« Pour tes péchés, Rome sera détruite » (Por tus pecados será Roma destruida) Alfonso de Valdes
“For your sins Rome will be destroyed” (“Por tus pecados será Roma destruida”) by Alfonso de Valdés
“Por tus pecados será Roma destruida” por Alfonso de Valdés
p. 153-169
Résumés
Le Diálogo de las cosas acaecidas en Roma ne saurait se réduire à une œuvre de circonstance ou à un simple plaidoyer au service de la politique impériale. Alfonso de Valdés y met l’enseignement d’Érasme à l’œuvre et à l’épreuve des événements de 1527 et surtout, fort de l’expérience, il pousse plus avant sa réflexion et sa quête afin de transcender le sens du sac de Rome à la lumière du texte de l’Apocalypse.
The Diálogo de las cosas acaecidas en Roma should not be considered a plain occasional work or a mere speech for the defence of imperial politics. Alfonso de Valdés implements Erasmus’s teachings and puts them to the test of the 1527 events, and, above all, comforted by his experience, he deepens his thought and his quest in order to sublimate the sacking of Rome in the light of the Apocalypse.
El Diálogo de las cosas acaecidas en Roma no puede reducirse a una obra de circunstancias o a un mero alegato a favor de la política imperial. En ella experimenta Alfonso de Valdés la enseñanza de Erasmo y la pone a prueba de los sucesos de 1527. Sobre todo su experiencia al respecto lo lleva a una reflexión y a una búsqueda con vistas a trascender el sentido del saco de Roma a la luz del texto del Apocalipsis.
Texte intégral
1Les pages qui suivent ne visent pas à reprendre le récit du sac de Rome par les troupes impériales et moins encore à démontrer les mécanismes politiques, religieux et économiques qui conduisirent la soldatesque de Charles Quint à mettre la Ville éternelle à feu et à sang et à en humilier et rançonner la curie et les grandes familles. Les contemporains italiens, de Francesco et Ludovico Guicciardini à Balthasar Castiglione, du Cardinal de Côme à Galleacio Capella, tous ont amplement jugé et commenté ce qui fut un coup de tonnerre dans l’Europe d’alors, d’autant que l’empereur s’était fait le champion de la pax catholica et de l’unité des peuples de la chrétienté.
2En Italie comme en France, l’événement se traduisit sous forme de pasquinades ou de Lamenti, formes strophiques en vogue à la Renaissance. Fidèle à la poésie dite populaire du romancero, l’Espagne put se faire une idée des faits à partir du texte du romance « Triste estava el Padre santo... » et des gloses qu’il suscita. Comme l’a démontré Ana Vian Herrero, ces textes, s’ils déplorent les sacrilèges et la destruction des reliques, n’en déclinent pas moins les responsabilités du pape qui n’a été rien moins que l’arme, le poignard qui s’est retourné contre lui : « Tú mesmo fuiste el cochillo para cortarte la vena »1. Ces textes embrassent le parti de Charles Quint en rejetant la faute sur la personne de Clément VII et en faisant de Rome une seconde Sodome. Toutefois, destinés au plus grand nombre, ils proposent un point de vue schématique et nécessairement partisan. En revanche, dans le cadre politique et idéologique de l’entourage de l’empereur, entourage fortement marqué par l’érasmisme en ces années-là, le choc de l’événement a suscité l’ouvrage d’Alfonso de Valdés, secrétaire du monarque et l’une des figures de proue des défenseurs d’Érasme en Espagne. Dans le Diálogo de las cosas acaecidas en Roma2, publié selon Marcel Bataillon autour des années 1541-1545, mais qui circula sous forme manuscrite bien avant3, l’auteur défend bec et ongles la politique de l’empereur et le disculpe des atrocités et des sacrilèges du sac de Rome pour en imputer la responsabilité à qui n’a pas su être le vicaire du Christ ; tel est le sens de nombreuses pages de l’œuvre. Mais faut-il considérer, comme la critique en a imposé l’idée, ce dialogue humaniste des « choses survenues à Rome » comme une œuvre dictée par les circonstances, un plaidoyer au service de la politique impériale et de suggestion érasmistes quant à la réforme de l’Église ? Cette approche est pertinente et avérée par l’étude du texte, mais elle présente l’inconvénient de ne pas envisager ce dialogue comme une nouvelle proposition d’un humaniste évangélique qui, ayant sondé sans relâche la pensée d’Érasme, transcende l’événement dans la perspective d’une réflexion religieuse plus ample et plus profonde en même temps.
3L’historiographie moderne a contribué, il y a plus d’un siècle déjà, à éclairer l’épisode si douloureux pour la Monarchie espagnole survenu dès le 6 mai 1527 et qui durera quelque dix mois. En Espagne, toutes les études ont abondamment puisé aux sources offertes par l’ouvrage d’Antonio Rodríguez Villa4 et la lecture des documents produits enseigne combien Alfonso de Valdés a été tributaire – et bénéficiaire par ses fonctions – de la correspondance reçue par la chancellerie impériale ou par l’entourage immédiat de Charles Quint. Sans doute l’importance de la documentation utilisée pour l’écriture du Diálogo de las cosas acaecidas en Roma remet-elle en question le concept d’œuvre de circonstance et y éclaire-t-elle celui de dialogue érasmiste d’un jour nouveau que l’importance et la transcendance de l’événement n’ont pas manqué d’occulter.
4Alfonso de Valdés, on le sait, n’a pas été le témoin de la prise et du sac de Rome – il se trouvait alors à Valladolid – et la décision d’écrire sur le sujet a été mûrement réfléchie. Il en fait d’ailleurs part à Érasme dans une lettre écrite deux ans plus tard, en mai 1529, où il rappelle que ses amis de Valladolid lui demandèrent de donner son avis, ce que, précise-t-il, « je promis de faire par écrit, en ajoutant que l’entreprise était trop difficile pour que nul ne s’y engageât tout de go [...]. C’est pour tenir ma promesse, en jouant presque, que j’écrivis le dialogue sur la prise et le sac de Rome. »5 Aussi n’est-il pas surprenant que le personnage de Lactance, qui lui sert de porte-parole, rapporte de la façon distanciée que l’on verra un certain nombre de faits. Nul dramatisme outrancier dans ce dialogue ; le lecteur n’y sent pas le souffle de l’histoire pas plus qu’un apitoiement, fût-il à prendre avec toutes les précautions qu’exige la fiction, à la façon de l’héroïne de La Lozana andaluza de Francisco Delicado. Dans cette œuvre, Aldonza, aventurière de petite vertu, déclare en utilisant un pluriel qui rend encore plus suspect son prétendu témoignage, qu’elle fut avec ses pairs victime des maltraitements, des tortures et du pillage de quatorze mille cinq cents barbares teutons, sept mille Espagnols sans armes, sans chaussures, affamés et assoiffés, mille cinq cents Italiens6.
