L’écho de l’événement : Boncompagno da Signa et le siège d’Ancône (1173)
p. 59-83
Texte intégral
Introduction : un siège, un écrivain
1Pour réfléchir sur la notion d’événement au Moyen Âge, évoquer le siège d’une ville peut sembler une commodité un peu facile, presque tautologique. Dans l’existence de populations soumises aux conflits des puissances politiques, imprégnées profondément par les modèles culturels de la prouesse chevaleresque et de la force virile des nobles, où les oppositions politiques se résolvaient plus par la violence que par la négociation arbitrale, les faits de bataille faisaient d’évidence événement. Les faits avaient leur propre poids historique ; ils n’étaient pas « forgés » par l’écho qu’en donne le témoignage narratif.
2Pourtant, je n’ai pu résister au plaisir de me replonger dans l’étude d’un texte que j’avais consulté de manière cursive au cours de mes investigations marchésanes, et qui a acquis une juste célébrité par ses remarquables qualités narratives : le Liber de Obsidione Ancone composé par Boncompagno da Signa, Maître de grammaire et de rhétorique à l’Université de Bologne (ca. 1170-1240)1. L’œuvre, composée au tournant du XIIe et du XIIIe siècle, rapporte des événements antérieurs d’une trentaine d’années : le siège de la cité portuaire d’Ancône dans les Marches par l’armée de l’archevêque Christian de Mayence, Archichancelier de l’empereur Frédéric Barberousse, et par la flotte vénitienne, d’avril à octobre 1173. L’auteur était à peine né à cette date, et il n’a pas séjourné longtemps à Ancône avant l’achèvement de son récit en 1201, même s’il y est déjà passé2. Ce récit de commande possède à l’évidence une dimension commémorative, qui est impliquée par le travail sur la présentation des faits et par la personnalité et la culture de l’auteur, maître de rhétorique renommé lorsqu’il compose ce texte3. Mais, pour respecter l’esprit voulu par les initiateurs de ce séminaire, je ne m’appesantirai guère sur le travail de mémoire et sur les procédés sélectifs de l’auteur, et n’étudierai pas le style de panégyrique évident du texte.
3Mais cette brève chronique4, seul texte historique dans l’œuvre de Boncompagno da Signa, soulève plusieurs interrogations qui me semblent au cœur de la réflexion souhaitée par Huguette et Claude Carozzi : qu’est-ce qui fait événement pour les témoins du Moyen Âge, qu’est-ce qui leur paraît le plus digne d’être retenu pour construire le récit et en conserver trace ? Le regard de Boncompagno da Signa peut être comparé à la perspective des nombreuses autres sources qui ont évoqué cet événement, quoique sous une forme moins développée.
4Le projet de Boncompagno suscite l’interrogation pour d’autres raisons : s’il avait en effet voulu exalter les vertus de la population civique, pourquoi consacrer son récit à ce seul siège de 1173, alors que la ville a connu trois crises semblables en moins de trente-six ans ? En quoi le troisième siège est-il plus digne d’être retenu comme événement, bien qu’il soit le seul auquel l’empereur n’ait pas pris part5 ? Le choix ne semble d’ailleurs pas imputable au seul Boncompagno : manifestement, ce siège a laissé plus de souvenirs que les précédents, nous verrons pourquoi.
5L’écart chronologique entre les faits et le récit mérite que la production discursive soit étudiée en elle-même comme événement : pourquoi fait-on appel à l’un des maîtres en rhétorique les plus célèbres de son temps pour rapporter un épisode exactement contemporain de la lutte entre la Ligue lombarde et Frédéric Barberousse, mais dont les conséquences historiques furent de portée infiniment moindre ? Dans le contexte du XIIIe siècle commençant, Boncompagno « produit » un récit (on peut utiliser ce terme, je pense, avec toute la puissance que revêt aujourd’hui ce verbe lorsqu’il s’applique à une œuvre d’art destinée à une représentation publique) dont les intentions ne sont peut-être pas seulement de glorifier la cité d’Ancône. C’est parce qu’il échappe, dans son contenu, à la simple narration monographique que ce texte fait date par lui-même et crée un « événement » dont se souviendront à leur tour des humanistes des XIVe et XVe siècle.
Le siège : un événement parmi d’autres ?
Les faits du siège de 1173
6Lorsque l’armée de Christian de Buck, archichancelier d’empire et légat impérial dans le royaume d’Italie, arrive sous les murs d’Ancône au printemps 1173, l’ensemble des Marches subit les conséquences de l’affrontement des dominations impériale et pontificale, ravivé par la volonté de Frédéric Barberousse de rétablir la plenitudo potestatis dans le Royaume d’Italie. Pour l’heure, c’est plutôt le statu quo en Lombardie. Lors de sa précédente expédition, l’empereur n’a pu empêcher la Ligue Lombarde, constituée en 1167, de fonder Alessandria et de nouer alliance avec le pape légitime Alexandre III, qui fait dès lors figure de défenseur des libertés communales face aux pouvoirs régaliens6. Dans les Marches, l’opposition entre l’empereur et le pape est plus directe : lorsque le souverain envahit la région avec ses armées et réclame aux cités le fodrum, il réalise un empiètement de souveraineté au détriment de la Papauté qui détient théoriquement les pouvoirs temporels sur la Pentapole, la Marche d’Ancône et de Fermo en s’appuyant sur la donation de Pépin le Bref, confirmée par Charlemagne et par le diplôme d’Otton II en 9997. L’empereur, qui ne reconnaît pas l’autorité d’Alexandre III8, cherche pour sa part à reconstituer à son profit la domination territoriale du XIe siècle, lorsque Henri IV avait confié ces territoires à son ministérial Guarnerius (ou Werner), au détriment des héritiers de Godefroy de Lorraine, investi du marquisat par le pape9.
7Dans cet affrontement, les cités marchésanes ont un faible poids politique, car elles accèdent à peine à l’autonomie des institutions consulaires dans la seconde moitié du XIIe siècle. Cependant, la place d’Ancône est particulière : en tant que porte vers l’Orient byzantin, elle est l’objet de toute l’attention de la dynastie des Comnènes. L’analyse que J. Leonhard consacre aux influences byzantines dans les Marches ne convainc pas entièrement, dans la mesure où les archives, très lacunaires pour l’histoire d’Ancône à cette période, ne permettent pas de se faire une idée précise sur la présence physique et l’influence effective des représentants du basileus dans la ville. Mais l’intérêt pour l’Italie est une constante de la politique des empereurs Jean Comnène (1118-1143) et son fils Manuel (1143-1180) ; elle revêt une dimension à la fois défensive, pour contrer les ambitions universalistes des rois normands de Sicile en direction de la Méditerranée Orientale, et offensive, surtout sous le règne de Manuel. Celui-ci avait l’ambition de reprendre le contrôle des anciennes provinces byzantines d’Italie10. Venise était une alliée traditionnelle, mais sa politique maritime dans la mer Adriatique était de plus en plus indépendante. Ancône représentait le point de débarquement le mieux situé et le plus sûr abri maritime sur la côte orientale de la péninsule italienne. Les espoirs de partage de souveraineté en Italie qu’avait fait entrevoir le traité de Thessalonique conclu en 1148 avec Conrad III, furent remis en cause par l’application de la doctrine universelle de Frédéric Barberousse. Une première expédition byzantine envoyée en 1149 vers Ancône ne put débarquer à cause de la tempête. Une seconde expédition arrive à Ancône en 1155 dans un climat hostile à l’empereur d’Occident. Michel Paléologue s’allia avec Robert de Loritello contre les Normands et soumit la côte adriatique jusqu’à Tarente. Mais le succès byzantin fut de courte durée, à cause du décès de Paléologue. Jean Doukas ne parvint pas à tenir les positions ; les mercenaires de la Marche d’Ancône, mécontents de leur solde, se retirèrent et l’armée byzantine se replia pour se rembarquer sans doute à Ancône11. En 1157, le basileus renouvela la tentative par voie diplomatique. Le fils du Grand Domestique, Alexis Axuchos, conclut un traité d’alliance avec les consuls d’Ancône, où existait un parti philo-byzantin. La cité s’engageait à accorder protection au légat et à ses capitaines, malgré la loyauté qu’elle devait au « roi des Allemands » : les Anconitains ne devenaient pas sujets byzantins, mais ils espéraient sans doute obtenir pour leur commerce à Constantinople des avantages de « borgeseia » comparable à ceux des Vénitiens. La présence byzantine dans cette tête de pont ne pouvait que susciter l’hostilité des Vénitiens et de Frédéric Barberousse. Pour faire échouer les tractations entreprises par les byzantins avec Venise et Guillaume Ier de Sicile, Frédéric Barberousse poursuivit vers le sud l’expédition qui lui avait permis de réprimer la révolte milanaise. Ancône échappa à l’emprise des armées impériales au printemps 1167, grâce à la victoire de Rainald de Dassel à Tusculum qui ouvrait la route de Rome à l’empereur12.
8Lorsque Christian de Buck est envoyé comme légat en Italie en 1171, la question des Marches et de la présence byzantine reste préoccupante, bien que les Grecs ne disposent apparemment plus de force militaire dans la région d’Ancône13 ; mais ils y ont toujours des émissaires, sans que l’on puisse prouver la résidence permanente d’un représentant du basileus. Les consuls de la commune d’Ancône pouvaient se prévaloir de cet appui pour défendre leur autonomie. Ils semblaient vouloir organiser une ligue urbaine avec les autres villes côtières de Pesaro et Fano. L’archevêque de Mayence, après avoir traversé Toscane et Ombrie, où il soumit les villes d’Assise et de Spolète entre janvier et avril 1173, se rendit ensuite à Venise pour y décider d’une action commune contre Ancône. Deux ans plus tôt, Manuel Comnène a chassé brutalement les marchands vénitiens hors de Constantinople : les Vénitiens veulent donner une leçon à leurs deux adversaires momentanément unis. Ils se rangent donc sous l’autorité de l’archevêque et vont bloquer le port d’Ancône tandis que Christian de Buck assiège la ville par terre avec son armée et des contingents mercenaires marchésans.
