que dans les structures 994 et 1010 (les plus récentes). À l’inverse, les anses en rubans et en boudin, fréquentes dans les assemblages attribués à l’occupation du Néolithique moyen de type Chassey, sont représentées au sein du mobilier de la structure 990, mais sont absentes dans le puits 994 et le silo 1010. Nous reviendrons sur cet aspect de l’évolution du corpus céramique entre la fin du Ve et le début du IVe millénaire avant notre ère (§ 8.2).
8.1.2.2 L’industrie lithique
Les matières premières (fig. 284)
76Les structures attribuées au Néolithique moyen de type La Roberte ont livré 838 éléments, tous réalisés en silex bédoulien chauffé ou non.
Les supports en silex bédoulien non chauffé
77Le silex bédoulien non chauffé (fig. 285) représente 46 % de la totalité du corpus. Les débris (252) sont bien représentés en raison du fait que le remplissage des principales structures qui ont livré du mobilier lithique (deux puits et un silo) a été soumis à un tamisage archéobiologique.
78Les supports les plus représentés sont les lames de section trapézoïdale à code opératoire 212’ et à section triangulaire. Les produits d’entretien sont principalement des lames d’entretien des flancs dunucléus. Les produits corticaux sont quasiment absents et les éclats peu nombreux. Les quelques nucléus sont en état d’exhaustion avancé.
79La technique de débitage est identifiable sur 12 % des objets en silex bédoulien. La percussion dure est employée pour les produits corticaux et d’entretien. Le débitage des lames se fait principalement par pression ou percussion indirecte à partir de plans de frappe lisses et non inclinés. Les corniches sont réduites par abrasion. La pression est la plus présente (17 sur 31 lames). L’emploi de la percussion directe dure est visible sur les lames d’entretien.
80L’outillage représente 11 % du total (fig. 286). Les lames de section trapézoïdale sont les principaux supports d’outils. La typologie, peu variée, est essentiellement représentée par les racloirs (RA.22) et les burins (BC.11). Deux bitroncatures géométriques (BG.31a et BG.32a) (structure 1010), ainsi que deux pièces bifaciales (PB.51a et PB.53a) sont présentes.
Les supports en silex bédoulien chauffé
81Le silex bédoulien chauffé (fig. 287) représente 18 % de l’industrie lithique (21 % si on inclut les objets « probablement chauffés » et « probablement non chauffés »). La patine qui recouvre une majeure partie de l’industrie lithique rend l’identification du traitement thermique délicate. Ainsi, le taux de silex bédouliens chauffés est probablement sous-représenté, ce d’autant plus que les silex indéterminés sont nombreux.
82La répartition des catégories de supports est semblable à la répartition des supports en silex bédoulien non chauffés. Les mieux représentées sont à nouveau les lames de section trapézoïdale à code opératoire 212’ et à section triangulaire. Les produits corticaux et d’entretien ainsi que les éclats sont peu présents.
83Les lames sans trace de mises en forme sont pour l’essentiel débitées par pression (28 sur les 34 lames où l’étude est possible), la percussion indirecte a pu aussi être employée. Les plans de frappe sont non inclinés et les corniches principalement réduites par pression. La percussion dure est utilisée sur quelques éclats à négatifs laminaires.
84Les nucléus sont peu nombreux, mais en bon état de conservation. Quatre sont de type quadrangulaire à plan de frappe lisse, les trois autres sont en état d’exhaustion avancé.
85Les outils représentent 13 % des objets en silex bédoulien chauffé (fig. 288). Les principaux supports d’outil sont logiquement les lames de section triangulaire et trapézoïdale puisque ce sont les objets les plus fréquents. La typologie est également peu variée, puisqu’on trouve essentiellement des racloirs (RA.22) et des troncatures (TR.22).
Le silex brûlé
86Le silex brûlé est bien représenté dans les ensembles du Néolithique moyen de type La Roberte (17 %). Cependant, 70 % des objets sont des débris peu informatifs. Quelques lames de section triangulaire et trapézoïdale sont présentes (13 %). Le reste se répartit entre les lames corticales et d’entretien. Le débitage par pression est probablement mis en œuvre pour produire cinq des neuf lames pour lesquelles la technique de débitage a pu être observée. Aucun outil retouché n’est présent.
Autres matières et indéterminés
87Les silex indéterminés sont principalement des silex patinés ou de petite dimension. La difficulté de l’identification du traitement thermique contribue également à ce taux élevé. La répartition des supports est quasiment identique à celle des silex brûlés (86 % de débris et quelques lames). Aucun outil n’est présent.
Les chaînes opératoires au Néolithique moyen de type La Roberte
88L’industrie lithique du puits 990, après exclusion des pièces issues des niveaux supérieurs susceptibles de provenir d’autres occupations non contemporaines, est malheureusement peu abondante (39 objets). Il est de ce fait difficile de proposer une quelconque interprétation de la chaîne opératoire. Tout au plus est-il possible de constater que le silex bédoulien y est souvent plus « foncé » que celui issu des autres structures et que la variété MPALP201A4 y est également mieux représentée. On notera également la présence de quelques éléments en silex bédoulien chauffé, notamment une lame outrepassée probablement débitée par pression. Le constat est globalement le même pour le reste du remplissage de cette structure.
89Les structures plus récentes (en particulier le puits 994 et le silo 1010, tous deux datés par le radiocarbone au début du IVe millénaire avant notre ère) sont marquées par la rareté des pièces corticales quelle que soit la matière première. Ici encore, et à l’instar de ce que nous avions relevé pour les périodes précédentes, les blocs de matière première arrivent « décortiqués » sur le site.
90Pour le silex bédoulien, la production est essentiellement laminaire puisque les lames de section trapézoïdale à code opératoire « 212’« et les lames de section triangulaire débitées par pression à partir de plans de frappes lisses et non inclinés constituent les principaux objets. La présence de nucléus et d’éléments d’entretien du débitage indique une production in situ.
91La largeur des lames sans trace de mises en forme excède rarement 15 mm (fig. 289). Les lames plus larges peuvent correspondre à des productions spécialisées (cf. infra) puisqu’aucun produit d’entretien n’atteint ces dimensions. Les nucléus sont rares et souvent arrivés à exhaustion.
92L’outillage est caractérisé par la prépondérance des racloirs (RA.22). Quatre armatures de flèches sont présentes : deux bitroncatures géométriques, ainsi que deux pièces bifaciales foliacées simples, dont une porte des retouches couvrantes sur les deux faces (fig. 290).
93Le silex bédoulien chauffé est également utilisé pour la production de lames de section trapézoïdale à code opératoire « 212’« . Elles sont également débitées par pression à partir de plans de frappe lisses et non inclinés. Leurs dimensions sont toutefois considérablement plus réduites et leur largeur est généralement inférieure à 10 mm. Seules quelques lames de section triangulaire ou à plus de trois pans dépassent ce seuil (sans toutefois excéder les 15 mm). Il est donc ici possible de qualifier ces supports de lamelles.
94Les nucléus sont de type quadrangulaire plat. Les outils sont peu nombreux et se partagent principalement entre les troncatures et les racloirs.
95Deux chaînes opératoires peuvent ici être identifiées (fig. 291). L’une sur silex bédoulien non chauffé et l’autre sur silex bédoulien chauffé. Le silex bédoulien non chauffé est exploité selon des modalités très proches de celles identifiées dans l’industrie attribuable au Néolithique moyen de type Chassey. Des blocs de silex bédoulien préparés sont amenés sur le site pour une production de lame par pression ou percussion indirecte. Ici, la reprise de nucléus ou d’éclats épais pour un débitage d’éclat n’est pas visible. Les lames servent ensuite de support à l’outillage. Le silex bédoulien chauffé est également introduit sur le site sous forme de blocs préparés pour une production de lamelle débitées par pression et utilisées sur place comme l’indique la présence de quelques outils. De grandes lames en silex bédoulien sont, quant à elles, importées.
8.1.2.3 Les autres éléments de la culture matérielle
96L’outillage poli se limite à une petite lame de hache triangulaire en omphacitite déposée dans la structure 904 et trois billes en roche carbonatée issues des structures 875, 891 et 994.
97L’outillage de mouture est constitué d’une trentaine de fragments, dont neuf meules et quatre molettes.
98L’outillage osseux est représenté par deux objets seulement, provenant du puits 990 : une pointe à épiphyse sur métapode de petit ruminant (fig. 226, 6) et une omoplate de boeuf présentant un poli de manipulation et des traces d’abrasion (fig. 226, 7). La culture matérielle autre que la céramique et le lithique reste donc peu représentée, à l’instar des occupations précédentes et plus largement, des autres ensembles de plein air du Néolithique moyen du midi de la France.
8.1.3 Comparaison entre les productions matérielles des différentes occupations du site
99Le Néolithique moyen des Bagnoles correspond à au moins trois occupations distinctes (vers 4200, 4000 et 3900 avant notre ère) et à deux groupes culturels (le Néolithique moyen de type Chassey et le Néolithique moyen de type La Roberte). Il offre donc l’occasion de comparer les productions matérielles en un même lieu à trois moments différents, séparés par des périodes relativement courtes de l’ordre d’un siècle à un siècle et demi.
100La céramique correspondant à la première occupation (vers 4200 avant notre ère ; Néolithique moyen de type Chassey) est dominée par les formes profondes : vases à corps ovoïde, à profil en s (vases tulipiformes) ou encore à partie supérieure rectiligne et inflexion basse. Les formes basses – minoritaires – sont essentiellement constituées de coupes en calotte à bourrelet interne et de quelques assiettes à marli. Les anses en ruban ou en boudin sont fréquentes, les bandeaux multiforés ou multitubulés sont attestés, mais rares. Sur le plan de l’industrie lithique, l’exploitation de la matière locale est importante, mais la chaîne opératoire n’est pas entièrement réalisée sur place. Le débitage est orienté vers la production d’éclats et de lames. Dans ce dernier cas, les blocs de silex bédoulien décortiqués en dehors du site sont débités par pression ou percussion indirecte. Quelques grandes lames arrivent sous forme de produits finis. Le traitement thermique n’est pas attesté. Le quartz hyalin et l’obsidienne – importée de Lipari – sont présents, mais ne jouent qu’un rôle secondaire.
101L’occupation suivante (vers 4000 avant notre ère ; Néolithique moyen de type La Roberte), matérialisée par le puits 990, est marquée par l’absence de la majorité des formes céramiques attestée durant l’étape précédente (vases tulipiformes, vases à épaississement externe, coupes à bourrelet interne, assiettes à marli, louches à manche plat) et par l’apparition des jattes carénées. Seules les anses en ruban sont encore produites durant cette occupation. En ce qui concerne le lithique, l’aspect le plus marquant est sans aucun doute la présence de quelques éléments témoignant du débitage de silex bédoulien après traitement thermique.
102La dernière occupation néolithique (vers 3900 avant notre ère ; Néolithique moyen de type La Roberte) est principalement représentée par le mobilier issu du remplissage d’un puits à eau (994) et d’un silo (1010). Les formes céramiques sont constituées de jattes carénées à partie supérieure concave ou rectiligne, de coupes à sillon(s) interne(s), de gobelets à épaulement et col concave vertical ainsi que de vases à corps ovoïde et languettes. Les anses en ruban et en boudin, les assiettes à marli, les coupes à bourrelet internes, les grands vases à épaississement externe ne sont plus attestés. Les cordons et bandeaux multiforés sont encore présents de manière sporadique. Toujours sur le site des Bagnoles, l’industrie lithique est marquée par le débitage lamellaire sur nucléus (semi)coniques et sur nucléus quadrangulaires plats après traitement thermique. C’est à cette occupation que l’on peut attribuer les billes en roches carbonatées.
103Cette brève comparaison entre les trois occupations du Néolithique moyen des Bagnoles suggère l’existence de changements importants dans la culture matérielle sur le site même durant la période comprise entre la fin du Ve et le début du IVe millénaire avant notre ère.
8.2 La séquence chronologique du Néolithique moyen
S. van Willigen, J. É. Brochier
104Le corpus d’ensembles clos datés des Bagnoles vient s’ajouter à ceux issus d’une dizaine de sites nouvellement fouillés et partiellement publiés. Ils renouvellent largement notre connaissance de la chronologie du Néolithique moyen du midi de la France et justifient le fait de revisiter la séquence Néolithique moyen type Chassey – type La Roberte – type Mourre de la Barque proposée en 2012 et la modélisation bayésienne des datations radiocarbone publiée en 2014 (van Willigen et al. 2012 ; 2014).
105Au total, nous disposons actuellement, pour l’ensemble du Néolithique moyen, d’une trentaine d’ensembles clos conséquents, datés par le radiocarbone et provenant d’une vingtaine de sites. Le corpus des datations radiocarbone est le même que celui que nous avons figuré dans le chapitre 2 (fig. 10 et 16). Il est constitué de 65 mesures radiocarbone réalisées sur des échantillons à durée de vie brève issus d’ensembles clos attribués à un des trois groupes culturels de notre séquence. Les ensembles datés se répartissent sur l’ensemble du Midi méditerranéen (fig. 292).
106La performance d’une modélisation chronologique bayésienne dépend de la précision et de la richesse informative de la séquence utilisée comme information a priori dans l’analyse, c’est-à-dire dans notre cas :
du nombre de phases qui constituent la séquence ;
de la présence d’événements qui, étant immédiatement antérieurs au début et immédiatement postérieurs à la fin de cette séquence, peuvent contribuer à en préciser les bornes extrêmes.
107Nous proposons donc dans un premier temps d’examiner dans quelle mesure il est possible de détailler la séquence mise en place en 2012 en tentant de distinguer, parmi les principaux assemblages du Néolithique moyen méditerranéen, différentes variantes à valeur potentiellement chronologique. Nous nous pencherons ensuite sur les ensembles datés, antérieurs à l’étape chronologique la plus ancienne de notre séquence (le Néolithique moyen de type Chassey) et postérieurs l’étape chronologique la plus récente de cette même séquence (le Néolithique moyen de type Mourre de la Barque).
108Ces connaissances de la chronologie relative, obtenues par l’analyse factorielle des correspondances des caractères céramiques et par une comparaison directe entre les contenus de différents ensembles, doivent aboutir à la mise en place d’un modèle chronologique qui constitue l’information a priori utilisée dans l’analyse bayésienne des déterminations radiocarbone qui suit.
8.2.1 Variantes à valeur potentiellement chronologique
109Nous n’aborderons ici que les principaux assemblages. Les informations relatives aux autres ensembles datés sont rassemblées dans les figures 10 et 16.
8.2.1.1 Le Néolithique moyen de type Chassey
Le puits 250 des Bagnoles
110Le mobilier céramique est dominé par les coupes à bourrelet interne et les grands vases à épaississement externe. On y trouve également des vases tulipiformes, des puisoirs à poignée plate ainsi que des formes et décors plus rares tels que les fragments de deux assiettes à marli et aile décorée ainsi qu’une assiette à socle. Les préhensions sont presque exclusivement constituées d’anses en ruban. Les cordons et languettes multiforés et les appliques rectangulaires perforées sont présents, mais rares. L’industrie lithique est caractérisée par une proportion globalement égale de lames et d’éclats et par l’absence de traitement thermique. Six datations sont issues de cet ensemble : ETH-60870 5302±31BP, ETH-60868 5306±27BP, ETH-60871 5323±31BP, ETH-60867 5331±27BP, ETH-60869 5334±27BP et Poz-64775 5400±40BP.
Capdenac-le-Haut (Lot ; Gernigon 2006)
111L’ensemble du dépôt de pente fouillé entre 1972 et 1978 sous la direction de Jean Clottes pourrait correspondre, au vu de la typologie céramique, à une période relativement longue qui couvre la fin du Ve et le début du IVe millénaire avant notre ère. L’étude des remontages céramique et de leur projection a permis à Karim Gernigon de mettre en évidence plusieurs niveaux d’accumulation de mobilier. Le niveau inférieur (C) coïncide en partie avec le Néolithique moyen de type Chassey. On y retrouve l’essentiel des formes attestées aux Bagnoles : coupes simples et coupes à bourrelet interne, assiettes à marli et aile décorée, vases tulipiformes, louches à poignée plate, vases à col et vases à épaississement externe. Les préhensions sont essentiellement représentées par des boutons et languettes perforées. On notera la rareté des anses en ruban et l’absence des appliques quadrangulaires perforées ainsi que des cordons et languettes multiforées. Les quatre datations radiocarbone obtenues sur le site (Gif-2632 5100±140BP dans le niveau IV/ sommet couche 1, Gif-3713 4970±110BP dans le niveau IX/ base couche 1, Gif-3714 5190±120BP dans le niveau XVI/couche 2 et Gif-3715 5140±120BP dans le niveau XX/couche 3 ; Gernigon 2006:187-188) ne sont malheureusement pas d’une grande utilité en raison d’une part de l’erreur standard considérable dont elles sont affectées, et surtout de l’impossibilité de les attribuer à l’un des niveaux d’accumulation mentionnés ci-dessus.
Le Champ du Poste (Carcassonne, Aude ; Convertini & Georjon 2018)
112Ce site, fouillé en 2008 sous la direction de Fabien Convertini, est situé en bordure d’une terrasse alluviale en rive droite de l’Aude. L’opération de fouille préventive a porté sur une surface d’environ 1,5 ha. Les occupations s’échelonnent entre le début du Néolithique moyen et le Néolithique final. La structure 287 a livré une quinzaine de formes reconstituables parmi lesquelles deux coupes à bourrelet interne, un puisoir à poignée plate, un vase tulipiforme et deux vases à épaississement externe. Les anses en ruban sont fréquentes. Une datation radiocarbone est issue de cet ensemble (GrA-44299 5280±35BP). Trois structures datées par le radiocarbone ont livré des fragments de coupes à bourrelet interne. Il s’agit des structures 121 (GrA-44295 5315±40BP), 207 (Lyon-10462/SacA-34547 5405±30BP et 82 (GrA-44301 5400±40BP). Deux autres structures également datées ont livré quelques éléments caractéristiques du Néolithique moyen de type Chassey. Il s’agit de la structure 237 (un fragment d’assiette à socle décoré ; GrA-44253 5360±35BP) et la structure 387 (un tesson muni d’une applique quadrangulaire ; GrA-44302 5390±40BP).
