Les lois somptuaires des Juifs de Carpentras en 1740
p. 205-216
Texte intégral
1Les lois somptuaires ont souvent réglementé la vie sociale des communautés juives médiévales et modernes. Celles du Comtat n’ont pas fait exception, encore que le nombre de ces textes qui ont pu être sauvés de l’oubli soit très réduit. Cette pénurie apparaît d’autant plus regrettable qu’elle fait contraste avec le nombre bien plus important des grands règlements communautaires, généralement mentionnés sous leur nom hébraïque : escamots, que l’on pourrait traduire par conventions. René Moulinas, qui estime qu’ils sont loin d’avoir été tous conservés, a publié la liste de ceux qui ont été imprimés1. Il est vrai qu’il y en a encore un certain nombre qui sont restés manuscrits. Contrairement aux escamots que nous possédons uniquement dans leurs versions provençale ou française, les rares lois somptuaires connues nous sont parvenues dans leur texte original, en hébreu. Elles sont d’ailleurs infiniment plus brèves que les escamots. Il est vrai que la prolixité de ces derniers est une de leurs caractéristiques.
2L’examen des escamots de la carrière d’Avignon de l’année 17792, – ils ne sauraient être très différents de ceux qui régissaient alors la communauté voisine de Carpentras, malgré un régime politique différent, – se révèle très instructif du point de vue qui est le nôtre. En effet les seules dispositions que l’on pourrait qualifier de somptuaires sont les suivantes :
3L’article VI, qui est consacré à l’élection des chefs de la communauté, précisait que :
…Les Personnes qui composent le Conseil ne pourront dépenser pour leur soupé que dix sols par tête…
4Il s’agissait bien entendu de réduire les dépenses des nouveaux élus désireux de fêter leur récente entrée au conseil de la communauté.
5L’article XVI, quant à lui, est tout entier consacré aux noces. Il stipulait qu’elles seraient toutes célébrées dans le même lieu – la salle qui est sur le four des candoles (pains azymes) – et que les taxes à percevoir seraient fixées selon la « main » à laquelle appartenait l’époux. Des dispositions supplémentaires réglaient le problème posé par la multiplicité des mariages prévues pour le même jour, rappelaient la nécessité de l’accord des familles, paraient aux excès du charivari et limitaient la valeur des cadeaux destinés aux parents des futurs mariés. Elles précisaient également que :
Les nouveaux mariés ne pourront donner ni fougasses, ni boîtes de dragées, à qui que ce soit, et les parents de la fille ne pourront donner aucun repas aux filles, à l’occasion des noces.
Les nouveaux mariés ne pourront donner qu’un seul repas de cérémonie, où il leur sera permis d’inviter tous ceux qui viendront, et pour les sept jours de la Hupa3, on ne pourra inviter que dix personnes, y compris les Juifs en charge4, et les parens, autres que les père et mère, frères et sœurs des nouveaux mariés ; et dans le cas qu’on fasse deux tables, on ne pourra, dans ces deux tables y appeller pour toutes les deux, que lesdits convives ci-dessus, à peine de trois cent livres d’amende.
6L’article suivant, l’article XVI, traite des circoncisions, lesquelles, tout comme les mariages, donnaient généralement lieu à des réjouissances extraordinaires et très dispendieuses. Or la seule recommandation, qu’on pourrait peut-être qualifier de somptuaire, stipule que :
Les Parrains et les Marraines ne pourront donner pour étrennes, que trente sols chacun, pour les draps de la circoncision…
7Il est clair que les étrennes en question, nonobstant l’opinion contraire d’Isidore Loeb, n’avaient pas grand chose à faire avec le Nouvel An et qu’elles désignaient les draps de la circoncision, c’est-à-dire les draps sur lesquels reposait l’enfant au moment de celle-ci ! Ces escamots n’apportent aucune précision concernant les vêtements ou les bijoux que les uns ou les autres seraient peut-être sont nombreux parmi nous, ceux les grandes circonstances de la vie. Toutes les recommandations qui y sont mentionnées concernent uniquement des célébrations qui ont lieu dans la carrière et qui ne débordent pas au dehors de celle ci en des lieux où elles seraient susceptibles de provoquer des sentiment d’envie ou les manifestations d’une hostilité plus concrète.