9Commence alors, au printemps de 1173, un siège qui a retenu l’attention de quatorze chroniqueurs médiévaux au moins. Il a donc fait événement, du moins par sa durée, qui aurait été de sept mois d’après une source grecque14. Le déroulement du siège peut être suivi sans difficulté d’après le récit de Boncompagno, corroboré sur de nombreux points par les autres sources : l’archevêque de Mayence occupe les collines qui dominent Ancône au sud, tandis que 40 navires vénitiens bloquent le port. La disette s’installe bientôt dans la ville. L’archevêque tente un assaut pour brusquer l’issue, mais ses troupes sont battues par une sortie des Anconitains. La famine s’aggrave : un médiateur anconitain propose à l’archevêque de Mayence une importante somme d’argent pour obtenir la levée du siège, mais il essuie un refus. Cependant, trois émissaires parviennent à franchir les lignes vénitiennes et à se rendre en Romagne pour y lever une armée de secours, grâce à l’argent fourni par les Byzantins. Pendant que Aldruda comtesse de Bertinoro et Guglielmo Adelardi seigneur de Ferrare15 réunissent leurs troupes, la situation empire dans la ville. L’envoyé byzantin met en garde les habitants contre une ruse de l’archevêque qui fait passer une lettre laissant croire à l’échec de l’armée de secours. Mais celle-ci arrive peu après sous les murs d’Ancône et feint une attaque de nuit, avec une lanterne pendue à la lance de chaque combattant. Croyant avoir affaire à une armée immense, l’archevêque de Mayence et les Vénitiens lèvent le siège ; ainsi, « la cité se libéra miraculeusement du siège »16.
Les épisodes du siège dans le récit de Boncompagno da Signa
10Ce survol suffit à montrer l’importance de l’événement, qui devait marquer la mémoire de tous les habitants d’Ancône soumis aux duretés du siège. Trente ans plus tard, Boncompagno da Signa pouvait certainement rencontrer des survivants qui avaient gardé un souvenir vif de ce qu’ils avaient vécu. L’auteur affirme transcrire ces témoignages avec un respect absolu de la vérité :
Je n’ai pas en effet entremêlé dans cette œuvre quelque [écrit] apocryphe, je n’y ai pas mélangé des fables ni des catachrèses (métaphores) poétiques, comme le font plusieurs [auteurs] dans leurs traités, afin que les auditeurs soient provoqués à rire, mais j’ai tout écrit tel que je l’ai entendu de ceux qui participèrent aux choses, aux faits et aux affaires17.
11Plus loin, il rapporte une anecdote « assurément, telle que je l’entendis de relateurs véridiques »18. Certes, le topos du témoin digne de foi est de règle pour le narrateur qui veut donner à son récit la crédibilité du genre historique. Notre rhéteur ne l’ignorait pas.
12Pourtant, Boncompagno ne raconte pas le siège au fil d’un récit circonstancié et continu. Le livre refermé, il est impossible au lecteur de reconstituer l’ensemble du dispositif militaire, la répartition des troupes, la chronologie et la localisation des attaques. L’auteur a préféré sélectionner une série d’épisodes marquants qui ont scandé avec un relief particulier la vie des assiégés19. Il a voulu délibérément se placer du point de vue des habitants d’Ancône et non pas développer une chronique générale à prétention universelle. Cette méthode semble, à première vue, privilégier la narration vécue des acteurs et donne au récit sa vivacité.
13Boncompagno restitue avec une grande force d’émotion, par la simplicité du détail concret, les souffrances des civils assiégés. Les difficultés de l’existence quotidienne, la famine – souvent absentes des récits de sièges-batailles – ont en effet le plus marqué le corps et la mémoire de ceux qui ont vécu le siège, comme de tout témoin civil des périodes de guerre. L’auteur y consacre quatre longs développements20 (Document n° 1). Le récit dégage une force dramatique concrète et saisissante. Les renseignements sur l’inflation des prix des denrées, les décisions prises par les Conseillers de la commune pour inventorier les ressources, les expédients pour tromper la faim, contiennent des notations originales, qui ne peuvent être inventées. Les décisions sont conformes aux méthodes d’organisation du ravitaillement et aux habitudes comptables que les historiens reconstituent d’après les archives communales. Le texte de Boncompagno montre bien le passage progressif de la cherté qui réduit les capacités d’alimentation à la véritable famine et au recours à des nourritures de plus en plus exécrables : le pain manque d’abord, puis les légumes. L’alimentation devient exclusivement carnée, mais lorsque le troupeau équin a été consommé, on en vient à ronger du cuir et à consommer des anémones de mer ! La dispersion des informations dans la trame des événements, suivie du rappel par des incises plus brèves21 de ce problème lancinant, traduit l’intensité croissante des souffrances des assiégés, plus effrayés par le risque de mourir de faim que d’être tués au combat.
14Sur le fond du problème constant de survie, se détachent quelques « journées particulières », qui constituent des événements dans l’événement. Boncompagno privilégie les exploits individuels par rapport aux combats collectifs. Il consacre trois développements, longs d’une dizaine ou d’une vingtaine de lignes, à des figures héroïques magnifiées. Il rapporte d’abord l’exploit de la veuve Stamira qui, au milieu de la bataille, s’empare d’une torche pour incendier les machines de guerre de l’ennemi (Document n° 2)22. Un « autre fait mémorable » met en scène un chanoine d’Ancône, nommé Jean, qui par un jour de tempête, se jette à l’eau pour trancher à la hache les amarres du plus gros vaisseau vénitien ancré au port, malgré la pluie de flèches que les équipages des navires lui décochent. Si les Vénitiens parviennent à sauver la grande nef de Romano Marani, ils perdent sept galères, drossées à la côte par suite de cette action23. C’est la théâtralisation de l’action qui fait ici événement : un individu intervient sous le regard des deux camps – actifs à la bataille dans le premier épisode, spectateurs passifs stupéfaits dans le second – et, sans aide, obtient un résultat plus lourd de conséquences pour l’adversaire que l’engagement des hommes d’arme professionnels.
15Ces récits vivants, au style concret et fluide, sont concentrés dans la première moitié du Liber de Obsidione24. Ensuite, une seule scène « héroïque » montre encore une dame noble qui, alors qu’elle peut à peine allaiter son jeune enfant, propose de donner le sein à un archer exténué par la faim pour lui redonner courage. Honteux de sa défaillance, l’archer se redresse et tue quatre assiégeants en peu de temps25.
16La tonalité de la seconde partie de l’œuvre change, comme pour mieux souligner la terrible attente des assiégés toujours confrontés à la famine. L’action se déplace loin d’Ancône : Boncompagno accorde d’importants développements aux décisions du ferrarais Guglielmo Adelardi, dit Marchisella, et de la comtesse de Bertinoro. Le premier engage toutes ses terres pour lever une armée de secours. Il tente de s’allier avec Pietro Traversario, puissant noble ravennate26. Mais celui-ci ne veut pas être parjure à la fidélité qu’il doit à l’empereur. Guglielmo lui propose alors d’abandonner son armée pour qu’ils se rendent ensemble à Ancône afin d’y négocier une composition avec le chancelier impérial ; heureusement pour les assiégés, Adelardo, frère de Guglielmo, se met en route pendant ce temps avec l’armée. Se sentant trahi, Traversario rompt l’engagement qui le liait à Guglielmo27.
17À partir de ce moment, Boncompagno abandonne le récit linéaire et factuel pour donner la parole aux protagonistes ; cette construction bipartite exprime sa conviction que la maîtrise des événements, dans le monde communal, s’exprime parallèlement dans les faits et dans les discours28. Il fait parler successivement l’archevêque de Mayence ; un conseiller d’Ancône, âgé et quasiment aveugle, qui exhorte ses concitoyens à la résistance, en évoquant le précédent du siège de 113729 ; le protosébaste Constantin, légat byzantin, qui, dans un discours fleuri et ampoulé, véritable pastiche de rhétorique « grecque », encourage les assiégés à tenir, en soulignant que l’hiver va rendre plus dure la situation des assiégeants30 ; Guglielmo Marchisella et la comtesse de Bertinoro enfin, qui en chefs d’armée, prennent la parole sur le front des troupes pour expliquer le motif de l’expédition, le premier dans un sermon politique dont le rythme ternaire s’oppose au précédent discours, la seconde en sermo simplex31. Le récit du siège proprement dit, qui s’achève avec la fuite de Christian de Buck, est suivi d’une forme d’épilogue qui apprend au lecteur ce que sont devenus les principaux protagonistes et résume l’histoire d’Ancône jusqu’à l’arrivée du podestat Ugolino Gosia, dont Boncompagno transcrit le discours d’investiture32.
Pourquoi ce siège fait-il événement ?
18On est en droit de se demander quelle dimension historique Boncompagno a voulu retenir d’un siège dont les aspects militaires ne suscitent pas particulièrement son intérêt. Il n’accorde que trois lignes au premier combat perdu par les assiégés :
Mais, peu après le début du siège, les Anconitains rassemblèrent une armée, que le chancelier vainquit en une bataille rangée au cours de laquelle un grand nombre d’hommes fut tué ou capturé, à tel point qu’ils crurent perdre la ville33.
19Le récit du second combat, qui eut lieu huit jours plus tard, est plus développé parce que les Anconitains résistèrent avec énergie à la tentative d’assaut de leurs murailles et d’envahissement à partir du port par les Vénitiens. Enfin, le siège fut levé sans bataille finale, après un simulacre d’attaque nocturne par l’armée de secours.
20Pour ce dernier épisode, la narration de Boncompagno rejoint une donnée historique incontestable : ce siège ne constitue pas un fait de premier plan dans les annales militaires. À quel titre a-t-il bénéficié d’un traitement particulier, alors même que la cité d’Ancône avait déjà subi un sort comparable en 1137 et en 1167 ? Si la mémoire du troisième siège est plus riche, il ne faut pas l’imputer au seul talent de Boncompagno. Il a attiré l’attention d’un plus grand nombre de chroniqueurs que les deux sièges précédents. Les sources italiennes sont, ce n’est pas étonnant, les plus développées ; mais, hormis Boncompagno et Salimbene de Adam, la plupart ont été rédigées par des alliés de l’empereur, qu’il s’agisse des Annales Pisani de Bernardo Marago ou du Breviarum Historiae Pisanae, de la Chronica Imperatorum d’Alberto Milioli, ou, plus tardivement, de l’Historia Ducum Veneticorum commanditée par le doge Andrea Dandolo34. Cinq autres sources occidentales, dont trois chroniques allemandes35, font également référence à cet événement qu’ont évoqué aussi trois des plus grands chroniqueurs byzantins de la fin du XIIe siècle : Jean Kinnamos, Nicétas Choniatès et Eustathe de Thessalonique36, ce qui confirme l’enjeu stratégique et politique que représentait Ancône pour les Grecs. Le siège de 1137 n’a été rapporté que par quatre sources, toutes d’origine allemande, mais les deux dernières recopient le récit d’Otton de Freising et seule la première est relativement contemporaine37. Quant au siège de 1167, il a été noté par onze chroniqueurs, dont trois seulement lui ont consacré un développement38.
