La visibilité des femmes dans la Révolution française
p. 303-312
Texte intégral
1Cette réflexion a été construite à partir des travaux sur la notion de Visibilité/Invisibilité menés par le Groupe de Recherches Femmes Méditerranée1. Son but est d’essayer de montrer comment les recherches sur la Révolution peuvent participer de nouvelles problématiques, les nourrir et s’en enrichir. Il s’agit donc, au carrefour des recherches, d’une présentation de chantiers en cours.
2La problématique de l’équipe Femmes-Méditerranée a permis d’analyser, à partir d’une batterie d’indices la plus variée possible :
- les facteurs de l’invisibilité des femmes (invisibilité dans la société mais aussi difficulté de trouver leurs traces dans des documents qui négligent ou même occultent parfois leur présence, invisibilité liée au regard de l’historien...)
- les processus selon lesquels les femmes peuvent se rendre visibles
- les conséquences de cette accession à la visibilité.
3Un de nos objectifs a été d’appréhender les actions dans leur déroulement, leur temporalité propre et leurs interactions, de saisir pourquoi et comment se font les mutations qui dérèglent l’ordre établi à un moment donné et permettent aux femmes de devenir sujets de leur propre histoire, actrices du changement. L’étude du point de clivage, ou moment critique, est essentielle pour penser ce qui change et mettre en valeur la présence des femmes et leur rôle dans l’histoire.
4Peu visibles dans le champ du politique pendant l’Ancien Régime, les femmes y apparaissent davantage pendant la Révolution parce que la situation de crise est favorable à leur émergence, et qu’il y a production d’archives qui permettent de trouver leurs traces. En cette période de remise en cause des modèles traditionnels, de nouvelles représentations apparaissent qui conditionnent les mentalités et les comportements politiques du XIXe siècle.
5L’historiographie nous montre des femmes ramenant le roi à Paris en octobre 1789, tricotant à l’Assemblée ou au pied de l’échafaud. Néanmoins, pendant longtemps, il semble que ce soit surtout des images de femmes contre-révolutionnaires, de vendéennes soumises aux prêtres et de femmes victimes de la guillotine qui aient dominé dans des représentations où les militantes révolutionnaires n’apparaissaient guère.
6Les travaux de Dominique Godineau ont mis l’accent sur l’engagement des Parisiennes qui se trouve au cœur de certains des événements fondamentaux de la Révolution, mais l’action féminine ne se limite pas à la capitale et les recherches qui se développent actuellement permettent de découvrir dans les provinces une composante féminine des options collectives plus importante qu’on ne l’attendait. Grâce à une exploitation des nombreuses ressources archivistiques concernant la période de la Révolution française qu’il s’agisse des papiers des sociétés populaires, de ceux des comités de surveillance, des dossiers des tribunaux révolutionnaires et des divers comptes rendus administratifs, on peut s’interroger sur les lieux et les circonstances dans lesquelles les femmes deviennent visibles, sur les modalités de cette visibilité et les réactions qu’elle suscite. L’impact de cette émergence dans les mentalités doit ensuite être questionné.
7Dans cet objectif trois études issues des recherches du groupe Femmes-Méditerranée vont être brièvement présentées ici :
- Les femmes dans les papiers des comités de surveillance des Bouches-du-Rhône
- Les femmes en révolution dans l’iconographie de 1788 à 1799
- Des éléments d’une réflexion en cours sur les héroïnes et leurs représentations menée dans le prolongement des recherches sur la visibilité sociale des femmes.
Les femmes dans les papiers des comités de surveillance des Bouches-du-Rhône
8Parmi les différentes sources qui permettent de trouver des traces de l’action politique des femmes, les papiers des comités de surveillance sur lesquels un nouveau chantier de recherche a été lancé semblent prometteurs2. La loi du 21 mars 1793 avait institué un comité par commune, dans le cadre de la mise à l’ordre du jour de la Terreur. Les registres des comités apportent donc des renseignements sur les tensions politiques au sein des communautés, en particulier par les dénonciations qui y sont reportées.
