Le gouvernement de soi et des autres selon Bernard de Clairvaux
Lecture de la lettre 42, De Moribus et officio episcoporum
p. 279-296
Remerciements
Je remercie les participants au séminaire SICMA pour leurs suggestions lors de la présentation orale de cette réflexion, ainsi que P. Nagy et A. Grélois qui ont accepté de relire le présent texte et de l’amender.
Texte intégral
« De la religion des faibles et des esclaves est sortie une civilisation d’une puissance incomparable, dont le génie constant a été de prendre le contrepied des apparences de la puissance. [...] Qui aurait jamais cru que l’impuissance pouvait être le ressort de la vraie puissance ? »
Marcel Gauchet, La Condition historique
« J’appelle “gouvernementalité” la rencontre entre les techniques de domination exercées sur les autres et les techniques de soi »
Michel Foucault, Les Techniques de soi
1L’affirmation de l’autorité de Bernard, abbé de Clairvaux, sur la mouvance cistercienne est le résultat d’une stratégie qui devient clairement visible à partir des années 1124-1125 à l’occasion de son intervention lors de la crise de Morimond1. Durant une première phase, qui précède celle de son pouvoir personnel sur l’ordre après la mort d’Etienne Harding en 1134, cette stratégie prend deux directions : vers l’extérieur, une prise de parole de l’intellectuel au nom de l’ordre tout entier, comme dans l’Apologia ad Guillelmum (1123-1124) ; vers l’intérieur, une implication de l’abbé dans la rivalité entre les principaux monastères de l’ordre2. Parallèlement, Bernard pose les fondements de sa vision spirituelle de la réforme monastique, avec notamment la rédaction liminaire du De Diligendo Deo (1124-1125) qui précède de peu l’écriture de son traité anthropologique De Gratia et libero arbitrio (avant 1128).
2C’est sous ce double éclairage du pouvoir revendiqué par Bernard et de sa théorie spirituelle que je voudrais considérer un texte assez peu connu de l’abbé de Clairvaux, une lettre-traité datant probablement des années 1127-1128, à laquelle la tradition a donné pour titre De Moribus et officio episcoporum. C’est une longue lettre qui occupe 25 colonnes dans le tome 182 de la Patrologie Latine3 et qui a bénéficié récemment d’une édition bilingue4. Le destinataire en est le puissant Henri de Boisrogues, archevêque de Sens de 1122 à 1142. Originaire d’une noble famille du Poitou, celui qu’on surnomme Henri le Sanglier a tout le profil d’un évêque antegrégorien : il a passé sa jeunesse à la cour de Louis VI et devient archevêque de Sens avec l’appui du roi, au moment même de la signature du concordat de Worms. Pendant un temps, il continue à mener une vie de courtisan puis se rapproche du camp grégorien, sous l’influence de l’évêque de Chartres, Geoffroy, et de l’évêque de Meaux, Burchard. Bernard, au début de sa lettre, évoque le passé trouble de l’archevêque et loue ce qu’il considère être une conversion. Toujours selon Bernard, c’est le prélat qui lui aurait demandé de le guider dans cette nouvelle voie. En réponse, il écrit cette lettre-traité qui s’inscrit dans le genre bien connu des traités sur les devoirs des clercs, remontant au De Officiis d’Ambroise de Milan, lui-même prolongeant pour le christianisme le genre du traité moral avec le De Officiis de Cicéron. À l’intérieur du corpus bernardin, il est habituel de placer cette lettre dans un triptyque, comme le fit Mabillon, entre les traités De Conversione ad clericos (1140) et De Consideratione (1149-1152). L’exposé de la lettre 42 mêle, selon une progression sans grande rigueur de plan, des considérations pragmatiques sur l’art du bien gouverner ecclésiastique et des réflexions morales inspirées de la spiritualité du monachisme réformé5. Il s’agit de montrer ici comment les positions de Bernard dans cette lettre-traité militent en faveur d’une certaine indépendance de l’ordre cistercien vis-à-vis de l’autorité diocésaine, tout en favorisant le pouvoir personnel de Bernard, sans qu’il y ait pour autant de contradiction avec ses positions en matière d’ecclésiologie et de spiritualité. Pour cela, je me suis d’abord intéressé à la question de l’autorité de l’évêque sur les moines et donc, pour les cisterciens, au problème de l’exemption qui est toujours affleurant dans la lettre 42.
Bernard de Clairvaux, l’ordre cistercien et l’autorité épiscopale
Bernard est-il à l’origine de l’exemption cistercienne ?
3La notion même d’exemption est tardive, définie clairement seulement au milieu du XIIIe siècle6. D’ailleurs, lorsque Bernard dénonce le désir d’émancipation de certains abbés par rapport au pouvoir diocésain, il n’utilise jamais le terme exemptio mais privilegium7 ou dispensatio, comme c’est le cas par exemple dans le De Consideratione où il condamne l’utilisation abusive des dispenses pontificales qui ont davantage pour objectif de défendre les intérêts privés de tel ou tel monastère plutôt que l’intérêt commun de l’Église8. Cela étant dit, au-delà de ces précautions de vocabulaire, le principe d’une hostilité de Bernard à toute forme d’exemption, sur fond de rivalité entre Cluny et Cîteaux, semble acquis depuis longtemps pour les historiens9. Or, que l’on parle d’exemption ou bien de dispense, le fait est que les premiers privilèges pontificaux constitutifs de l’exemption accordés aux cisterciens sont antérieurs à la mort de Bernard en 1153. Le 10 février 1132, par la bulle Habitantes in domo Dei10, Innocent II dispense les abbés de Cîteaux et de l’ordre d’assister au synode diocésain, du moins contre leur gré : « nous défendons qu’un archevêque ou évêque ne te contraigne, toi et tes successeurs ou un quelconque abbé de l’ordre cistercien, de venir au concile ou au synode, sauf pour la foi »11. Quelques jours plus tard, le 17 février 1132, l’abbé de Clairvaux se voit personnellement confirmer cette dispense dans un autre privilège12. En outre, la bulle Habitantes dispense aussi l’ordre de la dîme, un privilège qui semble acquis dès 1121 et qui est confirmé en 1135 au concile de Pise13. Surtout, en 1152, par la première des bulles Sacrosancta, Eugène III dispense les cisterciens de respecter l’interdit : l’office pourra se faire malgré tout à voix basse14. Qu’en conclure ? On doit envisager deux possibilités. Soit Bernard n’a pas recherché ces privilèges, même s’il a laissé faire ; soit les premiers abbés cisterciens – Bernard compris – ont fait preuve d’un certain pragmatisme en tenant l’évêque à une distance respectable du monastère. Pour certains, l’hypothèse d’une exemption malgré Bernard serait confirmée par le fait que l’ordre ne devient pleinement émancipé qu’après sa mort, principalement sous le pontificat d’Alexandre III, puis de Lucius III, entre 1159 et 118515. La seconde hypothèse est cependant plus probable16. Elle s’accorde avec le ton mesuré du De Consideratione, où Bernard dénonce moins la dispense en soi que son utilisation systématique. Surtout, il faut voir que les deux papes qui concèdent des dispenses aux cisterciens du vivant de Bernard lui sont très proches voire redevables. Bernard n’avait pas ménagé sa peine en faveur d’Innocent II à l’époque du schisme dit d’Anaclet17. Le privilège claravallien de 1132 est à relier à l’intervention de Bernard. C’est ce que fait d’ailleurs explicitement son biographe Geoffroy d’Auxerre qui cite une partie du document – dans laquelle Bernard est qualifié de défenseur infatigable de l’Église – au livre III de la Vita prima18. Quant à Eugène III, lui-même ancien moine de Clairvaux et destinataire du De Consideratione, il était le protégé de Bernard. Comment imaginer que ces privilèges aient été obtenus contre l’avis de l’abbé de Clairvaux ? Au contraire, on peut raisonnablement penser qu’il en fut l’inspirateur.
