L’Enfant Jésus dans la spiritualité des Carmélites déchaussées françaises à l’époque moderne
p. 23-41
Texte intégral
1À la fin du XVIIe siècle, Maur de l’Enfant-Jésus, Carme de l’ancienne observance, provincial de Guyenne et ami de Surin, pouvait écrire : « Ce qui m’encourage beaucoup à travailler à l’avancement de la dévotion à l’Enfant Jésus, c’est qu’ayant pris son origine dans l’ordre des Carmes, il semble que Dieu veut qu’elle y prenne son accroissement et sa perfection, non pas seulement en la donnant aux autres, mais beaucoup mieux en la prenant pour eux, se rendant parfaits disciples et imitateurs de ce divin enfant »1. Et, au milieu du XIXe siècle, le P. Faber, oratorien anglais, renchérissait encore : « La dévotion spéciale à l’enfance de Jésus qui a distingué l’Église des derniers temps, est une fleur de l’ordre des carmélites [...] La dévotion actuelle est autant le don des carmélites que le Sacré-Cœur est le don des douces et humbles filles de la Visitation »2. En évoquant ensuite Marguerite du Saint-Sacrement (carmélite à Beaune de 1630 à 1648), Faber mettait en évidence la figure qui a probablement le plus contribué en France à cette identification entre la dévotion à l’Enfance et le Carmel, relayée plus tard par le rayonnement de la dévotion à l’Enfant-Jésus de Prague auquel plusieurs ouvrages en langue française sont consacrés à la fin du XIXe siècle3. Encore faut-il préciser que l’influence de Marguerite eût été bien moindre sans la formidable caisse de résonance que lui apportèrent ses premiers biographes au milieu du XVIIe siècle, en particulier l’oratorien Denis Amelotte4. Mais résume-t-elle à elle seule toute la spiritualité et la dévotion carmélitaine à l’Enfance, en France aux XVIIe et XVIIIe siècles ? Après un rapide cheminement sur les voies par lesquelles cette dévotion vint aux carmélites françaises, j’examinerai quelques tonalités différentes de la spiritualité qui la sous-tend, avant de m’intéresser aux pratiques de piété qu’elle a pu susciter dans l’ordre.
Comment la dévotion à l’Enfance vint aux Carmélites françaises
2Les deux voies de cette influence sont repérées depuis longtemps : la voie espagnole et la voie bérullienne.
3Dans les écrits de Thérèse d’Avila elle-même, le thème demeure si peu important que la dernière édition française de ses Œuvres complètes5 ne le mentionne pas dans l’index thématique. La réformatrice n’évoque l’Enfant Jésus qu’à quelques reprises : dans sa Vie, en référence d’une part à Saint Joseph protecteur de la Vierge et de l’Enfant6 et d’autre part à saint Antoine de Padoue7 ; dans deux de ses poésies, l’une consacrée à la Nativité8, l’autre à la Circoncision9. Toute concentrée sur l’Humanité du Christ, c’est à l’épisode de la Passion que va directement Thérèse d’Avila : si l’on s’en tient à ses écrits, Jésus lui est apparu jeune homme au début de sa vie religieuse, mais par la suite aux outrages ou ressuscité. Pourtant la dévotion de Thérèse à l’Enfant-Jésus est bien réelle et attestée notamment par la coutume qu’elle institua de donner à chaque nouveau monastère une statuette « personnalisée » de l’Enfant-Jésus, comme fondateur de la nouvelle maison ; tradition introduite en France par les carmélites espagnoles venues pour la fondation du couvent de l’Incarnation à Paris en 160410.
4Anne de Saint-Barthélémy, qui l’accompagna dans plusieurs de ses fondations en Espagne et vint en France en 1604, est plus prolixe. Certes, sa correspondance reste muette sur le sujet. En revanche, son autobiographie place l’Enfant Jésus au cœur même de sa vocation. Enfant, elle garde les troupeaux : « Et souvent venait l’Enfant Jésus, il s’asseyait sur mes genoux et je le trouvais là quand je revenais à moi… J’aimais tellement la solitude en telle compagnie que voir des gens était pour moi la mort. Parfois il m’emportait la nuit sans que je m’en aperçoive à une demie-lieue du village »11. Particularité, au fil de ses apparitions si communes qu’Anne de Saint-Barthélémy ne les dénombre même pas, l’Enfant grandit en âge en même temps qu’elle. Et lorsqu’adolescente, elle s’effraie de la perspective du mariage, à moins qu’on ne l’accorde à un « homme qui ne pécherait pas et qui serait très discret et très beau », c’est en bel adolescent que Jésus se présente à elle comme son futur époux12. Après sa profession religieuse, il continue à lui apparaître, moins souvent toutefois que dans les moments de sa Passion. Une vision synthétise les dévotions majeures d’Anne, celle de la Vierge tenant l’Enfant dans ses bras : « ... nu et tout petit, comme elle l’avait dans ses saintes entrailles. Dans ses petits pieds étaient marquées les plaies comme avec des gouttes de sang. On eût dit qu’elles lui avaient échu, comme étaient marqués les clous qu’il devait avoir »13.
5Quant à l’influence de Bérulle, elle passe d’abord par ses conférences et ses entretiens spirituels lorsqu’il se rendait en visite dans les Carmels. Les notes prises par les religieuses nous sont parvenues, très précieuses puisque dévoilant l’appropriation de la pensée bérullienne par son auditoire. Sur les notes conservées pour cinquante-huit conférences prononcées au Carmel de l’Incarnation à Paris entre 1607 et 1622, trente concernent l’Enfant-Jésus depuis la Nativité, jusqu’à l’épisode du Temple à l’âge de douze ans. S.-M. Morgain qui en a assuré l’édition14, a pu reconstituer également l’itinéraire d’une grande partie d’entre elles diffusées dans les autres monastères de France (Marseille, Nantes et Troyes en particulier) par les religieuses du Grand Couvent qui y étaient envoyées comme prieures. Marie de La Trinité d’Hannivel, fondatrice du Carmel de Troyes constitua un relai essentiel de cette propagation.