9L’étude qui a été menée par Jacques Guilhaumou et moi-même3 concerne le corpus des récits, dénonciations, interrogatoires relatifs aux femmes dans les papiers des comités de surveillance conservés aux archives départementales des Bouches-du-Rhône. Ces documents permettent de faire progresser les interrogations sur les réalités locales de l’action politique féminine. Ils montrent comment les femmes participent aux antagonismes et se rendent visibles pour défendre leur cause ainsi que les réactions à cette visibilité, en particulier les aspects de la visibilité féminine qui sont encouragés et ceux qui provoquent réticences et oppositions pour aboutir à une certaine occultation du rôle politique des femmes dans les mémoires et dans l’historiographie.
10Les dénonciations reportées dans les papiers des comités de surveillance témoignent de la participation des femmes à la vie politique locale et attestent de leur présence dans l’espace public. Que ce soit à l’époque de la crise fédéraliste de 1793 ou pendant l’an II, des femmes dénoncent et sont dénoncées. Elles occupent donc, tant du côté des dénonciatrices que des dénoncées, un champ d’activité publique mis en visibilité par des sources qui permettent de s’interroger sur d’éventuelles spécificités féminines.
11On constate d’abord que les femmes peuvent utiliser leur invisibilité qui leur permet d’espionner, de transmettre des messages, d’accomplir des actions clandestines, ou, au contraire, se mettre en avant pour des actions de défense ou, lorsque tout est accompli, de vengeance.
12La constance des femmes dans la défense de la famille et des intérêts familiaux est nettement attestée alors qu’il semble que les hommes soient davantage susceptibles de faire passer leurs motivations politiques avant leurs motivations affectives.
13La différence d’attitude entre les hommes et les femmes de la famille est souvent évidente : prudence et obéissance à la loi du côté des hommes, primauté de l’intérêt familial pour les femmes.
14Dans les affaires d’argent concernant la famille, les femmes apparaissent souvent au premier plan. Elles s’engagent aussi pour la défense des biens lorsque les hommes de la famille ont émigré.
15Les femmes se mettent aussi en visibilité dans les affaires concernant la religion ; elles sont facilement accusées de sentiments de fanatisme. Dans ce domaine, la mise en visibilité peut aller jusqu’à l’ostentation. Porter une croix ou une cocarde, revêtir ses habits de fête le dimanche ou le décadi sont, en effet, pour les femmes un moyen d’affirmer leurs options politico-religieuses. Néanmoins, cette attitude, si elle est fréquemment relevée chez les femmes, ne leur est pas spécifique et elles sont manifestement intégrées à l’action des réseaux familiaux qui forment les camps politiques de nombreuses petites communes provençales.
16Des femmes peuvent se mettre en visibilité en faveur de la Révolution. Certaines affaires les montrent impliquées dans le camp patriote. Les dénonciations sont d’ailleurs considérées comme une action politique positive pour protéger la communauté et la Nation du danger de contre-révolution4. Pendant l’an II, le rôle de surveillance, facilité par leurs tâches quotidiennes, que les femmes exercent montre qu’elles participent à la vie politique de leur communauté et qu’elles s’impliquent dans l’aspect répressif de la Terreur, dans les luttes entre groupes antagonistes. Les femmes, si elles dénoncent moins souvent que les hommes, le font pour les mêmes raisons, essentiellement pour l’attitude que les suspects ont eu pendant la période du fédéralisme.
17Un des intérêts des papiers des comités de surveillance est de mettre en visibilité la parole des femmes. Les femmes deviennent visibles quand la parole devient politique et est rapportée. De nombreux témoignages marquent l’importance de cette parole féminine dans les pratiques politiques locales.
18Si les papiers des comités mettent en visibilité l’action des femmes, ils permettent également de rendre compte du regard, parfois complexe, que portent sur elles les « surveillants de la loi », qui s’apparente, dans certains cas, à un véritable principe politique de visibilité. Cet aspect est illustré par le comité d’Auriol qui, en réponse à une demande de dénombrements des suspects de la commune du représentant Maignet, dresse une liste par sexes5.