4Un autre argument provient des travaux de J.-B. Auberger sur la chronologie de la législation primitive de Cîteaux qui tendent à montrer que Bernard est à l’origine de la rédaction de la Summa cartae caritatis (SCC), vers 112419. Cette version parallèle de la Charte de charité contient quelques modifications notables par rapport à la Carta caritatis prior (CC1)20 : Cîteaux n’est plus désigné comme étant le Novum Monasterium mais par le nom Cistercium21 ou l’adjectif cisterciensis22 ; il est précisé en outre que le lien de charité qui existe entre Cîteaux et ses filles doit être désormais transposé aux relations entre les filles et les petites-filles23. Surtout, il y a une mise en retrait de l’évêque. En effet, le préambule de la CC1 stipule que toute installation nouvelle se fera avec l’accord du diocésain24. Par ailleurs, la compétence de l’évêque diocésain dans la déposition d’un abbé qui ne respecte pas la règle ou l’ordonnance cistercienne est rappelée, y compris pour Cîteaux25. Dans la relecture claravallienne de 1124, plusieurs références à l’intervention de l’évêque ont disparu (autorisation préalable à toute fondation ; mention de la compétence diocésaine dans la correction de l’abbé de Cîteaux), ce qui a pour conséquence de renforcer la collégialité du gouvernement de l’ordre. En effet, en cas de manquement de l’abbé de Cîteaux, la correction échappe désormais totalement à l’évêque de Chalon au profit immédiat des abbés des trois premières filles (La Ferté, Pontigny et Clairvaux) voire des coabbés de la congrégation de Cîteaux s’il y a procédure de déposition26.
5Comment interpréter ces modifications ? On peut supposer avec J.-B. Auberger que, du vivant d’Étienne Harding, Bernard a cherché à obtenir un rééquilibrage entre les deux principaux pôles du jeune ordre, Cîteaux et Clairvaux. Pour cela, il fait rédiger une nouvelle mouture de la Charte de charité, sans valeur officielle, qui atténue la position prédominante de Cîteaux et ouvre la voie à une plus grande indépendance vis-à-vis de l’ordinaire comme stratégie de pouvoir pour Clairvaux. Mais l’autorité de Bernard sur l’ordre s’impose rapidement. La version claravallienne de la Charte de charité perd alors de son intérêt. C’est pourquoi la Carta caritatis posterior (CC2), version confirmée en 1152 par Eugène III, s’inscrit dans le prolongement de la CC1 et non de la SCC, tout en se gardant de rétablir les prérogatives épiscopales en matière de déposition. Il faudrait donc en conclure que c’est Bernard lui-même qui aurait porté l’un des premiers coups de canif dans le principe cistercien de la soumission à l’évêque, afin de conforter le poids de Clairvaux dans l’ordre naissant27. On est loin de l’image traditionnelle d’un Bernard farouche adversaire de toute dispense28.
Soumission au pouvoir de l’ordre et subsidiarité dans l’usage de ce pouvoir
6Pour autant, en agissant ainsi, Bernard ne trahit en rien l’esprit originel de l’ordre. D’emblée, sur l’initiative même d’Étienne Harding, la soumission de Cîteaux à l’ordinaire est limitée. En effet, l’exemption cistercienne est en germe dans la CC1 qui place directement chaque abbaye-fille sous le contrôle de l’abbaye-mère et prévoit un contournement du privilège de correction de l’évêque en cas de défaillance ou d’incurie29. Surtout, la tenue précoce d’un chapitre d’abbés exigeait tacitement que les évêques renonçassent en amont à une part de leur juridiction. On le vérifie un peu plus tard avec les chartreux lorsqu’ils adoptent à leur tour en 1142 le système du chapitre général. Auparavant, ils avaient pris soin de rassembler les lettres des évêques diocésains qui confirmaient l’abandon de leur juridiction au bénéfice du définitoire du chapitre général30. En ce sens, l’infléchissement bernardin de la Charte de charité dans les années 1120 ne fait que prolonger la pente naturelle de la charte primitive et donc la stratégie d’émancipation engagée par Étienne Harding31. Bernard procède cependant de façon prudente et graduelle, maintenant une étroite collaboration avec l’épiscopat, eu égard notamment à sa position non encore prééminente à l’intérieur de la congrégation.
7Que dit de tout cela la lettre 42 ? Au premier abord elle parle surtout d’obéissance. Dès le prologue, le maître mot de l’attitude du moine vis-à-vis de l’évêque est l’obéissance : « qui sommes-nous pour refuser d’obéir à des évêques ? »32. Le rapport moine/évêque conjugue un lien horizontal communautaire, une solidarité naturelle entre gens d’Église, la familiaritas, avec un lien vertical, un rapport hiérarchique d’autorité, l’auctoritas33. Bernard dénonce les abbés cisterciens qui cherchent à s’émanciper de la tutelle de l’évêque (emancipentur)34. Il stigmatise ceux qui prétendent agir au nom de laliberté de l’Église et affirme qu’en tant qu’abbé de Clairvaux il ne lui viendrait jamais à l’esprit de se dégager de l’obéissance due à son évêque diocésain (mei pontificis)35. Donc, la soumission des moines à leur évêque, le rejet de l’émancipation, l’obéissance sont explicitement exigés par Bernard. Dès lors, il faudrait en conclure que le contenu de la lettre 42 serait peu compatible avec les efforts de Bernard pour accentuer l’autonomie des maisons cisterciennes face au pouvoir épiscopal. Doit-on parler de contradiction voire de cynisme de la part d’un Bernard qui agirait dans un sens opposé à son discours ? Ou bien faisait-on fausse route tout à l’heure en évoquant une stratégie précoce d’autonomie soutenue par Bernard ?
8En fait, il n’y a ni contradiction ni fausse route pour peu qu’on soit attentif aux contours précis de l’autonomie souhaitée. Partons des catégories contemporaines. Dans la première moitié du XIIe siècle, l’idée d’une exemption plénière n’a pas de sens, de même qu’il n’existe pas encore de distinction canonique entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction. Il en est ainsi dans le Décret de Gratien (1140) où il n’est jamais question de distinction entre la potestas ordinis et la potestas juridictionis. Néanmoins, dans les solutions pratiques que Gratien propose pour régler un certain nombre de problèmes, liés notamment à la validité des sacrements administrés par des prêtres indignes ou encore à la charge paroissiale des moines, une distinction se dessine entre la potestas sacerdotale, qui renvoie aux prérogatives de l’ordre, et l’executio potestatis qui s’applique à l’usage qui en est fait dans le cadre de la cura animarum36. Si donc la distinction ordre/juridiction n’est pas encore formulée en termes canoniques, elle est déjà opératoire dans la pratique dès avant le milieu du XIIe siècle37. Or, on constate que Bernard dans la lettre 42 exprime surtout un rejet de toute émancipation concernant la potestas de l’évêque. Il n’oublie jamais que l’évêque est le seul à détenir la plénitude du sacerdoce. C’est en ce sens qu’il nomme indifféremment l’évêque ou le pape, mais eux seulement, vicarius Christi38. Il attaque violemment les abbés qui prétendent à force de simonie pouvoir arborer les insignes de la potestas épiscopale que sont la mitre, l’anneau ou les sandales. Ici, Bernard ne dénonce pas seulement l’outrecuidance mais l’usurpation :
Si tu considères la dignité (dignitas) que représentent ces insignes, la profession monastique l’a en horreur ; si tu considères le ministère (ministerium) qu’ils représentent, il est clair qu’ils ne conviennent qu’aux pontifes39.