6Que Bérulle aie joué un rôle déterminant dans l’enracinement de la dévotion à l’Enfance dans le Carmel est attesté aussi par Madeleine de Saint-Joseph elle-même dans une lettre qui dénote une parfaite assimilation de la thématique et du vocabulaire bérulliens : « notre bienheureux Père Monseigneur le cardinal de Bérulle m’avoit dit, peu avant sa sainte mort, qu’il avoit promis à Dieu de porter toutes les maisons de notre Ordre à une particulière application à Notre Seigneur Jésus Christ en son état d’enfant. Il [...] me dit qu’il en écriroit une lettre pour tous nos couvents, mais Dieu l’a retiré du monde avant qu’il ait pu l’exécuter. J’espère que du ciel il imprimera cette dévotion dans les cœurs plus efficacement qu’il n’eût pu le faire dans la terre »15.
7Le premier grand succès de la pédagogie bérullienne fut sans doute réalisé en la personne de Catherine de Jésus, née Nicolas à Bordeaux en 1589, entrée au Carmel de l’Incarnation en 1608 et décédée en odeur de sainteté au deuxième couvent parisien en 1623. Formée par Madeleine de Saint-Joseph, dirigée par Bérulle et le P. Coton, elle reçut des communications surnaturelles de l’Enfance au début des années 1610 : « Il y a quelque temps, écrivait-elle à Bérulle en 1612, qu’il me semble que je receus une marque de Jésus-Christ ; c’étoit que sa sainte enfance se grava en moy et je vis que cela se fit comme l’on pourroit dire d’un cachet que l’on applique sur de la cire où il laisse sa figure et qu’ainsi l’image de l’enfance de Jésus demeura en moy »16. Quelques années plus tard, elle affirma que « le vingt-septiesme juin 1615, j’ay esté offerte et présentée à l’enfance très sainte de Jésus-Christ, pour luy estre dédiée et la servir selon ses divines volontés »17. Or sa Vie, écrite par Madeleine de Saint-Joseph à la demande de Marie de Médicis et préfacée longuement par Bérulle, fut publiée pour la première fois en 1625, rééditée en 1626, 1628 et 1631, cette année-là avec les textes de ses actes et pratiques intérieures par lesquelles elle travaillait à « n’estre plus qu’une capacité de l’enfance de Jésus, remplie, possédée et toute vivifiée par elle »18 : des analogies entre ce témoignage et l’expérience vécue par Marguerite du Saint-Sacrement à Beaune à partir de 1630, laissent à penser que ce petit livre eut un grand retentissement dans le Carmel bourguignon19.
8La spiritualité bérullienne de l’Enfance se manifesta en Bourgogne bien avant l’entrée de Marguerite du Saint-Sacrement au Carmel de Beaune. En 1628 parût à Dijon, un Exercice de l’âme dévote et religieuse pour tous les jours de l’année20. La deuxième partie de l’ouvrage est un recueil de « pensées, actes et pratiques intérieures sur les mystères de Jésus-Christ… selon les divers temps qu’ils sont honorés dans l’Église ». Le premier de ces temps est consacré à « la première enfance de Jésus-Christ cachée dans les entrailles pures et virginales de sa très saincte Mère », le deuxième à sa naissance et à l’enfance jusqu’à la purification de la vierge, le troisième à la fuite et au séjour en Égypte21. Attribué à Anne du Saint-Sacrement Calon (1584-1638), onzième professe du Carmel de Dijon, prieure à Chalon-sur-Saône, dirigée justement par Bérulle puis par Condren après 162922, cet ouvrage fut « reconnu si pieux et si solide par M. Duval qu’il le fit imprimer »23. Il ne s’agit en fait, pour ce qui nous intéresse, que d’une compilation d’extraits de Bérulle, en particulier des Grandeurs de Jésus. L’Abrégé de la vie d’Anne du Saint-Sacrement soulignait sa dévotion christocentrique en privilégiant les épisodes de l’Enfance et précise qu’elle « composa des litanies très dévotes en son honneur »24.
9Au-delà de quelques personnalités bien connues, l’impact de cette double influence espagnole et bérullienne est-il mesurable ? Hormis les fêtes et les pratiques induites par le temps liturgique et qui concernent par définition toutes les religieuses, peut-on quantifier l’attachement personnel des carmélites à l’Enfance du Christ ? Autrement dit, existe-t-il des marqueurs « objectifs » de cette piété ? Premier test : la consécration des couvents. Sur la soixantaine de communautés établies dans le royaume sous l’Ancien Régime, une petite quinzaine est dédiée à un mystère se rapportant à l’Enfance : six à l’Incarnation25, quatre à la Nativité26, deux à l’Enfant-Jésus27, un à la Sainte Famille28. Deuxième test : les noms de religion. Test opéré par un sondage dans la collection de deux mille circulaires conservée au Carmel de Beaune, et complété par des listes de religieuses publiées en annexe de monographies conventuelles, soit un effectif d’un peu plus de sept cents religieuses. Il en résulte trois constats. Tout d’abord, le petit nombre de religieuses dont la vocation est placée explicitement sous les auspices de l’Enfance, cinquante-cinq soit environ 8 %. Une première explication pourrait être fournie par l’exemple du Carmel d’Angoulême : aucune des neuf religieuses portant la même invocation n’a vécu en même temps que les autres, et l’on attendait quelques années avant d’attribuer cette invocation à une nouvelle novice. Mais cette « gestion » rationnelle des noms de religion ne se retrouve pas dans toutes les communautés : à Aix-en-Provence, entre 1713 et 1725, cohabitent trois sœurs « de l’Incarnation » qui se distinguent par leurs seuls prénoms : Thérèse-Agnès, Thérèse et Marie-Anne29. Ensuite, ces invocations se concentrent dans la deuxième moitié du XVIIe siècle et deviennent beaucoup plus rares au siècle suivant. Cette évolution coïncide avec celle de la correspondance adressée au Carmel de Beaune afin d’en solliciter les prières d’intercession et les reliques de Marguerite du Saint-Sacrement. Enfin, l’Incarnation (vingt-deux occurrences) l’emporte sur les invocations strictement liées à l’Enfance30. Or cette référence paraît plus abstraite que celles de la Nativité (treize occurrences) qui renvoie directement à la Crèche et à tout son légendaire pastoral et animalier, plus abstraite aussi que celle de l’Enfant (treize occurrences). Faut-il y voir la trace d’une influence plus « bérullienne » ? Je n’en suis pas certain : d’autres « marqueurs » attestent d’une dévotion sensible et affective à l’Enfance, où la « Sainte Humanité » du Christ occupe la place centrale.