5Œuvre de circonstance, œuvre des circonstances, la critique unanime n’a pas manqué de l’affirmer et de le démontrer. Valdès condamne de façon souvent acerbe la pratique religieuse du temps et fait du réquisitoire contre la corruption romaine et des superstitions frappées du châtiment divin un des principaux thèmes de son ouvrage ; il est difficile en effet, à la lecture de l’affrontement entre les deux personnages du dialogue, de faire l’économie de pareille posture. Dans sa démonstration du rêve irénique d’Alfonso de Valdés, lequel appelle de ses vœux une réforme érasmienne dont l’Empereur serait l’homme providentiel, l’auteur d’Érasme et l’Espagne n’hésite pas à citer de longs passages du Dialogue des événements de Rome – telle est la traduction qu’il propose7 – et d’y constater une étroite parenté avec le Manuel du soldat chrétien (Enchiridion), l’Éloge de la folie (Moria) ou De l’interdiction de manger de la viande (De interdicto esu carnium)8.
6Mais n’est-ce pas réduire le Dialogue à une sorte de plaidoyer pro domo et aussi à un champ d’application de ce que le Secrétaire de l’Empereur avait lu dans Érasme, au point de le copier parfois au pied de la lettre9. Les travaux de Margherita Morreale, pourtant si précieux10, n’ont pas ouvert de voie qui témoigne de l’enrichissement de la pensée d’Alfonsode Valdés au regard de celle d’Érasme, à telle enseigne que ce texte semble condamné à une qualification somme toute succincte selon laquelle :
« Le dialogue du sac résume ainsi, avec sa fonction primordiale de persuasion, un fait historique et un système érasmien qu’il adopte dans sa partie apologétique et démonstrative. »11
7Le Dialogue des événements de Rome ne saurait se ranger sous la bannière des œuvres où « l’art de bien dire »12 se met au service d’une cause et où priment les qualités littéraires indéniables de l’écriture : « son actualité, la richesse de sa prose et de son langage où alternent les paragraphes déclamatoires, fortement rhétoriques, avec les tournures idiomatiques d’une langue familière, alerte, sur le ton de la conversation. »13 Il convient en effet d’aller plus avant à la fois dans la quête des sources historiques et dans celle des lectures érasmiennes du Dialogue – comme d’ailleurs de celles du Dialogue de Mercure et Charon du même Valdés – et de ne point se satisfaire de la seule citation des titres des œuvres d’Érasme pas plus que de l’insistance unanime des études sur « l’originalité indiscutable de l’œuvre ».
8« Il advint à Rome », (« sucedió en Roma »), écrit Francisco Delicado dans La lozana andaluza, quand il rapporte la façon dont Aldonza fut victime de la prise et du sac de la Ville éternelle. Dialogue des événements de Rome, selon Marcel Bataillon ; Margherita Morreale en propose une variante : El diálogo de las cosas ocurridas en Roma14. Toutes ces survenances pour désigner un même événement ne manquent pas d’être intéressantes tant il est vrai que la terminologie du moment oscillait autant que celle de notre époque entre plusieurs vocables. Le marquis d’Astorga utilise subcesso quand il écrit à Francisco Osorio (« el subcesso de las cosas de Roma. »)15 L’auteur anonyme de la longue lettre cité par Antonio Rodríguez Villa conclut le paragraphe où il fait état de tous les péchés, « sodomie, idolâtrie, simonie, hypocrisie, impôts » qui pesaient et pèsent sur la république en un terme que privilégie Alfonso de Valdés pour son titre : Diálogo de las cosas acaecidas en Roma16. Or ce choix n’est pas neutre et il montre combien dans le « jeu » auquel se livre le Secrétaire de l’Empereur au moment d’écrire son dialogue, grande est la dette qu’il a contractée à l’égard de la correspondance reçue et des témoignages envoyés à la Cour. Sans doute n’a-t-on pas suffisamment scruté les termes du titre en espagnol et particulièrement le syntagme « cosas acaecidas » (« choses survenues), comme si l’esquisse de définition proposée par Sebastián de Covarrubias pouvait suffire17. À ses yeux, le substantif dérivé du verbe équivaut simplement à suceso, que le français traduira par événement. Le Diccionario de Autoridades, composé et publié un bon siècle plus tard, propose une définition plus affinée qui convoque l’inopiné, le fortuit18, nous confirmant dans ce qu’Alfonso de Valdés nous signifie dans le titre de son dialogue, à savoir ce coup de tonnerre, sur le moment inexpliqué, et auquel nul (ou presque) ne s’attendait et qui s’impose implicitement comme relevant des secrets de la Providence.
9La critique, depuis José F. Montesinos, n’a pas manqué de mettre en relief ou d’inclure dans l’appareil de notes les textes de Francisco de Salazar, de l’Abbé de Nájera ou de certains anonymes, comme l’auteur de cette lettre si riche en détails où la stupeur et le scandale le disputent à l’émotion et à la compassion19. Alfonso de Valdés reprend en effet, parfois mot pour mot, les termes, les expressions ou certains récits de faits que les « correspondants » espagnols ont écrits. La liste est longue, elle a été amplement étudiée par la critique qui a le plus souvent sollicité l’ouvrage de Rodríguez Villa20. Comme l’écrit Marcel Bataillon à propos d’un passage du dialogue où, selon les ennemis de l’Empereur, le Saint-Sacrement aurait été jeté à terre :
« Le Secrétaire impérial a peut-être, sur ce point précis, sollicité les textes, ou choisi ceux qui convenaient le mieux à sa thèse. Mais, dans l’ensemble, il accepte sans atténuation les faits, tels que les présentent les témoins dont il a lu les rapports. Il charge l’Archidiacre de les exposer crûment, passionnément, sur le ton d’un témoin qui a aussi été victime. Et, par la bouche du pieux et inflexible Lactance, il s’applique à montrer comment chacune des horreurs du sac est le châtiment précis, nécessaire, providentiel, d’une des hontes qui souillaient Rome. »21
10Longue est la liste des emprunts et ce jeu de citations, au moment d’écrire les choses survenues à Rome, conduit à s’interroger sur la fonction d’un dialogue où l’Archidiacre défend les positions romaines et le pape en particulier, et où Lactance se fait l’avocat et de Charles Quintet de nouvelles propositions pour l’Église, tant il est vrai que, comme l’ont affirmé aussi bien Marcel Bataillon que José F. Montesinos ou Margherita Morreale, la proposition de Valdés se situe dans le droit fil érasmien qui souhaitait voir bien définis et délimités les rôles du pape et de l’empereur dans la conception de l’Église en tant que corps mystique et union des âmes dans la paix et l’unité du monde chrétien retrouvées.
