Le légendaire télévisuel de Robespierre. De La caméra explore le temps au Bicentenaire (1964-1989)
p. 339-348
Texte intégral
1En septembre 1999, une émission de France Culture, « Robespierre, ce paria », revenait sur les controverses suscitées aujourd’hui encore par la mémoire de l’avocat d’Arras. Ce document donnait la parole aux militants qui espèrent une réhabilitation de ce personnage « mis au ban de l’historiographie révolutionnaire, (…) véritable paria de l’héritage politique français »1. Une tâche ardue qui fait écho à bien d’autres initiatives. Celles d’Albert Mathiez en particulier qui, en octobre 1923 à Arras, lors de l’installation d’une plaque commémorative sur la maison de Robespierre, prononçait ces mots : « pour la première fois, la ville natale de Robespierre s’est associée… à la réhabilitation de ce citoyen si odieusement calomnié depuis un siècle… la vérité a fait son chemin. Les efforts que nous poursuivons depuis seize ans n’ont pas été inutiles. Si la tâche n’est pas terminée, nous pouvons puiser dans les premiers résultats la force de continuer, la certitude d’une nouvelle victoire »2. De fait, la vie posthume de Robespierre, dans le champ des représentations3 figurées, littéraires, théâtrales ou filmiques mais aussi celui de l’historiographie, a subi les vicissitudes de condamnations et de réhabilitations successives.
2Les travaux sur la mémoire collective coordonnés par Pierre Nora ont démontré l’importance de ces « représentations incessamment retravaillées et qui pèsent sur nous, comme des archétypes de mémoire sociale »4. S’il est possible de suivre le cours des méandres de la mémoire partagée et des contradictions des représentations de Robespierre, c’est, semble-t-il, pour mieux saisir la permanence d’une figure débattue, manichéenne, conflictuelle ou rejetée. « L’image maudite du Robespierre sanguinaire, hypocrite et démagogue s’est imposée d’emblée à la postérité, par la voie officielle… et sans contrepartie »5. Rappelons quelques exemples fondateurs, en 1794, d’une iconographie hostile au personnage : le Triumvir Robespierre, estampe sur laquelle ce dernier présenté en monstre sanguinaire, presse un cœur dans une coupe pour en extraire le sang et s’en abreuver ; Robespierre guillotinant le bourreau après avoir fait guillot’ tous les Français, scène satyrique qui l’assimile à un ange exterminateur ou encore cette gravure sur bois qui compare Robespierre à Catilina, la tête coupée au-dessus de la liste des proscrits. À cette tradition figurée sont associés les écrits bien connus de détracteurs tel que le conventionnel Courtois, parus en Thermidor an II ou ceux de l’abbé Proyard, imprimés en 1795, discours défavorables réactivés au XIXe siècle sous la plume de l’abbé Papon ou de Madame de Staël. En contrepoint, ces représentations, relayées par la littérature puis le cinéma, sont ardemment combattues depuis le début du XXe siècle par les membres de la Société des Études Robespierristes qui, à l’occasion, interviennent au sein des médias contemporains.
3Le propos est ici d’étudier le rôle de quelques émissions consacrées à Robespierre par ce vecteur de diffusion de masses, implanté dans les foyers depuis un demi-siècle : la télévision6. Cette approche participe de l’histoire des pratiques sociales et culturelles contemporaines, des enjeux de la vulgarisation d’une discipline et des héritages historiographiques, scolaires ou littéraires qui perdurent et se transforment au contact de médias successifs, de l’étude de l’imaginaire historique et de son impact dans les mémoires collectives. Dans une partie dévolue à « l’irrésistible ascension de la télévision dans les années soixante », Jean-François Sirinelli signale : « si la mémoire collective a retenu notamment les émissions de La caméra explore le temps, c’est bien qu’en cette époque de chaîne unique leur influence fut réelle, profonde et durable. Seule une étude détaillée, permettrait d’observer à quel point le légendaire télévisuel ainsi engendré – sur les cathares, sur Danton et Robespierre – s’est amalgamé à la culture scolaire du plus grand nombre »7. Ce premier éclairage sur le légendaire de Robespierre au petit écran8 et qui souligne d’ailleurs, l’impact de la Caméra explore le temps, est en outre emblématique d’une mutation importante des représentations télévisuelles de la Révolution française des années soixante au Bicentenaire.