Quelques tonalités de la spiritualité de l’Enfance à l’intérieur du Carmel
10Chez Catherine de Jésus, l’adoration de l’Enfant est accompagnée d’une recherche qui s’applique plus habituellement à la Passion du Christ et à la Croix : celle de la participation à ses souffrances. Non que, par exemple, elle s’attarde comme d’autres le feront, à l’inconfort et à la froidure de la crèche. Trois « états » d’un Jésus enfant – déjà pleinement conscient – la retiennent plus particulièrement.
11Tout d’abord les neuf mois passés dans le ventre de la Vierge : « elle disoit qu’il luy estoit monstré que l’Enfant Jésus portait lors une grande captivité, estant aussi parfait en ce temps-là et ayant l’usage de la raison aussy accompli comme lorsqu’il mourut. Elle disoit : “Il a pris deslors la croix pour les hommes et une croix très grande. Car, disoit-elle, quelle plus estroite et obscure prison peut-il [y] avoir que celle-là ?”. Catherine de Jésus suit ici Bérulle qui avait déjà souligné cet état de “captivité” et de “grande privation”. En découlent des pratiques de mortifications, comme de ne plus parler de tout l’Avent31 par “adhérence” à l’in-fans, celui qui ne parle pas, et aussi une interprétation originale de l’obéissance aux supérieures comme fruit d’une privation de sa liberté par opération en elle de l’Enfant captif dans les entrailles de Marie : “Il luy sembla que sa liberté avoit été donnée à ses Supérieurs et qu’ils avoient pouvoir d’en disposer comme il leur plaisoit« »32.
12Ensuite la fuite en Égypte dans laquelle elle s’unit aux terreurs de l’Enfant exposé aux périls, et qui cependant, « demeuroit captif par l’ordonnance de son père, demeuroit sans parler ny dire ce qu’il falloit faire en ce sujet »33.
13Enfin, le massacre des Innocents dont le martyre rend gloire à l’Enfant Jésus. Mais elle ne s’attarde pas à la souffrance endurée ; ce qui retient son attention, c’est la communication spirituelle entre l’Enfant Jésus et les victimes : « lors qu’ils furent martyrisés, comme ils n’avoient point l’usage de la raison, ny de leur volonté, l’Enfant Jésus offroit la sienne pour eux et rendoit au Père éternel, en leurs personnes, ce qu’ils eussent fait [pour sa gloire], s’ils eussent eu la connoissance et la capacité d’agir »34.
14La vie spirituelle de Marguerite du Saint-Sacrement Parigot, à Beaune, est émaillée de fréquentes extases et visions de l’Enfant-Jésus, la plus pertinente à notre sujet étant celle de la Noël 1635, lorsqu’elle porte pour la première fois l’Enfant-Jésus dans ses bras35. Il est dès lors au cœur de sa vie spirituelle, elle n’en détache plus ses regards et toute sa correspondance36 se place sous son invocation. Sa voie est celle d’un abandon entre les mains de l’Enfant, mains à la représentation desquelles elle s’attache particulièrement quand elle donne ses instructions pour la confection d’une statuette de la Vierge à l’Enfant : « Pour le petit Jésus, il le faut beau en toute perfection, ses mains biens faites, ses doigts de bonne grosseur, et bien proportionnés en tout son petit corps »37. Ces mains, écrit-elle à une carmélite de Mâcon, « tiennent et conduisent votre âme selon ses divines volontés. Vous trouverez, ma chère sœur, dans ses adorables petites mains une divine force dans la faiblesse que vous ressentez »38. À cette paternité de l’Enfant, répond une obéissance d’abandon et de confiance et une adoration de l’Enfant « petit et délaissé » dans la crèche, dans sa simplicité, sa pureté et son innocence. Au baron de Renty, son « frère d’âme » elle indique en ces termes l’orientation que doit prendre sa vie intérieure : « Ce divin enfant nous a particulièrement appliquée à vous la nuit de la sainte Nativité et après la sainte communion il me fit connaître son amour sur votre âme et que vous devez désormais tirer votre conduite de son enfance [...] et que cet air saint et divin vous doit incessamment élever par dessus vous-même et par dessus les choses de la terre. Et que son innocence, pureté et simplicité doit subsister en vous au lieu de vous »39.
15Fille de Barbe Acarie, fondatrice du Carmel en France, une autre Marguerite du Saint-Sacrement, née en 1590, entrée au Grand Couvent en 1605, fut prieure à Tours, Bordeaux et Saintes, puis au Carmel de la rue Chapon à Paris où elle mourut en 1660. Dans ses lettres à Madame de Cabriès, devenue carmélite à Marseille sous le nom de Marie-Magdelaine de l’Incarnation, les références à l’Enfant Jésus apparaissent avec le temps de Noël : Avent et mois de janvier qui est celui de l’Enfance. Ici peu de sensibilité et peu d’affectivité : le Jésus de la crèche est considéré dans la perspective très bérullienne de son « anéantissement » et son enfance comme modèle de l’obéissance proposé à l’imitation de sa dirigée. L’Enfance devient modèle d’ascèse et de sacrifice plus que d’abandon et ce thème insère sa dévotion dans celle de la Sainte Famille au sein de laquelle est mise en œuvre l’obéissance de Jésus Enfant : « ...je prie le saint Enfant Jésus vous réduire à agréer tous ces abaissements de sa sainte enfance, pour plier toujours votre esprit, votre cœur, votre âme et votre corps à tous ses saints ordres sur votre personne intérieure et extérieure, en l’honneur de sainte enfance assujettie à l’ordre de Dieu son Père et à Joseph et à Marie. C’est l’image de votre sacrifice en la vie et en la mort, de notre vie de vraie religieuse carmélite »40.
