Juifs de Carpentras sous Grégoire XI
p. 57-73
Texte intégral
1La bibliographie sur les « juifs du Pape » est considérable, on le sait, y compris sur leurs « carrières », à Carpentras notamment. Les importants articles de Léon Bardinet et d’Isidore Loeb y trouvent une place pionnière1.
2Toutefois la lecture des lettres communes des papes progressivement mises à la portée du public apporte des compléments non négligeables à nos connaissances.
3Ces lettres communes de Grégoire XI, en cours de dépouillement par Anne-Marie Hayez, ont reçu un début de publication après celles d’Urbain V (1362-1370) par l’École française de Rome sous la forme de trois volumes in-4°, 1992-1993, couvrant la première année du pontificat, soit 1371. L’ensemble constitue une mine féconde de renseignements.
4Ainsi la lettre du 7 septembre 1376 n’a jamais été utilisée à propos de la juiverie de Carpentras. C’est au cardinal Jean de Blauzac, son vicaire général, administrateur d’Avignon et du Comtat Venaissin, que Grégoire XI faisant droit aux réclamations des syndics et de la commune, demande de ramener les juifs, qui se sont installés en divers endroits de la ville, ainsi au plan Trescatorum, devenu « Tricadour », dans le quartier réservé qu’ils occupaient à l’époque de Jean XXII (1316-1334), la Fournaque, et qui pouvait être facilement fermé2. Or la constitution du ghetto est ici couramment datée de 1460-14613.
5La tolérance proverbiale des papes à l’égard des juifs fut toutefois épisodiquement ébranlée par des mesures répressives. Ainsi Jean XXII, pourtant défenseur des juifs contre la croisade des pastoureaux (1320), simultanément les expulse du Comtat. Les expulsions s’accompagnèrent de la destruction des synagogues (1316-1319 en Espagne), 20 février 1321 à Bédarrides, 27 mai 1323 à Châteauneuf-du-Pape et Carpentras4.
6La mesure de ségrégation immobilière que voulait opérer Grégoire XI par la bulle du 7 septembre 1376, Urbain V l’avait tentée pour Arles le 20 juillet 1366. Il avait été en effet signalé au pape que les juifs riches y occupaient de nombreuses et vastes maisons parmi celles des chrétiens et à proximité d’églises, auxquelles ils ne payaient pas toujours le loyer, que leur cimetière était tellement rapproché de celui des chrétiens qu’on pouvait les confondre. Urbain V ordonnait alors au sénéchal de Provence et au viguier d’y mettre bon ordre, notamment de les placer en un quartier séparé facilement clôturable et de revenir au port du signe distinctif sur les vêtements du haut5.
7Les historiens Bardinet, Loeb, H. Dubled et B. Blumenkranz se sont attachés à délimiter l’ancien et le nouveau quartier juif de Carpentras, de fixer la date de leur retour après l’expulsion ordonnée par Jean XXII et de l’autorisation de posséder une synagogue6.
8L’ancien quartier se situait donc au sud-ouest de la vieille ville, intra-muros, avec la rue de la Fournaque, nom cité par Grégoire XI, ainsi nommée de nos jours mais prolongée par l’actuelle rue Cottier selon Blumenkranz qui donne à un court tronçon débouchant de la Fournaque sur le rempart, le nom de rue Vieille Juiverie. Quant au nouveau quartier, il se situerait davantage au centre de la vieille ville, soit l’actuelle synagogue, à l’ouest et au nord de celle-ci le pourtour de l’actuel hôtel de ville, la place et la rue de la Juiverie, anciennement de la Muse, la place Tricadour (actuelle rue du Château) et son prolongement la rue Galaffe (actuelle rue Neuve), l’actuelle rue David-Guillabert se dirigeant vers l’emplacement de la porte de la Bouquerie.