11Par ailleurs, laissant de côté la dimension littéraire indéniable de l’œuvre, figer le Dialogue autour des concepts d’œuvre de circonstance d’une part, d’érasmisme et d’humanisme chrétien de l’autre, enferme la pensée valdésienne dans un cadre étroit qui, à notre sens, ne rend pas compte de la quête menée par l’auteur et que le concept de « jeu » – déjà sous-jacent dans le choix d’un terme du titre –, dont il pimente sa lettre à Érasme, masque l’ampleur. La critique espagnole n’a pas mené dans le passé, pour des raisons idéologiques que l’on devine, de travail exhaustif en la matière et a préféré s’en remettre aux pages déjà citées de Marcel Bataillon. Pourtant il eût été bien nécessaire de rapporter de façon plus serrée le « Dialogue des choses survenues à Rome » aux écrits d’Érasme pour constater la filiation valdésienne en même temps qu’un approfondissement du sillon tracé par l’humaniste de Rotterdam. Il ne s’agit plus dès lors de se satisfaire de l’affirmation réitérée d’une fidélité à l’œuvre, à l’esprit et à la lettre du théologien hollandais quand s’effectue la comparaison des textes et quand le poids des événements dramatiques suscite plus d’interrogations qu’il n’en résout. Querelle des reliques, querelle des images, ces thèmes qui ont amplement été débattus en ces années tragiques ne risquent-ils pas de masquer un propos plus secret et plus conforme à un évangélisme non médiatisé dont le sac de Rome serait à la fois l’alibi historique et le substrat idéologique ?
12La lecture du Dialogue des choses survenues à Rome enseigne que tout ce qui a trait au sac de la ville par les troupes impériales sert de prétexte à développer une pensée neuve, qu’elle s’inspire directement d’Érasme ou qu’elle puise sa vigueur et son originalité à d’autres sources plus difficiles à cerner et à préciser mais non moins importantes. Lorsque l’archidiacre, porte-parole de l’église romaine, rétorque à son interlocuteur Lactance :
« Vous voudriez, en fonction de cela, refaire un monde nouveau. »22,
13les lignes qui suivent traduisent certes l’espoir que Charles Quint pourra mener à bien une « aussi grande entreprise » (« tan grande empresa », p. 193), mais il y a aussi en germe d’autres espérances et d’autres visions plus fulgurantes que le Dialogue, dans sa deuxième partie surtout, dévoile parcimonieusement. Aussi pour la question brûlante que l’on a coutume de nommer « querelle des reliques » et « querelle des images » n’est-il peut-être pas vain de repenser le texte valdésien en dépassant sa filiation érasmienne. Les travaux de Margherita Morreale, en affinant la compréhension du texte du dialogue et sa valeur linguistique et parémiologique23, contribuent – indirectement toutefois – à mettre en relief le décalage qui existe entre la pensée d’Alfonso de Valdés et un modèle qui l’imposerait à nos yeux comme un zélateur ou un épigone servile. Qu’il y ait dans les pages du Dialogue consacrées aux reliques ou aux images une influence du colloque d’Érasme Peregrinatio religionis ergo, nul ne le discutera. Faudrait-il encore, pour compléter les sources sinon l’inspiration, que l’on alléguât des textes comme Modus orandi Deum, De esu carnium du Novum instrumentum et aussi du De amabili concordia ecclesiæ qui sont un témoignage vivant de la profondeur de la pensée érasmienne en la matière et de la façon dont elle a été reçue, réactualisée et en quelque sorte transcendée par Alfonso de Valdés.
14La question des reliques et celle des images offrent l’intérêt de se succéder dans le Dialogue, suscitées par l’émotion de l’archidiacre devant le spectacle du sac et du pillage des reliquaires et de leur contenu (p. 197 et sq.). Le lecteur est frappé de prime abord par le ton employé et la mise en œuvre d’un appareil rhétorique auxquels ni Érasme ni la poétique du dialogue n’avaient coutume de recourir. Il est vrai que le sujet, le sac de Rome, offrait le lieu exceptionnel d’un débat sur un problème qui agitait l’Europe et les esprits inquiets d’une superstition et d’une idolâtrie qui rongeaient l’Église et le peuple de Dieu. L’occasion offerte était trop belle, même si le contenu du discours valdésien et son plaidoyer n’ont parfois qu’un rapport lointain avec la circonstance. Qu’importe la part de l’excursus et les longues diatribes qui fourmillent d’exemples ; la virulence du trait décoché, l’ironie mordante et le grotesque de certains passages24 le disputent à une sentence sans appel où l’impiété des fidèles se conjugue avec le laxisme et la duplicité du clergé :
« Les gens vont plutôt effectuer la prière devant les chaussures que devant le Saint-Sacrement ; et comme c’est là grande impiété, non seulement ceux qui devraient le faire ne la réprimandent pas, mais ils l’acceptent de bon gré en raison du profit qu’ils retirent. »25
15Où est donc cette « troisième voie » que chacun s’accorde à reconnaître à Érasme, voie où critique et parfois condamnation vont de pair avec tolérance et compréhension, même si le théologien admet que l’idolâtrie est un « crime affreux »26. Certes, à la fin de sa longue diatribe, Valdés se souvient de la leçon du De amabili concordia ecclesiæ, mais du bout des lèvres seulement il fait part de son acceptation d’honorer des reliques. Aussi, lorsque l’archidiacre argue du fait qu’à partir des choses visibles on attire plus facilement le vulgaire vers les mystères de l’invisible, Lactance admet que « Jésus nous a laissé son corps très sacré dans le sacrement de l’autel », mais pour mieux affirmer aussitôt qu’il ne comprend pas « pourquoi nous avons besoin d’autre chose. »27 Ces concessions auraient leur importance n’était qu’elles ont été précédées d’un avertissement et d’une accusation longuement déclinés par des expressions telles que :
