Clergé paroissial et serment sous la Révolution dans les anciens États du pape : l’exemple d’un village du Bas-Comtat (1790-1792)
p. 245-256
Texte intégral
1Dans les travaux consacrés au serment exigé du clergé par le décret du 27 novembre 1790, Avignon et le Comtat Venaissin demeurent en blanc. La raison en est simple : à la date de la mise en application des décisions de l’Assemblée Constituante (printemps 1791), les États pontificaux n’étaient pas encore réunis à la France, cette réunion n’étant intervenue que quelques mois plus tard, le 14 septembre 1791. Si les mesures concernant la nouvelle organisation de l’Église de France ne pouvaient pas s’appliquer en Avignon et dans le Comtat, elles eurent cependant des échos dans ces terres pontificales totalement enclavées dans le royaume, où des idées de réforme s’étaient introduites bien avant la Révolution.
2Le mérite revient à René Moulinas d’avoir écrit l’histoire troublée des États d’Avignon et du Comtat Venaissin avant leur réunion à la France, après l’effondrement du gouvernement des représentants pontificaux ; une guerre civile opposa les tenants de la réunion à la France et les partisans du maintien de la souveraineté du pape1. On constate que bien des événements révolutionnaires se déroulèrent dans les États pontificaux avec un décalage d’une année par rapport à ceux de France, comme par exemple la convocation d’États généraux et l’élaboration de cahiers de doléances au printemps 1790, mais certaines « anticipations » ont également été remarquées dans la « Révolution des Avignonnais » : les événements sanglants des pendaisons de juin 1790 et des massacres de la Glacière (septembre 1791) préfigurent les massacres de septembre 1792 à Paris ; le serment qui fut exigé de l’archevêque et du clergé avignonnais par les officiers municipaux sous peine de destitution, le 30 novembre 1790, soit un mois avant que ne soit sanctionné par le roi le décret du 27 novembre sur l’obligation du serment en France, nous apparaît comme une autre anticipation, également relevée par R. Moulinas2.
3Deux temps forts marquent la prestation du serment par le clergé des anciens États du pape. En Avignon, et dans les localités sous son influence, les choses allèrent très vite, anticipant sur les mesures françaises, puisque dès la fin de l’année 1790 et le début de l’année 1791, une partie du clergé, quoique non encore soumis aux lois françaises, fut placée dans l’obligation de prêter un serment ; un renouvellement du personnel paroissial s’en suivit, en particulier à Avignon. Mais dans la plupart des localités du Comtat Venaissin, c’est après plus d’une année d’incertitudes que l’obligation de prêter le serment constitutionnel fut généralisée à l’été 1792, après que les États pontificaux, réunis à la France, aient été organisés selon le modèle des départements français. Ce serment constitutionnel fut un mélange de celui de 1791 et du nouveau serment dit de « Liberté-Égalité ». Entourées de départements ayant massivement adhéré au serment en 1791, les anciennes possessions du pape qui formèrent les districts d’Avignon et de Carpentras et qui s’étaient trouvées hors du champ d’application de la législation française, ont constitué un exemple original, avec une grande diversité de situations : anticipations ou décalages, enthousiasme ou forte réticence face à cette question sensible qui comme en France déchira le clergé et l’Église.
Les sources de l’histoire du clergé et des serments en Comtat Venaissin
4L’apport des fonds d’archives communales est essentiel pour l’histoire de la Révolution dans les anciens États pontificaux d’Avignon et du Comtat Venaissin. Durant ces années 1790-1792, les municipalités ont relayé les déficiences des assemblées élues, paralysées par les divisions de leurs membres ; elles furent les seules institutions garantes d’une certaine légitimité dans des États où le pouvoir souverain s’était effondré brutalement. Face à une situation de vide institutionnel aggravée au printemps 1791 par la guerre civile, les municipalités comtadines ont assuré la gestion courante des affaires, et de ce fait ont été amenées à gérer de leur propre initiative la question religieuse.
5Le décret de réunion à la France (14 septembre 1791) fut suivi d’une longue phase d’organisation confiée à des commissaires envoyés spécialement par le roi pour intégrer progressivement les anciennes possessions du pape dans le nouveau cadre administratif français. Mais en matière religieuse, le décret du 23 septembre 1791 organisant provisoirement les anciens États pontificaux maintenait dans son article 23 un statu quo : « Il ne sera rien statué sur le clergé des ci-devant états d’Avignon et Comtat Venaissin que par l’organisation définitive ».