16Pour achever ce parcours, voici Marie de Sainte-Thérèse, carmélite converse dans le deuxième couvent de Bordeaux (Assomption), morte en 1717 à 77 ans après plus de 53 ans de religion, marqués par une vie mystique intense : sa circulaire nécrologique évoque des « communications et lumières surnaturelles », des « élévations », des « colloques amoureux et divins ». D’après son biographe, l’abbé de Brion, elle a même composé une Exposition du Cantique des cantiques et un Traité de l’état passif. Elle raconte dans ses lettres deux de ses visions intellectuelles de l’Enfant-Jésus, toutes deux intervenant alors qu’elle communie. La première fois, écrit-elle, veille de Noël, « il me parut si petit que j’en fus dans une extrême surprise. Il ne paroissoit rien d’extraordinaire dans son extérieur ; mais l’impression que je receus de la Divinité renfermée dans ce petit corps, fut si grande et fit en moi un tel effet, que j’avois de la peine, après cette faveur, à regarder les images du Saint Enfant Jésus tant je les trouvais dissemblables de la réalité qui m’avoit été montrée »41. Impression qui s’exprime en terme parfaitement bérulliens sous la plume de l’abbé de Brion qui évoque « cette vue de l’immensité de Dieu renfermée dans le petit corps de J.-C. au moment de sa naissance »42 et souligne qu’elle fit « en elle un fondement de petitesse, d’abaissement et d’anéantissement ». Vertige accru lors de la deuxième vision au cours de laquelle, frappée par le contraste entre la grandeur de Dieu et la petitesse de l’hostie qui lui est présentée, « Notre Seigneur me fit voir… combien il étoit petit au moment de son incarnation et ce qui me causa un ravissement d’esprit si grand, si prompt et si enlevant que je crus en mourir, parce que je sentis mon cœur blessé d’une playe si amoureuse, si intime et si profonde, qu’elle me faisoit défaillir et me fit perdre l’usage de mes sens pour un moment »43. Mais en même temps, son attrait est chargé d’une affectivité et d’un sentiment maternel que l’abbé de Brion éprouve le besoin de justifier : « elle ressent pour lui dans ce moment un amour de mère et voudroit pouvoir le faire naître dans tous les cœurs des hommes, de sorte que le chérissant plus que la mère la plus tendre ne chérit l’enfant qui est sorti de son sein, elle se trouve inclinée à appeler son enfant… celui cependant qui est son Dieu »44.
17Pour être plus complet, il faudrait aussi évoquer toutes les carmélites dont la circulaire nécrologique évoque l’attachement à l’Enfance. Mais on ne sera jamais exhaustif, car toutes les prieures en rédigeant ces « abrégés de vertus » n’ont pas été aussi prolixes ni explicites. Il faut donc se contenter de quelques allusions ou mentions qui peuvent révéler une spiritualité riche, peut-être aussi riche que celle des religieuses dont les écrits nous sont parvenus. L’Enfance est au cœur des états mystiques expérimentés par Catherine de Jésus morte à Ponteaudemer en 1661 : « elle en a reçu biens des grâces extraordinaires, des effets particuliers ; le Saint Enfant Jésus lui fit entendre qu’il la plongeait et baignait dans son sang précieux ». Que faut-il vraiment entendre derrière cette simple remarque, à propos d’Anne Marie du Saint-Sacrement, morte à Angers en 1718 après 67 ans de vie religieuse : « L’état d’enfance de son Sauveur faisait le fonds de son intérieur » ? Fut-elle seulement une religieuse obéissante et toute simple, ou bien vécut-elle en union spirituelle avec Jésus dans les « états » de son enfance ? Le doute est le même à propos de Marguerite Suzanne de Saint Firmin qui meurt en 1775 à Amiens, dont la prieure souligne « l’enfance spirituelle ». En revanche, on devine une spiritualité nourrie de solides lectures chez Louise Anne du Saint-Sacrement, professe du même monastère à la même époque, chez qui « le mystère de l’anéantissement du Verbe Incarné faisait l’objet de sa tendre dévotion ».
Les pratiques de la dévotion à l’Enfance
18Les circulaires nécrologiques permettent de recueillir quelques indications sur les dévotions personnelles des religieuses ; surtout à partir des années 1680, lorsqu’elles s’étoffent un peu et cessent de n’être qu’une demande des « suffrages de l’ordre » pour la religieuse défunte. Les pratiques de dévotion revêtent ainsi des formes très variées, adaptées à la personnalité des religieuses :
- entretien et ornement de la statuette de l’Enfant Jésus « fondateur » (Élisabeth de la Mère de Dieu, Metz, † 1663 ; Marie Catherine Colombe de Jésus, Paris III Sainte Thérèse, † 1768, qui offre à l’Enfant Jésus « objet de sa tendre dévotion » une bague de prix) ou de l’ermitage consacré à l’Enfant Jésus (Catherine de la Mère de Dieu, Caen, † 1664),
- fabrication de statuettes ou d’images à l’instar de Claire Marguerite du Saint-Sacrement (Beaune, † 1718) ou d’Anne Marguerite de l’Assomption (Compiègne, † 1705) qui « travailla à des Jésus de cire »,
- fabrication de langes de l’Enfant-Jésus qui seront distribués aux pauvres (Magdeleine de Jésus, Caen, † 1723) ou simplement distribution de vêtements aux enfants pauvres (Anne de Jésus, Moulins, † 1691),
- récitation d’antiennes consacrées à l’Enfance ou du verset de Jean 1,14 « verbum caro factum est », que Marie de Jésus, morte à Nevers en novembre 1674, prononçait mille fois par jour ainsi que le « sacré nom de Jésus et Marie »,
- composition de litanies ou de cantiques en l’honneur de l’Enfant Jésus (Anne du Saint-Sacrement Calon, déjà citée ; Marie du Saint-Esprit, Nantes † 1754 ; Marie Thérèse des Séraphins, Narbonne, qui meurt en 1745 en chantant des cantiques qu’elle avait composés sur la Nativité),
- lecture d’ouvrages de piété comme Anne Marie du Saint-Esprit (Toulouse, † 1712) dont « les œuvres de Bérulle sur le mystère de l’Incarnation faisaient la lecture ordinaire »,
- retraite consacrée à l’Enfance comme Anne du Saint Sacrement Calon en avait l’habitude : retirée pendant quarante jours et tout en communiant quotidiennement, « elle voulait ainsi plus dignement honorer la vie cachée de Jésus Christ ; elle l’adorait seul dans le sein de son Père comme verbe éternel, seul avec Marie et Joseph dans la crèche, dans son exil d’Égypte, à Nazareth et au désert »45.