9La plupart des historiens datent le retour de juifs à Carpentras de 1343 et il est vrai que le 2 janvier 1344 (nouveau style), l’évêque Hugues d’Angoulême autorisa les juifs à avoir synagogue et cimetière. Le 26 juillet 1344, sept juifs demeurant à Carpentras passèrent une convention avec le chapitre de St-Siffrein pour eux et ceux qui viendraient y élire domicile, les obligeant à payer annuellement au chapitre à la mi-août 6 deniers de bons petits tournois anciens – un retard de huit jours dans le paiement entraînant le doublement de cette « pension » –, et à l’évêque pour sa fête un demi florin d’or fin ; en contrepartie, s’ils rencontraient la croix portée en procession à travers la ville, ils ne devaient pas être agressés par les clercs de St-Siffrein, sinon le juif offensé ne paierait pas la « pension » cette année-là. Par sa lettre du 18 décembre 1345 adressée au recteur du Comtat, Clément VI lui mandait de faire en sorte que les juifs qui revenaient dans la région n’y soient pas maltraités7. Ainsi le pape consacrait-il un état de fait.
10Loeb a bien étudié l’acte qui rappelle les démarches de la communauté effectuées de 1344 à 1367. Il s’agit d’un vidimus de la Bibliothèque Inguimbertine daté du 15 février 1451. Un acte alors copié, du 5 novembre 1367, émanait de Hamon de Villa Coention, vicaire général et official de l’évêque Jean Roger de Beaufort qui était le propre frère du futur Grégoire XI : en pleine connaissance de l’autorisation accordée par l’évêque Hugues mais aussi de l’éviction de la maison que leur avait louée le notaire Bertrand Paul pour y tenir la synagogue, l’official avait fait mesurer l’emplacement de la synagogue primitive, soit 7 cannes de longueur – près de 14 mètres –, sur 4 de largeur et 4 de haut, et il accordait le permis de construire dirions-nous, sur 5 cannes de long seulement8. Ainsi tous ceux qui se sont intéressés à la synagogue de Carpentras l’ont datée de 1367, mais qui dit autorisation ne signifie pas forcément réalisation.
11C’est ce que nous apprennent les minutes du notaire Bertrand Paul précisément, qui vit en bonne intelligence avec la communauté juive, recevant en moyenne comme client un juif par jour9.
12L’acte le plus éclairant, fondamental, est la minute du 29 janvier 1374, nouveau style10. Jean du Chaylar, lieutenant du recteur du Comtat, Aymar de Poitiers, comte de Valentinois, qui n’est autre que le beau-frère de Grégoire XI, accédant à la requête des baylons, Isaac Tauros (ou Thoros) Cassin, médecin, et Crescas Tauros Cassin, rédigée le 26 janvier 1374, nouveau style, où ils exposent que le recteur leur permettait de construire la synagogue dans les dimensions indiquées ci-dessus et dans la rue de leur choix mais qu’ils ne disposaient pas de procureur ayant assez de pouvoir pour réaliser le projet, les autorise à se réunir en parlement. L’acte notarié nous vaut ainsi le recensement des quarante-trois chefs de famille, rejoints le 8 février par onze retardataires qui devaient approuver l’élection des cinq procureurs.
13Il y a dans cet acte deux points importants : l’emplacement de la future synagogue est laissé au libre choix des juifs et l’initiative de la démarche appartient à ceux-ci comme l’a relevé Gilbert Dahan en d’autres circonstances. L’affaire s’est donc déroulée dans un climat de tolérance de la part du pape qui ne pouvait ignorer les actions administratives de ses parents, mais c’est au poids social de ses baylons, procureurs ou « consuls » comme ils sont aussi appelés, que la communauté a dû sa nouvelle synagogue.