6Dans les deux nouveaux districts d’Avignon (ou de Vaucluse) et de Carpentras (ou de l’Ouvèze), répartis en mars 1792 entre les départements des Bouches-du-Rhône et de la Drôme, il fallut attendre une proclamation des commissaires du roi, presque contemporaine des décrets des 14 et 26 août 1792 sur le serment dit de « Liberté-Égalité » imposé à tous les membres du clergé sous peine de devoir quitter la France, pour qu’un complet renouvellement du clergé paroissial s’opère. À cette date (été-automne 1792), si Avignon avait déjà réorganisé ses paroisses3, le Comtat Venaissin connut le schisme que le reste de la France avait vécu une année auparavant. Le contexte général était totalement différent de celui du printemps 1791 : le pape s’était prononcé par une condamnation sans appel de la Constitution civile du clergé et du serment ; la France était en guerre depuis le mois d’avril et la chute de la monarchie était survenue le 10 août ; mais l’expérience de presque deux années de fonctionnement du culte constitutionnel et d’une nouvelle Église de France dans les paroisses des départements voisins pouvait montrer aux Avignonnais et aux Comtadins soucieux de réformes qu’à cette date, le service du culte par le clergé constitutionnel s’effectuait sans aucun détriment pour l’administration des sacrements.
7Dans l’ancien Comtat pontifical, la fidélité au pape s’était déjà exprimée dans certaines communautés au sujet de la souveraineté temporelle. En 1792, le refus du serment constitutionnel au sein du clergé paroissial fut général, tranchant avec l’attitude des curés et vicaires des régions voisines de Languedoc, Dauphiné et Provence qui en 1791 avaient adhéré massivement à la Constitution civile du clergé. L’attitude du clergé sans charge d’âmes et des religieux fut plus nuancée, et ces prêtres se partagèrent entre ceux qui choisirent le serment et ceux qui préférèrent l’exil ou la clandestinité.
8Les registres de délibérations communales, dans la suite des délibérations consulaires d’Ancien régime, offrent la trame chronologique des événements. Mais l’habitude de transcrire les principales instructions et correspondances, complète fort à propos notre documentation. Lors de la prestation des serments, le clergé dut se présenter devant la municipalité, et les déclarations, comme les paroles prononcées dans la formule du serment constitutionnel, furent souvent retranscrites à leur date avec fidélité. Lorsque la déclaration ou le refus se firent par courrier, la chose fut jugée suffisamment importante pour que l’intégralité du courrier reçu et le cas échéant une annexe soient portées au registre des délibérations. Toutefois, cette ressource essentielle des délibérations communales ne peut suffire à elle seule et doit être utilisée avec circonspection ; en effet, certaines décisions prises par les officiers municipaux demeurèrent sans effet.
La question du serment dans un village du Bas-Comtat : Pont-de-Sorgues
9Si dans la plupart des localités du Comtat Venaissin, et surtout dans le Haut Comtat, le clergé paroissial ne fut contraint qu’en 1792 de choisir entre prêter le serment ou quitter des fonctions curiales, l’exemple qui suit nous montre que dans l’aire d’influence d’Avignon, le clergé paroissial dut se prononcer bien avant les instructions de l’été 1792.
10La paroisse de Sorgues ou Pont-de-Sorgues, au diocèse d’Avignon, était en 1790 une petite localité rurale d’un millier d’habitants composés essentiellement de cultivateurs4. L’église-prieuré étant une dépendance de l’abbaye de Cluny, la nomination du desservant était à la présentation du monastère des bénédictins de Saint-Martial d’Avignon. Un religieux de cet ordre y faisait fonction de curé, avec le titre de vicaire perpétuel. Le bénédictin dom Louis Péru, issu d’une famille de sculpteurs et architectes avignonnais, occupait les fonctions depuis 1756 ; il était âgé de 72 ans5.
