Montaperti, entre défaite et trahison
p. 103-118
Texte intégral
1La bataille de Montaperti se déroula le 4 septembre 1260 aux environs de Sienne entre les troupes de la coalition gibeline dirigées par Sienne et celles de l’alliance guelfe, commandées par Florence. Le conflit s’inscrit dans le cadre général de l’opposition séculaire entre Guelfes et Gibelins mais aussi et surtout dans la rivalité constante entre Florence et Sienne. Chassés de Florence en juillet 1258, les Gibelins s’étaient réfugiés à Sienne, ce qui déclencha les hostilités car, trois ans plus tôt, les Siennois s’étaient engagés à ne pas les accueillir.
2Montaperti fut un épisode qui eut peu de poids sur le cours de l’histoire car le recul des Gibelins en Toscane commença dès 1266. En quelques années, les Guelfes reprirent le pouvoir à Florence, Lucques, Pistoia, Volterra, Prato, San Gimignano et Colle Val d’Elsa ; seules Pise et Sienne maintinrent en vie la coalition gibeline. Pourtant, Montaperti figure au nombre des batailles qui ont laissé des traces dans la mémoire collective. Deux fois par an, le 2 juillet et le 16 août, sur la Piazza del Campo, les Siennois commémorent la victoire qu’ils remportèrent sur les Florentins en faisant courir un « Palio », une course de chevaux où dix des dix-sept contrade de la ville s’affrontent. Les Florentins s’en souviennent également, mais pour eux Montaperti est une défaite, certes, mais dont la cause principale est une trahison.
3Rappeler la réalité des forces en présence et des faits historiques nous permettra de mieux définir le processus grâce auquel, dans l’historiographie et la littérature florentines, une déroute militaire a pu être soit occultée par la narration de l’avant et de l’après événement, soit présentée comme une défaite uniquement provoquée par une trahison, et de voir en quoi cette transformation a fait d’une bataille parmi d’autres un épisode célèbre de l’histoire de Florence.
4En mars 1260, Sienne, qui avait reçu en renfort une compagnie de cavaliers allemands, tenta de reconquérir Grosseto, Montemassi et Monteano que les Guelfes avaient poussées à se rebeller. En avril, la ligue guelfe se porta au secours de la Maremme avec une armée de 30 000 hommes et, le 18 mai, elle dressa son campement à proximité du monastère de Sainte-Pétronille, voisin de la porte nord de Sienne, la porte Camollia. La cavalerie gibeline attaqua le jour même le camp ennemi. Pris par surprise, les Florentins tentèrent de fuir dans le plus grand désordre et perdirent 1 300 hommes1. Le 20 mai, la majeure partie de l’armée guelfe leva le siège puis s’employa dans les semaines suivantes à affaiblir les alliés de Sienne. Montepulciano fut conquise en juillet et, au mois d’août, les Guelfes envoyèrent une armée de 30 000 fantassins et 3 000 cavaliers à Montalcino que les Siennois assiégeaient.
5Lucques, Bologne, Pistoia, Prato, San Miniato, San Gimignano, Volterra, Arezzo, Pérouse, Orvieto et Colle Val d’Elsa participaient à l’expédition aux côtés de Florence. L’armée guelfe installa son campement à proximité immédiate de Sienne. Le 2 septembre, deux ambassadeurs florentins furent envoyés pour remettre un ultimatum au Conseil des vingt-quatre qui gouvernait Sienne. Le Conseil opta pour le conflit armé et décida alors d’octroyer une double solde aux Allemands. Le puissant banquier siennois Salimbene de’Salimbeni fournit les fonds nécessaires : 18 000 florins.
6Le 3 septembre, l’armée siennoise, forte de 18 000 soldats et 1800 cavaliers, sortit de la ville. Le 4 septembre au matin, après avoir franchi la rivière Arbia, elle se disposa en ordre de bataille à côté de Montaperti, une petite bourgade de la vallée située à environ huit kilomètres de Sienne. La bataille dura toute la journée et son issue fut longtemps incertaine. Elle se conclut par la victoire de la coalition gibeline. Le campement guelfe fut pillé et 9 000 chevaux et autant de bêtes de somme furent capturés. Les drapeaux et les étendards, dont celui de Florence, furent pris. Les exilés gibelins rentrèrent à Florence le 27 septembre et Guido Novello, qui les commandait, fut nommé podestat. Tous les Florentins durent jurer fidélité à Manfred.
7Malgré le caractère déterminant de cette victoire, les annales siennoises enregistrent l’événement de façon très sobre : origine des vaincus, lieu, nombre de morts et de prisonniers, butin (matériel et cloche avec carroccio)2. Les annales gibelines de Piacenza donnent à peu près les mêmes informations, en précisant l’importance de l’aide apportée par le roi Manfred. À l’issue du combat, il y aurait eu 22 000 prisonniers et 8 000 tués ; les Siennois se seraient emparés de 30 000 bêtes de somme et de la cloche des Florentins3. Les annales de Parme sont moins précises. Elles se contentent de mentionner l’événement et les pertes, inférieures à celles présentées ailleurs4. On pourrait ainsi multiplier les exemples d’annales, nous obtiendrions toujours à peu près les mêmes informations avec des variations en ce qui concerne les pertes. Mais il existe trois documents, extérieurs à Florence, qui méritent d’être présentés plus longuement afin de mieux cerner ensuite la spécificité de la position florentine.
8Le premier est le récit de Niccolò di Giovanni di Francesco Ventura, un Siennois qui aurait participé à la bataille5. Niccolò Ventura commence son récit par la description des processions qui amenèrent les autorités religieuses et civiles de la ville et le peuple jusqu’à la cathédrale afin de placer Sienne sous la protection de la Vierge avant la prise des armes. L’armée gibeline fut divisée en quatre formations. L’une, commandée par le comte d’Arras et forte de deux cents cavaliers et d’autant de fantassins, avait pour tâche de contourner, dans le plus grand secret, la colline où se trouvait l’armée ennemie pour la prendre à revers ; une autre, commandée par Niccolò da Bigozzi, de garder le Carroccio et les deux dernières, commandées par Giordano d’Anglano et Aldobrandino Aldobrandeschi, d’attaquer l’ennemi de front. Il fut ordonné aux soldats de « faire de la charpie de ces mauvaises gens de Florentins », de tuer leurs chevaux, de ne pas faire de prisonniers, de ne pas descendre de cheval pour piller, de rester groupés et de tuer ceux de leurs compagnons qui feraient demi-tour6.