19La plus répandue de ces pratiques est de veiller le 25 de chaque mois jusqu’à minuit pour « honorer le mystère de l’Incarnation » (Euphrasie Magdeleine de Saint Marc, Agen, † 1730). À Mâcon, Marguerite Thérèse de Saint-Augustin († 1765), « exacte à toutes les pratiques établies pour honorer cet ineffable mystère », passait cette nuit en oraison, tandis que Marie Anne de Sainte Thérèse, à Besançon (†1769) se relève spécialement à minuit. Une autre manière de marquer cette journée est de faire retraite du lever au coucher, généralement dans un ermitage (Marie de Sainte Thérèse, Arles, † 1725). À Compiègne à la fin du XVIIIe siècle, Marie Anne Victoire Louise Clotilde de Sainte Thérèse, passe cette journée à contempler « les différents états de la Sainte Enfance ».
20Mourir le 25 à minuit, est évidemment aux yeux de toutes, la marque d’une grâce insigne qui fut notamment accordée à Marie Angélique de Jésus en 1750 à Angers, tandis qu’à Angoulême, en janvier 1776, la prieure rappelle à Louise Victoire des Anges qui se prépare à mourir « qu’à ce moment s’était opéré le mystère de notre rédemption ; elle a fait un dernier effort pour rendre hommage au Verbe incarné ». Une autre grâce est d’entrer au Carmel ou d’y faire profession ce jour-là, ou mieux encore, pour Noël, comme Marie-Cécile de Jésus au troisième couvent parisien († 1742), « entrée la nuit de Noël qu’elle avait choisi par l’amour qu’elle avait pour Notre Saint Enfant ».
21L’origine de cette habitude remonte certainement aux premiers temps du Carmel. Les Chroniques affirment qu’Anne du Saint-Sacrement Calon (Dijon), fut la première à établir des dévotions solennelles en l’honneur de l’Enfant-Jésus, « représentant ses mystères », en particulier celui de l’incarnation « pour lequel elle avait adopté la dévotion et les pratiques enseignées » par Bérulle. Habituée à se lever chaque jour à minuit pour adorer « les mystères de l’Incarnation et de la naissance de NSJC », elle mourut précisément à cette heure-là, le 5 juillet 1638. Il semble bien que ce soit Marguerite du Saint-Sacrement qui enracina cette coutume d’honorer le 25 de chaque mois et en fit une pratique communautaire à partir de mars 1636. Sans être nécessairement adoptée par tous les couvents, elle a pu y inspirer des pratiques individuelles. Dans certaines maisons, la coutume finit par tomber en désuétude sans que l’on puisse en déterminer précisément l’époque, d’autant plus qu’on ne l’apprend qu’à la faveur de son éventuelle restauration, comme à Saint Denis, à la fin du XVIIIe siècle, sous le priorat de Claude Julienne Julie de Jésus, née Mac-Mahon.
22Les pratiques de dévotion collective étaient liées au calendrier liturgique. La fuite en Égypte était célébrée au mois de février, puis le retour en juillet. Durant une neuvaine, une statuette de l’Enfant-Jésus – probablement celle de l’Enfant « fondateur » – pérégrinait de cellule en cellule accompagnée par les prières des carmélites.
23Mais c’est l’organisation de la crèche et les prières qu’elle suscitait, qui mobilisaient toute la communauté. Chaque sœur tirait au sort durant la récréation conventuelle, un office c’est-à-dire soit une prière particulière à assurer durant le temps de Noël devant la crèche soit une charge réelle ou imaginaire exercée auprès l’Enfant Jésus (chaussière, cordonnière, balayeuse, etc.). Mais certaines étaient plus particulièrement affectées à sa préparation matérielle qui faisait partie intégrante de leur vie contemplative et à laquelle elles apportaient une dévotion particulière que les circulaires ne manquent pas de relever : à Beaune au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, c’était la fonction de Julienne Thérèse de Jésus († 1716), à Caen à la même période celle de Magdeleine de Jésus (déjà citée) et à Dijon de Marguerite de la Mère de Dieu († 1734), à Châlon/Saône dans la seconde moitié du XVIIIe siècle celle de Rosalie Lucrèce de Sainte-Thérèse († 1783) ; à Compiègne, Georgette Angélique Catherine Marthe de Jésus († 1762) est saluée comme la « restauratrice de notre crèche ». Cette fonction requérait quelques talents manuels et artistiques, d’autant plus que les personnages de cire étaient souvent de grandeur naturelle, comme au Carmel de Compiègne. Les dévotions communautaires devant la crèche sont suffisamment importantes pour qu’à la Noël 1684, Simone de Sainte Magdeleine, prieure d’Angoulême, se lève, mourante, dans un suprême effort pour entendre les trois messes de minuit et ensuite mener la communauté devant la crèche « où elle lut à genoux tous les offices du Saint Enfant Jésus ».