11Lors du conseil du 3 janvier 1790, un cahier de doléances fut rédigé6. Si on se louait des services des Pères Bénédictins qui fournissaient à la paroisse le curé et le secondaire et contribuèrent à la reconstruction de l’église dans les années 1770, des doléances s’exprimèrent sur le choix du desservant : des religieux qui ont passé une grande partie de leur vie dans des maisons religieuses, nés loin de ce pays et étrangers à la paroisse, qui ne savent pas se mettre à la portée du peuple7. Dans leurs doléances adressées au pape, les Sorguais demandaient le remplacement dès à présent du secondaire, qui « est un religieux recolet qui, de meme que le curé, élevé dans des couvents, ne sait point les usages et maniere de conduire une parroisse », par un prêtre séculier qui pourra instruire la jeunesse en lui faisant le catéchisme en langue vulgaire ; ils souhaitent qu’au décès du curé actuel, les bénédictins soient obligés de nommer à la cure un prêtre séculier « qui élevé dans un séminaire et ayant ensuite servi des parroisses en qualité de secondaire, sera mieux a meme de conduire cette parroisse que des religieux ».
12Le 18 avril 1790, réunie dans l’église paroissiale, la communauté nomma ses électeurs aux États généraux du Comtat et le lendemain, ceux-ci prêtèrent serment, en présence du vicaire8. Le 14 juin 1790, après les journées révolutionnaires d’Avignon, la communauté des chefs de famille, à nouveau assemblée dans l’église, se rallia aux Avignonnais et vota comme ces derniers, la réunion à la France. Mais dix jours plus tard, ce fut la question du paiement de la dîme qui accapara l’attention ; sa suppression fut décidée par la communauté des citoyens actifs, et ce fut aux officiers municipaux d’Avignon qu’on demanda d’entériner cette suppression ; pour ne pas laisser le curé et son secondaire sans ressources, il fut décidé d’imposer une taille sur tous les biens situés dans le terroir.
13Au mois de juillet 1790, à l’issue d’une assemblée générale des chefs de famille dont le curé assurait la présidence, une nouvelle municipalité fut mise en place. Une question religieuse fournit la matière d’une des premières délibérations ; sans prendre l’avis préalable de l’autorité ecclésiastique, la municipalité décida de désigner un prêtre pour faire célébrer la messe quotidienne d’une fondation dont le titulaire, absent et infirme, ne s’acquittait plus depuis longtemps : le 18 juillet, un ancien religieux revenu dans sa famille, François Pochy, fut alors chargé par la municipalité d’assurer le service de cette fondation, à charge pour le titulaire du bénéfice, l’abbé Offand, de lui payer ce qu’il convient, sous peine d’être destitué par la commune qui auquel cas se sentirait obligée de s’emparer du bénéfice pour payer le prêtre9.
14Mais la municipalité de Sorgues n’en resta pas là dans ses intrusions dans le domaine religieux. Estimant toujours que le religieux récollet assurant les fonctions de secondaire et chargé du catéchisme aux jeunes enfants, s’acquittait fort mal de sa tâche, il fut délibéré ce même jour (18 juillet 1790) de faire venir comme vicaire du lieu un autre prêtre, séculier, et de le payer « suivant ce qui est porté par le décret de l’Assemblée nationale ». Ce n’est pas une coïncidence si le choix se porta sur un autre membre de la famille Pochy, le cadet Jean-Baptiste, pour lors vicaire de Graveson, dans les Bouches-du-Rhône, et sans doute disposé à vouloir rejoindre son pays natal.
15Une étape supplémentaire fut franchie le 16 août avec l’assemblée générale des habitants convoquée par le maire. Ce dernier se déclara saisi par des plaintes portées contre le curé Péru. « Voyant qu’il abusait de sa charge et qu’il se permettait les propos les plus insultants contre la Révolution et la constitution française », le maire a adressé une requête à l’archevêque d’Avignon, voulant que pour éviter des désordres, un pro-curé soit nommé pour gouverner la paroisse. L’assemblée délibéra de prier dom Péru de ne plus faire de fonctions curiales et de se retirer de la paroisse « pour que sa présence n’irrita pas davantage le peuple, lui donnant à cet effet vingt quatre heures de temps pour se retirer » ; à la suite de quoi, on procéda à un vote par bulletins : l’abbé Pochy, le nouveau vicaire, réunit la pluralité absolue des voix avec 233 bulletins contre 8, dont 3 pour M. Péru et 5 pour deux autres prêtres. À la lecture du registre des délibérations, la rupture semblait consommée entre le curé de Sorgues et ses paroissiens ; mais l’examen des registres de catholicité de la paroisse nous révèle que cette destitution demeura sans effet : le curé Péru signe au bas des actes de sépultures jusqu’au 5 août 1790, soit onze jours avant la délibération de l’assemblée communale ; quatre actes sont ensuite signés par le vicaire Pochy du 6 au 21 août, mais à partir du 29 août 1790, le nom du curé réapparaît au registre, pour y figurer sans discontinuer jusqu’au 3 juillet 1792. Quant au vicaire Pochy, une délibération postérieure nous dit qu’il ne servit que huit mois dans la paroisse10.