4C’est en 19589, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance que l’on trouve dans le journal télévisé les premières images d’une exposition autour du personnage à l’hôtel Soubise, attestant de documents d’archives symboliques et tout particulièrement, les actes – de baptême puis d’accusation – liés à Robespierre. Jusqu’au tournant des années quatre-vingt d’ailleurs, à la faveur de sensibilités politiques de réalisateurs tels que Stellio Lorenzi, communiste convaincu, et contrairement au cinéma10, Robespierre fait partie de la galerie des grands hommes de l’histoire nationale. L’exemple télévisuel incontournable et mythique est bien celui, en 1964, de la Terreur et la vertu11, véritable entreprise de réhabilitation de l’action politique de Robespierre à l’initiative de la très populaire série La caméra explore le temps12. La série historique avait renouvelé par le biais de scénarios inédits, le genre de prédilection de cette période que constituait la dramatique. Le célèbre trio à l’origine de la série, Alain Decaux, Stellio Lorenzi et André Castelot, attachés à un idéal républicain commun, ne cachaient pas leurs divergences d’opinions confessionnelles et politiques, gages, selon eux, d’objectivité. Cependant, le scénario de la Terreur et la vertu n’en reste pas moins le résultat d’une admiration et d’un parti pris indéniablement favorable à la politique robespierriste. Parti pris auquel adhèrent essentiellement Decaux et Lorenzi et qu’ils expriment tour à tour lors d’un entretien de 1964 : « Ah ! Stellio et moi, nous avons versé une larme sur cette image de Robespierre, revenant de la Fête de l’Être Suprême avec ses lunettes et son gros bouquet dans les bras ! »13 ; « Que l’on soit « pour » ou « contre », je crois que sur le plan politique, plus personne ne songe à dire que Robespierre avait tort. Tout le monde voit bien que si l’on avait suivi la politique de Danton, si l’on avait fait la paix, tout était perdu. (…) la lucidité de Robespierre est indiscutable »14.
5La réalisation de la dramatique accentue en effet cette « lucidité » politique de Robespierre et une certaine solitude du personnage. Lorsque Carnot expose la situation militaire ou lorsque les révolutionnaires s’indignent de la misère du peuple et des excès d’Hébert, tous s’intègrent dans un plan d’ensemble. Robespierre, en revanche, apparaît seul à l’écran. La mise en scène lui est toujours favorable. Il est montré comme un homme d’équilibre sans ambition personnelle et sans haine, un homme qui travaille sans répit, oublieux de lui-même et de sa maladie. Les scènes qui valorisent l’homme public, insufflant à ses compatriotes la force de continuer la Révolution alternent régulièrement avec celles, plus intimes, qui jouent sur son épuisement et son découragement. L’acteur, Jean Négroni ne fait pas, à priori, de concessions à son personnage : visage fermé et torturé, gestes nerveux et mains crispées. Mais son jeu lui confère sensibilité et humanité. Et les dialogues ne sont pas de reste afin que justice lui soit rendue. À Camille Desmoulins et à ses détracteurs du moment, il supplie de comprendre le sens de son action : « Me prends-tu pour un monstre assoiffé de sang ? Je suis contre la peine de mort… nous travaillons pour un monde qui sera la consolation des opprimés… pour tous ceux de demain… nous sommes en route ». Dans la séquence15 où Robespierre s’affronte à Danton, il lui reproche son attentisme et son inconscience : « Tu me regardes m’acharner au lieu de m’aider ! ». Les auteurs ont utilisé cette « vertu impopulaire en France »16 pour en donner l’image du dépassement de soi et la consécration de toute une existence à la cause du peuple et de l’avenir de l’humanité. Et surtout, ils n’ont pas négligé un argument d’importance dans une France encore sensible aux souvenirs de l’Occupation : le refus de Robespierre de brader la paix contre l’avis de Danton, La Caméra et sa conception de la Révolution marquent profondément les téléspectateurs des années soixante. La Terreur et la vertu obtient le prix du public en 1965. Le succès de l’émission incite les auteurs à demander au Service des études de l’opinion de l’ORTF, une enquête approfondie sur la réception. Le procès de Danton obtient 64 % d’audience, celui de Robespierre, 75 % ; 20 % du public interrogé trouve l’émission « excellente » et 61 % la trouve « très bonne ». Quelle que soit la fiabilité de ces résultats fondés sur un panel d’appels téléphoniques, ils sont les indicateurs d’une satisfaction partagée pour le sujet et son traitement. De plus – et l’enjeu était de taille dans ces dramatiques qui reposaient sur l’incarnation des acteurs de l’Histoire – Jean Négroni a largement convaincu les téléspectateurs. Il inspire de la sympathie à 63 % des personnes interrogées tandis que Jacques Ferrière, choisi par le réalisateur pour sa ressemblance physique avec Danton, n’obtient que 43 % des suffrages. Signalons que l’interprétation de Jean Négroni a si fortement marqué les consciences qu’il joue à nouveau l’Incorruptible, en 1979 à l’occasion du spectacle « Danton et Robespierre » scénarisé par Robert Hossein17.