19Une femme est d’abord suspectée parce qu’elle partage « naturellement » avec son mari suspect « un sentiment de révolte et de contre-révolution »6. Elle est aussi facilement accusée de « sentiment de fanatisme » ; elle participe ainsi de la catégorie générale de « ceux qui n’ont pas constamment manifesté des sentiments révolutionnaires ». Mais la femme suspecte s’avère, aux yeux des surveillants, encore plus apte que les hommes à « parler d’un langage fédéraliste », ce « langage qui étonne le patriote » précise un dénonciateur7. Cela tient au fait qu’elle multiplie sans discernement les « propos inciviques ».
20Résistance à la loi, multiplication incontrôlée de propos inciviques, usage permanent de leur « mauvaise langue » caractérisent donc des femmes sur qui les comités peuvent faire peser le soupçon d’avoir joué un rôle majeur d’entraînement de la population dans l’opposition à la Révolution.
21Si la catégorisation des femmes suspectes en tant que telles peut permettre de leur imputer une grande part de responsabilité dans le phénomène de suspicion totalisante d’une commune comme Auriol, surtout du fait de leur appartenance majoritaire aux familles de dirigeants sectionnaires, cette catégorisation par le genre permet aussi d’introduire un élément de différenciation homme-femme, le sentiment d’humanité.
22Différenciant les suspectes des suspects, les comités s’autorisent à faire preuve d’une plus grande compassion à l’égard de leur situation, compte tenu de leur faiblesse présumée. À leur sensibilité spécifique, ils répondent par une manière d’agir avec humanité.
23D’ailleurs, les femmes suspectes s’avèrent aptes à se réapproprier les sentiments de compassion et d’humanité, à en rendre compte pour valoriser leur personnalité morale. En témoignent les conduites politiques adressées au représentant Maignet par des Marseillaises emprisonnées pour fédéralisme8. La parole féminine, souvent qualifiée négativement de « mauvais langue », prend en fin de parcours, par sa capacité à s’ajuster aux circonstances particulières de la Terreur, la dimension hautement pratique d’un jugement moral susceptible de rassembler hommes et femmes autour d’un même amour pour l’humanité. La prise au sérieux des émotions ouvre ainsi la voie à une meilleure compréhension de la valeur pratique, donc rationnelle, de la parole des femmes et des hommes au sein de l’espace public9.
24Les papiers des comités de surveillance permettent donc une analyse de la mise en visibilité des femmes au niveau de leurs actions et de la perception que peuvent en avoir les révolutionnaires. Une autre approche montre comment, à partir de leurs actions, les femmes peuvent être mises en visibilité par le regard des autres au niveau des représentations. L’interrogation porte alors sur ce que l’on veut montrer en les mettant en visibilité.
Femmes en révolution dans l’iconographie de 1788 à 1789
25Hélène Gourrion a étudié la mise en visibilité des femmes dans l’iconographie révolutionnaire, à partir du fonds iconographique de la Bibliothèque Nationale édité sur un vidéodisque à l’occasion du Bicentenaire10. Un corpus de 447 images a été constitué pour cette recherche11.
26La crise révolutionnaire fait accéder les femmes à une visibilité inconnue jusque là. Néanmoins, si elles sont rendues visibles par leurs actions pendant la Révolution, le regard porté par les hommes constitue un filtre qui les invisibilise en partie.