21La différence de traitement se justifie-t-elle par une ampleur ou une portée inaccoutumée du siège de 1173 ? Sa durée fut certes beaucoup plus longue, ce qui suffit à marquer plus profondément les esprits. Le premier siège a peut-être duré deux mois à l’hiver 113739 ; celui de 1167 a été levé après trois semaines, à la fin du mois de mai. Mais leur portée pour la ville d’Ancône est très différente. Le silence éloquent des chroniques italiennes à propos du siège de 1137 semble venir à l’appui du témoignage des sources allemandes, qui concluent à la victoire de Lothaire III. L’avant-garde impériale fut mise en difficulté sous les murs de la ville par les Anconitains ; mais l’intervention du gros de l’armée sous le commandement de l’empereur les mit en fuite. L’empereur assiégea la ville et obtint finalement la reddition des habitants qui durent livrer cent navires chargés de victuailles. Boncompagno de Signa, presque trois quart de siècles plus tard, est le premier « italien » à y faire une référence directe, par la bouche du vieux conseiller d’Ancône. Mais il présente au contraire l’épisode comme une victoire des Anconitains dont le souvenir doit galvaniser la résistance :
Je fus membre du consulat au temps où le roi Lothaire nous assiégea d’une main ferme, en croyant pouvoir soumettre la ville à une servitude perpétuelle. Il se retira cependant, frustré de son propre espoir et payé de sa tâche ; mais d’autres empereurs, avant et après lui, tentèrent une action semblable, et de même ils ne purent conduire à bonne fin leur projet40.
22Le propos, habile et ambigu, ne dit pas que l’assiégeant fut repoussé, mais que l’empereur a échoué dans sa volonté d’imposer définitivement son autorité sur la ville ; les deux réalités peuvent être chronologiquement dissociées. De fait, quelques mois plus tard, l’ouverture de négociations entre les représentants de Byzance et les consuls de la ville montre que ceux-ci conservaient une initiative autonome.
23La fin du propos attribué au conseiller est sujette à caution au moins sur un point : aucun siège par les empereurs antérieur à 1137 n’est connu historiquement. En revanche, la litote significative sur le second siège de 1167 renvoie bien à l’échec du projet de Frédéric Barberousse. Il entendait reprendre le contrôle de toute la Marche en s’emparant de sa ville principale, port stratégique. L’empereur arriva devant Ancône sans doute au début mai ; les Annales Laudenses précisent que le siège a duré trois semaines, mais que l’empereur le leva lorsque lui parvint la nouvelle, le 29 mai, de la victoire remportée contre les romains par Rainald de Dassel et Christian de Buck à Tusculum41. L’enjeu du contrôle de Rome est bien plus important pour l’empereur que la prise d’Ancône. Il n’est pas allé au bout de son projet, certes, mais les récits de l’événement laissent à penser que les Anconitains, affamés, durent payer un tribut et livrer des otages42. La portée de l’événement est cependant étouffée par le retentissement de la victoire contre les forces pontificales. Il n’empêche que, en 1137 et en 1167, les Anconitains ont dû, à contre-cœur, reconnaître formellement la volonté de l’empereur. Au contraire, le siège de 1173 fait date en ce qu’il s’achève sans que les citadins, dont Boncompagno veut exalter la grandeur civique, aient signé la moindre soumission. Cette fois, ils sont allés au bout de leur résistance.
L’événement et sa signification pour Boncompagno
24Puisque l’événement est vraiment historique en ce qu’il modifie les rapports entre la commune et l’empereur, quelle portée Boncompagno veut-il lui accorder ? Si nous reparcourons avec attention (suivant le propre conseil de notre auteur43) son récit, plusieurs singularités dans son traitement renforcent la valeur du document à l’aune de la production contemporaine. Elles apparaissent dans le choix des « héros » du récit, le traitement qu’il réserve aux valeurs chevaleresques et la vision des adversaires de la cité.
L’exaltation des inermes
25Les épisodes narratifs les plus développés, qui ont mis en scène les hauts faits de certains protagonistes du siège, ne sont pas ceux qu’on attend en pareille circonstance. Aucun fait d’arme qui mette en avant des combattants professionnels, qui exalte leur force et leur bravoure au milieu de la bataille. Nous l’avons vu, les engagements militaires sont sèchement résumés ou présentés comme une mêlée confuse44, pleine de bruit et de fureur, antithèse de l’ordre discursif et heuristique qui distingue le monde universitaire du rhéteur. Un jeu de mot sur le nom du légat impérial suffit à en résumer le caractère négatif : « Cancellarius solo nomine Christianus »45. Boncompagno ne met en valeur aucun chef militaire dans la ville d’Ancône : dans le monde communal, la décision collective l’emporte et les personnalités chargées de l’exécutif passent dans l’anonymat de la charge : des ambassadeurs, des consuls, des négociateurs ; pas un nom.
26L’héroïsme qui marque les esprit, peut faire modèle et doit être porté à la connaissance des générations futures, est le fait de personnes qu’on n’attendait pas dans ce rôle : la veuve Stamira qui incendie les machines de siège, le chanoine Jean qui met en péril une partie de la flotte vénitienne, ou cette noble dame anonyme qui redonne courage à un combattant – mais il s’agit d’un archer, c’est-à-dire d’un homme de la milice urbaine venu défendre la muraille de son quartier. C’est encore un homme très âgé, trop faible pour combattre (mais dont on devine qu’il a combattu lors des précédents sièges) qui inaugure la série des discours et galvanise le courage de ses concitoyens en proie à la famine et qui s’interrogeaient sur la nécessité d’en venir à une composition avec l’archichancelier impérial. Tous ceux auxquels Boncompagno attribue les plus grande valeurs combatives, sont des inermes, par statut ou par condition d’âge, des personnes insoucieuses de leur sort individuel dans le danger, mais préoccupées de l’intérêt collectif. L’exploit demeure isolé, ne déclenche pas une bataille générale ; mais il contribue à l’issue heureuse du combat : les impériaux perdent leurs machines de jets, les Vénitiens sept galères.
27Épisode historique ou récit exemplaire, au sens édifiant et hagiographique du terme ? L’historicité de ces événements particuliers pose problème en effet. Aucune autre source sur le siège n’a retenu les noms de Stamira et du chanoine Jean ; bien plus : aucune n’évoque, même de manière allusive, ces hauts faits. On est en droit de se demander si Boncompagno n’a pas puisé dans ses lectures, pour enjoliver son récit, à un fond de héros mythiques, comme la figure souvent exaltée de la femme de modeste condition qui, par une action décidée, retourne l’issue du siège46. Mais il paraît difficile qu’un auteur qui veut faire recevoir son récit comme vérité historique puisse inventer totalement les circonstances de ces actions sans crainte d’être démenti par des témoins survivants ; à coup sûr, les pierriers de l’armée impériale ont été incendiés, et les amarres des navires vénitiens ont été coupées.
28Mettre au premier plan des personnes qui ne sont pas en conditions de combattre et doivent compenser leur inexpérience par un courage d’autant plus grand, c’est aussi proposer aux citoyens d’Ancône à qui ce texte est destiné, des modèles d’hommes et de femmes qui leur ressemblent. À part ces exploits personnels, dont l’authenticité demeure douteuse, le témoignage du Liber de Obsidione n’est pas celui de la bravoure combattante, mais celui du courage résistant : l’évocation lancinante du problème de la faim atteint une intensité émotionnelle très forte par l’accumulation crue des détails vécus47. Les citadins d’Ancône, par leur courage et leur abnégation, ont su aller jusqu’au bout de leur souffrance, jusqu’à la mort par la faim (une souffrance d’autant plus intolérable qu’elle dure sept mois, alors que le combat n’est qu’un engagement de quelques heures ou de quelques journées) et mettre en échec la plus puissante armée de la chrétienté et la plus importante force navale d’Italie. Le premier rôle est celui, collectif, des citoyens d’une commune.
L’affirmation des valeurs chevaleresques
29Cependant, l’aristocratie n’est pas absente de cette histoire. Elle intervient en levant en Lombardie et en Romagne une armée au secours de la ville assiégée. L’auteur, soucieux de montrer les différentes facettes de l’ars dictaminis, fait parler ses représentants en conformité avec leur état et leur rang social. Il existe toutefois une différence entre Guglielmo Marcheselli, nobilis civis, et la comtesse de Bertinoro. La noble dame est une parfaite représentante de la noblesse féodale48. Pour lever l’armée, il lui suffit d’« ordonner que les chevaliers comme les fantassins de tout son comté préparent leurs armes pour l’expédition ». Guglielmo est au contraire membre de l’aristocratie urbaine, qui ne dispose pas de vassaux ; il doit recourir à l’argent pour gagner des fidélités et recruter des mercenaires, et agit comme un capitaine d’arme et comme les responsables de la Ligue Lombarde.
30Boncompagno de Signa n’ignore rien des valeurs défendues par la société des milites, notamment la fidélité à la parole donnée ; mais il ne les considère pas comme la forme la plus achevée des rapports sociaux. Dans son récit, elles sont incarnées en effet par des personnages dont le rôle est secondaire ou négatif par rapport à la défense des intérêts d’Ancône. Le noble ravennate Pietro Traversario place l’engagement vassalique au-dessus du lien de sang (assez éloigné) qui le rattache à Guglielmo Marcheselli pour refuser de se rallier à sa cause : « il [lui] répondit qu’il était un fidèle de l’empire et ami du chancelier ; dès lors, il ne pouvait exaucer sa demande »49. L’engagement pris sous serment est impératif, notre juriste ne l’ignore pas. Il le fait rappeler par Adelardo, frère de Guglielmo. Alors que ce dernier a proposé à Traversario de renvoyer son armée pour aller négocier de concert à Ancône, Adelardo s’adresse aux troupes levées pour poursuivre l’expédition :
Sachez, hommes nobles et puissants, que mon frère n’est ni le pape ni un évêque et qu’il ne peut donc vous dégager du lien du serment. Or moi aussi je lui ai juré avec vous… d’aller jusqu’à Ancône pour libérer la ville50.