« C’est un péché de s’exposer consciemment au danger de pécher. Voilà fort grande hérésie. »28
16Alfonso de Valdés convoque donc, par ce qui tient lieu d’énoncés à vocation parénétique, les ressources que la rhétorique lui autorise, quand bien même elles ne figureraient pas dans le Ciceronianus. Il renoue avec un vieux procédé de la prédication quand il n’hésite pas, à la fin d’une longue tirade où affleure l’humour, à user d’une prétérition feinte, « solamente os diré... » (p. 202), laquelle a pour but de relancer la condamnation en règle de tout ce que l’Europe comporte de reliques. Il renoue aussi avec une recette médiévale qui a acquis ses lettres de noblesse dans le Conde Lucanor de l’infant don Juan Manuel, celle de l’exemplum personnalisé. En partant d’une histoire qui prend les accents du vécu : « En mi tierra... » (p. 210), il raconte comment le vulgaire en oublia le Saint-Sacrement pour vouer un culte exclusif et excessif à une statue de Notre Dame, au point de menacer le visiteur de l’évêché. Dans le droit fil de la tradition du genre exemplaire, le récit s’articule sur des énoncés interprétatifs au moyen d’un relateur (ou conjoncteur) pour tirer la conclusion que l’auteur souhaite imposer :
« De la sorte, comme il n’y avait pas dans la chrétienté beaucoup de visiteurs de cette espèce pour s’émouvoir de l’honneur de Dieu et ôter ces superstitions, cela autorisa ces gens à commettre les manquements dont vous parlez afin qu’une fois la superstition abandonnée nous fassions ainsi dorénavant honneur aux images qui ne déshonorent point Jésus Christ. »29
17Il apparaît ainsi qu’en rejetant à la fin du débat le concept de moyen terme, de modération que cherchait à inculquer inlassablement Érasme, le discours tente moins de l’ajourner que d’en limiter la portée en mettant en place presque aussitôt une autre stratégie qui permet d’enchaîner le débat sur les images. En effet, il est introduit par la même forme interrogative qu’affectionne tant Valdés et, de crainte que l’isotopie du discours ne soit quelque peu émoussée, il se hâte de préciser :
« Bien considéré, les mêmes tromperies que subissent les gens avec les reliques, ils les subissent avec les images. »30
18Dans les pages que consacre aux idoles le Dialogue des choses survenues à Rome, la dette à l’égard du texte de La manière de prier Dieu est patente. L’idée d’Érasme selon laquelle l’idolâtrie puisse « amener les fidèles à rendre à une image de saint en bois ou en pierre un culte qui leur ferait oublier le saint lui-même »31 est reprise presque textuellement dans ces lignes :
« Pourquoi pensez-vous que l’autre laisse entendre qu’une statue de bois va libérer des captifs ? [...] Comme si Notre Dame, pour libérer un captif, avait besoin d’emporter sur elle une statue de bois ! »32
19Or, la quasi identité de termes ne doit pas cacher que Valdés se garde bien cette fois de tempérer sa condamnation. Nulle élévation d’esprit, nulle tentative de pédagogie, à l’instar de celle-ci qu’il peut lire sous la plume d’un maître que pourtant il admire :
« Il n’est pourtant pas question de chasser toutes ces images de nos églises, mais il faudrait enseigner au peuple la manière dont il convient aquella gente hiciese los desacatos que decís para que, dejada la superstición, de tal d’honorer ces images. Ce qu’il y a de mauvais doit être rectifié, si on peut le faire sans grand bouleversement. »33
20Sans doute serait-on tenté d’arguer de l’influence de Luther, n’était que Valdés, s’il a eu connaissance – écrite ou orale ? – de l’œuvre du frère augustin, ne manque pas de le condamner pour ses propos, « les déshonnêtes injures de Luther », écrit-il. Sans doute aussi serait-il séduisant de penser que le secrétaire de Charles Quint eut connaissance par des captifs de barbaresques et aussi après les soulèvements des milieux morisques de la Péninsule de la condamnation de l’idolâtrie par le Coran34. Or, si les idées de la Réforme humaniste passèrent chez les descendants des musulmans d’Espagne par le truchement de Valdés et de son entourage, si on retrouve sous leur plume des arguments presque identiques35, est-il possible de tenir le raisonnement inverse ? Il semblerait plutôt que la position tranchée d’Alfonso de Valdés soit à mettre au compte d’une lecture fidèle et d’une adhésion à l’esprit et à la lettre des textes évangéliques. On pensera particulièrement à la première lettre de Saint Jean (« Mes enfants, gardez-vous des idoles. », 1 Jn., 5, 21), à l’Épître aux Corinthiens (1 Co. 8, 1-4) et à l’Apocalypse, lesquelles condamnent au feu éternel qui se livre à l’idolâtrie :
« Viens, que je te montre le jugement de la Prostituée fameuse, assise au bord des grandes eaux ; c’est avec elle qu’ont forniqué les rois de la terre, et les habitants de la terre se sont saoulés du vin de sa prostitution ». (Apoc., 17, 1-2)36.
21Qui donc, à travers ce symbolisme si complexe de l’Apocalypse, est jugée de la sorte si ce n’est la nouvelle Babylone au nom gardé mystérieux par le texte et que l’on sait être la Rome de Néron, celle qui adore les idoles ? Ce même Néron qu’invoque Alfonso de Valdés quand il veut souligner les crimes commis par l’armée du Pape Clément VII en Lombardie37. Pareille référence que l’on peut lire dans la première partie Dialogue est loin d’être innocente car elle préfigure la manière à la fois subtile et symbolique dont l’auteur va utiliser le texte du dernier évangile canonique.