113Considéré dans sa globalité, le corpus céramique du Champ du Poste est constitué d’une centaine d’individus issus d’une quarantaine de structures en creux. On y retrouve à peu de chose près toutes les formes représentées aux Bagnoles (occupation type Chassey) : les coupes à bourrelet interne et leurs différentes variantes, les vases à épaississement externe, les vases tulipiformes, les vases sphériques munis d’anses en ruban, quelques fragments d’assiettes à marli et d’assiettes à socle décorées ainsi que quelques vases à col et louches à manche plat. Les appliques perforées horizontalement ou verticalement sont rares, les préhensions multitubulées sont absentes.
Le Crès (Béziers, Hérault ; Loison et al. 2004 ; Loison & Schmitt 2009)
114Localisé sur une terrasse würmienne de la vallée de l’Orb, le site a été fouillé en 2000 et 2001 sous la direction de Gilles Loison dans le cadre d’une opération d’archéologie préventive qui a portée sur une surface d’un demi-hectare. 34 structures funéraires et domestiques ont livré un mobilier qui permet de les attribuer au Néolithique moyen de type Chassey. Le mobilier céramique étant en cours d’étude, nous nous limiterons à quelques comparaisons d’ordre général. Le corpus présente quelques similitudes avec celui de l’occupation du Néolithique moyen de type Chassey des Bagnoles : prédominance des vases sphériques ou hémisphériques munis d’anses en ruban, nombreux vases tulipiformes, assiettes à marli et assiettes à socle décorées. Quelques différences apparaissent cependant : les cordons multiforés placés immédiatement sous la lèvre sont bien représentés alors qu’ils sont absents aux Bagnoles ; les appliques rectangulaires perforées verticalement ou horizontalement sont particulièrement fréquentes au Crès et peu nombreuses aux Bagnoles. À l’inverse, les bandeaux multiforés, les préhensions en flûte de Pan et les louches à manche plat n’apparaissent pas dans les figures du rapport du Crès. La différence la plus frappante réside dans la représentation des coupes à bourrelet interne et des vases à épaississement externe, absents au Crès alors qu’ils sont fréquents au sein du corpus des Bagnoles et du Champ du Poste. Six structures datées par le radiocarbone présentent ces caractéristiques (Loison & Schmitt 2009) : les structures 14 (LY-3423 5385±35BP), 79 (LY-3583 5410±60BP), 118 (LY-3427 5360±35BP), 123 (LY-3585 5360±30BP), 148 (LY-3428 5295±35BP) et 200 (LY-3422 5320±35BP).
La Clau III (Gigean, Hérault ; Hasler et al. 2012, Georjon & Léa 2013)
115Situé en bordure ouest du massif de la Gardiole, le site a été fouillé en 2010 sous la direction d’Anne Hasler. Le décapage a porté sur une surface de 6500 m2. L’occupation du Néolithique moyen type Chassey est matérialisée par une centaine de structures. Ici encore, l’étude étant en cours, nous n’entrerons pas dans le détail. Le corpus céramique (une trentaine de formes reconstituables au total) est caractérisé par la présence de vases tulipiformes et de quelques vases à épaississement externe. Les assiettes à marli et aile décorée sont présentes, mais rares, les coupes à bourrelet interne sont absentes. En ce qui concerne les préhensions, on notera la fréquence des anses en ruban, des anses tunnéliformes horizontales et des appliques quadrangulaires à perforations verticales ou horizontales. Sur les dix structures datées par le radiocarbone (Georjon & Léa 2013), six ont été retenues : les structures 1004 (Poz-38161 5250±40BP), 1044 (Poz-38088 5420±40BP), 1054 (Poz-38132 5310±40BP), 1060 (Poz-38089 5370±40BP), 1124 (Poz-38094 5440±40BP), 1195 (Poz-38134 5260±40BP). Les quatre dates restantes, provenant de structures qui n’ont livré aucun élément céramique caractéristique du Néolithique moyen de type Chassey, ont été écartées : 1105 (Poz-38133 5260±40BP), 1106 (Poz-38090 5440±40BP), 1120 (Poz-38091 5360±40BP) et 1122 (Poz-38094 5440±40BP).
Villa Giribaldi (Nice, Alpes-Maritimes ; Binder 2004)
116Le site a été fouillé très partiellement en 1985 sous la direction de Didier Binder. Le mobilier attribuable au Néolithique moyen de type Chassey provient pour l’essentiel de quatre structures profondes interprétées comme des puits d’extraction d’argile et pourrait représenter deux étapes chronologiques : Giribaldi B (structures 6A et 6B ; vers 4500-4250 avant notre ère) et C (structures 4A et 7 ; 4250-4000 avant notre ère). L’ensemble étant actuellement en cours d’étude, les comparaisons proposées ici ne reposent que sur quelques informations sommaires publiées dans un catalogue d’exposition (Binder 2004). On y retrouve les assiettes à marli, assiettes à socle, vases tulipiformes et préhensions multitubulées. D’autres caractères semblent toutefois manquer à l’appel : les coupes à bourrelet interne et les vases à épaississement externe. Les louches y sont attestées, mais ne font leur apparition que dans la phase C. Seules trois datations sont actuellement exploitables : GrA-21348 5420±60BP et GrA-21352 5640±60BP pour la phase B et GrA-21370 5270±50BP pour la phase C. La datation Ly-6350 5495±100BP sera écartée de notre étude en raison de sa large erreur standard et du matériau daté (charbon de bois).
Le Camp de Chassey (Chassey-le-Camp, Saôneet-Loire ; Thevenot 2005)
117C’est un site de hauteur connu depuis le xixe siècle et fouillé de manière systématique par Jean-Paul Thevenot entre 1969 et 1979. Le corpus céramique issu de ces travaux est figuré dans la publication monographique (Thevenot 2005). Les niveaux 9 et 8 ont livré plusieurs caractères spécifiques du Néolithique moyen de type Chassey dont les assiettes à marli, assiettes à socle, coupes à bourrelet interne, vases tulipiformes, cordons multiforé et louches à poignée plate. Les assiettes à marli, assiettes à socle et poignées de louche sont nombreuses. À l’inverse, les vases à épaississement externe et les appliques quadrangulaires perforées n’y sont pas attestées. Les datations radiocarbone provenant de niveaux d’occupations stratifiés et non pas d’ensembles clos, nous n’en avons pas tenu compte ici.
118Cette brève présentation des principales séries montre qu’il existe, au-delà des traits communs qui ont motivé leur attribution au Néolithique moyen de type Chassey, certaines divergences (fig. 293). Ainsi, Le Crès, La Clau et la phase B de Giribaldi se distinguent des autres corpus par l’absence de coupes à bourrelet interne, de vases à épaississement externe et de louches à poignée plate, trois formes fréquentes au sein des autres corpus. À l’inverse, quelques éléments particuliers tels que les cordons/languettes multiforés positionnés à hauteur de la lèvre et les appliques quadrangulaires perforées, bien attestées au Crès sont rares, voire inexistants sur les autres sites.
119À partir de cette constatation, nous proposons de distinguer deux variantes du Néolithique moyen de type Chassey (fig. 294). La variante A se singularise par la rareté des coupes à bourrelet interne, des vases à épaississement externe et des louches à poignée plate, la variante B est, quant à elle, caractérisée par l’abondance de ces trois formes. Cathy Georjon et Vanessa Léa avaient déjà proposé de distinguer deux styles (1 et 2) au sein du « Chasséen ancien » sur la base de la présence/absence de coupes à bourrelet interne et de vases à épaississement externe (Georjon & Léa 2013). Les nouvelles données issues du Crès, du Champ du Poste et des Bagnoles vont donc dans le même sens. La succession style 1 – style 2 postulée par les auteures n’étant fondée que sur les datations radiocarbone de La Clau et de Port Ariane, elle devra être réexaminée à la lumière des nouvelles datations.
120La présence ou l’absence de formes telles que les assiettes à marli et aile décorée ou encore les assiettes à socle, est plus difficile à interpréter. S’agissant de types céramiques rares (tout au moins dans les contextes non funéraires), ils sont susceptibles de ne pas être représentés dans les petites séries. Leur abondance au sein du mobilier céramique du Camp de Chassey est exceptionnelle. Elle peut être liée à une fonction ou un statut particulier du site plutôt qu’à la chronologie. Contrairement à ce qui a été proposé récemment (Convertini & Georjon 2018:156-159), nous avons donc choisi de ne pas tenir compte de la présence/absence de ces deux types de vases dans la définition de nos variantes du Néolithique moyen de type Chassey.
8.2.1.2 Le Néolithique moyen de type La Roberte
121Pour ce qui concerne le site des Bagnoles, les remplissages de deux puits (990 et 994) et d’un silo (1010) constituent les principaux assemblages attribuables au Néolithique moyen de type La Roberte. Il s’agit d’ensembles certes plus modestes que le puits 250 dont il a été question plus haut, mais qui ont tout de même livrés une trentaine d’individus céramiques chacun et ont été, tous trois, datés par le radiocarbone. Ces ensembles viennent se joindre à quatre autres puits attribuables au même horizon chronologique, à la fois datés par le radiocarbone et riches en mobilier.
Le puits 990 des Bagnoles
122Il a livré une série céramique qui associe plusieurs formes munies d’anses en ruban, quelques vases à col, les fragments de deux jattes carénées, un tesson de vase à épaississement externe ainsi qu’une coupe à sillon interne. L’absence de gobelets à col haut est notable mais elle est peut-être liée au nombre restreint de formes restituables issues de cette structure. Deux datations radiocarbone ont été obtenues sur des échantillons à vie brève issus de la partie inférieure du puits : ETH-88904 5213±25BP et ETH-88901 5226±25BP.
Le puits 994 des Bagnoles
123Le mobilier céramique est constitué de plusieurs jattes carénées, de trois gobelets à épaulement et col haut, corps elliptique et micro-épaulement ainsi que d’un fragment de couvercle et d’une coupe à sillon interne. Ces deux derniers éléments proviennent de la partie supérieure du remplissage. Les préhensions sont constituées de boutons perforés et de languettes. On notera l’absence d’anses en ruban. Deux mesures radiocarbone (ETH-88903 5874±25BP et ETH-88902 5027±26BP) ont été réalisées sur des graines carbonisées issues de la partie inférieure du remplissage. Nous reviendrons sur la date ETH-88903, aberrante dans un contexte de la fin du Néolithique moyen.
Le silo 1010 des Bagnoles
124Cette structure a livré globalement le même assemblage céramique que la structure précédente : jattes carénées, gobelets à épaulement et col haut et coupes à sillon interne. La datation d’une graine de céréale issue de cette structure a permis d’obtenir le résultat suivant : ETH-88900 5036±25BP.
125Quatre ensembles importants pour notre propos proviennent du vallon de Cazan (Vernègue-L’Héritière et Vernègue-Clos du Moulin, Bouches-du-Rhône), un secteur qui a fait l’objet de plusieurs opérations d’archéologie préventive au cours desquelles d’importantes occupations attribuées pour l’essentiel à la fin du Ve et au début du IVe millénaire avant notre ère ont été fouillées sur plusieurs hectares. Les remplissages de trois puits ont livré des séries céramiques à la fois consistantes et datées par le radiocarbone.
Le puits 10 de l’Héritière 1996 (Chapon et al. 2002)
126L’opération de 1996, placée sous la direction de Philippe Chapon, a été limitée à un décapage de 700 m2 et à quelques sondages. La structure 10, creusée à travers des sables et graviers jusqu’au substratum alluvial mesure approximativement un mètre de diamètre pour une profondeur de 2,60 m. Elle a livré, outre un dépôt mortuaire, plusieurs jattes carénées et partie supérieure concave ouverte (dont deux à carène perforée) et au moins deux gobelets à col concave vertical. Un fragment d’os humain issu du dépôt mortuaire a permis d’obtenir une datation radiocarbone (ETH-16883 4810±65BP).
Le puits 6 de L’Héritière (Thirault et al. 2016)
127Il a livré une série de jattes carénées, de coupes à sillon interne ainsi que quelques assiettes à marli et aile décorée de lignes incisées parallèles disposées en chevrons (Thirault et al. 2016, fig. 16, 1-2 et 5). Les préhensions/suspensions sont constituées de cordons multiforés, de multitubulures, de languettes et de boutons perforés. Les anses en ruban n’y sont pas attestées. On notera l’absence de gobelets à col haut et épaulement. Deux datations ont été obtenues sur des échantillons issus de ce puits : Poz-32304 5250±40BP (partie inférieure) et Poz-32305 5070±40BP (partie supérieure du remplissage).
Le puits 66 de L’Héritière (Thirault et al. 2016)
128Il renfermait deux gobelets à épaulement et col haut, plusieurs jattes carénées et col concave ainsi qu’une coupe à sillon interne. Les préhensions/suspensions sont représentées par des cordons multiforés cannelés, des multitubulures, des languettes et des boutons perforés. Les anses en ruban ne sont pas représentées. Deux fragments de charbons de bois ont été datés par le radiocarbone : Poz-32306 5010±40BP (partie inférieure du remplissage) et Poz-32307 5050±40BP (partie supérieure du remplissage). Une troisième mesure a été obtenue sur un dépôt carbonisé adhérant aux fragments d’un vase issu de la partie inférieure du remplissage du puits (Poz-47900 5105±35BP).
Le puits 433 du Clos du Moulin (Moreau et al. 2017)
129Cette structure a livré une trentaine de formes céramiques parmi lesquelles quelques jattes carénées et coupes à sillon interne ainsi que deux assiettes à marli et aile décorée de lignes incisées parallèles disposées en chevrons, comparables à celles mises au jour dans le puits 6 de l’Héritière. Une datation (Beta-387513 5240±30BP) provient de la partie inférieure, une seconde (Beta-387514 5100±30BP) de la partie supérieure du remplissage.
130Globalement, ces six puits et le silo 1010 des Bagnoles présentent plusieurs caractères communs (fig. 295), en particulier la fréquence des jattes carénées et des coupes à sillon interne, deux éléments caractéristiques du Néolithique moyen de type La Roberte.
131Les puits 990 des Bagnoles, 6 de L’Héritière et 433 du Clos du Moulin se distinguent toutefois par l’absence de gobelets à épaulement et col haut. Les puits 6 et 433 ont par ailleurs tous deux livré les fragments de plusieurs assiettes à marli et aile décorée de faisceaux de lignes incisées disposées en chevrons. Ces trois assemblages présentent donc une certaine proximité typologique. Dans le même temps, la présence dans deux d’entre eux d’assiettes à marli et aile décorée établit un lien avec les assemblages de type Chassey.
132Les puits 994 des Bagnoles et 66 de L’Héritière ont en commun, outre les jattes carénées et les coupes à sillon interne, les gobelets à épaulement et col haut ainsi que l’absence d’assiettes à marli et aile décorée.
133Nous proposons donc de regrouper les six ensembles dont il a été question ici dans deux variantes distinctes, A et B (fig. 296). La première, qui correspond aux puits 990 des Bagnoles, 6 de L’Héritière et 433 du Clos du Moulin, présente encore quelques éléments issus de la tradition du Néolithique moyen de type Chassey – les assiettes à marli (433 et 6) et la fréquence des anses en ruban (990) – associés à des formes typiques du Néolithique moyen de type La Roberte (jattes carénées et coupes à sillon interne). La seconde, qui regroupe les puits 994 des Bagnoles et 66 de L’Héritière, correspond à l’abandon des assiettes à marli et à la présence du package de type La Roberte complet : les jattes carénées, les coupes à sillon interne et les gobelets à épaulement et col haut. Cette partition correspond globalement à la distinction entre l’étape C et l’étape D1 de Cédric Lepère (Lepère 2012).
8.2.1.3 Le Néolithique moyen de type Mourre de la Barque
134L’étape chronologique suivante correspond au Néolithique moyen de type Mourre de la Barque. Ce groupe culturel est caractérisé par la perduration des jattes carénées et des gobelets à épaulement et col haut, par l’abandon des coupes à sillon interne et par l’apparition de nouvelles formes et de nouveaux décors : les jattes à carène haute, les vases sphériques à microépaulement et col tronconique et, de manière ponctuelle, les cordons lisses horizontaux. Nous ne tiendrons pas compte ici des datations radiocarbone du site éponyme car elles sont issues de niveaux d’occupation stratifiés. Deux ensembles clos importants correspondent à ce groupe culturel et sont datés par le radiocarbone. Le puits 14 de Chemin Féraud (Saint-Maximin, Var ; Berre 2012) a livré deux datations identiques : Poz-45050 4930±40BP et Poz-45051 4930±40BP. Deux autres dates sont issues du puits 2096 de Clos de Roque (Saint-Maximin, Var ; Remicourt et al. 2014) : Poz-47397 4630±40BP (partie supérieure du remplissage) et Poz-47398 4820±30BP (partie inférieure du remplissage). Trois autres dates correspondent à trois ensembles clos : Poz-45044 4880±35BP pour la structure 8 des Martins (Roussillon, Vaucluse ; D’Anna et al. 1987), Beta-262451 4630±40BP pour la structure 3118 et Beta-262452 4530±40BP pour la structure 3033 du site du Plan (Rousset, Bouches-du-Rhône ; Lepère 2012).
8.2.2 Le modèle chronologique
135Nous proposons donc pour le Néolithique moyen la séquence suivante (fig. 297) :
8.2.2.1 Terminus post quem pour la phase Néolithique moyen de type Chassey (6 datations)
136Il s’agit d’ensembles datés par le radiocarbone dans la seconde moitié du Ve millénaire avant notre ère localisés dans l’aire de répartition du Néolithique moyen de type Chassey, mais qui n’en présentent pas les caractéristiques principales. Ces ensembles sont les suivants (voir § 2) : la sépulture 3036 du Barreau de la Devèze (Béziers, Hérault ; Vergély et al. 2012), les structures 6 et 332 des Vigneaux (Cuges-les-Pins, Bouches-du-Rhône ; Sargiano 2018), la structure 8325 du Mas de Vignoles IV (Nîmes, Gard ; Georjon & Léa 2013) et la structure 2319 du Clos de Roque (Saint-Maximin, Var ; Remicourt et al. 2014).
8.2.2.2 Phase Néolithique moyen de type Chassey (31 datations)
137Elle correspond à tous les ensembles du midi de la France qui ont livré au moins une partie du set céramique caractéristique du Néolithique moyen de type Chassey. Selon la présence/absence de certains éléments de ce set, nous proposons de distinguer deux variantes au sein du Néolithique moyen de type Chassey.