31L’indifférence relative de Guglielmo Marcheselli à l’égard de la parole donnée brouille l’image du chef exemplaire que Boncompagno veut exalter. Il se tire de la contradiction en affirmant que Guglielmo avait fait cette proposition à Traversario par ruse. Tromper un noble n’est pas condamnable : en effet, dans les pages suivantes, Boncompagno s’attache, par petites touches, à dévaloriser l’attitude de la noblesse seigneuriale pour mieux exalter la supériorité des citoyens. Guglielmo Marcheselli incarne l’idéal le plus élevé car il conjugue les qualités propres au monde chevaleresque et celles du citoyen. Du premier, il tient courage et « audace » : « On peut dire de lui qu’il fut le miroir des chevaliers de Lombardie, ornement de sa patrie et voulant exercer le courage de l’âme ». Comme un capitaine d’armes urbain, il lève des troupes sur sa fortune personnelle : « Il avait engagé toutes ses possessions pour réunir l’armée ». Le recrutement soldé l’emporte sur le lien de fidélité : « il acquit les fils des amis et des fidèles ». L’insistance de Boncompagno sur l’abnégation financière de Marcheselli est presque suspecte : il rappelle à sept reprises l’hypothèque de ses biens. Guglielmo devient un citoyen parangon de « libéralité » d’autant plus remarquable qu’il n’utilise pas sa richesse pour défendre un intérêt personnel ou familial : il « plaça la vertu de la richesse avant toute coutume générale, et n’hésita jamais à exposer lui-même et les siens à différents périls et à la mort presque pour des étrangers et des personnes inconnues »51. L’idée civique du bien commun, sous-jacente, entre en conflit avec les coutumes et les engagements de la noblesse. Parvenu sous les murs d’Ancône, il prononce dans son discours un réquisitoire contre la noblesse qui paraît bien exprimer la conviction profonde de Boncompagno : « Bien que plusieurs d’entre eux [ = les ennemis d’Ancône] soient des fils de nobles, ils se « dénobilisent » complètement en souhaitant s’associer à la foule des voleurs »52. Un autre reproche de dérogeance est formulé : les seigneurs impériaux ont accepté de se placer sous les ordres d’un évêque, dont la mission est de prier et de célébrer des sacrements, non de se battre : « Ce ne sont donc pas des chevaliers qui combattent sous ses ordres, mais des voleurs »53.
32Le siège d’Ancône fournit à Boncompagno l’occasion d’exprimer sa conception de la société ordonnée, dans laquelle, à coté des citoyens, les femmes occupent une place exceptionnelle. Certes, le rôle de la comtesse de Bertinoro dans la levée de l’armée est historique et confirmé par d’autres sources, notamment Jean Kinnamos, et Boncompagno prend soin de rappeler la légitimité juridique de son intervention ; dans le discours qu’il lui prête devant les armées, il lui fait dire en introduction : « Je me suis disposée à prendre la parole parmi vous, contre la coutume générale des femmes ». Veuve d’un comte qui possédait la plénitude du ban et mère d’enfants encore mineurs, cette noble dame peut exercer des droits publics, accomplir tous les actes de la gestion de son patrimoine et paraître publiquement dans un rôle de commandement54. Mais la comtesse agit aussi par solidarité féminine : le discours que Boncompagno lui prête a ainsi une résonance plus « moderne » :
Ce n’est pas le désir de domination, ni une quelconque ambition temporelle… qui m’a attirée jusqu’ici… Mais j’ai été poussée par l’affliction misérable des citoyens d’Ancône et par les larmes de supplication des femmes55.
33Tout au long du récit, Boncompagno a accordé un rôle de premier plan aux femmes dans la résistance d’Ancône. Elles galvanisent le courage des hommes préposés à la défense par leur abnégation. La veuve Stamira et la noble dame réconfortant l’archer personnifient une attitude plus générale : « On voyait ainsi des femmes mariées, des jeunes filles et des veuves exhorter quotidiennement les combattants, comme si elles avaient possédé une âme virile ». La vision du courage féminin exalté par Boncompagno dépasse les conventions de la littérature courtoise et culmine dans un très long passage mélodramatique dans lequel il compare l’esprit de sacrifice des anconitaines à celui des héroïnes bibliques de l’Ancien Testament56. C’est une nouvelle occasion pour lui de souligner que l’aspect mémorable du siège ne réside pas dans l’exploit de la force physique du combattant. On serait tenté de qualifier sa vision des événements de « féministe ».
La victoire sur quel adversaire ?
34Si les femmes et les citadins sont les vrais héros du récit, Boncompagno ne donne pas des adversaires une image univoque. Celle de l’armée de Christian de Buck et de son chef est ouvertement dépréciée. Boncompagno ne décrit pas une armée au combat - ou alors recourt à la litote -, mais souligne les exactions et les rapines des hommes d’armes autour de la cité : les hommes ne valent pas mieux que leur chef, prêtre dépravé, rapace et peu soucieux du vrai comportement chevaleresque, obnubilé par la prise de possession d’Ancône, dont l’auteur suggère à demi-mot que le but est personnel.
35Au contraire, les Vénitiens57 sont présentés comme des adversaires respectables, soucieux de leurs engagements, combattants aguerris et ordonnés (« entrant dans le port d’une main vigoureuse… »). Boncompagno insiste surtout sur la rivalité traditionnelle qui opposait le « royaume des eaux » à Ancône : « les Vénitiens avaient toujours haï Ancône d’une haine spéciale », sans toutefois s’appesantir sur les motifs ; mais ils sont assez évidents. Depuis la première moitié du XIIe siècle, Venise a en effet multiplié les actions destinées à contrôler l’activité maritime d’Ancône, débouché naturel pour les marchandises de l’Italie centrale mais aussi point d’embarquement des pèlerins venus d’Ombrie et de Toscane, pour éviter que son développement n’isole la ville de la lagune au fond de l’Adriatique. En 1152, la cité des doges signe un traité commercial qui accorde aux Anconitains un droit de circulation dans le territoire vénitien, mais limite étroitement leur commerce lointain, notamment vers Byzance. Les sources vénitiennes, quoique souvent plus tardives, confirment cette inimitié mais, en s’appuyant sur la correspondance des doges, donnent une autre raison de l’antagonisme : la crainte qu’Ancône ne serve de principal débouché italien pour les marchandises de l’Empire byzantin. Après la rebuffade de 1171, cette crainte est évidemment aiguisée58. Les autres chroniques italiennes du siège de 1173 confirment le point de vue de Boncompagno et soulignent que l’hostilité de Venise pouvait avoir des conséquences plus graves pour les Marches que celle de l’empereur. Les Vénitiens furent bien les principaux responsables des souffrances de la population : le blocus maritime seul pouvait réduire la ville à une famine complète ; on le vérifie au fait qu’en 1167, Frédéric Barberousse renonça rapidement au siège de la ville parce qu’il ne disposait d’aucune flotte d’appui.
36En accordant plus d’attention aux Vénitiens qu’aux armées venues d’Allemagne, Boncompagno met en valeur pour le lecteur ou l’auditeur de son texte les causes italiennes du siège. L’effet est renforcé par la quasi absence du souverain dans le récit des événements. Frédéric Barberousse est cité deux fois seulement, comme référence temporelle et non comme acteur, comme si tout s’était passé indépendamment de sa volonté. Il est vrai qu’alors l’empereur était retenu par les révoltes des seigneurs allemands59. Boncompagno a une autre raison pour taire le rôle l’empereur et en quelque sorte l’exonérer des responsabilités du siège. Maître à l’Université de Bologne, il ne peut attaquer le principe de l’autorité impériale, de qui procède la reconnaissance officielle des compétences de juriste. La révérence due à la souveraineté est rappelée d’ailleurs à propos du dédicataire de l’œuvre, Ugolino Gosia60. Dès lors, puisque la Chronique ne peut se présenter ouvertement comme anti-impériale, Boncompagno déplace la responsabilité du siège en termes d’antagonisme entre nations. Comme toujours lorsque le rhéteur veut faire passer ses idées politiques, il place le propos dans la bouche d’un autre ; l’ancien consul d’Ancône émet cette remarque qui n’est pas fortuite : « Il est rare que l’on puisse trouver entre les Latins et les Allemands une affection parfaite »61. Au détour du propos l’empereur Frédéric ressurgit à propos d’un autre siège, beaucoup plus fortement imprimé dans les consciences des contemporains : celui de Milan en 1162, qui dura sept mois, soit autant que le siège d’Ancône. La résistance farouche de la cité Lombarde, malgré les souffrances de la famine, a été exaltée par d’autres chroniques ; pourtant, elle dut finalement venir à composition et subir la destruction, ses habitants réduits à la prison, à l’exil ou au déplacement. Les Anconitains ont su échapper à cette fin misérable ; leur résistance est donc un triomphe d’autant plus grand62.
37L’habileté du rhéteur doit être soulignée : ce n’est pas à la fin du récit (consacrée à la réception du nouveau podestat), mais en son milieu qu’il expose ce qui est pour lui la leçon historique de ce siège mineur du point de vue poliorcétique. À part la famine, l’événement se situe incontestablement pour lui au niveau du symbole. L’important est moins dans l’identité personnelle des protagonistes que dans les conséquences de leurs actes63. Le message qu’il délivre avec force peut sans doute être entendu par ses contemporains du XIIIe siècle débutant ; la formulation du récit fait aussi événement pour la postérité.
Le récit du siège : un événement du début du XIIIe siècle
Le rapport entre Boncompagno et Ancône
38Il nous faut revenir à une question liminaire : pourquoi le récit le plus complet de ce siège a-t-il été écrit par un homme d’école dépourvu d’attaches particulières avec Ancône ? Boncompagno est alors un juriste et un grammairien dont la notoriété croît rapidement, mais qui n’est pas arrivée encore au faîte de la réputation. Celle-ci fut au demeurant controversée, si l’on se réfère au jugement de Salimbene de Adam, connu du reste pour ses opinions tranchées et assassines. Il n’hésite pas en effet à qualifier ce « grand maître de grammaire qui vécut dans la cité de Bologne et écrivit des livres d’éloquence » de « grand menteur » (maximus trufator). Le franciscain devait, il est vrai, défendre la mémoire d’un de ses confrères égratigné par un poème de notre rhéteur64. Ceci doit nous conforter au moins dans la prudence face à ses affirmations et à la reconstitution des événements. Si Boncompagno possédait un sens évident de l’humour, il était cependant trop averti des genres pour mélanger histoire et fables. La confrontation avec les autres sources du siège, beaucoup plus laconiques, mais aussi souvent plus tardives, ne permet pas une analyse inter-textuelle qui pourrait démêler le vrai du faux. Ce serait sans doute tomber dans un faux problème.