22Lecteur de Jean comme de Paul – il a sans aucun doute lu les Paraphrases et les Annotations d’Érasme –, Alfonso de Valdés semble l’être particulièrement, même si, comme il sera donné de le voir ultérieurement, certains de ses silences valent toutes les allusions et toutes les citations. Bien sûr le sac de Rome a été précédé d’un halo de prédictions imprimées ou manuscrites qui eurent leur fortune et firent long feu. L’auteur anonyme de la lettre que reproduit Antonio Rodríguez Villa rapporte tous les signes survenus lors de célébrations du Jeudi saint et cette manifestation si particulière où un fou, nu, apostropha le pape devant dix mille personnes en le traitant de sodomite et de bâtard, avec la prédiction qui sert de titre à ce travail38. Dans notre dialogue, l’Archidiacre ne manque pas de faire allusion à ces avertissements du divin : « Mille fois nous les y avons lus comme passe-temps »39. Ils sont l’anecdote qui vient confirmer la réalisation des desseins de la Providence : « Qui eût cru que cela devait être avéré ? »40 ; ils sont aussi la leçon donnée à l’archidiacre et à ceux qu’il représente de n’avoir pas su tenir compte de ces avertissements, pas plus qu’il n’avaient tenu compte, pour en avoir méprisé la lecture41, des textes bibliques et évangéliques. Or le texte de l’Apocalypse selon Saint Jean est présent implicitement et explicitement dans tout le Dialogue. Sans prétendre à l’exhaustivité, citons pour preuve, chaque fois qu’Alfonso de Valdés invoque le châtiment de Dieu, les expressions telles que :
« Tout ce qui est advenu l’a été selon le jugement manifeste de Dieu.
Ô Dieu merveilleux qui consent pareille chose !
Or, par permission de Dieu, qui avait décidé de châtier ses ministres...
[...] les raisons pour lesquelles Dieu a permis les maux causés à Rome. Ô
Dieu très grand, comme dans chacun de ces cas particuliers tu manifestes tes merveilles !
Ô Dieu très grand, que tes jugements sont profonds ! »42
23La difficulté de retrouver dans ces lignes l’exacte formulation du texte évangélique se comprendra aisément si l’on songe que nous avons recours à une traduction et qu’au moment où il écrit son dialogue Alfonso de Valdés dispose d’un certain nombre d’éditions ou de commentaires du Nouveau Testament faits par Érasme : le Novum testamentum, traduit quelques années plus tard en castillan par Francisco de Enzinas, les annotations du Novum testamentum [...] cum annotationibus (Bâle, Froben, 1522), sans compter les éditions ou les commentaires de Laurent Valla, In novum Testamentum annotationes (Bâle, Cratander, 1526) et d’Euthimius Zigabenus, Commentarii in IV Evangelia. En dépit d’approximations linguistiques, il reste que la réitération des exclamations valdésiennes s’inscrit dans le droit fil d’une lecture et d’une connaissance mûrie du dernier évangile canonique. En témoignent ces quelques exemples où se manifeste, en dépit des remarques que nous venons de formuler, le respect de l’esprit et de la lettre de textes qui ont inspiré l’écriture du Dialogue :
« Grandes et merveilleuses sont tes œuvres, / Seigneur, Dieu Maître-de tout ; / justes et droites sont tes voies. » (Apoc., 15,3).
« Oui, Seigneur, Dieu, Maître-de-tout, tes châtiments/jugements/sont vrais et justes » (Apoc., 16,7).
« Salut et gloire et puissance à notre Dieu, car ses jugements sont vrais et justes : il a jugé la Prostituée fameuse qui perdait la terre par ses prostitutions... » (Apoc., 19, 1).
24Au-delà d’une formulation qui tisse un réseau d’étroites parentés textuelles, il est un mot, celui de bestia, qu’il serait difficile de justifier par le seul contexte du sac de Rome. Il s’insère dans le texte par le biais de la description que fait l’Archidiacre des abominations de la soldatesque : l’église de Saint Pierre, comme bien d’autres, transformée en écurie, « ces temples de pierre devenus étables »43. Ce passage est remarquable par la densité des textes évangéliques allégués, que ce soit dans la référence à la seconde épître paulinienne aux Corinthiens (2 Co. 6,16) :
« [...] si vous avez lu les Écritures, n’y avez-vous point trouvé que Dieu ne demeure point dans des temples faits de la main de l’homme et que chaque homme est un temple où demeure Dieu ? »44 ;
25que ce soit dans la convocation de l’Évangile selon Matthieu pour l’association Pedro-piedra : « Tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église. » (Mat., 16, 18).
26Par ailleurs, si l’on considère l’introduction du terme bestia par le jeu du dialogue, elle ne peut être expliquée par le seul fait métaphorique :
« Lactance – Qu’appelez-vous étable ?
Archidiacre – Un lieu où sont abritées les bêtes.
L. – Qu’appelez-vous bêtes ?
A. – Les animaux sauvages et sans raison.
L. – Et les vices, ne les nommeriez-vous point sauvages et sans raison ?
A. – Sans aucun doute, et même pires que des bêtes. »45
27En regard du contexte historique, bête / bestia peut difficilement s’imposer comme synonyme ou para-synonyme de vice / vicio et la tentative définitionnelle menée par les personnages du dialogue serait une violence faite à la sémantique si le contexte évangélique n’était pas pris en compte. La Bête, celle que désigne d’un doigt vengeur l’Apocalypse sans jamais dévoiler son nom, le Tesoro de la lengua castellana de Sebastián de Covarrubias en confirmera plus tard le sens en définissant le vocable bestia à partir de l’Écriture. Il signifie « les tyrans qui ont poursuivi le peuple de Dieu et son Église. Bête l’Antéchrist et ses ministres, dans bien des passages de l’Apocalypse. Bête, le démon. »46.
28Pour un lecteur contemporain des « choses survenues à Rome », à condition qu’il fût nourri du Nouveau Testament, pareil recours au lexicographe ne se fût guère imposé : par deux fois, au cœur même de l’œuvre (p. 172-173), Lactance cite soit en castillan soit en latin le texte de l’Apocalypse (Apoc., 18, 11-13 et 18, 6-8) et apporte un éclairage nouveau au texte valdésien. Ainsi, l’image de l’écurie, filée et complétée dans la dernière partie grâce aux occurrences de « fumier », « puanteur », « fumier puant »47, quand il s’agit de faire référence aux âmes en perdition à Rome, passe d’un statut simplement métaphorique à un autre plus complexe, hautement symbolique, dans la mesure où les termes renvoient à la cité qui est tenue pour la moderne Babylone. Alfonso de Valdés n’écrit plus à mots cryptés, lourds d’une symbolique qui échapperait à ses lecteurs. L’unique objet de son ressentiment est la Rome de la vente des âmes, du vice, du stupre et de l’idolâtrie, celle qui met en coupe réglée les états de l’Europe. Et l’Ange du texte évangélique de « s’écrier de toutes ses forces » :
« Elle est tombée, elle est tombée, Babylone la grande ; elle s’est changée en repaire de démons, en refuge pour toutes sortes d’esprits impurs, en refuge pour toutes sortes d’oiseaux impurs et dégoûtants. » (Apoc., 18, 2-3).