Néolithique moyen de type Chassey, variante A (14 datations)
138Les assemblages attribués à cette phase ont la particularité de présenter une partie du « set chasséen » à l’exception des coupes à bourrelet interne et des louches à poignées plates. 14 assemblages datés par le radiocarbone partagent ce critère : les structures 1004, 1044, 1054, 1060, 1124 et 1195 de la Clau (Georjon & Léa 2013), les structures 14, 118, 123, 79, 148 et 200 du Crès (Loison et al. 2004) et les structures 6A et 6B de Giribaldi (Binder 2004).
Néolithique moyen de type Chassey, variante B (14 datations)
139Ce sont les ensembles qui ont livré au moins une partie du « set chasséen », les coupes à bourrelet interne et les louches à poignées plates comprises. Huit ensembles clos datés par le radiocarbone correspondent à ce critère : la structure 3162 du Cadereau d’Alès (Georjon & Léa 2013), le puits de Fumérian (Tchérémissinoff et al. 2016), les structures 82, 121, 207 et 287 du Champ du Poste (Convertini & Georjon 2018), la structure 250 des Bagnoles, la structure 341 de Mazeran (Vidil 2014) et la structure 7 de Giribaldi (Binder 2004).
140Ces deux variantes font clairement partie du Néolithique moyen de type Chassey. Étant attestées dans les mêmes régions, il est permis de supposer qu’elles en constituent deux phases successives. Cependant, nous ne disposons d’aucun argument typologique ou stratigraphique permettant de proposer un ordre chronologique. Le fait que la variante Champ du Poste-les Bagnoles présente une typologie plus « riche » que la variante Le Crès-la Clau peut être interprété soit comme un enrichissement du corpus au cours du temps (auquel cas nous aurions une succession : variante A > variante B ; modèle A) ou, au contraire, comme un appauvrissement (et donc une succession : variante B > variante A ; modèle B). Les deux hypothèses sont recevables.
141Trois datations radiocarbone sont issues d’ensembles qui ne sont attribuables à aucune de ces variantes en particulier (type Chassey s.l.).
8.2.2.3 Phase Néolithique moyen de type La Roberte (30 datations)
142Elle correspond à tous les ensembles du midi de la France qui ont livrés au moins une partie du set caractéristique du Néolithique moyen de type La Roberte. Selon la présence/absence de certains éléments de ce set, nous proposons de distinguer deux variantes.
Néolithique moyen de type La Roberte, variante A (6 datations)
143Ce sont les ensembles clos qui ont livré une partie du « set La Roberte » ainsi que quelques éléments hérités de la tradition Chassey (assiettes à marli et ailes décorées de chevrons ou de losanges), mais pas de gobelets à épaulement et col haut. Cette variante correspond aux assemblages suivants : les puits 6 de L’Héritière (Lepère 2012), 433 du Clos du Moulin (Moreau et al. 2017) et 990 des Bagnoles.
Néolithique moyen de type La Roberte, variante B (11 datations)
144Ce sont les ensembles qui ont livré le « set La Roberte » complet, c’est-à-dire avec les coupes à sillon interne, les jattes carénées et les gobelets à épaulement et col haut, mais sans les assiettes à marli et ailes décorées de chevrons ou de losanges. Cette variante correspond aux assemblages suivants : les puits 10 (fouilles Philippe Chapon) et 66 (fouilles Éric Thirault) de L’Héritière (Chapon et al. 2002, Lepère 2012), les structures 4 et 46 de La Roberte (Beeching 1995, 2002), la structure 319 des Moulins (Brochier & Ferber 2009), le puits 994 et le silo 1010 des Bagnoles.
145La variante A présente au moins deux éléments hérités de la tradition du Néolithique moyen de type Chassey : les assiettes à marli et aile décorée dans les puits 6 de L’Héritière et 433 du Clos du Moulin, et la fréquence des anses en ruban dans le puits 990 des Bagnoles. À l’inverse la variante B est caractérisée par la présence de gobelets à épaulement et col haut, encore présents dans l’étape suivante, le Néolithique moyen de type Mourre de la Barque. Ces liens avec l’étape antérieure et l’étape postérieure nous conduisent à proposer la succession variante A puis variante B.
146Treize datations proviennent d’ensembles relativement pauvres en mobilier qui n’ont, de ce fait, pas pu être attribués à l’une ou à l’autre des variantes A et B.
8.2.2.4 Phase Néolithique moyen de type Mourre de la Barque (7 datations)
147L’étape suivante est constituée par les datations qui correspondent au Néolithique moyen de type Mourre de la Barque : le puits 14 de Chemin Féraud (deux dates ; Berre 2002), le puits 2096 du Clos de Roque (deux dates ; Remicourt et al. 2014), la structure 8 des Martins (D’Anna et al. 1987) et les structures 3033 et 3118 du Plan de Rousset (Lepère 2012). Ces sept datations constituent une contrainte haute pour le Néolithique moyen de type La Roberte.
8.2.2.5 Terminus ante quem pour la fin du Néolithique moyen (4 datations)
148Les rares datations du début du Néolithique final (Ferrières en Languedoc, Néolithique final type Goulard en Provence ; Jallot & Gutherz 2014, van Willigen et al. 2014) constituent dans notre modèle un terminus ante quem pour la fin du Néolithique moyen. Elles sont issues d’ensembles clos ayant livré au moins un élément caractéristique des deux groupes culturels mentionnés ci-dessus. Il s’agit des structures 37.01 de Cadarache (Saint-Paul-les-Durance, Bouches-du-Rhône ; Martin et al. 2016b), 1195 du Chemin de Barjols (Saint-Maximin, Var ; Cockin & Furestier 2009), 153 des Terres-Longues (Trets, Bouches-du-Rhône ; Lemercier 2010b) et 1391 du Mas de Vignoles IX (Nîmes, Gard ; Jallot & Gutherz 2014).
8.2.3 Résultats de la modélisation
149Plus riche et mieux contraint que le modèle analysé précédemment (van Willigen et al. 2014), le modèle chronologique proposé ici n’en est pas moins très proche. Il s’en différencie principalement par l’ajout d’une phase antérieure au Néolithique moyen de type Chassey (terminus post quem), de deux sous-ensembles typologiques inclus dans la phase Néolithique moyen de type Chassey et de deux sous-ensembles chrono-typologiques inclus dans la phase La Roberte. Les calculs ont été réalisés à l’aide du logiciel ChronoModel, version 2.0 (Lanos & Dufresne 2019).
150Les événements sont généralement construits à partir d’une seule détermination radiocarbone, à quelques exceptions près puisque nous disposons de deux déterminations pour Chemin Féraud (structure 14), Clos de Roque (structure 2096), La Roberte (structure 4), l’Héritière (structure 6), Clos du Moulin (structure 433) et les Bagnoles (structures 9, 990 et 994), de trois déterminations pour L’Héritière (structure 66) et de six déterminations pour les Bagnoles (structure 250). Ces datations multiples permettent d’obtenir une meilleure définition des événements correspondants.
151Une mention particulière concerne la sépulture secondaire à crémation 51 des Bagnoles : en l’absence de graine ou de branchette, les trois mesures radiocarbone ont été effectuées sur des charbons de bois (l’un attribué à un feuillu, les deux autres rapportés au genre Pinus) extraits du remplissage de la fosse et peut-être issus du bûcher. La taille très réduite de ces charbons de bois (de l’ordre du millimètre) n’a pas permis d’estimer le diamètre des branches dont ils proviennent. Les trois dates correspondantes sont de ce fait affectées d’un potentiel « effet vieux bois » d’ampleur indéterminée. Nous avons considéré que la date calendaire de l’évènement sépulcral suivait une distribution uniforme sur la période d’étude (ici 5500-2500 cal. BC) soumise à deux contraintes : l’événement est postérieur à chacun des trois événements associés aux charbons de bois et il appartient à la deuxième phase (Néolithique moyen de type Chassey) du modèle chronologique. Les trois événements qui nous sont connus par les trois déterminations radiocarbone sur charbons de bois correspondent à un moment de la vie de trois arbres. La contemporanéité entre ces trois événements et le Néolithique moyen de type Chassey est possible, mais indémontrable. En conséquence, à l’inverse de la date (modélisée) de l’évènement sépulcral, ces dates n’ont pas été incluses dans la phase Néolithique moyen de type Chassey.
152Enfin, aucun des événements rassemblés dans ce nouveau modèle en cinq phases (et deux sous-phases) successives ne bénéficie d’une information chronologique a priori, si ce n’est son appartenance à une des phases.
153Nous soulignions plus haut que, sur des critères typologiques, il était possible d’isoler quatre variantes : deux à l’intérieur de la phase La Roberte (variantes A et B), à valeur probablement chronologique, et deux à l’intérieur de la phase Néolithique moyen de type Chassey (variantes A et B) qui pouvaient se succéder dans un ordre actuellement indéterminé. Dans ce dernier cas, il apparaît que la convergence des simulations est obtenue pour les deux hypothèses chronologiques variante B antérieure à variante A ou variante B postérieure à variante A, les évènements les moins conformes à chacun des deux modèles étant simplement permutés. En d’autres termes, compte tenu du petit nombre d’événements utilisés, les deux hypothèses pourraient être aussi bien acceptées que refusées.
154Dans le modèle chronologique final analysé (fig. 297), nous n’avons donc conservé aucune contrainte chronologique entre les deux variantes de la phase Néolithique moyen de type Chassey. Les distributions a posteriori des âges calendaires montrent en effet que leur étalement est très proche, pour ne pas dire identique, à celui que l’on observe pour l’ensemble de la phase Néolithique moyen de type Chassey (fig. 298-299). Le même test effectué sur les deux variantes de la phase La Roberte restitue clairement la succession variante A – variante B suggérée par l’analyse typologique. À moins de considérer que certaines des mesures radiocarbone utilisées ont un problème de justesse, ce résultat montre que la chronologie ne suffit pas, en l’état, à expliquer les différences typologiques observées entre les deux variantes du Néolithique moyen de type Chassey. La question de leur succession et de l’ordre de cette succession reste donc entière. Elle ne pourra être reconsidérée que lorsque nous disposerons de datations multiples (sur échantillons à vie courte) d’ensembles clos attribuables sans ambiguïté à l’une ou à l’autre de ces variantes.
155Les principaux résultats de cette actualisation de la chronologie du Néolithique moyen, résumés dans les figures 298-299, sont globalement peu différents de ceux que nous présentions en 2014. On soulignera cependant une nette amélioration de l’estimation du début de la phase Néolithique moyen de type Chassey (HPD 95 %2 : 4430 – 4310 cal. BC, MAP3 4360 cal. BC) grâce à l’incorporation de six événements antérieurs au Néolithique moyen de type Chassey regroupés dans la phase « Terminus post quem Néolithique moyen de type Chassey ». Le modèle proposé est également plus riche puisqu’il scinde la phase La Roberte en deux épisodes successifs de durées inégales : la variante A (la plus ancienne ; HPD 95 % 4050 – 3970 cal. BC, MAP 4010 cal. BC) et la variante B (la plus récente ; HPD 95 % 3950 – 3810 cal. BC, MAP 3900 cal. BC).
156L’analyse ne permet pas de mettre en évidence un hiatus entre les trois étapes principales du Néolithique moyen, conclusion qu’illustre fort bien un Tempo-Plot construit en regroupant dans une phase unique tous les événements inclus dans chacune des trois phases (fig. 300) ; il en est de même des deux variantes typo- chronologiques qui constituent l’épisode La Roberte. Contrairement à ce que suggérait notre analyse de 2014, les durées de chacune des trois étapes du Néolithique moyen (Néolithique moyen de type Chassey, Néolithique moyen de type La Roberte et Néolithique moyen de type Mourre de la Barque) sont du même ordre de grandeur, autour de trois siècles (fig. 299 et 301).
157L’ensemble de ces trois étapes apparaît durer, quant à lui, environ un millénaire (HPD 95 % 870 – 1200 années, MAP 1030 années). Les deux épisodes constitutifs de la phase La Roberte semblent, par contre, avoir des durées très différentes : HPD 95 % 0 – 110 années et MAP 70 années pour la variante A contre HPD 95 % 60 – 260 années et MAP 170 années pour la variante B.
8.2.4 Conclusions
158Ces résultats permettent de préciser le panorama général des groupes culturels du Néolithique moyen présentés dans le chapitre 2 (fig. 302). Les dates mentionnées ci-dessous correspondent aux MAP de la modélisation quand ils sont disponibles.
159Le groupe de Simandres n’est défini que de manière sommaire en raison de la rareté des ensembles clos et du nombre réduit de caractères spécifiques. Seuls de nouveaux assemblages à la fois étoffés et datés par le radiocarbone permettront de préciser dans quelle mesure il s’agit là d’une classification pertinente. En l’état actuel des connaissances, ce groupe culturel est attesté dès la première moitié du Ve millénaire avant notre ère. Il pourrait perdurer jusqu’à l’apparition du Néolithique moyen de type Chassey, vers 4360 cal. BC, dans les régions occupées par ce groupe culturel, voire jusqu’à la fin du Ve millénaire pour le site éponyme situé plus au nord, dans la région de Lyon.
160Le Néolithique moyen de type Chassey débute à l’échelle du Midi méditerranéen vers 4360 cal. BC et dure jusqu’environ 4030 cal. BC. Ce groupe culturel est défini sur la base d’une dizaine de formes céramiques (fig. 303, en bas). L’industrie lithique associée est orientée sur la production d’éclats et de lames débitées par percussion indirecte et plus rarement par pression. Le traitement thermique n’est pas attesté de manière formelle. L’obsidienne, importée de Lipari, est représentée de manière ponctuelle. Il n’est, en l’état actuel des connaissances, pas possible de proposer une subdivision chronologique de ce groupe culturel.
161Le Néolithique moyen de type La Roberte commence vers 4010 et se termine vers 3700 cal. BC. Il est marqué par l’abandon progressif de la majorité des formes céramiques caractéristiques du groupe culturel précédent et par l’apparition de plusieurs formes nouvelles (en particulier les jattes carénées et les coupes à sillon interne) et de quelques innovations importantes : le traitement thermique du silex bédoulien pour la production de lamelles, les fusaïoles, une première utilisation, probablement éphémère, du cuivre pour la réalisation d’alènes et une augmentation significative des importations d’obsidienne qui proviennent maintenant de Sardaigne. La première phase (notre variante A ou La Roberte A ; 4010-3930 cal. BC) est caractérisée par l’apparition de nouvelles formes parallèlement à la pérennité de certains traits caractéristiques du Néolithique moyen de type Chassey : anses en ruban et en boudin, assiettes à marli et aile décorée. Ce n’est que durant la seconde phase (notre variante B ou La Roberte B ; 3900-3710 cal. BC) qu’apparaît l’ensemble des traits caractéristiques de ce groupe (fig. 303, au milieu).
162Le passage au Néolithique moyen de type Mourre de la Barque (3680-3340 cal. BC) est marqué, tout au moins sur le plan de la céramique, par une relative continuité culturelle avec la perduration de la majorité des formes caractéristiques de l’étape précédente (fig. 303, en haut). Cependant, l’apparition de nouveaux types de décors plastiques (cordons lisses et « pseudo-carènes ») qui préfigurent certaines caractéristiques des groupes culturels du début du Néolithique final, justifie à nos yeux une dénomination particulière pour cet horizon.
8.3 Économie et alimentation
F. Antolín, A. Jesus, F. Follmann, S. Jacomet, M. Schäfer, J. Schibler
163En raison des conditions taphonomiques particulières qui règnent sur le site, rares sont les structures qui ont livré des restes organiques susceptibles de nous renseigner sur l’économie végétale et animale. Par ailleurs, l’état de conservation des restes humains issus des sépultures secondaires n’a pas permis de réaliser des analyses isotopiques4. Les informations relatives à l’économie et l’alimentation proviennent donc de quatre structures. Deux de ces structures sont attribuables au Néolithique moyen de type Chassey. La structure 68, une cuvette comblée par un remplissage de galets et de mobilier archéologique, a livré 250 restes fauniques déterminables, quelques charbons de bois, mais aucun reste carpologique. Le puits 250 présentait dans ses niveaux inférieurs une excellente conservation des restes organiques. Plusieurs milliers de macrorestes végétaux et 337 restes fauniques (hors microfaune et insectes) déterminés en sont issus.
164Les deux autres structures correspondent à l’occupation du Néolithique moyen de type La Roberte : le puits 990, daté vers la fin du Ve millénaire, avec plus de 5000 carporestes et 80 restes fauniques (hors microfaune et insectes) déterminables et le puits 994, sensiblement plus récent, duquel proviennent près de 5000 carporestes et 34 restes fauniques (hors microfaune et insectes) déterminés.
8.3.1 Économie végétale
165Les corpus de plantes cultivées issus des trois puits découverts sur le site des Bagnoles sont intéressants non seulement parce qu’ils viennent compléter les spectres connus jusqu’à présent pour le Néolithique moyen méditerranéen (Martin et al. 2016a) mais également parce que, se succédant entre environ 4200 et 3800 avant notre ère, ils couvrent le passage du Néolithique moyen type Chassey au Néolithique moyen type La Roberte.
166Notre objectif sera d’examiner comment les résultats de l’étude des trois puits des Bagnoles s’intègrent dans notre connaissance de l’exploitation des ressources végétales et de son évolution au cours du Néolithique moyen et dans quelle mesure ils permettent d’en préciser certains aspects.
167Un des principaux intérêts de l’étude des restes végétaux conservés en milieu humide concerne les plantes sauvages (Antolín & Jacomet 2015). Cette étude actuellement en cours a été présentée de manière préliminaire dans la partie consacrée au site dans son milieu naturel (§ 3.4). Nous nous concentrerons ici sur les plantes cultivées et sur la comparaison des corpus issus des puits des Bagnoles (présentés dans les chapitres 6 et 7) avec d’autres spectres du Néolithique moyen du midi de la France provenant de puits et, sur la base d’une synthèse récente (Martin et al. 2016a), de structures d’habitat classiques.
8.3.1.1 Caractères généraux des restes végétaux issus des trois puits néolithiques des Bagnoles
168Les comblements de puits reflètent des processus taphonomiques complexes liés pour l’essentiel aux activités exercées à proximité du puits pendant, mais surtout après la phase d’utilisation de celui-ci (cf. § 3.4.2.1). Le sédiment est alors constitué de restes divers (cadavres et restes de boucherie, fumier et vidanges de foyer, dépôts rituels).
169Dans des conditions taphonomiques « normales », l’ensemble du remplissage est susceptible de renfermer des restes carbonisés. Par contre, seules les parties immergées en permanence depuis le Néolithique peuvent livrer des restes végétaux imbibés.
