Le jour où la « reconquête » commença : jeux d’écritures et glissements de sens autour de la bataille de Covadonga (VIIIe-XIIIe siècles)
p. 41-58
Texte intégral
1Beaucoup de pages ont été écrites sur la bataille de Covadonga, première victoire (ou supposée victoire) des chrétiens contre les musulmans après l’invasion musulmane de 711. L’objectif étant ici de comprendre comment un événement jugé fondateur a été rapporté, puis, ultérieurement, instrumentalisé pour servir des intérêts particuliers, nous laisserons de côté la question épineuse de l’historicité, pour nous contenter de donner, brièvement, quelques données indispensables à la compréhension de ce qui va suivre.
2Covadonga, de cova dominica, grotte du Seigneur, est donc le nom d’une bataille remportée par les chrétiens asturiens contre les musulmans d’Espagne. La réalité de son existence, qui a suscité un certain nombre d’interrogations et des jugements variés, n’est généralement plus mise en doute aujourd’hui1. Depuis Claudio Sánchez Albornoz, qui s’était appuyé sur une source arabe, sa date est le plus souvent fixée à 722, mais on donne aussi parfois 7372. Au-delà de ce point d’érudition, qui n’apparaît pas d’une importance fondamentale, il reste deux sujets de discorde principaux. Qui était exactement Pélage, le vainqueur chrétien ? S’agissait-il d’un indigène asturien, ou bien d’un aristocrate, voire d’un fonctionnaire wisigoth3 ? Quelle fut par ailleurs l’ampleur réelle de la bataille ? Événement militaire décisif pour le futur des chrétiens hispaniques, ou simple escarmouche4 ? Il est un fait en tout cas que Covadonga devint au cours même du Moyen Âge, et plus encore aux époques moderne et contemporaine, le point de cristallisation d’un sentiment qui peut être qualifié de national et qui s’appuyait largement sur le concept de reconquête. Si les esprits sont aujourd’hui, généralement, assez sereins, il est encore possible de trouver dans la production scientifique quelques éclats qui suggèrent que certains au moins des enjeux de Covadonga sont encore bien vivants.
Naissance d’un mythe : la Chronique d’Alphonse III
3La bataille de Covadonga est mentionnée pour la première fois, en tout cas sous ce nom, dans la Chronique d’Alphonse III. Datant du début des années 880, retouchée au début du Xe siècle, celle-ci nous a été conservée dans deux versions différentes, l’une étant appelée Rotense du nom d’un manuscrit de San Millán de la Cogolla trouvé à Roda, l’autre portant le nom d’Ovetense (ou parfois « érudite »), en référence au manuscrit d’Oviedo qui nous l’a transmise. Une question longtemps agitée, mais à peu près résolue aujourd’hui, est celle du rapport entre les deux textes. Claudio Sánchez Albornoz, et encore Yves Bonnaz, faisaient d’Ovetense une réécriture de Rotense5. Cependant, les derniers éditeurs de cette chronique ont montré sans se concerter que les deux versions dépendaient d’un archétype commun et perdu, rédigé à l’époque du roi Alphonse III. Cet archétype fut retouché entre 910 et 914 (règne de Garcia Ier) pour ce qui est de l’Ovetense, entre 914 et 924 pour la Rotense (règne d’Ordoño II)6.
4Le récit de la bataille de Covadonga pose un problème particulier, qu’il convient de poser brièvement. En effet, il est possible que cette pièce ait d’abord été indépendante, puis intégrée comme pièce rapportée à la Chronique d’Alphonse III. Mais à quelle date ? L’enjeu est important, car les quelques paragraphes dont il est question peuvent être le reflet plus ou moins transformé, soit de ce qui se passa et de ce que l’on pensait dans la première moitié du VIIIe siècle, soit d’une volonté de construire le passé bien après les événements. L’argument majeur en faveur des tenants d’un « récit primitif de Covadonga » est la présence d’une formule de la Rotensis, ut supra dixi, qui précède une phrase mentionnant la réunion de l’armée des Goths7. Incontestablement, cette formule semble déplacée. Est-il totalement certain, cependant, qu’elle ne peut résulter d’une maladresse de l’auteur, qui avait affirmé quelques lignes plus haut que Pélage, le chef des chrétiens, se trouvait sur le mont Auseba cum sociis suis ?… Admettons cependant comme vraisemblable l’existence d’un texte antérieur. Il reste, on l’a compris, à dater celui-ci, et donc, du même coup, la naissance du mythe. Dans un livre récent, A. P. Bronisch a relevé un emprunt du récit de Covadonga à une messe, dite De hostibus, dont il propose peu ou prou de faire un reflet liturgique de la bataille8. Je ne rentrerai pas ici dans les détails de son argumentation, ni dans ceux d’une possible contre-argumentation9. Il suffira de rappeler que dans l’état où il existe aujourd’hui, le texte de Covadonga ne peut remonter au VIIIe siècle : le fait que l’auteur puise dans le Passionnaire hispanique de la même façon avant, pendant et après le récit, tout comme l’utilisation d’au moins un texte qui peut difficilement être antérieur à la fin du IXe siècle, s’y opposent. On peut donc considérer comme raisonnable l’hypothèse selon laquelle si le récit de Covadonga a connu une existence indépendante avant la rédaction de la chronique, il peut très bien avoir été rédigé vers la même époque, soit sous le règne d’Alphonse III. Tel qu’elle nous est parvenue, en tout cas, cette pièce narrative date bien de la fin du IXe ou du début du Xe siècle. Notons d’ailleurs que l’auteur de la chronique Albeldense, qui écrit vers 881-883, connaît la bataille et le rôle de Pélage mais les mentionne sans faire allusion à aucun des faits miraculeux présents dans la Chronique d’Alphonse III10.
Que nous apprend donc celle-ci sur la première victoire chrétienne face à l’islam péninsulaire11 ? Pélage, dont Rotensis fait un « spathaire » des derniers rois wisigoths mais qu’Ovetensis présente comme fils de Fafila et issu d’un “sang royal », se réfugie dans les Asturies et prend le parti de« sauver l’Église”12, non sans avoir d’abord servi le gouverneur local, Munnuza. Lorsque les soldats de celui-ci viennent l’arrêter, il se réfugie sur le mont Auseba, dans une grotte qui lui sert de refuge. Les Asturiens le choisissent alors comme princeps13. Une immense armée est envoyée depuis Cordoue sous la direction d’Alcama accompagné d’Oppa, un fils de Witiza que Rotensis présente comme archevêque de Tolède et Ovetensis comme métropolitain de Séville14. La grotte est assiégée. Une discussion s’engage entre Oppa et Pélage, le premier tentant de faire accepter au second l’inévitable domination musulmane. Pélage répond en citant l’Évangile et les Psaumes. L’Église renaîtra15, et du monticule où les deux hommes se trouvent, viendra “le salut de l’Espagne et la restauration de l’armée du peuple goth”16. Dieu est du côté des chrétiens, qui ne doivent pas redouter le combat. Celui-ci s’engage alors, et un premier miracle intervient très vite : les pierres envoyées sur la grotte par les musulmans reviennent sur eux et sèment la mort dans leurs rangs. Les “chaldéens” sont alors contraints de prendre la fuite. Alcama est tué, Oppa est capturé. Les débris de l’armée assaillante, soit soixante-trois mille hommes, s’échappent par le sommet du mont Auseva mais celui-ci, second miracle, s’écroule sur eux et les précipite en contrebas dans le fleuve appelé Deva. Le Dieu qui avait ouvert la Mer rouge pour laisser passer les “fils d’Israël” a englouti les “arabes” sous “l’immense masse de la montagne”. La “patrie” est repeuplée, les églises “restaurées”, les fidèles, enfin, peuvent rendre grâces à Dieu17.
