Environnement et formation du site
p. 37-86
Texte intégral
1Nous serons guidés dans ce qui suit par quatre problématiques principales. La première concerne le contexte naturel dans lequel s’inscrivent les occupations du site, son potentiel et ses contraintes. La deuxième intéresse la formation du site et des structures archéologiques. La troisième question est celle de l’évolution du site depuis le Néolithique et portera donc essentiellement sur des aspects taphonomiques. Pour finir, nous nous intéresserons aux indices d’occupations néolithiques dans la plaine du Comtat et ses environs immédiats
2Dans une plaine alluviale, le contexte topographique et orographique est susceptible de changer considérablement au cours du temps. Géomorphologie, sédimentologie, carpologie, malacologie et micromorphologie fournissent un large cortège d’informations relatives à la formation, à l’utilisation et à l’évolution du lieu. Il en va de même des trois puits néolithiques qui ont fourni de précieux renseignements relatifs à l’environnement naturel du site au moment de son occupation. L’ensemble de ces résultats sont importants pour la compréhension du site et de sa formation et seront donc exposés dès maintenant.
3.1 Géomorphologie et stratigraphie
Jean-Louis Guendon
3.1.1 Topographie
3Le site se présente actuellement sous la forme de grandes parcelles relativement planes et mises en culture. Cet aspect monotone est le résultat de remembrements successifs depuis les années 1980 et du passage de la culture de pommiers sur de petites parcelles séparées par des fossés de drainage et des haies de cyprès et peupliers à la culture céréalière sur de grandes parcelles. Les traces de ces remembrements (trous d’arrachages et fossés comblés) constituent une bonne part des structures relevées entre 2012 et 2015.
4Malgré l’impression générale, il ne s’agit pas d’un terrain plat. Les relevés topographiques réalisés en 2006 et 2011 (fig. 21) montrent que le site est implanté sur une légère déclivité de l’ordre du mètre pour 300 m (soit une pente moyenne de 0,3 %) orientée du sud-ouest vers le nord et nord-est. Vers le nord, cette pente s’accentue aux alentours de la cote 57,10 m, délimitant un léger relief qui apparaît comme une bordure de terrasse alluviale orientée sud- ouest/nord-est. Ce relief explique par ailleurs la présence et l’orientation nord-sud des fossés de drainage visibles sur l’ensemble du décapage et de la roubine située à l’est de celui-ci. La zone fouillée est située à cheval entre la partie haute (au sud-ouest) et les parties basses (nord et nord-est) du terrain.
5Ce relief peut être en partie lié à l’érosion de la partie nord- ouest du site et, consécutivement, la formation d’un relief résiduel en terrasse au sud-est. La présence de structures néolithiques dans les parties haute et basse du site montre que, s’il y a eu un épisode érosif, celui-ci a eu lieu avant l’occupation néolithique du site. Cette topographie était donc déjà présente au Néolithique moyen.
6Cette situation est corroborée par le fait que les différents ensembles sédimentaires qui surmontent le substratum et dans lesquels s’ouvrent les structures néolithiques présentent une épaisseur plus importante dans la partie nord-est/basse (75 à 80 cm) que dans la partie sud- ouest/haute (50 à 55 cm), comme l’illustre un profil stratigraphique ouest-est relevé en 2015 dans la partie sud du décapage (fig. 22). La topographie initiale était donc encore plus marquée qu’actuellement puisque, suivant ce même profil stratigraphique ouest-est, le dénivelé actuel de cette seule partie sud du site est de l’ordre de 8 cm pour 50 m alors que celui du toit du substratum (qui représente la topographie avant l’occupation préhistorique) est d’environ 33 cm.
7Ainsi, au cours du temps la sédimentation a progressivement et partiellement nivelé la topographie initiale. Ce nivellement a été renforcé par des érosions concomitantes dans les zones hautes et des actions anthropiques comme les labours.
3.1.2 Stratigraphie et formation du site
8Les informations sur la séquence sédimentaire et sa formation sont essentiellement fondées sur les relevés détaillés de sept profils stratigraphiques réalisés dans la partie basse (profils stratigraphiques 1-4 et profils stratigraphiques des structures 438 et 250) et dans la partie haute (profil stratigraphique 5) de la moitié septentrionale du décapage auxquelles il faut ajouter les données du diagnostic de 2006 et de nombreuses observations ponctuelles faites à l’occasion :
de reconnaissances à la tarière préalablement aux décapages et aux fouilles ;
de la fouille de certaines structures ;
et du décapage des parties sud en 2014 et 2015.
9Sur un peu plus d’un mètre d’épaisseur, la tranche des sédiments excavés offre, de haut en bas, une succession de trois principaux ensembles sédimentaires. C’est la trilogie de tout ce secteur, déjà observée dans les tranchées du diagnostic de 2006 (Gaday & Sargiano 2006) :
un ensemble supérieur argilo-limoneux, gris (noté E1) ;
un ensemble médian argilo-limoneux, parfois caillouteux, brun, à éléments archéologiques (noté E2) ;
un ensemble inférieur sablo-limoneux, localement caillouteux ou plus argileux, jaunâtre, considéré comme le substratum archéologique du site (noté E3).
10Ces trois ensembles stratigraphiques se distinguent clairement sur le terrain notamment par de nettes différences de couleurs. Cependant, du fait de faibles différences sédimentologiques entre eux et de divers phénomènes anthropiques (piétinements, creusement de structures, labours...) et naturels (bioturbation, pédogenèse, battements de la nappe phréatique) syn- et post-dépositionnels qui les ont affectés, leurs contacts, comme ceux des couches qui les constituent, sont souvent diffus et très difficiles à pointer avec précision.
3.1.2.1 Le substrat sédimentaire
11Le creusement de deux puisards d’environ 4 m de profondeur à proximité du puits 250 a permis de recueillir de précieuses informations sur le sous-bassement sédimentaire du site. Le niveau le plus profond, à 4 m sous la surface actuelle est constitué de nombreux gros galets, centimétriques à décimétriques au cortège pétrographique particulier. On y remarque notamment des roches granitiques et des quartzites totalement absentes du bassin versant du Coulon/Calavon (Calavon est le nom de cette rivière en amont d’Apt), dont le secteur est directement tributaire. Ces éléments sont par contre caractéristiques des alluvions duranciennes.
12Dans son ouvrage sur « L’eau en Vaucluse », George Truc (1991) parle effectivement d’anciens cours de ces deux rivières dans la plaine du Comtat, « avec une Durance (ou du moins un de ses bras ; ndlr) qui allait droit vers le nord à partir de Cheval-Blanc […] jusqu’à Vedène » où elle confluait avec le Rhône très au nord d’Avignon. Le Calavon devait alors confluer avec cette paléo-Durance vers le sud de L’Isle-sur-la-Sorgue. Pour ce même auteur, cette situation devait exister il y a 10 000 ans, avant que la Durance et le Calavon empruntent finalement leurs cours actuels.
13Au-dessus de ce niveau de galets duranciens, nous trouvons environ trois mètres d’alluvions fines (ensemble 3/ substratum) constituées de limons jaunâtres. La partie supérieure de cet ensemble présente fréquemment, dans les secteurs nord, des lentilles plus ou moins étendues de petits galets en moyenne centimétriques (voir § 3.3, bancs de graviers). Leur morphologie et leur pétrographie signent une origine alluviale du bassin versant du Coulon/ Calavon. Actuellement, cette rivière passe à plus de 5 km au sud du site des Bagnoles, immédiatement au nord de la ville de Cavaillon (fig. 2), mais épisodiquement elle peut sortir de son lit et inonder localement la plaine comtadine. Cet ensemble est archéologiquement stérile et constitue donc le substratum du site. Dans la partie nord-est/ basse du décapage, la surface de ces limons est affectée d’ondulations généralement peu profondes (quelques centimètres à un décimètre) pouvant dessiner des cuvettes plus ou moins larges aux contours irréguliers et remplies d’un sédiment brun (fig. 23) que nous qualifierons d’anomalies topographiques naturelles du substratum. Elles pourraient correspondre à des formes d’érosions et de surcreusement des sédiments alluviaux précédemment déposés, érosions provoquées par des courants de crues de la rivière ou des divagations de son lit par exemple. Ces anomalies pourraient correspondre également à des creux de la topographie souvent ondulée d’une surface alluviale, comme les cuvettes qui subsistent entre des bancs de sable ou de galets.
14D’un point de vue topographique et sédimentaire, les occupants du Néolithique moyen se trouvaient donc en présence d’un rebord de terrasse alluvionnaire marquée, tout au moins dans sa partie basse, par une surface ondulée développée sur des limons et des bancs de galets, et qui pouvait être épisodiquement inondée lors de crues plus ou moins fortes du Coulon.
15La sédimentation de la plaine se poursuit pendant et après l’occupation néolithique puisque la surface actuelle se situe en moyenne 60 cm au-dessus du toit du substratum. Les niveaux supérieurs ont été plus ou moins profondément remaniés par les labours. Toutefois, les horizons néolithiques sous-jacents sont généralement préservés, surtout vers les parties basses/nord-est et encore mieux dans les anomalies topographiques naturelles du substratum, notamment les plus profondes, comme la « structure » 438 qui conserve une succession stratigraphique particulièrement développée.
3.1.2.2 La stratigraphie de l’anomalie topographique 438
16La structure 438 se trouve en limite nord-est du décapage. Découverte et fouillée en 2014, elle se présentait sous la forme d’une grande tache de sédiment limoneux brun aux contours irréguliers d’une longueur que l’on peut évaluer à une quinzaine de mètres pour une profondeur maximale de 60 cm sous le niveau de décapage (fig. 24).
17La fouille manuelle d’une partie de son remplissage a montré la présence à différents niveaux de plusieurs aménagements : foyers à galets chauffés (structures 438b et d), dépôts de blocs calcaires brûlés (structures 438a et e), vase effondré in situ (structure 438c). À en juger par les caractères typologiques qu’il présente, le mobilier issu de la structure 438 représente une durée d’au moins quelques siècles, de la fin du Ve au début du IVe millénaire avant notre ère.
18Un carroyage a été mis en place préalablement à la fouille. Les carrés d’un mètre de côté ont été fouillés de manière à ménager une série de profils stratigraphiques, dont les profils A et B présentés ci-dessous (le profil C sera abordé dans le § 3.2).
Le profil stratigraphique A (fig. 25 en haut)
19Il présente une séquence stratigraphique bien développée de l’ensemble 2 préhistorique (l’ensemble 1, sus-jacent, a été décapé). On observe de haut en bas :
le niveau 2a constitué d’argiles limono-sableuses brunes à rares petits galets ;
le niveau 2b1 qui qui est composé argiles brunes, sableuses, à silex et fragments de céramiques déposés à plat et à petits galets épars plus ou moins abondants, avec à la base quelques gros cailloux et localement des structures empierrées (structures 438a et d notamment) ;
le niveau 2b2 constitué de sables argilo-limoneux bruns, faiblement caillouteux, sauf à la base où se développe localement un lit discontinu de sables grossiers et de petits galets. Localement (carré E9) ce niveau recouvre une petite structure de galets brûlés (str. 438b) établie dans une petite cuvette contenant quelques sables argileux noirâtres à micro-charbons ;
le niveau 2c formé de deux niveaux : 2c1 (sable brun à cailloux épars) et, au-dessous, 2c2 (petits galets avec une matrice argilo-limoneuse brun gris accompagnés de petits fragments émoussés de céramique) ;
l’ensemble 3 (substratum) précédemment décrit, formé de sables limoneux jaunâtres.
Le profil stratigraphique B (fig. 25 au milieu)
20Il a été relevé dans une tranchée réalisée en direction de la limite nord de l’épandage (fig. 24). Elle permet d’étudier une bordure de l’anomalie topographique et de formuler quelques hypothèses quant à son origine.
21On y retrouve les limons-sableux jaunâtres de substratum (ensemble 3) qui sont ici terminés par une des lentilles de petits galets (niveau 3g) déjà évoquées dans le paragraphe précédent. Ces deux formations sédimentaires sont recoupées par l’anomalie topographique 438. On est donc en présence d’un contact discordant d’érosion. Un niveau également à petits galets s’est ensuite déposé dans le fond de la dépression ainsi creusée dans le substratum pour former le niveau 2c2. Sa matrice argilo-limoneuse brun gris et la présence de petits fragments émoussés de céramiques le distinguent indubitablement de la lentille de galets du substratum (niveau 3g). Ce niveau de galets à éléments remaniés a une surface très ondulée, à la façon de rides de courant (fig. 26).
22Dans ce secteur au soubassement nourri d’alluvions du Coulon et aujourd’hui encore sous l’influence de crues de cette rivière, ce surcreusement et l’apport de petits galets du niveau 2c2 pourraient très bien être le fait de forts courants de crue de ce cours d’eau. Ces petits galets correspondraient soit à de nouveaux apports de cette rivière, soit à du matériel remobilisé à partir des lentilles de gravillons du substratum comme ceux du niveau 3g. Les fragments de céramique émoussée présents dans le niveau de galets 2c2 témoignent de l’érosion d’établissements préhistoriques antérieurs à cet épisode de crue (au Néolithique ancien ou moyen ?). Le profil stratigraphique A montre que ce dépôt lié à cet événement érosif est surmonté par une série de structures (dont la structure 438b posée directement sur ce niveau remanié à galets) puis par d’autres sédiments qui s’échelonnent, selon le mobilier archéologique1, entre la fin du Ve et le début du IVe millénaire avant notre ère.
23L’anomalie topographique 438, qui résulte donc d’un épisode érosif important, probablement liée à une crue du Coulon, n’est probablement pas la seule manifestation morphologique de cet événement. Au moins une partie des autres anomalies topographiques du toit de substratum pourraient avoir la même origine.
3.1.2.3 Le profil stratigraphique 1
24Cette séquence stratigraphique se trouve à environ 60 m au sud de l’anomalie topographique 438. On y retrouve une partie des niveaux observés dans cette dernière, mais son positionnement en bordure du décapage de 2012 permet de couvrir l’ensemble de la stratigraphie jusqu’à la surface actuelle du champ, ce qui en fait tout l’intérêt (fig. 27).
Ensemble supérieur (1a-c)
25Le niveau superficiel est constitué d’un limon argileux brun gris, que l’on peut qualifier globalement et sommairement de « palustre » et dont l’épaisseur varie entre 45 et 65 cm. Sous un premier horizon labouré relativement meuble se trouvaient 15 à 20 cm de sédiments toujours fins et gris noirâtre, mais plus consistants, non perturbés, contenant quelques gastéropodes palustres et des fragments de charbons de bois.
26Plus précisément, on peut y distinguer de haut en bas trois horizons :
1a est l’horizon superficiel, perturbé par les labours actuels ; il présente quelques rares gravillons, quelques tessons de céramique vernissée, des fragments de charbons de bois ou de bois plus ou moins décomposés et des débris de paille ou de plastic agricole ;
1b est un limon argileux gris à structure massive, homogène ;
1c, l’horizon inférieur, se distingue du précédent par une structure grumeleuse faisant penser à une concentration de turricules de lombrics. Cet horizon serait donc fortement bioturbé ; il renferme également de très rares petits galets épars et des tests de petits escargots de type hélicelle. Plusieurs espèces de cette famille de gastéropodes sont connues pour fréquenter des milieux ouverts. On peut ici envisager un contexte de prairie humide lié à une anthropisation et des aménagements du paysage comme le suggère la présence dans ces couches de fossés de drainage rapportés à l’Antiquité et aux périodes médiévales et modernes (cf. chapitre 9).
27Les décapages successifs ont révélé un épaississement progressif de cet ensemble sédimentaire des zones hautes aux zones basses de la topographie. Ainsi, en quelques dizaines de mètres, il passait de moins de 50 cm à 70 cm de puissance. Comme nous l’avons évoqué plus haut, cette variation est en relation avec un léger enfoncement du substratum qui pouvait dépasser une trentaine de centimètres sur la distance considérée. Cet enfoncement général semblait se stabiliser dans les parties orientales du décapage. En raison du très léger abaissement topographique de la surface du champ vers le nord-est, l’ensemble supérieur revenait même localement à des épaisseurs voisines de 50 cm.
28À ces limons brun gris sont associées des structures en creux de type fossés de drainage. L’un d’eux (la structure 5) s’ouvre vers la base de ces limons, avec un remplissage et un recouvrement par la partie supérieure de l’horizon 1c. Cette position stratigraphique est également celle de l’un des deux enclos circulaires (structure 4).
Ensemble médian (2a-b)
29Il est constitué d’une argile limoneuse brune et se distingue principalement par la présence d’éléments archéologiques néolithiques (silex, céramiques…). Il est également marqué par l’apparition de concrétions calcaires blanchâtres millimétriques. Elles s’organisent en amas verticaux qui suivaient sans doute les radicelles des petits végétaux peut-être à l’origine de leur formation. Elles se poursuivent dans les horizons supérieurs du substratum. On y observe aussi d’assez nombreux tests d’escargot, notamment de l’espèce Pomatias elegans, absents des ensembles supérieur et inférieur. Ces gastéropodes fréquentent plutôt des milieux forestiers ouverts, ce qui laisse envisager ici un contexte de type ripisylve. De petits galets, semblables à ceux des lentilles de gravillons du sommet de l’ensemble 3 (cf. infra § 3.2), sont également visibles.
30D’épaisseur variant entre 10 et 15 cm en moyenne, cet ensemble peut atteindre localement 20 à 30 cm, voire plus, notamment vers le nord-est, au niveau d’anomalies topographiques naturelles du substratum. On y distingue principalement deux niveaux aux contacts très imprécis et dont voici la synthèse des caractères principaux :
2a, le plus haut, de couleur brun gris, présente parfois des fragments de céramiques émoussés, les concrétions calcaires y sont rares ;
2b, dans ce niveau sous-jacent, brun clair, les artefacts préhistoriques observés (céramique et silex) ne semblent pas émoussés et sont plutôt disposés à plat, les concrétions calcaires deviennent rapidement beaucoup plus abondantes. Localement ce niveau a pu être subdivisé en deux horizons :
la partie supérieure (2b1), bien représentée au niveau d’anomalies topographiques du substratum, est la plus riche en petits galets et en artefacts ;
la partie inférieure (2b2) est plus limoneuse.
31En nous fondant sur la morphologie des fragments de céramique et la disposition des artefacts dans les sédiments (céramique et silex), nous avons retenu l’idée d’un niveau inférieur (surtout 2b1) plus ou moins en place et d’un niveau supérieur (2a) plutôt remanié. Ce qui sous-entend l’existence d’événements érosifs.
32Le niveau 2c, identifié dans l’anomalie topographique 438, n’est pas attesté dans le profil stratigraphique 1.
Ensemble inférieur (3a-c)
33C’est le substratum du site déjà décrit plus haut. Le tamisage de ses horizons les plus supérieurs a révélé la présence de rares et minuscules fragments roulés de céramique. Ils pourraient provenir des niveaux sus-jacents déplacés par piétinement lors des premières occupations néolithiques du site, ou plus tard à la faveur de bioturbations. Ces mêmes horizons renferment quelques tests de mollusques de la famille des Helicidae. Les petites concrétions calcaires qui apparaissent dans l’ensemble médian 2 se poursuivent ici dans les deux premiers décimètres, puis se raréfient et disparaissent peu à peu en profondeur. On constate ainsi des variations verticales progressives de certains caractères (couleur, taux d’argile, concrétions qui distinguent les divers horizons 3a, 3b et 3c) qui sont plutôt des caractères acquis secondairement par battement de la nappe phréatique, pédogenèse ou bioturbation que des caractères primaires strictement sédimentaires.
3.1.2.4 Niveau d’apparition des structures
34Les nombreuses structures archéologiques en creux qui percent le sommet de l’ensemble 3 s’ouvrent en fait dans les ensembles sus-jacents. Mais, hormis ces structures anthropiques, la surface de l’ensemble 3 est parfois affectée d’ondulations généralement peu profondes (d’ordre centimétrique à décimétrique) que nous avons appelées les anomalies topographiques naturelles du substratum (cf. § 3.1.2.1). Elles sont remplies par des sédiments bruns du niveau 2b, localement relativement riches en mobilier néolithique souvent représenté par des vases cassés sur place et posés à plat, même exceptionnellement par des niveaux plus anciens (2c) comme dans la structure 438. Nous avions constaté que l’abaissement topographique du toit du substratum vers le nord-est, souligné plus haut, coïncide avec le développement de ces anomalies.
35À l’exception des structures antiques et historiques (enclos circulaires et fossés de drainage) creusés à partir de l’ensemble supérieur (en particulier le niveau 1c), il est rapidement apparu que les autres structures archéologiques en creux (fosses, silos, puits), qui se développent dans le substratum et qui font tout l’intérêt de ce site, sont associées à l’ensemble médian (2). Mais les occasions permettant de préciser le ou les niveaux d’ouverture de ces nombreuses structures ont été rares, l’analyse ne pouvant se faire qu’à la faveur de bermes recoupant nettement des structures et conservant une séquence sédimentaire la plus complète possible.
Structure 219
36Dans le cas favorable de la structure 219, creusement attribué au Néolithique moyen de type Chassey situé dans la partie basse du décapage (fig. 21), le niveau d’ouverture a pu être situé entre les niveaux 2a et 2b1. Cette position a ainsi fourni un élément distinctif supplémentaire entre les niveaux 2a et 2b. Cependant, si l’on considère que le niveau de recouvrement 2a est un sédiment remanié, la structure 219 pourrait avoir été tronquée et le niveau d’ouverture supposé n’être en fait qu’un niveau d’érosion. Cette interprétation expliquerait la faible profondeur de cette structure par rapport à sa largeur. Elle pourrait s’appliquer aussi aux autres fosses ou silos du site qui présentent des rapports profondeur/diamètre similaires.
