Un sanctuaire languedocien entre contre-réforme et réforme catholique : Notre-Dame-de-Primecombe du XVIIe au XIXe siècle
p. 157-166
Texte intégral
1À une lieue au nord de Sommières, le sanctuaire de Notre-Dame-de-Primecombe se situe dans la paroisse de Fontanès sur une colline de la garrigue surplombant de 160 mètres la vallée du Vidourle. À l’origine de la dévotion à Notre-Dame-de-Primecombe, un récit classique d’« invention ». Selon la légende, en 887 un berger de Fontanès, Bertrand, aurait trouvé dans le vallon que surplombe la colline, un de ses bœufs agenouillé devant une statue de la Vierge placée dans un buisson. Transportée dans l’église paroissiale, cette image mariale revint obstinément dans son arbuste, manifestant ainsi son désir d’être honorée dans le lieu qu’elle avait élu. Les habitants y construisirent une chapelle1. Avant la Révolution, ce lieu de culte appartenait au diocèse d’Uzès2. Pèlerinage fréquenté à l’époque médiévale, Notre-Dame-de-Primecombe ruinée par les guerres de religion fut restaurée au XVIIe siècle. Comme ses voisines, Notre-Dame-du-Suc à l’extrémité orientale du diocèse de Montpellier et Notre-Dame-de-Grâce à Rochefort dans la partie languedocienne du diocèse d’Avignon, la chapelle de Primecombe devait être un lieu d’opposition militante au protestantisme et d’épanouissement de la dévotion mariale promue par la Contre-Réforme où la Vierge est à la fois la protectrice, avocate des pécheurs et la Femme triomphant du serpent, symbole du mal et de l’hérésie.
2La dévotion à Notre-Dame-de-Primecombe se développa du XIe au XIIIe siècle, époque de grand essor du culte qui « presque toujours se cristallise autour d’une statue miraculeuse de la Vierge3 ». La chapelle, érigée en prieuré simple – c’est-à-dire sans charge d’âmes – reçut des donations de terres de la noble famille de Bermond, seigneurs de Sauve et d’Anduze4. La garde du sanctuaire fut assurée par des ermites mais les protestants le détruisirent au XVIe siècle comme les autres ermitages de la région, notamment celui des trois fontaines près de Nîmes ou de Saint-Julien-d’Escosse près d’Alès5.
3Grand siècle de l’érémitisme, le XVIIe siècle vit la restauration de nombre de ces lieux de culte. Au nord-ouest de Fontanès, dans la région de Sauve, celui de Notre-Dame-de-Moynier près de Pompignan dut la reconstruction de sa chapelle et de la maison de l’ermite à Madame de Mirabel, femme du seigneur du lieu, en 16786. À Primecombe, le rétablissement du sanctuaire fut, un peu plus tard, l’œuvre d’un gentilhomme dauphinois, ancien officier devenu ermite qui en finança la réédification. François Gabriel de La Fayolle qui s’y établit en 1692, devait reprendre les armes dix ans plus tard, lors de l’insurrection camisarde7. Son itinéraire personnel, de l’armée royale au « désert » de Primecombe puis de l’anachorèse au combat contre les « fanatiques » est représentatif du catholicisme moderne en Bas-Languedoc où Contre-Réforme et Réforme catholique sont les deux faces indissociables d’une même réalité. Plus que personne, La Fayolle imprima cette marque au sanctuaire de Primecombe. Un document précieux sur son cheminement se trouve aux archives de l’intendance à Montpellier. Il s’agit d’une supplique en vue d’être indemnisé des dégâts faits par les camisards :