14Jusqu’alors et vraisemblablement depuis leur départ de la maison du notaire Bertrand Paul, les juifs avaient tenu leur synagogue ou « école » dans la maison des frères Crescas et Vidal Tauros Cassin, les fils du médecin et baylon Isaac. C’est donc là que s’est déroulée la séance du parlement du 29 janvier, les trente-six hommes chefs de famille trouvant place à l’intérieur, les sept femmes restant dehors. Le projet d’achat leur est exposé : une maison rue de la Muse, confrontant celle de l’archidiacre de St-Siffrein et celle d’Astruc de Canis, alias de Portali, maison louée pour un an par les vendeurs, le 13 août 1371 à Haym Vidal. Le superflu de ce qui aurait servi pour la synagogue serait transformé en habitations pour des familles juives ; le prix de 200 florins serait payé sur neuf ans ; s’y ajoutaient un cens annuel de 25 florins et le trézain de 9 florins de neuf en neuf ans, la vente à une communauté religieuse faisant tomber le bien en main-morte11. Les vendeurs, les frères Siffrein et Barthélemy Mandarenqui – le dernier n’a alors que quatorze ans mais déclare vouloir se passer de curateur –, fils d’un médecin décédé nommé Romain, ne sont pas des inconnus pour la communauté juive. Le 22 août 1370, l’aîné, âgé seulement de quinze ans, louait pour quatre ans et 16 florins sa maison rue de la Muse, à côté de celle qu’il possédait avec son frère, à Bonjues (Boniuzas) Astruc de Savasse12. Outre la location à Haym Vidal de ce qui va devenir la synagogue au loyer exorbitant de 30 florins, sans doute parce qu’il y a trois sous-locataires (stagerii, dans les garnis ?), maintenus dans les lieux avec obligation de ne faire du feu que là où il y a une cheminée, le même jour, 13 août 1371, Siffrein avait loué dans la même rue et pour un an et 14 florins une maison à Vidal Cassin.
15Au lendemain du parlement du 1er février 1374, ils donnent encore en acapte pour 100 florins payables à la mi-août, leur maison et partie de jardin en alleu, à côté de celle que la communauté acquiert le jour-même, près de celle que tient d’eux Vidal Davin et de celle des héritiers du Florentin Sandro Lappi ; l’acquéreur, Macip Astruc de Monteux, considéré alors comme habitant Mornas, devra lui-aussi garder jusqu’à la mi-août des locataires (stagium stageriorum) qui lui paieront ensemble 7 florins. Aussitôt l’acquéreur procède à un échange avec Vidal Davin pour obtenir une chambre au-dessus de la porte. Dès le 26 juillet d’ailleurs, il paie le montant du prix aux vendeurs, anticipant le terme fixé13.
16Le 28 septembre 1375, Macip Astruc, associé aux vendeurs, passe une convention avec la communauté représentée par ses procureurs, maître Isaac Tauros, le médecin, et Caracausa Bonafos, ainsi que par Salomon de Noves, Crescas Tauros Cassin, Bonjues Durand, Vidal Joseph Cassin et Crescas de Narbonne, qualifiés d’« ouvriers » de la synagogue : pour donner plus d’espace à la synagogue qui va être construite (aedificanda) dans le jardin, un mur y sera construit, laissant le puits du côté de Macip Astruc. Quelques clauses s’appliquent à l’écoulement des eaux, au percement de fenêtres dans ce nouveau mur14.
17Or, le 14 mai 1376, alors que la synagogue a été construite, Macip Astruc maintenant considéré comme habitant Carpentras et devenu baylon, estime que la convention n’a pas été respectée : l’aiguier ou coacum qui lui est indispensable lorsqu’il fait curer son puits et que les eaux doivent s’écouler, a été bouché. Les deux autres baylons, ses adversaires, Jacob Taman et Durant de Bédarrides, objectant qu’ils ne peuvent ouvrir l’aiguier en raison de la convention passée sur la construction avec le cardinal Pierre de Monteruc, dit le cardinal de Pampelune. La collation par Innocent VI le 25 septembre 1355 d’un canonicat ave prébende et de l’archidiaconat de St-Siffrein au futur cardinal Pierre explique les intérêts du prélat sur la place. Il y eut au moins un procureur en la personne du notaire Pierre Maurenqui qui, vers 1373, achetait pour lui une « tine » à un fustier de Saint-Saturnin-lès-Apt. Toutefois pour le vice-chancelier de l’Église comme pour l’évêque et le recteur, frère et beau-frère du pape Grégoire XI, il parait évident que leur résidence était à Avignon et non à Carpentras. Les trois examinateurs jurés de la ville firent droit au plaignant et condamnèrent la communauté à rouvrir le coacum dans les quinze jours sous peine de 10 sous à payer à la cour majeure du Comtat15.