9Après un banquet agrémenté de chants et de danses, au cours duquel les capitaines haranguèrent leurs troupes, abondamment nourries et abreuvées, les Siennois attaquèrent :
Ils sortent de la plaine qui est au pied du mont Selvoli et commencent à monter sur la colline ; et les Florentins font la même chose, chacun monte de son côté pour avoir l’avantage du terrain : chacun s’efforce d’avoir cette colline qui est après le mont Selvoli. Il est vrai que, sur cette colline, il y a un peu de plat et là, messire Gualtieri, le courageux chevalier qui était en avant d’une demi-portée de flèche, dès qu’il vit les ennemis, baissa la visière de son casque et la laça fortement devant et fait le signe de croix. Puis il prit la lance dans sa main droite et sollicite fortement son cheval des éperons et, avec de grands cris, il s’en va vers l’ennemi. Le premier qui arriva fut le capitaine des Lucquois, il se nommait messire Niccolò Garzoni et la lance de messire Gualtieri arriva sur ce messire Niccolò et elle traversa toute son armure et il tomba à terre, mort. Et il [Gualtieri] le laissa ainsi et continua, l’épée à la main et autant il en arrivait, presque autant il en laissait morts, et il en tua beaucoup. À côté de lui arriva Maître Arrigo d’Astinbergo ; on ne peut raconter ce qu’il faisait. De même, le courageux comte Aldobrandino da Santa Fiore ressemblait bien à un lion déchaîné à le voir aux prises avec ces Florentins. Vraiment saint Zanobi ne leur servait pas à grand chose, car on en faisait un plus grand carnage que les bouchers ne font des bêtes, le Vendredi saint. Le noble et puissant comte messire Giordano ressemblait vraiment à Hector, qui ne fit pas un aussi grand carnage des Grecs que ne le fit le comte Giordano des Florentins. Le premier coup que donna le comte Giordano, il le donna au capitaine des Arétins, et il le fit tomber de cheval mort ; ce serait une chose étonnante que de raconter ce qu’il fit ensuite et combien il en tua. Le preux et hardi messire Niccolò da Bigozzi éperonna son destrier vers les ennemis et il se heurta à l’un des ennemis que messire Niccolò blessa avec sa lance et il le blessa très grièvement ; et ainsi blessé, il porta un coup au destrier de messire Niccolò et le tua ; et tout de suite le dit messire Niccolò fut remis en selle par ses compagnons mais il en fit une grande vengeance d’hommes et de chevaux car, ce jour-là, il en tua plus de cent de ses mains7.
10Lorsque le comte d’Arras attaqua à son tour,
la puissance de son valeureux destrier fut telle qu’il le transporta au milieu du camp ennemi et là il se battit avec le capitaine général des Florentins et le fit tomber de cheval. Et dès que le capitaine fut abattu, immédiatement leurs drapeaux furent renversés et jetés à terre et il est impossible de dire ce que faisaient ces valeureux et hardis Allemands et combien ils tuaient de Florentins. La multitude des hommes morts et le sang répandu à terre étaient tels que l’on ne pouvait se rejoindre qu’avec peine8.
11Puis, grâce à une habile mise en scène, Niccolò raconte les exploits des Siennois qui
œuvraient pour leur propre protection et pour celle de leur ville et de leur famille de sorte que chacun d’entre eux en valait cent et chacun œuvrait avec foi et avec l’affection du valeureux et loyal peuple de Sienne […] ils se rassasiaient de ces maudits Florentins et, pendant qu’ils les tuaient, ceux-ci disaient : “Maintenant abattons les murailles de Sienne ! Venez et prenez Sienne, et faites une forteresse à Camporeggi !”9
12Et pendant que les Siennois « tranchaient [les Florentins] comme des raves ou des courges »10, les vieillards et les femmes massés dans Sienne, au pied des remparts, écoutaient un tambour, monté sur la tour des Mariscotti, leur décrire la bataille :
“Maintenant les ennemis font mouvement et viennent vers les nôtres” et il disait ce qu’il voyait. C’est pourquoi beaucoup, et la majeure partie des personnes qui étaient au pied de la tour, toutes à genoux, priaient Dieu et notre Mère la Vierge Marie qu’elle donnât aux nôtres force et vigueur contre nos ennemis, ces maudits chiens de Florentins ; puis, du haut de la tour, il disait : “Les nôtres ont passé l’Arbia et montent sur le flanc de la colline ; et les ennemis montent de l’autre côté ; criez miséricorde. Maintenant, ils se battent avec les ennemis, maintenant ils se battent. La bataille est grande de chaque côté, priez Dieu qu’il donne force et aide au peuple de Sienne.” Ces hommes et ces femmes, qui étaient au pied de la tour se tenaient les mains jointes levées vers le ciel en se lamentant et en priant Dieu et notre Mère très douce, la Vierge Marie, avec dévotion pour qu’Elle donnât la victoire au peuple de Sienne ; et du haut de la tour, ce tambour disait fort ce qu’il voyait.
La bataille était très grande et la tuerie encore plus grande. Pensez maintenant que celui qui tombait entre les mains du valeureux peuple de Sienne était entièrement transpercé, sans pitié. La bataille dura du matin jusqu’à la moitié de la tierce et jusqu’aux vêpres, et au moment des vêpres, ces chiens de Florentins sans vergogne et leurs brutes de compagnons prirent la fuite ; ceux qui étaient restés vivants, qui étaient très peu nombreux – nous, nous étions là en nombre – pensez bien qu’ils furent tués : toutes les routes et les collines et chaque ruisseau semblaient être un grand fleuve de sang. Alors la Malena grossissait du sang des Florentins car nombreux étaient leurs morts et ceux de leurs alliés. De la même façon qu’ils prirent la fuite et furent en déroute, le courageux peuple de Sienne qui était déjà las, voyant ses ennemis battus, reprit courage et tous coururent sus aux ennemis et que Dieu vous dise combien ils en tuèrent. Là, il était inutile de dire : “Je me rends”, tous étaient rondement passés au fil de l’épée […]. On ne pourrait dire l’importance du massacre des hommes et des chevaux ; et celui qui était sur la tour dans Sienne voyait tout, et il disait ce qu’il voyait : “Maintenant les nôtres sont sur place ; maintenant les drapeaux des Florentins sont par terre et tous les Florentins sont en déroute ; maintenant les nôtres sont vainqueurs et les Florentins sont battus et ils fuient, et ils sont défaits et ils s’enfuient par les pentes ; et ce valeureux peuple de Sienne les suit toujours en les tuant comme on tue les bêtes”11.
13Si le récit aux accents épiques de Niccolò Ventura met en évidence le courage de ses compatriotes et le savoir-faire des mercenaires allemands, il n’en reconnaît pas moins la valeur des ennemis qui ne sont vaincus qu’au terme d’une longue journée de combats. Il souligne à maintes reprises les pertes énormes subies par l’ennemi qui rougit les routes, les collines et les ruisseaux de son sang mais ne se rend pas, bien que, dès le début du combat, ses principaux capitaines soient tués : le capitaine des Lucquois puis le capitaine des Arétins et enfin le capitaine général des Florentins par le comte d’Arras. Pour Ventura, si les Siennois sont vainqueurs, ce n’est pas parce que leur ennemi s’est désuni, faute de capitaines, mais parce qu’ils ont su à la fois prier mais aussi combattre jusqu’à leurs dernières forces pour se sauver et sauver leur ville qui était en grand péril.