« Suppliant humblement Révérand frère Gabriel Vous représente, Monseigneur qu’ayant servy, en qualité d’officier dans les troupes du Roy, l’espace de vingt années, il aurai resoleu de finir ses jours à servir Dieu dans quelque lieu sollitaire hors de tout commerce du monde et, comme il a une dévotion particulière à l’honneur de la glorieuse Vierge, mère de Dieu, il auroit choisy avec l’approbation de Mgr l’évesque d’Uzès (Michel Poncet de La Rivière évêque de 1677 à 1728), l’hermitage de Primecombe, situé dans la paroisse de Fontanès diocèse d’Uzès où il y avoit une esglize dédiée à l’honneur de la sainte Vierge et un logement, le tout entièrement ruiné où anciennement il y avoit une grande dévotion et où il s’y fezoit de grands miracles par l’intercession de la sainte Vierge. Le suppliant vint du bout du Royaume dans cet hermitage et lieu solitaire pour s’y retirer, qu’il trouva inabitable et l’esglize ruinée. Il vendit tous ses équipages quy estoient considérables qu’il employa à faire réparer tant l’esglise que le logement en sorte que le service divin s’y faisoit tous les dimanches et festes et estoit logé commodément dans laquelle sollitude le suppliant a demuré l’espace de dix ans ne vivant que des aumosnes. Mais, environ l’année 1702, s’estant eslevé dans cette contrée un nombre de rebelles révoltés quy commettoient des maux hénormes et surtout contre les esglizes, les prestres, religieux et anciens catholiques il creut de n’estre pas en surté dans son hermitage. Il se retira à Fontanès où il auroit heu peine à vivre si Monsieur Terrien curé de Montpezat n’eust eu la charité de l’appeler au château de Montpezat (lieu fortifié et observatoire d’où Terrien surveillait les mouvements des camisards dont il informait les troupes du roi) où il resta environ huict mois. Et, les troupes de rebelles s’estant multipliés et continuant les murtres et incendies et (l’armée royale) ne pouvent les détruire, le suppliant animé du même zelle qu’il a tousjours heu pour son prince et pour la Religion, demanda à faire (à recruter) une compagnie de fusiliers pour courre sur ses rebelles. Elle luy fut accordée. D’abord qu’il l’eust sur pied, il se donna tant de mouvement qu’il arresta quantité de ses rebelles. Les uns ont esté exécuttés les autres envoyez aux galères outre un nombre considérable que sa compagnie a tué dans plusieurs rencontres. Cela irrita si fort ces rebelles que ne pouvant pas se vanger sur luy, ils s’en prindrent contre son esglize et maison. Ils y mirent le feu et brulèrent tout ce qu’il y avoit de combustible et abatirent presque tout cet édiffice en sorte qu’ils l’ont complètement ruiné »8.
4La Fayolle demandait en conséquence à l’intendant de faire désigner des experts par le juge de Sommières afin d’estimer les dommages. Le 4 octobre 1704, Basville acquiesça à cette supplique. Le 2 décembre, Langlade maçon de Montpezat et Mourgue maçon de Combas, experts désignés par le juge dressèrent une évaluation à 769 livres 10 sols, somme que La Fayolle souhaitait que l’intendant répartît sur Fontanès et les communautés voisines de l’ermitage. Les destructions n’avaient atteint que les charpentes et les toitures (262 livres soit le tiers du total), les boiseries et le mobilier. Le frère Gabriel s’était surtout attaché à orner l’église (l’autel et son retable sont évalués 50 livres, deux tabernacles dorés 80 livres, douze tableaux 64 livres et une statue de la Vierge 30 livres). Ces 224 livres dépensées pour décorer la chapelle contrastent avec la simplicité de l’ameublement de l’ermite bien qu’il estime être « logé commodémént » (une table, deux lits et paillasses valant 28 livres, six chaises et un coffre de noyer 12 livres). La supplique et son annexe montrent l’œuvre restauratrice de La Fayolle. Sept ans avant de l’évoquer par écrit, il avait fait graver dans la chapelle restaurée une inscription – encore visible – rappelant son rôle de bienfaiteur et un rappel de la légende fondatrice : « l’an 1697 et le 17 août, frère François Gabriel de La Fayolle, ermite par dévotion, a fait à ses frais cette représentation du miracle ci écrit et cette figure de la Sainte Vierge trouvée l’an 887 qui était exposée au respect et à la vénération de chacun ».