Structure 250
37Le cas du puits 250, dont le creusement et le remplissage sont attribués au Néolithique moyen de type Chassey, est un peu différent (fig. 21 et 28). C’est une structure originale, car très profonde (plus de 3,50 m par rapport à son niveau d’ouverture supposé) et très étroite dans ses parties basses (80 cm de diamètre). Malgré une séquence sédimentaire tronquée par les labours et le décapage, l’estimation de sa position stratigraphique a été favorisée par deux éléments :
la conservation, par soutirage, des principaux niveaux de l’ensemble 2 au droit de la structure, phénomène ici amplifié par le fort potentiel de compaction du remplissage, lié notamment à l’épaisseur des dépôts et leur richesse en matière organique ;
un niveau d’ouverture stratigraphique apparemment assez bas, avec cependant deux options (fig. 28 flèches rouges) liées en partie à des contacts sédimentaires très flous qui rendent la lecture de la stratigraphie délicate.
38Ainsi, une des lèvres du puits se situerait soit sous l’us 2 de la stratigraphie du puits, équivalent du niveau 2b1 de la stratigraphie générale, soit plus bas, sous l’us 9 de la stratigraphie du puits, c’est-à-dire à la base du niveau 2b2 et au contact du substratum (ensemble 3). Dans ce dernier cas, ce puits pourrait être contemporain des couches 2c révélées par la stratigraphie de la dépression 438, sans doute plutôt de 2c1, 2c2 étant un niveau correspondant à un épisode de crue. On pourrait alors envisager une correspondance avec la structure 438b.
Structure 527
39La place du vase ossuaire 527 est un peu spéciale et doit être commentée (fig. 21 et 176-178). La fouille n’a pas distingué de fosse dans laquelle il aurait pu être déposé. Il est attribuable à l’occupation du Néolithique moyen mais il n’a pas été possible de dater son contenu par des méthodes radiométriques faute d’échantillons appropriés. Son fond reposait plus ou moins au niveau de la partie basse de l’horizon 2b1. Sensiblement au même niveau, bien que 2 à 3 cm plus haut, plusieurs objets étaient disséminés autour du vase (deux fragments d’une assiette à marli brûlée et quelques blocs calcaires). Cet ensemble pouvait donc être associé à cet horizon que l’on sait être le niveau le plus riche en vestiges archéologiques. Or, on sait également qu’un concrétionnement calcaire important affecte le niveau 2b1 et les niveaux sous-jacents. Il est ici très bien représenté sur les objets entourant l’urne, notamment les fragments de l’assiette à marli. Mais curieusement le vase ossuaire l’est très peu. Il serait facile d’invoquer le caractère discontinu de ce phénomène pédologique. Il n’empêche que cette différence interpelle, surtout sachant que le dernier niveau de la séquence archéologique, l’horizon 2a, est lui très peu concrétionné : l’essentiel du concrétionnement s’étant vraisemblablement développé avant le dépôt de ce dernier horizon. On pourrait ainsi en déduire que le vase ossuaire et ses objets environnants ne sont pas contemporains et que ces derniers appartiennent bien au niveau 2b1, mais que le vase ossuaire a été mis en place plus tardivement, peut-être dans une fosse creusée à partir du niveau 2a ou avant la mise en place de ce dernier, à partir d’un horizon sus-jacent à 2b1, secondairement érodé, comme nous l’avons envisagé pour le niveau d’ouverture de la structure 219.
3.1.3 Stratigraphie et conservation du site
40La séquence sédimentaire est donc relativement complète dans les parties basses (nord-est) du décapage où se trouvent notamment le profil stratigraphique 1 et la dépression 438. La situation est sensiblement différente dans les zones topographiquement plus hautes vers l’ouest. Sur le profil stratigraphique 5 (fig. 21 et 29), l’ensemble 1 superficiel est totalement remanié par les labours et repose directement sur l’ensemble inférieur (3). Il inclut même à sa base quelques paquets de limons jaunâtres de type « ensemble inférieur » arrachés par le soc de la charrue. L’ensemble médian (2) est de ce fait totalement absent. Comme nous l’avons déjà dit plus haut (cf. § 3.1.1), en allant vers les zones légèrement plus hauts du secteur fouillé les ensembles sédimentaires supérieurs (2 et 1) se réduisent nettement en épaisseur tandis que le substratum remonte (fig. 22). De ce fait, l’ensemble 2 et la partie supérieure de l’ensemble 3 se sont retrouvés ici à portée des charruages dont les traces ont été observées sur une partie de la moitié ouest du décapage. C’est précisément dans ce secteur que la densité des structures est la moins forte.
41Nous avons donc affaire à un site dont les zones les plus hautes (moitié ouest du décapage) ont subi d’importantes destructions dues essentiellement aux travaux agricoles. Par contre, la partie basse (le quart nord-ouest du décapage) n’a été que peu touchée par l’érosion et les travaux agricoles. C’est là que l’on trouve de nombreuses anomalies topographiques naturelles au fond desquelles se trouvaient des épandages de mobilier, probables vestiges d’anciennes surfaces de circulation. Constitué de mobilier archéologique en très bon état de conservation, posé à plat, peu fragmenté et peu dispersé, ce niveau semble donc avoir été rapidement recouvert par des apports alluviaux et peu fréquenté par la suite.
3.1.4 Conclusions de l’étude géomorphologique et stratigraphique
42Les observations de terrain ont permis de constater que la séquence stratigraphique néolithique (ensemble 2) est constituée d’une succession d’occupations humaines dans un contexte sédimentaire d’apports alluviaux provenant de débordements du Coulon (fig. 30). On constate également qu’avec le temps les effets morpho- sédimentaires de ces débordements semblent décroître.
43Dans un premier temps, des surcreusements affectent le substratum donnant tout ou partie des anomalies topographiques. C’est la surface d’érosion S1. Des vestiges de premières occupations non datées et non localisées sont alors érodés, transportés et piégés dans les anomalies topographiques les plus profondes, sous forme de tessons roulés mêlés à des sédiments grossiers (niveau 2c2 de la structure 438). Ensuite, la stratigraphie du site nous offre des sédiments de plus en plus fins (niveaux 2c1, 2b2 et 2b1) sans traces apparentes d’érosion ou de destruction de structures (structure 438b) même si le niveau inférieur du groupe 2b (2b2), plus limoneux, suggère de nouveaux apports de crue.
44Dans ce contexte les occupations humaines se succèdent, avec notamment les structures 438b, puis 438d et les vestiges du niveau 2b, pour ne citer que quelques éléments d’une histoire sans doute plus complexe (cf. § 3.2 micromorphologie). Les principaux vestiges (céramiques, silex) sont déposés à plat et souvent cassés sur place, preuves de l’absence de remaniements importants. Seuls des limons fins d’inondation ont pu venir les recouvrir. La nouvelle surface d’érosion (S2) mise en évidence après se calme relatif s’accompagne d’un niveau contenant des éléments remaniés du néolithique moyen (niveau 2a), mais sans apports grossiers. Les sédiments de ce niveau, mais aussi ceux de l’ensemble 1 (au sein duquel il faut localiser le niveau d’ouverture des structures antiques et médiévales) restent en effet toujours constitués de limons fins. Actuellement, si la zone est toujours déclarée inondable, il n’a pas été signalé de courants violents dans le secteur des Bagnoles lors des crues du Coulon.
45Il semble donc que l’on assiste au cours du temps à une évolution dans le caractère des crues, passant d’écoulements vifs à des inondations plus stagnantes. Cette différence pourrait être liée à l’existence d’une ancienne période de très fortes crues du Coulon, qui ne s’est, semble-t-il, pas reproduite ensuite et/ou à un tracé initial de la rivière (ou du moins de branches secondaires divagantes) proche du site, puis à un éloignement de son cours pour passer à son lit actuel, concentré à 5 kilomètres plus au Sud, près de Cavaillon.
46L’étude géomorphologique et stratigraphique suggère donc un site dans une plaine alluviale, peut-être plus ou moins proche de cours d’eau, mais de toute façon marqué par des crues régulières qui ont conduit à des épisodes d’érosion, surtout au début, et à des apports alluviaux fréquents mais plus calmes par la suite. Cette situation a sans doute conditionné le rythme et les déplacements des occupations humaines. Les apports alluviaux réguliers ont également contribué à une relativement bonne conservation des vestiges des occupations successives du lieu, malgré plusieurs phénomènes secondaires (pédogenèse, bioturbation, battement de nappe) perturbateurs.
3.2 Analyse micromorphologique
Philippe Rentzel
3.2.1 Intoduction
47Entre 2012 et 2014, six échantillons micromorphologiques, nommés E1, E2, P1-3 (structure 250) et P4 ont été prélevés dans des séquences sédimentaires du site des Bagnoles (fig. 21). Ces blocs orientés ont été traités en deux étapes : prélèvement de petits échantillons en vrac destinés à une analyse classique (géochimie et granulométrie) et confection de lames minces pour une étude micromorphologique.
48Rappelons brièvement qu’une étude micromorphologique consiste en une analyse microscopique de sédiments meubles, préalablement indurés. Sur le terrain, des blocs orientés de sédiments non perturbés ont ainsi été extraits à partir de profils stratigraphiques. Aux Bagnoles, cette extraction de sédiments non consolidés s’est effectuée à l’aide de boîtes en plastique, et pour la série de 2015 (en cours de traitement) à l’aide de bandes plâtrées. Chacun de ces blocs est accompagné d’un relevé de terrain et d’une documentation photographique.
49En laboratoire, après prélèvement des échantillons destinés à l’analyse géochimique et granulométrique, les blocs ont été séchés à l’air libre puis indurés sous vide par de la résine époxyde très fluide. Après polymérisation complète, le bloc durci a été sectionné à l’aide d’une scie diamantée en plaquettes de format de 47x47 mm, correspondant à celui des lames minces. Celles-ci ont été obtenues par amincissement jusqu’à une épaisseur de 30 microns grâce à une rectifieuse. Au total, 19 lames minces ont été fabriquées par Thomas Beckmann (Brunswick, D). Afin de faciliter la corrélation entre les documents de terrain et les microcouches visibles sous lame mince, nous avons également confectionné une tranche polie de chaque bloc de sédiment imprégné. Toutes les lames minces ont été scannées à haute résolution.
50L’analyse micromorphologique des lames minces a été effectuée grâce à l’utilisation d’une loupe binoculaire, d’un microscope polarisant à grossissement maximum de 630x et d’un microscope équipé d’un système d’autofluorescence pour la détection de la matière organique. Les descriptions micromorphologiques se basent sur les principes définis par Marie-Agnès Courty, Paul Goldberg et Richard Macphail (1989), Ewart Adsil Fitzpatrick (1993) et Georges Stoops (2003), adaptés eux- mêmes de la terminologie préconisée par Peter Bullock et al. (1985).
51Mentionnons que le point fort de la micromorphologie réside dans la conservation de l’arrangement spatial des constituants du sédiment, par opposition aux analyses sédimentologiques sur des échantillons en vrac. Ceci permet une lecture microstratigraphique des sédiments naturels, des sols et des séquences de couches archéologiques. L’intérêt majeur de cette technique réside donc dans la possibilité d’observer les processus qui ont contribué à la genèse et à la transformation d’une couche archéologique (Gé et al. 1993, Goldberg & Macphail 2006, Nicosia & Stoops 2017). Son objectif est de distinguer les processus primaires, de mise en place des sédiments, des processus secondaires, post-dépositionnels (formation des sols, caractères anthropiques).
3.2.2 Résultats
3.2.2.1 Aspects méthodologiques
52Nous présentons ci-dessous les résultats de l’analyse micromorphologique pour les prélèvements E1 (profil stratigraphique n° 1 ; fig. 27 et 31), E2 (profil stratigraphique n° 3 ; fig. 32), P1-3 (partie supérieure du remplissage du puits 250 ; fig. 28 et 33) et P4 (anomalie topographique 438 ; fig. 24 et 34). La documentation des observations microscopiques est présentée sous forme de tableaux descriptifs accompagnés d’une interprétation (annexe 1). Les vues de détails des lames minces et les résultats des analyses géochimiques se trouvent en annexe (annexes 2 et 3).
3.2.2 Résultats
3.2.2.1 Aspects méthodologiques
53Nous présentons ci-dessous les résultats de l’analyse micromorphologique pour les prélèvements E1 (profil stratigraphique n° 1 ; fig. 27 et 31), E2 (profil stratigraphique n° 3 ; fig. 32), P1-3 (partie supérieure du remplissage du puits 250 ; fig. 28 et 33) et P4 (anomalie topographique 438 ; fig. 24 et 34). La documentation des observations microscopiques est présentée sous forme de tableaux descriptifs accompagnés d’une interprétation (annexe 1). Les vues de détails des lames minces et les résultats des analyses géochimiques se trouvent en annexe (annexes 2 et 3).
54Les critères suivants ont été enregistrés sous microscope :
granulométrie des composants (fraction des graviers et des sables ; >63 microns), classement des particules ;
granulométrie et pétrographie de la matrice (fraction des silts et des argiles ; <63 microns) ;
pétrographie des composants ;
présence d’encroûtements carbonatés de type oncoïde ;
porosité et microstructure : structure sédimentaire (litage) ou arrangement des composants suite à des phénomènes pédogenétiques ou anthropiques ;
effets postsédimentaires (précipitations d’oxydes ou de carbonates), illuviations (infiltrations de matériel fin le long des pores), indices d’altération (dissolution, décalcification) ;
composants indiquant la présence de la faune du sol (par exemple biosphéroïdes calcitiques, coquilles de gastéropodes) ;
composants d’origine anthropique, soit charbons de bois ; microcharbons (<50 microns), silex (esquilles à pourtour anguleux), fragments de céramique, macrorestes carbonisés, os, os brûlé (à noter que des esquilles d’os calcinés n’ont pas été mis en évidence dans les échantillons étudiés) ;
divers (par exemple racines récentes, croûtes carbonatés…).
55Les expressions concernant la fréquence sont utilisées de manière suivante : dominant (50-70 %), abondant/très abondant (30-50 %), fréquent (5-20 %), peu fréquent (2-5 %), rare (<2 %).
56Terminologie :
Biosphéroïdes : Précipitations calcitiques formées dans les intestins des lombricidés (lombrics ; de forme plutôt aciculaire et radiaire) et des Arionidae (limaces ; gros cristaux de calcite accolés. Canti 1998, 2003) ;
Sclérotes : Forme de conservation hivernale de certains champignons qui colonisent l’horizon humifère.
3.2.2.2 Prélèvements E1 et E2 (profil stratigraphique n° 1)
57Des deux prélèvements E1 et E2 ont été étudiés préalablement par des méthodes sédimentologiques classiques (voir ci-dessus § 3.2.1). Les niveaux 3b à 1c ont fait l’objet d’une analyse micromorphologique. Cinq lames minces couvrent les niveaux situés sous l’horizon des labours (fig. 31 et 32).
58À la base de la séquence du prélèvement E1, le niveau 3a est un sédiment d’origine fluviatile de type plaine d’inondation. La structure sédimentaire d’origine n’est pas préservée. On observe une forte bioturbation ce qui se traduit par une microstructure en chenaux et chambres. Le sédiment est faiblement pédogenétisé et vers le sommet du niveau 3a les indices de proximité de la surface de sol apparaissent, sous forme de sclérotes et de biosphéroïdes (voir annexe 2, lame E1-2/C3a).
59Avec une limite inférieure très diffuse, le niveau 2b sus- jacent montre les mêmes caractéristiques, à savoir un faciès de plaine d’inondation, végétalisé et pédogenétisé. Les précipitations d’oxydes de fer – traces nettes d’hydromorphie – indiquent un drainage imparfait des sédiments. Ceci est probablement une conséquence de phases d’eau stagnante suite à des inondations. À noter que les traces anthropiques sont diffuses et très peu exprimées. Il s’agit d’artéfacts isolés, sans véritable concentration de charbons de bois. Aucun niveau piétiné n’est visible en lame mince. Il n’est pas possible de dire si cette disposition est le résultat d’une occupation fugace, d’une mauvaise conservation due à une érosion fluviatile ou d’une combinaison des deux phénomènes. La forte bioturbation, attestée par une concentration élevée en biosphéroïdes (limaces et lombrics), a sans doute eu un effet négatif quant à la conservation et la répartition des vestiges archéologiques.
60Le niveau 2a, homogène et altéré par pédogenèse, est – à part un taux plus élevé en graviers fins – très similaire au niveau 2b.
61Il est surmonté par un horizon humifère (1c), qui est poreux, microagrégé et renferme des racines récentes.
62Par rapport aux premiers résultats de l’analyse sédimentologique des profils E1/E2, différents aspects peuvent être précisés ou nuancés grâce à l’analyse microscopique qui corrobore l’hypothèse d’une plaine d’inondation et celle d’un environnement palustre/prairie humide.
63L’argiliturbation, envisagée pour expliquer la rareté et la mauvaise conservation des restes organiques (charbons de bois et ossements ; voir § 3.5) semble pouvoir être écartée en raison de l’absence de minéraux argileux gonflants dans les sédiments observés. La couleur foncée des sédiments résulte soit des oxydes/hydroxydes de fer, soit des microcharbons épars.
64Cette étude confirme également l’existence de concrétions carbonatées d’origine fluviatile (oncoïdes), l’importance de la bioturbation et l’hydromorphie du site. La présence de gravier dans les niveaux archéologiques peut être liée à des inondations ou à des apports anthropiques (creusement de structures par exemple). On observe également une augmentation de la teneur en phosphates vers le bas du profil E1/E2 dont la provenance n’est pas claire, mais peut être liée aux restes organiques (ossements) issus des occupations successives du site.
3.2.2.3 Prélèvements P1-3 (puits 250)
65Le puits 250 a fait l’objet de trois prélèvements situés dans la partie supérieure de son remplissage (fig. 28 et 33)2 Les numéros qui figurent sur les photos des tranches polies correspondent aux unités stratigraphiques observées lors de la fouille du puits (voir fig. 28 ; us 1-10). Les parties étudiées par la microscopie sont marquées par des carrés rouges. L’attribution de la partie inférieure de l’échantillon P3 à l’us 10 n’est pas acquise.
66Profil P1 : il correspond à la partie supérieure du remplissage du puits. Les us 2 et 8 ont été décrites dans la présentation des profils 2 et 3. L’us 7 est constituée d’un silt sableux avec quelques gravillons de pétrographie variée (quartz arrondis, calcaires divers, micas), non lité, riche en microcharbons, à matrice carbonatée grise, localement teinté par des oxydes de fer. Elle contient également des petits fragments de limon décarbonaté, quelques fragments de silt carbonaté, des biosphéroïdes (de lombrics et limaces) et des coquilles de gastéropodes.
67Profil P2, us 10, 6 et 8 : au centre du puits l’échantillon touchant le sommet de l’us 10 consiste en un sédiment à composants divers et de structure assez homogène. À la base on observe un litage subhorizontal, la partie supérieure est plus homogène et comprend moins de petits fragments de sols par rapport à l’us 6 sus-jacente. Cette homogénéisation pourrait être l’indice d’une sédimentation ralentie. Les biosphéroïdes de lombrics et de limaces (voir annexe 2, lame P2-3/C10) indiquent que le remplissage renferme également du matériel de l’ancien horizon de surface (topsoil). Le sédiment de l’us 6 possède des caractéristiques similaires à celui de l’us 10. Plusieurs composants (silex, céramique) sont entourés d’encroûtements carbonatés, ce qui parle en faveur de la présence d’eau à proximité du puits (voir annexe 2, lame P2-1/C2). Plus haut, l’us 8 a une structure plutôt hétérogène. Elle comprend de petits fragments d’argile (céramique non cuite ?) et des esquilles d’os (voir annexe 2, lame P2-1/C2). En outre des zones sableuses apparaissent (voir annexe 2, lame P2-1/C8), un faciès sédimentaire inconnu jusqu’ici sur ce site. Nous interprétons ces parties sableuses comme indices de ruissellement avec lessivage de la fraction fine carbonatée, ce qui mène à une accumulation relative des sables de quartz. Il pourrait s’agir d’un phénomène d’érosion à l’intérieur du puits en liaison avec un colluvionnement des bords de la structure archéologique. Les fragments de sols limoneux, repérés dans les us 10, 6 et 8 sont interprétés comme produits de l’érosion et du recul des bords du puits. Ce même type de sédiment est également présent dans l’us 2.
68Profil P3, us 10 ( ?) : situé au bord du puits, il s’agit d’un sédiment riche en microcharbons, peu altéré et à composants divers (croûtes carbonatées charbonneuses, macrorestes carbonisés, céramique, croûtes microlitées ; voir annexe 2, lame P3-4/C10). Le remplissage n’est pas lité et ne montre pas d’indices nets de ruissellement. Le manque de litage pourrait résulter d’une sédimentation par érosion des bords, dans un laps de temps assez court ne permettant pas le développement des dépôts de pente lités à l’oblique ou des dépôts ruisselés finement stratifiés. La présence de croûtes microlitées peut être l’indice d’un milieu humide avec décantation de matériel fin dans des dépressions. Les fragments de sédiments microcharbonneux à esquilles d’os, légèrement teintées par des oxydes de fer (couleur jaune) correspondent probablement à des restes de la couche archéologique, conservée dans son état d’origine.
3.2.2.4 Prélèvement P4 (anomalie topographique 438)
69Un prélèvement en bloc a été réalisé dans l’anomalie topographique 438, à l’emplacement du profil stratigraphique C (fig. 25 et 34).
