Une protestation du curé de Vers (Gard), H.-F. Bernard contre les massacres de la Glacière en Avignon (1791)
p. 235-244
Texte intégral
1Ce n’est qu’avec un certain retard que les Français apprirent la vérité sur l’extermination dans d’épouvantables conditions de 60 Avignonnais des deux sexes, au cours de la nuit du 16 au 17 octobre 1791. Les auteurs de cette tuerie perpétrée durant plusieurs heures au Palais des papes, grâce à des manœuvres habiles auprès de l’Assemblée nationale, à des relations tronquées envoyées aux journaux et aux sociétés populaires, se transformaient en purs patriotes exposés aux traîtresses attaques des contre-révolutionnaires et obligés de se défendre. Cependant, petit à petit, la triste réalité se fit jour et les yeux se dessillèrent complètement, lorsque, le 17 novembre, les députés à Paris, horrifiés, prirent connaissance du rapport de l’abbé Mulot, un des commissaires envoyés par le roi dans le Comtat.
2Cette évolution de l’opinion, qu’on peut suivre grâce à la presse de l’époque, a déjà été contée dans le détail et il n’est pas question d’y revenir1. Aussi, une fois le rideau déchiré, la municipalité d’Avignon reçut-elle de nombreux messages de sympathie et de compassion, émanant de diverses administrations départementales ou de district, de lointaines villes françaises2. Ces témoignages, assez répétitifs, ne présentent pas beaucoup d’intérêt. Plus curieuse, en revanche, par elle-même et surtout par son auteur, est la lettre écrite par Henri-François Bernard, alors curé constitutionnel de Vers, dans le Gard. Elle se trouve d’ailleurs, contrairement aux papiers précédents, dans un autre fonds concernant le culte3. La voici.
Vers le 6 décembre 1791.
Monsieur le maire et Messieurs
J’ai l’honneur de vous faire savoir que hier entre onze heures et midi, tout étant disposé de mon mieux, j’ai célébré dans mon église paroissiale un service solennel pour le repos des ames de nos frères martyrs d’une révolution si horriblement souillée par des monstres que l’enfer seul a pu engendrer et qu’il réclame hautement. Vous ne sauriez croire, Messieurs, combien nos patriotes de Vers ont gémi sur nos maux passés et combien ils ont versé des larmes d’attendrissement en assistant à cette lugubre cérémonie que j’ai pris l’engagement de renouveler à votre exemple chaque année. Nous le devons aux Mânes de nos concitoyens victimés et en témoignage de notre juste reconnaissance qui doit être aussi éternelle envers la providence divine qui nous a préservés des mains sanguinaires de cette espèce d’antropophages, auxquels la postérité ne pourra croire
Je suis avec les sentiments respectueux que vous me connaissés pour les dignes représentans du peuple avignonais,
Messieurs,
Votre très obeissant serviteur
H.F. Bernard [signature] curé de Vers du Gard
P.S. On a trouvé sur le territoire de l’arrondissement de ma paroisse dans un vallon un homme noyé qu’on a reconnu pour un brigand fugitif qui ennivré de vin comme de sang n’a pas su se tirer du labyrinthe ou il s’étoit jetté. Il a été privé de la sépulture ecclésiastique.
3S’il est tout à fait exact que l’assemblée générale des sections d’Avignon avait décidé, le 15 novembre, de fonder un service funèbre perpétuel, chaque 17 octobre, en souvenir des malheureuses victimes, l’appartenance de l’individu découvert noyé à Vers à la bande de bourreaux semble plus problématique.
4Il reste à identifier l’ecclésiastique, organisateur dans sa paroisse de pieuses cérémonies en faveur des suppliciés. Le terme de concitoyens indique qu’il est un Avignonnais d’origine. À coup sûr, il ne se situe pas dans le camp des contre-révolutionnaires, car il se proclame hautement patriote, mais un patriote déçu par le tour que prennent les évènements et stigmatisant les excès que commettent les terroristes au nom de la liberté et de la volonté de réunir le Comtat à la France ; idéaux qu’il partage. Le paraphe assez bien moulé, précédé des initiales de ses deux prénoms, sa fonction, autorisent sans crainte d’erreur l’identification du signataire, dont nous allons maintenant tenter de fournir quelques éléments biographiques.