6Comme toujours, la série est suivie d’une joute oratoire entre Alain Decaux et André Castelot laquelle fait état de controverses historiographiques réactivées par le Bicentenaire de la naissance de Robespierre en 1958. On le sait, c’est à l’occasion d’une autre commémoration, celle du centenaire de la Révolution, qu’une polémique18 s’était instaurée entre Alphonse Aulard, premier occupant de la chaire d’histoire de la Révolution à la Sorbonne, en 1886, et Albert Mathiez, son élève. Aulard militait pour la gauche radicale et pour sa figure de proue, Danton. À l’extraordinaire effervescence scientifique suscitée par l’historien (réunion de sources départementales, publication de textes inédits...) se conjuguait un travail de remaniement des manuels scolaires. Quelques années plus tard, le contexte social des années 1905-1907 et la formation de la SFIO en 1905 favorisaient les contestations de la gauche socialiste. Mathiez, fondait alors la « Société des études robespierristes » et demandait une légitime réhabilitation de Robespierre et de son rôle politique pendant la Révolution. Lorsque les auteurs de La Caméra explore le temps décident du choix du sujet, la mémoire de ces affrontements restent encore très présents19. Les historiens et écrivains contemporains de l’émission, Albert Soboul20 ou Jean Massin21, ont perpétué les travaux d’Albert Mathiez. Associés à Georges Lefebvre, ils sont cités en référence par Alain Decaux qui salue particulièrement le courage d’Albert Mathiez, lors du débat final. N’oublions pas qu’Alain Decaux était présent en 1958, à Arras, aux côtés d’Albert Soboul lorsque la ville dédie une plaque commémorative à Robespierre, à l’occasion du Bicentenaire de sa naissance.
7D’après les auteurs, la série fait converger la connaissance historique et l’éducation à la citoyenneté. Dans ses mémoires, Alain Decaux concluait ainsi en 1992, se souvenant des débats passionnels autour de l’émission : « On ne parle que Danton et Robespierre. Près de deux siècles après leur mort, l’un et l’autre suscitent, comme de leur vivant, des partisans aussi acharnés que des adversaires. On s’affronte à leur propos, on se lance des arguments à la tête. Parmi les centaines de lettres que nous recevons, une seule résume tout : une paysanne d’Auvergne tient à nous livrer son opinion. Elle parle des héros de l’émission comme s’il s’agissait de ses proches voisins. Elle écrit que, si « ce M. Dantont (sic) est plus sympathique », finalement, le plus honnête est « sûrement M. Robert Pierre (sic) ». Bref, dans une France que sept ans de pouvoir gaulliste se sont appliqués à dépolitiser, les Français privés de véritable affrontement parlementaire, retrouvent à la faveur d’une émission de télévision un substitut qui les rend eux-mêmes »22. La série possédait, en outre, les vertus pédagogiques nécessaires pour permettre aux téléspectateurs de retrouver une imagerie déjà façonnée par l’école tout en contournant certains clichés.
8Dans la continuité et pendant près de dix ans, régulièrement23, Robespierre a été présenté au petit écran comme un acteur politique essentiel d’une Révolution, elle-même positive. En 1967, le documentaire de Jean Chérasse, Valmy24, innovant en matière de film de montage historique, associe une brève reconstitution de la journée du 20 juin 1792 et un entretien avec l’historien Jacques Godechot, membrede la Société des Études Robespierristes. Puis, en 1970, Claude Barma, secondé par Jean Vilar, met en scène dans un décor minimaliste la fameuse pièce de théâtre du XIXe siècle, écrite par Georg Büchner, La mort de Danton25. La forme théâtrale réactive d’ailleurs la tradition d’une vision de la Révolution au cours de laquelle s’affrontent les deux géants de la Révolution, aux tempéraments opposés. En 1973, l’émission littéraire de Claude Santelli et de Françoise Verny, Les Cents livres des hommes26, dédiée à l’œuvre de Michelet sur la Révolution offre un long temps de parole à Jean Massin27 lequel commente une gravure de la fête de l’Être Suprême. En 1975, c’est au tour de Pierre Cardinal d’adapter l’ouvrage d’Albert Ollivier, St Just ou la force des choses28, publié en 1955.