70Niveau 2c2 : à la base de la séquence, il correspond à un gravier calcaire à matrice carbonatée non altérée (35 % de CaCO3 ; annexe 3). Dans la fraction sableuse les grains de quartz arrondis sont dominants. Il s’agit d’un dépôt fluviatile qui comprend très peu d’éléments anthropiques. Ces derniers représentent des intrusions postérieures ou des restes d’une zone d’activité fortement érodée. La surface irrégulière de la limite supérieure parle en faveur de phénomènes d’érosion considérables (chenaux fluviatiles).
71Niveau 2c1 (partie inférieure) : dans la partie inférieure du niveau 2c1, la granulométrie devient plus fine et des encroûtements carbonatés de type oncoïde sont présents. Il s’agit d’une mince couche de carbonates d’origine biochimique, entourant des gravillons (annexe 1). Ces observations vont dans le sens d’un milieu fluviatile de faible énergie avec de l’eau peu profonde, temporairement stagnante et permettant le développement d’encroûtements algaires. Une légère concentration en artefacts (esquilles de silex, céramique très fragmentée) apparaît dans la partie médiane de cet ensemble (annexe 1, P4) où on observe également des pores remplis d’un sédiment fin microcharbonneux. Cette illuviation poussiéreuse pourrait être une conséquence de surfaces de sols exposées. La zone d’artefacts est très pauvre en charbons de bois et on y trouve également des calcaires oxydés. L’oxydation pourrait être en liaison avec des effets de feu, hypothèse difficile à prouver en l’absence de matrice argileuse brûlée ou de calcaires transformés en chaux. Il ne s’agit toutefois ni d’une couche archéologique riche, ni de restes d’un foyer en place. L’idée d’une structure archéologique creuse ou de traces d’une occupation fugace suivie d’une érosion fluviatile nous semble très plausible.
72Niveau 2c1 (partie supérieure) : elle montre les mêmes caractéristiques sédimentologiques que la partie sous-jacente. On assiste à une faible altération des composants carbonatés peu résistants. Ainsi les coquilles de gastéropodes ou les biosphéroïdes calcitiques sont partiellement dissouts. En outre le taux de carbonates diminue légèrement (31 %). Ces données vont dans le sens d’un dépôt d’inondation sur lequel un sol peu profond s’est développé. Vers la base de la couche, de nombreux éléments montrent une tendance d’orientation subhorizontale, effet possible d’un piétinement. Cette zone renferme de faibles indices anthropiques : rares microcharbons, minuscules fragments de céramique, esquilles d’os et de silex (annexe 2, lame ISBa/ P4-4/C3). Quant à la reconstruction de la situation environnementale et du milieu sédimentaire, on peut postuler une plaine alluviale active avec des phases de formation de sol. Dans les lames minces les activités anthropiques ne sont pas bien préservées et s’inscrivent sur un substrat limono-graveleux, affecté par pédogenèse et végétalisé.
73Niveau 2b2 : cette partie de la stratigraphie n’a pas pu être analysé en lames minces. Les caractéristiques sédimentologiques sont très proches du niveau 2c1 sous- jacent.
74Niveaux 2a et 2b1 : à partir de la base de cette couche le caractère du sédiment change. On assiste à une augmentation des indices d’altération et de pédogenèse qui affectent un dépôt fluviatile. Ces effets de sédimentation et d’altération sont attestés par la présence d’éléments à encroûtements algaires (milieu fluviatile), de traces de bioturbation intense (annexe 1) et des pores remplis d’un silt carbonaté témoignant d’inondations. Dans le niveau 2b1 des épisodes fluviatiles avec apport de graviers fins sont marqués, tandis que le niveau 2a résulte de plusieurs inondations de faible énergie. Les indices micromorphologiques parlent en faveur d’un milieu sédimentaire de type plaine d’inondation, végétalisé avec des apports répétés en sédiment fin carbonaté et en graviers, accumulés lors de crues. Dominé par l’alternance d’inondations et le développement continu de sols, le cadre environnemental correspond à celui d’un « soil-sedimentary system » (Ferring 1992, Becze-Deàk & Langohr 1999). Concernant les traits anthropiques des couches 2a et 2b1, les indices d’occupation sont très diffus, effacés et homogénéisés par des effets de bioturbation. On peut toutefois citer une teneur élevée en microcharbons, ce qui indique des activités anthropiques répétées.
3.2.3 Conclusions de l’étude micromorphologique
75L’analyse micromorphologique a permis de mettre en évidence divers processus responsables de la formation des couches. En ce qui concerne la genèse de sédiments repérés dans les profils E1/E2 et P4, les observations vont dans le sens d’un modèle de type « soil-sedimentary-system », c’est-à-dire une plaine alluviale avec alternance de phases d’inondation et de pédogenèse. Le terme de « soil sedimentary system » ou « soil sedimentary complex » s’applique à des sites où les sédiments sont périodiquement déposés et s’accumulent dans un environnement avec des processus pédogenétiques (colonisation par la végétation, bioturbation, lessivage, oxydo-réduction, structuration etc.) continus.
76Dans le cas du site des Bagnoles, les effets de la sédimentation sont attestés par :
une fraction minérogène (graviers calcaires, sables quartzeux, silts carbonatés) ; ce sont des dépôts de plaine d’inondation avec des apports fluviatiles, de moyenne et basse énergie ;
des encroûtements carbonatés sur graviers. Ils sont d’origine biochimique (algues), formés dans un milieu d’eau calme ou temporairement stagnante et peu profonde (Hägele et al. 2006) ;
une illuviation de sédiment fin carbonaté, infiltré le long de la porosité du sol, durant ou suite à des phases d’inondation ;
des traces d’hydromorphie dans les sols dues à la présence d’eau stagnante.
77Durant des phases de pédogenèse, la sédimentation est minime ou ralentie. Dans les dépôts des Bagnoles la formation de sols est caractérisée par les critères suivants :
une forte homogénéisation (effet de la faune et flore du sol) ;
une légère décalcification, c’est-à-dire une faible altération des graviers calcaires, une dissolution partielle des coquilles de gastéropodes ou des biosphéroïdes, une légère diminution de la teneur en carbonates ;
des traces de racines ;
des biosphéroïdes de limaces (faune du sol qui reste surtout en surface) ;
des biosphéroïdes de lombrics (faune du sol, qui migre également en profondeur) ;
des sclérotes (indice de topsoil).
78Il est évident qu’un milieu de plaine d’inondation active (dynamisme périodique) a des incidences sur la conservation des structures et du matériel archéologique. Il est ainsi possible que certains artéfacts soient exposés à l’air libre avant d’être recouverts (et remaniés) par des apports fluviatiles. De multiples inondations – avec chaque fois une accumulation faible – peuvent en outre influencer la répartition stratigraphique des artéfacts et conduire à une image de « couches diffuses ». Au contraire, les structures en creux montrent une meilleure conservation des restes archéologiques, comme par exemple les abondantes esquilles d’os non brûlées ou des fragments de la couche néolithique. Ces hypothèses géoarchéologiques devront être confrontées aux résultats des élaborations archéologiques et archéobiologiques dans le cadre d’un discours interdisciplinaire.
3.3 Des incursions exceptionnelles du Coulon/Calavon à l’intérieur des terres
Jacques Élie Brochier
79S’il est un faciès sédimentaire qui tranche dans la séquence essentiellement fine mise au jour sur le site des Bagnoles, claire, limono-argileuse et hydromorphe à la base (ensemble 3), foncée au sommet (ensemble 2 et 1), c’est bien le faciès alluvial grossier qui forme le sommet de l’ensemble 3 et la base de l’ensemble 2. On se reportera à l’étude stratigraphique du site (§ 3.1) pour plus de détails.
80En nappes étendues, puissantes de plusieurs décimètres, retrouvées en de nombreux secteurs du site et remaniées dans les dépôts néolithiques, ces graviers fluviatiles ont comme point commun leur composition pétrographique dans laquelle dominent les calcaires, accompagnés en très faible proportion, par les molasses, les silex et les oxydes de fer. Un cortège qui indique clairement leur origine coulonienne. Les diamètres des galets – ils ne dépassent pas une vingtaine de millimètres de largeur – montrent que, dans tous les cas, nous sommes en présence d’atterrissements de crues puissantes en marge du lit mineur de la rivière dont la position nous est inconnue. Grâce aux recherches de Georges Truc (1991), nous savons que dans un quaternaire récent le Coulon/Calavon, qui aujourd’hui emprunte un cours grossièrement est-ouest en direction de Cavaillon pour rejoindre la Durance, passant ainsi à quelques kilomètres du site des Bagnoles, empruntait un cours sud-est/nord- ouest en direction de L’Isle-sur-la-Sorgue et du Thor. La chronologie du changement de tracé reste cependant extrêmement floue. Nous ne savons pas, en effet, à quelle époque le Coulon/Calavon abandonne son cours septentrional pour rejoindre son trajet actuel ; en d’autres termes, les graviers fluviatiles rencontrés aux Bagnoles sont-ils les témoins d’évènements hydrologiques liés à son ancien cours septentrional ou, de façon plus hypothétique, à d’autres, d’une ampleur extrême, en provenance d’un Coulon/Calavon ayant déjà rejoint son tracé est-ouest. On remarquera qu’actuellement, comme dans les périodes récentes, le secteur des Bagnoles reste soumis aux caprices de ce cours d’eau. Les crues n’y déposent cependant, occasionnellement, que des sédiments fins. La stratigraphie du site des Bagnoles nous indique clairement que le Néolithique moyen chasséen est un terminus ante quem de la fin des alluvionnements grossiers, probablement également du changement de cours de la rivière. Quelle que soit l’hypothèse retenue, débordements exceptionnels en marge d’un lit orienté vers le nord ou même, crises hydrologiques majeures dans un lit est-ouest, les dépôts grossiers observés sont les témoins d’évènements puissants et rares ne pouvant guère se développer que dans des paysages très ouverts.
81Au cours des dernières décennies, dans le cadre de l’étude du Mésolithique de la vallée du Coulon/Calavon (Brochier & Livache 2003), nous avons recueilli de nombreuses données morphométriques d’échantillons de galets datés – entre Tardiglaciaire et actuel – qui peuvent, aujourd’hui, contribuer à préciser l’âge des dépôts fluviatiles grossiers du site des Bagnoles (fig. 35).
35. Sphéricité moyenne (PSI) et erreur standard des galets calcaires de la vallée du Coulon/Calavon dont la largeur est comprise entre 10 et 16 mm
site et n° d’échantillon | n | PSI moyen ± erreur standard |
Les Bagnoles A | 315 | 0,618 ± 0,01 |
Les Bagnoles B | 213 | 0,605 ± 0,01 |
Les Bagnoles C | 349 | 0,605 ± 0,01 |
Les Bagnoles D | 251 | 0,570 ± 0,01 |
Coulon/Calavon (actuel) | 175 | 0,588 ± 0,01 |
Ubac (antiquité) | 143 | 0,614 ± 0,01 |
abri du Centre 2 / 17i | 128 | 0,561 ± 0,01 |
abri du Centre 2 / 19 | 145 | 0,588 ± 0,01 |
abri du Centre2 /16s | 131 | 0,567 ± 0,01 |
abri du Centre 2 /15s | 128 | 0,575 ± 0,01 |
abri de Roquefure K | 259 | 0,563 ± 0,01 |
abri de Roquefure NEX1 | 94 | 0,574 ± 0,01 |
abri de Roquefure NEX2 | 60 | 0,560 ± 0,02 |
abri de Roquefure NEX3 | 42 | 0,545 ± 0,02 |
abri de Roquefure Château | 358 | 0,571 ± 0,01 |
abri du Centre sup. | 100 | 0,575 ± 0,01 |
abri du Centre inf. | 237 | 0,570 ± 0,01 |
Ubac terrasse | 159 | 0,568 ± 0,01 |
abri du Centre 2 terrasse | 147 | 0,564 ± 0,01 |
abri du Centre 2 /14 | 158 | 0,548 ± 0,01 |
abri de Roquefure (tardiglaciaire) | 143 | 0,498 ± 0,01 |
De petits galets calcaires : morphologie, mise en place et conséquences environnementales
82Le principe est relativement simple : les trois dimensions de chaque galet sont combinées pour calculer un indice de sphéricité (PSI, maximum projection sphericity index, Sneed & Folk 1958) ; dans le cas du Coulon/Calavon cet indice de sphéricité dépend principalement des volumes de gélifracts qui rejoignent le lit de la rivière. Ceux-ci peuvent être mobilisés par la rivière peu de temps après leur genèse ou, dans des conditions environnementales particulières, être remobilisés à partir de formations fluviatiles, ou de versant, plus anciennes.
83Quatre échantillons de galets calcaires (A à D) dont la largeur est comprise entre 10 et 16 millimètres – soit au total 1128 galets – ont été prélevés en différents points du site. L’utilisation d’une plage dimensionnelle étroite nous est imposée par la liaison bien connue qui existe entre la taille et la sphéricité des galets ; elle est imposée également par la nature même de nos références couloniennes, construites à partir de galets ayant ces dimensions. L’échantillon A est interstratifié dans des sables jaunâtres qui forment le terme ultime de l’ensemble 3 ; les échantillons B et C ont été prélevés dans l’anomalie 438, respectivement dans les carrés I12 et F12. L’épaisse couche de galets à matrice sombre a la particularité de contenir, dans ce secteur, de très rares petits tessons émoussés. Enfin, l’échantillon D provient d’une épaisse langue de galets affleurant en marge de la structure 911 (voir fig. 52) ; elle a la particularité, unique, d’être très fortement indurée par des carbonates secondaires, un faciès qui n’est pas sans rappeler ceux de nombreux dépôts mésolithiques de la vallée du Coulon/ Calavon.
84L’analyse factorielle des correspondances du tableau de contingence croisant échantillons (des Bagnoles et de référence) et classes de sphéricité (fig. 36) nous montre l’originalité morphologique des galets des Bagnoles. Le premier axe factoriel trie les échantillons en fonction de leur sphéricité moyenne : galets particulièrement plats dans le Tardiglaciaire représenté par les dépôts alluviaux de la base de la séquence de Roquefure (Brochier & Livache 2004) jusqu’aux galets plus globuleux de la période antique et des Bagnoles en passant par les échantillons de morphologie intermédiaire caractéristiques des Mésolithiques d’âge Préboréal et Boréal (Brochier & Livache 2003). Cette analyse exploratoire suggère également une certaine inhomogénéité des échantillons récoltés aux Bagnoles. L’échantillon D, aux galets très fortement encroûtés dans une matrice sombre, semble en effet avoir une morphologie plus proche de celle des échantillons mésolithiques que des trois autres échantillons des Bagnoles. La comparaison détaillée des quatre distributions des Bagnoles, deux à deux, par le test de Kolmogorov-Smirnov (probabilité-seuil réduite de 0,05 à 0,03 par FDR) le confirme : les trois distributions A, B et C ne sont pas significativement différentes alors que la distribution des sphéricités de l’échantillon D est, au contraire, dans les trois comparaisons, significativement différente. Ce premier résultat nous montre ainsi que les puissants débordements du Coulon/Calavon ne se limitent pas à un seul épisode plus ou moins proche du Néolithique moyen, mais que des conditions climatiques et environnementales favorables ont été parfois réunies bien antérieurement.
85Les galets des trois échantillons A, B et C, malgré des morphologies semblables, semblent bien, également, ne pas s’être déposés lors d’un épisode unique, mais sur le temps long, même s’il nous est impossible d’en estimer précisément la durée. Premier indice, la texture sableuse et la couleur jaunâtre de l’unité dans laquelle sont inclus les galets de l’échantillon A qui est très différente de celle de tous les autres échantillons, dont les galets sont noyés dans des sédiments fins très foncés. Les observations stratigraphiques réalisées dans le secteur 438 mettent bien en évidence la discordance entre cette nappe de galets (ensemble 3a) et les nappes B et C (ensemble 2c2). Le second indice a trait à une particularité banale des galets du Coulon/Calavon : la présence de très fines pellicules carbonatées d’origine algaire et/ou bactérienne. Brunes, brillantes, parfois multiples, elles peuvent affecter la totalité de la surface du galet, mais ne sont généralement préservées qu’en quelques plages limitées aux dépressions de la surface. Elles se développent à la surface d’objets peu mobiles, dans les mouilles des rivières, mouilles qui ne manquent pas dans la vallée du Coulon/Calavon. Il ne nous a pas toujours été possible d’estimer la fréquence de ces pellicules algaires sur des galets parfois très encroûtés. Un décompte fiable a cependant pu être obtenu sur les échantillons B et C. Les fréquences relatives des pellicules algaires y varient du simple au double, 0,532 et 0,296 respectivement, une différence hautement significative (test exact de Fisher, p < 0,0001). Cette simple observation met bien en évidence que les deux accumulations de galets B et C, pourtant spatialement proches, se rapportent à deux évènements distincts. Élément supplémentaire, on remarquera que si des fréquences relatives de 0,3 à 0,5 sont fréquemment observées à la surface des galets du début de l’Holocène, elles sont très largement supérieures à celles que l’on observe dans l’actuel : 0,046. Les hautes fréquences observées en B et C pourraient indiquer un régime moins régulier d’un Coulon/Calavon qui aujourd’hui, pourtant, est sujet à des assecs fréquents.
86Le dernier point que nous révèle l’analyse des distributions des sphéricités présentées sur la figure 37, a trait à leur bimodalité. Nous l’avons fréquemment observée dans l’Holocène ancien des gorges du Coulon/Calavon. Deux sous-populations s’y trouvent mélangées, la première formée de galets très plats, la seconde de galets plus sphériques. Elle nous semble due au remaniement lors des crues les plus puissantes des alluvions tardiglaciaires et/ou à la mobilisation d’accumulations de gélifracts anciens. Une recrudescence de l’écaillage du substrat calcaire peut être exclue puisque nous en aurions retrouvé les traces dans les nombreuses stratigraphies d’abris-sous- roche ou de pieds de falaise de la vallée qui ont pu être examinées. Il se trouve que nous retrouvons, dans toutes les distributions de sphéricité des échantillons de galets des Bagnoles, ce caractère particulier. L’analyse des mélanges permet de décomposer ces distributions en une somme de deux sous-populations gaussiennes (les distributions de sphéricité sont, dans le cas général, normales à la différence des distributions d’aplatissement de Cailleux qui s’ajustent à des distributions log-normales) et d’en estimer les proportions relatives. Sur la figure 38, nous avons représenté, pour chaque distribution obtenue à partir des échantillons des Bagnoles et pour l’échantillon tardiglaciaire, les deux gaussiennes qui les composent. La sous-population à faible sphéricité, dominante au Tardiglaciaire, compose une part importante des échantillons des Bagnoles pouvant atteindre, au maximum, une soixantaine de pourcents. Inversement, elle est très minoritaire ou inexistante dans les échantillons actuel et antique. Un paysage très ouvert, et des crues particulièrement puissantes, semblent donc caractériser ces périodes.
87En résumé, que nous ont appris ces différentes nappes grossières alluviales d’origine coulonienne ? En premier lieu, que si elles sont toutes antérieures au Néolithique moyen (les très rares petits tessons roulés présents en B et C peuvent être considérés comme les témoins d’une présence régionale plus ancienne), elles sont toutes d’âges différents. Quelques indices plaident en faveur d’écoulements peu compétents favorables au développement d’encroûtements pelliculaires algaires que des transports épisodiques efficaces ne suffisent pas à faire disparaître. Enfin, que des crues rares et puissantes sont capables de mobiliser de gros volumes de graviers et de les abandonner loin du lit mineur de la rivière. Leurs caractéristiques morphologiques suggèrent une remobilisation d’éléments grossiers anciens – alluvions et/ou formations de versant – impliquant de forts débits instantanés dans un paysage ouvert. Il n’a pas été possible de trancher entre des débordements d’un Coulon/Calavon occupant encore, à ces époques, un trajet septentrional ou ceux, qui seraient alors aussi extrêmes qu’hypothétiques, d’un Coulon/Calavon ayant déjà rejoint son cours actuel est-ouest. Dans la première hypothèse, les trois accumulations alluviales A à C des Bagnoles, doivent être considérées comme le terminus post quem de la migration du lit du Coulon/Calavon vers sa position actuelle.
88L’ampleur des phénomènes sédimentaires observés rappelle, naturellement, d’autres évènements de même nature observés tant en Provence qu’en Languedoc (ou en Catalogne), évènements que nous avons regroupés, il y a quelques années, sous le terme de crises du Néolithique ancien et moyen (Brochier 2002). Les bornes de ces phases, décennales ou séculaires, sont encore mal définies compte tenu de la médiocre qualité des repères chronologiques disponibles dans les séquences archéologiques où on a pu les mettre en évidence. Nous estimions alors qu’elles avaient dû avoir lieu entre 5600 et 4900 années avant notre ère, pour la plus ancienne, 4500 et 3900 années avant notre ère pour la plus récente.
89Malgré nos efforts, les nappes de graviers fluviatiles des Bagnoles demeurent mal datées : Préboréal/Boréal pour l’une (Bagnoles D) et Atlantique pour les trois autres. Ces dernières sont cependant antérieures aux premières occupations chasséennes dont la date peut être précisée grâce à l’analyse bayésienne du modèle chronologique présenté dans le § 8.2 : antérieures donc à l’intervalle calendaire [HPD 95 %, 4240 – 4080 cal. AEC, Maximum a posteriori (MAP) 4180 cal. AEC]. Ces trois épisodes climato-sédimentaires, hors du commun, pourraient ainsi être de nouveaux témoins des crises du Néolithique ancien et moyen.