29Voilà donc un faisceau d’éléments qui conduit à replacer le texte valdésien dans la lettre, l’esprit et même la symbolique de l’Apocalypse selon Jean. S’inspirant des lamentations d’Ézéchiel sur la ruine de Tyr (Ez., 26, 1-17, 27, 12-31, 28), il annonce celle de Rome-Babylone, la Bête, pour la luxure, l’idolâtrie, la débauche et la concussion qui y règnent et qui mettent à mal le peuple de Jésus Christ. Or que propose Alfonso de Valdés à l’orée du Dialogue ? Montrer bien sûr que la culpabilité des maux qui se sont abattus sur Rome ne sont pas le fait de l’Empereur ; il s’en est longuement expliqué, à l’instar des ses contemporains espagnols. Montrer aussi comment tout cela est arrivé par la manifestation du jugement divin dans son désir de châtier la ville où, écrit-il, « régnaient pour la plus grande ignominie de la religion chrétienne tous les vices que la méchanceté de l’homme pouvait inventer. »48
30Est-il besoin à présent de rappeler la longue litanie des griefs lancés par Lactance à l’adresse de Rome : le pape, fauteur de guerres, qui met en péril l’Église et répand le sang des brebis du Christ (p. 105, 130-131) ; le même pape et sa curie dépravée :
« [...] Cette ville (qui à juste raison devrait être exemple de vertus pour tout le monde) pleine à ce point de vices, de trafics, de fraudes et de scélératesses évidentes. Cette façon aussi éhontée de vendre des offices, des bénéfices, des bulles que cela apparaissait véritablement comme dérision de la foi chrétienne. » 49
31N’est-il pas non plus condamnable ce clergé qui, lancé dans une quête sans fin de profits et de jouissances charnelles, délaisse ou ignore le Sanctus pauper et met en péril l’âme des fidèles ? Et puis ce culte des reliques et des images, objet du mépris de Jean l’Évangéliste ? La Prostituée qu’évoque ce dernier, celle qui « étincelait d’or, de pierreries et de perles « (Apoc., 17, 4), n’est-ce pas la même qui abrite ces reliques, ces idoles que cite l’Archidiacre, parées de « tant de riches atours d’or et d’argent » (p. 90) ? Les foudres du jugement que brandit l’Apocalypse et la vision de l’anéantissement de la cité n’offrent-ils point le même spectacle que ceux qui s’abattent en cette année 1527 sur Rome ? « Qui eût cru que cela s’avérerait ? » s’écrie notre personnage. Et pour se convaincre plus encore de cette nouvelle Apocalypse, écoutons-le se lamenter et se demander à quoi servait de détruire cette ville, du fait qu’elle ne redeviendra pas Rome avant cinq cents ans ? Et Lactance à son tour de souhaiter que Rome ne renoue pas avec les vices d’antan et qu’y règne un peu plus de charité, d’amour et de crainte de Dieu50.
32Cinq cents ans, écrit Valdés ; deux cents, vaticinaient les Espagnols demeurés à Rome, aux dires de Francisco de Salazar51. Le chiffre importe peu ; il renvoie, par la symbolique de la durée, à ces mille ans durant lesquels sera attachée la bête (Apoc. 20, 2), celle-là même que Jean dit avoir été « cap(t)urée et avec elle le faux prophète qui avait fait en sa présence les signes par quoi il égara ceux qui avaient reçu la marque de la bête et qui s’étaient prosternés devant son image » (Apoc., 19, 20). Mille ans aussi que durera le règne du Christ à l’avènement de la Jérusalem céleste (c’est-à-dire l’Église future) qu’annonçait l’évangéliste ? (Apoc., 20 et 21).
33Un mot cependant est absent, un mot terrible pourtant que le lecteur s’attendait à trouver sous la plume d’Alfonso de Valdés, tant les circonstances et l’imprégnation du texte évangélique y prédisposaient. Mais fidèle en cela à la pensée d’un Érasme qui ne rompra pas avec Rome et soucieux par ailleurs des intérêts de la politique impériale, l’auteur du Dialogue des choses survenues à Rome ne pouvait condamner irrémédiablement le successeur de Pierre. Les temps de la rédaction de l’Apocalypse ne sont pas ceux du sac de Rome et la défense et la rénovation de l’Église universelle, que Charles Quint et son entourage appelaient de leurs vœux, ménageaient la fonction et le symbole de l’évêque de Rome. Le terme est néanmoins sous-jacent dans tout cet écrit imprégné du texte évangélique, prêt à surgir chaque fois que Rome et sa curie sont dénoncées, chaque fois que le Souverain Pontife a manqué à son devoir pastoral d’exposer et de prêcher l’Écriture sainte par exemple (p. 93). Néanmoins le Valdés nourri de l’Apocalypse et qui citait Jean ne pouvait ignorer les lettres de ce dernier (1 Jn., 2, 18, 4, 3 et 2 Jn., 7). Il est des mots, lorsqu’ils sont tus, qui sont plus terribles et plus lourds de signification que s’ils étaient déclinés. Avec l’âpreté et le verbe qu’on lui connaît, Martin Luther se chargera d’annoncer à la face de l’Europe qui était alors l’Antéchrist !