8Faut-il en conclure que les escamots doivent être considérés comme des documents d’ordre public, qui régissaient les grandes lignes du fonctionnement des carrières et notamment la rédaction de leurs statuts, l’élection et les attributions de leurs dirigeants, le recouvrement des impôts, le fonctionnement de la synagogue et l’observance des fêtes communautaires et privées, la charité envers les pauvres locaux et ceux de passage, la police de la carrière et les relations avec les voisins chrétiens. Il était donc normal qu’ils soient soumis à l’accord des autorités, ce qui impliquait bien entendu l’obligation de les traduire dans une langue que ces dernières seraient en mesure de comprendre. L’examen du plus ancien des règlements connus de la commune juive d’Avignon – il date de 1558 – plaide dans le même sens5. Il ne comporte pas moins de 87 articles et il n’y en a qu’un, l’article 86, qui limite les dépenses faites pour l’envoi de cadeaux à l’occasion de la fête de Pourim, qu’il recommande, alors qu’il les désapprouve pour la fête de Pâques. Le même article stipule également :
Aussi nostre vouloyr est que nescun juyf de nostre comune soyt actenu de bailher aulx enfans de nostre comune aulcune fruicte le vespre que lendemain se fera la circumcision de l’enfant, ou bien lendemain apres que la circumcision sera faicte et la porte de tel enfant circumcis : et ce, sur la peyne de six souldz, aplicables la moytie a l’hecdes et l’aultre moytie a l’illummaire6.
9Le viguier avait noté là dessus qu’il s’en remettait au conseil de la communauté pour l’application de ce texte, ce qui ne dénote pas un intérêt particulier. C’est en tout cas bien peu de chose et il ne semble pas que les autorités aient fait preuve par la suite d’un intérêt plus grand pour les lois ou les règlements somptuaires des Juifs.
10Ceux-ci furent donc considérés comme autant de règlements intérieurs que la communauté avait trouvé nécessaire de s’imposer et qui pouvaient donc rester dans leur texte original, en hébreu, encore qu’on ait pu trouver nécessaire d’ajouter qu’ils avaient été édictés avec l’accord du gouverneur ! Il s’agissait sans doute d’un accord de principe, qui concernait plus le principe de ces lois que les détails de leur application.
11Les lois ou règlements somptuaires comtadins, qui ont survécu, nous sont donc parvenus dans leur langue d’origine. Cela ne facilitera pas toujours leur compréhension, étant donné la pauvreté de l’hébreu en termes susceptibles de rendre les realia contemporaines, qui y apparaissent dans une transcription phonétique en caractères hébraïques, selon un système dont les principes peuvent nous échapper à l’occasion.
12Un seul registre de la communauté juive de Carpentras, datant d’avant son rattachement à la France, a été conservé7. Le regretté Cecil Roth y a signalé la présence de quelques règlements somptuaires et en a publié le texte, qu’il n’a cependant pas fait suivre d’une traduction8. Il s’était contenté d’en résumer assez brièvement le contenu. La découverte récente du texte original d’un de ces règlements, accompagné des signatures de ceux qui l’ont approuvé – sa traduction sera publiée à la suite9 –, pourra en faciliter la compréhension10.
13Les baylons de la communauté de Carpentras avaient remarqué le premier Adar de l’année 5472 (19-2-1712) :
« combien les chefs de famille peinaient pour gagner leur vie et pour payer les taxes et les impôts qui incombent à chacun d’eux. Et lorsqu’il leur arrive de devoir préparer un banquet de fête, comme à l’occasion d’une circoncision ou d’un mariage, ils font des dépenses au delà de ce qu’ils peuvent se permettre. Au lieu de se réjouir, ils tremblent de devoir tant dépenser, car cela les met dans l’obligation de restreindre le train de leur maison et leur rend le payement des impôts difficile ».