3.4 Environnement végétal naturel et paysage
Stéfanie Jacomet
90La découverte de trois puits datés du Néolithique moyen qui renfermaient de nombreux restes végétaux imbibés et carbonisés (voir chapitres 6 et 7) nous permet, fait exceptionnel en contexte méditerranéen, de disposer d’une documentation considérable relative aux végétaux présents aux abords du site. S’agissant ici de mettre en lumière l’environnement « naturel » du site, nous nous concentrerons sur les restes carpologiques de plantes sauvages. Les plantes cultivées et l’économie végétale au Néolithique moyen seront présentées ultérieurement dans les chapitres 6, 7 et 8.
3.4.1 Introduction
3.4.1.1 Les études environnementales comme source d’information sur l’économie et la société du Néolithique moyen : État de la recherche et objectifs de l’étude
91Les modèles actuels relatifs à l’environnement et son exploitation durant le Néolithique moyen dans la moyenne et basse vallée du Rhône sont, depuis les années 1980, fondés sur des études à la fois nombreuses et détaillées. Il s’agit de données intra-site mais également de contextes hors site ce qui permet de confronter les deux types d’informations (voir en particulier Beeching et al. 2000, 2005, Delhon et al. 2009, Beeching & Brochier 2011).
92Une des difficultés à laquelle on se heurte lorsqu’on se penche sur la question du statut et de la fonction des sites de plaine résulte de l’extrême rareté des structures d’habitat. Jusqu’il y a peu, l’absence de ce type de structure était un argument important pour remettre en question l’existence de véritables établissements de plaine (Beeching & Brochier 2011:151) et postuler une importante mobilité des groupes humains du Néolithique moyen.
93Ce modèle d’un mode de vie semi-nomade où l’activité pastorale est prépondérante (Beeching et al. 2000 :68-74) s’appuie également sur des données archéozoologiques et sur l’existence de grottes bergeries dans les zones de moyenne montagne avec leurs indices de stabulation de troupeaux d’ovicaprins. Celles-ci sont considérées comme une partie de ce système pastoral (Thiébault 2006 :250, Martin 2010, 2011, 2014) même si la synchronisation de ces différents aspects est encore difficile (Beeching & Brochier 2011:141). Pendant une bonne partie du Néolithique moyen, l’agriculture n’aurait donc joué qu’un rôle très secondaire comme semblent le montrer l’absence de silos et de vestiges potentiels de greniers à céréales ainsi que l’extrême rareté des grains de céréales carbonisés (Beeching et al. 2000:66).
94Le modèle d’exploitation du paysage proposé en 2009 par Claire Delhon, Stéphanie Thiébault et Jean-François Berger (Delhon et al. 2009) sur la base de différentes données paléoenvironnementales peut être résumé de la manière suivante : Les zones de plaines sont réservées aux activités agraires mais surtout à la pâture associée à l’exploitation des arbres comme fournisseurs de fourrage de feuilles dans un paysage de type forêt-parc (au sens que lui ont donné Quézel & Médail 2003 ; Delhon et al. 2009:61). Selon les mêmes auteurs, ce sont les pâtures d’ovicaprins et l’exploitation du bois qui semblent constituer l’activité principale dans les zones de moyenne altitude (voir § 3.4.1.3). La question de l’existence de liens entre les habitats de plaine et les grottes bergeries (par exemple dans le cadre d’un système de transhumance) reste ouverte. Dans ce modèle, les populations du Néolithique moyen sont perçues comme étant semi- nomades même si les auteurs doivent bien reconnaître que « the quantitative and qualitative importance of agriculture in an economic system considered to be predominantly based on pastoral production remains poorly known » (Delhon et al. 2009:62).
95Ces discussions ne font toutefois pas suffisamment cas des problèmes taphonomiques inhérents aux sites terrestres avec leur conservation limitée (dans le meilleur des cas) aux restes carbonisés. Dans ce contexte, la présence de lames de faucilles et de matériel de mouture n’est pas sans poser des problèmes (Beeching et al. 2000:66), même si leur fonction et leur contexte de découverte ne sont pas toujours bien établis. Quoi qu’il en soit, la découverte récente sur le site de Cazan-Le Clos du Moulin (Vernègue, Bouches-du-Rhône ; Moreau et al. 2017, Delhon et al. 2017) de plusieurs plans de maisons associés à des structures domestiques datés dans le premier tiers du IVe millénaire avant notre ère suggère une situation plus nuancée.
96La fouille sur le site des Bagnoles de trois puits à eau datés par le radiocarbone entre le dernier tiers du Ve et le début du IVe millénaire avant notre ère qui ont livré un important corpus de restes organiques conservé en milieu humide offre l’opportunité de dresser un tableau précis de la végétation dans les environs du site et de son exploitation au Néolithique moyen. Ces résultats seront confrontés au modèle d’exploitation du paysage au Néolithique moyen mentionné ci-dessus.
3.4.1.2 Climat, sols et végétations actuels
97Le site des Bagnoles se situe dans le domaine bioclimatique méditerranéen (Walter & Breckle 1999, Quézel & Barbero 1982) caractérisé par des étés chauds et secs. Les maxima de précipitations se concentrent sur l’automne et le printemps qui constituent les périodes de croissance de la végétation. Les climats méditerranéens ayant une variabilité importante (Daget & David 1982), la végétation est regroupée par étages bioclimatiques dépendants des précipitations (d’humide à aride) et des températures (surtout celles d’hiver).
98Sur la base de ces critères, le site est localisé dans un contexte bioclimatique mésoméditerranéen (Terral & Mengüal 1999:75, Daget & David 1982, Quézel & Barbero 1982). La moyenne annuelle des températures y est de l’ordre de 13 à 17°C (L’Isle-sur-la-Sorgue se situe à proximité de l’isotherme 13°C). La température moyenne du mois le plus froid est légèrement supérieure à 5°C et les périodes de gel sont rares. La température moyenne du mois le plus chaud dépasse les 20°C. Sur le plan des précipitations, nous nous trouvons dans une zone subhumide (précipitations annuelles comprises entre 600 et 800 mm). Dans le midi de la France, la zone mésoméditerranéenne s’étend selon l’exposition jusqu’à 400 à 600 m d’altitude, voire 600-800 m dans certains secteurs du Mont Ventoux (Gobert & Pautou 1969:166).
99Dans le midi de la France, comme dans la majeure partie du bassin méditerranéen, la zone mésoméditerranéenne est aujourd’hui caractérisée par une végétation ligneuse xérique à feuilles persistantes (forêts sclérophylles), dominées par le chêne vert (Quercus ilex). La composition floristique est celle de la chênaie d’Yeuse méditerranéenne (Quercetum ilicis galloprovinciale de Josias Braun-Blanquet3 (1952:230 ss. ; voir également Quézel & Barbero 1982 et Quézel & Médail 2003) remplacée par le chêne-liège (Quercus suber) sur les sols acides. Les conifères, en particulier le pin d’Alep (Pinus halepensis) y sont également très répandus. Les principales espèces compagnes sont les plantes grimpantes susceptibles de constituer des taillis impénétrables, telles que Smilax aspera, Clematis flammula ou encore Rubia peregrina. C’est également dans cette zone climatique que se trouvent les habitats de l’olivier sauvage (Olea europaea var. sylvestris ; une carte de répartition de cette espèce est figurée dans Terral & Mengüal 1999, fig. 1). Les taxons représentés dans les bois de chênes verts n’exigent pas de sols riches. Très résistants, ils se régénèrent rapidement et se maintiennent longtemps, en dépit des coupes (voir ci- dessous § Impact humain depuis le Néolithique) et des incendies fréquents (Braun-Blanquet 1952:228).
100L’étage supraméditerranéen (Quézel & Barbero 1982, Quézel & Médail 2003) fait suite à la zone mésoméditerranéenne. Dans le midi de la France, il est caractérisé par les forêts caducifoliées avec en particulier le chêne blanc (Quercus pubescens ; alliance Quercion pubescenti-sessiliflorae, Braun-Blanquet 1952:246) souvent associé au buis (Buxus sempervirens) en sous-bois. Diverses autres essences caducifoliées sont présentes. Elles appartiennent surtout aux genres Acer (par exemple monspessulanum et opalus), Tilia, Fraxinus, Ulmus, Corylus… Dans d’autres lieux, ce sont les conifères (dont Pinus sylvestris) qui dominent la strate arborée. Dans la région du Mont Ventoux, l’étage supraméditerranéen peut atteindre des altitudes de 600 à 1100 m (versant nord) et de 800 à 1200 m (versant sud ; Gobert & Pautou 1969).
101Dans le midi méditerranéen, les Quercetalia pubescentis remontent jusqu’à l’étage montagnard (Quézel & Barbero 1982). Dans la strate arborée de cet étage, les éléments de la forêt de feuillus centre-européenne comme le hêtre (Fagus sylvatica) ou encore le sapin blanc (Abies alba) prennent rapidement le dessus (vers 1100-1600 m sur le versant nord du Ventoux ; Gobert & Pautou 1969:166). Ces éléments d’ordinaire répandus dans les régions situées plus au nord sont également attestés dans les régions méditerranéennes le long des fleuves (Braun-Blanquet 1952 :244 ss.). Sur les versants sud, les conifères (généralement Pinus) sont par contre les espèces dominantes.
102Dans la vallée du Rhône et celle de la Durance, ce sont les forêts riveraines et alluviales (Quézel 1995, cité dans Quézel 1999 :26) qui jouent un rôle de premier plan. Elles sont exclusivement constituées d’essences caducifoliées et représentent des structures le plus souvent de type azonal. On y trouve essentiellement l’aulne glutineux (Alnus glutinosa), le peuplier (Populus alba), le frêne (Fraxinus div. spec.) et le saule (Salix div. spec.). Leur mise en place est récente (dans leur extension actuelle, elles sont probablement postérieures à l’époque romaine), et elles figurent parmi les milieux les plus malmenés par l’action humaine. Dans les vallées de cours d’eau susceptibles de s’assécher rapidement, nous trouvons d’autres espèces telles que différentes variétés de pins, le tamaris (Tamarix africana) ou encore le laurier rose (Nerium oleander).
3.4.1.3 Exploitation et associations secondaires actuelles de la forêt
103Sans interventions anthropogènes (et zoogènes), les régions méditerranéennes seraient actuellement recouvertes de forêts. Toutefois, le couvert forestier primitif a presque totalement disparu (Quézel 1999 ; voir également § 3.4.1.4). Des taillis plus ou moins évolués et surtout le maquis (Castri et al. 1981) sont les seuls vestiges de l’ancien état (Braun-Blanquet 1952 :228). Le maquis est un taillis d’une hauteur d’homme parsemé de clairières qui, suite à l’exploitation des bois de chênes verts, apparaît sous forme de taillis avec une révolution de 20 à 25 ans. Si les périodes d’abattage ne sont séparées que par 6-8 ans et si les surfaces sont régulièrement pâturées et brûlées, les espèces de grande taille ne peuvent se développer. On obtient alors des communautés végétales ouvertes qualifiées de garrigues (Gobert & Pautou 1969). La végétation y est composée d’arbustes bas et d’arbrisseaux (chaméphytes) odorants à feuilles coriaces persistantes et peut même présenter les caractères des pelouses steppiques avec d’abondance d’espèces annuelles (thérophytes ; Braun-Blanquet 1952:8).
104La richesse floristique, en espèces endémiques en particulier, des stades buissonnants de dégradation de la forêt montrent que la végétation du maquis et de la garrigue était déjà présente en position marginale (rocailles, sols superficiels, substrats particuliers) dans le paysage naturel. Malheureusement, les études consacrées à l’histoire de la végétation n’apportent que des réponses partielles, car ce type de végétation est très mal représenté dans les spectres polliniques (Quézel 1999).
3.4.1.4 Environnement, climat et interventions humaines au Néolithique moyen dans le sud-est de la France
Évolution générale de la végétation et du climat
105L’évolution de la végétation au cours de l’Holocène a longtemps été perçue comme la conséquence directe de l’activité humaine (Quézel 1999). Les changements climatiques n’ont joué qu’un rôle secondaire dans la réflexion. Les études récentes consacrées à l’histoire du climat le long de la côte méditerranéenne en France et en Catalogne (Jalut et al. 2009, Delhon et al. 2009:60) ont montré que l’évolution du climat a eu des conséquences sur l’évolution du couvert végétal au même titre que l’exploitation du paysage par l’être humain (Terral & Mengüal 1999, Heinz et al. 2004).
106Pour la période 9500-5000 cal. BC (donc jusqu’à la fin du Néolithique ancien) de nombreux indices relevés dans le midi de la France et dans le nord-ouest de la péninsule ibérique laissent entrevoir des conditions climatiques majoritairement humides, favorables au développement de forêts caducifoliées. Cette situation est également perceptible dans le profil pollinique du marais des Baux, à une trentaine de kilomètres au sud- ouest des Bagnoles (Andrieu-Ponel et al. 2000, tabl. 4), qui révèle des valeurs très hautes pour le chêne blanc (Quercus pubescens), une situation qui est corroborée par les études anthracologiques (Heinz & Thiébault 1998, Battentier et al. 2018). La vigne sauvage (Vitis sylvestris) est présente dès le Mésolithique (Heinz & Thiébault 1998, Battentier et al. 2018). La végétation ligneuse xérique à feuilles persistantes sclérophylles est également attestée même si les indices sont relativement rares. Ces informations permettent de reconstituer un climat caractérisé par des étés brefs et secs tandis que les autres saisons sont marquées par d’abondantes précipitations (climat de type supra méditerranéen ; voir § 3.4.1.2).
107Entre 5000 et 3500 cal. BC (Néolithique moyen), nous assistons à une diminution progressive de l’insolation dans les hautes latitudes de l’hémisphère nord. C’est la fin de la phase humide en Afrique du Nord (Sahel et Sahara). Malgré cette tendance à l’assèchement du climat, les forêts caducifoliées sont encore dominantes dans les spectres du nord du bassin méditerranéen. L’aridisation se poursuit entre 2500 et 2000 cal. BC (Néolithique final) et les étés deviennent plus secs, comme le montrent la plupart des indicateurs climatiques (pollen, hydrologie, sédiments marins ; Battentier et al. 2018 :177). La proportion d’arbres à feuilles caduques marque un fort recul au profit des arbres sclérophylles. C’est durant cette période qu’une dégradation du couvert végétal est clairement perceptible (Beeching & Brochier 2011:147) avec l’apparition d’une végétation de maquis. Globalement, les changements climatiques et l’impact humain semblent aller de pair.
108Ce n’est que vers 1000 cal. BC (à la fin de l’âge du Bronze) que se mettent en place les conditions climatiques qui prévalent encore de nos jours. L’étude de charbons d’oliviers sauvages suggère une augmentation de la température moyenne annuelle de l’ordre de 1 à 1,5°C.
109Les indices d’incendies sont nombreux au cours de l’Holocène (Beeching & Brochier 2011:148). Il est toutefois impossible de se prononcer sur leur origine anthropique ou naturelle.
L’évolution des grandes vallées au cours de l’Holocène
110Les travaux réalisés par Bastiaan Notebaert, Jean-François Berger et Jacques-Léopold Brochier (2014) donnent une idée de l’évolution de la moyenne vallée du Rhône durant l’Holocène. Le taux de sédimentation représentait alors le dixième de celui de l’époque romaine. Il semblerait donc que les grandes vallées n’évoluent que très peu jusqu’à l’époque romaine (Notebaert et al. 2014 :1331-1333). Les cours d’eau doivent donc avoir eu un autre aspect au cours des périodes préhistoriques. Les lits à chenaux multiples charriant des sédiments grossiers semblent être un phénomène récent. Attestés au Moyen Âge, ils pourraient faire leur apparition au plus tôt à l’époque romaine (Notebaert et al. 2014:1330-1331).
111Pour les périodes antérieures, il semblerait que nous ayons plutôt affaire à des cours d’eau méandreux déposant des sédiments fins. La géographie physique était donc bien différente de l’actuelle. La plaine du Rhône était moins plane et parsemée de lacs (Beeching & Brochier 2011:145). Les grandes vallées étaient donc plus propres à l’installation humaine qu’elles ne le sont actuellement même si, comme le montrent les observations faites sur le site même des Bagnoles, mais également en d’autres lieux (voir § 3.3), l’Holocène a été marqué par des épisodes de forte accumulation détritique. De telles phases de « crises sédimentaires » sont attestées dans différentes zones et ont de ce fait vraisemblablement une origine climatique (Brochier 2002, Berger 2006:164).
112Une nouvelle phase de stabilisation et de pédogenèse, marquée par des dépôts sédimentaires fins et limono- argileux, se dessine à partir de 4500 cal. BC (Berger & Brochier 2000:43). Le début de cette phase de stabilisation, propice aux installations humaines dans les grandes vallées, coïncide avec le début du Néolithique moyen de type Chassey.
Les sols – phase de stabilité pluriséculaires pendant le Néolithique moyen ?
113Diverses études géoarchéologiques ont démontré l’existence dès le Néolithique moyen de sols noirs/ brun foncé liés à la présence de prairies (Delhon et al. 2009:52, Berger 2006, Beeching et al. 2000:61, Beeching & Brochier 2011:146 et 150). En plusieurs points de la vallée du Rhône et des zones voisines, les terres noires et apparentées se mettent en place entre 4400 et le milieu du IVe millénaire avant notre ère. Les études micromorphologiques montrent un lien fort entre matière organique et composantes minérales fines de type isohumique comparables aux chernozem méridionaux (Smonitza ; Delhon et al. 2009:61) et les indices de fréquents incendies (brûlis pastoraux, incendies naturels ? Beeching & Brochier 2011:148).
114Ces sols peuvent être systématiquement datés de l’Atlantique récent, c’est-à-dire entre 4500 et 3500 BC cal (Néolithique moyen). Une telle pédogenèse fait référence à une phase de stabilité pluriséculaire (Delhon et al. 2009, Beeching & Brochier 2011:146 et 150). C’est précisément cette phase de stabilité climatique qui, selon les mêmes auteurs, a permis une large expansion du « Chasséen » dans les zones marquées par des sols fertiles et favorables à l’agriculture.
115Sur le site des Bagnoles, les études sédimentologiques et micromorphologiques (§ 3.1 et 3.2) ont aussi mis en évidence dans l’ensemble stratigraphique 2 des phases de pédogenèse chronologiquement proches de l’occupation néolithique. Ces pédogenèses semblent avoir été interrompues par des phases d’inondations à une fréquence qu’il est impossible de préciser. La partie supérieure du substrat (ensemble 3) présente les indices d’une forte bioturbation. Les biosphéroïdes de lombrics et/ou limaces ainsi que les sclérotes indiquent la présence de terre arable et d’une végétation locale. On peut donc s’attendre à ce que l’occupation néolithique soit localisée sur une surface en grande partie sèche probablement constituée de sols fertiles parsemés de cours d’eau et d’étendues d’eau stagnante.
Impact humain depuis le Néolithique
116L’impact humain sur le paysage est perceptible dès le Néolithique ancien (Atlantique ancien ; fin du VIe millénaire avant notre ère), en particulier dans les spectres anthracologiques (Delhon et al. 2017, Thiébault 1997, Heinz & Thiébault 1998, Thiébault 2006, Battentier et al. 2018 :172).
117Au cours du Néolithique moyen (Atlantique récent), les spectres anthracologiques montrent de manière plus nette l’exploitation anthropo- et zoogène de la forêt, tout particulièrement dans les zones de moyenne montagne marquées par l’occupation des abris et des grottes (grottes bergeries) et l’exploitation de leur environnement (§ 3.4.1.1). Les taxons correspondants à la végétation ligneuse xérique à feuilles persistantes (sclérophylles) commencent à être mieux représentés : chêne vert (Quercus ilex), buis (Buxus sempervirens), filaire (Phillyrea spec.), nerprun (Rhamnus alaternus) etc. Les données issues des sites de plaine montrent une image sensiblement différente. Jusqu’environ 3800 avant notre ère, ce sont les taxons à feuilles caduques qui dominent (Delhon et al. 2009, Heinz & Thiébault 1998). L’étude récente des restes de contextes supraméditerranéens (Acer spec., Prunus spec., Maloideaeae, Corylus avellana…) même si les taxons à feuilles persistantes y sont également bien représentés (Arbutus unedo, Buxus, Phillyrea/Rhamnus alaternus, Erica, Juniperus). Certains, tels Arbutus, ont été collectés pour servir de combustible. On y trouve également des taxons correspondant aux pinèdes et aux forêts riveraines (Populus/Salix, en partie probablement Corylus et Fraxinu4). Tout cela montre que différents types de végétation se trouvaient à proximité de l’habitat.
118Les études malacologiques (Martin 2004 :328-329) montrent à partir du milieu du Ve millénaire avant notre ère des spectres localement marqués par une grande variabilité (taxons caractéristiques de paysages ouverts ou spectres mixes) qui montrent une hétérogénéité des paysages au niveau local. Certains indices anthracologiques vont également dans le sens de paysages mosaïques. C’est à cette époque que certains taxons méditerranéens (Cernuella virgata et Trachoidea pyramidata) font leur apparition au-delà des zones littorales (Martin 2004 :345), ce qui peut être le résultat d’un impact humain.
119Celui-ci se fait ressentir de manière plus nette à partir du Subboréal, c’est-à-dire vers la fin du Néolithique. Nous ne nous y attarderons donc pas. Globalement, nous pouvons donc retenir que, jusqu’à la fin du Néolithique moyen, le couvert forestier, tel qu’il est reconstituable à partir des données anthracologiques, ne semble pas subir de transformations radicales. Les chênes à feuilles caduques restent omniprésents, surtout dans les vallées (Beeching & Brochier 2011 :147). Les pratiques agricoles n’ont donc pas eu d’influence profonde sur la végétation et étaient probablement limitées dans l’espace. Tout au moins dans les zones favorables, les surfaces cultivées semblent n’avoir été ouvertes que pendant des durées restreintes et rapidement recolonisées par la végétation. Dans ce contexte, le Néolithique semble donc n’avoir été que peu perturbant pour le milieu naturel (Brochier 2002 :126).