5Jusqu’aux temps contemporains – témoin le père de Foucauld – il existe un lien fréquent entre vocation militaire et vocation érémitique. Au début du XVIIe siècle, nombre d’ermites étaient d’anciens ligueurs comme au XIIe siècle un saint Adjuteur ou un saint Gilbert avaient participé aux Croisades… La Fayolle était passé du service du Roi à celui de Dieu. Il allait en 1703 réunir les deux en un combat de guerre sainte « animé du même zelle qu’il a tousjours heu pour son prince et pour la Religion »9. Son engagement anti-camisard ne procède pas d’une volonté de représailles après l’incendie de l’ermitage, comme l’écrit Louvreleuil repris par les autres historiens de cette période, mais c’est la prise d’armes du frère Gabriel qui « irrita si fort ces rebelles » qu’ils s’attaquèrent à son « esglise et maison ». La Vierge de Primecombe et son gardien se trouvaient engagés dans un combat religieux10.
6La guerre des camisards est d’abord une guerre sainte. C’est le sens du prophétisme qui la déclencha et c’est la raison de son caractère impitoyable. Comme l’a jugé avec lucidité le « brigadier » (général de brigade) Julien, un ancien protestant, cette guerre n’était pas seulement une insurrection contre la politique royale mais une « guerre de religion »11. La Fayolle leva une compagnie de fusiliers. Il ne s’agit pas de ces partisans catholiques qui, comme les Florentins (de la région de Saint-Florent-sur-Auzonnet) s’en prenaient plutôt aux populations « nouvelles catholiques » qu’aux camisards. Encore moins de ces bandes qui, sous le nom prestigieux de « cadets de la croix », s’adonnaient en fait au brigandage. Les compagnies de partisans comme celle recrutée par l’ermite étaient soldées et avaient une organisation militaire : le capitaine La Fayolle avait sous ses ordres deux lieutenants, un enseigne, quatre sergents et quatre-vingt-seize soldats. La ville de Nîmes participait au financement de sa compagnie car elle était établie « pour la seureté de la campagne et lieux voisins de cette ville »12. Protégé par l’évêque Esprit Fléchier qui appréciait son ardeur au combat et l’opposait à la mollesse des troupes, « je n’attends pas de grands succès des expéditions qu’on médite si le ciel n’éclaire et n’échauffe nos guerriers », écrivait-il en février 1704. Il faudrait, estimait-il, prendre « les moyens qu’il faut pour agir efficacement ». Visiblement l’ermite avait trouvé ces moyens car l’évêque qui le défendait auprès des autorités lorsque des critiques s’élevaient contre son activité (« on tâche de le décrier lui et sa troupe. Nous l’avons bien soutenu ») attendait beaucoup de l’ardeur du capitaine anachorète « je ne sais quelle est sa destinée mais je voudrais bien qu’il fît quelque coup d’éclat »13. Dans une perspective de Contre-Réforme, on voit bien l’intérêt qu’auraient pu présenter ces éventuels « coups d’éclat » : par ermite d’épée interposé, c’est Notre-Dame-de-Primecombe qui, à l’instar de ses voisines de Gignac ou de Rochefort, aurait manifesté un soutien efficace à la lutte contre les camisards14. En fait, si les actions de l’ermite et de sa troupe sont de caractère vraiment militaire et non de représailles contre les civils « nouveaux catholiques », leur importance est limitée. Quant à La Fayolle, il mourut « d’un mal de langueur » avant la fin de la guerre, au début 170515.