14Ils avaient donc résolu de réduire l’importance de ces réjouissances, en imposant notamment une limite au nombre des invités autorisés et à celui des repas. Et de conclure :
« Tout cela a été convenu, unanimement et d’un plein accord, selon la permission accordée par Monsieur l’Evêque François Marie Abbati, que sa gloire augmente, évêque et gouverneur de cette ville et de ses environs qui se trouvent dans le Comtat Venaissin. En foi de quoi nous avons signé… »
15Ainsi donc cette loi somptuaire avait elle été dictée par la nécessité de limiter les dépenses d’une population pauvre, qui se lançait dans des dépenses exagérées, afin de mieux tenir ce qu’elle croyait devoir être son rang. Vingt-six ans plus tard, le ton aura changé. Les élus, les membres du conseil et quelques personnalités de Carpentras devaient marquer alors leur mécontentement en présence de la situation qui régnait dans leur communauté :
« car nous, les soussignés, élus et dirigeants de la communauté, veuille Dieu son sauveur la garder, avons constaté que chacun jalouse son prochain et veut s’imposer à lui, à tel point qu’il n’est plus possible de distinguer le riche du pauvre. Ils veulent ressembler à des hommes importants et fortunés soit dans leur habillement, soit par les bijoux de leurs femmes, mais ils n’en ont pas les moyens. Ils s’appauvrissent ainsi, empruntent sans nécessité de l’argent aux Chrétiens et s’effondrent progressivement… »11
16Ils avaient donc décidé de faire pénitence et de réduire l’éclat des réjouissances, dont leur vanité, attisée par leur goût des vêtements de luxe, était rendue responsable. Les commissaires chargés de la rédaction du nouveau règlement furent élus le samedi soir 12 Hechvan (25-10-1738) et se mirent immédiatement au travail. Ils avaient été chargés de réglementer notamment la qualité et la nature des vêtements autorisés.
17Le résultat obtenu ne fut pas à la mesure des espoirs que les rédacteurs de ce texte avaient fait naître. En effet, moins d’une année et demie plus tard, les dirigeants de la communauté se virent dans l’obligation de remettre la main à la pâte. La raison invoquée n’était plus tout à fait la même puisqu’il s’agissait à présent de cesser de provoquer « l’envie et la haine des nations qui nous regardent… lorsqu’ils voient les enfants d’Israël sortir avec leurs habits, chacun selon le bienfait de Dieu envers lui ». C’était donc l’ostentation des juifs qui attirait à présent le regard hostile des Chrétiens sur eux, avec toutes les conséquences fâcheuses qui pourraient en découler. On peut se demander si les « écrivains » du récent règlement n’y étaient pas pour quelque chose. Ils l’avaient en effet conclu avec la précision suivante :
« Tout ce règlement ne s’appliquera qu’à l’intérieur de cette ville, mais non dans les autres bourgades et les autres carrières du Comtat. Ailleurs il leur sera loisible de s’habiller comme ils l’entendront et personne ne les en empêchera et tout sera valide. Ils pourront également acheter ce qu’ils décideront en matière d’habillement et de chaussure, à condition de ne pas les porter ici à Carpentras ».
18Était-il le meilleur moyen d’attirer des regards envieux ? Ce qui aurait dû rester confiné au quartier des Juifs, allait s’afficher ailleurs ! Un nouveau règlement fut donc rédigé et le précédent abrogé.