14Grâce à Niccolò Ventura, nous possédons le déroulement de la bataille mais le chroniqueur ne nous livre aucun commentaire politique sur l’événement. En revanche, deux textes littéraires, de Guittone d’Arezzo12 permettent de saisir l’importance politique de la défaite des Florentins.
15Le premier de ces textes est une chanson écrite dans les huit mois qui suivirent la bataille, entre septembre 1260 et mai 126113. Elle est insérée parmi les toutes dernières chansons d’amour14, bien que son sujet soit politique, car elle fut écrite alors que Guittone n’était pas encore entré dans les ordres. Cette chanson – il faudrait en fait parler de serventois – est très élaborée et répond à la fois aux règles complexes de la tradition occitane15 et à celles de la rhétorique latine médiévale. Elle se présente comme un planctus sur la décadence et la mort de Florence16 mais n’a rien de mélancolique, elle est au contraire passionnée. Le premier vers de la deuxième strophe évoque l’image de la sfiorata Firenze, de Florence défleurie, que nous retrouvons sous la plume de Saba Malispina, doyen de Mileto17. Cette seconde strophe commence par rappeler une légende qui fait de Florence l’héritière de Rome et de Troie18 avant de faire l’éloge de la Florence guelfe élevée au rang de modèle de toute perfection civique, celle du « Primo Popolo » qui, chez Dante et après lui, deviendra un mythe, celui du « buon tempo antico »19. Guittone se tourne ainsi vers le passé pour l’opposer au présent et énumérer toutes les villes de Toscane sur lesquelles Florence n’exerce plus sa domination. La chanson se termine dans l’ironie et le mépris en invitant les autres barons italiens à venir admirer Florence qui voudrait être la capitale de la Toscane20.
16Le second document est une lettre de Guittone aux Florentins21. Cette lettre est postérieure à la chanson, et n’en a pas le caractère virulent. Elle a été vraisemblablement écrite vers la fin de 1262, sinon en 1263. Guittone n’est plus le guelfe indigné par la défaite et l’occupation de Florence par l’Empire. La lettre ne s’intéresse plus au sort des petits fiefs guelfes de Toscane parce qu’il a déjà été réglé22 et elle ne garde que le rappel ironique de la crainte que Florence n’exerce plus sur Pérouse, Bologne et Pise23.
17Dans la chanson, Guittone fait allusion aux lourdes conséquences de Montaperti pour Florence. Il dit :
La grande commune florentine est vaincue / et elle a si bien échangé les rôles avec Sienne / que toute la honte et le dommage qu’elle lui a toujours causés, / comme le sait tout Latin, Sienne les lui rend et lui enlève toute valeur et tout honneur / car elle a abattu Montalcino par la force / et mis Montepulciano à sa merci, / et elle a de la Maremme la biche et le fruit ; / elle tient à sa merci San Gimignano, Poggibonzi et Colle / et Volterra et son territoire ; / et la cloche, les bannières, les armes et les honneurs, elle a tout pris / avec ce qu’il y avait de bien24.
18Les responsables de ce désastre sont les Gibelins qui ont trahi en tentant de renverser le gouvernement guelfe en 125825 et ont livré leur Commune à l’Empire après Montaperti car
Fou est celui qui fuit son bonheur et qui recherche sa perte, / et fait que son honneur devienne de la honte, / et qui, jouissant d’une belle liberté, / se place pour son grand malheur / sous une seigneurie traître et cruelle / et fait de son grand ennemi son seigneur26.
19Toutefois, dans la lettre, la faute de la déchéance de Florence est due à tous ses habitants, aussi bien Guelfes que Gibelins, que Guittone compare à des bêtes sauvages, dragons et ours, car ils s’entretuent. Une ville, leur dit-il, ce ne sont pas des palais et de belles rues mais un lieu où règnent la justice, la paix et la joie27. On ne peut appeler ville un lieu où les voleurs et les assassins font la loi. Guittone dénonce ainsi les guerres de faction puis sa réflexion s’élargit dans un message de paix et de fraternité : aimez vos voisins qui sont vos semblables. Pensez à vos familles, vos femmes, vos enfants. Ne suivez pas ceux qui aiment la guerre et soignez-vous, même si le remède est amer.
20Les textes examinés jusqu’à présent ne font pas état d’une trahison des Gibelins florentins qui pourrait expliquer la sévère défaite des Guelfes. Le récit, très détaillé, de Niccolò Ventura montre bien que le combat fut rude et que toutes les troupes y participèrent, les cavaliers allemands aux côtés des Siennois mais aussi, avec les Florentins, les soldats des communes de la ligue guelfe : Lucques, Bologne, Pistoia, Prato, San Miniato, San Gimignano, Volterra, Arezzo, Pérouse, Orvieto et Colle Val d’Elsa28. Ceci semble exclure que l’issue de la bataille pût dépendre du comportement des Florentins qui ne représentaient que 800 des 3 000 cavaliers et 500 des 30 000 fantassins que comptait l’armée guelfe29. Quant aux écrits de Guittone d’Arezzo, ils témoignent des raisons de la défaite qui étaient alléguées entre 1260 et 1263 : l’orgueil démesuré de la Commune et les luttes de faction qui la déchiraient. Il s’agit là de reproches que Florence subira tout au long de son histoire, une histoire faite de guerres qui constituèrent autant d’étapes de son affirmation en tant que commune libre vis-à-vis des feudataires du contado et de sa marche vers l’hégémonie sur la Toscane.
21Contemporaines de ces écrits sont les Gesta florentinorum, ces annales en langue vulgaire qui servirent à Ptolémée de Lucques (1236-1327) de source d’information pour l’histoire de Florence entre 1080 et 1260. Leur texte, reconstitué par B. Schmeidler, aurait été le suivant :
MCCLX. Sous la seigneurie de messire Iacopino Rangoni de Modène, au mois de mai, les Florentins allèrent combattre à Sienne et ils y amenèrent le « carroccio » jusqu’à Poggio a Vico et ils prirent Mezzano et Cassole et ils prirent les Allemands qui sortirent de Sienne pour les attaquer, à Santa Petornella. Et cette année-là, au mois d’août, les Florentins, en tant que Commune, chevauchèrent avec les Lucquois et ceux de Pistoia et tous leurs amis pour ravitailler Monte Alcino. Les Siennois avec la troupe du roi Manfred et les Gibelins, qui étaient 240 cavaliers, affrontèrent les Florentins à Monte Aperti dans le Val d’Arbia le 4 septembre et là, les Florentins furent battus et la majeure partie d’entre eux tués ou prisonniers à Sienne. Et le jeudi suivant, les Guelfes qui revinrent à Florence s’en allèrent à Lucques et le dimanche 12 septembre, les Gibelins qui étaient à Sienne revinrent à Florence avec la troupe commandée par le comte Giordano. Et les Gibelins, ce jour-là, nommèrent Guido Novello podestat de Florence jusqu’au mois de janvier et à partir de janvier pendant deux ans30.