24Deux cas nous permettront de suivre la célébration de Noël au Carmel. D’abord celui d’Anne du Saint-Sacrement Calon prieure à Chalon/Saône puis à Dijon46. Après Matines et la messe de minuit, elle réunissait la communauté pour chanter des cantiques de louange « en union avec ceux des anges », après Laudes et l’action de grâce, la communauté se rendait devant la crèche sous la conduite de sa prieure, et tandis que l’on chantait encore des cantiques et des motets, chacune « à son rang, allait baiser les pieds du Saint Enfant Jésus et lui rendre ses hommages ». On allumait force cierges et l’on brûlait de l’encens, « symbole de la nouvelle clarté et de la bonne odeur qu’apporte Jésus naissant ». Les religieuses qui en avaient reçu permission de la prieure pouvaient passer le reste de la nuit en prière devant la crèche. Le lendemain après les Heures, la communauté retournait devant la crèche : « on chantait en diverses manières des antiennes en l’honneur de Jésus, de sa Sainte Mère, de Saint-Joseph, des Anges et même des Pasteurs. Les novices qui avaient apporté les instruments dont elles jouaient dans le monde, accompagnaient les voix »47. Puis jusqu’à la fête de la Purification, on visitait deux fois par jour l’Enfant Jésus dans les bras de Marie qui le portait au Temple. Ce jour-là, la communauté faisait une procession marquée par des stations au cours desquelles l’Enfant passait de Marie au vieillard Siméon.
25À Metz48, une crèche permanente, composée de personnages de grandeur réelle en pierre blanche, était installée dans une chapelle spécifique de l’église conventuelle, dans le bras gauche du transept, profonde de vingt pieds (6,5 m environ). Au-dessus de l’autel se trouvait un niche de six à sept pieds (environ 2,3 m) encadrée de deux pilastres doriques de marbre noir soutenant une arcade en plein cintre, ornée de guirlandes de feuillages et de roses parmi lesquelles apparaissaient des têtes d’anges. l’Enfant Jésus était au premier plan, couché entre Marie et Joseph, tandis que les bas-reliefs qui tapissaient le fond de la niche représentaient un paysage de ruine à l’intérieur desquelles on voyait le bœuf et l’âne ainsi que les bergers en adoration. L’étoile surplombait la scène. Mais il existait une autre crèche, à l’intérieur du couvent, dans une chapelle – ou un ermitage ? – située dans un corridor menant de la porte de clôture au cloître. Plus vaste (plus de quarante-cinq mètres carrés), de proportion carrée, elle était tapissée de camaïeux peints sur toile et illustrant les épisodes de la Nativité. Au fond, en face de la porte, une grande armoire montait jusqu’au plafond, soutenue par deux pilastres entre lesquels se trouvait la crèche : un enfant Jésus de cire, grandeur naturelle, richement habillé, était couché sur le côté et tendait les bras vers ses adoratrices. L’armoire contenait au moins une partie des reliques de la communauté et notamment un buste en cire représentant Marguerite du Saint-Sacrement et qui avait été offert par Marie Leszczynska, peut-être en remerciement lors de son séjour de 1744.
26Enfin ce tour d’horizon de la dévotion carmélitaine à l’Enfance demeurerait très incomplet s’il négligeait les « confréries » de l’Enfance développées à l’intérieur même des communautés et qui correspondent plutôt à des associations de prières. La plus célèbre et la mieux connue est celle des « Domestiques de la Famille du Saint Enfant-Jésus » instituée à Beaune par Marguerite du Saint-Sacrement en 1636. Limitée à l’origine à neuf membres (neuf religieuses de la communauté), en l’honneur des neuf mois passés par Jésus dans le ventre de Marie, elle fut ouverte ensuite à des « Associés » : dans un premier temps à d’autres religieuses du couvent, puis à des carmélites d’autres communautés, à des religieuses appartenant à d’autres ordres, à des religieux et à des ecclésiastiques séculiers, et aussi à des laïcs. Fondés pour « honorer ...les actions, parolles et Mystères que Jésus-Christ a opérés en la terre pour accomplir l’œuvre de notre rédemption », les domestiques devaient aussi « prier souvent pour la paix entre les princes chrétiens, pour l’Église, pour le Pape, et pour la conservation de la personne du Roy »49. Domestiques et associés partageaient une même pratique : la récitation de la « petite couronne », chapelet à quinze grains sur lesquels se disaient trois Pater et douze Ave. De très nombreux pèlerins venus prier sur la tombe de Marguerite du Saint-Sacrement, mais aussi beaucoup de correspondants du Carmel de Beaune se firent inscrire dans les registres de la Famille du Saint Enfant Jésus qui sont toujours ouverts. Pour les religieuses, cette dévotion organisait toute l’année, du 23 octobre où l’on commençait un Avent de neuf semaines jusqu’au 22 octobre suivant dédié aux anges « servant à l’enfance de Jésus ». Jésus conversant avec les Docteurs dans le Temple à l’âge de 12 ans, épisode qui marque la fin de son enfance, était célébré du 17 au 19 septembre.
27Une autre association de prières, à l’origine sans rapport avec celle de Beaune, fut instituée à Metz, le 25 décembre 1638, la communauté s’étant placée sous la protection de Jésus enfant, en raison de graves difficultés financières. Elle était organisée selon un modèle semblable à celle de Beaune : neuf religieuses dont les noms étaient inscrits sur un registre et qui étaient remplacées par tirage au sort au fur et à mesure des décès. Elles devaient réciter quotidiennement le chapelet de l’Enfant Jésus et les prières du Manuel de la confrérie, remplacées par une pénitence ou une mortification en cas d’empêchement. Quelques années plus tard, fut instituée, chaque premier dimanche du mois, une procession solennelle de la communauté du chœur à l’ermitage de l’Enfant Jésus en faisant le tour du cloître, croix en tête en chantant les litanies du Nom de Jésus, au son de la cloche50. Vers 1670 enfin, fut établie une fête de Jésus Conversant, célébrée le 18 février au Carmel par le chapitre de la cathédrale voisine ; mais en 1734, les bons chanoines demandèrent à interrompre définitivement cette participation en raison des rigueurs du mois de février51.