7Au XVIIIe siècle Primecombe connut une modeste résurrection. Jusqu’à la suppression de leur couvent, en 1768, les récollets de Sommières assurèrent le service de la chapelle restaurée. Des ermites réapparurent, des pèlerins de l’ouest du diocèse de Nîmes, le 8 septembre, fête de la Nativité de la Vierge, des pénitents d’Aimargues et les confrères du Saint-Sacrement de Sommières. Quelques miracles se produisirent, notamment en faveur de Bruguière, métayer à Saint-Sériés, village catholique de la garrigue mis à sac par les camisards16. À cette époque Primecombe apparaît comme un centre mineur de dévotion mariale en un temps, il est vrai, peu favorable aux dévotions extérieures. L’idéologie des Lumières considérait les pèlerinages comme des « voyages de dévotion mal entendue » et les autorités ecclésiastiques craignaient les critiques des « nouveaux convertis » et les excés de zèle des « dévots indiscrets » de Notre-Dame17. Au moment de la Révolution, le titulaire du prieuré était un ecclésiastique du diocèse de Montpellier, Taillefer. L’église, vendue comme bien national, fut pillée, l’ermite Jean Pelade qui occupait l’ermitage depuis 1773, sauva la statue de la Vierge. Le curé de Souvignargues, puis de Clarensac qui avait acquis Primecombe en 1805 vendit le sanctuaire à un de ses confrères qui le légua au grand séminaire de Nîmes, en 1833. À cette époque où la desserte de la chapelle était assurée par les curés de Fontanès, les pèlerins qui avaient commencé à revenir depuis la signature du Concordat étaient « un grand nombre de l’Hérault et du Gard pendant l’octave des premiers jours de septembre », le jour de la Croix (Exaltation de la Croix, le 14 septembre) surtout, le « concours du peuple est prodigieux » selon le brouillon d’une supplique de 1843 demandant à la reine d’aider à la restauration de la chapelle. Marie-Amélie envoya la modeste somme de 100 francs au curé – faible partie du coût des travaux évalué à plus de 7 000 francs18. Les aumônes permirent la reconstruction en 1851.
8En 1906 l’ancien député légitimiste Adolphe Pieyre évoquait un souvenir d’enfance du pèlerinage à la mi-XIXe siècle. Ce texte confirme l’affirmation de l’épître de 1843 sur le renouveau de la fréquentation du sanctuaire dès cette époque. Il avait assisté étant en vacances près de Fontanès, à l’arrivée des processions paroissiales bannières déployées, curés en tête suivis de « phalanges de jeunes garçons et jeunes filles vêtus de blanc (qui) s’avancent processionnellement entre les grandes haies d’arbousiers couronnés des grappes de leurs fruits écarlates ». À l’écart du cortège, des fidèles, désireux de se mortifier, marchaient « pieds nus au milieu des ronces en égrenant du doigt un rosaire »… La foule entra dans la vieille chapelle « pauvre et dénudée » aux « voûtes basses et noircies » (ce qui date la visite de Pieyre : « elle s’est bien rajeunie au point de n’être plus reconnaissable »). Après la messe suivie d’« agapes champêtres », la « multitude » revint devant l’église où le prêtre fit une homélie du haut des degrés d’une croix, promettant l’indulgence plénière aux fidèles et « vitupérant contre les indifférents et les incrédules »19. Le renouveau du sanctuaire devait s’amplifier dans la seconde moitié du XIXe siècle.
9À cette époque, en effet, Primecombe bénéficia de l’essor du culte marial dans l’ensemble de la catholicité marqué notamment par la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception par Pie IX en 1854. La période de 1846 à 1871 fut un temps d’apparitions mariales à La Salette, Lourdes puis Pontmain, approuvées par les évêques avec un enthousiasme peu respectueux des positions prudentes qu’avait exprimées sur ce point, un siècle plus tôt, le pape Benoît XIV20. À cette époque, le siège épiscopal de Nîmes était occupé par Henri Plantier (1855-1873). Comme son vicaire général Emmanuel d’Alzon (1810-1880), il joignait au légitimisme politique l’ultramontanisme le plus extrême et un anti-protestantisme décidé. Mgr Plantier établit les lazaristes comme des servants du sanctuaire de Primecombe à la fin de son épiscopat21.