39L’événement narratif doit être apprécié en fonction des circonstances de la rédaction que notre auteur rapporte avec un grand luxe de précision. Le texte répond à la commande d’un ami, Ugolino Gosia, un confrère issu du même milieu intellectuel que Boncompagno. Il appartenait à une dynastie de juristes de l’université de Bologne : son grand-père Martino et son père Guglielmo avaient été avant lui docteurs en droit ; lui-même y enseigna et devint juge de la commune en 1198. En 1201, il fut élu podestat par les conseillers d’Ancône65. C’est à l’occasion de sa prise de fonction que le juriste Bolonais se fit accompagner par son ami Boncompagno et lui demanda de rédiger le « Livre du siège d’Ancône », qu’il voulait remettre en cadeau de remerciement à ses hôtes : l’auteur précise en effet qu’il l’a écrit « pour l’usage commun » et « l’utilité du plus grand nombre ». Dans le prologue très circonstancié, Boncompagno signale que, lors du voyage par mer vers Ancône, ils furent assaillis par la tempête et que le début du manuscrit tomba malencontreusement à l’eau. Mais il précise aussi : « Vous m’avez demandé que je corrige plus attentivement… le livre dans lequel je traitais du siège d’Ancône, et que je l’emmène »66. Le texte que nous lisons est donc une seconde version, commanditée par le podestat bolonais Ugolino Gosia.
40La première version, à coup sûr antérieure à la nomination d’Ugolino Gosia, répondait-elle à la demande du même commanditaire ? On est réduit sur ce point à des hypothèses, mais qui aboutissent à des conclusions analogues. Soit le Livre avait été demandé dès l’origine par Ugolino Gosia à son ami, sa rédaction peut alors être conçue comme un exercice de style, dans le genre historique, au sein du studium bolonais, autour d’un événement connu – les jeunes marchésans qui suivaient des études de droit fréquentaient systématiquement l’Université de Bologne. Soit il répondait à une demande extérieure, mais elle ne pouvait pas venir d’Ancône, ville avec laquelle Boncompago n’avait pas de contact direct et tout porte à croire qu’elle provenait également de Romagne.
41Il convient sans doute de mettre en rapport avec les deux rédactions du Liber la particularité que nous avons déjà relevée : le genre narratif – même reconstitué – domine dans la première partie, avec un style clair, sans recherche rhétorique excessive. On peut rattacher à ce style les épisodes narratifs relatifs à la famine et à l’organisation de l’armée de secours. Mais la seconde moitié se distingue par l’abondance des passages discursifs ; il serait donc tentant de considérer que ces morceaux de rhétorique font partie des « corrections » apportées par Boncompagno à son récit, et destinées à « impressionner » les Anconitains pour mettre en valeur la culture de leur podestat et de son entourage. La partie plus narrative, primitive, aurait pu être rédigée à l’intention non d’Ugolino Gosia, mais de Guglielmo Marcheselli ou de ses descendants. En faveur de cette hypothèse, je ferais remarquer le caractère panégyrique du portrait de ce noble ferrarais, qui est de tous les protagonistes le plus « héroïsé », et le rappel final de son triomphe à la cour de Constantinople67. Cela pourrait aussi justifier l’abondance des développements consacrés à l’armée de secours, qui éloignent l’action de la cité assiégée.
Une mise en scène de l’histoire
42Mais, entre la première et la deuxième version du texte, l’intention de l’auteur s’est modifiée. Quel que soit le destinataire de la première version, Gosia ou Marcheselli, Boncompagno s’adressait à un, ou plusieurs, lecteur(s) originaires de l’Italie du nord, intéressés à connaître des faits qui s’étaient déroulés dans une autre région, mais renvoyaient à un contexte d’opposition politique comparable à celui qu’avaient vécu les alliés de la Ligue Lombarde. La seconde version est destinée à une publicité plus large : dans le prologue, Boncompagno utilise des verbes significatifs : il ne « remet » pas le Livre à Ugolino Gosia ; il le « montre » ou le « publie » (exhiberem), il le porte à la commune (ou pour l’usage commun) (deducerem in comune) et il le « présente » à son destinataire (presento). Quel meilleur usage commun, quelle réception plus collective peut-elle être faite d’un livre, sinon sa lecture en public, selon un usage qui était connu dans les milieux universitaires de Bologne ? Dès lors, le panégyrique commémoratif prend toute sa dimension « afin que la cité que vous dirigez en acquière un honneur perpétuel ». L’honneur de la cité est à double sens ; il n’est pas seulement dans le souvenir de l’héroïque résistance des assiégés. C’est aussi celui de posséder désormais un monument de rhétorique qui diffuse sur les rivages marchésans toutes les qualités de la grammaire scolastique, c’est de disposer d’une chronique qui lui donne une gloire intellectuelle comparable à celle des grandes cités d’Italie du nord. L’hypothèse selon laquelle ce livre aurait fait l’objet d’une « représentation » avec plusieurs acteurs, chacun lisant un discours de l’un des personnages, ne peut être écartée. Elle confirmerait alors le sens aigu de l’autopromotion d’un personnage soucieux de confirmer sa réputation grandissante d’auteur et que l’on sait habile à la mise en scène, voire à la manipulation68.
43Mais devant un public qui devait compter plusieurs témoins vivants du siège (circonstance que nous pouvons retenir comme une garantie contre des inventions trop éloignées de la réalité), notre auteur veut proposer des « leçons de l’histoire », et l’interprétation qu’il donne de ce siège est en soi un fait idéologique fondateur.
Un récit fondateur ?
44Les circonstances de la rédaction de l’ouvrage expliquent que la compréhension du siège d’Ancône soit vue depuis le nord de l’Italie. Mais les intentions personnelles de Boncompagno et la vision qu’il veut donner de l’histoire accentuent le phénomène. Son regard et son information, depuis les terres d’Émilie Romagne, le portent évidemment à mieux percevoir les enjeux du siège pour les Vénitiens que pour les impériaux. Il lui était plus facile de récolter une information directe sur les initiatives de Guglielmo Marcheselli de Ferrare et de la comtesse de Bertinoro, et ces développements apparaissent plus conformes à la réalité historique que les actes de bravoure individuels des Anconitains.
45Mais en insistant sur l’intervention solidaire des Italiens du nord, qui avaient déjà la pratique de la Ligue, Boncompagno évacue, ou du moins limite la perspective byzantine qui est propre à l’histoire d’Ancône. Certes, il rappelle la présence des légats de Constantinople, et il suggère – car il était impossible de nier ce fait souligné abondamment par les chroniqueurs orientaux – que l’appui financier en faveur de la défense n’a pas été négligeable69 ; certes, la réception du Guglielmo Marcheselli par le basileus après la levée du siège semble confirmer que ce capitaine d’armes a été stipendié par Byzance. Pourtant, l’insistance répétée avec laquelle Boncompagno affirme que Guglielmo a payé ses hommes sur sa fortune propre n’est-elle pas le meilleur indice de la volonté de relativiser, sinon de nier, l’ingérence byzantine ? Le rôle du légat byzantin est également minoré par le recours à la satire : il passe pour un vain discoureur qui s’intéresse à des sujets futiles et sans rapport avec la gravité de la situation.
46Le siège d’Ancône est pour Boncompagno d’abord une affaire italienne ; c’est en cela que l’événement est exemplaire selon lui. Sa position de Toscan formé intellectuellement en Italie du nord le rendait particulièrement sensible à ce qui rapprochait toutes les villes et les régions d’Italie, malgré leurs différences. Le siège d’Ancône n’est pas un fait d’histoire marchésane. Il est au contraire un événement unificateur qui intègre Ancône dans la nation italienne : elle affronte des concurrents italiens (Venise), elle subit les excès de tyrannie des Allemands, et, telle une nouvelle Milan, sa capacité de résistance lui vaut l’admiration et le secours des Lombards et des Romagnols.
47Au lecteur bolonais, Boncompagno révèle que les enjeux de la ligue lombarde dépassent la dimension régionale, et que les conflits dans les Marches procédaient des mêmes causes et des mêmes enjeux. Aux Anconitains, il donne l’aura d’une participation à un combat commun à toutes les cités d’Italie. Il est sans doute l’un des premiers, sinon le premier, a avoir posé de manière aussi évidente la question théorique du combat pour la Libertas Italiæ, ce combat qui unissait au même moment les coalisés de la Ligue Lombarde. Boncompagno fait de Guglielmo Marcheselli, l’homme dont l’action établit le lien entre le nord de l’Italie et les Marches, le porte-parole de cette doctrine. Sa décision d’intervenir est prise non parce qu’il apprend que Christian de Buck veut s’emparer d’Ancône (ce sont là des perspectives de domination seigneuriale, qui se justifient du reste dans l’antagonisme entre les empires d’Orient et d’Occident) mais lorsqu’on lui révèle la force de résistance des Anconitains pour la cause même de la liberté :
Je réfléchis continuellement que ceux qui souffraient de telles difficultés pour protéger la faveur de la liberté et faire preuve d’une telle défense devaient avoir la plus grande vertu70.
48Ce combat pour la liberté est, pour Boncompagno, fondamental, voire constitutif de la condition des Italiens. Il le rappelle à l’occasion des références au siège de Milan : l’Italie n’est pas destinée à subir une domination extérieure, elle est au contraire la terre de défense de la liberté :
Je ne crois pas que l’Italie puisse être tributaire de quiconque, si cela ne provenait pas de la jalousie et de la malice des Italiens, car nous savons par les lois que l’Italie n’est pas une province, mais la mère des provinces71.
49Les Anconitains, à l’occasion de ce siège, ont prouvé leur capacité exemplaire dans la défense de la Libertas Italiae, c’est en cela que l’événement est histoire. L’expression domina provinciarum aura son heure de gloire sous la plume de Dante, tandis que la défense des libertés, bien suprême, trouvera des lecteurs dans la Florence du XIVe siècle. Une lettre du chancelier Coluccio Salutati en date du 13 février 1376 reprend l’idée : les Anconitains sont par nature, depuis l’origine un peuple qui a toujours refusé le joug et défendu la liberté : « Pensez que vous êtes des Latins, dont la nature propre et naturelle est de présider à tous les peuples, non de servir »72. Le texte de Boncompagno est donc un jalon essentiel dans l’expression d’une conscience de la destinée commune, de la « nation » italienne : c’est l’apport manifeste de la culture universitaire pré-humanistique à la tradition du siège d’Ancône.