16Les tensions persistèrent cependant entre dom Péru et la municipalité. En janvier 1791, des poursuites furent intentées contre lui sous prétexte qu’il avait vendu une ancienne croix en argent sans le consentement de la municipalité ; il devra payer 600 livres pour son prix, en sus de la nouvelle qu’il a placée.
17Mais le prêtre affichait-il de telles positions contre-révolutionnaires, comme le laissaient supposer ses adversaires ? Il participe pourtant à plusieurs assemblées électorales. Le 17 décembre 1791, trois mois après la réunion des États pontificaux à la France, l’assemblée primaire des citoyens actifs de Sorgues se réunit pour l’élection d’une nouvelle municipalité, plus modérée ; l’assemblée fut à nouveau présidée par le curé Péru, et celui-ci prêta le serment civique en ces termes : « Je jure d’être fidelle à la Nation, à la loi et au Roi ; de maintenir de tout mon pouvoir la constitution du royaume décrétée par l’Assemblée nationale aux années 1789, 1790 et 1791, de choisir en mon âme et conscience les plus dignes de la confiance publique et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui pourront m’être confiées » ; il fut suivi du secrétaire de séance, puis de tous les membres de l’assemblée. Certes, c’était en qualité de président élu de l’assemblée primaire et non de prêtre et curé de la paroisse, comme il le fit observer plus tard, qu’il prêta ce serment qui est le serment de la fête de la fédération du 14 juillet 1790, exigé de tous les fonctionnaires publics et ecclésiastiques par les décrets des 27 novembre-26 décembre 179011. Alors que l’obligation du serment était étendue en France au cours de l’année 1791, aux prédicateurs, aux chapelains et aumôniers d’hôpitaux et de prisons, puis à tous ecclésiastiques prétendant bénéficier d’un traitement ou pension (29 novembre)12, deux brefs de Pie VI datés des 10 mars et 13 avril, firent connaître la condamnation de Rome, provoquant un mouvement de rétractations au sein du clergé assermenté de France. Or, au mois de décembre 1791, le curé Péru qui ne pouvait pas ignorer la condamnation par le pape, prêta un serment semblable à celui de ses confrères du royaume ; les 28-29 janvier 1792, il présida encore une assemblée primaire, chargée cette fois de désigner le juge de paix du canton et ses assesseurs.
18L’année 1792 vit les positions se durcir. À Sorgues, les tensions montèrent entre les patriotes dont certains avaient été compromis dans les massacres d’Avignon, et la municipalité. C’est dans ce contexte que le 15 mars 1792 le curé Péru fit remettre un extrait d’acte notarié par lequel il déclarait « révoquer ainsi qu’il révoque le serment qui se trouve écrit dans le livre de la municipalité du présent lieu, et tous autres antérieurs qu’on pourrait lui attribuer et qui peuvent lui avoir été arrachés par la violence ». Dans sa lettre aux officiers municipaux, également retranscrite dans le registre des délibérations, il dit espérer que ceux-ci lui accorderont cette grâce « pour sa tranquillité », convaincu qu’il sera toujours prêt à donner sa vie pour eux et pour ses paroissiens13, mais reste silencieux sur ses motivations.