18Le 7 janvier 1379, les auditeurs juifs des comptes des baylons de Carpentras et du Comtat donnaient quitus à ceux-ci dans la synagogue16.
19Ainsi la nouvelle synagogue fut-elle construite durant l’automne-hiver 1375 et/ou le printemps 1376.
20Si la minute du 29 janvier 1374 est importante comme point de départ de la construction, elle n’est pas moins intéressante pour la liste des cinquante-quatre chefs de famille, hommes et femmes, énumérés en deux fois. Je ne connais pour Carpentras de telles listes qu’aux années 1276 (soixante-quatre noms), 1343 (douze noms)17. De ces juifs de 1374, une vingtaine pourraient faire l’objet d’une notice même fragmentaire, à l’aide des minutes contemporaines. Cela dépassant le cadre de cette étude, je dois me limiter à celles des principaux acteurs de la construction de la synagogue et même à leurs seules opérations immobilières.
21Le principal artisan en fut maître Isaac Tauros Cassin, baylon et procureur, ainsi que son fils Crescas lors de la demande d’autorisation ; réélu procureur parmi les cinq pour mener à bien l’affaire, il règle comme tel les problèmes avec les vendeurs du jardin, les frères Mandarenqui. Médecin, il reçoit d’un patient de Modène 5 florins pour le soigner lui et sa femme durant la quinzaine précédant Pâques 137018… Il est propriétaire de plusieurs maisons (hospitia), au moins deux au bourg St-Jean ; celui du plan Trescatorum lui vient d’un partage avec la fille du notaire Jean Sarrazin ; mais une dissension avec son épouse Druda lorsqu’il change de domicile, l’amène à hypothéquer l’un d’eux sur le conseil de deux amis des époux dont le notaire Falco Jordani. En effet, son épouse, fille du médecin avignonnais Crescas de Saint-Thibéry – le contrat de mariage semble remonter au 13 février 1357 –, lui réclame le montant de sa dot : 210 florins, et sa belle-mère entre autres revendications 83 pièces de livres hébraïques en papier19.
22En août 1370, un jeune néophyte de dix-huit ans, fils d’un Orangeois, renonçait en sa faveur à ce qu’il pouvait prétendre sur les biens de sa mère en raison des services qu’Isaac lui avait rendus. C’est aussi aux procurations qu’il reçoit, à sa désignation comme arbitre dans un procès opposant un coreligionnaire à sa femme (1372) que l’on peut mesurer le prestige dont il jouissait20.
23Isaac semble disparaître avant février 1378, date à laquelle ses fils procèdent au partage de la maison de la rue de la Muse avant de liquider entre eux la succession le 4 février 137921. Nous avons vu les deux fils d’Isaac mettre leur maison de la rue de la Muse à la disposition de la communauté pour y établir la synagogue provisoire. Etant aussi baylon et procureur, Crescas Tauros Cassin accompagne son père dans la démarche de demande de la synagogue.
24En mars 1371, il a pris en location pour quatre ans du notaire Falco Jordani une boutique au plan Trescorum, rue de la Muse, moyennant 12 florins et demi par an. En novembre 1375, créancier d’un boucher pour 15 florins, il en récupère une partie auprès des exécuteurs testamentaires qui lui cèdent pendant deux ans les profits d’une boutique portail de la Bouquerie.