Y avait-il des espaces ouverts ? Ceux-ci étaient-ils d’origine naturelle ou anthropique ?
120Différents indicateurs vont dans le sens de la présence d’espaces ouverts au Néolithique moyen. Les résultats d’études hors-site tirés de contextes non touchés par l’activité humaine sont ici naturellement particulièrement importants car ils sont le reflet d’un environnement naturel. Pour la vallée du Rhône, nous disposons de nombreuses informations relatives à l’anthracologie, aux phytolithes et à la micromorphologie des sols (Delhon et al. 2009). Les études phytolithologiques (Delhon et al. 2009 :54 s.) n’ont livrés aucun indice de l’existence d’un couvert forestier continu ou bien développé. Tous les assemblages présentent les caractéristiques de prairies ou de prairies peu boisées. D’autres indicateurs tels que la morphologie de la porosité racinaire indiquent un couvert végétal herbacé probablement dense (de type prairie ou prairie steppique ; Beeching et al. 2000 :61, Beeching & Brochier 2011 :147). Les phytolithes bulliformes peuvent être des indices de sécheresse. Les restes anthracologiques provenant des mêmes échantillons fournissent une autre image avec des indices de couvert forestier. Ces données sont interprétées en termes de paysage mosaïque parsemé de chênaies mixtes et d’espaces ouverts (fig. 39 ; Delhon et al. 2009). Cette image correspond aux propositions faites par l’équipe d’Alain Beeching et de Jacques-Léopold Brochier pour la moyenne vallée du Rhône (Beeching et al. 2000, Beeching & Brochier 2011 :147) ainsi qu’au données issues de la malacologie (Martin 2004 :328).
121Ces indicateurs hors sites suggèrent que le paysage mosaïque des grandes vallées est, tout au moins à la base, d’origine naturelle. Les prairies constituent des zones d’installation privilégiées qu’il était possible d’agrandir selon les besoins (par exemple dans le cadre d’un système d’exploitation de type « agro-sylvo-pastoral » tel qu’il a été défini par Delhon et al. 2009).
3.4.2 Les spectres floristiques des puits des Bagnoles et leur contribution à la description de l’environnement naturel du site
122Le riche corpus floristique issu de la zone à conservation en milieu humide des trois puits des Bagnoles offre l’opportunité de se pencher sur les hypothèses relatives à la reconstitution du paysage et à son exploitation. Il permet également de préciser nos connaissances relatives à l’histoire de communautés végétales sous-représentées dans les spectres hors sites. Ce type d’études est encore rare dans la basse vallée du Rhône (Figueiral & Séjalon 2014, Martin 2012). Aucune n’a été menée avec les moyens et les méthodes mis en place dans le cadre des études archéobotatiques de contextes lacustres/humides (Antolín et al. 2017a, 2017b, Steiner et al. 2017)5.
123Le protocole d’échantillonnage, de tamisage et d’analyse sera présenté dans le § 4.2.3.
124Le regroupement des taxons par groupe écologique (fig. 41 à 45) a été guidé par des critères actualistes suivant en cela les principales études phytosociologiques (Molinier 1934, Braun-Blanquet 1952, Sutter 1985). Toutefois, de nombreux taxons n’ont pu être attribués à un groupe précis qu’avec difficulté. Nous aborderons ces problèmes dans le cadre de la présentation des unités de végétation (voir ci-dessous). Les fig. 41 à 45 évoquent également cette problématique.
3.4.2.1 Origine des restes végétaux dans un puits – aspects taphonomiques
125La formation des comblements de puits à eau néolithiques a fait l’objet de nombreux travaux depuis les années 1980 (Greig 1988, Jacomet & Kreuz 1999 :84 ss. ; voir également § 8.3). Parmi les travaux les plus récents consacrés à l’histoire de leur remplissage, on peut mentionner Brozio et al. 2014 et Herbig et al. 2013.
126Les trois puits des Bagnoles font partie des nombreux puits à eau néolithiques dépourvus de cuvelage. Ils sont, sur ce point, comparables aux autres puits à eau néolithiques du midi de la France (Thirault & Remicourt 2014, Figueiral & Séjalon 2014, Martin 2012) et d’autres régions en Europe (Brozio et al. 2014). Ils se différencient nettement des puits rubanés avec leur cuvelage constitué d’un assemblage en planches de chêne (Herbig et al. 2013). On peut supposer que les puits dépourvus de cuvelage n’avaient qu’une durée de vie limitée, étant donné que les parois, non stabilisées, s’effondrent rapidement sous l’effet de l’eau. En conséquence, ils n’ont vraisemblablement été utilisés que pendant une période relativement courte et ont été rapidement comblés tout au moins dans leur partie inférieure. Il est toutefois impossible, en l’absence de datations dendrochronologiques, de préciser la durée d’utilisation et de comblement de ce type de structures. Nous reviendrons sur ce problème dans les parties correspondant à la description des trois puits néolithiques des Bagnoles (§ 6.1 et 7).
127Les auteurs cités soulignent unanimement que les remplissages des puits sont en majeure partie postérieurs à leur utilisation. Les dépôts sont lités. Les niveaux les plus profonds, tout particulièrement ceux provenant de la zone située en dessous du niveau le plus bas de la surface de la nappe phréatique et qui ont donc été continuellement dans l’eau, offrent des conditions de conservation des matériaux organiques particulièrement bonnes (conservation en milieu humide). Pendant leur utilisation, les puits étaient probablement régulièrement nettoyés et protégés par une couverture, ce qui limitait considérablement le taux de sédimentation. Malgré ces mesures, un certain nombre de restes issus de la végétation proche ainsi que les insectes des environs du puits ont dû tomber et se déposer dans le puits. Ces restes reflètent donc l’aspect et l’exploitation des environs immédiats du puits. Cependant, leur concentration devrait être, en toute logique, relativement faible. Ce phénomène est observable non seulement dans le cas des Bagnoles, mais également dans celui du puits rubané de Schkeuditz-Altscherbitz (Herbig et al. 2013 :268-269).
128À cette phase d’utilisation peut suivre une phase d’abandon de durée variable durant laquelle le puits piège des vestiges de la végétation (rudérale) locale, des insectes, escargots, feuillage, sédiments et autres restes. Dans la majorité des cas, les puits semblent avoir servi de dépotoir pour être remblayés rapidement à l’aide de restes divers (déchets organiques, fumier, cadavres…), déchets domestiques ou dépôts rituels (Brozio et al. 2014 :149 ss.). Dans tous les cas ce remplissage reflète les environs du puits et leur exploitation. En effet, l’abandon d’un puits ne va pas nécessairement de pair avec l’abandon du village correspondant et l’interruption de toute activité sur les lieux.
129Quoi qu’il en soit, les niveaux de comblement les plus profonds offrent l’opportunité de recueillir des espèces qui ne sont pas conservées sur les sites terrestres, à condition toutefois qu’ils soient restés continuellement immergés. Ces conditions de conservation particulières qui sont celles des milieux humides s’expriment clairement dans les décomptes des taxons issus des différents niveaux des puits 250, 990 et 994. Le nombre des taxons de plantes sauvages qui jusqu’à présent y ont été déterminés, dépasse largement la centaine. Les travaux de détermination étant encore en cours, ce chiffre devrait augmenter considérablement.
3.4.2.2 Les niveaux à conservation imbibée des puits des Bagnoles : les spectres et leur interprétation
Facteurs de conservation et catégories de matériaux (fig. 40)
40. Catégories de matériaux (les fumiers sont en rouge) et leur densité (nombre de restes par litre de sédiment) des restes botaniques et de fumier dans les trois puits des Bagnoles et spectres d’autres puits néolithiques du sud de la France
site | Les Bagnoles | Clos de Roque | Mas de Vignoles IX | |||||
structure | 250 | 990 | 994 | 250 | 250 | 2096 | 1051et 1157 | |
état de conservation | imbibé | imbibé | imbibé | sec | sec | |||
volume prélèvements (l) | 6,8 | 39 | 84 | 88,5 | 130,3 | ? | 50 ? | |
nombre de prélèvements | 4 | 8 | 12 | 6 | 16 | 2 | 2 | |
datation | 4250-4050 cal.BC | 4050-3950 cal.BC | 3950-3750 cal.BC | 4250-4050 cal.BC | 4250-4050 cal.BC | 3650-3350 cal.BC | Néolithique moyen | |
bibliographie | ce volume | ce volume | ce volume | ce volume | ce volume | Martin 2012 | Figueiral & Séjalon 2014 | |
51 catégories de matériaux | densité (nb/l) | nombre de restes | ||||||
étamines, anthères | 0,04 | |||||||
fragm. de feuilles (tous) | 0,44 | 0,46 | 0,01 | 0,07 | ||||
fragm. de feuilles (avec limbe) | 0,44 | 0,26 | 0,04 | |||||
fragm. de feuilles (squelette) | 0,59 | 0,49 | 0,01 | 0,07 | ||||
bourgeons | 1,03 | 0,26 | 0,12 | présent | 6 | |||
écailles de bourgeons | 0,15 | 0,13 | 0,01 | |||||
épines, aiguillons | 0,29 | 0,18 | 0,05 | |||||
fumier, ruminants | 0,44 | 0,54 | 0,02 | 10 | ||||
fumier, mouton ou chèvre | 0,15 | 0,23 | 0,02 | |||||
son | 0,15 | 0,05 | 0,06 | |||||
déjections, petits rongeurs | 7,50 | 0,59 | 0,12 |
130Les différents indicateurs de conservation (Antolín et al. 2017b) relevés dans les trois puits montrent que la préservation des restes carpologiques dans les niveaux à conservation en milieu humide est excellente. Le nombre d’indicateurs de bonne conservation le plus bas correspond au puits 250. Le nombre le plus élevé provient du puits 994. Les indices de conservation hétérogène (essentiellement dans le puits 994) sont liés au fait que l’acheminement des restes dans les puits correspond à des processus différents.
131Un grand nombre de graines de plantes sauvages reflète plutôt la végétation locale dans les environs immédiats du puits (voir ci-dessous : plantes rudérales). Elles peuvent, au moins en partie, avoir été déposées durant la période d’utilisation des puits. Il est possible qu’une partie d’entre elles se soit déposée de manière naturelle après l’abandon du puits, avec des déchets domestiques ou encore du fumier. Cela est également valable pour les restes de balles (et autres éléments de plantes cultivées) qui sont liés au traitement de plantes cultivées dans les environs immédiats du puits.
132Hormis les graines et balles, d’autres catégories de matériaux sont susceptibles de nous renseigner sur l’histoire du comblement et, de la sorte, sur l’origine probable des restes de plantes issus des puits. Ainsi, l’utilisation secondaire des puits comme dépotoir est attestée par la présence dans les trois puits (mais particulièrement dans le puits 990) de fumier de ruminants. Dans la plupart des cas, il n’a pas été possible de le déterminer. Toutefois, dans deux cas (puits 250 et 994), nous sommes en présence de fumier d’ovicaprinés. Le reste est probablement en grande partie du fumier de bovins. Dans ce contexte, il faut mentionner les nombreuses pupes de mouches. Les autres déchets déversés dans les puits sont constitués de faune et de mobilier archéologique (voir chapitres 6 et 7).
133Il est plus difficile de dire comment les fragments de feuilles se sont déposés dans les puits. Ils peuvent faire partie du dépôt primaire. Dans ce cas ils indiquent la présence d’arbres dans les environs des puits. Cependant, ces feuilles peuvent également avoir servi de litière puis acheminées dans les puits avec le fumier (voir Kühn & Wick 2010 pour les indices d’utilisation de litières de feuillage en contexte lacustre). La même explication peut être avancée pour les bourgeons, les écailles de bourgeons et les anthères.
134Les gastéropodes (surtout Bithynia et Valvata piscinalis), les ostracodes et les larves de Trichoptera montrent que les puits ont été en eau pendant un certain temps. Les déjections de petits rongeurs (souris, loirs…) sont parfois très abondantes et pourraient être liées à la présence de rongeurs au voisinage et dans le puits. Les restes d’insectes sont particulièrement nombreux et bien conservés (§ 6.2 et 7). Ils illustrent bien les conditions pendant et après la phase d’utilisation des puits.
Les plantes aquatiques et riveraines
Spectres
135Ce type de végétaux est, avec 20 taxons, bien représenté dans les spectres (fig. 41 ; groupes écologiques 60-64). Il est attesté dans les trois puits. Cependant les plantes aquatiques (groupe écologique 61) sont absentes du puits 990. Les représentants de la végétation de comblement (y compris les prairies humides et autres milieux humides ; groupes écologiques 60, 62 et 63) sont attestés de manière comparable dans les trois puits (9-10 taxons).
136Les laîches (Carex) sont les principaux représentants de ce groupe. En l’absence d’utricule, il est difficile, voire impossible, d’en déterminer les fruits, de telle sorte qu’elles n’ont pas été attribuées à un groupe écologique précis (fig. 41 ; groupe écologique 60 : plantes de divers endroits humides). Elles sont souvent liées aux milieux humides, car elles y constituent fréquemment la végétation dominante. Les trois puits ont par ailleurs livré de nombreux restes de plantain d’eau (Alisma plantago-aquatica), une espèce familière des zones d’atterrissement. Il faut également mentionner le jonc des marais (Schoenoplectus), la quenouille (Typha) et le roseau (Phragmites).
137Trois taxons (2-3 dans chaque puits) sont actuellement considérés comme faisant partie de la végétation pionnière riveraine (groupe écologique 64), typique des rives régulièrement asséchées et des zones comparables telles que les bordures de puits.
Interprétation
138La présence de ces groupes de plantes montre qu’il existait à proximité immédiate des puits (et dans les puits eux-mêmes) des zones d’eau libre et de rivages. Les restes d’insectes vont dans le même sens. La comparaison avec les spectres floristiques relevés dans les (anciens) méandres du Rhône au nord de Lyon (Bornette & Amoros 1991 :507) montre qu’une grande variété de plantes aquatiques et riveraines (macrophytes) est le résultat d’une vitesse d’écoulement réduite (qui produit un sédiment fin). Nous retrouvons dans les puits des Bagnoles certaines des plantes qui y sont listées : Chara, Ranunculus aquatilis, Sparganium, Eleocharis, Lycopus, Phragmites, Mentha aquatica. Plus la vitesse d’écoulement est élevée, plus les macrophytes sont rares. Ainsi, sur les rives de la Durance (actuelle), seuls sont attestés Potamogeton densus et Chara vulgaris (Fayolle 1998). Les spectres des Bagnoles vont donc dans le sens de la présence de nappes d’eau stagnante dans les environs des puits (et naturellement dans les puits eux-mêmes).
Plantes issues de milieux boisés dans les et hors des zones de rives et de plaines
Spectres et origine possible des restes
139Les plantes de milieux boisés ont été rassemblées dans ce chapitre, car il nous a été difficile de préciser le milieu de plusieurs de leurs représentants. Cela est en partie lié à des difficultés de déterminations, mais également au fait que de nombreux taxons qui, en Europe centrale, sont attestés dans les forêts de feuillus à feuilles caduques, croissent en contexte mésoméditerranéen au sein de forêts riveraines (fig. 42 ; groupe écologique 610 ; voir ci-après). Avec au total 18 taxons (et 8 à 10 taxons par puits), ces espèces sont bien représentées sur le site des Bagnoles.
140Du point de vue de la phytosociologie, les forêts riveraines font actuellement partie de l’alliance Populion albae (Braun- Blanquet 1952). C’est le seul groupement forestier à feuilles caduques de la région (les bois montagneux exceptés). Il s’agit d’une végétation arborescente vigoureuse d’essences méso-hygrophiles qui croît dans des terres fraîches, alluvionnaires, principalement le long des cours d’eau, sur des sols à niveau d’eau phréatique élevé.
141Les espèces caractéristiques des forêts riveraines sont le houblon (Humulus lupulus) et en milieu méditerranéen la saponaire officinale (Saponaria officinalis), caractéristique de l’alliance Populion albae selon Josias Braun-Blanquet (1952). La vigne sauvage (Vitis vinifera ssp. sylvestris) est en Europe centrale une des représentantes typiques des forêts à bois dur des zones alluviales. Elle n’est toutefois pas mentionnée dans Braun-Blanquet 1952, mais faisait assurément partie de la végétation riveraine dans le bassin méditerranéen (Heinz & Thiébault 1998:65 et tabl. 3). Elle était apparemment répandue dans les basses vallées du Rhône et de la Durance et ses fruits étaient ramassés comme le montre leur présence en grand nombre (mais en faible densité) dans les puits des Bagnoles et du Clos- du-Roque (Saint-Maximin-la-Sainte-Baume, Var ; Martin 2012). La vigne sauvage est attestée dans le midi de la France par l’anthracologie et la carpologie depuis le Mésolithique (voir § 3.4.1.4).
142Les taxons suivants, attestés dans les puits des Bagnoles, sont considérés comme faisant partie des alliances de forêts riveraines (Braun-Blanquet 1952) : Corylus avellana, Crataegus spec. (C. monogyna mentionné comme accompagnatrice), Prunus cf spinosa, Eupatorium cannabinum, et éventuellement Rubus. Il faut probablement ajouter à ce groupe Fragaria vesca. Plusieurs de ces taxons (et d’autres qui ne sont pas mentionnés ici) ont été à l’évidence récoltés durant le Néolithique et étaient appréciés comme aliment. D’autres herbacés, mentionnés par Josias Braun-Blanquet (1952), sont également attestés dans les trois puits : Lycopus europaeus (végétation de zones de comblement et de prairies humides ; fig. 41, groupe écologique 62) ou encore les menthes (Mentha, milieux humides ; fig. 41, groupe écologique 60).
143La présence possible d’une graine de figues dans le puits 250 confirmerait l’existence de figuiers (très probablement sauvages) dans la région. Jusqu’à présent, ce fruit n’était attesté que par la découverte de trois graines dans un puits (structure 1157, décapage 1719) du Mas de Vignoles IX (Nîmes, Gard ; Figueiral & Séjalon 2014:29) attribué au Néolithique moyen. Des graines de figues sont attestées à la même période dans les régions voisines (Figueiral & Séjalon 2014:35s.). Il est difficile de préciser le milieu auquel les figuiers sauvages font référence. Ils peuvent croître à proximité de cours d’eau dans des secteurs relativement secs. Le figuier apprécie une certaine humidité du sol et on le trouve fréquemment à proximité de cours d’eau saisonniers (observation personnelle).
144D’autres espèces font également référence aux prairies humides à proximité des cours d’eau : Dipsacus laciniatus, Physalis alkekengi ou encore Rubus caesius. Ces types de plantes sont attribués en Europe centrale à la classe végétale des Galio-Urticetea (lisières nitrophiles, buissons…) et plus particulièrement à la l’ordre phytosociologique des Convolvuletalia sepium (Pott 1995:282-283). Ce sont des associations végétales de lisières et de broussailles de milieux humides, partiellement naturelles. Le houblon ainsi que des plantes pionnières des rives et autres milieux humides peuvent également en faire partie (fig. 41 ; groupe écologique 60).
145Un autre groupe d’au minimum 22 taxons, caractéristiques selon les critères actuels des prairies humides (fig. 43 ; groupe écologique 68, 7 taxons) ou de milieux rudéraux sur sols humides (fig. 45 ; groupe écologique 76, 15 taxons), peuvent être aussi indicateurs de zones riveraines (leur spectre sera présenté ci-dessous). Cela signifie que la grande majorité des restes de plantes ligneuses (les lianes incluses) et herbacées provient probablement des rives du Coulon/Calavon et donc de zones proches, voire très proches du site.
146Les taxons de milieux arborés clairement non riverains sont rares. Les indicateurs de forêts à feuilles caduques qui sont de nos jours présentes dans l’étage supraméditerranéen, c’est-à-dire au-dessus de 600 m (fig. 42 ; groupe écologique 620, 2 taxons seulement) sont pratiquement inexistants. Le tilleul (Tilia spec.) et le sapin blanc (Abies alba), attesté par une seule aiguille dont la détermination est incertaine, ont été attribués à ce groupe. Le sapin blanc peut avoir été présent dans l’étage montagnard (altitude supérieure à 1000 m).
147Les plantes des chênaies à feuilles caduques ou persistantes (fig. 42 ; groupe écologique 650, cinq taxons, deux à quatre par puits) sont un peu mieux représentées. Selon les études consacrées à l’histoire de la végétation (voir § 3.4.1.4), les chênaies à feuilles caduques étaient localisées de manière préférentielle dans les grandes vallées qui ne subissaient pas d’inondations régulières. Elles peuvent avoir constitué la végétation de milieux secs de la zone occupée par le site et ses abords. Les restes de glands mis au jour dans le puits 250 ne peuvent malheureusement pas être déterminés avec précision de telle sorte qu’il est impossible de dire s’il s’agit de chêne blanc (Quercus pubescens) ou de chêne vert (Quercus ilex).
148Prunus mahaleb pourrait très bien provenir d’une chênaie de chênes blancs. Ce buisson peut également croître comme accompagnant dans les bois de chêne vert. Origanum vulgare est présent dans les deux associations forestières, mais également sur les prairies sèches (voir ci-dessous : fig. 43 ; groupe écologique 680). Il est intéressant de constater la présence dans les trois puits de Teucrium chamaedrys, actuellement considéré comme étant caractéristique du Quercion-ilicis. Cette espèce apprécie toutefois les milieux ouverts. Elle est de ce fait également bien représentée dans les garrigues (communautés végétales d’origine anthropique qui ont remplacé les forêts de chênes verts) et surtout dans les prairies sèches (voir ci-dessous).