27Les événements qui ne revêtent pas un caractère révolutionnaire très marqué sont l’objet d’un traitement assez neutre car les enjeux de la représentation sont limités. Ils dénotent pourtant l’existence d’une certaine participation des femmes à la vie politique révolutionnaire. Elles sont visibles dans les représentations des émeutes de subsistances du printemps 1789 où leur place est considérée comme normale, puis disparaissent avec la Révolution au sommet. Le point de clivage est provoqué par leurs actions de l’automne 1789 où elles sont représentées comme groupe sexué. Si les héroïnes de 1789 furent célébrées au moins jusqu’en 1793, on observe néanmoins chez les imagiers une volonté de réduire le rôle d’initiatrices des femmes et leur nombre. Pourtant, à partir de ce moment, les auteurs prennent en compte la femme révolutionnaire et l’utilisent dans leurs images. Malgré cela les femmes n’accèdent pas à la visibilité dans la plupart des scènes historiques qui restent majoritairement masculines. Elles sont pour ainsi dire absentes des représentations des événements déterminants comme le 10 août 1792.
28Quand elles apparaissent dans le tableau, elles sont plus vues que reconnues, utilisées comme symboles puis réduites à des comportements traditionnels féminins : épouses et mères, soignantes et charitables. Le patriotisme féminin n’est exalté que lorsqu’il relève de l’espace privé. Quant aux activités proprement politiques des femmes, elles sont plutôt représentées de façon satirique par la caricature contre-révolutionnaire.
29À partir du Directoire, les représentations de femmes victimes s’imposent. Les imagiers multiplient les représentations de scènes de violence exercées à l’égard d’un sexe faible et fragile.
La représentation des héroïnes
30En fait, dans l’iconographie révolutionnaire, l’image féminine a davantage été utilisée comme symbole (la Liberté, la République) que pour mettre en valeur les actions de femmes réelles. En effet, bien que la Révolution, temps fort de la construction nationale, soit un moment capital dans « la fabrique des héros »12, la place des héroïnes y semble bien réduite.
31Le culte des martyrs de la liberté concerne des hommes morts, la Révolution se méfie des héros vivants. Aucune héroïne n’est présente à leurs côtés, alors qu’apparaissent des héros enfants tels Barras et Viala. Ces héros ont agi dans le domaine militaire ou politique, or de façon générale les femmes ne sont pas supposées agir et surtout pas dans ces domaines. Néanmoins, comme la Nation doit intégrer tous ses membres, les femmes sont introduites comme allégories : divinités et non femmes réelles représentant « l’être plutôt que le faire »13. Sous forme d’allégorie de la Nation, en se contentant d’être, la femme réalise la Nation qui donne la vie puis dépend des actions des autres.
32Comme nous l’avons vu précédemment, des héroïnes anonymes peuvent être mises en avant pour leur participation aux grands événements révolutionnaires telles les Parisiennes célébrées pour leur action en octobre 1789. Mais l’action héroïque ne suffit pas à les sortir de l’anonymat et à leur faire acquérir le statut d’héroïnes dans les représentations.
33Les militantes engagées activement dans le combat révolutionnaire étaient relativement peu connues jusqu’aux travaux de Dominique Godineau. Claire Lacombe et Pauline Léon ne sont pas vraiment considérées comme des héroïnes. Malgré leur action déterminée et les risques qu’elles ont encourus, elles ne meurent pas pour leurs idées. N’ayant pas sacrifié leur vie, elles ne peuvent accéder au statut d’héroïnes, de plus, leur engagement dans la tendance la plus extrême du mouvement révolutionnaire aurait peut-être suffi à les en écarter.
34Par contre, la légende s’est emparée rapidement de Théroïgne de Méricourt. Les historiens romantiques de la Révolution voyaient en elle le type même de l’amazone exaltée usant alternativement de ses charmes et de violence. C’est également l’image donnée par Baudelaire dans Les fleurs du mal. Le fait qu’elle ait finalement sombré dans la folie, s’il accentue l’aspect romantique du personnage, ne pouvait que l’exclure d’un rôle d’héroïne positive. La perte de la raison illustre le sort d’une femme qui a voulu forcer sa nature fragile par une conduite ne correspondant pas à son sexe.
35D’autres femmes célèbres de la Révolution ne semblent pas remplir les critères requis pour devenir des héroïnes. Olympes de Gouges, Madame Roland, Lucile Desmoulins n’ont pas accompli d’actions véritablement héroïques et leur mort, si elle est provoquée par leur engagement dans la Révolution, n’en fait pas pour autant des martyres révolutionnaires puisqu’elles sont guillotinées pour des options opposées à la politique de l’an II.