5Henri-François Bernard vit le jour à Avignon, le 29 janvier 1757, et fut baptisé le lendemain par le curé de la paroisse Notre-Dame de la Principale4. Ses parents, mariés en 1754 à l’église Saint-Agricol, venaient tous deux du Dauphiné – exemple caractéristique de ce phénomène d’immigration permanente sur les bords du Rhône d’habitants des provinces montagneuses et déshéritées d’alentour –; le père, Jean, modeste marchand parfumeur, de Chorges près d’Embrun, la mère, Françoise Olivier, de la Rochebaudin, minuscule village proche de Dieulefit5. Dès sa prime jeunesse, il est destiné à l’état religieux. Il reçoit dès l’âge de quinze ans la tonsure, premier engagement dans la voie qu’il entend suivre, alors qu’il se trouve pensionnaire au séminaire Saint-Charles de sa ville natale6. Pour son dix-huitième anniversaire, on lui administre les quatre ordres mineurs7. Sous-diacre deux années plus tard8, puis diacre, il est enfin ordonné prêtre dans la chapelle de cet établissement par Monseigneur Giovio, archevêque d’Avignon, le 31 mars 17819. En même temps, il a poursuivi des études de théologie à l’université d’Avignon, comme le montrent les quatorze inscriptions qu’il prend dans cette discipline10, cursus couronné par un doctorat11. Sur les bancs de la Faculté il eut comme condisciples François-Maurice Offray, le pendu du 11 juin 1790, son cadet de quelques mois, le malheureux Jean-Joseph Piton, curé de Morières et guillotiné à Avignon en 1794, les futurs réfractaires Etienne-Prosper Charansol et André Billard, de Bollène, qui trouveront un asile en Italie, le spiripontain Jean-Baptiste de Belgaric. Quand se pose la question de son patrimoine ecclésiastique, avant son entrée dans les ordres sacrés, son oncle maternel, Antoine Olivier, se substitue à son père, probablement incapable de supporter cette charge financière, pour lui assurer une rente annuelle de cent livres, jusqu’au jour où il sera pourvu d’un bénéfice convenable d’au moins cent-cinquante livres12. Cette éventualité se présentera relativement vite, car Bernard ne subira qu’un court exil comme vicaire à Châteaurenard. En effet, en 1787, il succède à Venissat en tant que sacristain à Notre-Dame des Doms. De cette position subalterne de serviteur du chapitre cathédral, il devient, le 29 décembre 1789, bénéficier sous-diacre13.
6On peut s’interroger sur les raisons qui l’incitent à se lancer très tôt dans le parti français et à embrasser avec ardeur la cause de la Révolution avignonnaise. Appartenance à une famille de négociants, qui souhaite la suppression des barrières douanières et l’ouverture d’un plus vaste marché? Insatisfaction du sort réservé à un ecclésiastique certainement brillant dans le milieu conservateur du chapitre ne laissant guère de place à une promotion ? Adhésion à l’esprit philosophique ? Il siège dès ses débuts dans la chapelle de l’Oratoire parmi les membres de la Société des Amis de la Constitution. Il y assure même à la fin de l’année 1790 les fonctions de secrétaire. Certes, dans cette assemblée, il n’est pas le seul prêtre, il en côtoie d’autres d’opinion avancée qui prendront une part non négligeable dans la suite des évènements et dont deux au moins paieront de leur vie cet engagement politique: le Père Mouvans, victime de la Glacière, l’augustin Féren, les chanoines Barbe et Rochier, tous trois futurs curés constitutionnels, le peu recommandable abbé Savournin de la Rocca, assassiné à Marseille, au fort Saint-Jean, lors de la première Terreur blanche14. À maintes reprises il atteste de la véracité des délibérations prises par ce club et tendant à ce que la municipalité leur donne voie exécutoire: « Eloigner de notre ville le ci-devant inquisiteur comme perturbateur des consciences timorées15 » interdire la messe de minuit et toute sonnerie de cloches après l’Angélus de la veille de Noël16. C’est même lui que ce cercle désigne pour pétitionner auprès de l’hôtel de ville, à l’effet de « contraindre tous les particuliers qui ont des armes sur les portes ou façades de leurs maisons à les faire enlever entièrement sous trois jours » et surtout supprimer celles des papes, légats, vice-légats, archevêques, consuls, assesseurs, etc17. Le 8 février 1791, il est le rapporteur de la question du port de la cocarde tricolore, concluant que personne ne doit se dispenser d’arborer « la cocarde nationale que le roi lui-même a adoptée », précisant que toutes autres de couleurs différentes pourraient servir de signe de ralliement aux anti-révolutionnaires. On voit qu’il ne répugne pas à Bernard de collaborer activement et sans trop de trouble de conscience à des initiatives, certaines pour le moins anticléricales. Plus tard, il se range sous la bannière d’Audiffret qui, aux Amis de la Constitution, appuie la politique menée à la mairie par son beau-frère Richard contre l’Assemblée électorale de Jourdan et de ses amis18.