170Pour les trois puits étudiés ici et dont les carporestes ont été présentés dans le détail dans les chapitres 6 et 7, la densité de restes déterminables dans la zone immergée dépasse fréquemment les 100 restes par litre. Elle est donc plus basse que dans le cas des sites lacustres (où elle atteint généralement au minimum 10 000 restes par litre) et des puits rubanés de Saxe (Herbig et al. 2013, fig. 41). Ceci doit être probablement mis sur le compte de la disparité des processus de comblements, qu’il conviendra de préciser dans le cadre d’une analyse plus poussée. La grande majorité des carporestes est conservée à l’état imbibé (74,5 % dans le cas du puits 250, 96,6 % pour le puits 990 et 85 % pour le puits 994). La part réduite des restes carbonisés est tout à fait conforme à ce que l’on peut observer sur les sites lacustres (hors couches d’incendie) et dans les puits rubanés.
171Les taxons déterminés dans les zones immergées des trois puits sont au nombre de 112, ce qui est une valeur très haute en comparaison avec d’autres ensembles de ce type (ce d’autant plus que cette valeur ne tient pas compte des taxons qui n’ont pas encore fait l’objet d’une détermination précise). Il s’agit en particulier de différentes graminées sauvages (Poaceae) et de plusieurs variétés d’Asteraceae. Les familles Brassicaceae, Cyperaceae et les genres Galium, Geranium, Juncus, Potentilla, Rumex (qui ont en partie conservé leur périanthe et sont de ce fait déterminables) sont également représentés parplusieurs variétés. Cette diversité est plus grande que celle d’échantillons provenant de couches d’habitat lacustres (Jacomet et al. 1989a, 70 et données inédites IPNA) et se rapprochent des spectres très riches des puits rubanés de Saxe (Herbig et al. 2013, fig. 40).
172Les échantillons de la structure 250 proviennent à la foisde la zone immergée et de la zone émergée. Comme on pouvait s’y attendre, les sédiments émergés ont livré presque exclusivement des restes carbonisés, hormis quelques graines très résistantes telles que le sureau (Sambucus). La densité moyenne est alors inférieure à 20 restes carbonisés par litre, ce qui est une valeur très basse. Les restes carbonisés sont essentiellement des céréales, comme cela est généralement le cas sur les sites terrestres. Ces chiffres montrent bien à quel point la richesse des échantillons peut varier selon le milieu de dépôt. Cette constatation rejoint les observations faites sur les sites rubanés qui ont livré des puits tels que Schkeuditz-Altscherbitz (Herbig et al. 2013).
173À l’instar de la situation rencontrée dans les puits rubanés de Saxe, les trois puits des Bagnoles contiennent de nombreux restes de céréales, en particulier des restes de balles à l’état imbibé, plus rarement carbonisés. Les balles de céréales étant en partie issues du traitement des céréales, on peut supposer que celui-ci avait lieu dans les environs des puits. Toutefois, une partie des restes imbibés de balles de céréales, en particulier celle des structures 990 et 994, peut également provenir de déjections animales (Valamoti 2013, Wallace & Charles 2013).
174La présence de carporestes de plantes adventices est intimement liée à l’occurrence de plantes cultivées. Elles se sont déposées au moins en partie simultanément et sont le résultat d’activités agricoles dans les environs.
8.3.1.2 Comparaisons
Les spectres de plantes cultivées issus de puits du Néolithique moyen dans le midi de la France
175Les structures avec conservation en milieu humide sont encore extrêmement rares dans le midi de la France. On peut citer le puits du Mas de Vignoles IX (Nîmes, Gard ; Figueiral & Séjalon 2014) ou encore celui du Clos de Roque (Saint-Maximin, Var ; Martin 2012). Alors que la base du remplissage du puits du Mas de Vignoles n’a livré que peu de restes imbibés, ces derniers étaient abondants dans le comblement du puits du Clos de Roque (fig. 304). Malheureusement, le volume de l’échantillonnage avant tamisage n’a pas été mesuré et les refus de tamis ont été séchés, ce qui a conduit à la disparition des restes les plus fragiles. Cela pourrait expliquer l’absence de balles de céréales ou de restes de lin. Les informations relatives à l’état de conservation des restes manquent dans les deux cas.
176De manière générale, la quantité de restes carbonisés étant dans ces cas très basse, il est difficile de s’y référer pour caractériser l’agriculture céréalière des groupes culturels néolithiques correspondants. Parallèlement, les graines de pavot (vraisemblablement imbibées) ont été découvertes dans les deux puits de Mas de Vignoles IX et de Clos de Roque. Cela confirme l’importance de ce taxon, mais également le fait qu’il est sous-représenté dans les ensembles exempts de conditions de conservation en milieu humide. À l’inverse, ces deux puits n’ont livré aucun reste de légumineuses.
Les spectres de plantes cultivées issus d’autres types de structures du Néolithique moyen dans le midi de la France
Les spectres de l’horizon chronologique du Néolithique moyen de type Chassey
177Une dizaine de spectres correspondent à cette période dans le midi de la France (fig. 305). Ils sont constitués des restes issus d’une ou de plusieurs structures datées par le radiocarbone et/ou par le mobilier céramique associé. Cet horizon chronologique est caractérisé par la prédominance de l’orge nue et du blé nu (fig. 306). Cette situation rejoint les observations faites dans le nord-est de la péninsule ibérique pour la même période (Antolín et al. 2015). Seul le spectre de la structure 287 du Champ du Poste, au sein duquel les blé vêtus sont dominants, échappe à cette règle (Figueiral 2018, tab. 57).
178Les restes de légumineuses sont rarement signalés pour cette période. Seul le site de Villa Giribaldi a livré quelques indices de la présence de lentille (Lens culinaris), pois (Pisum sativum) et gesse (Lathyrus sativus/cicera). Aux Bagnoles, des restes de lentilles sont attestés dans le puits 250. Toutefois, s’agissant d’un échantillon actuellement en cours de traitement, ils n’apparaissent pas dans les décomptes.
Les spectres de l’horizon chronologique du Néolithique moyen de type La Roberte
179Douze spectres carpologiques correspondent à cette période (fig. 307). Pour les puits 990 et 994, nous avons également tenu compte des restes de balles, les effectifs de graines n’étant pas à eux seuls nécessairement représentatifs de l’ensemble du corpus.
180Une des caractéristiques les plus frappantes de cette période est l’augmentation des proportions de blés vêtus, en particulier de l’engrain (Triticum monococcum ; fig. 308). Quelques spectres comme celui de la Grotte du Taï présentent les mêmes caractéristiques que ceux de l’horizon chronologique précédent. Dans les ensembles les plus septentrionaux tels que Vaise, La Motte aux Magnins et Clairvaux XIV, le blé amidonnier (Triticum dicoccum) est alors l’espèce prédominante. Sur le site des Bagnoles, il est possible d’observer une évolution entre les puits 990 et 994 avec une nette augmentation de l’engrain dans ce dernier. Ce phénomène est d’autant plus intéressant qu’il est perceptible à la fois dans les décomptes des graines que dans ceux des restes de balles, au sein d’un même site. On retrouve cette même tendance sur les sites voisins de La Roberte (Châteuneuf-du-Rhône, Drôme), des Moulins (Saint-Paul-Trois-Châteaux, Drôme) et de Claparouse (Lagnes, Vaucluse) ainsi qu’à la Baume de Fontbrégoua (Salernes, Var), mais pas à la grotte du Taï, où les proportions ne varient que très peu au cours du Néolithique moyen. Il pourrait donc s’agir d’une tendance commune aux régions situées à l’est du Rhône. Dans les cas d’Auriac (Carcassonne, Aude) et de Jardins de Vert Parc (Castelnau-le-Lez, Hérault), il est plus difficile de se prononcer dans la mesure où les blés vêtus n’ont pas pu être déterminés jusqu’à l’espèce.
181Pour ce qui concerne les légumineuses, le pois est attesté dans les spectres des Bagnoles, du Chenêt des Pierres (Bozel, Savoie) et des Moulins (Saint-Paul-Trois-Châteaux, Drôme) tandis que la vesce commune (Vicia sativa) est abondante sur le site de Claparouse (Lagnes, Vaucluse ; Bouby & Léa 2006). Cette espèce est vraisemblablement sous-représentée dans les corpus et son rôle dans l’économie végétale est encore difficile à évaluer.
182Les plantes oléagineuses sont principalement représentées dans les ensembles à conservation en milieu humide. Elles sont présentes en quantité modeste dans les puits 990 et 994 des Bagnoles, mais elles sont abondantes dans les spectres issus des sites lacustres de Clairvaux (Schaal & Pétrequin 2015). Cette situation illustre bien le fait que ce type de plante n’est présent que dans les sites caractérisés par une excellente conservation des restes organiques.
8.3.1.3 Conclusions
183Bien qu’elle soit encore en cours, l’étude carpologique du site des Bagnoles a d’ores et déjà livré des résultats extrêmement intéressants en ce qui concerne l’économie végétale lors des différentes occupations du site. Ainsi, il semblerait que les spectres issus des deux puits les plus anciens (250 et 990 ; dernier tiers du Ve millénaire avant notre ère) soient dominés par l’orge et le blé nu tandis que le puits le plus récent (994 ; début du IVe millénaire) montre une augmentation sensible de la proportion des blés vêtus au dépend de l’orge. Ce phénomène a déjà été observé à l’échelle de l’ensemble du midi de la France (Martin et al. 2016a) et le site des Bagnoles s’intègre bien dans ces résultats. Cette étude permet en outre de suivre cette évolution sur un même site. Sur le plan chronologique, et toujours pour ce qui concerne le site des Bagnoles, ce passage semble avoir lieu durant la période comprise entre le comblement du puits 990 (vers 4000 cal. BC) et celui du puits 994 (vers 3900 cal. BC).
184Les raisons de ce glissement en faveurdes blés vêtus sont encore l’objet de discussions : nouveaux influx en provenance des populations voisines, exploitation de sols maigres... Une étude récente fondée sur des analyses palynologiques (Contreras et al. 2018) montre pour le midi de la France l’existence d’un épisode de diminution des températures et des précipitations précisément vers 4000 avant notre ère. La meilleure représentation des taxons de prairies sèches et la diminution des taux de plantes aquatiques dans les puits 990 et 994 (voir § 3.4.2.2 et fig. 41 et 43) ainsi que la présence d’insectes supportant les périodes sèches dans le puits 994 (§ 7.1.5.2) pourraient aller dans ce sens. Ces résultats doivent être encore confirmés, mais il est possible que ce glissement soit une réponse commune sur une large région, bien au-delà des trois puits des Bagnoles. Un des objectifs du projet du Fonds national suisse de la recherche scientifique 2018-2021 (voir § 4.3) est précisément de se pencher sur les causes de ce changement en faisant appel à une démarche intégrative fondée sur des données issues de la carpologie, l’entomologie, la microfaune et des mesures d’isotopes stables. Dans ce cadre, le site des Bagnoles, avec ses trois puits à la fois datés par le radiocarbone et riches en restes organiques, constitue une étude de cas idéale.
8.3.2 Économie animale
185Les restes fauniques sont essentiellement issus de quatre structures néolithiques : la structure 68 – seule structure peu profonde dans laquelle ce type de restes était conservé – et le puits 250 attribués au Néolithique moyen de type Chassey, ainsi que les deux puits 990 et 994, attribués au Néolithique moyen de type La Roberte.
186Le puits 250, avec 337 restes, a livré un corpus statistiquement exploitable. Les puits 990 et 994 n’ont livré qu’un nombre réduit de restes déterminés (respectivement 195 et 34) et n’offrent donc pas une base statistique suffisante. Le cas de la structure 68 est sensiblement différent dans la mesure où elle a livré un nombre consistant de restes déterminés (250). Il s’agit toutefois d’un creusement peu profond dont le contenu était soumis aux conditions taphonomiques habituelles sur le site de telle sorte que seuls les restes les plus massifs avaient des chances d’être préservés. Les décomptes obtenus à partir des restes fauniques issus de cette structure sont donc à considérer avec précaution.
187Malgré ces réserves, ces trois structures apportent de précieuses informations relatives à l’alimentation sur le site au cours du Néolithique moyen. Après un bref rappel des caractères généraux des corpus des Bagnoles présentés de manière exhaustive dans les § 6.1 et 7, nous proposons de situer ces résultats par rapport aux caractères principaux de la documentation archéozoologique et aux grands traits de l’économie animale du Néolithique moyen méditerranéen décrits dans plusieurs synthèses récentes (Carrère & Forest 2003, Helmer et al. 2005, Bréhard 2007, 2011, Bréhard et al. 2010, Blaise et al. 2010, Forest 2018).
188Les spécificités des spectres fauniques du Néolithique moyen méditerranéen seront mises en lumière au travers de comparaisons avec les régions voisines qui, telles que la haute vallée du Rhône ou le plateau suisse, disposent de corpus à la fois bien conservés et étoffés.
8.3.2.1 Caractères généraux des données archéozoologiques fournies par le site des Bagnoles
189Dans les trois puits, la partie du remplissage qui a été continuellement sous la surface de la nappe phréatique offre les meilleures conditions de conservation pour les restes osseux. C’est de ce secteur que provient la plus grande partie des restes fauniques des puits 250 et 990. Le remplissage du puits 994 représente un cas particulier dans la mesure où l’essentiel des restes osseux provient de la partie du remplissage située au-dessus de la surface de la nappe phréatique. Dans les trois cas, la part d’ossements qui présentent des cassures érodées est plus importante dans les horizons supérieurs du remplissage. Les restes issus de la partie inférieure des puits semblent donc y avoir été rapidement déposés tandis qu’une partie des restes provenant des niveaux supérieurs du remplissage présentent les stigmates d’un séjour prolongé à l’air libre.
190La dispersion verticale des squelettes et des parties de squelette, peu importante, va dans le sens d’un acheminement relativement rapide des restes vers les trois puits. Toutefois, la présence de nombreux restes de microfaune (en cours d’étude) et les traces de morsure de rongeurs permettent d’envisager que les puits sont restés ouverts un certain temps avant d’être comblés. La présence d’une hermine dans le puits 250 et d’une belette dans le puits 990 est probablement liée à la présence de petits rongeurs dans les puits en cours de comblement. Ces petits carnivores y ont probablement été attirés par des souris – qui constituent leurs principales proies – et n’ont pu en ressortir.
191L’étude des spectres fauniques montre très clairement que la chasse ne jouait qu’un rôle anecdotique dans l’alimentation des groupes néolithiques installés sur le site des Bagnoles. Il ne s’agit pas d’un résultat ponctuel qui pourrait être lié à une situation particulière (traitement et consommation de la faune chassée dans un autre lieu) puisqu’il se répète dans les trois puits à plusieurs siècles d’intervalle.
192Le bœuf et les caprinés constituent la base de l’alimentation carnée. Le rôle du porc est plus difficile à cerner. Il était présent sur le site tout au moins durant la période qui correspond au comblement du puits 250, c’est-à-dire à la fin du Ve millénaire. Même si les restes sont rares, la présence d’un fœtus et d’un porcelet permet d’envisager la présence d’un troupeau de porcs sur le site ou à proximité. Leur importance dans l’alimentation ne peut être évaluée.
193La courbe des âges d’abattage des bœufs et des caprinés (voir annexe 10) ne fait apparaître aucune gestion spécifique destinée à obtenir des produits secondaires. Les animaux domestiques du Néolithique moyen appartiennent probablement encore à des races dont le comportement relatif aux naissances et à la lactation est encore régi par un rythme naturel. À la différence des bœufs, les chèvres et les moutons étaient encore à même de produire du lait en l’absence de leurs agneaux et chevreaux. Même s’il est peu élevé, le nombre de restes issus du puits 250 ne permet pas d’entrevoir un abattage préférentiel d’animaux âgés de 1-2 ans. Les données issues des puits 990 et 994 vont également dans ce sens. Il faut toutefois signaler qu’une exploitation de la viande couplée à une consommation modérée du lait ne se manifeste pas nécessairement dans la courbe des âges d’abattage. Aucun indice ou pathologie particulière ne permet d’envisager une exploitation de la force animale. Il semble par contre probable que les bœufs et les caprinés étaient élevés sur le site ou à proximité puisque toutes les classes d’âge d’un troupeau sont attestées.
194La présence de quelques squelettes partiels d’individus juvéniles (voir de fœtus dans le cas du puits 250) dans la partie inférieure du remplissage des trois puits est un indice intéressant. Dans le cas des bœufs et des caprinés, les naissances avaient alors toujours lieu au printemps. À titre d’hypothèse, il est donc permis de placer le début de la phase de remplissage de ces structures à la fin du printemps ou au commencement de l’été.
8.3.2.2 Comparaisons
Problèmes méthodologiques
195La variabilité des conditions taphonomiques constitue l’obstacle principal auquel se heurte la comparaison de différents assemblages archéozoologiques. Elle se manifeste surtout à travers l’état de conservation des sites considérés (sites lacustres, puits, sites terrestres) qui conditionne l’intégrité des restes osseux ainsi que la précision des datations. Ainsi, tandis que les sites terrestres, exclusivement datés par le radiocarbone, ne sont calés en chronologie qu’avec une précision de l’ordre de 50-100 ans, les ensembles issus de sites lacustres sont fréquemment datés par la dendrochronologie avec une précision de l’ordre de 10 à 20 ans. Même si elles se sont multipliées ces dernières années, les découvertes de puits sont encore rares dans le midi de la France et leur remplissage ne peut être daté (jusqu’à présent) que grâce au radiocarbone. Les datations typologiques d’ensembles issus de sites terrestres atteignent rarement une précision supérieure à 2-3 siècles. Dans ces conditions, il est délicat de proposer une comparaison directe entre les corpus fauniques du midi de la France, en majorité issus de sites terrestres, et ceux du Plateau suisse provenant exclusivement de sites lacustres.
196Nous avons opté pour des graphes en barres horizontales (cf. infra fig. 310-314) illustrant chacun des groupes de taxons (faune chassée et faune domestique) et pour chacun des taxons (boeuf, capriné, porc, chien). Les ensembles fauniques du midi de la France (ainsi qu’un ensemble italien : la Maddalena à Chiomonte, Piémont) pour lesquels nous ne disposons pas de données chronologiques précises, ont été attribués à deux blocs chronologiques : 4300-4000 et 4000-3600 avant notre ère. Ces ensembles sont donc placés de manière aléatoire au sein de leurs blocs chronologiques respectifs. Ceux de la haute vallée du Rhône, datés par des séries radiocarbone ont été représentés par des barres larges en accord avec l’imprécision relative des datations. Les ensembles fauniques du Plateau suisse, quant à eux, ont été placé en fonction de leur datation dendrochronologique. L’ensemble des corpus est classé dans l’ordre chronologique (du bas vers le haut) et de leur localisation géographique avec de gauche à droite : le midi de la France (Languedoc et Provence), la haute vallée du Rhône (Valais), l’ouest du Plateau suisse (lac de Bienne, lac de Neuchâtel et lacs mineurs de Suisse centrale) puis l’est du Plateau suisse (lacs de Zurich, de Constance et de Zoug).