9C’est au tournant des années quatre-vingt que s’opère une véritable rupture dans le champ des représentations de la Révolution française. Après 1975, les scénarios concernent majoritairement, des acteurs anonymes issus de la société rurale. Héros nationaux et événements parisiens disparaissent quasiment de la production. Cette tendance n’est pas sans rapport avec les nouveaux objets de la recherche historique. La fiction s’approprie tout d’abord les études sociales menées par Pierre Goubert, Yves-Marie Bercé ou Emmanuel Le Roy Ladurie..., puis elle intègre progressivement les nouveaux champs historiques qui révèlent les mentalités populaires, les attitudes collectives, la vie quotidienne et les sensibilités paysannes. Le film le plus représentatif de cette tendance est très certainement 1788 de Maurice Failevic et Jean-Dominique de la Rochefoulcauld lesquels travaillent en collaboration avec Albert Soboul. Il s’agit de briser une tradition historique qui privilégiait une mémoire d’État pour rendre la parole aux spoliés de l’Histoire officielle. Dans cette veine du réalisme historique appliqué aux campagnes, ce sont les porte-parole de Robespierre qui tiennent les premiers rôles. C’est le cas, par exemple, en 1984, du feuilleton Fabien de la Drôme, de Michel Wyn et (encore !) de Stellio Lorenzi, dont le héros justicier applique sa loi, celle de Robespierre puis de Babeuf, contre les malversations de bourgeois enrichis sous le Directoire. Ainsi, rares sont les émissions qui traitent désormais sans détour du personnage. La forme du débat fait surgir cependant des déchaînements de violence verbale : en 1973, lors d’une soirée des Dossiers de l’écran consacrée au Visage sanglant de la Révolution : la Terreur, dans laquelle Albert Soboul est présenté comme la figure de proue de l’historiographie révolutionnaire ; ou encore, en 1986, lors d’une séance de la collection Apostrophes, autour du thème Les hommes de la Terreur, qui opposent Michel Vovelle et Dominique Jamet29, engagé dans la destruction du « dogme de l’immaculée Révolution »30.
10Le moment commémoratif voit le nombre d’émissions sur la Révolution exploser avec d’ailleurs une tendance à choisir la Révolution et son interprétation, qui conviendront au mieux à l’identité des chaînes. Parmi les projets proposés à la Mission du Bicentenaire, l’adaptation du livre de Jean Philippe Domecq, Robespierre, derniers temps31, n’a jamais abouti. En fait, le seul projet soutenu par la Mission du Bicentenaire, proposé par FR3, est le documentaire d’Hervé Pernot, Robespierre, 1789-1989, diffusé en toute discrétion, en fin de soirée et en fin d’année32. Ce documentaire mêlant fictions et interviews, était un projet ancien, de 1980, reformulé pour l’occasion. Comme le rappelle le réalisateur : « il s’agit d’une initiative personnelle antérieure au Bicentenaire qui n’avait pas été acceptée. J’ai reproposé mon sujet aux chaînes en 1987. Seule, la Sept l’a retenu sous certaines conditions. J’ai débuté le tournage des scènes de reportage avec les gains de mes films précédents et une subvention du Conseil Général du Pas-de-Calais. J’ai commencé à tourner les scènes historiques en courant le risque de ne pouvoir terminer et de devoir rembourser. »33 Nous sommes ici bien loin du succès de la Caméra explore le temps, cependant sa forme et son contenu sont significatifs d’une nouvelle tentative de réhabilitation du personnage reconsidérée à partir de la mémoire controversée du personnage.
