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Conclusions générales

p. 163-166


Texte intégral

1Le dolmen du Villard est le seul monument conservé du petit ensemble d’architectures funéraires de cette région des Alpes disparu à la fin du xixe siècle, à l’exception du tumulus de Saint-Pancrace à La Bâtie-Neuve. Parmi les sept ou huit monuments cités tous ne devaient probablement pas être de véritables dolmens tant les descriptions dont ils font l’objet sont approximatives. La confusion entre dolmen et simple bloc erratique semble parfois avoir été le cas. Il est indéniable cependant que le dolmen du Serre des Fourches à Tallard devait être un monument remarquable comme le suggèrent le dessin de E. Tournier et le monolithe conservé au Musée de Gap recouvert de 150 cupules au total réparties sur ses deux faces. Ces disparitions des éléments mégalithiques alpins font ressortir l’importance du Villard tant du point de vue de son architecture que de son contenu funéraire.

2Les trois orthostates massifs nord et sud effondrés ne s’étant pas brisés dans leur chute ont permis, après redressement, de rendre à la chambre sépulcrale la configuration qu’elle devait à peu près avoir à l’origine. Par ailleurs cet affaissement a grandement contribué à la préservation exceptionnelle du contenu de la chambre. De même, l’entier recouvrement du couloir et des éléments d’accès à la chambre par les blocs du tumulus ont préservé tous ces éléments des dégradations. C’est ainsi que pour la première fois en Provence ont été découverts en place l’ensemble des éléments constitutifs de l’entrée d’un dolmen c’est-à-dire les deux piédroits et les dalles de seuil et de fermeture.

3Les opérations conduites à l’extérieur de la chambre ont permis de comprendre les raisons pour lesquelles le tumulus était incomplet. En effet, les travaux d’aménagement et d’agrandissement du champ voisin, entre le xvie et le xviiie siècle, datés grâce aux fragments de poteries vernissées présents dans les terres rapportées, sont à l’origine de la disparition des blocs et des pierres qui le constituaient ; par voie de conséquence, l’enlèvement du tumulus dans la zone sud a provoqué l’affaissement à l’extérieur de l’orthostate sud‑est.

4La période de construction du dolmen est un des points essentiels abordés dans ce travail. Le fait qu’aucun vestige mis au jour dans la chambre et dans le tumulus ne remonte au-delà du Campaniforme nous incite à penser que cette construction a été réalisée à cette époque. Les résultats des datations effectuées à partir des échantillons d’os prélevés à la base de la couche 2 : (2474–2244 cal. BC) et sur deux blocs cranio-faciaux (2134–2080 BC et 2200–2035 BC) corroborent la datation relative qui ressort de l’étude du mobilier. L’analyse des traits non-métriques dentaires vient conforter l’appartenance des individus du Villard au Campaniforme et compléter les résultats des analyses radiocarbone.

5Toutefois, les résultats de l’analyse radiocarbone pratiquée dans la couche brûlée sous-jacente au tertre (3521 - 3350 cal BC) sont trop élevés pour confirmer la présence d’une pratique rituelle préalable à la construction du dolmen au Campaniforme. Cette datation pose donc d’autres interrogations. En cas d’effet « vieux bois » la date de cette couche brûlée pourrait se positionner sur une échelle chronologique située entre 3300 et 2800 ans av. J.-C., c’est-à-dire corroborer la plupart des datations des sépultures collectives se rattachant au Néolithique final 1. Dans ce cas, on pourrait envisager la fondation du dolmen au début du Néolithique final et, parallèlement, soit une vidange totale du contenu de la tombe par les Campaniformes, soit la présence d’éléments osseux témoignant d’une utilisation ancienne de la tombe mais non datés. Par ailleurs, cette date peut correspondre aux mêmes types de travaux préalables, décrits plus haut, affectés à une tombe plus ancienne détruite lors de la construction du dolmen par les Campaniformes, ou bien encore à des travaux également plus anciens, correspondant à une mise en culture des lieux.

6La réalisation de nouvelles datations pourrait renforcer éventuellement l’hypothèse de sa fondation au Campaniforme ou, si le monument n’a pas été totalement vidangé par les nouveaux occupants, apporter la preuve de sa construction au Néolithique final 1.

7La date obtenue à partir d’un échantillon d’os situé à la surface de la couche sépulcrale se situant entre 1946 et 1742 cal BC démontre une réutilisation, vraisemblablement très limitée, de la sépulture au Bronze ancien II/III. Parmi le mobilier postérieur à celui se rattachant au Campaniforme, les rares artefacts Bronze moyen issus de la chambre, situés tous à l’ouest près de l’entrée, proviennent vraisemblablement d’une infiltration à partir du tumulus du fait que des fragments d’un même vase, situés dans les deux structures, recollent entre eux. Les autres objets en bronze, Bronze moyen et/ou final se situaient à proximité dans le tumulus.

8Les objets découverts dans le dolmen, accompagnant ou portés par les défunts sont peu nombreux. Ce constat suggère que peu d’individus en étaient dotés. La présence de tessons isolés non décorés pourrait correspondre à des dépôts d’offrandes symboliques comme cela a été souvent observé dans les sépultures collectives. Les deux canines d’ursidés non façonnées confortent cette hypothèse. Le dépôt atlas/axis de bœuf découvert en continuité articulaire correspond à une offrande alimentaire manifeste mais sa destination précise ne peut être expliquée car aucune association avec un individu en particulier n’a pu être observée.