22Parmi les dix chroniques florentines du début du XIVe siècle qui utilisèrent cette source tout en conservant leur spécificité, deux ne mentionnent pas la bataille : le manuscrit Magliabechianus-Strozzianus II, II, 124, cl. XXV, 571 intitulé Sanzanomis gesta florentinorum car il s’arrête en 121431 et le manuscrit II. IV. 323 de la Bibliothèque Nationale de Florence, attribué à Brunetto Latini, qui présente une lacune pour les années 1250-128432. Quatre sont fidèles à la rubrique des Gesta florentinorum : le Magliabechianus XXV 50533, le Magliabechianus XXV 19, le Marcianus VI 27034 et le II. II. 39 de la Bibliothèque Nationale de Florence intitulé Cronachetta antica di Firenze35.
23Les quatre autres chroniques présentent une version différente des faits. Après avoir mentionné les forces en présence, elles précisent que la défaite des Florentins est due à une trahison avant de reprendre le récit conformément au modèle des Gesta :
[…] à cause de certains traîtres qui étaient parmi les Florentins, les Florentins furent battus36.
[…] à cause de la trahison de certains qui étaient avec les Florentins, Florentins eux-mêmes, les Florentins furent battus37.
[…] et là les Florentins furent battus par les Siennois ; et ceci advint à cause de la trahison qu’il y eut parmi les Florentins38.
[…] de sorte que, tous ces gens affrontant les Siennois dans la Vallée de l’Arbia en un lieu appelé Monte Aperti, certaines enseignes disparurent à cause de la trahison de Bocchino Abati et de Razzante et d’autres Gibelins dans le camp des Florentins et eux-mêmes crièrent : “À mort les Florentins”. Aussi, à cause d’une telle trahison, les Florentins et leurs amis furent battus […]39
24Ces quatre chroniques constituent une rupture avec ce qui précède. Pour Niccolò Ventura, comme nous l’avons dit, les Guelfes ont continué le combat malgré la perte de leurs chefs ; Guittone, qui accusait les Gibelins d’une trahison, ne les accuse pas de celle-ci. Jusque-là, pour tous, même pour les compilateurs florentins, Montaperti était une sévère défaite florentine, elle devient désormais la conséquence immédiate d’une trahison. Il faut noter que Ptolémée de Lucques lui-même rapporte cette information mais, selon B. Schmeidler qui n’en indique pas la source, il ne la puise pas dans les Gesta40.
25C’est cette nouvelle version des faits que nous trouvons dans la Nuova Cronica de Giovanni Villani et la Storia fiorentina de Ricordano Malispini41. C’est à Malispini qu’Orlando Malavolti, un gentilhomme siennois auteur de Dell’historia di Siena attribue la création de la légende42. À propos des Gibelins qui combattirent contre leur Commune, il dit
[…] au nombre de ceux-ci, dit Ricordano Malaspina (de qui l’Aretino [Leonardo Bruni] et Villani ont tiré cette histoire), il y avait un chevalier florentin de la famille des Abati, de la faction gibeline qui, se trouvant à côté d’un membre de la famille des Pazzi qui portait l’étendard d’une compagnie de cavalerie, par trahison lui coupa la main et, l’étendard étant tombé à terre avec celle-ci, il affirme […] que cela effraya beaucoup l’armée et que cela fut la cause de la fuite de la cavalerie43.
26Et Malavolti ironise en démontrant l’invraisemblance des faits :
[…] comme si, dans la fougue de la bataille, quand il faut se garder soi-même, il est possible, dans une si grande armée (où il faut nécessairement que beaucoup tombent, morts ou blessés et que de nombreux étendards et drapeaux soient jetés à terre et où, à cause des cris et du bruit et du son des tambours et des trompettes, on ne peut s’entendre, de sorte que, dans des cas similaires – comme cela arriva au Lac Trasimène où les Romains furent défaits par les Carthaginois – on n’entendit pas de grands tremblements de terre) on voit, entende ou prête attention à un cas particulier advenu entre deux individus alors qu’une grosse compagnie aurait à peine suffi à causer un tel effet sur la si grande quantité de chevaux que l’on affirme s’être trouvée dans cette armée44.
27Cependant, la stratégie auctoriale mise en œuvre dans les chroniques en question est élaborée et permet, par d’autres procédés que le simple recours à la trahison, de minimiser la déroute. Ainsi, le récit des préparatifs permet d’accroître le caractère dramatique de la défaite : le carroccio et la Martinella qui resteront aux mains des Siennois, pour la plus grande honte des Florentins, sont longuement décrits et leur symbolique expliquée :
[…] le “carroccio” était un char monté sur quatre roues entièrement peint en vermeil et il y avait au dessus quatre hampes vermeilles sur lesquelles se trouvait et flottait le grand étendard aux armes de la Commune de Florence, qui était à moitié blanc à moitié vermeil et on le voit encore aujourd’hui dans San Giovanni. Et une paire de grands bœufs couverts de drap vermeil, qui ne servaient qu’à cela, le tirait […]. Les anciens utilisaient ce “carroccio” pour leur gloire et leur honneur quand on allait à la guerre […] et quand la guerre était déclarée, un mois avant d’y aller, on posait une cloche sur une voûte de la porte Santa Maria, qui était au bout du Mercato Nuovo, et on la sonnait continuellement de jour comme de nuit et ceci était par grandeur, pour donner du champ à l’ennemi à qui on avait déclaré la guerre, pour qu’il se préparât. Certains l’appelaient “Martinella” et d’autres “la cloche des Anes”. Et quand l’armée des Florentins partait, on l’enlevait de la voûte et on la posait sur un château de bois, construit sur un char et son timbre guidait l’armée. Et sur ces deux rituels, du “carroccio” et de la cloche, reposait l’orgueil seigneurial du “popolo vecchio” et de nos ancêtres dans les guerres45.
28Puis Villani et Malispini dénoncent les tentatives des Gibelins florentins pour précipiter l’affrontement afin qu’il eût lieu alors que les huit cents cavaliers allemands étaient encore à la solde de Sienne : ils incitèrent les Guelfes à attaquer en leur faisant croire qu’on leur livrerait une porte de la ville ennemie et racontèrent aux Siennois que les Florentins étaient mal commandés46. Par rapport à tous ces préambules, le récit du combat est très court :
Quand ceux de l’armée, qui attendaient qu’on leur livrât la porte, virent sortir les Allemands et les autres cavaliers et le peuple de Sienne dans leur direction avec l’intention de combattre, ils furent très étonnés et eurent très peur, voyant arriver une attaque rapide alors qu’ils n’étaient pas prêts. D’autant plus que plusieurs Gibelins qui étaient dans le camp, à pied et à cheval, voyant s’approcher les rangs ennemis, selon le plan de la trahison, s’enfuirent de l’autre côté, comme les della Pressa et les degli Abati et plusieurs autres, et ils empêchèrent les Florentins et leurs amis de former leurs rangs et de se mettre en ordre de bataille. Et lorsque la troupe des Allemands attaqua brutalement la cavalerie florentine là où se trouvait la bannière de la cavalerie de la Commune de Florence, que tenait messire Jacopo del Naca de’ Pazzi de Florence, un homme de grande valeur, messire Bocca degli Abati, le traître, qui était dans sa troupe et à côté de lui, avec son épée blessa messire Jacopo et lui coupa la main qui tenait la bannière et il mourut aussitôt. Puis les cavaliers et le peuple, voyant que la bannière était abattue, qu’ils étaient trahis par les leurs et assaillis violemment par les Allemands furent en déroute. Mais parce que les cavaliers s’aperçurent les premiers de la trahison, il n’y en eut que 36 de blessés ou morts. La grande mortalité et capture fut dans les rangs des fantassins de Florence et de Lucques et d’Orvieto parce qu’ils s’enfermèrent dans le château de Monte Aperti et ils furent tous pris et tués et plus de 2 500 restèrent sur le champ de bataille, morts et plus de 1 500 furent capturés47.