5Au cœur de la narration se trouvent deux personnages, Pélage et Oppa. Si le premier, nous l’avons vu, a fait l’objet d’interprétations divergentes, le second ne pose pas moins de problèmes. Ainsi, de quel siège Oppa était-il le prélat ? Les deux versions sont ici contradictoires. Pour la Rotense, il était métropolitain de Tolède et fils du roi Witiza. Pour la l’Ovetense, il était métropolitain de Séville18. Nous verrons bientôt comment ces informations contradictoires ont été reçues par les chroniqueurs du Moyen Âge central. Dans un premier temps, contentons-nous de rappeler ce que l’on sait en termes de « réalités ». On possède en effet un catalogue des évêques des sièges de Séville, Tolède et Elvire, copié à la fin du Xe siècle dans un manuscrit célèbre, le Codex Aemilianensis19. Aucun Oppa n’apparaît parmi les évêques de Tolède, mais il y a en revanche un Oppani, dans une position acceptable, parmi ceux de Séville. Il semble donc raisonnable de retenir la solution sévillane. Dans ces conditions, en présentant Oppa comme le métropolitain de Tolède, l’auteur de la Rotensis a peut-être cédé à un sentiment anti-tolédan qui est effectivement attesté dans les Asturies depuis l’époque de la lutte contre l’adoptianisme, à la fin du VIIIe siècle. Reste le problème des origines familiales d’Oppa, présenté dans les deux versions comme le fils de Witiza, alors qu’un texte beaucoup plus proche des événements, la Chronique de 754, en faisait son frère et le fils du roi Égica20.
6À l’évidence, pour un lecteur du IXe siècle, le récit de Covadonga était chargé de sens. De façon très claire, il posait le caractère providentialiste de l’Histoire de l’Espagne. C’est parce que les derniers rois, et tout particulièrement Witiza, s’étaient mal comportés, que Dieu avait puni le peuple goth. Pour Rotensis
parce qu’ils avaient complètement abandonné le Seigneur en refusant de le servir en justice et en vérité, le Seigneur les a délaissés en les empêchant d’habiter la terre de leurs vœux21.
7Même discours dans la version Ovetensis, avec cependant une insistance sur le rôle négatif des prêtres :
Accablés par le poids des péchés, ceux des prêtres en vérité et les leurs, et se trouvant privés de protection par la trahison des fils de Witiza, toutes les troupes des Goths furent mises en fuite et détruites par l’épée22.
8Dans ces conditions, la bataille de Covadonga n’est rien d’autre que le renouveau de l’alliance entre Dieu et les goths, qui retrouvent un chef moralement irréprochable. Sans doute celui-ci a-t-il d’abord servi les musulmans (la chronique ne parvient pas à le dissimuler), mais il se dresse contre les occupants lorsque Munnuza, gouverneur de Gijón, veut épouser sa sœur. Pour Pélage qui le dit clairement à l’évêque Oppa, le but est « le salut de l’Espagne et la restauration de l’armée du peuple goth ». Suivent les miracles et l’allusion finale à Moïse franchissant la Mer rouge23. Dieu s’est bien réconcilié avec son peuple.
9Le récit de Covadonga est aussi éminemment politique24. Les rois, voire, dans l’Ovetensis, les rois et les prêtres, étaient coupables de la chute25. Mais dans les deux versions, seuls le princeps, puisque c’est ainsi qu’est appelé Pélage, peut être considéré comme responsable du redressement. Le corps clérical, quant à lui, est exclusivement représenté par un prélat, Oppa, dont le rôle est rigoureusement négatif. Mieux, ou plus grave encore, Oppa est le seul clerc présent dans la Chronique d’Alphonse III26 ! Les clercs ne jouent donc aucun rôle (sinon négatif) dans la recréation de l’ancienne alliance, qui est le fait du roi et du peuple goth. Le passage décrivant la bataille et ses prémices montre ainsi clairement ce que l’on peut considérer comme le « moteur » de l’histoire hispanique : un roi chrétien gouverne l’Église et le peuple goth27. Le salut de l’Espagne est opéré par des laïques et l’Histoire, si elle est chrétienne, n’est pas cléricale :
alors seulement, le troupeau des fidèles est rassemblé, la patrie est repeuplée, les églises sont restaurées, et tous les fidèles ensemble rendent grâce à Dieu.
10Après tout, l’une des images les plus saisissantes de la chronique n’est-elle pas celle de Pélage professant une leçon de christianisme à grand renfort de citations psalmiques, devant un archevêque de Tolède traître et collaborateur ?
11Le récit de Covadonga est donc conçu sous le double angle du providentialisme et d’une sorte d’ecclésiologie royale dans laquelle l’Église n’est pas un acteur mais une construction : un schéma qui correspond parfaitement à ce que l’on sait des réalités politico-religieuses du haut Moyen Âge hispanique. Nous avons véritablement affaire à un récit fondateur, qui sera systématiquement repris par la suite. Mais il fera alors l’objet de réaménagements subtils et d’implicites glissements de sens. Me limitant aux sources latines et ne poussant par conséquent que jusqu’au début du XIIIe siècle, j’en ai relevé quatre principaux.
Glissement de sens
La médiation de la Vierge
12La grotte de Covadonga est généralement associée à un culte marial. Dans la Chronique d’Alphonse III, cependant, la présence de la Vierge est des plus discrètes. Dans la version Ovetensis, la Vierge est citée deux fois : dans un premier temps, il est question de la Cova sanctae Mariae, sans autre précision28. Un peu plus loin, on apprend que les pierres lancées par les machines des musulmans parviennent ad domum sanctae semper virginis29. C’est cependant, très clairement, au Seigneur qu’est attribué le miracle. La fin du texte affirme en effet l’identité de l’auteur du miracle de Covadonga et de celui qui engloutit jadis dansla Mer Rouge les Égyptiens qui persécutaient Israël30. Dans la version Rotensis, la première mention de la grotte signale simplement « une caverne sur le flanc de la montagne, que Pélage savait être sûre »31. Il est ensuite question d’une Covam dominicam, qu’il apparaît plus juste de traduire par « grotte du Seigneur » que par « grotte de Notre Dame »32. La référence à la Vierge n’intervient qu’au moment des combats, lorsque les projectiles parviennent « à la demeure de la sainte Vierge Marie »33. En définitive, si la Vierge est indéniablement associée à la grotte de « Covadonga » depuis le IXe siècle, elle ne joue alors qu’un rôle mineur. Marie n’intervient ni directement ni indirectement dans le combat et la victoire ne lui est attribuée dans aucune des deux versions de la chronique. La fortune de Pélage découle d’un rapport non médiatisé entre le peuple élu des Goths menés par leur roi, et Dieu, dans un cadre clairement vétéro-testamentaire.
13Au début du XIIe siècle, dans une chronique sans doute rédigée à León et abusivement connue sous le nom d’Historia Silense34, ce schéma change fortement. Pour ce qui est de Covadonga, la Silense suit de près la Chronique d’Alphonse III mais elle introduit plusieurs changements. L’un des principaux réside dans l’affirmation d’un recours à la double médiation du Christ et de la Vierge. Dans sa réponse à Oppa, Pélage signale d’abord qu’avec ses compagnons, il méprise ses assaillants car il peut compter sur Jésus Christ comme avocat auprès du Père35. La phrase était dans la chronique d’Alphonse III. Reprenant, dans la même fidélité au texte modèle, la métaphore du grain de sénevé, il ajoute un peu plus loin, et sans dépendre cette fois-ci de personne, que la renaissance du peuple goth s’effectuera « par l’intercession de la mère de notre Seigneur, qui est mère des miséricordes »36. Enfin, juste à la fin du discours de Pélage, l’auteur de la Silense affirme que « frappés par la peur de l’ennemi », les assiégés
insistèrent suppliants dans leurs prières, nuit et jour, pour la récupération des chrétiens, implorant les suffrages de la bienheureuse Marie que l’on adore encore aujourd’hui dans cette grotte37.