7De tels gages donnés à la cause de la réunion méritaient récompense et Bernard, au moment du renouvellement de la moitié des notables, le 10 décembre 1791, entrait dans la nouvelle municipalité, à la tête de laquelle avait été porté depuis le 23 novembre, Richard, remplaçant d’Armand démissionnaire pour raisons de santé19. À ce titre et en tant que prêtre, il participe, le 7 février 1791, dans la chapelle des Grands-Augustins, rue Carreterie, à la cérémonie de la Fédération entre Avignon et vingt-cinq communes comtadines favorables à l’annexion à la France ; manifestation que Richard désire solennelle, car il présente cette union comme une étape décisive dans la voie du rattachement et surtout susceptible d’influencer une Assemblée nationale toujours timorée. En compagnie de Barbe, il assiste à l’autel le père Mouvans qui célèbre une messe d’action de grâces, ceinturé d’une écharpe tricolore par-dessus sa chasuble, et avec l’assistance entonne au cours de l’office un vigoureux Ça ira. Chambaud se scandalise de constater que, ce jour-là, après le dîner une farandole serpente dans les bosquets du jardin des Célestins, danse à laquelle se mêlaient « des prêtres, officiers municipaux et notables »20. Il montre probablement du doigt le prébendé de la métropole. On conçoit que ses obligations au sein du chapitre eurent à souffrir de telles multiples activités. La municipalité a pris les devants pour l’en dispenser, délibérant le 6 décembre 1790, que le chanoine Bernard, membre du Comité ecclésiastique, c’est-à-dire de la Commission en charge de dresser l’inventaire des biens du clergé, « sera considéré comme présent aux offices, même s’il n’y assiste pas »21.
8Le nouveau notable s’associe sans sourciller à toutes les mesures anti-religieuses qu’arrête la municipalité Richard, qui durcit sa position à l’égard de Rome après la lettre d’octobre 1790 du cardinal Zelada : remplacement des Pères de la Doctrine chrétienne par des professeurs laïques22, appropriation des biens d’Église, suppression des chapitres et des couvents, saisie de l’argenterie des établissements religieux, vendue à Marseille sous forme de lingots pour plus de 3 millions de livres. Il joue même un rôle important dans l’exécution d’une de ces décisions parmi les plus graves, celle de la déchéance de l’archevêque d’Avignon, réfugié à Villeneuve. La municipalité, dès le 7 janvier 1791, déclare Giovio, « qui n’a pas daigné prêter le serment civique », frappé de mort civile23.
9L’hôtel de ville juge certainement habile de comprendre Bernard parmi les trois commissaires civils chargés d’imposer sa volonté au chapitre de Notre-Dame des Doms, espérant qu’il s’inclinera plus facilement devant un des siens: à ses yeux sa présence fournit à cette délégation une apparence de légalité. Bernard accompagne donc, le 26 février suivant, Duprat et Minvielle qui sans s’embarrasser de diplomatie contraignent les chanoines à s’assembler et à élire, malgré leurs protestations, un vicaire capitulaire, en l’occurrence Malière, qui administrera le diocèse sede vacante24.