29Dans les récits de Villani et de Malispini, la trahison est certes mentionnée, mais elle ne justifie pas à elle seule la défaite des Florentins qui semble très rapide. La surprise causée par l’attaque des Allemands et le manque d’organisation des Florentins suffiraient à expliquer la défaite. Les chroniqueurs semblent aussi douter du courage de la cavalerie : comment expliquer le petit nombre de tués dans ses rangs si ce n’est par la fuite ? Les fantassins ne furent pas non plus d’une bravoure exemplaire : au lieu de faire face à l’ennemi, ils se réfugièrent dans le château, ce qui causa leur perte. Villani et Malispini sont plus sévères avec leurs concitoyens que Niccolò Ventura qui décrit des combats acharnés entre Siennois et Florentins.
30Quel que soit le récit original, celui de Malispini comme le pense Orlando Malavolti ou, plus vraisemblablement, celui de Giovanni Villani48, il n’en résulte pas moins que, grâce à son talent, le chroniqueur a réussi à faire passer le récit de la défaite des Florentins au second plan en l’enchâssant dans de longues considérations sur les préparatifs et les conséquences du combat, à savoir l’énumération des familles guelfes bannies, quartier par quartier49. Il affine ainsi le processus qui, dans un premier temps, s’était efforcé de faire de l’épisode de la trahison le pivot de la défaite en passant sous silence l’attaque surprise et la mort du capitaine général des Florentins et des capitaines des Lucquois et des Arétins.
31Au même moment, Dante qui, comme Guittone d’Arezzo, est guelfe et poète, évoque Montaperti. Il le fait une première fois dans le célèbre chant X de l’Enfer lors de sa rencontre dramatique avec Farinata degli Uberti, le chef des Gibelins de Florence, qui combattit à Montaperti dans les rangs ennemis. Là, après un rappel des exils respectifs des Guelfes et des Gibelins qui permet à Farinata et Dante de se mesurer verbalement50, le poète rappelle « le massacre et le grand carnage qui colora en rouge les flots de l’Arbia »51 et les conséquences de la défaite : la diète d’Empoli au cours de laquelle il fut question de raser Florence et où seul Farinata se serait levé pour défendre sa ville.
32La seconde fois que Dante mentionne Montaperti, c’est au chant XXXII de l’Enfer, dans la seconde région du neuvième cercle, là où les traîtres à leur patrie sont plongés dans les glaces éternelles. Il heurte une tête qui lui crie en pleurant : « Pourquoi me foules-tu ? Si tu ne viens pas accroître la vengeance de Montaperti, pourquoi me tourmentes-tu ? »52 Il s’ensuit une scène dans laquelle le poète se comporte avec une rare violence physique et verbale. Il empoigne le damné par la peau du cou pour lui faire avouer son nom puis par les cheveux qu’il cherche à arracher. Il en a déjà enlevé « plus d’une mèche » quand un autre damné interpelle l’infortuné. En entendant le nom de Bocca, Dante s’exclame « je ne tiens plus que tu parles, traître pervers, et à ta honte je porterai là-haut des nouvelles exactes de toi »53.
33Le lieu de la rencontre et les trois mots « Montaperti », « Bocca » et « traître » suffisent au poète pour résumer de façon saisissante l’événement et en donner une interprétation d’autant plus définitive qu’elle semble déjà établie en raison même du recours à la seule allusion. Il n’y a plus d’autre explication possible à la défaite cuisante des Florentins.
34À quel moment eut lieu dans l’historiographie florentine le passage d’une déroute militaire à une défaite uniquement provoquée par une trahison ? Nous possédons quelques éléments de réponse grâce à la datation, même approximative, des écrits. Guittone d’Arezzo qui écrit entre 1260 et 1263 n’en a pas plus connaissance que le chroniqueur siennois. Les Gesta florentinorum, et les chroniques qui leur restent fidèles, n’en font pas davantage mention. En revanche Paolino Pieri, dont la chronique devient plus personnelle à partir de 127054, semble le mieux informé. L’œuvre de Martin de Troppau, qui fait allusion à une trahison, est divulguée à Rome vers 1270 et son auteur meurt en 1278 ce qui constitue, de fait, la date limite possible de construction de la légende55. Un dernier élément semble accréditer les alentours de 1270 : la datation du Tesoretto de Brunetto Latini. En effet, la trame narrative de l’ouvrage, écrit selon Pietro G. Beltrami vers 126856, est un voyage que le héros « Maître Brunetto » réalise en traversant des lieux symboliques mais qui commence par une ambassade en Espagne bien réelle57. Sur le chemin du retour, Brunetto rencontre un écolier, venant de Bologne sur un mulet bai et lui demande des nouvelles de Toscane. Le jeune homme « […] me dit aussitôt courtoisement qu’à Florence les Guelfes par imprévoyance et force de guerre étaient bannis de la ville, et le dommage était grand en morts et en prisonniers. »58 Cette nouvelle concernait directement Brunetto qui ne put rentrer dans sa patrie qu’en 126659.
35L’annonce de Montaperti est préparée par les vers précédents qui rappellent la chanson de Guittone : « Le Trésor commence. / Au temps où Florence tant fleurissait et fructifiait / qu’elle était pleinement / la Dame de Toscane »60. La figure rhétorique qui associe Florence à une fleur était, certes, largement répandue dans la poésie lyrique contemporaine mais il nous semble qu’ici elle ne se limite pas à un jeu poétique. Rien n’est dit de la bataille et de ses causes, cela semble inutile : la rencontre a lieu à Roncevaux, lieu symbolique, s’il en est, de trahison et suggère suffisamment l’interprétation qu’il faut faire de la bataille de Montaperti. Coup de génie ou simple écho d’une rumeur déjà existante, l’allusion du Tesoretto permet de constater qu’en moins de dix ans, la propagande florentine avait su donner une lecture favorable de l’événement. Il ne pouvait en être autrement dès lors que la faction guelfe reprenait le pouvoir sur les bords de l’Arno. Pour autant, à ce retour au pouvoir, les Guelfes se sont contentés d’exiler Bocca degli Abati, ce qui n’aurait sans doute pas été le sort d’un traître avéré. Il importait davantage qu’il le fût au regard de l’Histoire.