14D’une façon ou d’une autre, le rôle de la Vierge a ensuite été mis en valeur dans les textes ultérieurs. Faut-il n’y voir qu’un ajout sans importance ? Rien n’est moins sûr. En effet, deux autres passages au moins de l’Historia Silense montrent que le recours aux médiateurs et le concept d’intercession acquièrent alors dans le plan de l’Histoire une importance sans précédent dans les chroniques hispaniques. Ainsi dans le récit du règne de Ramire Ier (842-850), le chroniqueur raconte comment le roi fit construire sur le mont Naranco une église dédiée à saint Michel. Elle convenait bien, nous dit-il, à l’archange Michel, car celui-ci avait « partout donné la victoire au roi sur ses ennemis »38. Mention qui serait presque anodine si elle n’était, sans doute, la première à mentionner, dans l’historiographie hispanique, l’aide guerrière d’un saint à un roi ou à un peuple. L’Historia Silense est par ailleurs le premier texte à relever, sinon une intervention directe, du moins un intérêt prononcé de saint Jacques pour les victoires chrétiennes face aux musulmans. L’épisode est bien connu : à la veille de la prise de Coimbra (1064), l’apôtre apparaît sur un cheval au roi Ferdinand Ier. Il se définit comme bonus miles et prédit la victoire pour le lendemain39.
15Ces différents passages nous disent la même chose : la dynamique des victoires chrétiennes a changé depuis les chroniques du IXe siècle. Aux origines de l’idéologie de « Reconquête », et pour commencer dans le récit/événement fondateur de Covadonga, Dieu intervenait directement dans les batailles en vertu d’une sorte de contrat passé avec le roi, représentant devant lui du peuple goth. Le refus des médiations cléricales, que nous avons déjà remarqué, avait donc pour pendant celui des médiations surnaturelles. Mais à partir de l’Historia Silense, il faudra en passer par les saints, par le Christ ou par la Vierge. On pourrait montrer sans trop de peine que les chroniques des XIIe et XIIIe siècles valorisent parallèlement le clergé, d’une façon totalement étrangère aux auteurs de la Chronique d’Alphonse III40. C’est bien l’arrivée au premier plan d’un double système de médiations, cléricales et surnaturelles, que révèle la Silense. La perception de Covadonga en ressort notablement transformée.
Oppa de Tolède ou Oppa de Séville ?
16Nous avons vu qu’en faisant d’Oppa un archevêque de Tolède, l’auteur de la Chronique d’Alphonse III avait peut-être cédé à un sentiment anti-tolédan, vu aussi les incertitudes quant aux origines du « traître ». Cette question resurgit au début du XIIIe siècle dans les œuvres complémentaires et subtilement divergentes de Lucas de Tuy et de Rodrigo Jiménez de Rada41. Pour Lucas de Tuy, un léonais qui écrit un Chronicon mundi dans les années 1220-1230, Oppa est bien le fils de Witiza. Le problème du siège fait quant à lui l’objet d’un traitement particulier : selon Lucas, Witiza favorisa son fils Oppa de telle sorte que, contrairement aux décisions des saints canons, il fût archevêque de Séville en même temps que de Tolède42. Comme cette phrase suit la mention du décès de Julien de Tolède, il faut sans doute comprendre qu’Oppa était déjà archevêque de Séville lorsque son père l’installa sur le siège de Tolède. Dans un passage consacré cette fois-ci à Rodrigue, dernier roi des goths, Lucas tire des conséquences importantes de cette construction : expliquant comment le comte Julien et Oppa convainquirent l’infortuné souverain de désarmer l’Espagne sous prétexte que celle-ci ne courait aucun danger, il caractérise le prélat comme « primat de Séville et archevêque de Tolède »43. Ainsi pour Lucas, à la veille de l’invasion, la primatie de l’Église hispanique est sévillane et non tolédane : pour bien mesurer les intentions de notre auteur, il convient de rappeler qu’il était aussi le chantre d’Isidore de Séville, dont les reliques se trouvaient à León depuis 1063 et en l’honneur de qui il écrivit un volumineux recueil de miracles44. León avait donc en un sens repris le flambeau de Séville à une époque où celle-ci se trouvait encore sous domination musulmane. Bien sûr, à l’époque où il écrivait, Lucas savait parfaitement que l’archevêque de Tolède était primat des Espagnes. Mais en rappelant que le traître Oppa avait occupé le siège tolédan alors qu’il était déjà installé sur celui de Séville, ne suggérait-il pas indirectement l’illégitimité d’une primatie fondée sur un cumul originel contraire aux « saints canons » ?
17Archevêque de Tolède dans la première moitié du XIIIe siècle, Jiménez de Rada connaît bien Lucas de Tuy et s’en inspire dans son De rebus Hispaniae, non toutefois sans introduire d’importantes modifications. Ainsi, à propos d’Oppa, il reprend l’information selon laquelle l’adversaire privilégié de Pélage avait été fait archevêque de Tolède alors qu’il était déjà métropolitain de Séville. En revanche, Oppa devient le frère et non le fils de Witiza45. Mais en même temps, Rada suggère clairement que le siège de Tolède, dont il défend les intérêts, n’a pas été véritablement contaminé par une présence évidemment indésirable. Oppa, apprenons-nous, avait été mis sur le siège tolédan par son frère alors qu’un autre prélat, Sinderedus, était en place, « afin d’être impliqué dans un adulère spirituel autant qu’il l’était dans le charnel »46. Dans un autre chapitre, nous découvrons qu’après l’invasion et la victoire des musulmans, ce Sinderedus était parti pour Rome en laissant ses ouailles sans pasteur47. C’est donc qu’Oppa n’occupait pas alors le siège sur lequel l’avait théoriquement placé son frère. Après le départ de Sinderedus, les plus âgés des tolédans avaient choisi Urbain pour lui succéder et Oppa n’avait pas pu l’empêcher car pour reprendre l’expression de notre chroniqueur, « il ne pouvait plus rien faire »48. Le rôle d’Oppa lors de la bataille de Covadonga est ensuite exposé conformément à la tradition, mais la dernière phrase du récit, entièrement due à Rada, marque bien l’importance que celui-ci attachait à la question du « clerc collaborateur », qu’il fallait symboliquement rattacher à Séville et non à Tolède :
Oppa fut capturé par Pélage. Certains disent qu’il fut le fils de Witiza, d’autres qu’il était le frère du conte Julien, mais il est plus juste de dire qu’il fut le fils d’Egica et le frère de Witiza. Quoi qu’il en soit, un fait est certain : il fut archevêque de Séville49.
Relativiser Covadonga
18Le troisième glissement de sens est sans doute le plus subtil : on rapportera tout simplement la chute et le relèvement de l’Espagne chrétienne en relativisant l’importance de Covadonga, voire en passant totalement sous silence la bataille. Deux auteurs, un évêque et un clerc anonyme, peut-être un moine, le font aux XIe et XIIe siècles.