10L’abbé Bernard change facilement de registre et passe maintenant des questions religieuses aux affaires civiles. Une scission s’est opérée parmi les patriotes installés à la mairie. Il a choisi la faction des modérés, opposée à l’hégémonie des extrémistes, les Duprat, Lescuier, Rovère, Minvielle, Jourdan, Mende qui tentent de créer un département en regroupant tous les territoires de l’ancien Comtat. La municipalité Richard s’inquiète donc de l’activité de ces « braves brigands », déclarés déjà par la société des Amis de la Constitution « traitres à la patrie » et qui, réunis au sein d’une assemblée électorale scissionnaire « tendant au despotisme », se transportent de Bédarrides à Sorgues. Il lui importe de les disperser avec le concours de troupes qu’elle quémande auprès des autorités départementales de la Drôme, des Bouches-du-Rhône, du Gard. Bernard est désigné, le 16 mai 1791, avec Namur qui, quoique pilleur forcené d’église, appartient maintenant lui aussi à l’aile devenue conservatrice25, pour aller à Valence plaider la cause des légalistes et obtenir une force armée26. Il se trouve de retour le 24 pour présider la section des Petits-Carmes qui éclate en menaces contre les « ambitieux » qui cherchent à engager la lutte entre Avignon et les villes du Comtat, c’est-à-dire les jacobins de la municipalité27. Une nouvelle mission délicate lui incombe, celle de se joindre au maire Richard qui se rend auprès des trois médiateurs envoyés par l’Assemblée nationale pour arbitrer les querelles entre les partis en présence, Avignonnais divisés, Carpentrassiens et Comtadins et leur imposer le retour à la concorde. Ces messagers de paix attendaient à Orange, au milieu des fêtes données en leur honneur, les députés qui se mirent finalement d’accord, le 14 juin. Une des dernières occasions pour Bernard d’apparaître sur le devant de la scène correspond au jour de l’octave de la Fête-Dieu, le 23 juin. La traditionnelle procession générale ne rassembla guère que les 7 curés des paroisses d’Avignon, tous des assermentés, les prêtres de la Doctrine chrétienne et les pénitents des diverses confréries. L’ensemble du clergé séculier et régulier avait boudé le cortège, refusant d’obéir à l’injonction du vicaire capitulaire Malière, considéré comme un intrus. L’abbé Mulot, un des médiateurs, à la demande d’une municipalité embarrassée, accepta d’officier pontificalement. Il portait le Saint-Sacrement le long du parcours, tandis que l’abbé de la Rocca occupait les fonctions de diacre et Bernard celles de sous-diacre28. On le voit encore, le 1er juillet, figurer dans le groupe, composé de Richard, Lamy, Mouvans et Vicary, venu en délégation remercier les médiateurs, le général et les officiers des troupes de ligne d’avoir maintenu la tranquillité dans la ville29. La vie politique du notable se termine le 21 août, jour où les patriotes, appuyés par les soldats de l’armée de Monteux, s’emparent de la maison commune, maltraitant les municipaux et les emprisonnant. Plus heureux que certains de ses collègues enfermés au fort et qui périront tragiquement le 17 octobre, Bernard passe entre les mailles du filet et se réfugie à Vers, village de 700 âmes près du Pont du Gard; à moins que, jugeant déjà la partie perdue, il ait quitté Avignon fin juillet, début août. Là, le 26 août, avec le titre de pro-curé, il prend possession de l’église, que le prieur et son vicaire, se refusant à accepter la Constitution civile, ont abandonnée30. Il renouvelle un serment qu’il a dû prêter une première fois à la réquisition des autorités municipales d’Avignon fin 1790, début 1791, bien qu’on n’en retrouve pas mention sur le registre correspondant, il est vrai incomplet31. Il fut définitivement installé dans ses fonctions de curé par le vote des électeurs du district d’Uzès, le 3 octobre 179132. Sa présence, à Vers, ruine l’affirmation selon laquelle, à cette même époque, déguisé en hussard pour tromper la surveillance des jacobins maîtres d’Avignon, il aurait gagné avec Richard et Descours Orange, puis Paris. Celui qui plaide à la barre de l’Assemblée nationale la cause de la réunion à la France, signant la brochure qui rendait compte de ses travaux dans la capitale33, est un homonyme, Jean-Baptiste Bernard, tailleur de son état et officier municipal, non pas notable34.
11À l’exemple de Bernard, beaucoup de membres de congrégations religieuses d’Avignon, rendus à la liberté par la fermeture des couvents ou la suppression des chapitres, cherchent à se caser dans une cure ou un vicariat vacants outre-Rhône. En effet, dans le Comtat l’application de la Constitution civile du clergé n’intervient théoriquement qu’après la réunion et en pratique bien plus tard, soit fin juillet 1792. Au contraire, dans le Gard, dès le printemps 1791 il fallut combler les vides créés par l’interdiction aux prêtres insermentés d’exercer désormais leur ministère35.