19Cependant, et les registres paroissiaux l’attestent, le curé continua ses fonctions paroissiales jusqu’au 3 juillet 1792. Après cette date, ce fut son vicaire l’abbé Gros, qui signa les actes de baptêmes, mariages et sépultures14, mais pour la fête de la fédération, célébrée le 14 juillet, on vit revenir un des frères Pochy, curé constitutionnel de Sauveterre15, qui célébra la messe, chanta le Te Deum à la porte neuve, près de l’arbre de la liberté, et prêta serment avec l’assistance, au son des cloches et des « boetes »16. Le curé, malade, avait dû quitter Sorgues, sans doute pour Avignon. C’est dans son lit que lui parvint une proclamation des commissaires du roi ordonnant à tous les fonctionnaires de prêter le serment prescrit par la loi du 27 novembre 1790. Il s’agissait bien de la décision visant à appliquer dans le Comtat Venaissin la législation en vigueur dans le reste de la France, et tout spécialement la Constitution civile du clergé ; un court délai fut donné aux prêtres occupant des fonctions publiques pour adhérer à la Constitution, faute de quoi ils étaient démis d’office et remplacés lors des élections prévues par l’assemblée électorale du district du mois d’août 1792. Les événements s’enchaînèrent très vite ; au même moment, par le décret du 14 août 1792, l’Assemblée législative imposa un nouveau serment aux ecclésiastiques, celui dit « à la Liberté et à l’Égalité », qu’un autre décret pris le 26 août rendit quasiment obligatoire, frappant d’exil les prêtres qui refusaient de le prêter, mais qui ne fut pas condamné par le pape et même accepté par des prêtres qui avaient refusé le premier serment.
20Le clergé paroissial de Sorgues, qui ne comptait que deux prêtres, réagit de façon contrastée. Par une lettre du 29 juillet 1792, le vicaire, l’abbé Joseph Gros, répondit à la municipalité qu’il refusait de prêter le serment et se retirait de toutes fonctions publiques, invoquant la liberté de pensée :
« je ne fais que suivre l’impulsion de ma conscience timorée sans m’écarter néantmoins des principes meme de la constitution française, puisque les memes legislateurs qui ont imposé par un decret la loi du serment en question a tout fonctionnaire public, ont declaré par un decret anterieur le dogme de la liberté des opinions religieuses en faveur de tout citoyen »17.
21Quant à dom Péru, il écrivit le 8 août une longue lettre également retranscrite dans le registre des délibérations communales, dans laquelle après avoir demandé le délai supplémentaire d’un mois octroyé aux fonctionnaires publics absents du diocèse pour donner sa réponse définitive, il rappela qu’il avait prêté un autre serment, le dimanche 13 avril 1791, dans l’église paroissiale de Sorgues, avant la messe, et devant la municipalité et ses paroissiens. Il s’explique aussi sur sa rétractation de mars 1792 : « il est vrai qu’en qualité de président pour former la municipalité ou se trouvait M. Vernety pour maire, je me rétractait du serment que j’avois fait en cette occasion en qualité de président, attendu que je ne trouvais pas assés clair et assés public ce serment, de sorte que je revins a celui ci dessus 13 avril 1791 que je renouvellois ». À l’appui de cette affirmation, il joignit un extrait d’une déclaration faite devant la municipalité le 4 mai 1792 par lequel il confirmait n’avoir « point rétracté le serment qu’il prêta de son plein gré comme curé et fonctionnaire public […] dans le mois d’avril de l’année dernière [1791] conformément à la loi du 27 novembre 1790, qu’il l’approuve et confirme par ses présentes et le renouvelle en tant que de besoin ».
22En résumé, ce sont bien deux serments que le curé de Sorgues prêta, l’un en avril 1791, comme curé de la paroisse et dont on ignore les termes exacts, le second en décembre 1791 en qualité de président d’une assemblée primaire ; mais c’est ce second serment qu’il estima devoir rétracter au mois de mars 1792.
23Sa lettre se termine par des marques d’apparente bonne volonté, doublées d’une protestation à l’encontre de ceux qui prétendraient le priver de ses fonctions : […] « on sait assés que je suis bon patriote et ma fidélité a la loi du gouvernement n’en ayant jamais donné aucune marque du contraire, en consequence je reclame la loi et proteste contre qui que ce soit d’occuper en mon absence legitime et conforme aux decrets de l’assemblée nationale, de s’emparer et d’occuper ma place de curé […] ».