19La Translatio sancti Isidori a été composée vers la fin du XIe siècle par un clerc qui était sans doute d’origine « française ». Divisée en neuf leçons dans le manuscrit qui nous l’a conservée, elle rapporte logiquement comment les reliques d’Isidore de Séville arrivèrent à León en 106350. Cependant, soucieux d’ancrer ce « micro-événement » dans une histoire plus vaste, l’auteur commence par une première leçon tout entière consacrée au thème « Perte et récupération de l’Espagne ». Dans un saisissant résumé, l’auteur passe successivement en revue les responsabilités de Rodrigue, dernier roi des Goths, la ruine de l’Espagne chrétienne, enfin la victoire de Covadonga et les miracles qui la rendirent possible. Sans s’étendre outre mesure sur aucun des thèmes abordés, l’hagiographe conclut : « ceux qui voudront mieux connaître ces événements prendront la peine de lire la lugubre histoire de cette époque », soit la Chronique d’Alphonse III qu’il avait sans aucun doute sous les yeux en écrivant51. De la bataille de Covadonga, cependant, il n’est jamais dit qu’elle marque la restauration de l’Église, comme l’affirmait la Chronique. Implicitement, elle est donc rattachée à l’époque « lugubre » de la domination musulmane. C’est ultérieurement que le peuple goth se relève, petit à petit et grâce à différents rois, nous dit l’auteur52. Dans cette histoire, le vrai grand homme n’est pas Pélage mais Ferdinand Ier. Et pour cause, puisque celui-ci était responsable de la venue à León des reliques d’Isidore… À l’échelle du monastère qui accueille celles-ci, l’événement fondateur est donc bien la translation. Covadonga appartient à une sorte de préhistoire du renouveau, période globalement « lugubre » qui ne fait qu’annoncer la restauration ferdinandienne.
20Ce schéma est assez proche de celui que l’on trouve dans une autre affaire de translation de reliques, celle de l’arca sancta d’Oviedo. On possède pour le seul XIIe siècle plus d’une demi-douzaine de récits de ce qui apparaît à certains égards comme un autre événement fondateur du renouveau chrétien, concurrent par conséquent de la bataille de Covadonga53. Le premier document est un diplôme rapportant l’ouverture de l’arca dans la cathédrale d’Oviedo, en 1075 et en présence du roi Alphonse VI. Le texte, sans doute retouché ultérieurement, est circonstancié. Il nous explique comment, lorsque les musulmans envahirent l’Espagne, de nombreuses reliques furent rassemblées à Tolède dans une arca qui fut ensuite rapidement mise à l’abri à Oviedo54. Dans les versions suivantes, l’arca est désormais fabriquée à Jérusalem. Face à la menace perse, elle gagne l’Afrique puis l’Espagne, avant de se retrouver finalement dans la capitale asturienne. Dès le début du XIIe siècle, l’évêque Pélage, grand idéologue du siège asturien, rapporte les événements dans un récit qui a fait l’objet d’une double transmission, d’une part dans une version interpolée de la Chronique d’Alphonse III, d’autre part dans le luxueux cartulaire enluminé de la cathédrale, le Liber Testamentorum55. Ce n’est que sous cette dernière forme que l’histoire de l’arca apparaît d’un seul tenant, dans un long récit qui précède l’inventaire des reliques.
21Une formule, que l’on retrouve sous une autre forme dans la translation d’Isidore et dans le récit de la Silense, attire l’attention : en effet, après avoir rapporté la victoire musulmane, les auteurs léonais signalaient que la « piété divine » punissait mais savait aussi guérir56. Pour illustrer leur propos, ils enchaînaient sur la geste de Pélage et la victoire contre les musulmans. Ce schéma fournissait alors une grille d’analyse unanimement acceptée pour interpréter la perte de l’Espagne et le renouveau chrétien. Pélage ne dit donc pas autre chose : le désastre de la conquête musulmane ne doit pas être interprété, selon lui, comme une destruction brutale, mais plutôt comme une « correction » infligée aux croyants par la « verge de Dieu », expression tirée des psaumes qu’il reprend… au récit de Covadonga dans la Chronique d’Alphonse III57. Il y a donc dès le début promesse de renaissance. Mais désormais, c’est le récit du périple de l’arca sancta, et non celui de Covadonga, qui sert de démonstration. De la première victoire chrétienne, de Pélage, il n’est plus question. Sans doute fallait-il tout de même, dans ce récit tout entier tourné vers Oviedo, une grande bataille. Pélage la reprend à la Chronique d’Alphonse III. La troisième année du règne d’Alphonse II (791-842), nous explique-t-il, 70000 arabes furent tués par le souverain en un lieu appelé Lutos58. En d’autres termes, le capital symbolique dont était chargé le récit fondateur de Covadonga se voit désormais reporté sur une translation fondatrice et sur les événements qui l’ont accompagnée.
22Pélage l’évêque ne pouvait cependant ignorer complètement la révolte victorieuse de Pélage le roi. Il la rapporte, en suivant fidèlement la Chronique d’Alphonse III, dans une volumineuse compilation de chroniques. Une fidélité qui ne l’empêche pourtant pas, nous allons le voir, de mettre la bataille de Covadonga au service du siège d’Oviedo.
Covadonga au service du siège d’Oviedo
23La version pélagienne du voyage de l’arca sancta ne se trouve pas dans le seul Liber testamentorum. Elle est également présente non pas dans la propre chronique de Pélage, qui ne débute qu’avec le règne de Bermude II (985-999), mais dans une version largement interpolée de la Chronique d’Alphonse III59. Elle y est cependant coupée en deux parties distinctes afin de respecter l’ordre de la chronologie. Le premier récit, qui décrit la façon dont le reliquaire est parvenu à Oviedo depuis Jérusalem, se trouve immédiatement après la mort du roi Rodrique et la victoire musulmane. Implicitement, l’arrivée de l’arca est donc présentée comme l’événement le plus important après 711. La façon dont ce bout de récit est introduit mérite un commentaire. Voici la phrase :
Alors ils (= les Goths) élirent comme princeps Pélage, de lignage royal et fils du duc Fafila, et ils lui confièrent la défense de l’arche aux saintes reliques, qu’ils avaient simultanément amenée dans les Asturies60.
24Dans le cycle d’Alphonse III, le seul événement digne de mention associé au « règne » de Pélage était Covadonga. Or le chroniqueur nous apprend qu’il faut désormais faire une place à la venue de l’arca, qui n’avait pas encore été associée à Pélage mais dont la mention précède désormais le récit de la bataille fondatrice.
25La fin du récit réaffirme le rôle de l’arca dans la restauration d’une Espagne chrétienne. Le prestigieux reliquaire était en effet resté à Tolède, apprenons-nous, jusqu’à la mort de Rodrigue, puis il fut apporté à Oviedo. C’est alors qu’intervient le récit de Covadonga, absent, comme on s’en souvient, dans la version du Liber testamentorum. Pour l’introduire, Pélage signale que les Asturies, où avaient été amenées les reliques, constituent une patria entourée de montagnes et par conséquent difficile d’accès pour les ennemis61. Il ajoute :
Lorsque les sarrasins prirent connaissance du fait, ils envoyèrent vers lui (= Pélage), dans les Asturies, une innombrable armée, avec le chef Alcama, qui avait lui-même pénétré en Hispania en compagnie de Tarik, et avec Oppa, évêque du siège métropolitain de Séville et fils de Witiza, qui fut par sa trahison cause de la mort des Goths62.
26« Lorsqu’ils prirent connaissance du fait » : le « fait » (factum), indéniablement, c’est que a Toleto archam supradictam in Asturiis transferunt. Ce sont donc bien désormais les mouvements de l’arca sancta qui attirent l’attention du pouvoir musulman et qui, du même coup, sont à l’origine de la bataille de Covadonga63. Toute l’histoire de l’Espagne pendant et après la conquête est ainsi réécrite, en partie sur la base de matériaux préexistants, pour faire d’Oviedo un point d’aboutissement nécessaire. La légitimité conférée aux monarques asturiens, dès le IXe siècle, par la bataille de Covadonga, se fonde désormais sur l’arca sancta, véritable centre de la nouvelle chrétienté asturienne.