10Mgr Besson (1875-1888), plus modéré politiquement que son prédécesseur, mal vu par la « rafataille » nîmoise qui le taxait d’orléanisme, préconisait la concorde avec les « frères séparés ». Cependant, il restait aussi hostile que Plantier à l’égard de leurs croyances. Plantier avait soutenu dès sa création en 1858, la confrérie de Notre-Dame-du-Suffrage destinée à solliciter l’intercession de la Vierge en faveur des morts. Cette association lui paraissait de nature à combattre efficacement l’indifférence pour les morts, diffusée selon lui parmi les catholiques « par l’erreur qui nous entoure ». Érigée en archiconfrérie par Pie IX en 1873, l’œuvre du Suffrage fut gratifiée d’indulgences par le pape Léon XIII qui, par ailleurs, étendit à toutes les fêtes mariales celles accordées pour le 8 septembre aux pèlerins de Primecombe22. Mgr Besson qui avait demandé à Léon XIII ces faveurs spirituelles pour le Suffrage considérait Primecombe comme un rempart de l’orthodoxie. Présidant le 22 octobre 1878 un rassemblement de 10 000 pélerins accompagnés par la chorale de Saint-Baudile de Nîmes et les fanfares du Vigan et de Sommières, l’évêque avait, dans son homélie, exalté le rôle de gardienne de la Vierge du Vidourle pour l’ouest du diocèse comme Notre-Dame de Rochefort pour la région rhodanienne. À mi-chemin entre les deux, symboliquement, tout près de Nîmes la croix triomphale et miraculeuse de Saint-Gervasy. La dévotion à Notre-Dame-de-Primecombe avait commencé à l’époque où la région venait d’être délivrée de la domination musulmane. La Vierge libératrice de l’Islam avait garanti le diocèse des Albigeois (« après l’impiété la corruption »). L’expansion du protestantisme (« l’orgueil avec la corruption ») rencontra la Vierge sur sa route et ce fut la défaite de Rohan… mais « le démon de l’hérésie remua encore une fois les Cévennes et y ressuscita la révolte des camisards ». Nouvelles épreuves pour Notre-Dame qui « combat au premier rang » et le prélat fait l’éloge de l’ermite guerrier, La Fayolle. C’est un thème intéressant de la prédication épiscopale, comme une manière de reflet catholique de la « camisardisation » de l’Histoire régionale développée à la même époque chez les protestants : La Fayolle, pendant papiste de Rolland, Cavalier ou Castanet23. Un peu plus tard, Adolphe Pieyre, le royaliste millitant dont nous avons vu les émois pieux à Primecombe, publiait un roman historique, intitulé Le capitaine de La Fayolle. Louis XIV et ses collaborateurs y sont exaltés. La révocation de l’édit de Nantes est selon Pieyre légitime car les protestants sont des « alliés naturels des ennemis de la France », Montrevel est un « brave et beau soldat ». Quant à Villars, enchanté des exploits de l’ermite, il l’aurait au nom du roi, nommé maréchal de camp ce que, naturellement, l’intéressé aurait refusé par humilité…24 Écrivant un peu plus tard une histoire documentée de Primecombe, l’abbé Azaïs déplorait que Gabriel de La Fayolle, ce « nouveau Judas Macchabée » ait été enterré platement à Saint-Mamert et que sa dépouille n’ait pas été portée dans le sanctuaire qu’il avait servi25.
11En 1887, année du millénaire supposé du miracle initial, Mgr Besson au cours d’un voyage à Rome obtint de Léon XIII la faveur de couronner la Vierge de Primecombe. Les cérémonies attirèrent huit évêques, 20 000 fidèles et 400 prêtres... Elles reprirent les itinéraires suivis, selon la légende, par la statue miraculeuse : le lundi 23 mai, la procession des paroisses de Fontanès vint aux flambeaux chercher la statue. Le lendemain, ils rapportèrent en grande pompe Notre-Dame dans sa chapelle26. Ces cérémonies sont symboliques. Elles marquent l’apogée d’une pastorale de combat, un épisode haut en couleurs de l’« été de la Saint-Martin du catholicisme post tridentin »27. C’est dans un monde profondément transformé que, en 1937, le cardinal Verdier archevêque de Paris vint présider les fêtes du cinquantenaire du couronnement de Notre-Dame-de-Primecombe.