19On peut se demander pourquoi les raisons avancées pour défendre la nécessité de ces lois somptuaires avaient ainsi évolué. Il est probable que cette évolution fut dictée par les changements intervenus dans la situation économique des Juifs de Carpentras et l’attrait du luxe qui a dû en être la conséquence directe. René Moulinas a bien décrit l’essor de cette communauté au XVIIIe siècle12. Jadis pauvre, elle était déjà riche au XVIIIe siècle et on l’accusera vers 1760 d’un « luxe et d’une opulence incroyables ». On reprochera notamment aux Juifs de Carpentras de porter de l’or et de l’argent sur leurs habits, de se parer et de se parfumer. Le texte des lois somptuaires, qui viennent d’être passées en revue, confirme cette évolution et peut même expliquer pourquoi il n’y a pas eu de règlements semblables auparavant. Les débuts de l’opulence, qui n’est pas encore généralisée, avaient provoqué l’envie des Juifs les moins favorisés et il était devenu nécessaire de les protéger des effets de leur désir d’imitation de leurs frères plus fortunés dans la célébration des fêtes de famille juives, mariages ou circoncisions. Par la suite, cette envie devait s’étendre au domaine plus vaste de la vie quotidienne : la volonté de paraître s’était emparée des moins favorisés et il fallait désormais détailler les manifestations de richesse licites pour mieux préciser celles qui ne l’étaient pas ou plus. Tout se passait alors à l’intérieur des murs qui entouraient la carrière et le but poursuivi était de préserver ses habitants juifs de leurs envies et tentations de luxe. Bientôt il faudra les sauver de la jalousie de leurs voisins Chrétiens confrontés au spectacle d’une opulence qui ne restait plus confinée dans les étroites limites de leur quartier. L’éclatement des carrières n’était plus très éloigné et la communauté allait bientôt se trouver dans l’impossibilité d’interdire à ses membres ce qui serait désormais permis à tous. La carrière avait vécu et ses lois somptuaires avec elle.
Annexe
Appendice
Traduction du règlement de 174013
Avec l’aide de Dieu, béni soit-il.
La vérité indique sa voie, la voie de la sainteté. Il est constant qu’il y a près de dix huit mois, au mois de Hechvan de l’année passée, l’année 549914, nous nous sommes comptés et nous avons décidé ici, à Carpentras, veuille Dieu la protéger, avec l’accord de tous, de prendre des mesures. Nous avions en vue la satisfaction du Ciel : Dieu reconnaît l’intention souhaitable pour le bien du public devant l’envie et la haine des nations qui nous regardent. C’est là leur habitude qui est pure folie15, et leur colère se complait sans fin16, lorsqu’ils voient ces enfants d’Israël sortir avec leurs habits, chacun selon le bienfait de Dieu envers lui. Or, depuis que notre réglement17 a été fait avec empressement pour éviter [l’abondance] des bijoux d’argent et d’or, des pierres précieuses et des perles ainsi que des autres genres de vêtement, ainsi qu’il a été précisé et explicité de la manière la plus claire dans le mémorial de la sainte communauté [de Carpentras] dans l’écriture du scribe local, le très sage et excellent juge, le rabbin Israel Crémieu18, veuille Dieu le garder et le protéger, et qu’il a été proclamé et lu en présence des réunions du peuple dans la maison de Dieu, avec toute la rigueur et toute la gravité qui entourent les règlements qui ont cours en Israël, le jour est venu et nous avons vu, nous dont l’intention était de réformer, et nous nous sommes rendu compte qu’il y a une ombre au tableau et qu’un dommage indirect a été provoqué, car les articles de ce règlement ont été faits hors l’inspiration divine et leur nombre s’est accru et on peut voir qu’il y a un certain nombre de détails aux précisions desquels nous ne portons pas une attention suffisante. Nos multiples péchés sont indirectement responsables de ceci et de cela, car ils sont nombreux parmi nous, ceux qui ont enfreint certains détails de ce règlement, les uns par dédain, les autres par l’inadvertance qui en est résultée. Ils ont cependant ceci en commun : ils doivent être jugés avec sévérité. Notre communauté toute entière pousse de grands cris, mais l’accord n’y règne pas. L’un dit ceci et l’autre dit cela et les avis se font