27À la fin du XIIe siècle, un hagiographe anonyme, vraisemblablement un clerc d’Oviedo, reprend ce schéma tout en s’inspirant d’autres traditions. Il est alors amené à réécrire complètement le récit de Covadonga. Sa Narratio de reliquiis témoigne d’une bonne connaissance de la région, du nom des évêques etc.64 Elle rapporte différents miracles opérés auprès de l’arca sancta. Les derniers surviennent lors du pontificat de Gonzalo Menéndez (1162-1175) et il est fait mention du pèlerinage aux restes de Thomas Beckett, canonisé en 1173, ce qui pourrait indiquer une rédaction vers le milieu des années 1170. Cette œuvre ne semble guère avoir circulé en Espagne, puisque les deux seuls manuscrits que l’on en possède aujourd’hui sont originaires du Saint-Sépulcre de Cambrai et de Saint-Ghislain (actuelle Belgique)65. Les miracles sont généralement présentés comme mariaux, ce qui a vraisemblablement fait leur intérêt hors d’Espagne66, mais toute la première partie de l’œuvre est constituée par une histoire de l’arca sancta qui, de façon surprenante, ne doit à peu près rien au récit de Pélage. Lisons.
28Lors de la prise de Jérusalem par les « païens », deux « saints hommes », Julien et Seranus, accompagnent l’arche jusqu’en Afrique, à Carthage. Devant la poussée musulmane, celle-ci est ensuite envoyée à Tolède. Survient la « Perdida de España », que l’auteur attribue à la trahison du comte Julien. L’arche est alors mise à l’abri en un endroit nommé Mons sacer, situé à neuf jours de Tolède, et elle y reste quarante-cinq ans67. La tradition identifie ce lieu comme l’actuel Monsacro, à quelques kilomètres au sud d’Oviedo. La suite du récit nous intéresse tout particulièrement. En effet, nous dit l’auteur, les « païens » poursuivent les chrétiens jusqu’à leur lointain refuge et tentent de les corrompre avec de l’or et de l’argent. Devant leur refus, ils s’installent sur une montagne voisine et entreprennent le siège du camp chrétien. Cependant, lorsque les musulmans envoient des traits empoisonnés (missilia toxicata) sur leurs adversaires, les projectiles se retournent contre eux et les tuent68. La nuit suivante, la montagne sur le flanc de laquelle ils ont installé leur campement s’effondre sur eux69. Échaudés par cette double intervention divine, les musulmans cessent alors de poursuivre les chrétiens, « qui s’étaient réunis à proximité des reliques »70. La fin du récit nous montre comment, plus tard, le roi Alphonse II fonde sa nouvelle capitale d’Oviedo et y fait amener les reliques pour les placer dans l’église du Saint-Sauveur.
29Pour tout clerc hispanique moyennement instruit, les intentions de l’auteur devaient apparaître transparentes : les traits qui se retournent contre ceux qui les envoient, la montagne qui s’effondre, mais aussi, dans une moindre mesure, le renouveau de l’Église après la victoire, tout cela renvoyait directement au classique récit de Covadonga tel que la Chronique d’Alphonse III l’avait fixé pour la postérité. Cependant, tous les signes étaient brouillés : la cova dominica devenait le Mons sacer et Pélage disparaissait au profit de l’arca sancta et donc d’Oviedo, à la gloire de laquelle était écrit le recueil. Remarquable exemple de détournement d’un récit, dans lequel il est difficile de savoir exactement ce qui est le fait de l’hagiographe anonyme de la fin du XIIe siècle et ce qui provient de traditions antérieures. En effet, alors que la version de Pélage d’Oviedo semble inconnue à l’auteur, plusieurs textes, en amont et en aval de la Narratio, montrent qu’il n’a sans doute pas tout inventé. Ces différents textes se font écho les uns aux autres, mais s’il est possible de discerner en eux l’appartenance à une tradition commune, on ne peut en revanche reconstituer que des bribes de celle-ci. Voici d’abord une Vie de Toribio écrite au XIIIe siècle, très certainement au monastère de Liebana71. La figure de ce saint légendaire est en fait un condensé de trois Toribio historiques : Toribio de Liebana, Toribio d’Astorga et Toribio de Palencia. Il est important de noter ici que ce personnage imaginaire est censé rapporter l’arca sancta depuis Jérusalem et l’installer… sur le Mons sacer, comme dans la Narratio72. Nous n’avons en revanche aucune mention dans ce texte d’une quelconque bataille, et la date est tardive au regard de la Narratio. Cependant, il est possible de rapprocher cette Vita d’une lettre écrite à la fin du XIe siècle par l’évêque Osmond d’Astorga (1082-1096)73. Ce prélat, qui était certainement d’origine française, s’adresse à la comtesse Ide de Boulogne, qui lui avait demandé des cheveux de la Vierge, et lui explique pourquoi il est en leur possession : les reliques ont été apportées, avec d’autres, depuis Jérusalem, par ces sept évangélisateurs que la tradition espagnole désigne comme « Varones apostólicos ». Elles sont d’abord arrivées à Tolède, puis elles ont gagné Astorga. Selon Osmond, « toutes les reliques ont été gardées dans notre ville d’Astorga ainsi qu’à Oviedo »74. Là encore, nous avons affaire à une tradition relative à l’arca sancta qui n’est pas celle de Pélage d’Oviedo. La ville d’Astorga permet d’établir un lien avec la Vita sancti Toribii, puisque celui-ci était évêque de cette ville. Le Mons sacer, de son côté, renforce la relation entre la Narratio et la Vita Toribii. Quant au lien entre la lettre d’Osmond et la Narratio, il est avant tout géographique : l’envoi de reliques en Flandres à la fin du XIe siècle et l’existence de manuscrits relatifs à l’arca, un siècle plus tard, dans les mêmes régions, ne peut relever du hasard. Diversité des textes et des traditions, par conséquent, qui se rejoignent cependant sur l’essentiel : plus que la victoire de Covadonga, c’est l’arrivée de l’arca sancta qui marque le vrai début du renouveau chrétien.
30À la fin du IXe siècle, la bataille de Covadonga est subitement devenue le premier événement fondateur de l’histoire hispanique. Mais l’événement fondateur est polysémique, et sur la base d’un canevas préétabli, il est toujours possible de lui faire dire beaucoup de choses. Durant des siècles, chaque auteur, chaque centre, put ainsi mettre Covadonga au service de ses intérêts particuliers dans un cadre qui était toujours, nécessairement, celui d’une idéologie de reconquête et de guerre sainte. Bien au-delà du Moyen Âge, Covadonga servit aussi les intérêts de la « nation espagnole », et ce jusqu’en plein XXe siècle75. Cependant, toutes les sources relatives à cet épisode étant postérieures de presque aux deux siècles aux faits décrits, l’événement au sens le plus strict du terme reste hors de portée de l’historien, et ce malgré tous les trésors de patience et d’ingéniosité qui ont pu être déployés pour savoir ce qui s’était « vraiment passé » à Covadonga. Il est ainsi des cas où sans tomber dans un linguistic turn systématique, et sans même se poser la question de savoir si la science historique peut prétendre à un statut autre qu’à celui de discours, l’historien doit admettre que l’événement est hors d’atteinte et le restera. S’il ne produit pas, dans sa pratique scientifique, que du discours – et on peut en discuter –, il lui arrive tout de même assez souvent d’avoir pour seul objet d’étude des discours, eux-mêmes modulables et changeants. Le dossier de Covadonga en est un bel exemple. Tout travail sur l’événement devient alors, nécessairement, un travail sur la construction de l’événement. Dans une situation comme celle-ci, l’étude des discours et de leurs variations offre un terrain relativement ferme, plus ferme en tout cas que celui de ce que nous appelons souvent, sans expliciter toujours très bien le sens des mots, le « factuel » ou encore le « réel ».