28Ainsi, au sein du Carmel français d’Ancien Régime, la dévotion à l’Enfance a connu une réelle diversité : d’une dévotion affective et très réaliste à une mystique plus « abstraite », d’un ascétisme austère à un véritable effusion amoureuse. L’empreinte bérullienne a été forte, elle est demeurée marquée jusqu’à la fin de la période. Mais le plus important est sans doute que cette dévotion ne doit pas être analysée de façon isolée. Bien au contraire elle fait partie d’un système dévotionnel cohérent et complet au sein duquel elle forme un pôle majeur, au même titre que la Sainte Famille (ou la Vierge et saint Joseph séparément), la Passion et le Saint-Sacrement.
Annexe
Annexes
Cantiques de Noël composés par Madame Louise, dernière fille de Louis XV, carmélite à Saint-Denis sous le nom de Thérèse de Saint-Augustin de 1770 à 1787, prieure à plusieurs reprises.
I. Pour la crèche (sur l’air : Mon bien-aimé ne paraît plus)
Amour divin, que grande est ta puissance,
Un dieu tu fais descendre parmi nous.
O véhémence !
O feu si doux !
Tu viens agir pour nous embraser tous
Et pour changer nos cœurs en ta substance.
Viens dans le mien exercer ton empire.
A tes ardeurs, s’il se refuse encor,
Coupe et déchire.
Qu’il soit réduit même jusqu’à la mort
Ne pas aimer c’est un plus grand martyre.
Ne pas aimer est un malheur extrême
De tous les maux ah ! c’est le plus affreux
Mais quand on aime,
O sort heureux !
Dès ici bas on a trouvé les Cieux,
On est heureux du bonheur de Dieu même.
Ne pas aimer, c’est le sort que j’éprouve.
Non sans frémir je prononce ces mots.
Que tout m’éprouve,
Que mille assauts
Me soient livrés et troublent mon repos.
Mais, vous cherchant, que mon âme vous trouve.
Ah ! Si j’aimais, j’aurois la connaissance
Pour mon troupeau des célestes pasquiers
Et la science
Seule sans prix
Sur tous vos pas de mener mes brebis
Et de vos lois faire aimer l’ordonnance.
Du loup encore je connaîtrais l’adresse
Et je saurais prévenir la fureur.
De ma faiblesse,
De ma frayeur
Plus désormais il ne rirait, Seigneur.
En vous aimant, je le vaincrais sans cesse.
Aimable enfant, ô beauté souveraine !
Veuillez, hélas !, de moi vous souvenir,
Et sur ma peine
Vous attendrir.
Je veux aimer, ou bien je veux mourir.
Que votre amour à la vie me ramène.
Mais en ce jour, en cette heureuse fête,
Moi, mon troupeau, devons nous réjouir.
Mes pleurs j’arrête,
Aucun soupir
Ne troublera, Seigneur, le doux plaisir
Que près de vous à goûter il s’apprête.
II. La balayeuse de l’étable (sur l’air : Jardinière, ne vois-tu pas ?)
O qu’il est doux d’habiter dans cette étable sainte !
Où sous les traits d’un enfant
L’on peut voir le Tout puissant
Sans crainte, sans crainte, sans crainte.
Souffrez ici, mon Jésus, que je sois balayeuse
Dans ce bienheureux réduit ;
Je frotterai jour et nuit.
Heureuse, heureuse, heureuse.
O Rois ! qui venez des rois reconnaître l’arbitre,
De mon sort soyez jaloux.
Troc ne ferais avec vous
De titre, de titre, de titre.
Vous, princes, peu fortunés, votre guide céleste
Vous rappelle en vos palais.
Pour moi, fixée à jamais,
Je reste, je reste, je reste.
Auprès de l’Enfant Jésus, en servante de peine,
Plutôt nuit et jour suer,
Que loin d’ici commander
En reine, en reine, en reine.
Faible, infirme on est toujours pour travailler,
Mais plaît-il à notre cœur,
On trouve santé et vigueur
De reste, de reste, de reste.
Notes de bas de page
1 Le sacré berceau de l’Enfant Jésus ou les entretiens spirituels sur tous les mystères de l’Enfance de Notre Seigneur Jésus Christ, à Paris, chez Antoine Warin, MDCLXXXII, avant-propos non paginé. Cf. M. de CERTEAU, « Le P. Maur de l’Enfant-Jésus », Revue d’Ascétique et de Mystique, t. 35, 1959, p. 266-303 ; J.-J. SURIN, Correspondance, Paris, 1966, p. 945-947.
2 F.-W. FABER, Bethléem ou le mystère de la Sainte Enfance, Paris, 1862, t. 1, p. 250-251.
3 Notamment : Histoire abrégée de la satue du Saint Enfant Jésus de Prague d’après l’ouvrage allemand du R.-P. Mayer, Namur, 1889, et G. FONTAINE, Histoire de l’Enfant-Jésus de Prague, Bruxelles, 1896. Cf. La communication de Silvano Giordano ci-après.
4 La vie de Sœur Marguerite du Saint Sacrement, religieuse carmélite du monastère de Beaune, Paris, chez Huré, 1654.
5 Cerf, Paris, 1995.
6 Ibid., t. 1, Livre de la vie, 6, 8, p. 46 : « D’ailleurs, je ne vois pas comment on peut penser à la Reine des anges et à tout ce qu’elle eût à souffrir en compagnie de l’Enfant Jésus, sans remercier saint Joseph de les avoir si bien assistés l’un et l’autre ».