24Était-ce là une profession de bonne foi ou bien une manœuvre dilatoire pour gagner du temps et espérer conserver des fonctions de plus en plus compromises ? Les officiers municipaux de Sorgues ne virent pas réapparaître leur curé ; de toutes façons son remplacement était déjà engagé. Quelques jours plus tard l’assemblée électorale du district de Vaucluse chargée d’élire les curés aux cures vacantes, ouvrait ses séances. Dans ce même district de Vaucluse, qui comptait 40 communes, 33 paroisses reçurent un nouveau pasteur, tandis que 6 conservèrent leur ancien curé. C’est sans surprise que le 13 août 1792, Jean-Baptiste Pochy le cadet fut élu par l’Assemblée électorale du district de Vaucluse pour occuper la cure de Sorgues ; le 26 août, après avoir reçu son investiture canonique de l’évêque des Bouches-du-Rhône, il fut installé officiellement par la municipalité. Avant de célébrer la messe, il prononça un discours de circonstance, puis prêta serment. Les termes de son serment sont transcrits mot à mot au procès-verbal figurant au registre des délibérations de la commune ; les ratures et surcharges commises par le secrétaire sont révélatrices des hésitations sur les mots qu’il fallait prononcer, peut-être mal recopiés sur des formulaires qui ne se trouvaient plus tout à fait adaptés aux temps actuels : serment civique de 1791 ou déjà serment de « liberté-égalité » ? Un curieux mélange des deux, après réception du décret du 14 août :
« Ledit sieur Pochy a prononcé un discours relatif a son installation plein de noblesse et d’énergie et a exprimé son attachement [à la constitution – mot rayé] a la liberté et a l’égalité. Cela fait, il a prononcé en levant la main le serment de veiller avec soin sur le troupeau qui lui est confié, d’etre fidelle a la nation, a la loi, xxxxxxxx [au roy – mot rayé] et de maintenir de tout son pouvoir la constitution du royaume decretée par l’assemblée nationalle xxxxxxxxxxxxxx [plusieurs mots rayés] et de maintenir la liberté et l’égalité, [d’être soumis a la constitution civile du clergé rajout in fine] ou de mourir s’il le faut pour le soutien de la patrie ».
25Cette attitude fut suivie au cours du mois suivant par quelques autres prêtres de Sorgues, non fonctionnaires publics : Pierre-Joseph-François Ricard, religieux célestin du couvent de Gentilly, et Simon Hurard, frère convers de cette même maison, furent admis le 16 septembre à prêter le serment, « voulant se conformer à la loi du 28 août dernier qui prescrit à tout prêtre tant séculier que régulier de prêter le serment prescrit par l’article 38 du décret de la constitution civile du clergé » ; la formule est plus claire, mais demeure un mélange des deux serments de 1791 et d’août 1792 : « nous jurons de maintenir la liberté, l’égalité et d’être soumis à la constitution civile du clergé ». Le 19 septembre, Jean-Mathieu Capelle, un prêtre natif de Carpentras et de passage à Sorgues semble-t-il, François Pochy, ci-devant bénédictin et frère du nouveau curé constitutionnel, et André Guérin, aumônier des pénitents bleus, furent admis au même serment. Ce dernier, nommé vicaire par le nouveau curé, renouvela le 9 décembre 1792 son serment en des termes voisins, jurant « de remplir avec zèle les fonctions de vicaire à l’édification de la paroisse, de maintenir la liberté et l’égalité, et d’être soumis à la Constitution ».
26Cet exemple sorguais n’est sans doute pas représentatif de l’ensemble des paroisses comtadines. Sorgues se situe dans la mouvance avignonnaise, et comme Châteauneuf-du-Pape ou d’autres localités comtadines de la basse vallée du Rhône, les événements d’Avignon de 1790 et la Révolution de France y reçurent un écho favorable. La question du serment civique y apparaît dès le printemps 1791, bien avant la réunion à la France et au moment où le serment est exigé des curés et vicaires du royaume. Ici, on peut parler d’initiatives locales, qu’elles émanent des prêtres eux-mêmes ou des municipalités, comme à Avignon. Dans le reste du Comtat Venaissin, la rupture intervint plus tard, en août-septembre 1792, avec l’obligation pour tous les prêtres de prêter le serment, ce qui provoqua le renouvellement général de l’encadrement paroissial. L’attitude du curé de Sorgues face au serment peut nous sembler fluctuante : entre prestation du serment le 13 avril 179118, renouvellement en décembre 1791, rétractation en mars 1792, davantage en raison de circonstances politiques locales que pour des motifs de conscience religieuse ; le curé déclara encore au mois de mai qu’il maintenait son premier serment. En août 1792, alors qu’il confirmait avoir prêté le serment civique lorsqu’on le lui avait demandé, c’est en raison de son absence que sa destitution fut prononcée.