Notes de bas de page
1 Elle l’avait été en particulier par L. BARRAU-DIHIGO, « Recherches sur l’histoire politique du royaume asturien (718-910) », dans Revue hispanique, 52, 1921, p. 1-357. Mise au point quant à l’historicité dans A. P. BRONISCH, Reconquista und Heiliger Krieg. Die Deutung des Krieges im christlichen Spanien von den Westgoten bis in frühe 12. Jahrhundert, Münster 1998 (Spanische Forschungen der Görresgesellschaft, zweite Reihe 35), p. 256-258.
2 C. SÁNCHEZ ALBORNOZ, « Data de la batalla de Covadonga », dans Orígenes de la nación española, 2, Oviedo, 1974, p. 97-135. Pour 737, voir J. GIL, « Para la edición de los textos visigodos y mozárabes », dans Habis, 4, 1973, p. 189-234, et L. A. GARCÍA MORENO, « Covadonga, realidad y leyenda », dans Boletín de la Real academia de la Historia, 194, 1997, p. 353-380 (d’après une bataille qui est citée dans la Chronique dite de 754 mais qui ne porte pas de nom).
3 L’origine indigène de Pélage (« un jefe local de la región cántabro-astur que no había logrado ser dominada por los reyes visigodos de Toledo ») fut proposée dans une étude célèbre par A. BARBERO et M. VIGIL, La formación del feudalismo en la Península ibérica, Barcelone, 1978, p. 296-302 ; voir aussi M. I. LORING GARCÍA, Cantabria en la alta edad media. Organización eclesiástica y relaciones sociales, Madrid, 1987. Contra, entre autres, J. MONTENEGRO et A. DEL CASTILLO, « Don Pelayo y los orígenes de la Reconquista : un nuevo punto de vista », dans Hispania, 52, 1992, p. 5-32, et « Análisis crítico sobre algunos aspectos de la historiografía del reino de Asturias », dans Hispania, 54, 1004, p. 397-420 (Pélage est non seulement d’origine wisigothique mais aussi fonctionnaire du pouvoir tolédan) ; Th. DESWARTE, De la destruction à la restauration. L’idéologie du royaume d’Oviedo-León (VIIIe-XIe siècles), Turnhout, 2003, p. 51-52. Pour une présentation de Pélage comme un wisigoth né ou installé dans les Asturies, E. BENITO RUANO, « La época de la monarquía asturiana », dans Historia de Asturias, IV, Oviedo, 1979, p. 1-129, ici p. 8-9 ; J. I. RUIZ DE LAPEÑA, « La monarquía asturiana (718-910) », dans El reino de León en la alta edad media. III, La monarquía astur-leonesa. De Pelayo a Alfonso VI (718-1109), León, 1995 (Fuentes y estudiosde historia leonesa), p. 9-127, ici p. 21 ; A. BESGA MARROQUÍN, Orígenes hispano-godos del reino de Asturias, Oviedo, 2000, p. 191-224.
4 Mise au point (avec la volonté affirmée de ne pas minimiser l’importance de la bataille) dans A. BESGA MARROQUÍN, Orígenes hispano-godos, op. cit., p. 235-242.
5 C. SÁNCHEZ ALBORNOZ, « La redacción original de la Crónica de Alfonso III », dans Orígenes de la nación española. Estudios críticos sobre la historia del reino de Asturias. III, Oviedo, 1975, p. 755-774 ; Y. BONNAZ, Chroniques asturiennes (fin IXe siècle), Paris, 1987, en particulier p. XLVIII-XLIX.
6 Crónicas asturianas, (éd.) J. Gil Fernandez, traducción y notas J. L. Moralejo, estudio preliminar J. I. Ruiz De La Peña, Oviedo 1985 ; Die Chronik Alfons’III. Untersuchung und kritische Edition der vier Redaktionen, (éd.) J. Prelog, Francfort, 1980.
7 (Éd.) J. Gil, p. 126.
8 A. P. BRONISCH, Reconquista und Heiliger Krieg, op. cit., p. 236-255.
9 Voir P. HENRIET, « L’idéologie de guerre sainte dans le haut Moyen-Âge hispanique », dans Francia, 29/1, 2002, p. 171-220, ici p. 214-218. Contra : A. P. BRONISCH, « Reconquista und heiliger Krieg. Eine kurze Entgegnung auf eine Kritik von Patrick Henriet », dans Francia, 31/1, 2004, p. 199-206.
10 (Éd.) J. Gil, p. 173.
11 Le résumé qui suit s’inspire de Rotensis (= Rot.), beaucoup plus circonstancié qu’Ovetensis (= Ovet.). Les principales variantes sont données en notes.
12 Set quod iam cogitaverat de salbationem Eclesie cum omni animositate agere festinavit, Rot., (éd.) J. Gil, p. 122.
13 Qui per omnes Astores mandatum dirigens, in unum colecti sunt et sibi Pelagium principem elegerunt, Rot., ibid., p. 124.
14 Sur ce point, voir infra, p. 43 et 47-49.
15 Rot. recourt à la parabole du grain de sénevé (voir Mat. 13, 31, Mc 4, 31 et Lc 12, 18). Ovet. utilise la parabole de la lune qui décline avant de retrouver sa « plénitude première » : il s’agit d’un ancien symbole chrétien, qui n’a cependant pas de référence scripturaire directe. Voir Y. BONNAZ, Chroniques asturiennes, p. 152, note 4. La différence est bien marquée par les phrases qui permettent à Pélage d’introduire ses comparaisons : Non legisti in scripturis divinis ?… pour Rot., et simplement non nosti quia ?… pour Ovet.
16 Spes nostra Christus est quod per istum modicum monticulum quem conspicis sit Spanie salus et Gotorum gentis exercitus reparatus, Rot., (éd.) J. Gil, p. 126. Même formule dans Ovet., ibid., p. 127.
17 Tunc populatur patria, restauratur Eclesia et omnes in comune gratias referunt Deo…, Rot., (éd.) J. Gil, p. 130, et Ovet., ibid., p. 131.
18 Rot. : (éd.) J.Gil, p. 124 ; Ovet. : ibid., p. 123. Oppa est fils de Witiza dans les deux versions.
19 (Éd.) J. Gil, Corpus Scriptorum Muzarabicorum, I, Madrid, 1973, p. XVIII, n. 10, et déjà G. ANTOLÍN, dans La Ciudad de Dios, 74, 1907, p. 388-389.
20 Crónica mozarabe de 754, Edición crítica y traducción, (éd.) J. E. López Pereira, Saragosse 1980 (Textos medievales 58), p. 70 : per Oppam filium Egiche regis…
21 Et quia derelinquerunt Dominum ne servirent ei in iustitia et veritatem, derelicti sunt a Domino ne avitarent terram desideravilem, Rot., (éd.) J. Gil, p. 122.
22 Sacerdotum vel suorum peccatorum mole oppressi vel filiorum Vuittizani fraude detecti, omne agmen Gotorum in fugam sunt versi et gladio deleti, Rot., (éd.) J. Gil, p. 123.
23 Recordamini quia, qui Rubri maris fluenta ad transitum filiorum Israhel aperuit, ipse hos Arabes persequentes Eclesiam Domini immenso montis mole oppressit, Rot., (éd.) J. Gil, p. 128. Texte quasiment identique dans Ovet., ibid., p. 129.
24 On se reportera à la belle analyse de P. LINEHAN, History and the Historians of Medieval Spain, Oxford, 1993, p. 95 sq.
25 Voir note 21 et 22.
26 La situation est à peu près la même dans la Chronique d’Albelda, texte contemporain de la Chronique d’Alphonse III, qui livre entre autres pièces une liste d’évêques ((éd.) J. Gil, p. 158) mais n’intègre jamais ceux-ci au récit des événements. Seule exception, et encore : Dulcidius, Toletanae urbis presbiterum, est envoyé en ambassade à Cordoue en 883 : (éd.) J. Gil, Crónicas asturianas, p. 181.