11Il s’agit d’un documentaire qui mêle des images contemporaines de la ville d’Arras, des reconstitutions en costumes portant sur la vie de Robespierre et des interviewes d’hommes politiques ou historiens. Dans cette biographie télévisuelle, la place accordée à la vie privée vient humaniser l’homme politique. Il est montré enfant, par exemple, au moment de la séparation d’avec son père, dans un costume qui tend à raviver le souvenir de la peinture de Boze. C’est également de l’ensemble de son parcours politique dont traite le document afin de le dissocier de la période de la Terreur et de mettre à mal certains amalgames historiques. La dimension historiographique est attestée par la présence d’historiens tels que Michel Vovelle ou Serge Bianchi. La mémoire politique est présente à partir d’entretiens aussi divers que ceux de Lionel Jospin, Edgar Faure, André Lajoinie ou Jacques Chaban-Delmas. Des héritiers directs ou indirects viennent renforcer la cohorte des témoins : ainsi, une petite cousine ; le proviseur du collège Louis le Grand, la restauratrice qui loge dans l’ancienne maison des Duplay, le maire d’Arras… Un psychiatre enfin vient à sa rescousse, précisant que Robespierre n’était pas fou mais que son parcours est à mettre en relation avec la mort de sa mère et un sentiment durable d’humiliation.
12Ainsi, dans les premières années de sa création, la télévision est conçue par les pionniers comme un outil de démocratisation culturelle et d’instruction populaire dans la continuité de l’école de la IIIe République. L’influence du manuel d’histoire Malet-Isaac34 y est encore fortement sensible. On sait que ce manuel de 1925, formant des générations successives, avait introduit une vision favorable d’un Robespierre défenseur de la Démocratie, à partir des travaux entrepris par Albert Mathiez. « Il y eut probablement davantage fusion que contradiction entre ces deux enseignements historiques de masse. On formulera même ici l’hypothèse que la télévision a peut-être d’abord joué, en ces temps de chaîne unique, un rôle pédagogique civique : au « catéchisme républicain » transmis aux écoliers de la IIIe République, elle a ajouté ce légendaire télévisuel. À tel point, du reste, que les dents souvent grincèrent de voir ainsi cette « école des Buttes-Chaumont », considérée comme engagée à gauche, contribuer à façonner cet entre-deux entre cultures politiques et sensibilités qu’est le passé recomposé »35. Dans le cas de la Terreur et la vertu, les procédures de réhabilitation passent par la valorisation de l’acte politique qui force l’admiration. L’Incorruptible a encore le visage du héros révolutionnaire du XIXe siècle. Il s’agit d’un homme hors du commun qui incarne un idéal démocratique et sa valorisation s’appuie sur la traduction télévisuelle d’ouvrages d’historiens. Dans le dernier cas, celui du Bicentenaire, l’ambition était de faire de Robespierre un individu avant tout. Dans cette histoire-mémoire qui s’exprime alors, chacun est détenteur d’un savoir légitime, se réapproprie le souvenir du personnage en fonction de son propre itinéraire, et les interprètes du passé ne sont plus les seuls historiens.
Notes de bas de page
1 Un article de Télérama rédigé par Emmanuel Carlier résume le propos de l’émission et constate un ultime effort de réhabilitation de la mémoire de Robespierre : « Rencontre avec les historiens et militants qui se battent pour réhabiliter « L’Incorruptible » », Télérama n° 2592, 15 septembre 1999, p. 157. Cette émission était intégrée à la « La Fabrique de l’Histoire » produite par Emmanuel Laurentin.
2 Extrait de « L’hommage d’Arras à Robespierre », Annales révolutionnaires, T. XV, 1923, p. 441. Voir également le site de l’Association des Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution (ARBR). « Association départementale créée en 1987 dans le Pas-de-Calais, pour que Maximilien Robespierre, le plus illustre des Artésiens, ait sa juste place dans l’histoire du département et notamment à l’occasion du Bicentenaire de la Révolution. D’où le sigle initial de l’association : ARBR (Amis de Robespierre pour le Bicentenaire de la Révolution). » http://www.amis-robespierre.org
3 Gérard Alice, La Révolution française, mythes et représentations (1789-1970), Flammarion, Paris, 1970.
4 Les Lieux de mémoire (sous la direction de Pierre Nora), Les France. 2. Les traditions, Édition quarto Gallimard, 1997 p. 3041.
5 Alice Gérard, La Révolution française, mythes et interprétations (1789-1970), op. cit., p. 127.
6 Maryline Crivello-Bocca, L’écran citoyen. La Révolution française vue par la télévision de 1950 au Bicentenaire, Paris, L’Harmattan, 1998. Voir le travail de Émilie Poujol, La représentation de Robespierre à la télévision française. Filiation et rupture d’un imaginaire, Maîtrise d’Histoire moderne (Dir. M. Crivello C. Peyrard), Université de Provence, 1998-1999. Plusieurs références citées dans ce mémoire sont reprises dans cet article.