12On possède peu de renseignements sur le sacerdoce de Bernard à Vers. Le 27 ventôse an II, sur l’injonction de la municipalité, qui entend transformer l’église en temple de la Raison et la dépouiller de « tous les métaux inutiles qui, convertis en foudre de guerre, aideront à terrasser et à anéantir tous ses ennemis », il abdique et rend ses lettres de prêtrise, cédant la place avec une telle bonne volonté que son geste lui valut les félicitations des autorités36. Il se retire, on ne sait trop pourquoi à Valence, comme le précise une liste de pensionnés ecclésiastiques du 30 fructidor an IV, avec la mention de sa rente annuelle de 800 livres37. Mais la désignation de ce lieu de retraite ne résulte-t-elle pas d’une erreur ? En tout cas, il est de retour dans sa ville natale dès l’an VI et se loge rue Calade, section des hommes libres, quand il jure haine à la royauté et à l’anarchie, attachement et fidélité à la République et à la Constitution de l’an III38. En même temps, il certifie n’avoir jamais rétracté aucun des serments qu’il a prononcés selon les lois de 1790 et 1792. Étienne, élu évêque d’Avignon en 1798 et qui recherche désespérément des prêtres pour étoffer sa squelettique Église néo-constitutionnelle, ne manque pas de lui faire des avances, malgré le mépris qu’il porte aux abdicataires. Sa démarche reste vaine, car, dans une lettre du 29 fructidor an VII, il exprime déception et rancœur à son égard: « Bernard n’a jamais voulu reprendre ses fonctions [...] c’est le fléau de la société chrétienne et politique »39. Car l’ancien bénéficier semble avoir épousé les préventions de Meynet vis-à-vis du prélat et tous deux considèrent avec la condescendance de prêtres instruits les efforts du modeste ancien trinitaire, qu’en outre ils jugent voués à l’échec. Il consent au Concordat à rentrer dans le giron de l’Église, tout en refusant toute charge d’âmes, à moins qu’on juge inopportun de confier un poste à un ecclésiastique trop marqué par la Révolution. Il figure sur un état nominatif des prêtres d’Avignon en l’an XIII40 comme non employé dans la paroisse Saint-Pierre.
13Bernard mène dès lors une vie tranquille dans sa petite maison de la rue Calade jusqu’à sa mort arrivée le 7 octobre 1832. Avant de passer il avait testé devant le notaire Antoine-Louis-Jacques Pons, partageant sa petite fortune – quelques terres à Villeneuve, une maison rue du Cheval-Blanc, une autre très modeste rue Carreterie, son mobilier et son argenterie – entre ses deux sœurs et ses neveu et nièces41. L’une d’elles, Magdeleine-Françoise-Thérèse, s’est unie, le 15 janvier 1817, à André Amic, fils de Dominique Amic, fabricant d’indiennes, acquéreur de bien nationaux, dont le couvent des Petits-Capucins, et qui a professé au temps de la Révolution des opinions avancées42. Exemple d’endogamie politique parmi d’autres. Il existe à la Bibliothèque d’Avignon un recueil de cantiques et de prières, petit volume relié en basane marron de 67 feuillets manuscrits, dont la couverture intérieure porte l’ex-libris suivant tracé par son propriétaire: M. H.-F. Bernard, P.D.T., abréviation qu’il faut traduire par « prêtre, docteur en théologie ». Humble souvenir du bénéficier de la métropole43.
14Cette courte biographie de Bernard apporte, du moins nous l’espérons, une contribution, même modeste, à l’histoire complexe de la Révolution avignonnaise, dont il fut un acteur de second plan. Sa vie emprunte certes beaucoup de traits communs à la destinée de dizaines d’autres prêtres qui, comme lui, ont embrassé les idées nouvelles, mais offre cependant des traits originaux dignes d’être soulignés. Ainsi, il compte parmi les rares ecclésiastiques de la ville qui se sont engagés dans la politique active. De tendance girondine, il s’oppose à la mainmise des extrémistes sur la cité, alors que d’autres de ses confrères optent pour les montagnards. Plus tard, par son refus de se ranger aux côtés d’Étienne, il se différencie de la plupart des constitutionnels qui retrouvent avec Grégoire une Église conforme à leurs convictions de 1789. Son allégeance au Concordat ne se traduit pas par un retour au sacerdoce, bien qu’il n’ait que cinquante-cinq ans. Alors, lassitude, désaccord avec une hiérarchie pesante, attiédissement de sa foi ?
Notes de bas de page
1 P. VAILLANDET, « Les massacres de la Glacière et l’opinion publique », Mémoires de l’Académie de Vaucluse, 1932, p. 28-47.
2 AM Avignon, période révolutionnaire, 2 J et 4 H 12.
3 Idem, P1.
4 AM Avignon, gg 136, f° 236.
5 Id., gg 26, f° 280, le 26 février.
6 AD de Vaucluse, GI/316, f° 224.
7 Id., ibid., f° 253.
8 Id., ibid., f° 275.
9 Id., GI/3l7, f° 11.
10 Id., D 38.
11 BM Avignon, MS 3255, fol. 135. Le 11 juillet 1812, il prend soin de faire viser ce diplôme par le Grand Maître de l’université.