Conclusion : l’événement est non le siège, mais l’idée de résistance
50Le récit de Boncompagno fait événement car l’interprétation qu’il transmet du siège d’Ancône de 1173 inaugure une longue tradition que la plupart des historiens, jusqu’à Monseigneur Natalucci au XXe siècle, reprendront presque intégralement. Son récit fait autorité et commande toutes les études ultérieures des faits. Il impose, s’il n’invente pas, l’identité de l’héroïne de la résistance Anconitaine ; en 1936 encore, son récit a suscité de vifs débats locaux avant que le nom de Stamira soit attribué à l’une des deux principales artères du centre-ville : la Jeanne Hachette marchésane est désormais la parèdre « viaire » de Garibaldi.
51Pour l’historien des textes, le récit de Boncompagno a l’intérêt d’offrir d’un événement militaire une vision empreinte de compassion pour les habitants soumis aux conditions du siège : dans son récit, les humbles, les« oubliés de l’histoire » sont les acteurs principaux. À cet égard, on ne peut qu’être frappé de la différence (plutôt régressive) avec cet autre récit de siège composé par le notaire Oddo di Biagio d’Ancône à la fin du XIVe siècle qui rapporte les conflits entre la commune et le capitaine angevin en 1383. Il livre un tableau plein de bruit et de fureur, de minutieuses narrations des actions militaires, des assauts de la part du peuple contre les citadelles seigneuriales, mais sans en tirer d’enseignement politique73. En bon rhéteur, Boncompagno a su faire du siège une leçon de politique. Il n’est pas seulement narrateur du passé et en cela il est un des préfigurateurs de l’humanisme italien. C’est, je crois, ce qui permet de dire que son modeste ouvrage fait événement.
Annexe
Appendice
Document n° 1 : les malheurs de la guerre et la famine74
p. 17-21
« Commençait évidemment le temps de la cherté, et il y avait peu de victuailles en ville ; mais les citoyens espéraient récolter dans les champs du voisinage et acheter aux autres, car les villes qui sont établies dans des ports peuvent difficilement avoir du froment et de l’annone en suffisance par leur propre travail, et il est bien reconnu que beaucoup dans ces villes sont marins et marchands. D’autre part, de nombreux Anconitains étaient absents, car ils se trouvaient pour leur négoce à Alexandrie, dans la ville de Constantinople et en Romanie […]
Après le début [du siège], ils eurent du ravitaillement suffisant pour à peine huit jour, et dès lors, la faim commença à croître, à tel point qu’on ne pouvait pas trouver du pain, même pour un besant, qui suffirait à manger pour une personne. On donnait un denier pour cinq grains de fèves, et l’on ne pouvait pas avoir une poignée de froment ou d’orge pour douze deniers. On réquisitionnait les œufs pour faire des emplâtres pour les blessés, et l’on ne pouvait même pas en trouver douze dans toute la cité en ce temps. Auparavant, cependant, dit-on, on donnait un denier pour neuf œufs et vingt sous pour une poule moyenne. En vérité, les poulets, la viande porcine et bovine manquaient tellement en ce temps qu’on n’en trouvait pas à vendre dans la ville. Une faim épidémique commença donc à se développer, car l’on put alors vraiment parler de famine, car celui qui offrait le prix, ne pouvait trouver personne qui eut quelque chose à vendre […]
Ce combat fut d’un profit non négligeable pour les Anconitains, car la viande de nombreux chevaux, qui avaient été tués, fut ramenée en ville, et l’on n’abandonnait même pas les intestins. »
p. 23
« [Les conseillers] opinèrent que douze hommes enquêtent pour [trouver] toutes les victuailles que les citoyens pouvaient posséder. Ceux-ci, en vérité, en fouillant les greniers des églises et des citoyens, ne trouvèrent que deux muids de froment et trois d’annone, alors que le corps de la cité comptait plus de dix mille personnes de deux sexes, qui ne pouvaient pas demander ailleurs de la nourriture… »
p. 31
« Ensuite, ceux qui étaient demeurés dans la ville étaient affligés par une faim impossible à raconter, car le pain manquait totalement, et ils ne pouvaient trouver aucune sorte de légumes. Ils tuaient les chevaux, les juments et les ânes, et ils mangeaient avec avidité des viandes immondes, car la faim fait apparaître toutes sortes de nourritures. En effet, la cherté de telles viandes fut si élevée que l’on payait trois sous d’or pour une tête d’âne. Ils n’abandonnaient pas les intestins, et on ne laissait rien en mangeant, sinon les os. Lorsque ceux-ci vinrent à manquer, on acheta du cuir de bœuf, et on le faisait cuire après un travail quotidien d’assouplissement. Après leur cuisson, certains les mangeaient assaisonnés avec du vin ou du vinaigre, d’autres rôtis dans l’huile, d’autres sans accompagnement. En outre, ce qui n’avait jamais été entendu depuis le commencement et dans le cours des siècles, certains mangèrent en ce temps des chiens, des chats et des souris. D’autres en vérité faisaient bouillir du sel bien broyé et nettoyé dans une poêle avec de l’huile, et en buvant du vin, ils réconfortaient leur âme oppressée par une faim intolérable. Bien plus, un grand nombre pêchait des anémones de mer, qui adhèrent aux roches sous-marines, et les mangeaient frites dans l’huile. La plupart de ces anémones sont rouges, ce ne sont ni des herbes ni des poissons, mais elles sont une matière spéciale, qui, lorsqu’elle est crue, contient du poison ; dès lors, elle provoque la tuméfaction des chairs humaines plus que la Thapsia. Et vraiment, parce que toutes ces victuailles ne favorisaient pas la production de bonnes humeurs, les visages de tous les habitants pâlissaient, et ils pouvaient à peine se déplacer d’un lieu à un autre, sauf pour se hâter au combat. Certains étaient en effet si oppressés par la faim, qu’ils portaient avec peine le bouclier jusqu’au début de la bataille, et pourtant, ils persistaient dans cet état à combattre, ce dont les assiégeants s’étonnaient grandement. Les petits enfants réclamaient du pain, et bien qu’il y aurait eu des personnes pour le leur partager, on ne trouvait rien à partager [cf. Jérémie, Lamentations, IV, 4]. Les mères des petits enfants pleuraient, car ils manquaient de sang, cuit par la chaleur, à savoir le lait dont les enfants allaitants se nourrissent ; dès lors, lorsque l’enfant se préparait à sucer le lait, il trouvait un mamelon presque aride, et éclatait alors en sanglot à longueur du jour, parce qu’il ne pouvait pas obtenir de la nourriture. Et en vérité, lorsque quelques femmes, qui allaitaient leurs enfants, mouraient, les enfants de nouveau se collaient au sein de leurs mères défuntes et on les retrouvaient ainsi, morts, à côté du cadavre de la mère. »
Document n° 2 : l’exploit de la veuve Stamira75
« Tandis que le combat se poursuivait ainsi, une partie de l’armée du chancelier s’approcha des Vénitiens et monta avec eux dans les galères ; alors, de là, les Vénitiens s’approchèrent tellement qu’ils entrèrent dans les maisons de certains citoyens. Les consuls d’Ancône, en apprenant cela, firent passer vers la mer ceux dont les maisons étaient les plus proches du port. Ce jour même, Dieu apporta la victoire aux Anconitains, puisque ceux qui étaient allés vers la mer mirent en fuite les Vénitiens et purent récupérer puissamment les galères qu’ils avaient perdues, et ils repoussèrent ceux qui restaient de l’armée du chancelier jusqu’aux machines de guerre et alors un récipient remplit de résine et de poix fut lancé devant un amoncellement de bois, mais personne n’osait y mettre le feu, car l’endroit était au milieu des combattants. En cette même heure survint une veuve, appelée Stamira, qui saisit des deux mains le (mannariam) et brisa en hâte le récipient et ensuite, en courant, alluma une torche et la tint pendant longtemps, au vu de tous, au milieu des machines de bois, jusqu’à ce que le foyer puisse exercer ses propres forces, de sorte que les machines et les pierriers furent incendiés par l’audace de l’héroïne, que les cruautés du combat et la fureur des combattants ne purent nullement terrifier. »
Notes de bas de page
1 Tout au long de cette étude, nous nous référerons à l’édition de ce texte dans les Rerum Italicorum Scriptores : Boncompagno da Signa, Liber de Obsidione Ancone, (éd.) G. C. Zimolo, RIS, 6, 3, 1937, p. 3-55. Je remercie très vivement Cécile Caby pour m’avoir fourni la copie de ce texte difficilement accessible dans les bibliothèques de la région niçoise. Sur l’auteur, voir V. PINI, sv. « Boncompagno da Signa », Dizionario Biografico degli Italiani, t. XI, p. 720-725. Un important colloque international tenu à Signa en 2001 a renouvelé les perspectives sur son œuvre : (dir.) M. Baldini, Il pensiero e l’opera di Boncompagno da Signa, Signa, 2002. Je remercie E. Artifoni pour m’en avoir fourni la référence et l’apport de ses propres réflexions à ce colloque.
2 Ibid., p. 720. Boncompagno est né à Signa entre 1165 et 1175. Il s’est rendu jeune à Bologne où il a suivi les études de l’université et est devenu, très jeune, Maître de grammaire et de rhétorique. Jusqu’en 1201, son existence se partage entre Bologne et Rome, où il cherche vainement à entrer dans la carrière ecclésiastique. Le Liber de Obsidione présente une brève, mais précise description d’Ancône ((éd.) C. Zimolo, op. cit., p. 8-9). Il affirme avoir traversé les Marches, mais ne dit pas à quelle occasion. La description est toutefois trop précise pour avoir été ajoutée au moment de la remise de l’œuvre en 1201.