34Érasmisme, évangélisme, défense de la politique impériale, ces concepts apparaissent bien réducteurs pour juger le Dialogue des choses survenues à Rome. Dans sa seconde partie, le texte dépasse le débat politique et somme toute secondaire sur les rôles respectifs du Pape et de l’Empereur quant aux âmes dont ils ont la charge pour mettre la circonstance historique, c’est-à-dire la prise et la ruine de Rome, à l’épreuve d’une pensée évangélique qui non seulement explore l’œuvre d’Érasme et ses commentaires, mais encore ne cesse de scruter, à la lumière des autres textes néo-testamentaires, l’un des plus déroutants. Or, quel événement mieux que le sac de Rome permettait de montrer comment le jugement de Dieu, en attente depuis le premier siècle, pouvait enfin se réaliser et s’avérer, puisque le terme apocalypse signifie révélation ? Au-delà du dialogue, toute la stratégie discursive du texte met progressivement en place les éléments d’une concordance entre la vision symbolique proposée par Jean et la situation de crise et de déchéance que vit la Rome de la fin du XVe et du début du XVIe siècle. Providence et châtiment divins ? Nul n’en niera la pertinence et la réalité tant la ruine de Rome est patente ; mais elle ne prend sa dimension à la fois humaine, ecclésiale et eschatologique que si elle est replacée dans la grande aspiration évangélique qui tente de dévoiler le sens de la crise que traverse alors l’Église. Mystère caché aux hommes, dont Dieu a le secret et que le texte de Valdés, à l’instar de celui de Jean, a le rôle de révéler. Aussi les thèmes développés au fil du dialogue et inspirés par le De interdicto esu carnium, par la Moria, par l’Enchiridion et bien d’autres textes érasmiens s’insèrent-ils naturellement dans cette vision de la Rome idolâtre, sacrilège, dépravée et égoïste qui, un instant châtiée, saura sous l’impulsion d’un nouveau prince chrétien trouver à se revivifier.
Notes de bas de page
1 Ana Vian Herrero, El Diálogo de Lacatancio y un arcidiano de Alfonso de Valdés : obra de circunstancias y diálogo literario, Toulouse, PUM, 1994, Anejos de Criticón, p. 147 & sq.
2 Nous utilisons l’édition de Rosa Navarro Durán, Madrid, Cátedra, 1992 (Letras Hispánicas).
3 Une première mention du Dialogue apparaît dès 1528, selon Fermín Caballero, Conquenses ilustres, IV. Alonso de Valdés, Madrid, Oficina Tipográfica del Hospicio, 1875, p. 370 et 412.
4 Antonio Rodríguez Villa, Memorias para la historia del asalto y saqueo de Roma en 1527 por el ejército imperial. Formadas con documentación, cifrados e inéditos en su mayor parte, Madrid, Imprenta de la Biblioteca de Instrucción y Recreo, 1875.
5 Cité par José Francisco Montesinos dans son édition du Diálogo de las cosas acaecidas en Roma, Madrid, Espasa-Calpe, 1946, p. LXII : « lo que yo prometí hacer por escrito añadiendo que el empeño era demasiado difícil para que nadie decidiera de improviso. [...] En su cumplimiento escribí, casi jugando, el diálogo sobre la toma y saqueo de Roma. ».
6 Francisco Delicado, La lozana andaluza (éd. Claude Allaigre), Madrid, Cátedra, 1985, p. 503 : « [...] sucedió en Roma que entraron y nos castigaron y atormentaron y saquearon catorce mil teutónicos bárbaros, siete mil españoles son armas, sin zapatos, con hambre y sed, italianos mil y quinientos, napolitanos reamistas dos mil, todos estos infantes. »
7 Marcel Bataillon, Érasme et l’Espagne, préf. de J. C. Margolin, Genève, Droz, 1998, ch. VIII.
8 Ibid., p. 412-413.
9 Les expressions « Aun me tiemblan las carnes en decirlo », « Me tiemblan las carnes en oíros » Diálogo..., p. 159, 174, sont directement empruntées à Érasme : Érasme, Éloge de la folie, Adages, Colloques, Édition établie par Claude Blum, André Godin, Jean-Claude Margolin et Daniel Ménager, Paris, Robert Laffont, 1992 (Bouquins), p. 667.
10 On trouvera un excellent résumé bibliographique concernant ce dialogue dans l’édition que nous utilisons : A. de Valdés, Diálogo de las cosas acaecidas en Roma. Edición de R. Navarro Durán, Madrid, Cátedra, 1992 (Letras Hispánicas), p. 74-75.
11 Antonio Prieto, La prosa española del siglo XVI.- Madrid, Cátedra, I, p. 144 : « El diálogo del saco suma así, con su primordial función persuasiva, un hecho histórico y un sistema erasmiano que adopta en sus partes de apología y demostración »
12 Isidore de Séville, Éthymologies [Rhetorica, ars bene dicendi. »
13 Ana Vian Herrero, op. cit., p. 77 : « Pero los mismos críticos citados defienden la originalidad indiscutible de la obra por dos razones : su actualidad, y la riqueza de su prosa y de su lenguaje, donde alternan los párrafos declamatorios, muy retóricos, con las fórmulas idiomáticas de una lengua familiar, ligera, de tono convencional. »
14 Marherita Morreale, « El diálogo de las cosas ocurridas en Roma de Alfonso de Valdés. Apostillas formales », BRAE XXXVII (1957).
15 Antonio Rodríguez Villa, op. cit., p. 240-241.
16 Ibid., « Traslado de la carta que se escribió sobre el saco de Roma », p. 140 : « Esta cosa podemos bien creer, que no es venida por acaecimiento sino por divino juicio, que muchas señales ha habido. »
17 Selon Sebastián de Covarrubias, Tesoro de la lengua Castellana o Española (1611), acaecer vaut acontecer et acaescimiento équivaut à sucesso (p. 32 b), c’est-à-dire que tous ces termes sont synonymes.
18 D.A. « Acaecimiento. [...] Suceso impensado, caso inopinado. »
19 Ibid., « Traslado de la carta que se escribió sobre el saco de Roma », p. 134-145.
20 J. F. Montesinos, op. cit., p. XLVI-XLVI, ainsi que tout l’appareil de notes ; Marcel Bataillon, op. cit., p. 407 ; Marherita Morreale, « El diálogo de las cosas ocurridas en Roma de Alfonso de Valdés. Apostillas formales », BRAE XXXVII (1957), p. 395-417.
21 Ibid., p. 407.
22 Alfonso de Valdés, éd. cit. : « Vos querríades, según eso, hacer un mundo de nuevo », p. 193.
23 Alfonso de Valdés, op. cit., p. 199, note 209.
24 Ibid., p. 199 et sqs.
25 Ibid., p. 202 : « Antes se va la gente a hacer oración delante de los zapatos que no ante el Sacramento ; y seyendo ésta muy grande impiedad, no solamente no lo reprehenden los que lo debrían reprehender, pero admítenlo de buena gana por el provecho que sacan... »
26 Érasme, op. cit., p. 838-839.