nombreux. Mais Dieu a été cause qu’il se trouve ici, à notre proximité, l’éminent rabbin et le remarquable juge, le rabbin Abraham Guedilia19, veuille Dieu le garder et le maintenir, l’envoyé de Dieu20 de la ville sainte de Hébron, qu’elle soit reconstruite et qu’elle soit restaurée. Nous l’avons fait chercher et nous lui avons exposé ces problèmes, pour lui réclamer un remède pour nos maux afin de préserver notre âme du piège du serpent21, pour que nous ne nous perdions pas, Dieu préserve, en enfreignant quotidiennement notre devoir religieux. Il s’est rendu sans hésiter à notre demande et il n’a pas craint de nous écouter pour l’amour de la sainteté et à cause de l’ignorance de la communauté, car beaucoup ont foulé [ce règlement] aux pieds. C’est pourquoi nous avons accepté ce règlement à la grande majorité des sages, des syndics, des dirigeants, des surveillants, des conseillers et des intercesseurs22 en faveur du public d’ici, de notre communauté ; et tous les particuliers, ces personnes d’élite, du petit jusqu’au grand, ont répondu et dit : nous devons confirmer et mettre en œuvre tout ce qu’il23 nous recommandera. Et ce sera une offrande supportée par nous tous, ensemble et unanimement et d’un même cœur, comme un seul homme, avec l’aide de Dieu, béni soit-il, en compagnie de ce rabbin éminent, de ce juge parfait et de cet émissaire, et veuille l’Éternel notre Dieu nous venir en aide. Nous avons tout d’abord vigoureusement convenu qu’aucun homme de notre communauté, jeune homme ou homme marié, ne pourra porter aucune bague avec la pierre précieuse qu’on appelle diamant, à moins qu’elle ne consiste de ce qu’on appelle des éclats sur les cotés. Nulle femme, mariée ou non mariée et nulle jeune fille ne pourra porter en aucun cas un bijou d’argent ou d’or, ou avec un diamant ou d’autres pierres précieuses, ni au cou, ni au bras et ni sur le corps. Elles pourront seulement porter jusqu’à quatre bagues en argent sans aucune pierre précieuse, non compris l’anneau de mariage qu’on appelle senhet24 qui n’entre pas dans le compte des quatre bagues. Elles pourront également porter un fermout25 d’or à leur cou comme il est d’usage. Elles pourront également porter aux oreilles des anneaux d’or, à condition qu’ils ne comportent ni pierre précieuse ni diamant. Elles ne pourront porter aucun bijou, sinon avec une perle, d’un poids de plus d’une once et demi et, s’il y a deux ternal26, jusqu’à deux onces sans plus. Il est clairement stipulé que ce poids sera le poids qu’on appelle peso del marc27. Il est également clairement stipulé que ces deux onces s’appliquent aux bijoux de la femme aussi longtemps qu’ils seront en sa possession et elle ne pourra les remplacer par d’autres qu’elle possède déjà, de telle sorte que leur désignation les rende valides28. À partir du jour où [son mari] aura consacré ces deux onces aux bijoux de sa femme, et qu’elle les aura portés à son cou, elle ne pourra plus en porter d’autres, à moins de vendre [les premiers] ou de les échanger [pour d’autres] irrévocablement. Il a également été précisé que les femmes peuvent porter au cou [un collier] de grenat et de grains d’or qu’on appelle patro29 avec des perles, à la condition que les perles qui se trouveront avec le grenat soient incluses dans les deux onces mentionnées plus haut. Les hommes et les femmes pourront également porter bloque30, ceinture et cornet31 d’argent32 ». Il a également été stipulé que les jeunes filles ne pourront porter une perle à leur cou que si elle entre dans le compte des deux onces autorisées à leur mère ou à leur grand mère ou à l’épouse de leur père. Cependant les jeunes filles fiancées pourront porter ce que leur fiancé leur aura envoyé et qui leur sera spécialement destiné pour faire partie après leur mariage du compte des deux onces mentionnées plus haut, comme c’est le cas pour toutes les femmes. Les hommes, les femmes et les jeunes filles ne pourront revêtir aucun vêtement dans lequel il y aura de l’argent ou de l’or, que ce soit dans le tissu, la broderie ou le galon, de façon qu’il ne s’y trouve absolument ni argent ni or. Il a également été clairement précisé qu’elles ne doivent pas porter un vêtement de velours33, petit ou grand, mais il leur sera