3 Boncompagno a rédigé auparavant sept livres consacrés à l’art de la rédaction et aux formules de droit : les V Tabula salutationum (traité épistolaire) en 1194 ; le Tractatus Virtutum en 1197 (vertus et vices de l’écriture) ; Notule Auree (formules épistolaires) et Oliva (sur les privilèges ecclésiastiques) en 1198 ; Cedrus (sur les statuts généraux) et Mirra (traité sur les testaments) en 1201 ; cf. V. PINI, Diz. Biog. degli Italiani, cité. Le discours d’Incipit du livre souligne la fonction commémorative du récit.
4 L’édition des RIS compte 689 lignes.
5 La ville d’Ancône a été assiégée pour la première fois au printemps 1137 par Lothaire, puis en avril 1167 par Frédéric Barberousse en personne et en 1173 par l’archevêque Christian de Mayence. Sur ce contexte général, on consultera avec profit l’étude très fouillée, traduite en italien, de l’historien allemand J. F. LEONHARD, Ancona nel Basso Medio Evo. La politica estera e commerciale dalla Prima crociata al secolo XV, Ancona, 1992.
6 Sur le contexte général de la seconde moitié du XIIe siècle en Italie et l’affrontement entre le Sacerdoce et l’Empire, voir R. MANSELLI, « Egemonia imperiale, autonomia comunale, potenza politica della Chiesa », dans Storia d’Italia, (dir.) G. Galasso, t. IV, Turin, 1981, p. 61-136, en part. p. 104-116, et M. NATALUCCI, « Gli imperatori della casa sveva e la Marca di Ancona », Studia Picena, 31, 1963, p. 8-33. Pour la situation d’ensemble des Marches : P. PARTNER, The Land of Saint-Peters, Berkeley, 1972.
7 MGH, Legum, IV : Constitutiones et Acta, (éd.) L. Weiland, t. I, Hanovre, 1893, n° 26, p. 54.
8 En 1168, un troisième antipape proimpérial, Calixte III (1168-1178) a succédé à Victor IV (1159-64) et à Pascal III (1164-68).
9 Cf. J. F. LEONHARD, op. cit., p. 24-28 et 52-57.
10 G. OSTROGORSKY, Histoire de l’État Byzantin, 2e éd., Paris, 1976, p. 405-410.
11 J. F. LEONHARD, op. cit., p. 40-53 ; J. CHALANDON, Les Comnènes, t. II, Paris, 1912, p. 349 sq.
12 Le rappel de ces événements, ainsi que le paragraphe suivant, reprennent l’information réunie essentiellement par J. F. LEONHARD, op. cit., p. 53-57.
13 Aucune source n’étaye l’affirmation de M. Natalucci selon laquelle Ancône était devenue la « base de la flotte de Manuel Comnène » (art. cité n. 8, dans Studia Picena, p. 10).
14 Ibid., p. 57-58 pour la présentation des sources ; l’information sur la durée du siège a été publiée par P. SCHREINER, « Der Dux von Dalmatien und die Belagerung Anconas in jahre 1173 », Byzantion, 41, 1961, p. 285-311, cité par J. F. LEONHARD, op. cit., p. 86 (note 453). La date du début du siège est controversée : puisque l’on sait que le siège a été levé en octobre, il aurait commencé en avril ; or Boncompagno le fait débuter à la fin mai, à l’époque de la soudure alimentaire (Liber…, p. 13) : In exitu mense madii, quando cibaria rarescunt.
15 Guglielmo Adelardi, dit de Marchisella, fils de Bulgaro II et d’Adelasia d’Este, gouvernait Ferrare avec son propre frère Adelardo depuis 1146 ; la comtesse Aldruda était issue de la noble famille romaine des Frangipani ; elle épousa peu après 1120 le comte Raniero Ier de Bertinoro, dont elle devint veuve rapidement (cf. F. EHRLE, « Die Frangipani und der Untergang des Archivs und der Bibliothek der Päpste am Anfang des 13 Jahrundert », dans Mélanges offerts à E. Châtelain, Paris, 1910, p. 485 sq.).
16 Résumé des événements dans J. F. LEONHARD, op. cit., p. 60-62. Il se fonde principalement sur le récit de Boncompagno.
17 Liber, p. 8, l. 14-17.
18 Liber, p. 34, l. 4-5.
19 Il n’est pas indifférent de constater que l’auteur, à la suite du prologue, commence son récit proprement dit par la formule Incipiunt hystorie obsidionis (Liber, p. 5, l. 15) : il rapporte donc une collection de récits.
20 Liber, p. 17, l. 3-8 ; 18, l. 3-12 ; 19, l. 10-13 ; 23, l. 3-8 ; 31, l. 20 à 32, l. 20. 50 lignes dans l’édition sont consacrées aux effets de la famine, soit autant que pour les combats, en y incluant le simulacre de l’attaque de l’armée de secours. La famine est également retenue comme fait principal du siège par Salimbene de Adam, qui a lu le récit de Boncompagno (Chronica, (éd.) O. Holder-Egger, MGH SS 32, Hanovre, 1953, p. 2).
21 Ainsi, ibid., p. 21, l. 9-10 : Porro Anconitani, fame valde oppressi, quendam sapientem virum ad cancellarium transmiserunt…
22 Liber, p. 19, l. 4-10 ; cette action se situe pendant la tentative d’assaut conduite par Christian de Buck et les Vénitiens, qui est le combat le plus longuement décrit dans toute la chronique.
23 Ibid., p. 20, l. 3, à 21, l. 8 : cet épisode fait l’objet d’un paragraphe spécifique, long de 21 lignes, soit d’autant que les récits de la tentative d’assaut et de l’exploit de la veuve Stamira réunis.
24 Entre la p. 9 et la p. 23 de l’édition de G. C. ZIMOLO, qui compte 53 pages au total.
25 Liber, p. 33, l. 1-10 ; le seul développement strictement narratif vers la fin concerne l’arrivée de l’armée de secours (p. 39-40).
26 Il sera le premier podestat de Ravenne en 1181.
27 Liber, p. 27-30.
28 E. ARTIFONI, « Boncompagno da Signa, i maestri di retorica e le città comunali nella prima metà del Duecento », dans Il pensiero e l’opera di Boncompagno da Signa, Signa, 2002, p. 23-36.
29 Liber, p. 24-27 : le discours fait 42 lignes ; la référence au précédent siège est p. 24, l. 14 à 25, l. 2 : Fui eo tempore vir consularis, quo rex Lotarius nos in manu valida obsedit, credens civitatem servituti perpetue subjugare. Recessit tandem, spe propria frustratus et honeratus proprio labore ; nam ante ipsum et postea quidam imperatores idem facere temptaverunt, qui suum similiter propositum nequiverunt ducere ad effectum.
30 Ibid., p. 36-37 : discours de 38 lignes. Boncompagno, dans un discours à la syntaxe systématiquement binaire, multiplie dans la bouche du légat les métaphores animalières et des considérations sur le port de la barbe sans rapport direct avec le sujet du propos. On ne sait s’il recherche consciemment un effet comique dans cet exercice stylistique qui emprunte ses images aux Variæ de Cassiodore, très étudiées dans les écoles de rhétorique.
31 Guglielmo Marcheselli aux p. 40-41 (41 lignes) et Aldruda Frangipani aux p. 42-44 (38 lignes).
32 Liber, p. 53-54 (38 lignes). L’auteur affirme l’avoir retranscrit d’après l’audition in vivo : Cuius orationem tunc, ipso referente, audivi ; unde illam huic operi conscribere procuravi. Orationis vero tenor hic fuit :.
33 Liber, p. 18.
34 Bernardo Marago, Annales Pisani, (éd.) M. L. Gentile, RIS 6, 2, 1930-36 ; Breviarum Historiae Pisanae, éd. RIS VI ; Romuald de Salerne, Chronicon, (éd.) C. A. Caruffi, RIS, 7, 1, 1909-1935, p. 265 ; Alberto Milioli, Chronica Imperatorum, (éd.) O. Holder-Egger, MGH SS 31, 1903, p. 642 sq. ; Historia Ducum Veneticorum, (éd.) H. Simonsfeld, MGH SS 14, 1883, p. 81.
35 Gesta Archiepiscoporum Magdeburgensium, (éd.) G. Schum, MGH SS 14, 1883, p. 416 ; Annales Stadtenses, (éd.) M. J. Lappenberg, MGH SS 16, 1859, p. 347 ; Chronica Regia Coloniensis, (éd.) G. Waitz, MGH Rer. Germ. 18, 1880, p. 121 ; Annales Venetici breves, (éd.) H. Simonsfeld, MGH SS 14, 1883, p. 72 ; Magister Tolosanus, Chronicon Faventinum, (éd.) G. Rossini, RIS 28, 1, 1936-39, p. 85.
36 Jean Kinnamos, Epitome historiarum, (éd.) A. Meineke, CHSB, Bonn, 1836, VI, 12, p. 288 ; Niketas Choniatès, Byzantina Historia, (éd.) I. Bekker, CSHB, Bonn, 1835, VII, 1, p. 262 sq. ; Eustathe de Thessalonique, Oratio ad Manuelem Imperatorem V, (éd.) W. Regel, Fontes rer. Byz., I, 1, Saint-Pétersbourg, 1892, VI, p. 109 sq.
37 L’Annalista Saxo, (éd.) G. Waitz, MGH SS 6, 1844, p. 770-72 ; Otton de Freising, Gesta Friderici Imperatoris, (éd.) Hofmeister, MGH Rer. Germ., 45, 1912, p. 337 ; Historia Welforum Weingartensis, (éd.) L. Weiland, MGH Rer. Germ., 43, 1869, p. 31 ; Burchard von Ursperg, Chronicon, (éds) O. Holder-Egger, B. V. Simson, MGH Rer. Germ., 16, 1916, p. 15.
38 Vincent de Prague, Annales Pragenses, (éd.) W. Wattenbach, MGH SS 17, 1861, p. 683 ; l’Anonyme de Lodi, Chronicon Universale, (éd.) G. Waitz, MGH SS, 16, 1882, p. 183 ; Oberto Cancellario de Gênes, Annali Genovesi, (éds) L. T. Belgrano, C. Imperiale di Sant’Angelo, FIS, 11-14, 1890-1929, p. 203. Les autres sources, qui mentionnent brièvement l’événement, sont en majorité allemandes, à l’exception de Romuald de Salerne (cf. note 33) et des Annales Cassinenses, (éd.) G. Pertz, MGH SS 19, 1866, p. 312. Cf. J. F. LEONHARD, Ancona nel Basso Medio Evo…, op. cit., p. 52-55.