27 Ibid., p. 206 : « Arcidiano – Bien, pero el vulgo más fácilmente con cosas visibles se atrae y encamina a las visibles. Latancio – Decís verdad, y aun por eso nos dejó Jesucristo su cuerpo sacratísimo en el sacramento del altar, y teniendo esto, no sé yo para qué habemos menester otra cosa. »
28 Ibid., p. 204 & 205 : « Es pecado ponerse a sabiendas en el peligro de pecar. » ; « Grandísima herejía es ésa ».
29 Ibid., p. 211 : « Así que, pues no había en la cristiandad muchas tales visitadores que se doliesen de la honra de Dios y quitasen aquellas supersticiones, permitió que manera de aquí adelante hagamos honra a las imágines que no deshonremos a Jesucristo ».
30 Ibid., p. 211 : « ... y si miráis bien en ello, los mismos engaños que recibe la gente con las reliquias, eso mismo recibe con las imágenes. »
31 Ibid., p. 421.
32 Ibid., p. 215 : « ¿ Para qué pensáis vos que da el otro a entender que una imagen de madera va a sacar cautivos ? [....] ¡Como si Nuestra Señora, para sacar un cativo, hobiese menester llevar consigo una imagen de madera. » On remarquera que c’est en des termes presque identiques que les morisques dénonçaient l’idolâtrie des chrétiens : « que los cristianos estaban ciegos en creher en una cruz de palo y en una ymagen que llaman de nuestra Señora que siendo un bulto de palo conpuesto creían en ella, y que por creer en ella, dexavan de creer en Dios. » Cité par Louis Cardaillac, Morisques et Chrétiens. Un affrontement polémique (1492-1640), Paris, Klincksieck, 1977, p. 330.
33 Erasme, op. cit., p. 422.
34 En 1502 à Grenade et en 1525-1526 en Aragon et à Valence.
35 Voir sur ce point Louis Cardaillac, op. cit., p. 336-339.
36 Textes et éditions de référence : La sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, Les Éditions du Cerf, 1961 ; La Bible. Nouvelle traduction, Paris, Bayard, 2002 ; Jean-Pierre Prévost, L’Apocalypse (Commentaire pastoral), Paris, Bayard / Centurion, 1995.
37 Alfonso de Valdés, op. cit., p. 103-104.
38 Antonio Rodríguez Villa, op. cit., p. 141.
39 Ibid., p. 195 : « Mil veces las leíamos allí por nuestro pasatiempo. ». Dans La Lozana Andaluza, Francisco Delicado y fera lui aussi allusion (éd. cit., p. 299).
40 Alfonso de Valdés, op. cit., p. 195 : « ¿Quién creyera que aquello había de ser verdad ? »
41 Soit Lactance reproche à l’Archidiacre de n’avoir pas lu – ou insuffisamment – les évangiles, soit il l’exhorte à le faire (p. 101, 147 et 184 surtout.).
42 Alfonso de Valdés, op. cit., « Todo lo que ha acaecido ha seído por manifiesto juicio de Dios... » ; « ¡Oh maravilloso Dios, que tal consientes ! » ; « Mas, por permisión de Dios, que tenía determinado de castigar sus ministros... » ; « [..] las causas por qué Dios ha permitido los males que se han hecho en Roma » ; « ¡Oh inmenso Dios, y cómo en cada particularidad destas manifiestas tus maravillas ! » ; « ¡Oh inmenso Dios, cuán profundos son tus juicios ! » Successivement p. 92 (id. p. 209), 104, 126, 132, 157, 230.
43 Ibid., p. 184 : « hacer establo destos templos de piedra ».
44 Ibid., p. 184 : « ...si vos habéis leído la Sagrada Escritura, ¿en ella, no habéis hallado que Dios no mora en templos hechos por manos de hombres, y que cada hombre es templo donde mora Dios ? »
45 Ibid., p. 184-185 :
Latancio.- ¿A qué llamáis establo ?
Arcidiano - A un lugar donde se aposentan las bestias.
L.- ¿A qué llamáis bestias ?
A.- A los animales brutos y sin razón.
L.- Y a los vicios, ¿no los llamaríades brutos y sin razón ?
A.- Sin duda, y aun muy peores que bestias.
46 Sebastián de Covarrubias, Tesoro de la lengua Castellana o Española, p. 211, col. 2, 25 : « Bestia, en muchos lugares de la Escritura, se toma por los tyranos que han perseguido el pueblo de Dios y su Iglesia. Bestia, el Antechristo y sus ministros, por muchos lugares del Apocalipsi. Bestia, el demonio. »
47 Alfonso de Valdés, op. cit., p. 212, 214 : « muladar, hedor, hediente muladar ».
48 Ibid., p. 92 : [Mostraros] cómo todo lo que ha acaecido ha seído por manifiesto juicio de Dios para castigar aquella ciudad, donde con grande inominia de la religión cristiana reinaban todos los vicios que la malicia de los hombres podía inventar. »
49 Alfonso de Valdés, op. cit., p. 135 : [...] aquella ciudad (que, de razón debría de ser ejemplo de virtudes a todo el mundo) tan llena de vicios, de tráfagos, de engaños y de manifiestas bellaquerías. Aquel vender de oficios, de beneficios, de bulas [...] tan sin vergüenza, que verdaderamente parecía una irrisión de la fe cristiana. »
50 Ibid., p. 175-176 : « ¿De qué servía destruir aquella ciudad, de tal manera que no tornará a ser Roma de aquí a quinientos años ? [...] Ya plugiera a Dios ¡Que Roma no tornase a tomar los vicios que tenía, ni en ella reinase más tan poca caridad y amor y temor de Dios !
51 Lettre de Francisco de Salazar, probablement à un ministre de Charles Quint, le 18 mai 1527 : « Ni Roma será Roma en nuestros tiempos ni en doscientos annos, según quedará destruida. », in Antonio Rodríguez Villa, op. cit., p. 149.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Prendre une ville au XVIe siècle
Ce livre est cité par
- (2018) Histoire militaire de la France. DOI: 10.3917/perri.drevi.2018.02.0835
- (2010) Les ressources des faibles. DOI: 10.4000/books.pur.105540
Prendre une ville au XVIe siècle
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3