12En 1937, la laïcisation de la société, la grande guerre, les bouleversements de l’Europe, les débuts de l’œcuménisme en 1925-27, la condamnation de l’Action française par Pie XI en 1926 avaient marqué la disparition de la société chrétienne telle que la rêvaient le Père d’Alzon et ses disciples. Vingt ans plus tard, le concile Vatican II allait constituer une « mutation sans précédent »28. L’année même de la clôture du concile, en 1965, Monseigneur Rougé évêque de Nîmes, inscrivait Primecombe parmi les plus importants pèlerinages de son diocèse29. Dans ce sanctuaire – même si retraites et récollections semblent l’emporter sur l’aspect thérapique – se manifeste le maintien de la religion populaire. Notre-Dame n’y est plus la Vierge guerrière de Monseigneur Besson mais redevient simplement Mère du Christ et des hommes, « icône eschatologique de l’Église » qui « brille comme un signe d’espérance assurée et de consolation devant le peuple de Dieu en pèlerinage »30.
Notes de bas de page
1 Sur les légendaires de ces Vierges têtues qui narguent l’institution ecclésiastique qui « les avait établies avec honneur dans l’église paroissiale proche », A. DUPRONT, Du sacré, Paris, Gallimard, 1987.
2 E. GERMER-DURAND, Dictionnaire topographique du département du Gard, Paris 1868, réed. Lacour 1988, p. 154. E. GOIFFON, Dictionnaire du diocèse de Nîmes, Nîmes, 1881, réed. Lacour, Nîmes, 1989, p. 206-207. R. SAUZET, Les pèlerinages du diocèse de Nîmes, Paris, enquête dactyl., 1966, dir. A.DUPRONT (Centre d’études d’anthropologie religieuse européenne, Paris).
3 P.-A. SIGAL, in Les chemins de Dieu. Histoire des pèlerinages chrétiens, sous la dir. de Jean Chélini et Henry Branthomme, Paris, Hachette, 1982, p. 173.
4 Confirmation de ces bienfaits par Louis Pelet de Bermond, seigneur de Combas, en 1642. Acte cité par chanoine P. AZAIS, Notre-Dame-de-Primecombe et son pèlerinage, Nîmes, 1887, p. 13-21. Voir également une plaquette anonyme, Origine de la dévotion de Notre-Dame-de-Primecombe, Nîmes, Gaude, 1814, AD Gard 1 E 1246.
5 J. SAINSAULIEU, Les ermites français, thèse, Paris, 1973, éd. Cerf 1974, p. 286-7 (pour les notes voir l’ouvrage initial dactyl., Paris, Bibl. de la Sorbonne). E.GOIFFON, Dictionnaire…, op. cit., p. 211, 378.
6 E. GOIFFON, Les paroisses de l’archiprêtré du Vigan, Nîmes, 1900, réed. Lacour, 1994, p. 160-161.
7 L. de LA ROQUE, Armorial de la noblesse du Languedoc, Toulouse, 1860, t. II, p. 117. Confirmation de la noblesse de la famille La Fayolle par l’intendant de Dauphiné en 1668. Au XVIIIe siècle, une branche de la famille s’établit dans le Velay.
8 AD Hérault C 262.
9 J. SAINSAULIEU, op. cit., p. 56-62.
10 L.-J.-B. LOUVRELEUI (curé de Saint-Germain-de-Calberte), Le fanatisme renouvelé, Avignon, 1704, t. II ; p. 116.
11 Lettre de mars 1704 citée par F. PUAUX, « Le dépeuplement et l’incendie des Hautes Cévennes », Bulletin de la société du Protestantisme français, t. 63, 1914-15, p. 616.
12 C. BERNAT, Une révolte et sa contre-révolte. L’action des catholiques pensant la guerre des Cévennes 1702-1707, Mémoire de maîtrise, Toulouse, 1997 a établi clairement la spécificité de ces divers corps souvent confondus : par exemple D.VIDAL, Fanatiques et insurgés du Vivarais et des Cévennes, fait (à tort) de La Fayolle un cadet de la croix. Les délibérations municipales de la ville montrent la participation financière de Nîmes (10 livres par jour) à l’entretien de la compagnie de l’ermite. AC Nîmes LL 30, f° 421, 431 et NN 27.