7 Ibid., t. 1, Livre de la vie, 22, 7, p. 162 : « Regardez sa vie, il n’est pas de meilleur modèle… Depuis que j’ai eu des lumières sur ce point, j’ai examiné attentivement la conduite de plusieurs saints, grands contemplatifs, et j’ai vu qu’ils n’allaient pas par un autre chemin. Saint François en donne la preuve par les stigmates, saint Antoine de Padoue par l’Enfant Jésus qui l’accompagne ».
8 Ibid., t. 1, p. 1249 : « Pour la naissance de Jésus » : « … j’ai vu le nouveau-né / d’une très jolie bergère… ».
9 Ibid., t. 1, p. 1255 : « Toi, n’as-tu pas remarqué / c’est un enfant innocent ? ».
10 Un exemple de ces statuettes : la photographie de l’Enfant Jésus « fondateur » du Carmel de Chambéry, in L’art du XVIIe siècle dans les Carmels de France, exposition du Petit Palais 1982-1983, Paris, 1982, p. 130-131.
11 A. de SAINT-BARTHÉLÉMY, Autobiographie, introduction et notes par le P. Urkiza, traduction par le P. Sérouet, Gand, 1989, p. 40.
12 Ibid., p. 46.
13 Ibid., p. 186.
14 P. de BERULLE, Œuvres complètes, t. 5, Notes et entretiens. Ordonnances des visites canoniques, texte établi, présenté et annoté par Stéphane-Marie MORGAIN, Paris, 1997, en particulier p. XXI-XXVI.
15 M. de SAINT-JOSEPH, Lettres spirituelles, Paris, 1965, p. 55-56, lettre à une prieure de Carmel, vers Noël 1629.
16 J.-B. ERIAU, Une mystique du XVIIe siècle. Sœur Catherine de Jésus, carmélite (1589-1623), sa vie et ses écrits, Paris, 1929, p. 56.
17 Ibid., p. 56.
18 Ibid., p. 114
19 H. BREMOND, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, t. III, Paris, 1921, p. 539.
20 Chez Claude Guyot, 374 p.
21 On retrouve notamment ici les conseils de piété prodigués par Bérulle aux Carmélites : Œuvres complètes, t. 5, Notes et entretiens, texte établi, annoté et présenté par S.-M. MORGAIN, Paris, 1997, p. 115.
22 J. ROLAND-GOSSELIN, Le Carmel de Beaune 1619-1660, Rabat, 1969, p. 17-20. C’est lors de sa visite à Chalon en avril 1617, alors qu’Anne y est prieure, que Bérulle décide de proposer aux carmélites un « vœu particulier de servitude envers la Très sainte Vierge ».
23 « Abrégé de la vie de la vénérable Mère Anne du Saint-Sacrement », in Chronique des Carmélites de France, t. II, 1850, p. 312-344.
24 Ibid., p. 333.
25 Angers, Caen, Chartres, Paris I, Poitiers et Troyes I.
26 Alençon, Châtillon-sur-Seine, Moulins et Ponteaudemer.
27 Montauban (en alliance avec Sainte Thérèse) et Verdun.
28 Trévoux (en alliance avec Sainte Thérèse).
29 L’attribution à la novice de son nom de religion est le fait de la prieure, mais la lecture des lettres circulaires nécrologiques montre que les désirs des postulantes peuvent être pris en compte, en particulier lorsque la deuxième partie du nom renvoie à une dévotion chère à la religieuse si l’on en croit la même circulaire. En revanche, il est évident qu’on peut éprouver un fort attrait pour l’Enfance sans y être vouée par son nom de religion : on en verra de nombreux exemples ci-dessous.
30 Bien que l’Incarnation et l’Enfance du Christ constituent des « mystères » différents, leurs dévotions sont si fréquemment associées qu’il n’a pas paru pertinent de les dissocier ici.
31 J.-B. ERIAU, Une mystique du XVIIe siècle. Sœur Catherine de Jésus, carmélite (1589-1623), Paris, 1929, p. 163.
32 Ibid., p. 75-76.
33 Ibid., p. 79.
34 Ibid., p. 79.
35 Sujet de l’un de ses portraits conservé au Carmel de Beaune, et d’une gravure de Poilly d’après Stella cf. [M.-Fr. GRIVOT], La vénérable Marguerite du Saint-Sacrement du Carmel de Beaune 1619-1648, Beaune, 1987.
36 M. du SAINT-SACREMENT, Correspondance. Livre I : 1630-1648, prés. par Sœur Marie-Françoise Grivot, Beaune, 1991.
37 Ibid., lettre de 1639.
38 Ibid., lettre du 17 mars 1641.
39 Ibid., p. 75, vers le 1er janvier 1645.
40 M. ACARIE, Lettres spirituelles, prés. par Pierre SÉROUET, Paris, 1993, p. 148, 10 janvier 1658.
41 Abbé de BRION, La vie de la très sublime contemplative sœur Marie de sainte Thérèse, carmélite de Bordeaux, Paris, chez N. Leclerc et J. Estienne, MDCCXX, p. 154-155.
42 Ibid., p. 157.
43 Ibid., p. 159.
44 Ibid., p. 162.
45 Chroniques des Carmélites de France, t. II, Troyes, 1850, p. 333
46 Chroniques des Carmélites de France, t. II, Troyes, 1850, p. 326.
47 Une note des Chroniques précise que les visiteurs du Carmel « désapprouvèrent cette espèce de solennité et de jouissance pour l’intérieur et l’ont interdite à tout l’ordre ».
48 G. THIRIOT, Les carmélites de Metz, Metz, 1926, pp. 102-103 et 112-113.
49 Cf. L’Ordre des devoirs et obligations des domestiques et associés de la famille de Jésus Enfant établie durant la vie de notre Très honorée Sœur Marguerite du Saint-Sacrement, in J. ROLAND-GOSSELIN, op. cit., pp. 497-515.
50 G. THIRIOT, op. cit., p. 14-16.
51 Ibid., p. 27.
Auteur
Institut d’Histoire du Christianisme Université Jean Moulin – Lyon 3
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008