permis d’ajouter sur autre un vêtement pour l’embellir jusqu’à deux ou trois doigts34 [de velours] sans plus. Il a également été stipulé que les femmes et les jeunes filles qui ont déjà un corps35 de persienne36 ou de tissu de soie dans lesquels sont mêlés des fleurs d’argent ou d’or, pourront les porter jusqu’à leur complète usure. Il leur sera également permis de porter par dessus un cordello37 avec de l’or et de l’argent comme il est de coutume. Mais il leur est interdit de porter les autres vêtements, même si elles les possèdent déjà depuis quelque temps, qu’ils soient en velours ou en broderies ou d’or et d’argent. Il est également clairement stipulé que les femmes et les jeunes filles pourront faire des parements sur les camisoles de tout ce qu’elles désireront, sauf des nattes38, des dentelles ou des galons en argent ou en or, mais un tissu dans lequel sont mêlés de l’argent ou de l’or ou un ruban d’argent ou d’or leur sont permis. Les jeunes filles et les femmes pourront porter sur leur tête un ruban d’argent ou d’or ou de soie de cinq doigts au plus. Les jeunes mariées pourront en porter de huit doigts au plus. Elles pourront faire les pantoufles de tout tissu de soie, mais pas en velours, et sans le moindre argent ou or. Il a également été convenu que les hommes et les jeunes gens ne pourront pas se coiffer d’une perruque à boudins39. Ceux qui rentrent de voyage pourront pénétrer dans la carrière avec une perruque pourvue de boudins de leur voyage40, et ils la remplaceront une fois arrivés à leur domicile. S’il n’a pas d’autre [coiffure] à son domicile, il aura trois jours pour en préparer une autre. Il a également été convenu qu’aucun nouveau marié ou nouvelle mariée ne pourra donner à nul homme ou femme, jeune homme ou jeune fille, ou aux enfants de la carrière, aucune espèce de douceur, que ce soient des dragées, des [fruits] confits ou des macarons, et encore moins de les jeter [dans la synagogue], sauf ce qu’il est habituel de donner au prédicateur et aux chantres selon l’usage ou ce que l’on sert au dessert après le repas. Ils ne pourront pas non plus distribuer de ruban aux jeunes gens, ni des épingles41, sauf aux chantres et aux prédicateurs et aux garçons d’honneur ni aux hôtes de passage ni aux ou aux maarifos42 chrétiens pour le maintien de la bonne entente [avec les voisins non Juifs]. Il faut y comprendre l’interdiction de jeter, à l’occasion de toutes sortes de réjouissances, des dragées et des sucreries. Il a été précisé que tout ce qui concerne les vêtements et tout ce qui nous est interdit, ainsi qu’il a été intimé plus haut, concerne uniquement les hommes et les femmes, les jeunes gens et les jeunes filles, mais non les garçons et les filles auxquels tout cela est permis jusqu’à l’âge de six ans et pas plus. Tout cela vaut pour l’année entière, mais s’ils procèdent à quelque divertissement, comme à l’occasion de Pourim ou pour honorer des rois ou des princes, ils pourront revêtir tout ce qui a été mentionné pour ce divertissement seulement. Les tailleurs sont également autorisés à les revêtir momentanément dans leur maison pour connaître leur taille et vérifier s’ils ont été bien faits. Tout cela a été fait et interdit durant notre séjour ici dans la ville. Mais quand nous sortons de la ville, individuellement ou en groupe, tout est autorisé. Ceci servira de témoignage, le témoignage de Dieu est fidèle43, qu’en ce jour nous avons totalement et définitivement abrogé le premier règlement mentionné plus haut, qui a été fait en Hechvan 5499 avec l’assentiment de la grande majorité, et cette abrogation a été signée et confirmée, et ce règlement est désormais caduque. Nous confirmons et établissons définitivement et complètement notre règlement qui a été fait ce jour et il sera en vigueur quatorze années à partir de ce jour et la rigueur et l’autorité de ce règlement seront égaux à la rigueur et à l’autorité de tous les règlements qui ont cours en Israël. Tout a été fait et conclu avec la permission du gouverneur, que sa gloire augmente. Et, pour servir la vérité, nous avons signé de nos noms ici, à Carpentras, aujourd’hui le vingt-trois du mois d’Adar44 de notre annèe45 5500 de la création. Et,46 tout est bien, clair et établi.