9La pratique de la sépulture collective en dolmen par les campaniformes est rarement clairement mise en évidence. Ce fait est dû à la réutilisation par eux-mêmes d’édifices construits antérieurement qu’ils ne vidangeaient pas nécessairement avant d’installer leurs morts. Il est donc difficile dans de tels contextes de savoir exactement quels restes osseux sont attribués à l’utilisation funéraire campaniforme. En cela, l’étude du dolmen du Villard apporte une contribution particulièrement utile à la compréhension du fonctionnement et de la gestion des tombes collectives campaniformes.

10Le nombre minimum d’individus qui s’élève à 25 (16 adolescents/adultes et 9 enfants) suggère que le nombre de défunts ayant bénéficié de cette tombe est plutôt modeste. Dans le premier niveau, l’analyse des restes osseux montre qu’après un épisode de vidange, la tombe connaît un apport successif d’individus dont certains ont été déposés au centre puis « réduits » après leur décomposition contre le chevet et la paroi sud-est. Il n’est pas exclu que quelques sujets aient été introduits dans la tombe dans un état de décomposition avancée ou à l’état d’os sec et directement déposés dans ces zones. Toutefois, ces rangements n’étaient pas systématiques, les ossements de certains individus (ensemble 1 et 10) n’ont été que partiellement déplacés de leur lieu de dépôt initial. L’un d’entre eux était atteint d’une maladie indiquant un mode de vie très favorable, tout du moins en terme alimentaire. Le chevet du dolmen ainsi que la paroi sud étaient une zone allouée aux dégagements et aux rangements afin de ménager de l’espace pour les nouveaux inhumés. Nous proposons que la zone nord le long des orthostates servait d’espace de circulation qui permettait aux intervenants d’officier dans la chambre du dolmen. Dans le second niveau, constitué uniquement d’os dissociés se situant dans la moitié supérieure de la couche, si les enfants en très bas âge sont encore exclus, plusieurs enfants sont inhumés dans le dolmen. Le mode de dépôt des corps du niveau supérieur de la couche sépulcrale semble légèrement différent mais la préservation d’un espace vide sur un temps long après l’abandon du monument ainsi que les remaniements de l’époque moderne limite la restitution des manipulations des corps et des ossements.

11L’analyse spatiale des vestiges humains de l’ensemble de la couche sépulcrale indique que leur mobilisation est surtout horizontale. Malgré des rangements et des manipulations répétées de certaines pièces osseuses, l’apport de corps et/ou d’ossements en superposition verticale au fil du temps est globalement conservé. Les deux dates sur os humains corroborent cette hypothèse.

12Parmi les 245 pièces osseuses fauniques, celles se rapportant à la faune domestique (ovin-caprin, bœuf et chien) sont de loin les plus nombreuses. Les restes d’ovins-caprins dont l’ensemble des éléments squelettiques est représenté dans le tumulus et le couloir à l’exception du crâne et des ceintures scapulaires et pelviennes sont susceptibles de constituer des offrandes au même titre que l’atlas et l’axis de bœuf en connexion situés dans la chambre et les deux canines d’Ours brun.

13L’origine des terres constitutives des pâtes céramiques analysées étant susceptibles de se situer à proximité du dolmen (quelques centaines de mètres à deux kilomètres) rend implicite la présence d’un habitat dans les environs et atteste une production locale campaniforme dans une région encore peu connue pour cette période.

14L’étude tracéologique de toutes les pièces lithiques ne s’est révélée concluante que sur quelques objets soit parce qu’ils n’ont pas été utilisés (cas des lames et lamelles non retouchées) soit que leur altération (patine blanche) n’a pu permettre de percevoir des traces. Des traces de découpe animale, notamment sur un éclat de silex, ou de matière souple abrasive ont cependant été observées. Aucune trace n’ayant été perçue sur les quatre segments de cercle, l’utilisation de ce type d’objet n’a, à notre connaissance, pas encore été identifiée.

15L’étude concernant le dolmen du Villard a été accompagnée d’un bilan des pratiques funéraires au Campaniforme ou des périodes proches en Provence. La caractérisation par période du mobilier fait partie des modalités préalables à l’identification des pratiques funéraires. À cette fin, il a été réalisé un corpus des sépultures campaniformes et de celles de périodes proches avec chaque fois que cela a été possible une attribution chronoculturelle ou simplement chronologique du mobilier. À l’aide de ce corpus, une évaluation de ces pratiques respectives au Campaniforme et aux périodes proches a été proposée. Elle confirme une nette évolution vers la sépulture individuelle du Néolithique final 3 au Bronze ancien I puis son adoption exclusive au Bronze ancien II/III. Parallèlement, l’observation des architectures, traditionnelles et nouvelles, a fait ressortir l’évolution progressive du fonctionnement des tombes passant du mode de fonctionnement horizontal, adapté aux dépôts successifs, propres aux sépultures collectives, à celui vertical dévolu aux sépultures individuelles. Les quelques exemples proposés montrent encore le poids des traditions dans la façon dont sont gérées et sans doute aussi réalisées les sépultures traditionnelles, type dolmen, au Campaniforme. Des nouvelles conceptions architecturales funéraires apparaissent, plus simples et mieux adaptées au mode sépulcral individuel, sans pour autant éviter que ce mode ne soit tout à fait exclusif au regard des dépôts funéraires ajoutés successivement dans les mêmes espaces que présente l’exemple de la plupart des tumulus.

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