27 Les deux versions de la Chronique d’Alphonse III ne désignent pas Pélage comme un rex, mais comme un princeps. Il n’est est pas moins, bien évidemment, l’ancêtre (et le descendant pour Ovet., voir supra, p. 42) d’un lignage royal. Les formules mentionnant sa mort sont d’ailleurs éloquentes : Vixit quoque in regno…, Rot., (éd.) J. Gil, p. 130 ; Pelagius post nonum decimum regni sui annum…, Ovet., ibid., p. 131.
28 Quumque Pelagius ingressum eorum cognovit, in monte Asevva se contulit in antro qui vocatur cova sancte Marie, (éd.) J. Gil, 9, p. 125.
29 Ibid., p. 129.
30 Voir le texte ((éd.) J. Gil, p. 129) en note 23.
31 Et in latere montis antrum quod sciebat tutissimum se contulit, ibid., p. 124.
32 ascendens ante coba dominica…, ibid., p. 126 ; voir aussi (éd.) Y. Bonnaz, 6, 2, p. 41, avec la traduction « devant la grotte de Notre Dame ».
33 Et ad domum sancte virginis Marie pervenissent, (éd.) J. Gil, p. 128.
34 Historia Silense (= HS), (éds) J. Pérez De Urbel et A. González Ruiz-Zorrilla, Madrid, 1959. Pour une présentation de la chronique et des arguments en faveur d’une origine léonaise, généralement acceptée aujourd’hui, voir l’introduction de R. FLETCHER à la traduction anglaise, dans S. BARTON et R. FLETCHER, The World of El Cid : Chronicles of the Spanish Reconquest. Selected sources translated and annotated, Manchester/New York, 2000.
35 Nos vero, advocatum apud Deum patrum dominum nostrum Ihesum Christum habentes…, HS, p. 133. D’après Rot., 8, (éd.) J. Gil, p. 122 (habemus advocatum apud Patrem dominum Ihesum Christum).
36 Sed et per intercessionem genitricis eiusdem Domini nostri que est mater misericordiarum…, HS, p. 133.
37 Siquidem Pelagius et qui cum eo erant, tanto hoste perterriti, beate Marie sufragia, que in spelunca illa usque in odiernum diem adoratur, poscentes, die noctuque pro recuperatione christianorum peticioni instabant, HS, p. 133.
38 Quam Michaeli victorioso archangelo bene convenit, qui divino nutu Ramiro principi ubique de inimicis triumphum dedit, HS, p. 144.
39 HS, p. 191-193. Voir aussi l’édition de M. C. Díaz Y Díaz, Visiones del mas alla en Galicia durante la alta Edad Media, Santiago, 1985, p. 123 (un texte indépendant intégré à la Silense ?).
40 Voir par exemple les figures de Gudesteum, évêque d’Oviedo, et d’Ataulf, évêque de Santiago, dans la Chronique de Pélage d’Oviedo ((éd.) B. Sánchez Alonso, Crónica del obispo don Pelayo, Madrid, 1924, p. 57-58 et 59-61), celle d’Alvit d’Astorga dans le dossier hagiographique isidorien et donc dans l’Historia Silense, celle des évêques de Compostelle dans l’Historia compostellana etc…
41 Sur lesquelles on consultera prioritairement G. MARTIN, Les juges de Castille. Mentalités et discours historique dans l’Espagne médiévale, Paris, 1992, et P. LINEHAN, History and the Historians of Medieval Spain, op. cit. On complètera pour Lucas par les articles réunis dans Cahiers de linguistique et de civilisation hispaniques médiévales, 24, 2001, p. 201-309, et pour Rada par ceux qui figurent ibid., 26, 2003, p. 11-307.
42 Exulato etiam Iuliano Toletano episcopo, intrusit filium suum Opam, ut esset archiepiscopus Yspalensis simul et Toletanus contra sacrorum canonum instituta, CM, III, 61, p. 219.
43 Favebat huic proditioni Opa primas Yspalensis et archiepiuscopus Toletanus…, ibid., III, 62, p. 220.
44 Présentation du dossier hagiographique isidorien dans P. HENRIET, « Rex, lex, plebs. Les miracles d’Isidore de Séville à León (XIe-XIIe siècles) », dans (éds) M. Heinzelmann, K. Herbers, D. Bauer, Mirakel im Mittelalter. Konzeptionen, Erscheinungsformen, Deutungen, Stuttgart, 2002 (Beiträge zur Hagiographie, 3), p. 334-350.
45 Witiza autem sacrorum canonum inimicus Oppe fratri suo archiepiscopo Hispalensi contradidit ecclesiam toletanam, Rodrigo Jiménez de Rada, De rebus Hispaniae (= DRH), (éd.) J. Fernández Valverde, Turnhout, 1987 (CCCM, 72), III, 17, p. 98.
46 Ut sicut ipse carnali, ita et frater siprituali adulterio fedaretur, ibid.
47 DRH, III, 19, p. 101. Rada tire ses informations de la Chronique de 754, (éd.) J. E. López Pereira, p. 70. C’est sans doute de la même chronique (ibid., 54, p. 70) que provientl’information selon laquelle Oppa est fils d’Égica, et donc frère de Witiza. Lucas de Tuy ignore quant à lui Sinderedus.
48 Viri autem longevi, de quibus diximus, Urbanum virum santimonie in episcopum elegerunt, intrusione Oppe, qui iam nil poterat, non obstante, DRH, III, 19, p. 101.
49 Sed utrumlibet istorum fuerit, certum est fuisse archiepiscopum Hispalensem, DRH, IV, 2, p. 117. On opposera cette mention finale à la façon dont Lucas de Tuy, qui suit sur ce point l’Historia silense (récit lui aussi léonais), désigne Oppa dans le récit de Covadonga : Toletanum episcopum (CM, IV, 2, p. 224).
50 PL 81, col. 39-43 (BHL 4488).
51 Quod si quis ad plenum voluerit noscere, lugubrem historiam temporum illorum studeat legere, ibid., col. 40 B-C.
52 Illo ex tempore rursum gloria et regnum Gothicae gentis sensim atque paulatim coepit, veluti virgultum ex rediviva radice, pullulare, et industria regum, qui regali stemmate progeniti apicem regni nobiliter gubernabant, singulis momentis succrescere, ibid., col. 40 C.
53 Pour une liste des récits latins relatifs à l’arca sancta, je me permets de renvoyer à P. HENRIET, « Oviedo, Jérusalem hispanique au XIIe siècle. Le récit de la translation de l’arca sancta selon l’évêque Pélage d’Oviedo », dans Pèlerinages et lieux saints dans l’Antiquité et leMoyen Âge. Mélanges offerts à Pierre Maraval, (éd.) B. Caseau, J.-Cl. Cheynet et V. Déroche, Paris, 2006 (Centre de recherche d’histoire et civilisation de Byzance, Monographies, 23), p. 235-248.
54 Alfonso VI. Cancillería, curia e imperio. II. Colección diplomática, (éd.) A. Gambra, León 1998 (Fuentes y Estudios de Historia Leonesa 63), n° 27, p. 60-65.
55 Le noyau principal du Liber testamentorum est terminé en 1109. L’édition récente la plus commodément accessible est celle de J. A. Valdés Gallego, El Liber testamentorum Ovetensis. Estudio filológico y edición, Oviedo, 1999, ici p. 459-465.
56 Tandem pietas illa, quae non est solita eos, quos corripit, ad internecionem usque delere, sed flagellando, misericorditer corrigere…, Translatio sancti Isidorii (PL 81, col. 40 B). Cette phrase, qui introduit le récit de Covadonga, devient au même emplacement dans HS, p. 131 : Igitur, post tantam Yspaniarum ruinam, opere pretium est referre qualiter divina pietas, que percutit et sanat, velut ex rediviva radice virgultum, gentem Gotorum resumptis viribus pullulare fecerit. Il y a donc eu combinaison par l’auteur de la phrase citée au début de cette note et celle que l’on rapporte en note 52.