36C’est l’amour éprouvé pour son mari qui est mis en avant comme moteur du destin de Lucile Desmoulins, quant à Madame Roland c’est une femme de l’ombre. Olympes de Gouges, disqualifiée pour le statut d’héroïne révolutionnaire par les fluctuations de sa pensée politique, semble accéder néanmoins, depuis une dizaine d’années à une mise en visibilité en tant qu’héroïne du féminisme.
37Une voie originale est celle des « saintes patriotes » évoquées par Michel Vovelle et Christine Peyrard. Néanmoins la renommée de ces saintes n’est que locale, elles n’accèdent pas véritablement au Panthéon de héros révolutionnaires. Elles reproduisent, en fait, un schéma qui est celui de l’autre camp et sur lequel nous devons réfléchir, en particulier en nous demandant si le martyr des victimes peut procurer un statut héroïque.
38À défaut d’héroïnes révolutionnaires, des héroïnes pourraient-elles être issues des rangs de la contre-révolution ? Leur statut serait évidemment différent, il ne pourrait s’agir d’héroïnes « nationales » puisqu’elles seraient représentatives d’un camp considéré comme hostile à la construction de la Nation républicaine telles Marie-Antoinette et Charlotte Corday...
39De son vivant, la mise en visibilité de Marie-Antoinette est essentiellement négative qu’elle soit jugée, et critiquée, pour son attitude personnelle ou ses prises de position politiques. Après son arrestation et sa mort, apparaît la volonté d’en faire une martyre, l’accent est alors mis sur la mère et la croyante. Les œuvres contemporaines pour grand public en font une jeune et jolie princesse supportant mal les contraintes de la cour, à l’instar de lady Diana, puis une victime touchante. Une fois de plus, concernant une femme, l’aspect politique semble gommé de cette mise en visibilité.
40Le cas de Charlotte Corday a provoqué un débat dès l’accomplissement de l’assassinat de Marat. Elle même met en valeur l’héroïsme de son acte, elle est belle et sereine. Inquiets de possibles réactions d’admiration devant ce « crime héroïque », les Jacobins réagissent en dépréciant son physique et en la définissant comme hors de son sexe. Après thermidor, la conjoncture politique permet de nouvelles tentatives pour en faire une héroïne positive.
41De façon générale, l’héroïsme féminin est souvent un héroïsme résistant qui correspond à des valeurs féminines de fidélité, d’attachement à la durée, de défense plus que d’attaque. Les femmes ne voudraient pas faire table rase du passé pour créer un monde nouveau dans lequel leur place est incertaine. Il est donc logique que le modèle héroïque qui leur est proposé les classe dans le camp des résistances à la Révolution. Les victimes de la Révolution incarnent les valeurs familiales, morales et religieuses défendus par le camp contre-révolutionnaire.
42Mais, en fait, le plus souvent, seule la mort rend héroïque ces femmes que l’on peut considérer comme des victimes plus que comme des héroïnes. Certes, leur comportement en prison, devant les tribunaux et leur mort relèvent d’une conduite héroïque. Néanmoins, il correspond à un schéma de passivité chrétienne différente de l’agir du héros selon la distinction de Michelet. Le martyr, pour être ainsi désigné, doit avoir imité le Christ qui rendit son témoignage en souffrant et non en luttant. Les femmes n’étant pas considérées comme des êtres agissants, le sacrifice leur convient mieux que l’héroïsme actif et l’idéal du martyr mieux que celui de l’héroïsme. De façon générale, depuis les débuts du christianisme, seul l’héroïsme à connotation religieuse parait être autorisé aux femmes. Elles agissent alors conformément aux ordres divins et respectent ainsi leur vocation.