7 Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de la France (sous la dir. de J.-F. Sirinelli et J.P. Rioux), Le temps des masses, le vingtième siècle, Tome 4, Paris, Le Seuil, 1998, p. 268.
8 Les archives de télévision sont accessibles aux chercheurs à l’Inathèque de France, installée à la BNF.
9 Journal télévisé du 9 juillet 1958.
10 Sylvie Dallet, La Révolution française et le cinéma, Paris, L’herminier - Éditions des quatre-vents, 1988.
11 La Terreur et la vertu, dramatique de la série La caméra explore le temps, consacrée respectivement au procès de Danton puis à celui de Robespierre, diffusée en deux parties les 10 et 17 octobre 1964, suivi d’un débat entre André Castelot et Alain Decaux, réalisée par Stellio Lorenzi. Accessible dans le commerce en vidéocassette dans la collection de l’INA, « Images du temps présent à la télévision ».
12 L’émission obtient un prix du public en 1965. Maryline Crivello-Bocca, « L’écriture de l’histoire à la télévision. La mobilisation des consciences : La caméra explore le temps (1956-1966) », La télévision dans la République, (sous la direction de Marie-Françoise Lévy), Bruxelles, Éditions Complexe-IHTP, 1999. Veyrat-Isabelle Masson, Quand la télévision explore le temps. L’histoire au petit écran, Paris, Fayard, 2000.
13 Télé-Revue, 11-10-1964, entretien avec Alain Decaux.
14 Télé-Revue, 11-10-1964, entretien avec Stellio Lorenzi.
15 Les séquences décrites ont fait l’objet d’une diffusion publique lors du colloque.
16 Télé-Revue, 11-10-1964, entretien avec Stellio Lorenzi.
17 Bernard Fresson prendra le rôle de Danton.
18 Michel Vovelle, « Un siècle d’historiographie révolutionnaire (1880-1987) », L’état de la France pendant la Révolution (1889-1989), Éditions La Découverte, Paris, 1988. François Furet, « Histoire universitaire de la Révolution », Dictionnaire critique de la Révolution française, Flammarion, Paris, 1988.
19 Leurs héritiers, Philippe Sagnac et Georges Lefebvre, modérèrent ces querelles, par héros interposés, et publièrent en commun une histoire de la Révolution dans un cadre international.
20 Albert Soboul, Précis d’histoire de la Révolution française, Paris, 1962.
21 Jean Massin, Robespierre, coll. « Portraits de l’Histoire », Paris, 1956.
22 Alain Decaux, Le tapis rouge, Perrin, 1992, p. 97.
23 Afin d’éviter une description trop fastidieuse, toutes les émissions ne sont pas citées.
24 La chute de la royauté : Valmy, documentaire de la série Présence du passé de Jean Chérasse, diffusé le 27 mars 1967 (1ère chaîne).
25 La mort de Danton, réalisation de Claude Barma, pièce de Georg Büchner, diffusée le 1er juin 1970 (1ère chaîne).
26 Histoire de la Révolution française de Jules Michelet, émission littéraire « Les Cents livres des hommes », réalisé par Nat Lilenstein et diffusé le 30 juillet 1973.
27 Jean Massin avait publié en 1956 une biographie de Robespierre.
28 Albert Ollivier, historien de la Révolution française a été Directeur des Programmes entre 1959 et 1964. C’est un Gaulliste ayant également écrit sur la Commune. Le téléfilm est diffusé en deux parties le 27 septembre et le 4 octobre 1975.
29 Le roman de Dominique Jamet a pour titre Antoine et Maximilien ou la Terreur sans la vertu.
30 Émission du 28 février 1986.
31 Ouvrage publié au Seuil en 1984.
32 Diffusion le 8 décembre 1989 à 22h56.
33 Le Monde, 4 décembre 1989, « Le proscrit du Bicentenaire ».
34 Riemenschneider Rainer (dir.), Images d’une Révolution : la Révolution française dans les manuels scolaires du monde, Paris, L’Harmattan, 1994.
35 Jean-François Sirinelli, Histoire culturelle de la France (sous la dir. de J.-F. Sirinelli et J.P. Rioux), Le temps des masses, le vingtième siècle, Tome 4, Paris, Le Seuil, 1998, p. 268.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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