197Pour comparer les fréquences de la faune sauvage et de la faune domestique, les calculs tiennent compte du nombre total de restes déterminés (NRd = 100 %). Les spectres de restes domestiques sont calculés sur la base du nombre total de restes domestiques (NR domestiques = 100 %).
Comparaisons à l’échelle du midi de la France
198Sur le plan régional, nous disposons actuellement de plus d’une trentaine de corpus issus d’une vingtaine de sites de plein air : Villa Giribaldi (ensemble du site ; Nice, Alpes-Maritimes ; Binder 2004), l’Élysique (structures 201, 204 et 205 ; Mailhac, Aude ; Forest 2018), le Crès (structure 200 ; Béziers, Aude ; Forest 2018), le Champ du Poste (structures 239, 246, 247 et 269 ; Carcassonne, Aude ; Forest 2018),la Terrasse (puits R21-1 ; Villeneuve-Tolosane, Haute-Garonne ; Gandelin 2011), Auriac-Golf (structures 11 et 68 ; Carcassonne, Aude ; Forest 2018) et le Cadereau d’Alès (structure 3162 ; Nîmes, Gard ; Forest 2018) pour la période antérieure à 4030 avant notre ère, Agora (fossés F3 et S80 ; Cugnaux, Haute-Garonne ; Gandelin 2011), les Moulins (Saint-Paul-Trois-Châteaux, Drôme ; Bréhard 2011), le Gournier (zones E-F ; Montélimar, Drôme ; Bréhard 2011), Clos du Moulin (puits 431, 433, 714 et 720 ; Vernègues, Bouches-du-Rhône ; Moreau et al. 2017), la Toronde (fosse ? ; Cavanac, Aude ; Gandelin 2011), la Terrasse (fossé P17-1 ; Villeneuve-Tolosane, Haute-Garonne ; Gandelin 2011), La Roberte (ensemble du site ; Châteauneuf-du-Rhône, Drôme ; Bréhard 2011), Auriac I et II (sondages des années 1970 et fouilles des années 1980 ; Thérèse Poulain dans Vaquer & Guilaine 1973, Bréhard 2011) ainsi que le Clos de Roque (puits 2096 ; Saint-Maximin, Var ; Remicourt et al. 2014) pour la période postérieure à 4010 avant notre ère. Deux sites hors des limites régionales ont été rajoutés à cette liste : le Camp de Chassey (niveaux 9-7 ; Chassey-le-Camp, Haute-Saône ; Thevenot 2005) et la Maddalena (ensemble de l’habitat ; Piémont ; Francesco Fedele in Bertone & Fozzati 2002). Ce dernier site correspond à un niveau d’habitat sous bloc.
199Dans la majorité des cas, les corpus listés sont issus d’une seule structure ou d’un niveau d’occupation. Ce type d’information n’est toutefois pas toujours disponible et quelques spectres, tels que ceux des Moulins, du Gournier et de La Roberte correspondent à la faune provenant de plusieurs structures, voire de l’ensemble du site. Le nombre de restes déterminés varie considérablement (fig. 309), de plus de 3000 dans le cas des niveaux 8 et 9 du Camp de Chassey et du remplissage du puits R21-1 de La Terrasse à 81 restes pour la structure 205 de l’Élysique. Hormis le cas des Bagnoles, nous n’avons pas tenu compte des corpus inférieurs à 80 restes déterminés.
200Sans entrer dans le détail, les spectres issus des trois puits des Bagnoles s’intègrent bien dans le cadre régional mis en place ces dernières années pour les sites de plein air du Néolithique moyen (Bréhard 2011, Forest 2018). L’élevage est dominant (fig. 310) même si le statut domestique des suinés n’est pas toujours assuré. La part représentée par ces derniers étant modeste, ils ne sont pas en mesure d’influencer ce résultat de manière déterminante.
201Les bovins et les caprinés constituent les espèces dominantes (fig. 311-312). Il est à ce sujet intéressant de constater que les taux de caprinés issus des remplissages de puits (fig. 312, en rouge) sont au-dessus de la moyenne. Nous avons ici peut-être affaire à un effet des conditions taphonomiques favorables qui règnent dans les sédiments issus de puits. Si c’était le cas, il faudrait alors admettre que les restes de caprinés sont sous-estimés sur les sites terrestres de plein air. Les restes de suidés et de chiens sont, quant à eux et à quelques exceptions près, peu représentés, que ce soit au sein du remplissage des puits ou sur les sites terrestres de plein air (fig. 313-314).
Comparaisons avec la haute vallée du Rhône et le Plateau suisse
Rapport domestique-sauvage
202Les ensembles fauniques du Plateau suisse présentent des taux de faune chassée systématiquement plus élevés que les ensembles méridionaux (fig. 310)5. Cette différence se retrouve lorsqu’on compare les sites du Plateau suisse et ceux de la haute vallée du Rhône, au sein desquels la faune chassée est presque inexistante. Il est intéressant de constater que cette situation est encore perceptible à l’âge du Bronze (Schibler & Jacomet 2005). Dans le détail, nous pouvons constater que seuls quelques rares sites terrestres ont livré des ensembles fauniques au sein desquels les taux de faune chassée sont consistants. Il s’agit alors presque sans exception de sites terrestres dont les sédiments sont protégés de l’érosion (Schibler & Jacomet 2005), ce qui est le cas de la Maddalena où les niveaux archéologiques étaient protégés par le plafond de l’abri.
203Comme nous l’avons montré dans une étude précédente (Schibler 2006), la variation des taux de faune chassée dans les ensembles lacustres suisses n’est pas corrélable à l’appartenance culturelle des ensembles concernés. Dans tous les groupes culturels du Néolithique suisse, il existe des ensembles qui ont livré des taux très importants (>80 %) de faune chassée et d’autres ensembles au sein desquels ces mêmes taux sont extrêmement bas (<10 %). L’intensité des activités cynégétiques au sein des sociétés néolithiques n’est donc pas un fait culturel, mais est probablement le résultat de facteurs économiques influencés par des variations climatiques (Hüster-Plogmann et al. 1999). Dans ce contexte, il est possible d’envisager que les ensembles fauniques caractérisés par des taux réduits de faune chassée, se soient formés durant des périodes climatiques favorables.
La faune domestique
204Certains phénomènes clairement établis dans les corpus du Plateau suisse ne sont pas perceptibles avec la même intensité dans le midi de la France. Ainsi, dans la première région, des taux de restes de boeuf importants ne sont attestés qu’à partir du IVe millénaire avant notre ère (fig. 311). Cette évolution a été mise en rapport avec le recul progressif de la forêt lié aux activités humaines (Schibler 2006, 2017, Doppler et al. 2015). Ce recul de la forêt est également attesté dans le midi de la France (voir chapitre 3), mais il ne semble toutefois pas y être accompagné des mêmes effets selon l’environnement topographique et naturel.
205On peut ainsi constater la présence dans le bloc temporel le plus ancien (4400-4050 avant notre ère) à la fois d’ensembles fauniques au sein desquels le bœuf ne joue qu’un rôle secondaire (la Terrasse, Cadereau d’Alès, le Crès, l’Élysique, Auriac-Golf et Villa Giribaldi) et, en nombre comparable, d’ensembles dans lesquels celui-ci présente des taux élevés (>50 %). Contrairement à ce qui est observable sur le Plateau suisse, le taux de bœuf n’augmente pas de manière significative dans le midi de la France lorsqu’on passe au bloc chronologique suivant (4050-3500 avant notre ère).
206Au cours de l’ensemble de la période considérée, les taux de caprinés (fig. 312) sont relativement élevés dans les spectres du Midi, de la haute vallée du Rhône et de Suisse occidentale. La situation est différente dans la partie est du Plateau suisse puisque ces mêmes taux ne sont consistants que dans les quelques assemblages antérieurs à 4000 avant notre ère et décroissent ensuite progressivement. Les taux de porc et de chien sont très variables (fig. 313-314) dans les régions considérées et au sein de chacun des blocs chronologiques. Leur évolution ne fait ressortir aucune tendance claire.
8.3.2.3 Conclusions
207Les spectres fauniques issus de la structure 68 et des trois puits (250, 990 et 994) s’intègrent parfaitement bien dans le modèle général de l’alimentation carnée du Néolithique moyen méditerranéen : rôle anecdotique de la chasse, importance des bovinés et des caprinés, rôle secondaire du porc. Sur le plan régional, ce modèle ne semble pas subir de modifications majeures au cours de la période considérée (4400-3500 avant notre ère).
208La comparaison entre les sites terrestres de plein air et les puits pourrait indiquer que les variations des taux de caprinés pourraient être en partie le résultat des excellentes conditions de conservation qui règnent dans les puits. Si cela était le cas, le rôle des caprinés dans le Néolithique méridional serait à revoir à la hausse. Le décalage entre les grottes et les sites de plein air ne serait alors pas le seul reflet de la fonctionnalité des sites, mais serait également influencé par des facteurs taphonomiques.
209Dans le détail, il n’existe que peu de parallèles entre le midi de la France et le Plateau suisse. Cela est dû en partie à l’imprécision des datations des ensembles terrestres qui empêche une comparaison détaillée des corpus. Il serait souhaitable de préciser la chronologie des ensembles du midi de la France en augmentant le nombre et la précision des datations radiocarbone et en combinant celles-ci avec un cadre chronotypologique robuste.
8.4 Les Bagnoles dans le contexte des pratiques mortuaires du Ve millénaire avant notre ère
A. Schmitt, S. van Willigen
210Sur le plan funéraire, les informations issues du site des Bagnoles peuvent être résumées de la manière suivante :
la fenêtre explorée a livré huit dépôts secondaires de crémation dont sept sépultures et une probable structure funéraire accessoire ;
nous n’avons aucun indice de la présence sur le site de dépôts de corps non crémés ;
ces structures sont à vocation strictement mortuaire (type 1 de Schmitt & van Willigen 2016) ;
les sépultures sont regroupées au sein d’une zone dans laquelle on ne trouve aucun indice d’habitat et pour laquelle on peut envisager – à titre d’hypothèse – qu’il s’agisse d’un espace mortuaire (voir § 6.3) ;
le mobilier funéraire est relativement abondant (outillage lithique taillé et poli, céramique, parure, outillage de mouture).
211La remise en contexte des pratiques mortuaires des Bagnoles sera donc axée sur trois questions : quelle est la place de la crémation dans les pratiques funéraires du Néolithique moyen méditerranéen ? Quelles autres pratiques mortuaires ont existé au cours du Ve millénaire ? Se différentient-elles sur le plan du mobilier funéraire ?
212En revanche, les informations sur le sujet étant rares, nous n’aborderons pas dans ce qui suit la question de la présence éventuelle d’espaces mortuaires, au sens que nous avons défini dans le § 6.3, sur d’autres sites du Néolithique moyen méditerranéen. Ce travail, qui requiert la mise en place de méthodes spécifiques, reste à faire.
8.4.1 La place de la crémation dans les pratiques mortuaires du Néolithique moyen méditerranéen
213Le traitement du cadavre par le feu est connu au moins depuis le Mésolithique (Verjux 2007, Cerezo-Roman et al. 2017). Il est attesté pendant tout le Néolithique européen (Blaizot et al. 2001, Stratouli et al. 2010, Silva et al. 2015, Bara et al. 1989-1990, Gallis 1987, Willis et al. 2016). Rare dans le Néolithique méditerranéen, il avait été tout de même attesté depuis les années 1990 par les découvertes du Vallon de Gaude à Manosque et du Camp del Ginèbre à Caramany. C’est seulement depuis ces dernières années que les découvertes de crémations connaissent un certain « essor ». Même s’il est encore trop tôt pour pouvoir évaluer l’étendue géographique et la profondeur chronologique du phénomène, nous nous proposons de faire un rapide tour d’horizon des sépultures à dépôt de crémation et de comparer les informations disponibles actuellement avec celles que nous avons pu recueillir sur le site des Bagnoles.
Les sites (d’ouest en est ; fig. 315 et 316)
Le Camp del Ginèbre (Caramany, Pyrénées-Orientales)
214Les travaux réalisés en 1993 sous la direction d’Alain Vignaud (Vignaud 1998, Vignaud et al., en préparation) ont conduit à la mise au jour de 18 structures mortuaires dont 12 contenaient des restes crémés en dépôt primaire (structure 11 et éventuellement 13) et secondaire (2, 4, 9, D1, D2, D4, D5, D6, D7 et D8). L’ensemble forme un groupe qui semble s’organiser autour de trois cistes entourées de tertres circulaires non datés mais vraisemblablement antérieurs aux dépôts de crémation à en juger par leur position stratigraphique. L’habitat contemporain de la nécropole est inconnu. Les structures qui ont accueilli les dépôts de crémation secondaires sont des cuvettes de dimensions variables (de l’ordre de 50 cm à 1 m de diamètre) parfois limitées par des blocs posés de chant. Le nombre et le poids des restes osseux varie considérablement : de 6 à 250 g selon les structures (et 843 g pour le dépôt de crémation primaire). Ces ossements étaient parfois associés à un mobilier funéraire constitué de céramique (jusqu’à 10 vases) et d’outillage lithique (en particulier des armatures tranchantes). Le mobilier issu des dépôts de crémation 9, 11, D1 et D2 est attribuable au Néolithique moyen de type Chassey et au groupe de Montbolo.
Champ Del Mas (Banassac, Lozère)
215Ce site a été très partiellement fouillé entre 1989 et 1991 dans le cadre des opérations d’archéologie préventive sur le tracé de l’A75 (Escallon et al. 2017). Une des structures découverte à cette occasion se présentait sous la forme d’un épandage peu dense de blocs de calcaire, de gneiss et de grès préservé dans une dépression argileuse sur une surface d’environ 100 m2. Un foyer constitué d’une vingtaine de galets plats jointifs et rubéfiés constituait le seul aménagement de cette zone. Le mobilier archéologique est constitué de céramique, d’outillage lithique taillé et de meules. Par contre, la fouille de cet ensemble n’a livré aucun reste organique à l’exception de cinq amas constitués de 20 à 60 g d’esquilles d’ossements humains de couleur blanche situées dans la partie sud de l’épandage. Dans un cas au moins, les ossements étaient accompagnés d’une armature tranchante. L’attribution chrono-culturelle de cette structure est délicate : la présence de languettes multiforées permet d’attribuer l’ensemble au Néolithique moyen mais l’état de conservation de la céramique ne permet pas de diagnostic plus précis. L’outillage lithique, en particulier la présence de nombreuses lamelles, pourrait faire référence au début du IVe millénaire. Quoi qu’il en soit, les dépôts de crémation ne sont pas nécessairement contemporains de ces traces d’activités.
Piechegu (Bellegarde, Gard)
216Le site de Piechegu (Bovagne et al. en préparation) fouillé en 2016 a livré des traces d’occupations ainsi qu’un dépôt de crémation secondaire attribuables au Néolithique moyen de type Chassey. Déposé dans une grande fosse circulaire, le mobilier renfermait 15 vases fragmentés majoritairement en dépôts partiels, neuf armatures tranchantes, deux lames de hache et un récipient en bois. Tous ces éléments présentent des traces de rubéfaction.
Le Grand Pélican (Montélimar, Drôme)
217Fouillé en 2014 sous la direction de Frédérique Ferber (Ferber 2016), le Grand Pélican est une des nombreuses extensions du site du Gournier. Les tamisages systématiques ont permis d’isoler de petites quantités (de 3 à 26 g) d’esquilles calcinées d’ossements humains dispersées dans le comblement de sept fosses attribuées au début du IVe millénaire.
Beyssan (Gargas, Vaucluse)
218Les fouilles réalisées en 2014 sous la direction de Bruno Bizot ont conduit à la découverte de plusieurs concentrations d’ossements crémés dispersées sur une surface d’environ 40 m2. La masse totale des restes osseux crémés est de 202 g répartis sur une vingtaine de concentrations. En raison de leur forte fragmentation, seule une petite partie d’entre eux a pu être déterminée comme étant humains de telle sorte que la présence de faune ne peut être exclue. Ces restes osseux sont associés à une accumulation de blocs calcaires, vestiges de probables structures démantelées par les labours, et de mobilier archéologique en grande partie brûlé : céramique, billes, lames de hache, nucléus et armatures. Typologie et datations radiocarbone convergent pour attribuer l’ensemble au début du IVe millénaire avant notre ère (Bizot et al. 2017). Un lien entre cet assemblage et les stèles découvertes en surface en 2013 (D’Anna et al. 2015) est possible mais difficile à prouver en l’absence de stèles découvertes in situ.
Le Vallon de Gaude (Manosque, Alpes-de-Haute-Provence)
219Au Vallon de Gaude (Bérard et al. 1991), une fosse ovale (structure 41) d’un diamètre maximum de 1,20 m pour une profondeur de 20 cm environ contenait les restes calcinés d’un individu adulte. Le nombre et le poids de restes ne sont pas précisés dans le rapport de fouilles. Six pièces lithiques constituent le mobilier funéraire : deux armatures tranchantes, une armature losangique et trois lames de hache. Les trois armatures et une des lames de hache sont brûlées. Les armatures permettent d’attribuer cette crémation au Néolithique moyen sans plus de précision. La fouille a par ailleurs livré deux inhumations individuelles de cadavres non crémés dépourvues de mobilier funéraire. Dix-huit fosses à galets chauffés se trouvaient à proximité des dépôts funéraires. Certaines d’entre-elles ont livré un mobilier archéologique (en particulier quelques fragments de coupes à bourrelet interne) attribuable au Néolithique moyen de type Chassey. En l’absence de datations radiocarbone, l’attribution des sépultures au Néolithique moyen de type Chassey est hypothétique. En dépit de ce problème d’attribution chrono-culturelle, on peut constater que le traitement du cadavre et le mobilier (trois armatures et trois lames de hache) de la structure 41 sont globalement comparables à ce que nous avons rencontré aux Bagnoles.