Tout47 a été fait et conclu par le soussigné, l’émissaire de la sainte ville de Hebron, qu’elle soit reconstruite et affermie, insignifiant à côté de ceux qui accomplissent l’œuvre pie,
[...] Abraham Guidilia [...]
Samuel Cohen, Juda de Laroque, Gad de Roque Martine, Azriel Vidal baylon, Isaac Hayyim Naquet baylon, Samuel de Milhau, Berachiel de Monteux, [Jacob] fils d’Azriel de Laroque […], Moïse de Roque Martine baylon, Nathan de Mo[nteux], Salomon Cohen, Benjamin de Monteux, Judah de Laroque,
Le jeune Jacob de Lunel, David Leon48, Yehiel de Laroque,
Mardochée Leon, Joseph Leon conseiller, Samuel de Roque Martine,
Isaac Crémieu, Jacob Vidal, Dieu le garde et le protége
Moise fils de Ruben Crémieu, Benjamin de Monteux, Hananel [Cohen],
Joseph de Milhau, Jacob Espire de Prague, Menahem Leon,
David de Roquemartine, Joseph Hayyim Samuel,
Le jeune Juda David [Crémieu], Abraham de Roque Martine
Juda de Carcassone, Juda David Vidal, Le jeune Joseph de Mayrargues,
Joseph fils d’Abraham, Leon Samuel, Naquet Isaïe fils de Nathan,
Moïse Cohen, Jacob fils de Juda Delaroque, Abraham Crémieu,
Le jeune Israel Crémieu scribe de la ville49.
Notes de bas de page
1 R. MOULINAS, Les Juifs du Pape en France, Toulouse, 1981, p. 510, n° 16.
2 Tels qu’ils ont été réédités par I. LOEB, « Statuts des Juifs d’Avignon (1779) »,Annuaire de la Société des Études Juives, I, Paris, 1881, p. 165-269. Pour les dispositions examinées ici, voir p. 208, 229-233.
3 Littéralement : dais du mariage. Par extension : le mariage lui-même.
4 Les Juifs chargés d’une fonction dans le cadre de la communauté.
5 Il a été publié par M. de MAULDE, Les Juifs dans les États français du Saint-Siège au Moyen Âge, Paris, 1886, p. 89-169.
6 Hecdes : hospice. Illuminaire : éclairage de la synagogue.
7 Il fait partie aujourd’hui de la collection des manuscrits hébraïques de l’Université Columbia à New York. Nous comptons le publier prochainement.
8 C. ROTH, « Somptuary Laws of the Community of Carpentras », JQR n.s., 18, 1928, p. 357-383 (texte hébreu p. 374-383) = C. ROTH, Gleanings, Essays in Jewish History, Letters and Arts, New York, 1967, p. 264-290.
9 Les termes vernaculaires, dont il est saupoudré, seront imprimés ici en caractères italiques.
10 Mon ami Louis Cohn, que je remercie ici, a bien voulu m’en communiquer une photocopie.
11 Ils firent également allusion à un incident non précisé, qui aurait ébranlé la communauté le samedi précédent.
12 R. MOULINAS, op. cit., p. 271-287.
13 Dans le registre, le règlement est précédé du titre suivant : Convention renouvelée ici dans notre communauté concernant les bijoux et les vêtements des hommes, des femmes et des enfants en général. Avec l’aide de Dieu nous nous y emploierons et nous réussirons.