Interprétation
149Le spectre végétal est dominé par des plantes caractéristiques des milieux riverains. Elles poussaient localement et ont été déposées dans les puits au moins en partie par des facteurs naturels. Elles ont pu également y parvenir sous forme de déchets ou d’excréments comme cela a été le cas pour une série de plantes comestibles des milieux riverains (vigne sauvage, noisette, aubépine, figuier, fraise sauvage, mûre, prunellier...). De ce point de vue, le voisinage du site constituait un terrain de collecte privilégié.
150Aucun indice clair ne permet de supposer le transport de végétaux sur de grandes distances. Les plantes du groupe écologique 650 (chênaies à caduques ou persistantes) peuvent tout à fait provenir des environs immédiats du site. Cela est en tout cas tout à fait compatible avec les reconstitutions paléoécologiques en vigueur actuellement (voir § 3.4.1.3 et ci-dessous). Ces chênaies constituaient, elles aussi, de bons terrains de collecte et les restes qui en sont issus (pépins de poiriers sauvages et glands) ont été acheminés dans les puits avec les déchets domestiques.
Plantes des prairies et garrigues/pelouses sèches
Spectres
151Les prairies mésophiles sont représentées dans les trois puits par au total 14 taxons, qui correspondent actuellement à des prairies pas excessivement sèches (fig. 43 ; groupe écologique 68). Sept de ces taxons proviennent de milieux riverains ouverts (voir ci-dessus). Avec six taxons, ce groupe écologique était bien représenté dans le puits 990 tandis qu’ils étaient absents du puits 250, le plus ancien.
152Les autres taxons de prairie provisoirement attribués au groupe écologique 68 (fig. 43 ; sept au total) font en fait partie d’un ensemble « prairie au sens large » défini de manière large, les graines n’ayant pas encore fait l’objet d’une détermination poussée. Il devrait s’y trouver d’autres représentants des prairies humides (par exemple parmi les genres Festuca/Lolium, Trifolium), mais aussi des garrigues sèches (parmi les genres Dianthus, Medicago, Bromus...). Il est intéressant de constater que les différents représentants de ce « groupe » ne sont présents que dans les puits les plus récents (990 et en particulier 994, datés de la fin du Ve et du début du IVe millénaire avant notre ère).
153Les plantes des garrigues sèches sont bien représentées dans les spectres des Bagnoles (fig. 43 ; groupe écologique 68, huit taxons au total). Ici encore ce type de végétation est principalement attesté dans les puits les plus récents (sept taxons dans le puits 994, cinq dans le puits 990 et seulement deux dans le puits 250 ; fig. 43). Presque toutes les occurrences sont particulières dans la mesure où elles n’avaient pas été signalées auparavant en contexte néolithique, à l’exception de la luzerne naine (Medicago minima ; fragments de gousse dans la structure 994) et la germandrée petit chêne (Teucrium chamaedrys), déjà identifiées dans le puits de Clos-de-Roque (Saint- Maximin, Var ; Martin 2012). Il faut souligner pour finir la présence du panicaut champêtre (Eryngium campestre).
154L’occurrence actuelle des taxons de garrigues arides se concentre au sein de la classe végétale des Thero- Brachypodietea (avec le seul ordre Thero-Brachypodietalia Braun-Blanquet (1931) 1936 ; voir Braun-Blanquet 1952 :140 ss.), qui rassemble de nombreux groupes d’aspect steppique de garrigues arides sur sol calcaire perméable. On peut distinguer deux alliances : le Brachypodion phoenicoidis sur sol plus profond, et le Thero- Brachypodion sur sol généralement squelettique à terre fine peu abondante. Cette dernière correspond à la « steppe méditerranéenne » proprement dite. Ces pelouses xériques présentent un recouvrement plus ou moins discontinu. Elles doivent leur présence probablement à l’intervention de l’être humain. Plusieurs taxons correspondent à des plantes de cultures abandonnées ou de conquête des terres dégradées, pierreuses ou rocheuses.
Interprétation
155Comme le montrent les études paléoécologiques disponibles (§ 3.4.1.4), l’Holocène moyen est marqué, dans le nord du bassin méditerranéen, par une forme de paysage mosaïque (chênaie à feuilles caduques interrompue par des prairies maigres ; fig. 39) dans les parties basses des grandes vallées (en dehors des zones en contact avec les cours d’eau où se trouvaient les forêts riveraines ; voir ci-dessus). Les spectres issus des trois puits des Bagnoles correspondent en tous points à ces résultats, si on considère qu’ils proviennent du voisinage des puits.
156Les espèces représentées font référence à des milieux de prairies maigres/garrigues sèches comparables aux Thero-Brachypodietalia actuelles. Leur présence renvoie à des conditions climatiques plutôt sèches, déjà signalées pour la région au Néolithique moyen (§ 3.4.1.3). Les conditions naturelles pour le développement de telles prairies semblent avoir été réunies dès le Néolithique moyen. Elles ne sont donc pas nécessairement le seul résultat de l’intervention humaine. Quoi qu’il en soit, les plaines alluviales constituaient à l’époque un milieu favorable à l’installation de communautés d’agriculteurs- éleveurs.
157La présence de graines de plantes des prairies maigres peut être due aux agents naturels, en particulier si l’on suppose que ces milieux se trouvaient à proximité. Il est toutefois plus probable que ces éléments aient été déposés dans les puits avec du fumier de ruminants (bœufs et ovicaprinés), celui-ci étant attesté dans les trois puits. Les plantes de prairies maigres (groupe écologique 680) et humides (groupe écologique 68) sont concentrées dans les puits les plus récents (990 et 994 ; fig. 43). Le fait que l’étude carpologique du puits 250 a jusqu’à présent porté sur un échantillon restreint n’est probablement pas la seule explication. Nous supposons plutôt que l’exploitation du voisinage du site a conduit à une ouverture progressive du paysage dans le secteur.
158Même si cela est peu probable, il est difficile d’exclure que les restes de plantes de prairies maigres proviennent de pâturages situés dans les collines à une dizaine de kilomètres à l’est du site et qu’ils aient été acheminés dans les puits avec le fumier. Ces zones ont été indubitablement exploitées au Néolithique (bois de combustible, pâturages pour les ovicaprinés et peut-être grottes bergeries même si elles sont encore inconnues dans le secteur ; voir § 3.4.1.1 et 3.4.1.3). Il est toutefois difficile de prouver qu’elles ont été fréquentées à partir du site des Bagnoles.
Plantes cultivées et mauvaises herbes
Considérations générales
159Les trois puits ont livré de très nombreux restes de plantes cultivées : céréales, pois, lin et pavots à l’état carbonisé ou imbibé. Les décomptes des plantes cultivées seront présentés en détail dans les chapitres 6 et 7. Le matériel issu des puits est donc composé non seulement d’éléments transportés par les agents naturels et les animaux, mais également de déchets végétaux issus d’activités agricoles exercées dans les environs. Une partie des mauvaises herbes annuelles a donc probablement été déposée avec les restes de plantes cultivées. Cependant, il ne faut pas oublier que de nombreuses espèces de mauvaises herbes avaient leurs habitats naturels dans les zones méditerranéennes, en particulier dans les paysages mosaïques des plaines alluviales.
Spectres
160Au total, 15 taxons de mauvaises herbes annuelles d’hiver sont attestés ; 4 à 10 par puits (fig. 44 ; groupe écologique 74). Le spectre le plus riche provient du puits 990 (10 taxons). Dans la mesure où il les mentionne, Josias Braun- Blanquet (1952) les classe parmi les Secalinetea, ordre des Secalinetalia, groupements végétaux plus ou moins liés aux cultures de céréales et de certaines plantes textiles comme le lin. Ils sont issus de l’intervention constante et régulière de l’être humain. Dans les régions méditerranéennes, ces espèces sont également attestées dans les garrigues sèches.
161Il est intéressant de constater la présence de Silene cretica, une mauvaise herbe associée à la culture du lin fréquente dans les sites lacustres du nord des Alpes (Brombacher 1993, Brombacher & Jacomet 1997). D’autres mauvaises herbes attestées dans les puits des Bagnoles le sont également dans les sites lacustres de l’ouest de l’Europe centrale (Valerianella dentata, Fallopia convolvulus, Vicia div. spec. sauvages). D’autres n’y apparaissent que bien plus tard (par exemple Ajuga chamaepitys, Valerianella rimosa depuis le Bronze final ou encore Thymelaea passerina depuis l’âge du Fer ; d’autres exemples figurent dans Jacomet & Brombacher 2009). Le statut de mauvaise herbe de Thymelaea passerina n’est pas assuré dans la mesure où elle est également attestée dans les prairies humides (Braun-Blanquet 1952), d’où elle a pu se répandre dans les champs environnants.
162Diverses thérophytes annuelles d’été font également partie des mauvaises herbes (fig. 45 ; groupe écologique 75). 18 taxons appartenant à ce groupe ont été décomptés aux Bagnoles (12 à 14 taxons par puits). Ce groupe compte donc parmi les mieux représentés au sein des spectres du site des Bagnoles. Leurs restes sont parfois très fréquents (c’est le cas pour Chenopodium album et Fumaria spec.). Polygonum aviculare, Euphorbia helioscopia ainsi que Stellaria media sont également fréquents (fig. 45). Certains de ces taxons (p. ex. Chenopodium album, Atriplex patula, Malva sylvestris, Polygonum aviculare, Stellaria media) sont également bien représentés plus au nord, dans les sites lacustres néolithiques où ils peuvent être assurément considérés comme des mauvaises herbes, leur habitat naturel étant absent de ces régions (Brombacher & Jacomet 1997, Jacomet et al. 2016). D’autres taxons présents dans les spectres des Bagnoles ne font leur apparition en Europe centrale que beaucoup plus tard (p. ex. Euphorbia helioscopia, Fumaria ou Hordeum murinum à partir du Bronze final). D’autres ne semblent pas avoir atteint ces régions avant la fin du Moyen Âge et sont restées cantonnées aux régions méditerranéennes (Carthamus lanatus et Heliotropium europaeum).
163Pratiquement toutes ces mauvaises herbes annuelles d’été sont également des représentants typiques des terrains rudéraux. Josias Braun-Blanquet (1952) les compte parmi la classe des Chenopodietae dans laquelle il inclut tous les terrains rudéraux méditerranéens.
Interprétation
164Les nombreuses attestations de mauvaises herbes associées aux restes de plantes cultivées est à notre avis la preuve que le site des Bagnoles était fréquenté par des groupes humains qui pratiquaient une économie de production mixte fondée sur l’agriculture et l’élevage. L’agriculture semble avoir été un pilier important de l’économie, comme l’indiquent le large spectre de plantes cultivées (voir § 8.3) et le nombre important de mauvaises herbes. Les sols disponibles (§ 3.4.1.3) étaient parfaitement adaptés à ces activités. De manière générale, les spectres relevés dans les puits des Bagnoles ne présentent que peu de différences par rapport aux sites lacustres du Jura et du nord des Alpes (voir le recueil de données dans Jacomet et al 2016). Ces résultats vont clairement à l’encontre des modèles mentionnés ci-dessus (§ 3.4.1.1), selon lesquels les populations du Néolithique moyen (en particulier du « Chasséen ») auraient été constituées de groupes d’éleveurs semi-nomades. Cette vision est à notre avis fondée sur un biais taphonomique, résultat de la mauvaise conservation des restes végétaux sur les sites terrestres des plaines alluviales du nord-ouest du bassin méditerranéen et des difficultés de datation qui en découlent. Cette mauvaise conservation suggère une éphémérité des occupations qui n’a vraisemblablement rien de réel, comme le montrent non seulement les restes végétaux en contexte de puits à eau, mais également le mobilier lié à la récolte, au traitement et à la consommation des produits issus de l’agriculture.
Terrains rudéraux et voisinage immédiat des puits
Considérations générales
165Les plantes rudérales forment « la végétation des décombres et lieux rudéraux, reposoirs des troupeaux, bords des chemins, dans les lieux habités. […] La région méditerranéenne sèche et chaude permet un développement exubérant sur les sols riches en produits ammoniacaux solubles » (Braun-Blanquet 1952:53). Ces plantes sont regroupées dans la classe Chenopodieta de Josias Braun-Blanquet (1952). Elles jouent un rôle important dans les spectres de nombreux puits (pré-) historiques (bibliographie, voir § 3.4.2.1).
Spectres
166Au total, 35 taxons de plantes rudérales potentielles ont été découverts dans les puits des Bagnoles (fig. 45 ; groupes écologiques 75 et 76). Ce décompte comprend également les taxons issus de milieux riverains (habitats naturels). Si l’on exclut ces derniers, on obtient tout de même encore 20 taxons. Les plantes rudérales potentielles constituent donc dans les puits des Bagnoles le groupe le plus important, à la fois sur le plan du nombre de taxons et sur celui du nombre de restes, ce qui n’est pas surprenant si l’on suppose qu’ils poussaient dans les environs immédiats. 18 taxons sont thérophytes (voir ci-dessus les mauvaises herbes annuelles d’été ; groupe écologique 75). 17 taxons sont à vie longue (pluriannuelle ; groupe écologique 76). Aux restes particulièrement fréquents de plantes rudérales à vie courte qui ont été déjà mentionnées ci- dessus, il faut ajouter une série d’espèces à vie plus longue particulièrement fréquentes dans nos spectres (fig. 45 ; groupe écologique 76).
167Au sein du spectre des plantes rudérales, il est possible de distinguer grossièrement deux groupes. Le premier est constitué d’espèces préférant la sècheresse telle la jusquiame noire (Hyoscyamus niger fréquente dans le puits 250) ou le marrube commun (Marrubium vulgare, exclusivement dans le puits 250). Parmi les restes notables, il faut signaler la présence d’espèces qui à l’époque étaient cantonnées au domaine méditerranéen (et le sont aujourd’hui encore) : le carthame laineux (Carthamus lanatus ; dans tous les puits, espèce à vie courte) et la mauve alcée (Malva cf alcea ; exclusivement dans les puits 990 et 994). Ces taxons, qui sont intéressants d’un point de vue floristique, sont également attestés dans les puits rubanés d’Europe centrale (Herbig et al. 2013). Dans la mesure où il les mentionne, Josias Braun-Blanquet (1952) attribue les espèces de ce groupe à l’association Onopordetum acanthii qui forme parfois des fourrés denses et épineux et est caractéristique des places de village dans les régions au climat sec et aux étés chauds (Herbig 2012).
168Parallèlement à ces espèces des milieux secs, les plantes qui affectionnent les environnements à nappe phréatique élevée, au sol profond riche en carbonates et en nitrates, bordures de chemins, haies ou encore les limons très riches en matières azotées, déposés au bord des fleuves méditerranéens et parfois dans des fossés remplis d’eau polluée, sont particulièrement fréquentes : parmi les associations intéressantes il faut mentionner l’Urtico-Sambucetum ebuli de l’alliance Paspalo-Agrostidion (Braun-Blanquet 1952). Les bardanes (Arctium spec.), Ranunculus repens, Silene alba et le sureau yèble (Sambucus ebulus, essentiellement dans le puits 250) sont fréquents dans les puits des Bagnoles et font partie des associations végétales typiques des habitats humides. C’est également dans ces types d’habitats que peut proliférer le Chenopodium album. On y trouve aussi le Heliotropium europaeum. Ces groupements de taxons sont susceptibles d’atteindre 1,5 à 2 m (et plus) de hauteur et peuvent former des taillis impénétrables. La renouée des oiseaux (Polygonum aviculare) et le grand plantain (Plantago major), qui font également partie de cette association sont des représentants de la flore de zones de piétinement et poussent donc dans les endroits très fréquentés.
Interprétation
169Comme en d’autres lieux (par exemple les puits rubanés ; Herbig et al. 2013), le groupe des plantes rudérales est bien représenté dans les puits des Bagnoles, tant sur le plan de la diversité des taxons que sur celui du nombre de restes. On peut donc en déduire que le voisinage des puits offrait des conditions de croissance idéales pour ces plantes. Leurs graines ont été acheminées vers les puits essentiellement par les agents naturels. Leur concentration suggère que l’espace situé à proximité des puits était pollué, de telle sorte qu’une population de diverses plantes rudérales favorisant les milieux riches en nitrates a pu s’y développer.
170On trouve au sein de cette association de nombreuses plantes typiques de zones de piétinement, ce qui indique une fréquentation intense du voisinage des puits. Il est intéressant de constater qu’il s’agit de plantes dont les fruits sont dotés de bractées se terminant par des crochets susceptibles de s’accrocher au pelage des animaux. Ceci peut être interprété comme l’indice indirect de la présence fréquente de bétail à proximité des puits.
171La présence de plantes hallucinogènes telles que la jusquiame noire (voir à ce sujet Herbig 2012:154) mérite d’être mentionnée. Leur utilisation dans un contexte cultuel a été envisagée (Herbig et al. 2013:279). Le fait que la Jusquiame noire est attestée (parfois par un grand nombre de restes) dans des puits du midi de la France va selon nous dans le sens d’une utilisation profane : les conditions climatiques (chaudes et sèches) et le voisinage des puits fertilisé par le bétail venant s’abreuver créent les conditions idéales pour l’installation et la prolifération de la jusquiame noire et de nombreuses autres plantes rudérales. Leurs restes avaient toutes les chances de se déposer dans les puits. Cela étant dit, il est très probable que de telles plantes aient été utilisées, de quelque façon que ce soit.
3.4.3 Conclusions
172Les spectres carpologiques issus des niveaux à conservation en milieu humide des trois puits des Bagnoles livrent pour la première fois des informations fiables et détaillées sur l’environnement naturel et son exploitation dans les plaines alluviales de la partie nord du domaine méditerranéen au Néolithique moyen. Ils permettent de nuancer certains des modèles actuellement en vigueur. Le remplissage des puits des Bagnoles reflète vraisemblablement leur environnement et son exploitation par l’être humain. Pendant la période d’utilisation des puits, des restes végétaux s’y déposent, acheminés par des agents naturels. Dans un second temps, après la phase d’utilisation, ils ont été comblés par des déchets domestiques, fumier de ruminants et restes divers issus des occupations voisines qui perdurent après l’abandon des puits. Ce remblayage correspond probablement, tout au moins dans sa moitié inférieure, à une période de temps relativement brève (de quelques mois à quelques années). La conservation des restes organiques dans la partie qui a été continuellement en dessous de la surface de la nappe phréatique est excellente. Le spectre des plantes sauvages est très large (presque 120 taxons actuellement déterminés) et il ne s’agit que d’un minimum, les déterminations n’étant pas encore achevées.
173L’abondance des plantes aquatiques et riveraines confirme la présence à proximité des (et dans les) puits, d’eau libre et de zones riveraines fréquentées et exploitées. Cela confirme pleinement les hypothèses relatives à la physionomie des plaines alluviales de la région, ondulées et parsemées de marécages et bras morts. Dans l’ensemble, ces plaines alluviales étaient beaucoup plus favorables à l’installation humaine qu’à partir de l’époque romaine, période pour laquelle le taux de sédimentation, et donc la fréquence des crues, augmente considérablement.
174Les plantes issues de formations ligneuses, en particulier celles qui sont typiques des zones riveraines, sont bien représentées dans les spectres. On y trouve également quelques rares représentants des chênaies à feuilles caduques ou persistantes, qui pourraient être d’origine locale. Cela va dans le sens de l’hypothèse, issue des données paléoécologiques, de l’existence de chênaies à feuilles caduques au cours de l’Holocène moyen dans les grandes plaines alluviales du nord du domaine méditerranéen et hors des milieux humides. Ces milieux riches en plantes ligneuses situés à proximité des habitats ont été exploités dans le cadre d’activité de cueillette. Aucun indice clair ne permet de supposer un apport de végétaux à partir des formations ligneuses plus éloignées du site.
175Les spectres de plantes de prairies, en particulier celles spécifiques des garrigues sèches, montrent que de tels milieux existaient à proximité du site (ici encore, un apport extérieur est peu probable). Ce résultat renforce l’hypothèse de la présence dans les grandes plaines alluviales et en dehors des zones humides, d’un paysage mosaïque (chênaie à feuilles caduques parsemée de prairies maigres sèches). Il est donc probable que de nombreux pâturages potentiels se trouvaient à proximité du site, ce d’autant plus que les prairies humides proches des cours d’eau se prêtent également à ce type d’exploitation. Il est possible que les marqueurs de tels milieux aient été acheminés par le bétail lui-même (bovinés et ovicaprinés) des pâturages vers les puits. L’augmentation du nombre de taxons des plantes de prairies entre la fin du Ve millénaire (puits 250) et le début du IVe millénaire avant notre ère (puits 994) va, à notre avis, dans le sens d’une ouverture progressive du paysage autour du site, suite à l’exploitation des ressources ligneuses et des prairies.
176Les plantes cultivées (balles et graines de différentes céréales, lin, pavot et probablement pois ; voir § 6.1 et 7.1) et les mauvaises herbes sont, quant à elles, des indicateurs d’activités agricoles. L’agriculture (et la collecte) semble donc avoir joué un rôle important. Ce résultat est difficilement compatible avec les hypothèses de groupes d’éleveurs semi-nomades, formulées ces dernières décennies pour le Néolithique moyen (Beeching et al. 2000, Delhon et al. 2009 ; Beeching & Brochier 2011). Elles reposent sur des sites qui, en raison de leur mauvaise conservation, sont perçus comme étant éphémères.