27Le second point qui mérite d’être relevé est le contenu des serments prononcés, selon les périodes et selon les personnes. Assurément et malgré la date, ce ne fut pas tant le serment de « Liberté-Égalité » qu’on fit prêter au clergé paroissial comtadin en août 1792, mais un dosage nécessaire de formules permettant d’adjoindre à ce nouveau serment celui bien plus important de 1791 de fidélité à la loi et à la Constitution civile du clergé. De quoi compliquer encore davantage les cas de conscience sur l’opportunité ou non de prêter ce serment de 179219. À Avignon et dans l’ancien Comtat Venaissin, le serment de 1792, qui fut rejeté à 90 % par les curés comtadins, était avant tout le serment à la Constitution civile du clergé que le pape avait condamné.
28Le dernier point de conclusion concerne un aspect original de cette rupture que représente dans le Comtat Venaissin la prestation du serment de 1792. Avec l’arrivée de nouveaux desservants, constitutionnels, dont plusieurs venaient des provinces de France, l’usage du latin dans les actes paroissiaux – habituel dans les diocèses comtadins – disparut définitivement. Si le 2 septembre 1792, l’abbé Pochy, nouveau curé constitutionnel de Sorgues, signe « Pochy parochus » et rédige son premier acte de baptême en latin, langue dans laquelle le faisait son prédécesseur comme tous les curés du Comtat, les actes suivants à partir du 5 septembre furent écrits en français, signe d’un réel changement des temps.
Notes de bas de page
1 R. MOULINAS, Histoire de la Révolution d’Avignon, Avignon, Aubanel, 1986, 390 p.
2 Registre des délibérations municipales d’Avignon (AC d’Avignon 1 D 9 f° 4) ; une nouvelle injonction fut faite à l’archevêque et aux bénéficiers à se présenter dans les églises sous huitaine pour la prestation du serment, et fut étendue aux curés, vicaires, directeurs de séminaires et autres ecclésiastiques le 6 décembre 1790 (ibidem, f° 8).
3 Les chapitres cathédraux et collégiaux, de même que les évêchés comtadins furent supprimés par une décision de l’Assemblée électorale de Vaucluse le 14 avril 1791, tandis qu’était adoptée par cette même assemblée le principe de l’organisation civile du clergé selon le modèle français (séance du 5 avril 1791).
4 Sorgues au temps de la Révolution. Quelques aspects, Sorgues, Études sorguaises, 1989, 151 p.
5 Fils de l’architecte Jean-Baptiste Péru, il est né à Avignon en 1718 ; un de ses frères, Charles, est dominicain au couvent d’Avignon ; un de ses neveux, bénéficier du chapitre de Saint-Agricol, émigra à Rome. A. MARCEL, « Les Péru, sculpteurs et architectes d’Avignon », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, t. 28, 1928, p. 100.
6 AC de Sorgues, BB 16. Ces doléances de Sorgues sont publiées dans l’ouvrage cité précédemment, p. 25-29.
7 Ibidem.
8 Note à la fin du registre des sépultures de la paroisse de Sorgues, GG 12.
9 AC de Sorgues, BB 16.
10 Du 15 août 1790 jusqu’au 15 avril 1791 (délibération du 5 janvier 1792).
11 Le serment est rendu applicable après la sanction royale, à compter du 2 janvier 1791.
12 B. PLONGERON, Conscience religieuse en Révolution, Paris, Picard, 1969, p. 24 et suiv. Cette dernière mesure ne fut pas sanctionnée par le roi.
13 AC de Sorgues, délibérations 1791-1793.
14 Il signe jusqu’au 13 août 1792.
15 Département du Gard.
16 AC de Sorgues, délibérations 1791-1793. Les autres citations sont tirées de ce même registre.
17 Lettre datée de Sorgues, 29 juillet l’an 4e de la liberté.
18 Cette date se trouve être par pure coïncidence celle du bref Quod Aliquantum condamnant la Constitution civile du clergé.
19 B. PLONGERON, op. cit.
Auteur
Archives départementales de Vaucluse
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