36Dante faisant autorité, son œuvre étant rapidement et abondamment commentée, il était impossible après lui de revenir sur une interprétation de l’événement, par ailleurs attestée par Giovanni Villani qui, au même moment, dotait Florence d’une chronique reçue d’emblée comme l’histoire officielle de la Commune. Historiographie et littérature, en se corroborant, participaient de la même édification tant comme construction de l’œuvre que comme leçon à retenir, même si, pour cela, les moyens différaient parce que dictés par des rhétoriques spécifiques : elles concoururent à donner de Montaperti la même image. L’explication de la défaite d’une part et l’anathème jeté, d’autre part, contribuèrent ainsi à accorder au fait historique un retentissement qui le hissa au rang d’événement.
Notes de bas de page
1 Giovanni Villani et Ricordano Malispini présentent cet épisode comme une victoire florentine. Cf. Giovanni Villani, Nuova cronica, a cura di G. Porta, Parma, Fondazione Pietro Bembo / Ugo Guanda, 1990, VII, LXXV, vol. I, p. 371, et Ricordano et Giacotto Malispini, Storia fiorentina, a cura di F. Costero, Milano, Sonzogno, 1880, réédition 1927, CLXVIII, p. 152.
2 Non. Sept. 1260 afflicti sunt Florentini Pistorienses Lucenses Pratenses Aretini Volterani cum toto ipsorum exfortio ac alii quam plures cum militibus Urbevetanis a Senensibus inter turrim de Monte Selvole et castrum de Monte Aperto. Ubi de parte Florentinorum ultra decem milia ceciderunt, et fuerunt plus quam quindecim milia capti, fugatis ultra quatuor miliaria reliquis, tentoriis vexillis armis omnibus et omni bellico apparatu et campana, quam pro charroccio ferebant, relictis. Quo postea anno castrum Podii Bonizi cepit rehedificari, quod Florentini proditores dolo destruxerant prius. Et castrum de Monte Alcino fecerunt Senenses funditus destrui., dans Annales Senenses (1107-1479), (éd.) I. F. Boehmer, MGH SS, XIX, p. 230.
3 Exeunte vero mense Septembris Florentini et Lucenses pro comuni hostiliter cum omnibus eorum amicis preparato maximo exercitu statuerunt guarnire Montem Alcinum ; et cum fuisent apud civitatem Ssene devastantes, comes Iordanus qui pro rege Manfredo cum 200 militibus in dicta civitate aderat cum milicia Sene, die sabbati 4 mensis Octubris [corrige Septembris, quae erat dies sabbati] prelium cum Florentinis et eorum amicis inceperunt. Florentini et eorum amici pavore perterriti fugam pecierunt, reliquentes omnia in campo. Inimici vero sequebantur eos occidentes et vulnerantes eorum ; ex quibus ceperunt 22 millia, et octo millia occiderunt, et ceperunt omnes somerios qui fuerint numero 30 milia, et campannam Florentinorum, et Fredericum Malaspinam et Manfredum et Muruelum fratres eius, qui in suscidium Lucensium iverant. dans Annales Placentini Gibellini, (1154-1284), MGH SS XVIII, 1963, p. 512.
4 Item eodem anno [1260] florentini ultra septuaginis milia bellatorum fuerunt sconficti a Senensibus et suis factoribus, ex quibus Florentinis capti fuerunt ultra septem milia et mortui ultra decem milia., dans Annales parmenses maiores (1165-1335), (éd.) P. Jaffé, MGH SS XVIII, 1963, p. 678.
5 Niccolò Ventura, La battaglia di Mont’Aperto a cura di A. Ceruti dans « Il Propugnatore », VI, p. 27-62. Nous utilisons la réédition de G. Lipparini dans Le pagine della letteratura italiana, Milano, Signorelli, 1945, vol. I (description de la bataille, p. 274-284) et conservons les non respects de l’unité de temps présents dans ce texte anonyme. Nous traduisons l’ensemble des textes à l’exclusion de La Divine Comédie.
6 Niccolò Ventura, op. cit., p. 279.
7 Ibid., p. 280-281.
8 Ibid., p. 281.
9 Ibid., p. 282.
10 Ibid.
11 Ibid., p. 282-283.
12 Cf. Cl. MARGUERON, Recherches sur la vie et l’œuvre de Guittone d’Arezzo, Paris, thèse de lettres, 1990.
13 G. CONTINI, Poeti del Duecento, Milano-Napoli, Ricciardi, 1960, p. 206-209.
14 Chanson XIX sur un total de vingt-quatre.
15 Nous pouvons y relever plusieurs exemples de coblas capfinidas : altezza / Altezza, vv. 15-16 ; leone / Leone, vv. 30-31 ; conquise / Conquis’è, vv. 45-46 ; folle / foll’è, vv. 60-61 ; monete / Monete, vv. 75-76.
16 « Hélas ! Voici venue la saison de beaucoup souffrir / pour tout homme qui aime la justice / et je m’émerveille qu’il trouve guérison, / que le deuil et les lamentations ne l’aient pas tué / à la vue de la noble Fleur toujours florissante, / de noble et antique tradition romaine / qui, vile et grande cruauté, / périra si elle n’est pas soignée rapidement : / car sa glorieuse et puissante grandeur / et son prestige ont déjà presque entièrement péri / et la valeur et la puissance se détournent. / Hélas ! Quand / entendit-on un si grand dommage ! / Dieu, comment as-tu permis / que le Droit périsse et que le Tort devienne puissant ? », G. CONTINI, op. cit., vv. 1-15, p. 206.
17 In cuius expugnationis eventu sic Florentinorum potencia deflorata commarcuit [...], Die chronik des Saba Malaspina, MGH SS XXXV, 1999, p. 128. Chronique écrite entre 1283 et 1285.
18 La légende des Origines, connue sous six noms différents : Cronica de origine civitatis, Antiquarum hystoriarum libellus, Cronica de quibusdam gestis, Brieve memoria del nascimento di Firenze et Libro Fiesolano.
19 « Il y avait tant de grandeur dans la fleur défleurie / quand elle était fidèle à elle-même, / quand elle se comportait de façon impériale / et qu’elle acquérait par sa grand valeur / des provinces et des terres proches ou lointaines en grand nombre / et semblait vouloir se créer un empire / comme Rome l’avait déjà fait et cela lui était aisé / car personne ne la pouvait surpasser. / Et elle le faisait avec raison / car elle œuvrait moins pour elle-même / que pour maintenir la justice et la paix / et parce que cela lui convint, / elle s’éleva tellement / qu’il n’y avait pas un lieu au monde / où l’on ne clamât la valeur du lion. », G. CONTINI, op. cit., vv. 16-30, p. 206-207.