9On peut repérer dans le couple dignitas/ministerium une articulation comparable à celle qui lie la potestas avec son executio : la dignité en question est celle que confère l’ordre alors que l’exercice du ministère correspond à la charge pastorale. L’empiètement qui concerne le ministère irrite déjà Bernard mais la prétention à la dignité le scandalise. Pour Bernard, il y a une incompatibilité de statut entre le moine et le pontife et il se pose la question : « Qu’adviendrait-il si l’autorité des privilèges pouvait aussi leur conférer le nom attaché à ces privilèges ? »40 C’est alors l’ordre de l’Église tout entière qui serait menacé et le nom même de moine qui serait privé de toute dignité. Le risque fondamental est que ces moines désirent être (esse) ce qu’ils paraissent (quod videri). De la même façon, désobéir à son évêque revient à nier la validité divine de l’ordinatio41. Dans le De Consideratione, Bernard compare la hiérarchie ecclésiastique, soumise au souverain pontife, à la hiérarchie céleste soumise à Dieu42. En somme, pour lui, toute dispense concernant l’ordre, toute entaille à l’exclusivité de la plénitude du sacerdoce épiscopal est une menace directe pesant sur l’institution ecclésiastique dans sa cohésion divine. Or, la suppression des références à l’ordinaire dans la SCC ne concerne pas le pouvoir de l’ordre mais son usage.
10Sur cet aspect proprement disciplinaire de l’autorité épiscopale, la position de Bernard est plus nuancée. Il est nettement moins disert dans la lettre 42 sur les questions de primauté disciplinaire de l’évêque qu’il ne l’est sur la plénitude de l’ordre. En fait, il se contente de reconnaître que ce pouvoir est légitime en soi43 : puisque le pouvoir de l’évêque vient de Dieu, celui qui résiste à l’évêque remet en cause l’ordre voulu par Dieu. Aux moines qui refusent la juridiction épiscopale parce qu’elle est séculière, Bernard rappelle que le Christ lui-même s’est soumis au jugement de Pilate44. La comparaison n’est pas très flatteuse mais l’argument porte. En tout cas, Bernard se garde bien ici d’être plus précis sur l’étendue exacte de ce pouvoir de correction. L’ecclésiologie bernardine repose sur une conception très nette du rôle de chacun, sachant que le respect des hiérarchies garantit l’unité du corps mystique du Christ. C’est ce principe qui légitime l’autorité épiscopale, mais c’est le même principe qui en limite l’étendue sur les moines. Les privilèges de 1132 qui libèrent les abbés de l’obligation d’assister aux synodes diocésains et celui de 1152 qui les protège de l’interdit vont dans ce sens. En outre, en cherchant à écarter l’évêque du processus de déposition des abbés prévaricateurs, comme le fait la SCC, Bernard est cohérent avec l’esprit des institutions cisterciennes tout comme avec les bases idéologiques de son ecclésiologie. Dès les origines, l’ordre par son organisation a donc pour vocation de laver son linge sale en famille : là où s’arrête la loi de l’ordre commence la loi de l’ordinaire.
11On voit qu’il existe une réelle cohérence sur le long terme, des années 1120 aux années 1150, entre le Bernard de la lettre 42 ou du De Consideratione, le Bernard qui fait réécrire la Charte de charité, et le Bernard qui conseille les papes Innocent II et Eugène III. Sur l’autorité épiscopale dans son rapport avec les monastères, sa position peut se résumer en trois propositions :
- Le principe de la soumission des moines aux pouvoirs d’ordre et de juridiction de l’évêque diocésain est clairement requis.
- Le pouvoir d’ordre appartient depuis les origines exclusivement à l’évêque et ne saurait être partagé ; en revanche l’usage de ce pouvoir (la juridiction) est partagé, ce qui est entendu par les statuts primitifs de l’ordre.
- Certaines dispenses concernant la juridiction peuvent être légitimes à condition qu’elles servent l’intérêt commun de l’Église et qu’elles correspondent à l’esprit de fondation.
12On comprend aisément, dès lors, que Bernard puisse appeler les cisterciens à la soumission épiscopale tout en agissant parallèlement (sur les statuts de l’ordre ou auprès des papes) pour étendre et diffuser certaines dispenses juridictionnelles. Les cisterciens doivent demeurer soumis à la plénitude de l’ordre sacerdotal et à tout ce qui ne relève pas directement du collège des abbés sur le plan disciplinaire45.
Les premiers cisterciens et le pouvoir
13Derrière cette question de la nature de la soumission monastique à l’ordinaire se profile un débat plus général sur les premiers cisterciens et le pouvoir. Aujourd’hui encore, il est fréquent de lire que l’esprit originel de Cîteaux, fondé sur le désir du désert et la fuite du monde, s’accompagnait d’un refus des formes de pouvoir, économique ou politique, générées par la société seigneuriale. Résumant une idée communément admise, M. Pacaut écrit : « Le retranchement du monde comporte enfin le refus total de s’y intégrer et de s’introduire dans le jeu des pouvoirs » et il ajoute un peu plus loin : « [Les premiers cisterciens] ne sont pas seulement à l’écart du monde, ils désirent s’astreindre à être hors du monde »46. Cette analyse repose assurément sur des arguments solides, notamment le refus des profits seigneuriaux qui fixent alors les cadres de l’économie agraire dominante, mais elle contient une part de simplification.
14L’histoire idéologique de Cîteaux commence dans les années 1110 avec la CC1 qui définit déjà les bases d’une émancipation partielle, laquelle ne pouvait échapper aux contemporains, pas plus qu’aux historiens. D’ailleurs, après G. Duby, A. Vauchez a rappelé récemment que les bases du gouvernement instaurées par la CC1 étaient conformes à celles de la féodalité politique, en faisant une place « aux pouvoirs locaux et à la consultation »47. On peut lire en effet la pyramide cistercienne selon cette grille, avec la dépendance directe entre abbayes-mères et abbayes-filles, le maintien d’une centralisation dans la suprématie de l’abbé de Cîteaux et la consultation avec le chapitre d’abbés. En ce sens, l’organisation cistercienne, surtout à partir de la relecture bernardine, s’accorde bien avec la seconde féodalité, où les fondements de la consultation et du contrôle mutuel se conjuguent avec une forme de centralisation. À ce titre, comme le soulignait déjà J.-B. Mahn, l’originalité des cisterciens au XIIe siècle tiendrait moins dans le style de vie conventuelle qu’ils proposent, que l’on trouve déjà dans les expériences érémitiques italiennes, que dans l’organisation de l’ordre, parfaitement adaptée à l’esprit des temps et aux nouvelles formes de gouvernement48. G. Duby a bien montré que l’expérience cistercienne, quoique anti-seigneuriale, s’enracine dans la mentalité féodale. Sans doute faut-il aussi admettre que très tôt les cisterciens ne répugnent pas à entrer dans certains jeux de pouvoir, sans pour cela enfreindre un supposé esprit originel de refus de toute connivence49. D’ailleurs, Bernard n’est pas un personnage isolé dans l’ordre, loin s’en faut. Par exemple, Aelred de Rievaulx a occupé de hautes fonctions de gestionnaire (dispensator) à la cour d’Écosse avant d’entrer au cloître en 1134 et il a continué ensuite à entretenir des relations épistolaires avec les grands d’Europe. Isaac de l’Étoile a sans doute soutenu Thomas Becket dans le conflit qui l’opposait à Henri II, au point d’être exilé sur l’île de Ré à la fin de sa vie. À la mort de Bernard, plusieurs dizaines d’évêques sont déjà sortis des monastères cisterciens50. Au temps de son pouvoir personnel, ce ne sont pas moins de douze moines de Clairvaux qui sont devenus évêques de 1139 à 1152 tandis que deux autres ont occupé les sièges cardinalices des diocèses suburbicaires de Palestrina et d’Ostie51.