13 E. FLÉCHIER, Lettres in Œuvres complètes, Nîmes, Beaume, 1782, p. 158. D.VIDAL, op. cit., p. 147. La sœur de Mérez, ursuline à Nîmes, est aussi une admiratrice convaincue de La Fayolle, édit. De son journal par E. de BARTHÉLÉMY, Montpellier, 1874, p. 44-112.
14 Sur le thème pastoral (et iconographique) de la Vierge écrasant l’hérésie, R.SAUZET, Chroniques des frères ennemis, Caen, éd. Paradigme, 1992, p. 178 et 182-186. La mort de l’ermite est mentionnée dans le registre paroissial de Fontanès, cité par P. AZAIS, op. cit., p. 35 et dans le journal de la sœur de Mérez.
15 Sur les opérations menées par les compagnies franches, C. BERNAT, op. cit., H. BOSC, La guerre des Cévennes, Montpellier, Presses du Languedoc, 1985, 5 vol.
16 P. AZAIS, op. cit., p. 37 et 49. Sur Saint-Sériés et Saturargues « villages martyrs de la violence camisarde », P. CABANEL in Itinéraires protestants en Languedoc, XVII-XXe siècles, Montpellier, Presses du Languedoc, t. III, 200.
17 Voir R. MOULINAS, « Le pèlerinage victime des Lumières » in Les chemins de Dieu, op. cit., p. 259-291.
18 P. AZAIS, op. cit., p. 37-38, 50-55. Origine de la dévotion, plaquette anonyme, cf. note 4… Op. cit. Reçu de l’aumône de la reine par le curé de Fontanès et devis de la reconstruction de la chapelle par Meunier fils, entrepreneur de Montpellier (5-06-1843) ; le coût s’élève à 7.842 F, 26, AD Gard 1 E 1246.
19 A. PIEYRE, « Un souvenir d’enfance. Notre-Dame-de-Primecombe », Journal du Midi, 17, 18 et 19/09/1906. Pie VI avait accordé une indulgence plénière aux pèlerins de la nativité de la Vierge, P. AZAIS, op. cit., p. 61. Ce pape dont le pontificat occupe tout le dernier quart du XVIIIe siècle comptait sur les masses rurales pour animer une réaction populaire de défense de la foi traditionnelle, M. CAFFIERO in Dictionnaire historique de la papauté, Paris Fayard, 1996, p. 1330-1384.
20 P. BOUTRY in Histoire de la France religieuse, dir. J. LE GOFFF et R. RÉMOND, Paris, Seuil, t. III, 1991, p. 448, 494-98.
21 G. DUPRÉ, Formation et rayonnement d’une personnalité catholique au XIXe siècle, le Père Emmanuel d’Alzon, thèse, Aix, 1971, publ. Lille III, 1975 – abbé J. CLASTRON, Vie de Sa Grandeur Mgr Plantier évêque de Nîmes, Nîmes, 1882, 2 vol.
22 Lettre de Mgr Plantier, 21 août 1851, citée par abbé E. SARRAN, Mois des morts de l’œuvre de Notre-Dame-du-Suffrage, Nîmes 1909, 2e éd. 1932, p. 48 et 272. P. AZAIS, op. cit., p. 61. Les confrères du Suffrage vont en pèlerinage à Primecombe le second dimanche de mai.
23 Mgr GILLY, Mgr Besson évêque de Nîmes 1875-88, Besançon, Jacquin, 1890.
24 A. PIEYRE, Le capitaine de La Fayolle, Paris, Blériot éd, 1881, p. 17-19 ; 371-2.
25 P. AZAIS, op. cit., p. 36.
26 Mgr GILLY, op. cit., p. 355-6. Semaine religieuse de Nîmes, 1887, p. 158-163.
27 C. LANGLOIS, in Histoire des catholiques français, dir. F. LEBRUN, Toulouse, Privat, 1980, p 292-366.
28 R. RÉMOND, in Histoire de la France religieuse, op. cit., t. IV.
29 Réponse à l’enquête du Centre d’anthropologie religieuse européenne (voir note 1).
30 Lumen gentium (Constitution dogmatique sur l’Église), 68 cit. in Catéchisme de l’Église, Mame-Plon, 1992, p. 209.
Auteur
Université de Tours
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