20 « Barons de Lombardie, de Rome et des Pouilles, / de Toscane, de Romagne et des Marches, / Florence, fleur qui toujours renaît, / à sa cour vous appelle ; / des Toscans elle veut se proclamer la reine, / depuis que par la force elle a vaincu / Allemands et Siennois. », ibid., vv. 91-97, p. 209.
21 La prosa del Duecento, Letteratura italiana, storia e testi, a cura di Cesare Segré e Mario Marti, Milano-Napoli, Ricciardi, 1954, vol. III, p. 60-67.
22 Restitution de Ripafratta à Pise (v. 84), fin des inquiétudes de Pérouse à l’égard des intentions d’hégémonie de Florence (v. 85) et de l’hostilité de Rome (v. 86).
23 « Oh quelle crainte ont les Pérugins que vous leur ôtiez le lac ? Et Bologne que vous franchissiez les Alpes ? Et Pise pour leur port et leurs murailles ? », La prosa del Duecento, op. cit., p. 61.
24 G. CONTINI, op. cit., vv. 46-58. p. 208. La biche est le tribut symbolique dû par les comtes de Santa Fiora.
25 « Hélas ! Le lion, n’est plus car je vois / qu’on lui a arraché ses griffes et ses dents et sa puissance / et son haut lignage est mort dans la douleur / ou mis dans une cruelle prison par grande méchanceté. / Et qui lui a fait cela ? Ceux qui sont / issus et nés de sa noble race / et qui furent par lui élevés et placés / au-dessus de tous les autres / et, à cause de la haute position qu’il leur donna, / ils s’élevèrent au point de presque le blesser à mort. / Mais Dieu lui offrit la guérison / et lui, il leur pardonna / et ils le blessèrent à nouveau mais il fut fort / et leur épargna la mort. / Maintenant ils l’ont vaincu lui et ses membres. », ibid., vv. 31-45, p. 207.
26 Ibid., vv. 61-66, p. 208.
27 « Et vous devez savoir que ce ne sont pas les palais ni les belles rues qui font une ville ; ni les riches étoffes un homme de bien ; mais je crois que la loi naturelle, la justice rendue, la paix et la joie font une ville et la raison, la sagesse et des manières honnêtes font un homme. Oh, puisse votre ville, qui est une ville, ne plus ressembler à un désert, et vous, qui êtes des citoyens, à des dragons et à des ours ! Car il n’est resté de vous qu’une apparence d’homme car, la raison ayant disparu, tout le reste est bestial ; et il n’est resté de votre ville qu’une apparence de ville et de maisons car la justice et la paix sont interdites. ». La prosa del Duecento, op. cit., p. 61.
28 Aux dernières heures du combat : « […] tous ces Lucquois et les Arétins et ceux d’Orvieto jetèrent leurs armures par terre et ceux qui étaient à cheval en descendaient aussitôt et tous s’en allaient vers le capitaine des Siennois et se rendaient à lui ; et le capitaine les recevait tous comme prisonniers. Le sénéchal c’est-à-dire le comte da Rasi, et messire Giordano eurent ceux des compagnies de Prato et de Pistoia mais il n’en était resté que quelques-uns. Maître Arrigo d’Astinbergo et messire Gualtieri eurent pour prisonniers le peu qu’il restait de San Gimignano et de San Miniato ; chacun s’efforçait de les attacher du mieux qu’il pouvait et savait. », Niccolò Ventura, op. cit., p. 283.
29 Cf. Giovanni Villani, op. cit., VII, LXXVIII, vol. I, p. 376. À propos des causes militaires réelles de la défaite, Daniel Waley dit: « The view seems normally to be accepted that Montaperti had “taught the Florentines a lesson”, that they had learned the inability of burghers to withstand a professional force in the field, and hence made the decision to turn to mercenaries for their own protection », D. WALEY, « The army of the Florentine Republic », dans Florentine Studies, Politics ans Society in Renaissance Florence, (éd.) Nicolai Rubinstein, London, Faber & Faber, 1968, p. 83.
30 Die Annalen des Tholomeus von Lucca, Anhang I, Die Gesta florentinorum von 1080-1278, (éd.)B. Schmeidler, MGH SS, Scriptores Rerum Germanicarum n.s., Berlin, 1955, t. VIII, p. 263-264.
31 Cronache dei secoli XIII e XIV, dans Documenti di Storia Italiana, Firenze, Galileiana, (éd.) A. Gherardi, 1876, t. VI, p. 123-154 et O. HARTWIG, dans Quellen und Forschungen zur ältesten Geschichte der stadt Floren, vol. I, p. 1-34.
32 P. Villari, Cronica fiorentina compilata nel secolo XIII dans I primi due secoli della storia di Firenze, Firenze, Sansoni, 1904, p. 511-584.
33 P. Santini, Chronichetta inedita della prima metà del secolo XIV, contenuta nel cod. Magliabechiano XXV. 505 dans Quesiti e ricerche di storiografia fiorentina, Firenze, Seeber, 1903, p. 91-144. Selon Pietro Santini, le manuscrit fut compilé entre 1300 et 1330 et reproduit fidèlement les Gesta.
34 Ricordanza delle cose che avvengono in Firenze dans Die Annalen des Tholomeus von Lucca, Anhang I, Die Gesta florentinorum von 1080-1278, MGH SS, Scriptores Rerum Germanicarum n.s., (éd.) B. Schmeidler, Berlin, 1955, t. VIII, p. 243-277.
35 G. Baccini, Cronachetta antica di Firenze, dans Zibaldone. Notizie aneddoti, curiosità e documenti inediti o rari, Firenze, 1888, p. 97-106.
36 O. Hartwig, Quellen und Forschungen zur ältesten Geschichte der Stadt Florenz, vol. II, Halle, 1880, p. 277.
37 Laurentianus Gaddianus CXIX [f° LIVra], inédit. Le chroniqueur précise qu’il y eut moins de pertes chez les Florentins que chez leurs alliés. Cette précision ne figure dans aucun autre manuscrit.
38 D. M. Manni, Annali di Simone della Tosa dans Chronichette antiche di varj scrittori del buon secolo della lingua toscana, Firenze, MCCCLXIII, p. 137-138.
39 Cronica di Paolino Pieri Fiorentino delle cose d’Italia dall’anno 1080 fino all’anno 1305 publicata ed illustrata per la prima volta dal cavaliere Anton Filippo Adami, Roma, Venanzio Monaldini, MDCCLV, p. 29-30.
40 Eodem anno Florentini cum Lucanis fecerunt exercitum contra Senenses, quia coniunxerant se Gibellinis et Manfredo, et hoc fuit in Madio, qui ceperunt multa castra, videlicet Meçano, Casole et sic de aliis, et ceperunt multos milites et occiderunt in Sancta Petornella, prout in Gestis Florentinorum continetur.