Saint-Musse (Toulon, Var)
220La fouille du site de Saint-Musse réalisée en 2015, a conduit à la mise au jour de huit dépôts de crémation secondaires (Gourlin et al. 2016) dont une partie est attribuable au Néolithique moyen de type Chassey. Cet ensemble étant en cours d’étude, nous ne nous y attarderons ici que pour mentionner que la forme et le contenu des sépultures correspond globalement à celles des Bagnoles. Quatre structures ont livré des ossements calcinés non attribuables à un taxon particulier et deux autres des restes de faune calcinés.
221Plus au nord, des dépôts de crémation en contexte NMB ont été signalé sur les sites du Quai Sédaillant (Lyon-Vaise, Rhône ; Jallet & Blaizot 2005) et de Grange Rouge (Saint-Priest, Rhône ; inédit, étude Frédérique Blaizot). Des ossements humains crémés sont également présents de manière occasionnelle dans certaines cistes des nécropoles de type Chamblandes datés vers la fin du Ve millénaire avant notre ère : Lenzburg-Goffersberg (Argovie, Suisse ; sépulture 11 ; Wyss 1998), Bramois-Pranoé (Valais, Suisse ; sépulture 1 ; Baudais et al. 1989-1990) et Saint-Léonard, les Bâtiments (Valais, Suisse ; sépulture 3 ; Corboud et al. 1988).
Bilan et comparaisons
222En l’état actuel des connaissances, pour l’ensemble du Ve millénaire avant notre ère, 29 dépôts primaires ou secondaires de crémation et structures funéraires accessoires sont attestées sur quatre sites du midi de la France (fig. 315-316) : le Camp del Ginèbre (12), les Bagnoles (8), Sainte-Musse (8) et Piechegu (1). Les 19 dépôts datés par le radiocarbone ou par le mobilier funéraire sont attribuables au dernier tiers du Ve millénaire avant notre ère. Dix-huit ont livré du mobilier céramique de type Chassey associé dans trois cas (Camp del Ginèbre, sépultures 9, 11 et D2) à des éléments caractéristiques du groupe de Montbolo.
223Hormis le dépôt primaire de la sépulture 11 (et éventuellement 13) du Camp del Ginèbre, nous avons affaire à des inhumations secondaires de restes crémés. Les individus brûlés sont alors représentés dans les sépultures et les structures funéraires accessoires par une partie seulement des ossements. À Sainte-Musse, l’association au sein du même creusement d’amas d’ossements et de résidus a été observée. Il s’agit d’une configuration absente sur le site des Bagnoles.
224Les esquilles présentent des dimensions relativement uniformes de l’ordre du centimètre, suggérant un traitement particulier pendant ou après le passage du corps sur le bûcher. Il est actuellement impossible de préciser l’état du corps avant la crémation (corps à l’état de cadavre ou de squelette).
225Les dépôts de crémation sont placés dans des creusements adaptés à leur volume (restes osseux et mobilier). Le cas du vase ossuaire des Bagnoles reste à ce jour unique. Toutefois, des contenants en matériau périssable sont documentés à Sainte-Musse.
226Sur le site des Bagnoles, les aires de crémation et les éventuelles structures de crémation ne sont pas documentées, soit parce qu’elles étaient hors de l’emprise du décapage, soit parce qu’elles ne nécessitaient pas de creusements ou que ceux-ci ont disparu suite à l’érosion. À ce jour, le Camp del Ginèbre a fourni le seul témoignage univoque d’une structure primaire de crémation (structure 11).
227Aux Bagnoles, la crémation est le seul type de traitement attesté. Les quatre autres sites ont livré des crémations ainsi que des inhumations de cadavres. À Piechegu cellesci ne sont pas contemporaines de la sépulture à dépôt de crémation. Les coffres du Camp del Ginèbre sont plus anciens que les crémations. Au Vallon de Gaude et à Sainte-Musse, nous ne disposons d’aucune preuve de contemporanéité entre les deux types de dépôt.
228Dans tous ces cas, le nombre de structures funéraires est très faible même s’il n’est possible d’évaluer ni le nombre d’habitants, ni la durée d’utilisation de l’habitat correspondant et donc le nombre de générations qui y ont vécu et y sont morts. Bien qu’elles ne soient pas perceptibles, d’autres pratiques funéraires doivent être envisagées, ne serait-ce que pour les enfants dont il n’y a pas trace dans les dépôts de crémations.
229Ceux-ci sont soit isolés (Piechegu et Vallon de Gaude), soit regroupés (Camp del Ginèbre, les Bagnoles et Sainte-Musse). Il est difficile de préciser la position de ces groupements par rapport à l’habitat. Toutefois, au Camp del Ginèbre et aux Bagnoles, il semblerait que les sépultures soient en dehors de ce dernier (si l’on retient le scénario 2 du chapitre 6).
230La grande majorité des dépôts de crémation a livré un mobilier funéraire, mais cette proportion est probablement surévaluée en raison de la difficulté à détecter les structures de ce type quand elles ne sont pas accompagnées de mobilier. Ce dernier est généralement constitué de céramique, d’armatures, de lames de hache et, plus rarement, de parure, d’outillage osseux et de mouture. Ces objets ainsi que la faune qui, dans certains cas, accompagne des restes humains présentent fréquemment les stigmates d’une exposition à une haute température. La présence de mobilier secondaire n’est observée que sur le site des Bagnoles.
231En l’état actuel des connaissances, le traitement des cadavres par crémation apparaît dans le dernier tiers du Ve millénaire. Il pourrait perdurer au début du IVe millénaire avant notre ère puisque l’on retrouve des dépôts d’ossements crémés à Beyssan et au Grand Pélican. Dans ce dernier cas, le statut sépulcral des structures concernées reste à confirmer.
8.4.2 Les pratiques mortuaires au Ve millénaire avant notre ère en France méditerranéenne
232La question est maintenant de préciser la manière dont les sépultures à crémation s’intègrent dans ce que nous connaissons des pratiques mortuaires du Ve millénaire avant notre ère (voir les différentes synthèses récentes : Vaquer et al. 2008, Tchérémissinoff 2016, Schmitt & Michel 2016 pour ne citer que les principales). Notre base de réflexion est constituée par un recensement de l’ensemble des dépôts humains publiés ou mentionnés dans les rapports de fouille. Afin de ne pas alourdir le texte, nous avons pris le parti de ne mentionner que les sites. Les communes, départements et les références bibliographiques sont précisés dans le tableau récapitulatif placé en annexe 126.
233Ce recensement a été réalisé à partir des critères suivants :
un dépôt correspond à un épisode d’inhumation, indépendamment du nombre d’individus inhumés. Ainsi plusieurs inhumations simultanées dans une même structure seront décomptées comme un dépôt. À l’inverse, plusieurs épisodes d’inhumations (individuelles ou simultanées) séparés par du sédiment stérile (donc successifs), dans une même structure, seront décomptés comme plusieurs dépôts ;
un dépôt est constitué d’au moins un squelette complet ou partiel qui peut être associé à d’autres squelettes (complets ou partiels) ; nous n’avons pas tenus compte ici des découvertes d’ossements isolés ;
le dépôt est attribuable au Ve millénaire (il est daté directement par le radiocarbone ou provient d’une structure dont le remplissage a livré au moins un objet daté par la typologie) ;
il n’est pas daté mais fait partie d’un groupe d’inhumations considéré comme étant attribuable à la période qui nous intéresse ici (cela concerne les dépôts du Camp del Ginèbre, du Crès, de Najac, des Bagnoles et de Sainte-Musse).
234Pour l’ensemble du Ve millénaire, nous disposons ainsi de 141 dépôts mortuaires de crémation ou de corps à l’état de cadavre issus de 131 structures et 29 sites (fig. 317) et correspondant à un minimum de 195 individus (annexe 12) : 70 dépôts ont été datés directement par le radiocarbone, 31 sont datés par le mobilier archéologique (six sont datés à la fois par le radiocarbone et par le mobilier archéologique) et 44 ne sont pas datés, mais font partie d’un des cinq groupes d’inhumations mentionnés ci-dessus.
235Il faudrait ajouter à cet inventaire trois sites qui ont livrés des dépôts humains, mais pour lesquels nous ne disposons actuellement d’aucune information : PRAE Charles-Cros (Cépie, Aude ; BSR Languedoc 2014, fouilles Arnaud Gaillard), la Maladrerie (Châteauneuf-du-Rhône, Drôme ; fouilles Inrap) et la ZAC des Vigneaux (Cugesles-Pins, Bouches-du-Rhône ; Hasler 2018).
Problème de représentativité du corpus
236Cent-quatre-vingt-quinze individus pour un millénaire !
237Il faut bien admettre que nous n’avons là qu’une partie infime de la population défunte et que cette partie peut avoir un statut particulier. Le traitement le plus courant (si tant est qu’il y en ait un seul) nous échappe quant à lui complètement (Schmitt & van Willigen 2016).
238Cette invisibilité des morts au Néolithique moyen, qui n’est pas une spécificité de notre région d’étude, peut avoir plusieurs raisons. D’une manière générale, pour les périodes préhistoriques, seuls certains modes de dépôts non sujets aux destructions dues à l’érosion et aux travaux agraires sont susceptibles de laisser des traces : l’enfouissement des restes humains à une profondeur suffisante pour être préservée de l’érosion et des travaux agraires, les dépôts au sein d’une architecture résistante et les dépôts en grotte. Les autres traitements (sépulture peu ou non enfouie, dispersion des restes – qu’ils soient brûlés ou non – en surface ou dans un fleuve, sans parler de traitements plus particuliers tels que l’ostéophagie ou l’ingestion des restes brûlés pilés) sont indécelables.
239En définitive, les morts ont toutes les chances de ne laisser aucune trace et l’inventaire que nous proposons ne peut être que partiel et surtout sélectif. Nous ne pouvons recenser que la population inhumée et certains types de traitement des corps et de dépôts (non ou peu enfouis) nous échappent totalement.
Les traitements des corps
240Sur les 141 dépôts recensés, 29 sont constitués de restes crémés d’au moins un individu (ces restes sont tous déposés dans des structures à vocation strictement mortuaire adaptées au volume du dépôt constitué par les restes humains et le mobilier funéraire). Cent-douze dépôts correspondent aux restes non crémés d’un ou de plusieurs individus.
Les types de dépôts
241Hormis les crémations dont il a été question ci-dessus, les dépôts recensés sont en majorité des dépôts primaires de corps (sub-)complets. Ils peuvent être divisés en plusieurs types en fonction de la forme de la structure qui les accueille (structures à vocation strictement mortuaire ou structures ne correspondant initialement pas à une fonction mortuaire : fosses circulaires, silos, puits) et de la position des corps (conventionnelle, non-conventionnelle ; fig. 318).
Type 1 (n =37)
242Inhumations de corps à l’état de cadavre dans des structures à vocation strictement mortuaire. Celles-ci peuvent être des cistes en pierre, des fosses oblongues, des fosses architecturées (dont les fosses à niche latérale). Il s’agit d’inhumations individuelles, à l’exception du coffre 2 de Najac qui renfermait trois corps. Les défunts sont déposés en position conventionnelle (pour les régions qui nous concernent ici : les membres inférieurs et supérieurs fléchis) majoritairement sur le côté gauche, la tête au sud.
Type 2A (n =22)
243Inhumations de corps à l’état de cadavre en position conventionnelle dans des structures qui n’ont pas nécessairement une vocation mortuaire (fosses circulaires de type silos ou puits). Il s’agit de dépôts individuels ou, plus rarement, simultanés (Fumérian) dans des structures qui peuvent dans certains cas (Le Crès) en recevoir plusieurs. Certaines de ces fosses ont été colmatées après le dépôt des défunts mais d’autres ont bénéficié d’une couverture amovible permettant des ouvertures répétées.
Type 2D (n =0)
244Inhumations de plusieurs corps à l’état de cadavre associant position non-conventionnelle et position conventionnelle dans des structures qui n’ont pas nécessairement une vocation mortuaire. Une différenciation liée à l’association de mobilier avec l’individu en position conventionnelle est parfois également observée. Cette configuration peut être interprétée en termes de morts d’accompagnement (Testart 2004). S’il s’agit donc de sépultures, les funérailles ne concernent qu’un seul individu. Les accompagnants font partie de la sépulture mais elle ne leur est pas destinée. Ce type n’est pas attesté au sein du corpus des dépôts du midi de la France du Ve millénaire avant notre ère.
Types 2B, C et E (n =25)
245Inhumations de corps à l’état de cadavre en position non-conventionnelle dans des structures qui n’ont pas nécessairement une vocation mortuaire. Il s’agit d’inhumations individuelles (2B), simultanés (2C) ou d’ossements épars (2E) dans des structures qui peuvent dans certains cas (Le Crès) avoir reçu d’autres dépôts humains.
246Pour finir, 10 dépôts correspondent au type 1 ou 2 et 13 dépôts au type 2 sans plus de précision possible. Cinq dépôts correspondent à deux autres types sur lesquels nous ne nous attarderons pas ici : deux inhumations en position conventionnelle au sein d’un fossé (Cugnaux/Villeneuve-Tolosane) et les dépôts pluriels ou individuels en cavité naturelle (Cauna de Bélesta, Abri de Rastel, Grotte d’Unang).
247Sur les 141 dépôts recensés, nous obtenons donc le décompte suivant (fig. 319) : 29 sont des dépôts primaires ou secondaires de crémation (sépultures et structures funéraires accessoires), 37 des inhumations de corps à l’état de cadavre de type 1, cinq sont des dépôts de corps à l’état de cadavre en fossé ou en cavité naturelle7, 60 sont des inhumations de corps à l’état de cadavre dans des structures qui n’ont pas nécessairement une vocation mortuaire. Parmi celles-ci, il est possible de décompter 22 inhumations de type 2A, 25 de type 2B/C/E, 13 de type 2 sans plus de précisions. Dans dix cas, il est impossible de préciser si nous avons affaire à des inhumations de type 1 ou 2.
Objets en contexte mortuaire
248Penchons-nous maintenant sur les types d’objets associés aux dépôts mortuaires : de quelles catégories d’objets s’agit-il ? Existe-t-il des associations préférentielles entre certains objets et certains types de dépôts définis ci-dessus ? Existe-t-il des combinaisons récurrentes d’objets ?
Les catégories d’objets et leur représentation
249Cent-douze des 141 dépôts mortuaires recensés proviennent de structures qui ont également livré un ou plusieurs objets8. Les grandes catégories d’objets représentées dans les dépôts mortuaires du Ve millénaire avant notre ère sont les suivantes : parure, céramique (dépôts de vases), céramique (tessons épars), outillage en matières dures animales, industrie lithique taillée (éclats et autres déchets de taille), industrie lithique taillée (lames), industrie lithique taillée (armatures), outillage poli (lames de hache), outillage de mouture (fragmenté ou non), faune terrestre et malacofaune marine. Les problèmes de chronologie étant ici secondaires, nous ne nous attarderons pas sur la typologie de ces objets.
250La parure est constituée de perles, de gastéropodes marins perforés ou encore de pendentifs en défense de suidés. Les tessons épars et l’industrie lithique (hors armatures et lames) sont régulièrement signalés dans les décomptes mais leur position par rapport au(x) squelette(s) est rarement précisée. Il est donc difficile de se prononcer sur leur statut : mobilier détritique ou funéraire. La catégorie « céramique/dépôts de vases » correspond à des objets déposés complets dans le cas de dépôts de corps à l’état de squelette, brûlés et fragmentés dans le cas des crémations. L’outillage en matière dure animale est principalement constitué de pointes et de lissoirs. L’outillage de mouture peut avoir été déposé entier ou fragmenté mais exceptionnellement appareillé (couple meule/molette). Sa position par rapport aux défunts est rarement précisée de telle sorte qu’ici encore, il est difficile d’en préciser le statut. Les armatures, les lames de silex et les lames de hache correspondent pour la plupart au module des objets provenant de contextes domestiques et ne présentent aucun caractère particulier. Leur nombre peut atteindre la dizaine pour les armatures. Les lames de hache sont généralement représentées par un ou deux exemplaires. La faune attestée en contexte mortuaire est en majorité constituée d’éléments de bovinés (scapulae, bucranes, côtes, mandibule) et de caprinés. Il ne semble pas au premier abord qu’il s’agisse de quartiers de viande déposés comme viatiques alimentaires. Des bois de cerfs, ainsi que deux chiens (un individu complet et un partiel sur le site du Crès) ont également été recensés. La catégorie « malacofaune marine » regroupe les restes de bivalves (moules et cardium) non modifiés.
251Les catégories d’objets les plus fréquentes sont la céramique (tessons épars et dépôts de vases), l’industrie lithique taillée (éclats, lames et armatures) et la faune (fig. 320, dans l’ordre décroissant de gauche à droite). La parure, l’outillage de mouture, l’outillage lithique poli et la malacofaune marine sont également attestés mais moins fréquents (fig. 320, à droite). Il n’existe pas de corrélation claire entre ces catégories prises individuellement, l’âge et le sexe de l’individu inhumé.
Associations préférentielles catégories d’objets – types de dépôts mortuaires
252L’absence/la présence d’objets ne semble pas être l’apanage d’un type de dépôt mortuaire particulier (fig. 321a). Par contre, dans le détail, la représentation des différentes catégories d’objets associées varie considérablement d’un type de dépôt mortuaire à l’autre (fig. 321b). Ainsi toutes les catégories d’objets sont attestées dans les dépôts de crémation et dans les dépôts mortuaires de type 1, mais les armatures et les lames de hache sont absentes des dépôts mortuaires de types 2A et 2B-C/E. Les lames de silex ne sont pas représentées dans les dépôts mortuaires de type 2A et les dépôts de vases sont absents des dépôts mortuaires de type 2B-C/E, rares dans les dépôts de corps à l’état de squelettes de type 1 mais fréquents en association avec les dépôts de crémation.
Combinaisons préférentielles de catégories d’objets
253Quarante-huit dépôts mortuaires renfermaient plusieurs objets correspondant à au moins deux catégories différentes. Un simple tableau en présence/absence diagonalisé croisant les ensembles mortuaires et les catégories d’objets associés fait apparaître certaines tendances (fig. 322) : la partie gauche de la diagonale correspond aux associations tessons épars – industrie lithique (hors armatures et lames) – faune, la partie droite aux combinaisons parure – lames de hache – vases – armatures.