15Il n’y a là cependant aucune dérive. N’oublions pas que pour un moine cistercien, la fuite du monde commence et s’achève dans l’intimité de soi, même si le détour par la protection et la charité commune du cloître est indispensable. La quête du désert est prioritairement quête intérieure d’un soi allégé du joug dupéché, d’un soi épuré, déserté par la volonté propre. À ce titre, l’ultime frontière pour Bernard n’est pas tant l’enceinte monastique que celle qui partage, en chaque individu, l’homme extérieur qui est proprement aliéné – esclave de cet autre en soi qu’est la volonté propre – et l’homme intérieur, rendu à un soi vrai par l’abandon de cette même volonté propre52. C’est ce que nous apprend le portrait moral de l’évêque dressé par Bernard dans cette lettre 42.
Gouverner les autres : portrait moral de l’évêque
16Nous le disions en introduction, la lettre 42 ne suit pas de plan bien précis. Elle contient une succession de développements alternant des adresses très ciblées à Henri de Boisrogues et des considérations beaucoup plus générales, des remarques concernant la pratique épiscopale et de longs passages sur les vertus intérieures que l’évêque doit acquérir ou cultiver, ainsi qu’un certain nombre de propos qui s’adressent directement aux moines et abbés cisterciens. Cet enchevêtrement de considérations spirituelles, de conseils pratiques et d’invectives, qui s’explique par le genre assez libre de la lettre-traité, correspond aussi au projet bernardin de réformer simultanément les mœurs des évêques et la fonction épiscopale53. Pour le moine Bernard, l’un ne va pas sans l’autre, ou plus exactement la réforme des mœurs est au fondement de la réforme de la pratique pastorale. Ce faisant, l’abbé est conduit à dresser conjointement les portraits du bon et du mauvais évêque.
Le mauvais évêque
17Bernard résume en une formule ce qui distingue selon lui l’évêque réformateur : « Vous honorez votre ministère (ministerium) ; votre ministère dis-je, non votre pouvoir (dominium) »54. Il utilise à plusieurs reprises cette opposition ministerium/dominium55. C’est à dessein qu’il emploie un vocabulaire évoquant la féodalité avec le dominium qui renvoie aux pouvoirs économiques et politiques liés à la suzeraineté et le ministerium qui contient l’idée de service56. L’évêque ne doit pas se comporter en seigneur temporel. Bernard martèle qu’il n’est pas dans son devoir premier de faire fructifier le patrimoine de l’évêché, oubliant que le pontife est aussi en charge de l’episcopatum57. Plus exactement, Bernard ne voit dans la seigneurie temporelle de l’évêque qu’une façon détournée de cultiver l’appât du gain58. La dénonciation du faste dans lequel vivent de nombreux évêques tient une place importante dans la lettre. Bernard condamne tous les signes extérieurs de richesse desquels se repaissent certains évêques : vêtements fastueux et raffinés qui les font ressembler à des femmes, étalage de chevaux et d’attelages de luxe, construction de palais, etc59. Il s’agit à ses yeux d’une double trahison, envers Dieu et envers les fidèles. Envers Dieu car l’évêque ne peut servir deux maîtres, Dieu et le monde60. Envers les fidèles ensuite, qui sont eux aussi doublement trahis. Premièrement parce que l’évêque a une fonction d’exemplarité : il doit surveiller et guider le troupeau et non se comporter comme lui en se vautrant dans les plaisirs charnels. Bernard ajoute une seconde raison, toute cistercienne dans l’esprit : l’argent que dépense inconsidérément l’évêque, il l’a prélevé sur le travail des fidèles. Non seulement, dit-il, le superflu de l’évêque est financé sur le nécessaire du pauvre, mais de surcroît il s’agit d’un revenu à la légitimité douteuse61. On reconnaît le refus cistercien de percevoir dîmes et revenus indirects auquel Bernard donne ici une connotation sociale : c’est un moyen d’éviter des révoltes, auxquelles s’expose l’évêque dispendieux. Dans le même sens, Bernard dénonce la patrimonialisation de la charge épiscopale et la simonie (simonia)62. Le message passe par l’évocation de la captation des évêchés par des adolescents à peine pubères. Non sans ironie, Bernard précise qu’il n’a rien contre la jeunesse, souvent source de vertu, mais que là on a le sentiment que ces jeunes gens cherchent surtout à faire l’école buissonnière et à échapper à la férule du maître. Il généralise même son propos : la chasse aux charges ecclésiastiques est devenue un sport pour le clergé, sachant que celles d’évêque et d’archevêque sont parmi les plus prisées63. On rejoint ainsi l’attrait du dominium que Bernard appelle alors libido dominandi64, certains évêques se constituant même de véritables principautés (patrias) comme Simon de Vermandois, évêque de Noyon et de Tournai auquel il est fait directement allusion dans la lettre65.
18L’ensemble de ces reproches n’a rien d’original. Au contraire, il sont intéressants dans la mesure où ils sont caractéristiques des dénonciations émanant des milieux réformateurs : trafic des charges, patrimonialisation des biens, dilapidation des richesses et dénonciation de la pression fiscale. Tout cela est extrêmement classique.
L’évêque réformateur
19Face à cet anti-portrait, Bernard définit les conditions du bon gouvernement épiscopal. En priorité, il inscrit le ministerium épiscopal dans une forme de collégialité : ce n’est pas une direction solitaire66. Là encore, au tout début de la lettre, l’idée est exprimée par une notion à l’écho féodal particulier, celle de consilium67. C’est par le juste conseil d’un entourage bien choisi que l’évêque pourra enrayer toute dérive simoniaque. Pour l’archevêque Henri, à qui il s’adresse, il s’agit de gouverner en tenant compte de l’avis de ses suffragants68. Ainsi le bon conseil est la mère de toutes les vertus d’exercice de la fonction : la bienveillance, la prudence et la mesure. En outre, Bernard rappelle l’antique mission protectrice de l’évêque qui est en première ligne au contact de ses fidèles : il est le berger placé au sommet de la montagne pour prévenir de la venue du loup. Il a donc la responsabilité du troupeau mais il est de plus exposé à tous les assauts, alors que le moine est reclus dans une caverne, aux prises avec des tentations qu’il est le seul à s’infliger69. On note cependant que Bernard a une lecture strictement spirituelle de cette mission historique de l’évêque comme protecteur de la cité chrétienne.