12 AD de Vaucluse, GI/352, f° 237.
13 P. GERBAULT, Le personnel des chapitres cathédraux et collégiaux du département de Vaucluse au moment de leur suppression, 1977, p. l8. Il remplace Jacques-Pascal Alliés, lui-même passé à la sous-diaconale de Durand.
14 R. MOULINAS, Histoire de la Révolution d’Avignon, 1986, p. 115.
15 AM Avignon, période révolutionnaire 2i30, 14 décembre 1790.
16 Id., ibid., 22 décembre 1790.
17 AM Avignon, période révolutionnaire 2i30, 31 janvier 1791.
18 Id., ibid., 12 mars 1791.
19 M. LECHALIER, Les annales municipales de la ville d’Avignon, t. 1, p. 34.
20 BM Avignon, Ms 2494, f° 61.
21 AM Avignon, période révolutionnaire, 2D27.
22 En vérité, les membres de cette congrégation avaient été parmi les premiers à prêter le serment, à partir du 29 décembre 1790.
23 AD de Vaucluse, GI/344, f° 195.
24 C. SOULLIER, Histoire de la Révolution d’Avignon et du Comté-Venaissin, Paris, 1844, t. I, p. 365, note 12 des pièces justificatives.
25 Voir A. MAUREAU, Du Comtat Venaissin au Vaucluse, études et documents révolutionnaires inédits, particulièrement le chapitre « La fête de la Fédération vue par quatre gardes nationaux d’Avignon », où il est question de Namur.
26 BM Avignon, Ms 2494, f° 81 v.
27 AM Avignon, 1 D 4, f° 166.
28 BM Avignon, Ms 2494, f° 94 v.
29 AM Avignon, 1 D 4, f° 181.
30 Le village de Vers-Pont du Gard, par les Amis de l’Aqueduc romain, 1995, p. 46.
31 AM d’Avignon, période révolutionnaire, 2i33.
32 F. ROUVIÈRE, Histoire de la Révolution française dans le département du Gard, 1888, t. II, p. 482.
33 Compte rendu par M. Richard, maire, et MM. Bernard et Descours, officiers municipaux, etc. (Bibl. Calvet 8°33471)
34 Jean-Baptiste Bernard et Henri-François Bernard siégeaient tous les deux dans la municipalité Richard, mais on les différencie sans trop de difficulté, le premier accolant à son patronyme le terme d’officier municipal, tandis que le second faisait suivre invariablement son nom de son titre de prêtre.
35 Ainsi, le bénédictin de Saint-Martial, François Barrière, devient vicaire, puis curé de Théziers le chanoine de Saint-Agricol, Etienne-Raymond Boissier, prend la cure de Remoulins, tandis que son oncle, Antoine-Etienne, trouve une place de vicaire à Castillon l’augustin Jean Bernoyer s’installe dans le presbytère de Saze. L’ancien chantre de Saint-Pierre, Fontaine, « vieux et infirme », trouve un refuge comme prieur d’Estezargues. Jean-Joseph Joannis, un augustin réformé, d’abord pro-curé de Saint-Symphorien, gagne en cette même qualité, début 1792, Valliguières. Quant à Payen, il se fait élire à Saint-Marcel de Carreiret. Enfin les deux Berbiguier, oncle et neveu, avant de monter sur l’échafaud d’Orange pour fédéralisme, furent vicaires à Gaujac et Pouzilhac.
36 F. ROUVIÈRE, op. cit., t. IV, p. 384.
37 AM d’Avignon, période révolutionnaire, P4.
38 Certificat de vie et de résidence Henri-François Bernard, ex-curé de Vers, département du Gard, natif d’Avignon, âgé de 41 ans, 5 pieds, 4 pouces, cheveux et sourcils châtains bruns, front découvert, yeux châtains, nez long, bouche moyenne, menton rond, visage ovale (AD de Vaucluse 1 L 401).
39 Bibl. de Port-Royal, fonds Grégoire, Ms 1903 (4329).
40 AD de Vaucluse, 1V 8.
41 AD de Vaucluse, 3 E II/254, n° 583, le 29 septembre 1832, et 19 Q 2126, f° 30.
42 Dominique Amic, originaire de Bouc, près d’Aix, allié aux familles Thiers et Chénier, fut officier municipal en l’an III et même commissaire du Directoire exécutif à partir de fructidor an VII.
43 BM Avignon, Ms 1985. Il appartenait au chanoine Corenson.
Auteur
Académie de Vaucluse
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