39 Le terminus ante quem est fixé au 9 février 1137, l’empereur se trouvant encore à San Casciano à la Chandeleur ; le terminus post quem est le 9 avril, jour où l’empereur signe un diplôme à Fermo (J. LEONHARD, op. cit., p. 33).
40 Liber, p. 24, l. 14 à 25, l. 2. Cf. note 28.
41 J. F. LEONHARD, op. cit., p. 52-56.
42 C’est notamment ce qu’affirme Oberto Cancelliere, généralement bien informé, dans les Annales Genuenses (FIS, 11-14, 1890-1929, p. 203) : « Alors l’empereur, très heureux de la débâcle des Romains, s’employa avec zèle à signer un pacte avec les Anconitains, par lequel les présents auraient considéré que le retrait de l’empereur était justifié par le fait que la cité d’Ancône aurait intégralement rempli la volonté de l’empereur ».
43 Liber, fin du prologue, p. 5 : quia crebra lectio legenti sensum incorporat medullum.
44 Ibid., p. 18, l. 18-21 : In prelio siquidem ita erant universi permixti, quod se ad invicem cognoscere nequibant, et vix poterant unus alium videre pre multitudine pulveris qui aerem inficiebat ; aures autem omnium, propter clangorem tubarum, equorum strepitum et bellantium voces, tam erant obtuse, quod nullus poterat discrete intelligere que dicebantur.
45 Ibid., p. 11, l. 1.
46 L’action de la veuve Stamira appelle un rapprochement avec Jeanne Laisné dite Jeanne Hachette défendant Beauvais en 1472 contre l’armée de Charles le Téméraire ou Catherine Ségurane à Nice contre les Turcs en 1543.
47 C’est bien l’aspect du siège que retient également par la suite Salimbene de Adam, qui ouvre sa chronique sur le rappel de trois faits contemporains aux conséquences importantes : l’expulsion des marchands vénitiens hors de Constantinople, l’édification d’Alessandria et le siège d’Ancône : in tantum [archicancellarius] obsesse artavit, ut immundas carnes et coria condita ceteraque illicita vel inmunda comederent et caput asini centum quadraginta denarios venderent. Et tamen invicti viriliter restiterunt… MGH SS 32, Hanovre, 1953, p. 2. Salimbenerésume dans cette phrase le passage de la p. 31 du récit de Boncompagno. À noter qu’il établit une conversion de la valeur du besant.
48 Guglielmo III Adelardi, issu par son père d’une puissante famille seigneuriale qui gouverna un temps la ville de Ferrare, était également parent, par sa mère Adelasia, de la famille d’Este qui devait lui succéder. Boncompagno précise que Guglielmo était aussi parent (consobrinus) de Pietro Traversario, noble de Ravenne. Aldruda Frangipani appartenait à la haute noblesse romaine. Elle épousa vers 1220 le comte Raniero II de Bertinoro, vassal de l’archevêque de Ravenne, dont elle devint rapidement veuve. Voir P. FEDELE, « Le famiglie di Anacleto II e di Gelasio II », Arch. della Reale Società Romana di Storia Patria, XXVII, 1904, p. 424 sq., et O. PANVINI, De gente Fregepania libri IV, éd. partielle E. Celani dans Nuovo Archivio Veneto V, 1893, p. 479-486.
49 Ibid., p. 29, l. 10-11.
50 Ibid., p. 30, l. 12-14 : Scitis, o viri nobiles et potentes, quod frater meus non est papa vel episcopus, qui possit vos solvere a vinculo iuramenti. Nam ego ipse vobiscum iuravi, si evidens impedimentum non comparuerit, ire Anchonam pro liberatione civitatis.
51 Ibid., p. 31, l. 15-19.
52 Ibid., p. 41, l. 15-16 : Et licet plurimi eorum sint filii nobilium, in hoc se maxime denobilitarunt, quod raptorum catervis cupiunt aggregari.
53 Ibid., p. 41, l. 23 : Non sunt ergo milites qui sub eo militant, sed raptores.
54 Cependant, l’affirmation de la minorité de son fils dans le texte de Boncompagno, n’est pas confirmée par les sources, lacunaires, dont disposent les historiens de la famille Frangipani : à la date de 1173, il se peut que ses deux fils soient déjà morts. Sur les droits des veuves, voir La veuve et le veuvage dans le Haut Moyen Âge, Paris, 1993.
55 Liber, p. 43, l. 2-3 et 7-8.
56 Ibid., p. 33, l. 1 à 34, l. 14 : le développement comprend 32 lignes.
57 Si l’on ajoute à la présentation du siège naval par les Vénitiens, l’épisode du prêtre Jean qui les met en scène, et l’assaut contre les maisons du port, 48 lignes leur sont consacrées dans la chronique.
58 L’Historia Ducum Veneticorum, op. cit., rédigée à l’initiative du doge Andrea Dandolo vers le milieu du XIVe siècle, précise ce point de vue, mais son analyse ne dépend pas de Boncompagno : Oderant enim Veneti Anconitani, tum propter inimicicias que inter eos fuerant, cum etiam propter inimicos eorum Grecos, quos ipsi in odium et contrarietatem Venetiarum suscipiebant. Dux autem, non ad requirentis favorem sed ad Anconitanorum excidium, quos ut Emanuelis fautores iam diu exosos habuerat (p. 81 et 261). La Chronica d’Andrea Dandolo ((éd.) E Pastorello, RIS 12, 1, 1938-1958) confirme la volonté des Vénitiens d’isoler Ancône : Dux, inter Venetos et Anconitanos successive invalescente discordia, cum consulibus et communi Arimini pacta componens viam maris illis taliter undique clausit, quod inter exire penitus formidabant (p. 262).
59 L’archevêque de Mayence est au contraire nommé 8 fois et intervient comme l’un des « orateurs » de la chronique.
60 Cette précaution est renforcée par le fait que le commanditaire, Ugolino Gosia erat enim iustitie atque imperatoris miles, pro quibus obtinebat insigna duplicis honoris (Liber, p. 52, l. 6-7).
61 Liber, p. 26, l. 9-10 : quod raro potest inter Latinos et Theutonicos perfecta dilectio inveniri.
62 Ibid., p. 26, l. 10-11 : Reminiscamini tandem maxime urbis Mediolani, quam Fredericus imperator modernis temporibus cum Lombardis per septennium [sic] obsedit.
63 C’est ce qu’il fait dire à Guglielmo Marcheselli : Praeterea scire debetis qui sunt [inimici], contra quos arma movemus. Qui sunt ignoratur, quia non est certum relativum substantie, cum de omnibus mundi partibus sola necessitatis causa convenerint ad vivendum, et non considerant quem secuntur, sed quid consequi possunt. Omnes enim homines sunt inimici eorum. (« De plus, vous devez savoir qui sont ceux contre lesquels nous portons les armes. Qui ils sont, on l’ignore ! car ce qui relève de leur existence n’est pas certain, puisque seule la nécessité d’assurer leur subsistance les pousse à se réunir et qu’ils ne considèrent pas qui ils suivent, mais ce qu’ils peuvent obtenir. De ce fait, tous les hommes sont leurs ennemis ».)
64 Cf. E. ARTIFONI, « Boncompagno da Signa, i maestri di retorica e le città comunali… », op. cit., n. 28, p. 35.
65 Sur Ugolino de Gosia, voir G. FANTUZZI, Notizie degli scrittori Bolognesi, IV, Bologne, 1784, p. 193. Deux des manuscrits du Liber ajoutent au portrait du podestat d’Ancône un rappel de sa famille. Cf. (éd.) C. G. Zimolo, dans la Préface et p. 4 de l’édition.
66 Liber, p. 4, l. 1ss : Petivistis a me ut librum, quem de obsidione anchonitana tractaveram, studiosus corrigerem… et deducerem in comune.
67 Ibid., p. 31, l. 1-19 : ce long portrait hyperbolique peut être lu comme une dédicace ; p. 46, l. 5 à 47, l. 5 pour la réception par Manuel Comnène.
68 Si l’on en croit, du moins, Salimbene de Adam à propos de la critique adressée par Boncompagno à un autre maître de Bologne, qui affirmait avoir construit un engin pour voler. Boncompagno convoqua un jour le peuple de Bologne sur le Monte S. Pietro, affirmant qu’il était lui aussi capable de faire une démonstration de vol. Lorsque la foule se fut amassée, il lui déclara : « vous ne m’avez pas vu voler, mais vous avez vu au moins mon visage ». Salimbene de Adam, Chronica, (éd.) O. Holder-Egger, MGH SS 32, Hanovre, 1953, p. 77.
69 Ainsi, les envoyés d’Ancône qui parviennent à franchir les lignes des assiégeants se rendent en Italie du nord cum ingenti pecuniam (p. 27), et le légat rappelle dans son discours : recordemini tandem beneficiorum potentis, sublimis, excelsi Emmanuelis Imperatoris qui faciet in capite omnium platearum vestrarum currere flumen aureum (p. 36, l. 12-14).
70 Liber, p. 40, l. 23-24 : excogitavi continuo summam esse virtutem consimilia gravamina patientibus pro tuenda libertate favorem et patrocinium exhibere.
71 Cette idée est sans doute tirée des œuvres juridiques du Placentin. Elle sera reprise par Dante, en déploration au chant VI, 76 du Purgatoire de la Divine Comédie (cf. (trad.) L. Portier, Paris, 1987, p. 223).
72 Lettre adressée par Coluccio Salutati au nom de la Seigneurie de Florence aux Anconitains le 13 fév. 1376 pour les inciter à se révolter contre la papauté : Nec potuit totius orbis princeps populus Italiam armis subigere donec in societatem imperii pene omnes Italos receperunt, iungentes eos sibi federibus libertate atque civitate donantes… Cogitate vos esse Latinos quorum proprium et naturale est presidere cunctis gentibus, non servire. R. G. WITZ, Coluccio Salutati and his public letters, Genève, 1976, p. 99-100.
73 Pour l’analyse de ce texte, nous nous permettons de renvoyer à notre étude : « Bastilles médiévales : les communes à l’assaut des forteresses princières », Religion et société urbaineau Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget, Paris, 2000, p. 383-402.
74 Traduction Ph. Jansen, établie d’après Boncompagno da Signa, Liber de Obsidione Ancone, (éd.) G. C. Zimolo, RIS, 6, 3, 1937, aux pages indiquées.
75 Ibid., p. 18-19.
Auteur
Université de Nice-Sophia Antipolis
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