20Pour être à l’abri des tentations et à la hauteur de sa mission, l’évêque doit cultiver trois vertus fondatrices : la chasteté, la charité et l’humilité. Chronologiquement, la chasteté est première mais les trois vertus sont étroitement liées puisque la chasteté n’a aucun mérite sans la charité et que seule l’humilité peut conduire au don de la charité et de la chasteté. La référence à la chasteté sacerdotale ne saurait surprendre dans un contexte réformateur mais Bernard insiste surtout sur la charité et plus encore sur l’humilité qui est traitée dans deux passages distincts de la lettre70. L’humilité est à la fois une vertu fondatrice et protectrice de la légitimité épiscopale. Elle est fondatrice au sens où elle garantit l’esprit de service inhérent au ministerium sacerdotal ; elle est protectrice car elle met à l’abri de l’orgueil et de l’ambition. Enfin, la charité enveloppe les autres vertus en leur donnant valeur et goût. Elle joue le rôle d’interface entre ce premier volet des qualités de l’évêque réformateur, qui correspond à l’extérieur de la pratique vertueuse du sacerdoce, et la réforme de l’homme intérieur.
Conversion et gouvernement de soi
21Au fondement de la légitimation de l’autorité épiscopale, il y a pour Bernard la remise en ordre de l’homme intérieur, qu’il appelle ratio ordinis (mise en ordre raisonnable)71. Il faut comprendre que tout gouvernement des autres n’est légitime aux yeux de Bernard que s’il s’appuie au préalable sur un gouvernement de soi72. Or c’est là assurément la vertu la plus difficile à acquérir car, comme tout homme, l’évêque est soumis à des pulsions dont il ne peut s’empêcher de ressentir la force :
Si chacune des pulsions (illiciti motus) de mon esprit sont autant d’injures contre toi, mon Dieu, tels les mouvements de colère contre la mansuétude, d’envie contre la charité, d’étalage de luxe contre la frugalité, de débauche contre la chasteté, et d’autres innombrables, pareils à ceux-là, qui sortent sans cesse en bouillonnant, maintenant encore, du lac fangeux de mon cœur enfiévré, submergeant de leurs éclaboussures la sérénité de ton visage éclatant, qu’ai-je fait de grand en contenant mes seuls membres, en corrigeant mes seuls actes ?73
22Mais immédiatement après cette tirade d’inspiration augustinienne, Bernard se fait l’écho des conceptions plus optimistes du XIIe siècle sur la nature en précisant que ces pulsions ne sont pas des péchés si l’homme n’y cède pas : « Serait-ce que désormais je n’en suis plus l’auteur mais la victime ? Tous ces mouvements agissent certes en moi, mais ils n’agissent pas par moi, si je n’y consens pas »74. C’est une conception assez neuve : pendant longtemps, la tradition chrétienne avait rendu l’homme comptable moralement de tous ses désirs. Toute pulsion pour Augustin n’est qu’une volonté déguisée ; ce qui signifie donc que l’homme est responsable aussi de ces mouvements en apparence spontanés. Bernard desserre quelque peu l’étau de la responsabilité individuelle vis-à-vis de tout élan pulsionnel. En somme, ce que Bernard demande à l’évêque, c’est d’agir de façon vertueuse mais aussi de mettre son cœur et sa conscience – il parle ainsi de la puritas cordis75 et de la bona conscientia76 – en conformité avec ses actes.
23La légitimation spirituelle de l’autorité épiscopale se fait à deux conditions : au préalable, exercer un pouvoir sur soi77 ; ensuite, être soi-même en état de soumission : « car dédaigner la soumission, dit Bernard, c’est se rendre indigne de la prélature »78. On voit alors que l’anthropologie et l’ecclésiologie de Bernard s’articulent parfaitement. Cette vision d’ensemble transparaît bien par exemple quand il commente un verset de Matthieu 8, 9 : « Qu’il a bien parlé ce centurion dont la foi n’a pas trouvé d’égale en Israël ! “Et moi, dit-il, je suis un homme soumis à une autorité (homo sum sub potestate), ayant des soldats sous mes ordres” »79. Si le terme homo peut contenir depuis l’époque classique l’idée d’une soumission, Bernard s’appuie explicitement sur la connotation vassalique qu’il possède au XIIe siècle80. Celui-ci évoque ainsi le principe d’une double soumission, spirituelle et temporelle, dans la glose qui suit : « Tu reconnais ta faiblesse (infirmitatem) ; tu avoues ta subordination (subjectionem) »81. L’infirmitas désigne sans conteste l’état de l’humanité après le péché : évoquer sa condition d’homme, c’est reconnaître son état de pécheur ; la subjectio renvoie à la subordination politique. Bernard continue juste après à dérouler ce lien entre le spirituel et le pouvoir :
Il n’a pas rougi du pouvoir qu’il avait au-dessus de lui (super se potestatem) ; c’est pourquoi il est, lui aussi, digne d’avoir des soldats sous ses ordres. « La bouche parlait du trop plein du cœur » (Matth. 12, 34) et, comme il avait en lui-même des affects ordonnés (ordinatas affectiones), il a extérieurement conformé (foris composuit), comme il convenait, ses paroles. Il a d’abord rendu un hommage à ses supérieurs (dedit prius honorem praepositis), pour ensuite recevoir justement celui de ses subordonnés…82
24On identifie bien dans ce passage le mélange entre l’approche strictement anthropologique de la réforme intérieure et l’aspect plus politique de la chaîne des potestates. On a même une progression parfaitement maîtrisée depuis l’évocation de l’homme intérieur par les émotions à ordonner (ordinatas affectiones), vers l’homme extérieur (foris), avec le contrôle de soi par la parole modérée et enfin, dans un troisième temps, l’intégration sociale dans le réseau des pouvoirs par l’analogie vassalique avec la référence à l’honor.
La volonté d’impuissance
25Ainsi, la lettre 42 construit un itinéraire tout à fait cohérent, où spiritualité et ecclésiologie s’accordent ; un itinéraire qui conduit l’évêque sans solution de continuité depuis la réforme intérieure jusqu’à la légitimation d’une autorité délimitée sur les autres, en l’occurrence ici les moines. Ce faisant, il faut prendre garde de ne pas projeter des cadres normatifs trop rigides sur une société au XIIe siècle régie par le contrat, à l’image du pactus inscrit dans le prologue de la CC1 et qui en garantit la stabilité. Ce n’est pas l’exemption en soi qui est visée par l’invective bernardine mais c’est l’Église comme corps mystique du Christ qui doit être préservée. C’est pourquoi il n’y a pas de refus a priori des dispenses mais une grande méfiance à l’idée que les exemptions juridictionnelles, qui peuvent être utiles et dont Clairvaux a bénéficié, ne dérivent vers un émiettement de la plénitude du sacerdoce.