Eodem anno in mense Augusti Florentini et Lucani fecerunt alium exercitum maiorem contra predictos Senenses et ad muniendum castrum de Monte Alcino. Tunc autem Manfredus maiorem et meliorem militiam Theotonicorum Senas transmittit, qui milites cum Gibellinis Tuscie exercitum invadunt, primumque aciem frangunt et in fugam vertunt. Cuius causa fuit, quia proditio fuit in acie. Tradunt enim, quod collaterales vexiliferi eundem invaserunt, sicque prostrato principalis aciei vexillo per amputationem manus tenentis discooperiuntur a proditoribus, qui erant, signa partis adverse, convertuntque gladium cum hostibus contra propinquos in acie, sicque prevalere pars adversa nostrique vertuntur in fugam, Deo volente et permictente, quia nimis fastuose et elate suis confinibus Florentini erant infesti, nec Deo grati de ipsorum statu felici.
Hoc autem fuit ultra Senas in loco, qui dicitur vallis Arbie sive Albie. Tanta autem facta est strages et spoliorum direptio per Senenses, militiam Manfredi ac Ghibellinos, quanta non fuit a tempore Christi in partibus Tuscie, nec erat locus refugii, quia undique hostibus erant vallati. Unde et episcopus Aretinus profugis multum nocuit capiendo et occidendo. Lucani autem, cum vellent exercitum restaurare, reducunt se ad quendam monticulum, qui Mons dicebatur Apertus, ubi crediderunt violentie hostium posse resistere propter militiam, quam habebant bonam, presentibus marchionibus Malaspine strenuis bellatoribus, domino videlicet Frederico, Morovello et Manfredo ; sed deficientibus victualibus et agravante hostium multitudine, que non se dispersit ad spolia Florentinorum, maiorem passi sunt iacturam. Unde non valentes resistere hostibus reddiderunt se captos.Hoc autem factum est IIII die Setembris., Die Annalen des Tholomeus von Lucca, op. cit. p. 142-143. Les Annales lucenses débutent en 1061 et se terminent en 1303 mais les informations extraites des Gesta florentinorum sont utilisées régulièrement de 1218 à 1270. Elles apparaissent en italiques dans la citation.
41 Giovanni Villani, Nuova cronica, op. cit., et Ricordano et Giacotto Malispini, Storia fiorentina, op. cit.
42 O. MALAVOLTI, Dell’historia di Siena, in Venetia per Salvestro Marchetti libraro in Siena all’insegna della Lupa, MDXCIX, ristampa fotomeccanica, Bologna, Forni, 1968.
43 Ibid., II, I, f° 18.
44 Ibid.
45 Giovanni Villani, op. cit., VII, LXXV, vol. I, p. 369-370. Nous choisissons de traduire Giovanni Villani mais le texte de Ricordano Malispini est identique (Ricordano et Giacotto Malispini, op. cit., CLXVIII, p. 151-152).
46 Giovanni Villani, op. cit., VII, LXXVII et LXXVIII, vol. I, p. 373-378 et Ricordano et Giacotto Malispini, op. cit., CLXX et CLXXI, p. 153-156.
47 Giovanni Villani, op. cit., VII, LXXVIII, p. 378-379, et Ricordano et Giacotto Malispini, op. cit., CLXXI, p. 156.
48 Les travaux de Charles T. Davis ont démontré que la chronique de Ricordano Malispini a été écrite au cours de la seconde moitié du XIVe siècle et que la Nuova cronica de Giovanni Villani en constitue l’une des principales sources. (Cf. C. T. DAVIS, « Il buon tempo antico », dans N. RUBINSTEIN, Florentine studies, Londres, Faber & Faber, 1968, p. 45-69). Nous pouvons tout de même observer que Malispini n’a pas jugé nécessaire de modifier le récit de Villani.
49 Le chapitre LXXIX du livre VII de celle de Giovanni Villani, p. 380-382, vol. I et le chapitre CLXXII de la chronique de Ricordano Malispini, p. 157-158, sont entièrement consacrés à cette énumération.
50 Inf. X, vv. 43-51 « […] il me demanda : “Qui furent tes ancêtres ?” Désirant lui obéir, je ne le lui cachai pas, mais je le lui expliquai avec précision ; alors il leva un peu les sourcils, puis il me dit : “Ils furent mes adversaires acharnés, à moi, à mes aïeux, à mon parti ; aussi je les ai chassés par deux fois.” “Ils furent chassés, ils revinrent de tous côtés”, lui répondis-je, “l’une fois et l’autre fois ; mais c’est un art que les vôtres n’ont pas bien appris« ». Dante Alighieri, La Divine Comédie, traduction, introduction et notes d’Alexandre Masseron, Paris, Albin Michel, 1995, p. 123. Nous utiliserons toujours cette traduction. A. Masseron dit de ce chant : « le plus beau duel de la Comédie, où il n’est pas un mot qui ne porte, qui ne cherche et trouve le défaut de la cuirasse ». Alexandre Masseron, op. cit., p. 122.
51 Inf. X, vv. 85-86. Ces vers semblent inspirés par le récit de Niccolò Ventura.
52 Inf. XXXII, vv. 79-81.
53 Ibid., vv. 109-111.
54 À partir de cette date, il ajoute son témoignage personnel aux faits recueillis dans les sources écrites.
55 […] in Thuscia Ytalie Florentini et Lucani fraude suorum sunt circumventi. Nam in inchoacione conflictus, qui primi et precipui inter Florentinos erant ad hostes accedentes, in suos cum Senensibus sunt quam plurimum debachati. Dicuntur autem de Florentinis et Lucanis tunc inter mortuos et plus quam 6 milia corruisse. Martini Oppaviensis chronicon pontificum et imperatorum, MGH SS, XXII, (éd.) L. Weiland, 1963, p. 473.
56 Cf. P. G. BELTRAMI, « Tre schede sul Tresor », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, ser. 3a, XXIII, 1993, p. 134-138. L’hypothèse traditionnelle situait la composition de l’œuvre en France vers 1261. La datation du Tesoretto est essentielle pour cet épisode car, en 1261, Brunetto Latini est toujours banni mais, en 1268, il ne l’est plus. L’analyse que nous avons faite de l’interprétation de Montaperti paraît confirmer la datation proposée par P. G. Beltrami.
57 Cette ambassade, effectuée en 1259 pour Florence auprès d’Alphonse X de Castille, avait pour but d’obtenir qu’il intervienne en Italie contre Manfred.
58 Vv. 155-162. Cf. La prosa del Duecento, op. cit., p. 245-248.
59 Son nom figure dans la liste des exilés dressée par Villani et recopiée par Malispini. Cf. supra note 28. Del sesto di Porta del Duomo […] Ser Brunetto Latini e suoi.
60 La prosa del Duecento, cit., vv. 113-118, p. 245. Cf. la première et la dernière stance de la chanson de Guittone supra note 16 (« la noble Fleur toujours florissante ») et note 19 (« Florence fleur qui toujours renaît »). La chanson de Guittone ayant été écrite entre septembre 1260 et mai 1261, Brunetto Latini a nécessairement composé le Tesoretto à une date ultérieure.
Auteur
Université de Provence
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