177La comparaison entre les spectres issus des trois puits des Bagnoles et ceux des sites lacustres peu ou prou contemporains ne permet pas de constater de différences fondamentales (même si, issus de zones climatiques différentes, ils ne sont naturellement pas identiques). Les sites lacustres du Jura et du nord-ouest des Alpes, occupés durant des périodes relativement courtes (de l’ordre de 20 ans selon les données dendrochronologiques), présentent eux aussi les caractéristiques d’une économie mixte fondée sur l’agriculture et l’élevage. Une partie des troupeaux était acheminée une partie de l’année vers les zones d’estive, comme le montrent les restes organiques et les analyses isotopiques (Jacomet et al. 2004, Gerling et al. 2017). Un système comparable peut être envisagé pour la basse vallée du Rhône.
178Comme souvent dans ce type de contexte, le groupe des plantes rudérales est bien représenté dans les puits des Bagnoles, à la fois sur le plan de la diversité des espèces et le nombre de restes. Ces plantes poussaient probablement en partie dans les environs immédiats du puits. Ce lieu était probablement fortement pollué par les déjections animales et offrait ainsi un habitat propice à une flore rudérale très variée, familière des sols enrichis en nitrates. La fréquence des plantes de zones de piétinement suggère une fréquentation intense de l’espace situé autour des puits, peut-être pour abreuver le bétail.
179Grâce à la conservation des restes végétaux en milieu humide, les spectres de plantes issus des trois puits des Bagnoles ont livré une image extrêmement détaillée de la végétation et de son exploitation à la périphérie d’occupations du Néolithique moyen. Ces résultats suggèrent l’existence de groupes pratiquant une économie mixte au sein de laquelle l’agriculture semble avoir joué un rôle plus important que supposé jusqu’à maintenant.
3.5 rareté et mauvaise conservation des restes rganiques (hors puit)
J.-L. Guendon, Ph. Rentzel, B. Röder, S. van Willigen
180Dès la première campagne de fouille en 2012, il s’est avéré que, hors des puits, les restes organiques (ossements et restes végétaux carbonisés) ne sont que rarement et le plus souvent mal conservés sur le site. Dans le meilleur des cas, il a été possible de recueillir quelques esquilles très érodées d’ossements de faune (grands ruminants essentiellement). Cette dégradation a également touché les dents qui, d’ordinaire, résistent mieux aux facteurs naturels. Par contre, les ossements calcinés et les tests de gastéropodes ont mieux résisté et sont relativement bien conservés. Les quelques charbons de bois détectés lors de la fouille des structures peu profondes sont totalement déstructurés et se présentent sous forme de poudre ou de microcharbons.
181Autre fait frappant, la bioturbation a fortement touché les structures les plus anciennes de telle sorte que les structures néolithiques étaient extrêmement difficiles à distinguer de l’encaissant.
182Les restes végétaux carbonisés sont de ce fait extrêmement rares malgré les moyens mis en œuvre. Il n’est donc pas surprenant qu’au terme des campagnes 2012 et 2013, le tamisage archéobiologique d’une tonne de sédiments avait permis d’isoler en tout et pour tout trois graines déterminables et quelques dizaines de fragments de charbon de bois.
183La rareté et le mauvais état des restes organiques concernent la quasi-totalité des structures du site, à quelques exceptions près :
les structures protohistoriques et antiques sont moins touchées par ce phénomène ;
la structure 68, cuvette d’une profondeur maximale de 40 cm présentait un remplissage dense de galets chauffés mêlés à du mobilier archéologique et de nombreux restes de faune. Les ossements, essentiellement du bœuf, ont souvent leur forme originelle lors de leur dégagement. Ils sont toutefois fortement corrodés, fissurés et fragmentés à tel point que leur prélèvement n’a été possible qu’après consolidation ;
les puits (structures 250, 990 et 994) montrent différents états de conservation des restes organiques. La partie supérieure de leur remplissage n’a livré, au mieux, que quelques restes organiques (de rares diaphyses d’os longs de bœuf, quelques charbons sous forme de poudre) à l’instar de la grande majorité des structures du site. La partie moyenne de leur remplissage contenait quelques restes fauniques ainsi que des restes végétaux carbonisés. Les restes fauniques et végétaux provenant de la partie inférieure du remplissage (environ 3 m sous la surface actuelle) de ces structures sont à la fois abondant et dans un parfait état de conservation : les ossements ne sont ni corrodés, ni fissurés et peu fragmentés, les restes végétaux carbonisés sont peu fragmentés.
184Cette situation semble donc dépendre de quatre facteurs principaux : le temps (les restes organiques sont plus fréquents et mieux conservés dans les structures les plus récentes), les matériaux concernés (ossements non calcinés, charbon de bois), la nature du remplissage dans lequel sont déposés ces restes (sédiments limoneux vs. remplissage dense de galets) et la proximité de la nappe phréatique.
185Plusieurs explications ont été successivement mises en avant pour expliquer cette situation :
acidité du sol ; elle peut être exclue, l’étude géochimique des sédiments présents sur le site (voir ci-dessus § 3.3) a montré que nous avons affaire à un pH neutre, ce qui était déjà suggéré par la bonne conservation des ossements calcinés ;
un effet direct des battements de la nappe phréatique
et de l’alternance humidité-sécheresse qui en découle ;
argiliturbation (destruction mécanique de matériaux poreux et fragiles suite à des dilatations/rétraction successives de sédiments riches en minéraux argileux gonflants) ; l’absence de tels minéraux dans les sédiments du site rend cette explication caduque ;
matériaux organiques carbonisés remaniés et transportés par les inondations régulières du site ;
peu de production de matériaux organiques pendant certaines phases d’occupation (Néolithique) ; c’est différent pour l’âge du Bronze avec des fosses riches en microcharbons peut-être liées à une production plus importante de charbon ou alors à un milieu naturel moins marqué par les inondations (voir § 9.1).
186Comme nous l’avons vu, le site des Bagnoles est situé dans un secteur marqué par une alternance de périodes durant lesquelles l’eau est omniprésente, que ce soit sous la forme d’eaux superficielles courantes ou stagnantes ou par des remontées de la nappe phréatique et de périodes sèches. Il est donc permis de supposer que pendant plusieurs millénaires les sédiments superficiels du site sont régulièrement (et plusieurs fois par an) passés de l’état sec à l’état humide. Or, c’est précisément dans ces sédiments superficiels (jusqu’à environ 1,50 m sous la surface actuelle) que nous avons la plus mauvaise conservation des restes organiques. À l’inverse, la meilleure conservation a été constatée dans les cas où les sédiments, proches de la nappe phréatique, n’ont pas été soumis à ces variations d’humidité. L’alternance humidité-sécheresse semble donc avoir joué un rôle décisif dans la conservation des restes organiques.
187L’altération des ossements peut être aussi le résultat du lessivage de certains éléments ou composés constitutifs de leur structure comme le carbone ou les phosphates. Un début de piste pourrait être fourni par la concentration en phosphates mise en évidence par l’étude micromorphologique à la base du profil E1/E2 (§ 3.2.2.2). Ces composés pourraient provenir des engrais agricoles, mais aussi des vestiges préhistoriques osseux. Ils se seraient concentrés à un niveau où les conditions bio-géochimiques sont favorables à leur stabilité après avoir été lessivés depuis des horizons supérieurs où ils étaient dans des conditions d’instabilité. Cela expliquerait la meilleure conservation des ossements dans les structures les plus profondes, plus propices à la stabilité des phosphates.
188La rareté des graines carbonisées et la déstructuration des charbons de bois restent, quant à elles, inexpliquées.
189Quoi qu’il en soit, la rareté des restes organiques a constitué un handicap de taille, réduisant les informations relatives aux économies animale et végétale et les échantillons susceptibles d’être datés par le radiocarbone en grande partie aux trois puits néolithiques.
3.6 L’environnement du site : indices d’implantations humaines durant le Néolithique moyen dans la plaine du Comtat et ses marges
A. D’Anna, B. Hélard, A. Reggio, S. van Willigen
190Entre Plaine du Comtat, Monts de Vaucluse, Luberon et Bassin du Calavon-Imergue, le site des Bagnoles est implanté dans une région à forte densité en gisements préhistoriques tant paléolithiques que néolithiques. Cette richesse fut très tôt identifiée et dès la fin du xixe siècle d’intenses recherches y ont été entreprises par des érudits locaux. Ce n’est donc pas un hasard si c’est dans cette région, dans la Baume Cropatière de Bonnieux, qu’en 1903, plusieurs d’entre-eux – Marc Deydier, Anfos Martin, Albert Morenc, Ivan Pranishnikoff et Paul Raymond – eurent l’idée de créer la Société Préhistorique française (Vayson de Pradenne 1931).
191Ces recherches pionnières comportèrent quelques fouilles et de nombreuses prospections de surface. Elles ont été, pendant la fin du xixe et le début du xxe siècle, à l’origine de la constitution de nombreuses collections, en partie conservées au Musée Calvet d’Avignon et au Musée d’Apt, mais une très large partie demeure dans des collections privées. Ces travaux anciens concernèrent d’une part les plaines et collines, avec par exemple les stations de la Verrerie à Goult et de la Bladayre à Gargas, et d’autre part les vallées du Luberon et le plateau des Claparèdes (Pottier 1878, Arnaud d’Agnel 1901, Cotte 1924, Sautel et al. 1931, Lazard 1943, Courtin 1974).
192Dans le même temps, des recherches dynamiques furent menées dans la région de Murs-Gordes dont les ateliers de taille de silex ont été identifiés dès 1880 par Bruno Vayson de Pradenne. Par la suite, André Vayson de Pradenne et Marc Deydier y recueillirent un très grand nombre de maillets à gorge et les firent connaître (Deydier 1904, Vayson de Pradenne 1934). D’autres « chercheurs » restèrent cependant plus discrets et beaucoup de trouvailles sont restées inédites. Les différentes variétés de silex d’excellente qualité et faciles à extraire, silex blond bédoulien et silex brun oligocène, ont été particulièrement recherchées par les hommes préhistoriques. La présence de cette matière première est à n’en pas douter l’une des caractéristiques les plus importantes pour la préhistoire du sud du Vaucluse.
193Puis, pendant toute la première partie du xxe siècle, les recherches sur le Néolithique moyen du sud du Vaucluse se sont orientées vers les grottes et abris des Monts de Vaucluse et du Luberon : la Grande Grotte de Vidauque et la Baume des Enfers à Cheval-Blanc (fouille André Dumoulin 1942), l’Abri n° 3 de Chinchon à Saumane- de-Vaucluse (fouille Maurice Paccard 1964), la grotte d’Unang dans les gorges de la Nesque (Paccard 1954, 1993), La Baume (Le Beaucet ; sondage Patrice et Charlette Arcelin 1974) et l’Abri de la Source à La Roque- sur-Pernes (sondage Maurice Paccard 1956).
194C’est pendant cette période que fut également découverte fortuitement en 1930, la remarquable sépulture en puits de Coustelet (Cabrières-d’Avignon), au débouché de la plaine du Calavon (Gagnière & Vareille 1931).
195Par la suite, c’est essentiellement à partir des années 1970 que les activités ont été étendues aux sites de plein air de la plaine du Calavon et du nord Luberon. La vallée du Calavon a ainsi fait l’objet de prospections systématiques, entre 1987 et 1990, dans le cadre de l’aménagement hydraulique réalisé par la Société du Canal de Provence (Marchesi 1990). Plusieurs indices de sites du Néolithique moyen ont alors été reconnus ou confirmés : Pied d’Armes à Roussillon, Les Contras et les Chapelins à Bonnieux.
196Depuis lors plusieurs gisements ont fait l’objet de sondages ou fouilles plus ou moins étendues : Claparouse à Lagnes (fouilles Albert Carry et Gérard Sauzade), La Brémonde à Buoux (D’Anna 1993), les Martins à Roussillon (D’Anna 1993), Les Fabrys à Bonnieux (Bretagne & D’Anna, 1988), La Boudine et Pellisier à Saumane-de-Vaucluse (fouilles Adrien Reggio et Boris Hélard 2016), La Tuilière à Saumane-de-Vaucluse (prospection Roger Caillet 1980), Beyssan à Gargas (fouilles Bruno Bizot 2014).
197La plaine du Comtat, dans sa partie sud, n’a, quant à elle, fait l’objet d’aucune recherche d’envergure ces dernières décennies, même si quelques sites y ont été signalés occasionnellement. On notera ainsi la découverte sur le site de La Quintine à l’ouest de Carpentras de deux structures attribuées à la fin du Néolithique ancien ou au début du Néolithique moyen à l’occasion d’un diagnostic Inrap (Meffre et al. 2008). Proches des Bagnoles, les collines situées immédiatement au nord et à l’ouest de Caumont ont livré deux sites attribuables au Néolithique moyen (prospections Jacques Mouraret).
198Actuellement, le sud de la plaine du Comtat et ses marges de la basse vallée du Calavon et de l’extrémité occidentale des Monts de Vaucluse et du Luberon, regroupent plus de cinquante sites attribuables au Néolithique moyen (fig. 46). Leur brève présentation est faite du nord-est au sud-ouest en tournant autour des Bagnoles dans le sens des aiguilles d’une montre.
3.6.1 Les ateliers de Murs-Gordes
199À 15 km à l’est-nord-est des Bagnoles, à environ 500-550 m d’altitude, les ateliers de Murs-Gordes (Deydier 1904, Vayson de Pradenne 1934), occupent une bande de terrain de 100 à 600 m de large et de 7 km de long, depuis le Mourre-Blanc au nord-est de Murs jusqu’aux environ de l’abbaye de Sénanque à 2 km au nord-ouest de Gordes (fig. 46, cercles bleus).
200Connus dès la fin du xixe siècle, les ateliers ont fait l’objet d’intenses recherches confinant très vite au pillage compétitif. L’état actuel résulte de cette « érosion » aussi systématique que frénétique. Les collections privées anciennes ont été largement dispersées et progressivement perdues (il semblerait que quelques séries conservées dans des musées le soient également). Ce qui est encore conservé aujourd’hui dans les collections publiques ne donne donc qu’une pâle idée de ce que pouvaient être ces gisements. Un siècle après cette phase d’exploration initiale, la recherche scientifique semble enfin se mettre lentement en place (Léa 2004, Léa et al. 2004, de Labriffe et al. sous presse).
201Les hommes préhistoriques ont trouvé ici des silex « blonds » ou « bruns » d’excellentes qualités, relativement faciles d’accès et aisés à extraire de leurs calcaires encaissants. Sur toute leur étendue, les ateliers livrent d’énormes quantités d’éclats et déchets de taille, des nucléus, des outils originaux de grandes dimensions et de nombreux maillets en quartzite (Deydier 1904, Moulin 1904, Vayson-de-Pradenne 1934). Ce sont ces derniers qui ont fait la célébrité du secteur. On remarquera que dans le sud-est de la France, les ateliers de taille néolithiques de la vallée du Largue et du Mont Ventoux ont évidemment connu le même double engouement des préhistoriques et des préhistoriens et, comme d’autres ailleurs, ont subi le même sort alors que les travaux de synthèse restent largement à effectuer…
202L’exploitation des ateliers de Murs-Gordes, encore en service pour la fabrication des pierres à fusil jusque vers 1870, a connu une phase majeure au Néolithique moyen et qui couvre tout le Néolithique moyen de type Chassey et le Néolithique moyen de type La Roberte. Si l’on connaît mal le détail des conditions d’extraction, d’exploitation et de production pendant le Néolithique moyen, c’est bien le silex « blond » bédoulien qui a alors constitué le principal attrait. Cette remarquable matière première dans laquelle ont été réalisées de grandes séries de lamelles souvent débitées après traitement thermique, a été diffusée dans tout le midi de la France et au-delà, ce qui constitue un phénomène d’une rare ampleur. Son utilisation systématique a été considérée comme un facteur d’unité, voire un réel marqueur culturel du « Chasséen » (Binder 1991, 1998 ; voir chapitre 2).
203Si l’on n’a pas de connaissance globale de l’organisation spatiale des ateliers, on constate depuis longtemps que plusieurs locus d’exploitation semblent exister autour des quartiers de Jas-de-Laurent, la Bouïsse, Chatemuye, les Vallons sur la commune de Murs et du vallon de Ferrières et de Buzans sur la commune de Gordes (Moulin 1904, Raymond 1904, Deydier 1904, Vayson-de-Pradenne 1934, Courtin 1974, Schmid 1980, Binder 1998, Léa et al. 2004, de Labriffe et al. sous-presse). On retiendra en particulier le site des Trois Termes, au nord de Gordes, qui est l’un des rares à avoir fait l’objet d’une analyse détaillée (Léa 2004b). À côté de l’abondante industrie lithique, le site a livré une petite série céramique qui a été attribuée à une phase récente du Néolithique moyen (Néolithique moyen de type La Roberte).
204Avec ces ateliers, la disponibilité en silex blond est donc relativement peu éloignée des Bagnoles (moins de 15 km au plus près). Si cette matière première n’est pas strictement locale sur le gisement, sa présence proche a probablement constitué un des éléments déterminant pour la définition du statut du site et dans le choix de son implantation.
3.6.2 Au nord et à l’extrémité occidentale des Monts de Vaucluse
205Les sites localisés à une distance de 5 à 20 km des Bagnoles.
206Bonnefont-La Gardi (Malemort-du-Comtat, Vaucluse ; Courtin 1974:133). À un peu plus de 16 km au nord-est des Bagnoles, la station de Bonnefont-La Gardi témoigne probablement d’un vaste habitat. Implantée sur un plateau dominant les gorges de la Nesque, elle a livré à l’occasion de ramassages de surface un abondant mobilier lithique et une série céramique comportant plusieurs anses en flûte de Pan. L’ensemble suggère l’existence d’occupations attribuables au Néolithique moyen.
207Grotte d’Unang (Malemort-du-Comtat, Vaucluse ; Paccard 1954, 1993, Courtin 1974 :133) Dans les gorges de la Nesque, la stratigraphie de la Grotte d’Unang a fait l’objet de fouilles depuis 1947 par Maurice Paccard. Les niveaux F1, F2 et F3 ont livré des éléments lithiques et céramiques clairement attribuables au Néolithique moyen.
208L’abri de Vénasque (Vénasque, Vaucluse ; Courtin 1974 :135). Également dans la vallée de la Nesque, l’abri de Vénasque aurait livré un mobilier « Chasséen classique » à l’occasion de fouilles clandestines.
209Abri n° 2 du Fraischamp (La Roque-sur-Pernes, Vaucluse ; Paccard 1957). À environ 10 km au nord-est des Bagnoles, le vallon du Fraischamp et ses environs ont livré un grand nombre de sites néolithiques. La stratigraphie de l’Abri n° 2 comportait deux niveaux attribuables par leur mobilier lithique et céramique au Néolithique moyen.
210La Baume (Le Beaucet, Vaucluse ; Arcelin et al. 1978). Quelques éléments « chasséens » ont été découverts à l’occasion de la fouille d’un dépotoir de l’âge du Fer. Ce mobilier est resté inédit.
211Le village du Beaucet a livré deux stèles à décors de chevrons gravés découvertes hors contexte (Sauzade & Castan 1987, Sauzade & Cerclier 2014).
212Les abris de Chinchon (Saumane-de-Vaucluse, Vaucluse ; Bouville et al. 1980). À 6 km au nord-est des Bagnoles les abris de Chinchon sont essentiellement connus pour leurs occupations paléolithiques. L’Abri n° 3 a également livré quelques rares éléments parfois attribués au néolithique moyen, dont un vase peut-être associé à une sépulture multiple. En l’absence de datations radiocarbone et d’éléments caractéristiques, il est difficile de proposer une datation précise pour cet ensemble.
213Pélissier et La Tuilière (Saumane-de-Vaucluse, Vaucluse ; inédit) : sites de plein air implantés en bordure occidentale des Monts de Vaucluse. Les quelques éléments céramiques et lithiques découverts à l’occasion des prospections réalisées par Boris Hélard (en particulier des lamelles débitées après chauffe) font référence au Néolithique moyen de type La Roberte.
214La Boudine (Saumane-de-Vaucluse, Vaucluse ; Reggio et al. 2016). Les sondages réalisés en 2016 sous la direction d’Adrien Reggio et de Boris Hélard ont permis de mettre en évidence une occupation pour l’essentiel attribuable au Néolithique moyen de type La Roberte.
215Mourre Fleuri (Saumane-de-Vaucluse). À l’extrémité occidentale des Monts et plateaux de Vaucluse, le site du Mourre Fleuri (ou Moure Fleuru, Les Fayardes) est localisé à 1,5 km au nord-est de Saumane-de-Vaucluse et à environ 9 km des Bagnoles. À une altitude de 389 m, il est constitué d’une forte butte de marnes et calcaires du burdigalien dominant la plaine du comtat vers l’ouest. Les vestiges préhistoriques proviennent d’un replat en contrebas à l’est et au sud du petit plateau sommital. Le site a été identifié vers 1970 par Daniel Helmer et a fait seulement l’objet de ramassage de surface. La série lithique pourrait être rapportée au Néolithique moyen de type Chassey (Reggio et al. 2018).
3.6.3 Le bassin du Calavon-Immergue
216Sites localisés à une distance de 10 à 30 km des Bagnoles.
217Les Martins (Roussillon, Vaucluse ; D’Anna 1993). À 20 km à l’est des Bagnoles, entre les Monts de Vaucluse et le Luberon, le site des Martins est implanté sur le versant nord du synclinal d’Apt, où il occupe une éminence peu marquée, mais très étendue. Le site, découvert en 1975 par Benjamine Manahiloff a fait l’objet de fouilles de sauvetage en 1985 et 1986. Elles ont permis de décaper une petite partie du site (environ 2300 m2 soit moins de 1/10 de la superficie estimée du gisement). L’occupation correspond pour l’essentiel au Néolithique final, mais dix structures en creux ont été attribuées au Néolithique moyen. Elles comportent plusieurs sépultures dont la chronologie a été récemment révisée (Schmitt et al. 2017a). Le mobilier céramique correspond au Néolithique moyen de type La Roberte (structures 6, 8, 39, 63) et Mourre de la Barque (structure 137) (van Willigen et al. 2012).