26Bien sûr, l’idéal épiscopal s’enracine dans les valeurs monastiques : les vertus que Bernard propose à l’évêque (humilité, obéissance, renoncement à la volonté propre) sont des vertus ascétiques par excellence. C’est peut-être là qu’il y a malgré tout un certain paradoxe. Dans cette lettre, Bernard délimite clairement, entre l’évêque et l’abbé notamment, le territoire de chacun. En cela, il reflète l’esprit grégorien d’une séparation renforcée des états, entre les laïcs et les clercs mais aussi entre séculiers et réguliers. Cependant, il propose dans le même temps un modèle chrétien universel, d’inspiration monastique83. Sur l’essentiel, à savoir la conversion intérieure, et jusqu’à un certain point, il propose le même itinéraire à l’archevêque de Sens qu’à ses moines. Or, ce sont bien là les différences de statut qui s’estompent. Derrière ce paradoxe, on comprend que l’expérience cistercienne, considérée ici sous l’angle de la spiritualité, ne va pas dans le sens d’une coupure vis-à-vis de la société mais pose au contraire les jalons d’un nouvel universalisme chrétien.
27Enfin, au-delà d’un modèle de la potestas épiscopale, Bernard livre dans cette lettre une réflexion générale sur le pouvoir dans l’Église qui le concerne au premier chef. Il sait bien que le pouvoir chrétien est strictement rattaché à l’exigence de la soumission, dans une spirale de négation de soi84. Subordonner ses passions (comment ? par un détour par l’obéissance, donc par la subordination du soi propre) pour avoir des subordonnés. Exercer un pouvoir sur les autres comme reconnaissance du pouvoir sur soi. Soumission et obéissance ne sont donc pas une injonction à la passivité ni au retrait, ni même seulement une façon de mettre en lumière la vertu d’humilité ; elles possèdent un statut métaphysique pour le chrétien chez qui le péché est une rébellion de la volonté propre contre Dieu. C’est ainsi que la lettre 42 s’inscrit dans un projet de gouvernementalité qui prend la forme d’un activisme du consentement (à la volonté commune, à l’autorité hiérarchique, à la grâce) en reformulant cette propriété morale du christianisme historique : la volonté d’impuissance est le fondement de tout exercice légitime d’un pouvoir.
Notes de bas de page
1 Sur cet événement et le rôle joué par Bernard, voir en dernier lieu M. Casey, « Bernard and the Crisis at Morimond : Did the Order Exist in 1124 ? », dans Cistercian Studies Quarterly, 38/2 (2003), p. 119-175.
2 Voir J.-B. Auberger, « La législation cistercienne primitive et sa relecture claravallienne », dans Bernard de Clairvaux. Histoire, mentalités, spiritualité, Colloque de Lyon-Cîteaux-Dijon, Paris, 1992 (Sources Chrétiennes, n° 380), p. 183-184 et 207-208.
3 Voir PL 182, col. 809-833.
4 Voir Bernard de Clairvaux, « Lettre 42 », dans Lettres, tome 2 (lettres 42-91), texte latin des S. Bernardi opera par J. Leclercq et H. Rochais, introduction et notes par M. Duchet-Suchaux, traduction par H. Rochais, Paris, 2001 (Sources Chrétiennes, n° 458), p. 44-137. Désormais abrégé en Ep. 42.
5 Voir l’analyse d’H. Rochais dans Bernard de Clairvaux, Lettres, 2, supra n. 4, p. 34-35.
6 Voir dans le présent recueil l’étude de J.-H. Foulon sur l’exemption et les stratégies d’indépendance conduites par les monastères ligériens au XIe siècle.
7 Ep. 42, § 36, p. 134.
8 Voir Bernard de Clairvaux, De Consideratione, III, § 18, PL 182, col. 769B.
9 Voir par exemple B. Jacqueline, Episcopat et papauté chez saint Bernard de Clairvaux, Atelier de reproduction des thèses (Lille III), Paris, 1975, p. 383-384 ; M. Pacaut, Les Moines blancs, Paris, 1993, p. 198 ; L. Falkenstein, La Papauté et les abbayes françaises aux XIe et XIIe siècles. Exemption et protection apostolique, Paris, 1997 (Bibliothèque de l’école des Hautes études, sciences historiques et philologiques, n° 336), p. 205-206 avec les références utiles à la correspondance entre Bernard de Clairvaux et Pierre le Vénérable.
10 Voir J. Marilier, Chartes et documents concernant l’abbaye de Cîteaux, 1098-1182, Rome, 1961 (Bibliotheca Cisterciensis, I), p. 92-93, n° 90 et PL 179, col. 122B-123D.
11 Texte cité par L. Falkenstein, op. cit. n. 9, p. 205. Voir aussi J.-B. Mahn, L’Ordre cistercien et son gouvernement. Des origines au milieu du XIIIe siècle (1098-1265), Paris, 1982 (édition de 1951), p. 136.
12 Voir J. Waquet, Recueil des chartes de l’abbaye de Clairvaux, t. I, XIIe siècle, fasc. 1, Troyes, 1950, p. 5-7, n° IV et PL 179, col. 126.
13 Voir J.-B. Mahn, op. cit. n. 11, p. 104.
14 Voir PL 180, col. 1541C-1543B, n° DXXI.
15 Voir L. Falkenstein, op. cit. n. 9, p. 212-215.
16 Elle est envisagée par M. Pacaut, op. cit., p. 198.
17 Voir J.-B. Mahn, op. cit. n. 11, p. 136-137 et B. Jacqueline, op. cit. n. 9, p. 113-136.
18 Voir Vita prima, III, V, 12 dans PL 185, col. 310 et A.-H. Bredero, « La vie et la Vita prima », dans Bernard de Clairvaux. Histoire, mentalités, spiritualité, op. cit. n. 2, p. 67.
19 On rencontre la SCC dans les manuscrits de la lignée du manuscrit de Trente, Biblioteca Comunale 1711, qui contient aussi l’Exordium cistercii (EC) et les Capitula. L’hypothèse de l’origine claravallienne de cette lignée repose essentiellement sur des éléments de critique interne de l’EC. Elle me paraît néanmoins solide. Voir J.-B. Auberger, « La législation cistercienne primitive… », art. cit. n. 2, p. 201-204. Dans le même sens, voir J. Leclercq, « Les intentions des fondateurs de l’ordre de Cîteaux », dans Collectanea Ordinis Cisterciensium Reformatorum, 30 (1968), p. 233-271 et L. Grill, « Der hl. Bernhard als bisher unerkannter Verfasser des Exordium Cistercii und der Summa Cartae Caritatis », dans Cistercienser-Chronik, 49-50 (1959), p. 43-57. Ch. Waddell attribue cependant la SCC à l’abbé de Cîteaux Renard de Bar (v. 1136). Ses arguments de nature stylistique n’ont pas convaincu J.-B. Auberger, c.r. de Ch. Waddell, Narrative and Legislative Texts from Early Cîteaux, Cîteaux – Commentarii cistercienses, 1999 (Studia et documenta, n° 9), dans Cîteaux, 51 (2000), p. 195 et idem, « La législation cistercienne primitive… », art. cit. n. 2, p. 201-202. Enfin, selon C. Berman, la constitution de l’EC et de la SCC ne daterait que des années 1165. Voir C. Berman, The Cistercian Evolution. The Invention of a Religious Order in Twelfth-Century Europe, Philadelphia, 2000, p. 56-68. On trouvera une présentation synthétique de ces débats autour de la datation des documents primitifs et de leur attribution dans A. Grélois, « Homme et femme il les créa » : l’ordre cistercien et ses religieuses des origines au milieu du XIVe siècle, Thèse de doctorat dactylographiée, s.d. J. Verger, Paris IV – Sorbonne, 2003, p. 62-71. Quoi qu’il en soit, un des objectifs de ma réflexion est de montrer que la source claravallienne de la SCC, tout en confortant la thèse d’une politique bernardine de limitation des prérogatives épiscopales, n’est pas une condition indispensable à sa validation. Tout un faisceau d’arguments va dans le même sens.