14 Plus précisément le 12 Hechvan, qui correspond au 25 octobre 1738.
15 PSAUMES 49,14.
16 AMOS 1,11.
17 Hascamah ou Hescamah en hébreu (Hascamot ou (H)escamot au pluriel).
18 Carmi dans l’original. Ce fonctionnaire a servi sa communauté en qualité de secrétaire-scribe pendant de longues années. Les titres qui le décrivent ici ne doivent pas être pris au pied de la lettre ils doivent beaucoup à une certaine étiquette traditionnelle.
19 Le rabbin Abraham Guidilia fit trois tournées en Europe au cours du second quart du XVIIIe siècle. Il ne fut pas d’ailleurs le seul émissaire de Terre Sainte à visiter alors les communautés comtadines.
20 Titre traditionnel des émissaires des quatre saintes communautés de Jerusalem, Hebron, Safed et Tibériade. Ils faisaient le tour des communautés de la Diaspora pour solliciter leur aide.
21 Le terme hébraïque que nous rendons ici par le mot serpent est en fait l’acronyme des trois termes hébraïques qui désignent les trois catégories d’excommunication connues par la loi juive. Il faut donc comprendre : du piège de l’excommunication.
22 Autant de synonymes qui désignent les dirigeants de la communauté.
23 Le rabbin Guedilia.
24 Bague de fiançailles. Ici anneau de mariage.
25 Sans doute fermai ou fermail. Ce mot signifie généralement agrafe.
26 Nom d’une perle particulière ?
27 Le poids du marc, également dit pes de marc, servant à peser les métaux précieux. Il pesait lui-même huit onces !
28 Expression talmudique qui signifie que la désignation précise d’un objet pour un certain usage est équivalente à son usage.
29 Non identifié.
30 C. ROTH veut lire beluga – petit diamant, ce que le contexte rend bien peu plausible. Il faut certainement comprendre boucles, ce qui irait bien avec les ceintures mentionnées immédiatement après.
31 Peut-être la coiffure connue sous le nom de cornette, mais pouvait-elle être en argent ?
32 « Argent » rajouté sur la ligne.
33 Velou dans l’original. Il s’agit peut-être d’une prononciation locale.
34 Peut être empans ?
35 Partie du vêtement qui couvre la partie supérieure du corps jusqu’à la ceinture.
36 Tissu de Perse ?
37 Corde fine ? Une tresse ?
38 Sans doute des tresses.
39 Longue boucle de cheveux roulée en spirale.
40 Pour des raisons de sécurité, les Juifs du Comtat n’étaient pas tenus au port du chapeau des Juifs dans leurs voyages. ils pouvaient alors porter une coiffure qui leur était interdite sur place.
41 Sans doute un don ou une gratification.
42 Déformation du terme maaroufia, qui désigne le commanditaire non-juif qui a cédé l’exclusivité de ses achats et de ses affaires à un partenaire juif, avec il ne peut entretenir que de bonnes relations, d’où son invitation.
43 Psaumes 19, 8.
44 22 mars 1740.
45 À Carpentras on avait souvent recours au calendrier civil. Ici le rédacteur se sert du calendrier juif, d’où la précision « notre année » !
46 Formule juridique usuelle de confirmation d’un acte.
47 Les signatures sont omises dans le registre et remplacées par une brève indication qui sert de signature : « le jeune Israel Crémieu, que son avenir soit bon, scribe local de la sainte communauté de Carpentras ». Le rabbin Guidilia signe l’original au milieu de la ligne qui suit le texte et sa signature est entourée par celles des notables locaux, et il n’est pas possible d’y déceler quelque ordre de préférence.
48 Ou Lion.
49 Il signe à la première ligne à gauche en sa qualité de scribe-notaire assermenté. À noter que plusieurs des signataires ont ajouté après leur nom les deux lettres hébraïques S et T, qui sont l’abréviation de l’expression araméenne : que sa fin soit bonne !
Auteur
Université Bar Ilan-Israël
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