57 Isti exitium hoc sue gentis, non gladio destructionis, sed virga a Domino potius in se credentes factum correctionis, quatinus in hoc eis propitiaretur summa divinitas…, El Liber testamentorum, op. cit., p. 461-462. La punition des iniquités « par la verge » de Dieu (Ps 88, 33-34) provient en droite ligne du récit de Covadonga, dans ses deux versions : Quod promissio Domini impleatur in nobis quod dictum est per David : ‘Visitabo in virga iniquitates eorum et in flagellis peccata eorum. Misericordiam autem meam non avertam ab eis’, (éd.) J. Gil, Rot., p. 126. Id. dans Ovet, p. 127 (avec auferam pour avertam). Ces versets des psaumes étaient opposés par Pélage aux injonctions d’Oppa…
58 El Liber testamentorum, op. cit., p. 462, d’après Chronique d’Alphonse III, Rot., p. 138, et Ovet., p. 139. Pélage suit logiquement Ovet., comme le montre la graphie Mokeit pour le chef des musulmans (Mokehit dans Ovet., mais Mugait dans Rot.). On retrouve dans la Chronique d’Alphonse III le chiffre des 70000 musulmans tués. La bataille est également mentionnée dans la Chronique d’Albelda : (éd.) J. Gil, p. 175.
59 Die Chronik Alfons’III, op. cit., p. 76-80 et 92-98.
60 Tunc Pelagium sibi, filium quondam Fafilani ducis ex semine regio, principem elegerunt et archam cum sanctorum pignoribus, quam in Asturiis insimul transtulerunt, ei precipue ad defensionem tradiderunt, ibid., p. 76.
61 Hunc locum sibi et sanctorum elegerunt maxime suffragiis, quia patria ipsa vallata asperitate moncium facile nulli hostium promittebat accessum, ibid., p. 80. Dans El Liber testamentorum, op. cit., p. 462.
62 Dum vero Sarraceni factum cognoverunt, statim ei per Alcamanem ducem, qui et ipse cum Tarech in Spania inrumpcionem fecerat, et Oppanem, Spalense sedis metropolitanum episcopum, filium Vitizani regis, ob cuius fraudem Goti perierunt, Asturias cum innumerabili exercitu miserunt, ibid., p. 80.
63 Pélage doit par conséquent placer deux batailles dans son récit : celle de Covadonga mais aussi celle de Lutos. Dans la version du Liber Testamentorum, le récit de Lutos suivait directement la description des Asturies défendues par leurs montagnes (voir note 61). A cette place, dans la version interpolée de la Chronique d’Alphonse III, on trouve maintenant Covadonga. Lutos apparaît ultérieurement, lorsque Pélage en vient au règne d’Alphonse II ((éd.) J. Prelog, p. 92). Sur la présentation de ce dernier comme un nouveau Salomon qui construit la cathédrale d’Oviedo pour abriter l’arca sancta, de même que le roi juif avait construit le Temple de Jérusalem pour abriter l’arche d’alliance, voir P. HENRIET, « Oviedo, Jérusalem hispanique », op. cit.
64 « Translation de reliques de Jérusalem à Oviedo. VIIe-IXe siècle », (éd.) Ch. A. Köhler dans Revue de l’Orient Latin, 5, 1897, p. 1-21 (repris dans F. J. FERNÁNDEZ CONDE, La Iglesia de Asturias en la Alta Edad Media, Oviedo, 1972, p. 160-178).
65 Cambrai, Bibl. mun., ms 804, et Bruxelles, Bibl. royale, II. 2544.
66 Voir B. DE GAIFFIER « Relations religieuses de l’Espagne avec le Nord de la France. Transferts de reliques (VIIIe-XIIe siècles) », dans Recherches d’hagiographie latine (Subsidia hagiographica 52), Bruxelles, 1971, p. 7-29, et surtout Id., « Sainte Ide de Boulogne et l’Espagne », dans Analecta Bollandiana, 1968, p. 67-82.
67 (Éd.) Ch. A. Köhler, p. 8.
68 Ceperunt itaque missilia toxicata diutissime mittere et jaculari Christianos, sed sagitte eorum et tela retroversa illos a quibus mittebantur percutiebant et in eos revertebantur et interficiebant eos, ibid., p. 8.
69 Sequenti igitur nocte, cum in papilionibus suis cubarent, mons juxta quem fixerant tentoria reversatus est super eos, et novo et inaudito sepulture genere suffocati sunt, ibid., p. 9.
70 Qui circa reliquias illas convenerant, ibid., p. 9.
71 (Éd.) B. de Gaiffier, « Vie et miracles de saint Turibius », dans Analecta Bollandiana, 59, 1941, p. 34-64.
72 Ascendit in montem qui nominatur Mons Sacer, et in honore sancte Marie virginis oratorium ibi hedificavit, et suas reliquias in sua archa deposuit. Et hac de causa locus ille appellatus est Mons Sacer, ibid., p. 39.
73 (Éd.) B. de Gaiffier, « Sainte Ide de Boulogne et l’Espagne », art. cit., p. 71-72 (ou PL 155, col. 461-462, reprenant Mabillon).
74 In civitate nostra Hastorica atque Oveto omnia reconderunt, ibid., p. 72.
75 On citera par exemple E. ORODEA E IBARRA, Curso de lecciones de Historia de España, Valladolid, 1867, p. 147, cité par J. ÁLVAREZ JUNCO, Mater dolorosa. La idea de España en el siglo XIX, Madrid, 2001, p. 218 : Pélage poussa dans les montagnes asturiennes « el primer grito de libertad, constituyendo el momento más solemne de une nueva civilización, de una nueva patria y de una nueva personalidad ». Plus significatifs encore, les commentaires du très influent Modesto Lafuente dans l’introduction à sa monumentale Historia general de España en trente volumes, ici I, Madrid, 18692, p. 63 : « ¿ Quién podría créer que aquella cueva encerrara una religión, un sacerdocio, un rey, un pueblo y una monarquía ? ¿ Quién podía créer que el pueblo cobijado en aquella cueva como un niño desvalido, habría un día de abarcar dos mundos como un gigante fabuloso ? ¿ Ni que aquella monarquía que se albergaba tan humilde con Pelayo en Covadonga se había de levantar tan soberbia con Isabel en Granada ? (…) O el favor de Dios y la protección providencial no se manifiestan nunca visiblemente a favor de una causa y de un pueblo, o no pudo ser más evidente su intervención a favor de aquella pequeña grey de fervorosos cristianos, restos de la monarquía católica pasada, y principio de la monarquía católica futura ». Sur ces textes de Lafuente et bien d’autres, voir le mémoire inédit de M. F. RÍOS SALOMA, La construcción de un mito nacional. El concepto de Reconquista en la historiografía moderna y contemporánea, Universidad Complutense de Madrid, 2003 ((dir.) M. I. Pérez de Tudela y Velasco). Version abrégée : « De la Restauración a la Reconquista : la construcción de un mito nacional (Una revisión historiográfica. Siglos XVI-XIX) », dans En la España medieval, Madrid, 28, 2005, p. 379-414. Mes remerciements à l’auteur pour m’avoir permis de consulter son beau mémoire. Sur Covadonga et plus généralement la Reconquête dans le processus de construction d’une mémoire nationale, voir aussi B. PELLISTRANDI, Un discours national ? La Real Academia de la Historia entre science et politique (1847-1897), Madrid, 2004 (Bibliothèque de la Casa de Velázquez, 30), p. 211-222.
Auteur
Université Bordeaux III
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