20 Lignée du manuscrit de Ljubljana, Université, 31.
21 Voir par exemple SCC, V, 7 dans Cîteaux. Documents primitifs, texte latin et traduction française, Cîteaux – Commentarii cistercienses, 1988 (Textes et documents, n° 1), p. 122.
22 Voir par exemple SCC, III, 2 (Ibid., p. 116) ou IV, 2 (Ibid., p. 118).
23 Voir SCC, III (Ibid., p. 116-118).
24 Voir CC1, prologue, 2 (Ibid., p. 58).
25 Voir CC1, IX, 7a (Ibid., p. 84).
26 Voir SCC, V (Ibid., p. 120-122).
27 Sur cet aspect de l’hégémonie de Cîteaux puis de l’émergence d’un gouvernement collégial progressivement pris en main par Bernard, voir l’argumentaire nuancé d’A. Grélois, op. cit. n. 19, p. 95-120.
28 Mon analyse se place dans le cadre chronologique défini par J.-B. Auberger. Je ne suis donc pas sur ce point la révision de C. Berman pour des raisons trop longues à exposer ici (voir compte-rendus ci-dessous), d’autant que ce n’est pas utile puisque C. Berman considère que le privilège du 17 février 1132 adressé à Bernard de Clairvaux est un des rares documents authentiques datant de la première moitié du XIIe siècle. En fait, non seulement elle ne remet pas en cause le principe d’une stratégie bernardine d’indépendance, mais elle en fait le mobile principal permettant de comprendre pourquoi des faux auraient été forgés et pourquoi une mythologie sur l’existence précoce d’un ordre cistercien aurait été écrite. Selon elle, il s’agirait d’une réaction du groupe de Cîteaux après la mort de Bernard et du pape Eugène III pour contrecarrer l’influence de Clairvaux. Voir C. Berman, The Cistercian Evolution, op. cit. n. 19, p. 82-83 et passim. Pour la critique de la thèse de l’auteur, on se reportera aux nombreux compte-rendus. Citons spécialement ceux de B.-P. Mcguire, dans Cîteaux, 51 (2000), p. 285-297 et Ch. Waddell, Ibid., p. 299-386 (voir la réponse de C. Berman dans Cîteaux, 53 (2002), p. 333-337 et les répliques de B.-P. Mcguire et Ch. Waddell, Ibid., p. 339-346) ou encore F. Cygler, « Un ordre cistercien au XIIe siècle ? Mythe historique ou mystification historiographique ? À propos d’un livre récent », dans Revue Mabillon, n.s. 13 (2002), p. 307-328.
29 Voir J.-B. Mahn, op. cit. n. 11, p. 21. L. Falkenstein voit aussi dans les institutions des abbés-pères les principaux leviers vers l’exemption, op. cit. n. 9, p. 212-213.
30 Voir D. Le Blévec, « Une source d’histoire monastique : les délibérations du chapitre général des chartreux », dans Le Médiéviste devant ses sources. Questions et méthodes, dir. Cl. Carozzi et H. Taviani-Carozzi, Aix-en-Provence, 2004, p. 159.
31 Certaines exemptions peuvent même être considérées comme servant l’exigence contemplative des cisterciens. Il en va ainsi des exemptions de dîme qui étaient parfois soumises à l’obligation du faire-valoir direct. A. Grélois, qui fait ce constat, cite à l’appui plusieurs chartes datant des années 1120, op. cit. n. 19, p. 82-83 et 87.
32 Ep. 42, prologue, p. 46-47.
33 Ibid.
34 Ep. 42, § 33, p. 126-127. Le terme revient plusieurs fois, voir § 37, p. 136-137.
35 Ep. 42, § 35, p. 130-131.
36 Sur la distinction potestas/executio potestatis chez Gratien, je reprends les conclusions de L. Villemin, Pouvoir d’ordre et pouvoir de juridiction. Histoire théologique de leur distinction, Paris, 2003, p. 25-72.
37 Pour L. Falkenstein, les privilèges du XIe siècle autour de l’exemption font déjà bien la part entre les dispositions concernant la juridiction de l’évêque, les plus importantes, et les dispositions relevant du pouvoir d’ordre où l’on trouve une grande diversité de cas de figure. Il perçoit là les premiers signes d’une distinction entre le pouvoir d’ordre et le pouvoir de juridiction ; voir L. Falkenstein, op. cit. n. 9, p. 219-220.
38 Voir Ep. 42, § 31, p. 122-123 (et note 1, p. 122) et § 36, p. 132-133.
39 Ep. 42, § 36, p. 134-135.
40 Ibid.
41 Voir Ep. 42, § 36, p. 132-133.
42 Voir Bernard de Clairvaux, De Consideratione, III, § 18, PL 182, col. 768C-769A.
43 Voir par exemple les lettres 7, 55 ou 58 où Bernard en appelle à l’autorité de l’ordinaire dans des affaires monastiques, dans Bernard de Clairvaux, Lettres, 1 (lettres 1-41), texte latin des S. Bernardi opera par J. Leclercq, H. Rochais et Ch.-H. Talbot, introduction et notes par M. Duchet-Suchaux, traduction par H. Rochais, Paris, 1997 (Sources Chrétiennes, n° 425), p. 150-199 (pour la lettre 7, adressée au moine Adam au début de l’année 1125 dans le cadre de l’affaire de Morimond, qui constitue un véritable précis d’obéissance monastique à placer en regard de la lettre 42) et Lettres, 2, op. cit., p. 190-193 (lettre 55) et 200-205 (lettre 58).
44 Ep. 42, § 35, p. 132-133.
45 Pour une mise en perspective large de ces problématiques, voir A. Grélois, « La promesse d’obéissance de l’abbé à l’évêque et la question des ordres exempts », dans les actes à paraître du VIe colloque du CRISIMA (Université Paul-Valéry, Montpellier), « Serment, promesse et engagement : rituels et modalités », novembre 2001.
46 M. Pacaut, op. cit. n. 9, p. 47.
47 A. Vauchez, « Aux origines du régime représentatif : les ordres religieux en Occident, de Cîteaux aux Frères mendiants », dans Au Cloître et dans le monde. Femmes, hommes et sociétés (IXe-XVe siècle), Mélanges en l’honneur de P. L’Hermite-Leclercq, textes réunis par P. Henriet et A.-M. Legras, Paris, 2000, p. 144.