Conclusion
43Qu’il s’agisse de l’historiographie du XIXe siècle ou des tendances actuelles, dans les œuvres pour grand public et les media, la mise en visibilité des femmes victimes de la Révolution semble privilégiée. Elle participe d’un courant général qui conduit à mettre en avant la présentation de victimes féminines pour apitoyer ou révolter devant le spectacle d’une souffrance d’autant plus inacceptable qu’elle frappe des êtres dont le sexe est supposé signifier faiblesse et innocence.
44Mais la recherche historique permet de mettre d’autres femmes en visibilité pendant la Révolution. Ces militantes révolutionnaires qui se multiplient au fur et à mesure que l’on se donne la peine d’en chercher les traces semblent avoir provoqué réticences et oppositions, y compris dans leur propre camp, au point d’aboutir à une certaine occultation du rôle politique des femmes dans la mémoire et l’historiographie, d’autant qu’après l’événement révolutionnaire, le retour à la norme les plonge à nouveau dans l’invisibilité ou dans une forme de visibilité où elles ne sont plus actrices.
Notes de bas de page
1 Le GRFM est un programme interdisciplinaire de la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme d’Aix-en-Provence. Dernière publication collective : Femmes entre ombre et lumière. Recherches sur la visibilité sociale (XVIe-XXe siècles), sous la dir. de Geneviève Dermenjian, Jacques Guilhaumou, Martine Lapied, Publisud, 2000.
2 Enquête collective lancée dans le cadre du programme n° 2 « Formes de domination et contestations. Le pouvoir local à l’épreuve des crises » de l’UMR TELEMME (Université de Provence/CNRS).
3 Jacques Guilhaumou, Martine Lapied, « Les femmes dans les papiers des comités de surveillance des Bouches-du-Rhône », Femmes entre ombre et lumière. Recherches sur la visibilité sociale (XVIe-XXe siècles), op. cit.
4 Cf. Jacques Guilhaumou, « Fragments of a Discourse of Denunciation (1789-1794) », The Terror, The French Revolution and the creation of modern political culture, volume 4, K. M. Baker ed. Pergamon, Nex-York-Oxford, 1994.
5 Archives Départementales des Bouches-du-Rhône (AD BdR) L 1751-1752.
6 Voir le cas de Magdeleine Gambin, Salon, le 11 pluviôse an II, AD BdR L 1856.
7 Contre la femme Marguerit, comité de Velaux, le 24 brumaire an II, AD BdR L 1878.
8 Nous résumons ici les résultats de l’étude de Jacques Guilhaumou sur « Conduites politiques de Marseillaises pendant la Révolution française », Provence Historique, fascicule 186, octobre-décembre 1996.
9 Voir sur ce point la réflexion générale d’Anette Baier dans A Progress of Sentiments. Reflections on Hume’s Treatise, Harvard University Press, 1991. De plus la question des « émotions comme jugements de valeur » est traité, sous différents angles, dans le n° 6 (1995) de Raisons pratiques sur La couleur des pensées. Sentiments, émotions, intentions. Le lien entre « Humanité et Révolution » a été étudié par Nicole Arnold dans le Dictionnaire des usages socio-politiques du français (1770-1815), sous la direction de Jacques Guilhaumou et Raymonde Monnier, volume VI Notions pratiques, Paris, Klincksiek, 1998.
10 Hélène Gourrion, « Femmes en révolution dans l’iconographie de 1788 à 1799 », Femmes entre ombre et lumière. Recherches sur la visibilité sociale (XVIe-XXe siècles), op. cit.
11 Recherche menée initialement pour un mémoire de maîtrise La représentation iconographique des femmes en révolution, 1789-1799, sous la direction de Bernard Cousin et Martine Lapied, Université de Provence, 1996.
12 Cf. l’ouvrage collectif La fabrique des héros dirigé par Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend, publications de la Maison des Sciences de l’Homme, 1998.
13 Cf. Anne Erikson, « Être ou agir ou le dilemme de l’héroïne », La fabrique des héros, ibid.
Auteur
UMR TELEMME, Université de Provence-CNRS
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