254Une analyse factorielle des correspondances (AFC) réalisée sur ce même corpus permet de résumer les tendances de manière plus synthétique (fig. 323). La projection des ensembles et des descripteurs sur le premier axe de l’AFC montre une répartition entre deux pôles. Dans la partie négative du premier axe, nous trouvons les dépôts mortuaires associés aux tessons épars, aux éclats et déchets de taille et à la faune. Il s’agit exclusivement de dépôts mortuaires de type 2B/C/E. La partie positive rassemble les combinaisons d’armatures et lames, les lames de hache polies, l’outillage en matière dure animale, l’outillage de mouture et la malacofaune marine que l’on trouve essentiellement associées aux dépôts de crémation et dans les dépôts mortuaires de type 1. Les dépôts de type 2A se répartissent dans la zone intermédiaire entre ces deux pôles.
255La typologie des dépôts et le mobilier associé permettent de définir trois pratiques mortuaires distinctes.
Pratique 1 (dépôts primaires et secondaires de crémation et dépôts de type 1)
256Le corps du défunt fait l’objet de traitements préalablement à l’ensevelissement : crémation ou agencement particulier du corps. Il est déposé dans un creusement dont le volume et la forme sont adaptés au contenu (corps et mobilier). Des objets sont fréquemment déposés à proximité du cadavre. Tout ceci permet de supposer que nous avons affaire à l’une des dernières étapes de funérailles. Il est encore difficile d’aller plus loin dans la définition de cette pratique en raison du nombre restreint de dépôts qui lui correspondent (67 dépôts et 69 individus pour l’ensemble du Ve millénaire avant notre ère) et de la forte proportion de crémations (dont les os n’ont pu faire l’objet d’un diagnostic concernant le sexe et l’âge). On peut cependant, sans trop prendre de risques, en relever quelques particularités.
257Les dépôts de la pratique 1 sont généralement isolés ou forment des petits groupes d’une dizaine de tombes situés en dehors des habitats. Ils se trouvent rarement dans le même espace que les dépôts des pratiques 2 et 3 (à l’exception du Crès). Il s’agit de dépôts individuels et d’un dépôt pluriel (le coffre 2 de Najac qui contenait deux adultes et un enfant). Les 68 individus sont en majorité des adultes (43), féminins (8) et masculins (9), plus rarement des enfants/adolescents (6). Près de la moitié des dépôts de la pratique 1 sont des crémations (29 ; ce qui explique le nombre important d’indéterminés). Cette proportion, déjà importante, est probablement sous-évaluée en raison de la difficulté à détecter sur le terrain les restes humains crémés. Dans le cas des inhumations de corps non crémés, la position fléchie sur le côté gauche, la tête au sud est dominante.
258La présence de mobilier est attestée dans la majorité des cas (55 ; une proportion toutefois surévaluée dans la mesure où les dépôts privés de mobilier et non datés par le radiocarbone n’ont pas été retenus dans cette étude) (fig. 324). Le mobilier est relativement stéréotypé. Quelques dépôts renferment toutefois un nombre exceptionnel d’objets : 15 vases, neuf armatures et une lame de hache dans la structure 3614 de Piechegu, 158 colombelles dans la sépulture de 1974 de la Balance.
259L’AFC appliquée aux 29 dépôts qui renfermaient au moins deux catégories d’objets (fig. 325) montre sur le premier plan de l’analyse une distinction entre deux groupes d’objets régulièrement associés entre eux :
les descripteurs malacofaune marine, outillage de mouture et faune ainsi que 11 dépôts (quatre adultes de sexe indéterminé, quatre femmes et un enfant) sont essentiellement localisés dans la partie négative du premier axe de l’AFC ;
les descripteurs, vases, lames de hache, lames de silex, armatures et parure et 18 dépôts (14 adultes de sexe indéterminé, trois hommes et un enfant) sont concentrés dans la partie positive du premier axe de l’AFC.
260Le descripteur outillage en MDA et les structures F8 du Clos Chauvin (homme) et 211 du Crès (enfant) se placent entre les deux groupes précédents.
261Ces résultats, issus d’un corpus réduit, sont naturellement encore fragiles. Ils permettent toutefois d’envisager l’existence au sein de la pratique 1 de deux types de combinaisons d’objets qui semblent dépendre du sexe du défunt : les combinaisons malacofaune marine, outillage de mouture et faune pour les individus féminins, lames de hache, lame de silex, armatures et parure pour les individus masculins.
Pratique 2 (dépôts de type 2A)
262Les corps sont déposés en position conventionnelle (les jambes fléchies et les bras repliés devant la poitrine) dans une structure dont la forme suggère qu’elle n’est pas initialement à vocation strictement mortuaire. Cette pratique correspond à 21 inhumations simples et une inhumation multiple (Fumérian, huit individus déposés simultanément, globalement en position conventionnelle). Sur les 29 individus recensés, les femmes sont les mieux représentées (13), suivies par les enfants (7), les adultes de sexe indéterminé (6) puis par les hommes (3). Dans quatre cas (Le Crès, ensembles sépulcraux 3, 5, 8 et 12), ces dépôts proviennent de structures qui ont également livrées d’autres types de dépôts (2B, 2C ou 2E). De manière générale, les types 2A et 2B/C/E peuvent être associés sur le même site (le Crès, les Narbons, les Plots). Les corps ne présentent pas d’orientation préférentielle. Le mobilier associé comprend les catégories d’objets définies ci-dessus à l’exception notable des armatures, des lames de silex et des lames de hache (fig. 326).
Pratique 3 (types 2B/C/E) :
263Le/les corps sont déposés en position non conventionnelle dans une structure dont la forme suggère qu’elle n’est initialement pas à vocation strictement mortuaire. Cette pratique correspond à 25 dépôts (issus de 21 structures) qui constitués d’un (18), deux (4), trois (2) ou quatre corps (1) déposés simultanément. Sur les 36 individus décomptés, il est possible de dénombrer cinq femmes, six hommes, neuf adultes indéterminés et 16 enfants ou adolescents. Huit des 21 structures concernées ont livré plusieurs dépôts de type 2A/B/C/E. Le mobilier provient du remplissage de la structure mais il est rarement possible de préciser le lien spatial entre les objets et le/les dépôts. Les catégories d’objets les plus fréquentes sont les tessons épars (17 dépôts), le mobilier lithique (12) et les éléments de faune (5). Les catégories d’objets caractéristiques de la pratique 1 n’y sont, au mieux, que rarement attestées : une lame de hache dans la structure 36 des Plots, un outil en os dans la structure 49 des Plots et un autre dans l’ensemble sépulcral 14 du Crès, une meule dans la structure 237 du Champ du Poste (fig. 327).
Pratique(s) 0
264Les trois pratiques décrites ci-dessus regroupent 113 dépôts (individuels ou pluriels) sur les 141 (dépôts mortuaires en cavités naturelles, en fossé et dépôts mortuaires de types indéterminés compris) recensés. Comme nous l’avons vu, il est clair que nous n’avons pas là l’ensemble de la population défunte. Il est donc nécessaire d’envisager l’existence d’une ou de plusieurs pratiques caractérisées par des traitements du corps et/ou des types de dépôts qui ont pour conséquence que les restes humains ne laissent aucune trace archéologique.
Comparaison entre les pratiques 1, 2 et 3
265Nos trois pratiques présentent chacune une série de caractéristiques propres qui portent à la fois sur l’agencement des corps, la morphologie des réceptacles, le recrutement et le mobilier associé (fig. 328). Dans la pratique 1 qui concerne à proportions sensiblement égales les hommes et les femmes (les enfants y sont sous représentés), les corps font l’objet d’un traitement préalablement à la mise en terre (crémation) ou lors du dépôt (corps fléchi, les jambes du côté gauche, la tête au sud) et sont disposés dans des structures creusées dans le seul but de recevoir les restes humains et le mobilier. Lorsqu’il est présent, celui-ci est choisi en fonction du sexe du défunt. Dans la pratique 2, qui se limite en l’état actuel des connaissances à l’inhumation de corps non crémé, les femmes semblent majoritaires. Le réceptacle est constitué par une structure de type puits ou silo, qui peut correspondre à la réutilisation d’une structure d’habitat (ou à l’imitation d’une telle structure ; Tchérémissinoff 2016). Le mobilier correspond en partie à celui rencontré dans le cadre de la pratique 1. La pratique 3 concerne les enfants et les adultes. Elle se distingue des deux autres par l’absence de traitement et d’agencement du corps et par la rareté du mobilier (hormis les éléments potentiellement détritiques tels que les tessons épars, déchets de tailles, outils fragmentés).
266Les pratiques 1, 2 et 3 : des sépultures ?
267La pratique 1 présente les stigmates d’une ou de plusieurs étapes de funérailles : traitement du corps préalablement à la mise en terre, creusement d’un réceptacle, agencement particulier du corps, dépôt de mobilier. On peut donc considérer les dépôts qui en font partie comme étant des sépultures (avec une certaine réserve en ce qui concerne la structure funéraire accessoire des Bagnoles (structure 833) qui fait partie de la pratique 1 (une étape des funérailles) mais qui n’est pas nécessairement une sépulture (au sens d’étape ultime des funérailles). Une partie des dépôts regroupés dans la pratique 2 présentent quelques-unes de ces caractéristiques et pourraient être de ce fait considérées comme étant des sépultures.
268Bien que nous ne disposions pas de toutes les informations nécessaires à leur interprétation (position du mobilier par rapport aux dépôts mortuaires, dynamique du remplissage, associations de différents types de dépôts mortuaires au sein d’une structure et leur chronologie) il est important de dire quelques mots sur l’ambiguïté des assemblages constitutifs des pratiques 2 et 3.
269La nature funéraire des dépôts en fosses circulaires du Néolithique moyen méditerranéen a été mise en doute récemment (Boulestin 2008, Gutherz et al. 2010). Pour certains, il s’agit de sépultures dont les modalités ne sont pas identifiables (Tchérémissinoff 2016, Tchérémissinoff et al. 2016). Pour d’autres, il faut envisager que nous n’ayons pas affaire à des sépultures (Schmitt 2015, Schmitt & van Willigen 2016, Schmitt & Michel 2016, Schmitt 2017a) et ceci pour plusieurs raisons :
le droit à des funérailles est loin d’être universel. Cette idée contemporaine ne doit pas être transposée dans le passé ;
nous n’avons qu’un petit aperçu du traitement des morts pour ce cadre chrono-culturel. Il faut donc garder à l’esprit que ces défunts déposés dans des structures d’habitat (ou dans des aménagements qui rappellent de telles structures) ont sans doute un statut particulier (Perlès 2009) ;
l’hypothèse selon laquelle certaines inhumations ne seraient pas des sépultures a été formulée dans une étude menée à large échelle consacrée aux dépôts mortuaires en fosses circulaires des Ve et IVe millénaires (Jeunesse 2010). Celles-ci sont bien documentées dans l’est de la France (Lefranc et al. 2010, 2012, 2015, Chenal et al. 2015). La nature non funéraire de nombreux dépôts fait peu de doutes.
270L’hypothèse de rejets de cadavre suite à des mises à mort, privation de sépultures ou utilisation de corps mutilés comme des trophées guerriers est plausible, y compris pour le sud de la France, d’autant plus que des morceaux de corps traités comme des déchets (Jardin-de-Vert-Parc), des témoignages directs de violence et de démembrements de corps (structure 2343 de la ZAC Saint-Antoine), éléments évoquant des traitements non funéraire, y sont aussi attestés.
271Le corpus de données qui invite à s’interroger sur la nature réellement funéraire de certains dépôts, repose surtout sur les divergences entre les sépultures « avérées » caractérisées par un traitement/agencement du corps et par la présence réitérée de mobilier (pratique 1 et au moins une partie des dépôts constituant la pratique 2), et celles qui n’ont pas ces caractéristiques (pratique 3) : non agencement des corps, absence de mobilier, remplissage de nature détritique situé sous ou sur les défunts.
272Il est naturellement difficile d’exclure d’emblée que les dépôts que nous avons regroupé dans la pratique 3 puissent être des sépultures. Leurs caractéristiques incitent toutefois à la prudence. L’analyse fine du contenu et de la dynamique des remplissages ainsi que des études paléogénétiques et biochimiques visant à caractériser les individus les uns par rapport aux autres ne manqueront pas, à l’avenir, d’apporter de nouveaux éléments de discussion (Beau et al. 2017).
Aspects chronologiques des pratiques mortuaires au Ve millénaire en France méditerranéenne (pratiques 1-3)
273La question est maintenant d’ordonner dans le temps ces pratiques et leurs caractéristiques. Les données relatives à la chronologie sont relativement fiables et précises dans la mesure où 95 des 141 dépôts retenus sont datés soit par le radiocarbone, soit par le mobilier qui leur est associé. Sur la base des datations radiocarbone et de leur écart standard ainsi que de la forme de la courbe de calibration, il est actuellement possible de distinguer 5 horizons chronologiques au sein du Ve millénaire (fig. 329) : 5000-4600 (horizon 1), 4600-4450 (horizon 2), 4450-4350 (horizon 3), 4350-4250 (horizon 4) et 4250-3950 avant notre ère (horizon 5). Le nombre de dépôts correspondant aux horizons 1 et 2 étant restreint, ils seront rassemblés. Comme il est rarement possible d’attribuer les dépôts datés par le mobilier archéologique à l’un ou l’autre des horizons 4 ou 5, nous avons choisi de les traiter ensemble.
Les horizons 1 et 2
274Seize dépôts sont datés dans la première moitié du Ve millénaire avant notre ère : six correspondent à la pratique 1, un à la pratique 2 et deux à la pratique 3. Le mobilier funéraire, essentiellement constitué d’éléments de parure, ne se trouve que dans les dépôts de la pratique 1. Aucune crémation n’est attribuable à ces deux horizons chronologiques.
L’horizon 3
275Trois dépôts correspondent au début de la deuxième moitié du Ve millénaire avant notre ère : deux pour la pratique 1 et un dépôt indéterminé. Deux défunts sont accompagnés de mobilier funéraire (céramique, valves de moule et polissoir). Aucune crémation n’est attribuable à cet horizon chronologique.
Les horizons 4-5
276Avec au total 115 dépôts pour la période 4350- 3950 avant notre ère, ils rassemblent l’essentiel de la documentation. Nos trois pratiques sont attestées : les pratiques 1 et 3 dominent avec respectivement 56 dépôts (29 crémations et 27 inhumations de corps non crémés) et 57 dépôts (15 de type 2B, 6 de type 2C et 2 de type 2E) ; la pratique 2 est attestée par 20 dépôts de type 2A. Le mobilier funéraire (pratiques 1 et 2) est constitué dans l’ordre décroissant de vases (33 sépultures), outillage osseux (20 sépultures), faune (16 sépultures), armatures (15 sépultures), lames en silex (12 sépultures), outillage de mouture (11 sépultures), parure (huit sépultures), lames de hache (sept sépultures) et malacofaune marine (six sépultures).
277Malgré ses disparités géographiques, ce corpus permet de formuler des constatations d’ordre général et de distinguer certaines tendances (fig. 330).
Pratique 1 : les inhumations de corps non crémés sont attestées tout au long du Ve millénaire ; la présence de crémations n’est avérée qu’à partir des horizons 4-5.
Pratique 2 : les dépôts en fosses circulaires de type 2A sont attestés dès le début du Ve millénaire avant notre ère (Le Rouergas, structure 123) et perdurent au cours du IVe millénaire.
Pratique 3 : les dépôts en fosses circulaires de type 2B apparaissent dès le début du Ve millénaire avant notre ère (Mazeran II, structure 41 et Cugnaux-Agora, structure Ag250). Les types 2C et 2E ne sont attestés qu’à partir du dernier tiers du Ve millénaire. Tous perdurent au cours du IVe millénaire. En l’état actuel des données, le type 2D ne semble apparaître qu’au début du IVe millénaire avant notre ère.
Les dépôts en fosse circulaire apparaissent dès le VIe millénaire avant notre ère dans différents contextes culturels du Néolithique ancien méditerranéen (Ozanne 2002, Rojo & Garrido-Pena 2012).
Les dépôts successifs (étagés) en fosse circulaire ne sont actuellement attestés qu’à partir du dernier tiers du Ve millénaire (Le Crès, aménagements 14, 27, 112, 145, 200 et 207, Les Clavelles, ZAC Saint-Antoine, structure 2456 et ZAC de la Burlière, structure 2023).
La prédominance de la position fléchie sur le côté gauche, déjà observé au Néolithique ancien (Zemour et al. 2017), perdure au cours de l’ensemble du Ve millénaire.
Au début du Ve millénaire, la parure est le mobilier le plus fréquent ; les dépôts de vases accompagnant le cadavre ne font leur apparition qu’à partir du milieu du Ve millénaire (ZAC Saint-Antoine, structure 1129 et Barreau de la Devèze, structure 3036), en même temps que la mise en place de combinaisons de mobilier qui sont peut-être spécifiques au sexe du défunt.
278Le rassemblement des morts sous forme d’inhumations successives dans un grand creusement circulaire, attesté dans cet horizon, doit-il être considéré comme une sépulture collective ? Oui, d’un point de vue taxinomique, si l’on considère qu’un dépôt successif d’individus dans un volume unique (fosse, grotte, dolmen…) constitue le fondement de la définition de ce type de sépulture. Il a été suggéré que ces dépôts successifs en fosses circulaire des Ve et IVe millénaires avant notre ère étaient annonciateurs du phénomène des tombes collectives du Néolithique final (Beeching 1991). Toutefois, les dépôts successifs d’individus en grotte sont, dans notre région, attestés dès le VIe millénaire avant notre ère (Zemour 2011, 2013, Provost et al. 2017). Il nous semble actuellement plus raisonnable de considérer que des rassemblements collectifs sont documentés pendant tout le Néolithique et qu’il n’existe pas nécessairement de filiation entre eux (Schmitt et al. 2018).
279Le regroupement de tombes sous forme de véritables espaces dédiés uniquement aux défunts est rare mais quatre cas sont répertoriés (Camp del Ginèbre, Najac, les Bagnoles, Cépie). Cette question pour le Néolithique ancien méditerranéen est actuellement discutée (Zemour 2013).
280Même si leur interprétation est complexe, on ne peut passer sous silence les os isolés découverts sur des lambeaux de sol, des fosses circulaires et des comblements de fossé (Pariat 2005, 2016, Vaquer et al. 2008, Schmitt & Michel 2016). Les scénarios possibles sont multiples. Toutefois, ces vestiges disparates illustrent notre méconnaissance de la variété des traitements du corps mort mais aussi du corps transformé (en matière minéralisé qu’est l’os). La réification ou le maintien de la sacralité de ces vestiges demeure au coeur de nos problématiques.