48 Voir J.-B. Mahn, op. cit., p. 68.
49 Une conclusion que l’on peut ajouter aux correctifs concernant par exemple l’installation des monastères dans des zones soit disant hostiles à l’exploitation agricole ou encore au prétendu déchirement de Bernard entre l’action et la contemplation. Réforme et Realpolitik coexistent précocement dans l’expérience cistercienne, sans déchirement. Voir C. Berman, « Les cisterciens et le tournant économique du XIIe siècle », dans Bernard de Clairvaux. Histoire, mentalités, spiritualité, op. cit. n. 2, p. 155-177 et A.-H. Bredero, Bernard of Clairvaux. Between Cult and History, Grand Rapids, W. B. Eerdmans Publishing Company, 1996, p. 196-197 et 276-281. À l’inverse, certains récits idéalisés comme celui de la naissance de Clairvaux par Guillaume de Saint-Thierry dans la Vita prima ne doivent pas être seulement perçus comme des projections idéologiques mais aussi à l’aune de leur charge symbolique (Bernard comparé à l’ermite Benoît fondant Subiaco ; voir A.-H. Bredero, « La vie et la Vita prima », art. cit. n. 18, p. 74) voire eschatologique (Clairvaux comme avant poste de la cité céleste ; voir J.-B. Auberger, L’Unanimité cistercienne primitive : mythe ou réalité ?, Achel, 1986, p. 120-133 et J. Paul, « Les débuts de Clairvaux. Histoire et théologie », dans idem, Du Monde et des hommes. Essais sur la perception médiévale, Aix-en-Provence, 2003, p. 181-199).
50 Voir G. R. Evans, Bernard of Clairvaux, New York - Oxford, 2000, p. 153.
51 Voir B. Jacqueline, op. cit. n. 9, p. 239.
52 Sur l’arrière-plan philosophique de la théorie bernardine de la volonté liée à l’exercice d’un pouvoir, on doit se reporter au recueil dirigé par R. Brague, Saint Bernard et la philosophie, Paris, 1993. À compléter par D. Boquet, « Le libre arbitre comme image de Dieu. L’anthropologie volontariste de Bernard de Clairvaux », dans Collectanea Cisterciensia, 65 (2003), p. 179-192 ou http://www.citeaux.net/collectanea/Boquet.pdf.
53 Environ un quart de siècle plus tard, Bernard complétera cette exposition de l’idéal épiscopal, par le biais de l’exemplarité hagiographique, dans sa Vita sancti Malachiae. De nombreuses correspondances sont perceptibles entre la lettre 42 et le portait moral de Malachie dressé dans la Vita ou les autres textes que Bernard lui a consacrés (plusieurs lettres et sermons, une épitaphe et une hymne). Pour l’ensemble, voir Bernard de Clairvaux, Éloge de la nouvelle chevalerie. Vie de saint Malachie. Epitaphe, Hymne, Lettres, Introductions, traductions, notes et index par P.-Y. Émery, Paris, 1990 (Sources Chrétiennes, n° 367). Sur l’exemplarité épiscopale dans la Vita sancti Malachiae, voir B. Jacqueline, op. cit. n. 9, p. 281-304.
54 Ep. 42, § 3, p. 54-55 (et ibid., note 3).
55 Voir par exemple De Consideratione, II, § 9, PL 182, col. 747B (dominium / ministerium) ou II, § 10, PL 182, col. 747D (dominium / officium).
56 Voir A. Vauchez, « Aux origines du régime représentatif… », art. cit. n. 47, p. 147.
57 Ep. 42, § 31, p. 120-121.
58 Dans la Vita sancti Malachiae, Bernard insiste particulièrement sur ce point. L’évêque Malachie a toujours refusé tout revenu ecclésiastique ou mense épiscopale, op. cit. n. 53, p. 288-289 et aussi p. 290-291 (sur les dîmes, prémices et oblations).
59 Ep. 42, § 4, p. 57. Propos similaire dans Vita sancti Malachiae, op. cit. n. 53, p. 288-293. Bernard met l’accent sur le fait que Malachie se déplaçait à pieds, non à cheval comme la plupart des évêques, ce qui fait de lui un véritable successeur des apôtres.
60 Ep. 42, § 5, p. 58-59.
61 Ep. 42, § 7, p. 64-65. La Vita sancti Malachiae formule la même idée que les revenus ecclésiastiques sont injustement prélevés sur les pauvres (pauperibus) pour nourrir les riches (divitibus), op. cit. n. 53, p. 290-291.
62 Ep. 42, § 3, p. 54-55.
63 Ep. 42, § 27, p. 110-113.
64 Ep. 42, § 28, p. 114-115.
65 Ibid., note 1.
66 De la même façon, Malachie est souvent présenté dans ses missions apostoliques entouré de compagnons, voir Vita sancti Malachiae, op. cit. n. 53, p. 288-289.
67 Ep. 42, § 3, p. 52-53.
68 Ep. 42, § 3, p. 54-55.
69 Ep. 42, § 1, p. 48-49.
70 Ep. 42, § 17-18, p. 84-87 et § 30, p. 118-119.
71 Ep. 42, § 11, p. 78-77.
72 Ep. 42, § 20, p. 92-93.
73 Ep. 42, § 23, p. 100-101. Traduction modifiée.
74 Ibid.
75 Ep. 42, § 10, p. 70-71.
76 Ep. 42, § 13, p. 76-77.
77 Ce volet du contrôle de soi, de ses gestes et émotions, est très présent dans la Vita de Malachie. L’évêque n’avait jamais une parole ni un geste incontrôlés, dit Bernard ; ni le rire ni la tristesse ne venaient déformer les traits graves de son visage, voir Vita sancti Malachiae, op. cit. n. 53, p. 286-287. Surtout, il avait pris l’ascendant sur la passion la plus destructrice, la colère, qu’il usait à bon escient dans une parfaite maîtrise. Car le summum de la domination de soi n’est pas tant l’anéantissement des mouvements pulsionnels que leur domestication : « Grande était chez lui l’attention, grande la vigilance pour se maîtriser, et canaliser non seulement son agressivité, mais tous les mouvements inhérents aux deux hommes que chacun porte en soi », Sermo de sancto Malachiae, op. cit. n. 53, p. 414-415.
78 Ep. 42, § 31, p. 120-121.
79 Ep. 42, § 32, p. 122-123. Traduction modifiée.
80 Même emploi du terme dans un contexte similaire dans le De Consideratione, III, § 2, PL 182, col. 759A.
81 Ep. 42, § 32, p. 124-125. Traduction modifiée.
82 Ibid. Traduction modifiée.
83 Le paradigme sous-jacent d’une réforme par monachisation de la société, qui existe en marge voire en opposition avec la théocratie pontificale, est encore vivace aux XIIe-XIIIe siècles. Les historiens y sont sensibles pour le XIe siècle (voir l’idéologie érémitique d’un Pierre Damien ou la conception clunisienne de la réforme), moins pour les siècles suivants, sans doute parce qu’il s’agit d’une survivance. Voir D. Boquet, « Un idéal de théocratie monastique au XIIIe siècle. Matthieu Paris, Chronica majora, 1235-1259 », dans Revue Mabillon, n.s. 6 (1995), p. 83-100.
84 Cette donnée fondamentale de l’obéissance qui structure la morale chrétienne, surtout cénobitique, depuis l’Antiquité tardive, et la distingue par là même du discours philosophique, a été particulièrement bien identifiée et étudiée par M. Foucault qui en traite à plusieurs reprises, notamment dans ses cours au Collège de France pour les années 1979-1980, 1983 et 1984 encore inédits. En avant-goût, voir son résumé de cours pour l’année 1979-1980 : M. Foucault, « Du gouvernement des vivants », Annuaire du Collège de France, 80e année, Histoire des systèmes de pensée, année 1979-1980, p. 452, cité dans Dits et écrits II, 1976-1988, s.d. D. Defert et F. Ewald, Paris, 2001, p. 944-948.
Auteur
Université de Provence
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Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008