218Pied d’Armes (Roussillon, Vaucluse ; Coye 1987). Des ramassages de surface effectués par Lucienne et Benjamine Manahiloff laissaient supposer l’existence d’un habitat néolithique moyen, mais plusieurs sondages n’ont pas révélé la présence de niveau en place
219La Bladayre (Gargas, Vaucluse ; Courtin 1974). Ce site de plein air a été repéré au début du xxe siècle par des ramassages de surface. Le mobilier exclusivement lithique, est constitué de lamelles en silex blond et d’armatures que l’on peut probablement rattacher au Néolithique moyen de type La Roberte.
220Beyssan (Gargas, Vaucluse ; D’Anna et al. 2015, Bizot et al. 2017). La découverte en 2014, en surface, par Christiane Bosansky de deux stèles anthropomorphes à décor de chevrons gravés a conduit à la réalisation de sondages de contrôle. Plusieurs dépôts de crémation bouleversés ont été découverts à cette occasion. Le mobilier associé, tant en surface que dans les sondages, est attribuable au Néolithique moyen de type La Roberte ou au Néolithique moyen de type Mourre de la Barque. Les datations radiocarbone permettent de dater cet ensemble vers 3900-3800 avant notre ère.
221La Petite Verrerie ou Petite Verrière (Roussillon, Vaucluse) et La Verrière ou Verrerie (Goult, Vaucluse ; Courtin 1974:134, Marchesi 1990). La station de la Petite Verrerie à environ 3 km au sud-sud-est de Roussillon a été signalée dès le début du xxe siècle. Son industrie lithique qui comporte de nombreuses lamelles et des armatures triangulaires et trapézoïdales, a permis d’y reconnaître un établissement néolithique moyen. Les prospections de 1987-1990 ont montré que le site était très étendu sur la limite les communes de Roussillon et Goult entre les campagnes de La Petite Verrerie au nord, La Grande Verrière et La Verrière au sud6.
222Station de Bacqui (Lacoste, Vaucluse ; Courtin 1974:131). À l’ouest de Lacoste, la station de Bacqui a été signalée au début du xxe siècle. Elle a livré de nombreuses lamelles et des armatures triangulaires et trapézoïdales qui permettent de la rattacher au néolithique moyen.
223Dolmen de l’Ubac (Goult, Vaucluse ; Bizot et al. 2015). La fouille intégrale du dolmen de l’Ubac, en bordure du Calavon a montré que l’édification de celui-ci succède à une occupation du début du ive millénaire comportant plusieurs petits foyers et d’où proviennent probablement les deux stèles lisses trouvées en réemploi dans la construction du monument funéraire à la fin du Néolithique.
224La stèle de Ponty-sud (Goult, Vaucluse ; Gagnière & Granier 1979). Également en bordure du Calavon, en amont du dolmen, un fragment de stèle à décors de chevrons gravés a été découvert en réemploi dans un mur de la ferme de Ponty-sud.
225Puits de Coustelet (Cabrières-d’Avignon, Vaucluse ; Gagnière & Vareilles 1931). Fouillé en 1930 le remplissage de ce puits de plus de 6 m de profondeur a livré un dépôt mortuaire comportant deux individus qui pourraient ne pas avoir été déposés simultanément. Quelques éléments du mobilier peuvent être attribués au Néolithique moyen de type La Roberte (lamelles en silex blond, fragments de jattes carénées).
226Claparouse (Lagnes, Vaucluse ; Bouby & Léa 2006, Lepère 2009:257-258). Le vaste gisement de Claparouse, situé à l’extrémité occidentale des Monts de Vaucluse, a fait l’objet de plusieurs campagnes de sondages réalisés par Albert Carry et Gérard Sauzade entre 1975 et 1978. Les éléments publiés provenant du sondage 2/C1 (jattes carénées, coupes à sillons internes) peuvent être attribués au Néolithique moyen de type La Roberte.
3.6.4 L’extrémité occidentale du Luberon
227Sites localisés à une distance de 10 à 30 km des Bagnoles.
228Grotte de Buoux (Buoux, Vaucluse ; Lazard 1943:12- 13, Courtin 1974:131 et 135). Sur le bord de la route, en rive droite de l’Aiguebrun, les cavités constituées de blocs effondrés ont été explorées dès la fin du xixe siècle. Le matériel mélangé comporte de l’industrie lithique et des objets en os. On note la présence d’un vase globuleux à préhension en flûte de Pan, associé à une quinzaine de squelettes (Guébhard 1913). L’ensemble est malheureusement perdu.
229Abri des Roches (Buoux, Vaucluse ; Courtin 1974:131). En rive gauche de l’Aiguebrun, des ramassages de surface ont livré plusieurs tessons probablement du Néolithique moyen dont deux anses en flûte de Pan.
230Les stations du plateau des Claparèdes (Buoux, Bonnieux et Saignon, Vaucluse). Sur le flanc nord du Luberon, le plateau des Claparèdes et ses environs ont attiré les préhistoriens depuis la fin du xixe siècle (Lazard 1943). Les nombreuses stations ont livré un très abondant mobilier lithique de la fin du Néolithique. Cependant plusieurs d’entre elles recèlent des petites séries de lamelles de silex bédoulien qui attestent d’occupations du Néolithique moyen, par exemple L’Illet à Bonnieux (Courtin 1974:252) et l’Escudelette à Saignon.
231Au centre du plateau des Claparèdes, le site de la Brémonde a fait l’objet de fouilles entre 1982 et 1985 (Courtin et al. 1989). Les ramassages de surface antérieurs comportaient déjà un petit ensemble de lamelles de silex blond et des armatures triangulaires à retouches plates attestant d’une occupation au Néolithique moyen (Courtin 1974:252-253) ; celle-ci a été confirmée par les fouilles qui n’ont cependant livré que quelques lambeaux de couches et du mobilier dispersé.
232Les Fabrys (Bonnieux, Vaucluse ; Courtin 1974:252, Marchesi 1990). Au pied du Luberon, au nord de Bonnieux, sur la bordure de la plaine du Calavon, ce vaste gisement de plein air est connu depuis le début du xxe siècle et a fait l’objet de nombreux ramassages de surface. Quelques lamelles signalent la présence d’une occupation du Néolithique moyen. Dans le cadre de l’aménagement hydraulique de la vallée du Calavon une fouille de sauvetage a été entreprise en 1987 et 1988, en bordure de la route D194. Sous les niveaux du Néolithique final, à la base de la stratigraphie reconnue, étaient inégalement conservés des vestiges de l’occupation du Néolithique moyen.
233Les Contras, les Chapelins, Jaconnes et La Charlesse (Bonnieux et Roussillon, Vaucluse ; Marchesi 1990). Également dans la plaine du Bonnieux et du Calavon, les prospections de 1987-1990 ont livré de nombreux indices de sites néolithiques. Sur plusieurs d’entre eux, une occupation au Néolithique moyen est attestée principalement par de l’industrie lithique.
234Station du Boulon (Robion, Vaucluse ; Courtin 1974:134). Au pied de l’extrémité occidentale du Luberon, à environ 10 km au sud-est des Bagnoles, à proximité de la source du Boulon, le site a livré quelques lamelles en silex blond et des fragments de préhensions en flûte de Pan. Ce mobilier, inédit, est conservé au musée de Cavaillon.
235Baume des Enfers (Cheval-Blanc, Vaucluse ; Courtin 1974, p. 131). Sur la rive droite du Vallon de Vidauque, la Baume des Enfers a fait l’objet de fouilles entre 1942 et 1944 dont les résultats sont restés largement inédits. La collection Dumoulin conservée au Musée de Cavaillon comporte un riche mobilier : écuelles carénées, coupes à sillon interne, billes en calcaire et lamelles en silex blond, autant de caractères spécifiques du Néolithique moyen de type La Roberte.
236Grande Grotte de Vidauque (Cheval-Blanc, Vaucluse ; Courtin 1974:131). Dans le même vallon de Vidauque, à côté de la Baume des Enfers et fouillée à la même époque, la Grande Grotte de Vidauque a livré un mobilier tout aussi abondant conservé au Musée de Cavaillon. La série céramique et l’industrie lithique sont en grande partie attribuables au Néolithique moyen de type La Roberte.
237Grotte de l’Escaoupré (Cheval-Blanc, Vaucluse ; Buisson-Catil 2002, Buisson-Catil & Bizot 2003). Jacques Buisson-Catil a réalisé deux sondages en 2002, dans cette petite grotte du versant sud-ouest du Luberon. Ils ont révélé la présence de plusieurs niveaux attribuables au Néolithique moyen et final. Le mobilier du niveau III (jattes carénées et coupes à sillon interne) peut être attribué tout au moins en partie au Néolithique moyen de type La Roberte.
238Grotte des Épingles (Mérindol, Vaucluse ; Courtin 1974:133). Dans les gorges de Regalon la Grotte des Épingles est principalement connue pour son remarquable dépôt de l’âge du Bronze. Elle a également livré un vase muni de boutons accolés perforés verticalement qui appartient au Néolithique moyen.
239Stèles de Cavaillon et de la Lombarde à Puyvert (D’Anna & Renault 2004). Au pied du Luberon, la rive droite de la Durance a livré plusieurs stèles à décors gravés de chevrons, parmi les mieux conservés du Sud-Est.
3.6.5 La vallée de la Durance et les Alpilles
240Sites localisés à une distance de 10 à 30 km des Bagnoles. Stèles de Font de Malte et du Mont Sauvy (Orgon,
241Bouches-du-Rhône) et stèles de La Puagère du Rocher (Sénas Bouches-du-Rhône) (D’Anna & Renault 2004). Sur la rive gauche de la Durance, à l’extrémité orientale des Alpilles, entre 12 et 17 km des Bagnoles, plusieurs sites ont livré, hors contexte, des stèles à décors de chevrons gravés. Longtemps mal datés ces objets sont maintenant attribués au Néolithique moyen de type La Roberte.
242Malvoisin (Orgon, Bouches-du-Rhône ; Sauzade et al. 1981). Également sur la rive gauche de la Durance, à environ 10 km au sud des Bagnoles, le site de Malvoisin est implanté au pied d’une barre rocheuse. Il a livré une belle série céramique du Néolithique moyen.
243Beauregard (Orgon, Bouches-du-Rhône ; Courtin 1974:124). À l’extrémité orientale des Alpilles, au sud d’Orgon, le Vallon de Beauregard, a livré, en surface, une série qui comporte en particulier des armatures trapézoïdales à retouches plates, un outillage sur lamelle de silex bédoulien, quelques jattes carénées, deux fusaïoles et un poids de métier à tisser réniforme attribuable sous toutes réserves au Néolithique moyen de type La Roberte.
244Baume Rousse (Orgon ; Courtin 1974:124). Dans le même vallon, cette cavité a fait l’objet de pillages systématiques. Elle a livré de la céramique « chasséenne » très abondante, mais inédite.
245Valdition II (Eygalières, Bouches-du-Rhône ; Courtin 1974:119). Les stations de plein air de l’extrémité nord- est des Alpilles ont fait l’objet de nombreux ramassages de surface. À environ 15 km au sud des Bagnoles, Valdition II a livré une série qui pourrait être rapportée au Néolithique moyen.
246Estoublon (Fontvieille, Bouches-du-Rhône ; Courtin 1974:122). À un peu moins de 30 km au sud-ouest des Bagnoles, au pied du massif des Alpilles, la station d’Estoublon a été détruite par les travaux agricoles. Elle a livré une abondante industrie lithique sur lamelles en silex bédoulien et une série céramique que l’on peut attribuer au Néolithique moyen.
247Escanin (Les Baux, Bouches-du-Rhône ; Montjardin 1966, 1970). Le site d’Escanin est localisé sur le flanc sud-ouest des Alpilles, entre Fontvieille et Maussane. Les différents locus partiellement fouillés par Raymond
248Montjardin de 1963 à 1972, Escanin 1 à l’est et Escanin 2 à l’ouest, sont dispersés dans un contexte de terrasses, d’abris et de blocs effondrés. Le mobilier découvert à cette occasion correspond au Néolithique moyen de type Chassey et La Roberte.
3.6.6 La Plaine du Comtat et la Vallée du Rhône
249Sites localisés à une distance de 5 à 20 km des Bagnoles.
250La Balance (Avignon, Vaucluse ; Courtin 1974). À 17 km à l’ouest des Bagnoles, le site de plein air d’Avignon est localisé au pied du rocher des Dom, sur la basse terrasse du Rhône. Les fouilles de sauvetage réalisées sous la direction de Jean Courtin, Sylvain Gagnière et Jean Granier en 1965 et 1966 ont conduit à la découverte de niveaux d’occupation et de fosses attribuables au Néolithique moyen qui ont livré des lamelles en silex blond, quelques armatures de flèches et lames de hache, des écuelles carénées et un tesson orné de triangles quadrillés gravés. Seule la sépulture découverte fortuitement en 1965 a fait l’objet d’une étude exhaustive publiée récemment (Zemour et al. 2017). L’ensemble est conservé au Musée Calvet. Selon les données, l’occupation néolithique du site de la Balance couvrirait le Néolithique ancien, moyen (type Chassey et type La Roberte) et final.
251Font des Bouchers et Les Batailles (Caumont-sur-Durance, Vaucluse ; inédit). À 5 km l’ouest des Bagnoles, sur la colline de Caumont, ces deux sites ont été découverts en prospection par Jacques Mouraret. Ils ont livré quelques éléments céramiques attribuables au Néolithique moyen.
252Chapelle de Velorgue (L’Isle-sur-la-Sorgue, Vaucluse, inédit). À 3 km au sud-est des Bagnoles, quelques éléments céramiques du Néolithique moyen ont été mis au jour lors de sondages réalisés par le service du patrimoine de la ville de L’Isle-sur-la-Sorgue à l’extérieur de la chapelle.
253Cet inventaire sommaire montre l’existence, entre la basse vallée du Calavon et le Rhône, d’au moins une cinquantaine de sites qui ont livré des éléments attribuables au Néolithique moyen. Leur connaissance est cependant très inégale, dans leur majorité ce sont des sites connus de longue date ayant fait l’objet de ramassages de surface ou de fouilles anciennes sommaires. Les quelques cas de fouilles récentes restent d’ampleur limitée (2300 m2 aux Martins) et le site des Bagnoles (1,5 hectare décapé) fait donc exception. Ces travaux récents ont régulièrement montré des vestiges du Néolithique moyen sous des occupations du Néolithique final. De ce fait, les structures et leurs organisations sont mal connues. Là encore le site des Bagnoles constitue une particularité.
254On peut cependant formuler quelques remarques générales. Ce sont majoritairement des sites de plein air (au moins une trentaine malheureusement souvent remaniés par les travaux agricoles) qui livrent des vestiges du Néolithique moyen.
255On constate également que lorsque la datation de ces sites de plein air peut-être approchée, celle-ci est à rapporter à la fin du Néolithique moyen (type La Roberte ou Mourre de la Barque) pour une vingtaine de sites. Le Néolithique moyen de type Chassey est bien plus rare puisqu’il n’est attesté en dehors des Bagnoles qu’à Escanin et peut-être sur le site perché du Mourre Fleuri.
256Ces établissements semblent occuper tous les types de milieux : la périphérie des massifs des Monts de Vaucluse et du Luberon, l’étage collinéen en bordure de ces massifs et les plaines. Dans les zones les plus basses de ces dernières, et en particulier dans la plaine du Comtat, il y a manifestement un déficit de sites qui n’est certainement pas lié à l’absence d’occupations du Néolithique moyen, mais qui résulte probablement de l’enfouissement des sites. Ceux-ci ne peuvent donc être révélés qu’à l’occasion de grands travaux et de décapages étendus, opérations qui sont restées rares dans le secteur.
257On doit également remarquer que cette région, proche du confluent du Rhône et de la Durance, a livré la majorité des stèles à décors de chevrons gravés connues en Provence ; plus de la moitié des sites provençaux sont recensés dans un rayon de 25 km autour des Bagnoles. Des stèles à décors peints y ont également été découvertes.
258Enfin l’élément majeur de l’environnement archéologique des Bagnoles reste la présence du silex blond bédoulien de la région de Murs-Gordes. L’importance de cette matière première pour le Néolithique moyen n’est plus à démontrer et elle a probablement joué un rôle dans le choix d’implantation du site des Bagnoles qui en est relativement proche.
3.7 Conclusions
J. É. Brochier, A. D’Anna, J.-L. Guendon, B. Hélard, S. Jacomet, Ph. Rentzel, A. Reggio, B. Röder, S. van Willigen
259Le site des Bagnoles est localisé dans la partie orientale de la plaine du Comtat, dans une zone de basse plaine drainée par plusieurs cours d’eau : Les Sorgues au nord, le Calavon et la Durance au sud. Les études géomorphologiques, stratigraphiques, sédimentologiques et micromorphologiques ont montré que l’occupation néolithique du site des Bagnoles se met en place dans un contexte de plaine alluviale active marquée par une légère remontée topographique vers le sud formant une bordure de terrasse. Tout au moins la zone basse est affectée par une alternance périodique de phases d’inondations dont l’énergie décroît au cours du temps, de dépôts de sédiments et de pédogenèse (constituant un « soil sedimentary complex »). Ces apports de sédiments proviennent du Coulon/Calavon dont le lit peut avoir été plus ou moins proche du site durant le Néolithique.
260Les nombreux restes végétaux provenant de la partie inférieure de trois puits néolithiques corroborent cette image, suggérant la présence à proximité du site d’une végétation arborescente caractéristique des forêts riveraines méditerranéennes, situées le long des cours d’eau dans les basses plaines. De manière générale, la grande diversité écologique du spectre végétal évoque un paysage mosaïque des plaines alluviales méditerranéennes. Cette variabilité du milieu naturel dans les environs du site peut avoir eu un potentiel agricole et pastoral important malgré les débordements des cours d’eau voisins. Les restes de plantes cultivées, de mauvaises herbes ainsi que de déchets végétaux issus du traitement des céréales découverts dans les trois puits indiquent que ce potentiel a été exploité.
261Ces résultats montrent que le secteur de la plaine du Comtat dans lequel se trouve le site des Bagnoles était caractérisé au Néolithique moyen par un milieu à la fois riche et varié, propice aux activités agricoles et pastorales, et que la répartition préférentielle des sites du Néolithique moyen dans les massifs et les zones collinaires n’est que le reflet des lacunes de la recherche.
Notes de bas de page
1 Faute de restes organiques, ces niveaux n’ont pu être datés par le radiocarbone.
2 En raison de l’extrême humidité du sédiment proche de la nappe phréatique, les niveaux inférieurs du remplissage du puits n’ont pas pu faire l’objet de prélèvements en bloc.
3 Nous employons dans cette étude la terminologie phytosociologique de Josias Braun-Blanquet (1952).
4 Sur ce site comme sur celui des Bagnoles (§ 3.4.2.2) il est difficile d’attribuer certains taxons à des groupes précis.
5 Les chiffres sur lesquels se fonde notre étude sont le résultat des travaux de Stefanie Jacomet, Franziska Follmann (mémoire de bachelor), Ana Jesus (doctorat en cours) et Ferran Antolín. Ils correspondent à l’état d’avancement des travaux de tamisage et de détermination atteint en mai 2018 et peuvent donc présenter de légères divergences avec les données archéobotaniques présentées dans les chapitres 6, 7 et 8.
6 Selon la version et l’année d’édition des cartes IGN les noms changent entre Verrières et verrerie d’où parfois une certaine confusion.
Auteurs
LAMPEA, sédimentologie
LAMPEA, mise en place des campagnes successives
LAMPEA, géomorphologie-stratigraphie
Prospections pédestres
IPNA, Université de Bâle, carpologie
IPNA, Université de Bâle, micromorphologie
LAMPEA, outillage lithique, responsable adjoint
Fachbereich Ur- und Frühgeschichtliche und Provinzialrömische Archälogie, Université de Bâle, archéologie, responsable adjointe
LAMPEA
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Fonctions, utilisations et représentations de l’espace dans les sépultures monumentales du Néolithique européen
Guillaume Robin, André D'Anna, Aurore Schmitt et al. (dir.)
2016
Bouquetins et Pyrénées
I – De la Préhistoire à nos jours : offert à Jean Clottes, conservateur général du Patrimoine honoraire
Aline Averbouh, Valérie Feruglio, Frédéric Plassard et al. (dir.)
2021
Journey of a committed paleodemographer
Farewell to Jean-Pierre Bocquet-Appel
Anna Degioanni, Estelle Herrscher et Stephan Naji (dir.)
2021
Le dolmen du Villard, Lauzet-Ubaye (04) et le contexte funéraire au Néolithique dans les Alpes méridionales
Réflexions sur le mobilier et les pratiques funéraires au Campaniforme en Provence
Gérard Sauzade et Aurore Schmitt (dir.)
2020
Les Bagnoles à L’Isle-sur-la-Sorgue
Un site majeur du Néolithique moyen en Vaucluse
Samuel van Willigen, Maxence Bailly, Brigitte Röder et al. (dir.)
2020
Bouquetins et Pyrénées
II - Inventaire des représentations du Paléolithique pyrénéen Offert à Jean Clottes, conservateur général du Patrimoine honoraire
Aline Averbouh, Valérie Feruglio, Frédéric Plassard et al. (dir.)
2022