281En résumé, nous assistons au cours du Ve millénaire avant notre ère à la mise en place d’un système funéraire constitué par nos pratiques 1-3. Ce système est composé à partir d’éléments traditionnels (sépultures individuelles, dépôts en fosses circulaires, dépôts de parure), mais il intègre à partir du milieu du millénaire de nouvelles composantes (crémation, dépôts de nouvelles catégories de mobilier telles que la céramique ou les lames de hache, groupements de sépultures).
8.4.4 Conclusions
282Le site des Bagnoles a livré huit structures interprétées comme des sépultures à dépôts secondaires de crémation ou des structures funéraires accessoires (dépôts de résidus de bûcher, structures accessoires liées aux funérailles) accompagnées de mobilier primaire prélevé sur la structure de crémation ainsi que, dans certains cas, de mobilier secondaire. Ces structures constituent deux groupes non associés à un habitat contemporain, datés du dernier tiers du Ve millénaire avant notre ère.
283La crémation est un mode de traitement des corps qui est loin d’être anecdotique dans le Néolithique moyen méditerranéen. Une trentaine de sépultures et structures funéraires accessoires sont actuellement documentées en dépit des difficultés de repérage inhérentes à ce type de traitement des corps. En effet, les contraintes de l’archéologie préventive ne permettent pas de fouiller manuellement toutes les structures domestiques, unique garant d’une telle identification, notamment lors de la phase diagnostique (Le Goff & Billand 2012). On peut donc considérer que le taux de crémation est sous-évalué et que ce traitement du défunt peut être aussi fréquent que l’inhumation de corps non crémés. La crémation apparaît dans le dernier tiers du Ve millénaire et constitue donc une des composantes du système funéraire de cette époque, parallèlement aux inhumations de corps non crémés.
284Une des particularités des sépultures à crémation du Néolithique moyen méditerranéen réside dans le fait que les corps ne sont représentés que par quelques dizaines ou, plus rarement, centaines de grammes d’os calcinés.
285Dans la mesure où toutes les parties anatomiques sont représentées, nous ne pensons pas que des corps incomplets aient été crémés, mais bien des cadavres complets. Il faut donc admettre que seule une partie des ossements crémés a été prélevée pour représenter le défunt dans son lieu de dépôt définitif. Cela n’est pas vraiment surprenant dans la mesure où la diversité des traitements post-crématoires documentés en ethnographie et en archéologie inclut ce type de ramassage limité.
286Les sépultures secondaires à crémation sont, à l’instar de certaines inhumations de corps non crémés, déposées dans un réceptacle spécifique (fosse, vase ossuaire ou structure construite spécifiquement pour accueillir le dépôt mortuaire et le mobilier). Cet élément est un point central de la définition de notre pratique 1 qui regroupe près de la moitié des 137 dépôts mortuaires recensés pour le Ve millénaire avant notre ère en France méditerranéenne (66 dépôts et un minimum de 68 individus).
287Comment expliquer l’existence de deux traitements des corps si différents à partir du dernier tiers du Ve millénaire avant notre ère ? La littérature ethnographique nous montre que des groupes partageant la même idéologie funéraire peuvent suivre des règles funéraires différentes sans que le moteur de cette variation ne soit identifié (Langlois 2016). L’exclusivité du traitement par crémation au sein d’un même groupe est toutefois rare. Lorsqu’il s’agit d’un traitement minoritaire, elle est utilisée soit pour ostraciser, soit au contraire pour donner une dimension honorifique supplémentaire à certains défunts (Schmitt 2017b). Si nous sommes bien en présence d’un traitement minoritaire (la/les pratique(s) 0 est/sont vraisemblablement majoritaire(s)), nous avons vu que les types d’objets associés aux inhumations de cadavres et aux dépôts d’ossements crémés sont globalement les mêmes. Il semblerait donc que nous avons affaire à une alternative codifiée qui inclut les deux traitements dans une idéologie funéraire commune.
288Le sexe du défunt ne semble pas avoir d’influence sur le choix du traitement du corps. Pour des raisons évidentes, il n’a certes pas été possible de déterminer le sexe biologique des crémations. Toutefois, on retrouve dans leur mobilier funéraire des combinaisons qui, dans le cas des inhumations de corps non crémés, pourraient bien être caractéristiques des sépultures féminines d’une part et des sépultures masculines d’autre part. Nous aurions donc ici un indice en faveur de la présence des deux sexes au sein des 29 crémations recensées. Par contre, il faut souligner que la crémation ne concerne, en l’état actuel des connaissances, que les adultes.
289Toujours sur le plan du mobilier funéraire, on note toutefois une différence entre crémation et inhumation de corps non crémé, qui, si elle se confirme, pourra représenter une piste de réflexion intéressante. Les dépôts de céramique sont fréquents dans les sépultures à crémation (22 sur 29 sépultures) alors que cette catégorie de mobilier est relativement rare dans les inhumations de corps non crémés (3 sur 29 sépultures) pour la période concernée par les crémations, c’est-à-dire le dernier tiers du Ve millénaire. Rappelons toutefois qu’il est plus facile de repérer une crémation quand elle est accompagnée de dépôts céramiques. Ces questions de repérage suffisentelles à expliquer une différence aussi flagrante ?
290La forme du réceptacle et la position des corps nous ont conduit à distinguer deux autres pratiques au sein des dépôts mortuaires du Ve millénaire avant notre ère : la pratique 2 (inhumations de corps en position conventionnelle en fosse circulaire ; 22 dépôts pour 29 individus), et la pratique 3 (inhumations de corps en position non conventionnelle en fosse circulaire ; 25 dépôts pour 36 individus).
291Ces trois pratiques permettent de décrire un système mortuaire bien établi dans le dernier tiers du Ve millénaire (fig. 331) : la pratique 1 concerne essentiellement les adultes (femmes et hommes). Elle est scindée entre les crémations (adultes fréquemment accompagnés de dépôts de vases) et les inhumations de corps non crémés en position conventionnelle. La pratique 2, qui ne se distingue de la pratique 1 que par la forme du réceptacle (fosse circulaire de type silo ou puits) concerne plus particulièrement les femmes. Les combinaisons d’objets associés aux pratiques 1 et 2 semblent dépendre du sexe du défunt. La pratique 3 partage un caractère avec la pratique 2 (le réceptacle : structure circulaire de type puits ou silo). On n’y retrouve cependant ni orientation préférentielle, ni recrutement particulier, ni mobilier funéraire.
292Des travaux récents menés sur les restes humains en espaces détritiques en contexte historique et aux temps récents (Schmitt & Anstett sous presse) ont montré que l’on enterre parfois dans des structures de rebuts car aucun autre lieu n’est accessible ou autorisé. Pour autant, certains de ces corps peuvent faire l’objet d’une certaine attention (disposés et ensevelis) alors que d’autres y sont simplement jetés et laissés à l’air libre et à la merci des intempéries et des charognards. Sans faire un parallèle strict, cela pourrait expliquer pourquoi certains individus sont abandonnés dans des fosses domestiques parfois transformées en dépotoirs (pratique 3) alors que d’autres, dans ce même type de fosse (pratique 2), bénéficient de traitements en partie similaires à ceux observés dans les tombes avérées (pratique 1). Nos pratiques seraient alors le reflet de rituels funéraires réservés à une partie seulement de la population (pratique 1) et copiés dans une forme épurée pour ceux qui n’y ont pas intégralement droit (pratique 2).
293Ces résultats sont incontestablement fragiles au vu du corpus encore restreint qui est à notre disposition. Ils suggèrent cependant que l’on peut aller au-delà de la sempiternelle constatation, empreinte de fatalisme, de la « diversité » ou du « polymorphisme » des dépôts mortuaires du Néolithique moyen méditerranéen. Cette variabilité existe certes, mais elle n’est pas le fruit du hasard. Elle représente les différentes facettes d’un système funéraire qui, tout aussi complexe qu’il soit, obéit à des règles précises et parfois même intelligibles.
8.5 Conclusions
S. van Willigen, F. Antolín, A. D’Anna, C. Delefosse, M. Errera, F. Follmann, S. Jacomet, A. Jesus, M. Kühn, P. Pétrequin, B. Röder, M. Schäfer, J. Schibler, A. Reggio, A. Schmitt, W. H. Schoch, L. Viel
294Les informations fournies par les occupations du site des Bagnoles au Néolithique moyen, entre le dernier tiers Ve et le premier tiers du IVe millénaire avant notre ère, ont permis de traiter successivement les différentes problématiques annoncées dans le chapitre 2 : culture matérielle, chronologie, économie et système funéraire. En voici les principaux résultats.
295La présence de plusieurs ensembles clos qui, comme le puits 250, associaient mobilier archéologique et échantillons nécessaires pour réaliser des séries de datations radiocarbone ont permis non seulement de tester et de préciser le séquençage chronoculturel du Néolithique moyen méditerranéen mis en place entre 2012 et 2014 (van Willigen et al. 2011, 2014), mais également d’améliorer la définition de chacun des groupes culturels proposés.
296Pour ce qui est du dernier tiers du Ve millénaire avant notre ère, la série céramique des Bagnoles vient s’ajouter à celles issues des fouilles du Crès, de La Clau et du Champ du Poste pour constituer un corpus qui confirme l’originalité du Néolithique moyen de type Chassey par rapport aux groupes culturels qui le précèdent et qui lui succèdent. Selon notre modélisation bayésienne, la combinaison de caractères céramiques qui est spécifique de ce groupe apparaît vers 4360 et se maintient jusqu’à 4030 cal. BC.
297Malgré sa forte identité culturelle (céramique), il est actuellement possible de relever des différences au sein du Néolithique moyen de type Chassey. Ainsi, des séries comme celle du Crès sont caractérisées par l’abondance des vases munis de cordons multiforés préoraux et d’appliques rectangulaires perforées tandis que d’autres séries comme celles du Champ du Poste et des Bagnoles affectionnent plutôt les coupes à épaississement interne et, tout au moins dans le cas des Bagnoles, les louches à poignée plate. Il est encore impossible d’interpréter ces différences déjà soulignées récemment (Georjon, Léa 2013) : selon les données disponibles actuellement, il est difficile d’y voir deux étapes chronologiques ou encore deux faciès régionaux. L’hypothèse fonctionnelle est quant à elle envisageable pour la présence/absence de louches, forme qui semble jouer un rôle particulier en contexte funéraire.
298La rupture entre le type Chassey et le type La Roberte (van Willigen et al. 2011) doit être légèrement nuancée. Trois ensembles datés par le radiocarbone vers la fin du Ve millénaire (les puits 990 des Bagnoles, 6 de L’Héritière et 433 du Clos du Moulin ; Lepère 2012, Moreau et al. 2017) associent des éléments céramiques caractéristiques du Néolithique moyen de type La Roberte avec quelques éléments qui évoquent le Néolithique moyen de type Chassey : les anses en ruban et les assiettes à marli à décor de chevrons incisés. Toutefois, cette « cohabitation » ne semble pas durer longtemps puisque ces éléments ne sont plus attestés dans les ensembles clos datés du premier tiers du IVe millénaire.
299Comme l’on pouvait s’y attendre, les autres catégories de la culture matérielle suivent leur propre trajectoire. Ainsi, l’outillage lithique ne montre pas de rupture majeure sur le plan des matières premières et des chaînes opératoires. Cela dit, le Néolithique moyen de type La Roberte est marqué par l’apparition d’une série d’innovations importantes : traitement thermique du silex bédoulien dès la fin du Ve millénaire, utilisation du cuivre, réorientation des réseaux d’approvisionnement d’obsidienne (de Lipari vers la Sardaigne). La céramique elle-même n’échappe pas à ces glissements puisque les liens entre le midi de la France et l’Italie centrale, étroits au cours du dernier tiers du Ve millénaire semblent s’estomper au début du IVe millénaire au profit d’autres régions comme pourraient le montrer des assemblages tels que La Maddalena à Chiomonte dans le Piémont et Lagozza à Besnate en Lombardie. Même s’il est encore trop tôt pour parler de bouleversement, les réseaux d’échanges et de communications semblent subir des mutations importantes entre la fin du Ve et le début du IVe millénaire.
300Les données relatives à l’économie végétale font également état de changements au cours du Néolithique moyen. Ainsi, les blés nus, souvent dominants dans les spectres datés de la seconde moitié du Ve millénaire, cèdent le pas aux blés vêtus dans les ensembles du IVe millénaire avant notre ère (Martin et al. 2016a). Cette tendance semble s’engager dès la phase ancienne du Néolithique moyen de type La Roberte, c’est-à-dire à la fin du Ve millénaire si l’on en croit les informations issues du puits 990 des Bagnoles. Les causes de ce phénomène sont encore difficiles à déterminer, mais les trois puits des Bagnoles, très riches en restes végétaux conservés en milieu humide et datés entre 4200 et 3900 avant notre ère, joueront un rôle important pour cette problématique qui est au centre du projet AgriChange (voir § 4.3 et 8.3).
301L’apport du site en ce qui concerne l’économie animale est modeste puisqu’il se limite à quatre spectres. Même si la question du statut de l’occupation est, tout au moins pour le Néolithique moyen de type Chassey, ouverte, les chiffres s’intègrent bien dans les résultats obtenus sur d’autres sites du Néolithique moyen méditerranéen (Bréhard 2011, Forest 2018). L’élevage est largement majoritaire, les bovins et les caprinés constituent les espèces dominantes, la part représentée par les suinés est modeste même si elle semble augmenter entre le Ve et le IVe millénaire. La comparaison avec les ensembles fauniques du Néolithique moyen des régions situées plus au nord-est est intéressante dans la mesure où elle fait état d’une nette divergence entre le Néolithique moyen méditerranéen et la haute vallée du Rhône d’une part, régions dans lesquelles la chasse ne joue qu’un rôle anecdotique, le Jura et le Plateau suisse, d’autre part, où le taux de chasse dépasse fréquemment la moitié du nombre de restes déterminés. La question des facteurs qui ont conduit à cette variabilité reste ouverte : taphonomie (sites lacustres sur le Plateau suisse vs. sites terrestres dans les autres régions ; Schibler & Jacomet 2005), milieu naturel, contexte culturel et contexte social…
302Les huit structures funéraires du site ont constitué le point de départ d’une synthèse régionale consacrée aux pratiques mortuaires pendant le Ve millénaire avant notre ère. Elle a permis de suivre l’introduction de différents traits relatifs au type des structures d’accueil, au traitement des corps et aux mobiliers funéraires. Il en ressort l’image d’un phénomène globalement continu avec, dès le début du Néolithique moyen, une dualité entre d’une part, les dépôts de squelettes en position conventionnelle dans des structures adaptées au volume du corps (pratique 1) et, d’autre part, les dépôts des quelettes en fosse circulaire en position conventionnelle (pratique 2) ou non conventionnelle (pratique 3). Durant cette période, le mobilier est rare, voire inexistant et limité à des éléments de parure. Ce n’est qu’à partir de 4500 avant notre ère que les changements s’accélèrent avec l’apparition des dépôts mortuaires multiples en fosse circulaire, des regroupements de sépultures, de la crémation et de nouveaux types de mobilier : dépôts de céramique, outillage de mouture, armatures, lames de hache et outillage osseux. Cette accélération peut être en partie le fait d’influences padanes où ces éléments font leur apparition dès le début du Ve millénaire. Les pratiques ne subiront ensuite que peu de changement, si ce n’est l’apparition vers le début du IVe millénaire des dépôts multiples en fosse circulaire associant position conventionnelle et position non conventionnelle (les dépôts asymétriques ou morts d’accompagnement ; Testart et al. 2010, Jeunesse 2010).
303Ces quelques résultats suggèrent une évolution complexe au cours du Néolithique moyen méditerranéen avec des glissements successifs dans les réseaux de communication et des périodes d’accélération dans l’acquisition et l’intégration de nouveaux éléments. Même s’il est clair que les rythmes ne sont pas nécessairement les mêmes d’un domaine à l’autre, deux ruptures majeures semblent se dessiner actuellement. Une première intervient peu après le milieu du Ve millénaire et touche les domaines de la culture matérielle et plus particulièrement de la céramique (mise en place des assemblages de type Chassey) et des pratiques mortuaires. Une seconde, que l’on peut situer entre l’extrême fin du Ve millénaire et le début du IVe millénaire avant notre ère, est marquée par plusieurs innovations (traitement thermique du silex bédoulien, utilisation du cuivre), des ajustements dans le domaine économique et un large renouvellement de la culture matérielle avec la mise en place des assemblages de type La Roberte.
Notes de bas de page
1 Déterminations F.-X. Le Bourdonnec, IRAMAT UMR 5060, Université Bordeaux Montaigne, que nous tenons à remercier ici.
2 Intervalles contenant 95 % des probabilités annuelles les plus élevées de la distribution a posteriori, traditionnellement notées HPD 95 % (Highest Posterior Density region).
3 Maximum a posteriori ; mode de la distribution a posteriori.
4 Pour une présentation générale de l’état actuel des études isotopiques, voir Goude et al. 2018, Goude et al. 2012 (mobilité) et Herrscher, Lebras-Goude 2010 (spécificités régionales).
5 À la seule exception près du spectre de l’abri sous bloc piémontais de la Maddalena qui présente une proportion importante de faune chassée.
6 Ce travail est un prolongement de réflexions engagées en 2012 dans le cadre du GdR HumFosNéo dirigé par C. Jeunesse. Nous remercions les participants, en particulier Philippe Lefranc, Anthony Denaire et Christian Jeunesse pour les discussions fructueuses qui ont animé ce projet.
7 Plusieurs inhumations issus d’abris ayant livré du mobilier cardial et postérieur mériteraient des datations radiocarbones : abri Escanin 2 (Montjardin 1966, 1970) et abri de Saint-Mitre (Calvet 1969). L’abri n°2 de Fraischamp est répertorié parmi les sites ayant livré des sépultures « chasséennes » dont deux délimitées par des dalles de molasse (Paccard 1957). Les ossements étaient brûlés et représentaient des individus incomplets. Ce gisement contenait des vestiges datant de tout le Néolithique. Par conséquent, en l’absence de datation sur ossements, ces structures ne sont pas incluses dans notre corpus.
8 Nous tenons compte ici de tous les objets mis au jour dans le remplissage de la structure contenant le ou les dépôts humains indépendamment de la question de leur statut (association fortuite, mobilier détritiques, objets funéraires).
Auteurs
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