25Par le partage de succession cité ci-dessus, nous connaissons le prénom de l’épouse de Crescas, Manchozette, alors que celle de son frère, Vidal, s’appelait Reginette22.
26Vidal Tauros Cassin paraît sur la courte période que j’étudie, vivre dans le sillage de son frère. La dot de 280 florins qu’il procure à sa fille Astrugie en la mariant en octobre 1378 à Bonjues (Boniuzas) Salomon de Marseille, fils d’un médecin valétudinaire, habitant tous les deux Tarascon, fait constater l’enrichissement d’une génération à l’autre ; toutefois lors du partage de succession avec son frère au début de l’année suivante, il est précisé que la dette de 140 florins dont il restait redevable pour cette dot, lui était personnelle23.
27Durant de Bédarrides se livrait volontiers à la prise en charge de pensionnaires, au pair en quelque sorte : un premier Carpentrassien, dont le contrat d’hébergement doit commencer pour un an le 15 août 1378, pourra observer les fêtes religieuses comme un travailleur (laborator) chrétien doit le faire, mais pourra travailler ou se louer les jours de sabbat ; il se verra remettre chaussures, chemise, braies et une tunique d’étoffe grossière moyennant 10 florins ; initié le 7 mai, ce contrat est dénoncé dès le 22 juillet dans la mesure où le chrétien dispose d’un salaire et surtout sans doute du prêt que lui a consenti la femme de Durant ; il en sort débiteur de 13 florins. Le second Carpentrassien convient avec Durant de demeurer chez lui de début novembre à la Pentecôte (15 mai 1379) une semaine sur deux en travaillant pour lui, étant nourri, moyennant 3 florins, y compris les jours de fêtes chrétiennes ; il compensera le repos du sabbat en travaillant le lundi ou le mardi24.
28Sautel de Tournon donnait quittance de la dot de sa femme, Borgezie, fille de Vidal Bonfils de Beaucaire, juif d’Avignon, en octobre 1375 : 310 florins, ce qui constitue l’une des plus fortes dots rencontrées dans la période ; il fut amené à en rendre compte en juin 1378. Il habitait la maison de Guillaume Trimond, y tenant un dépôt de blé pour un juge, Jean de Cario, originaire du diocèse de Pavie, riche propriétaire avignonnais, dépôt en fait réparti en trois locaux dont il détenait les clefs, notamment chez son coreligionnaire, Guers, vraisemblablement Isaac Crescas de Carpentras, alias Guers de Balma (juin 1378)25.
29Le seul testament rencontré à travers ces minutes notariales est celui de Salomon Davin (parfois dit d’Étoile) ; nous le retrouverons à propos des occupations d’immeubles. Par son testament du 9 août 1376, Salomon demande à être enterré dans la partie neuve du cimetière, au quartier de Fontrouse (Fruresam), si les autorités y consentent ; 3 florins contribueront d’ailleurs à l’agrandir ; l’école hébraïque recevra pour son luminaire 1 florin, les baylons de l’aumône de quoi assurer 25 florins de revenus permettant de distribuer aux pauvres juifs, au début et à la fin de la Pâque juive une partie en vin et l’autre en pain fermenté ; il lègue en outre 6 deniers à chaque pauvre, 5 et 1 florins à deux filles à marier, des vêtements à deux autres femmes. Mais le 25 mai 1378, Salomon casse son testament y compris l’institution d’héritier mais maintient en faveur de son épouse, Fessa, le legs de 130 florins26.
30Après cette digression sur les circonstances de la construction de la synagogue et sur la notoriété de ses réalisateurs, nous voici revenus au point de départ ; la mesure de Grégoire XI du 7 septembre 1376 sur l’habitat juif dans le sens d’une ségrégation fut-elle appliquée ? Mis à part les articles cités de Bardinet et de Loeb, la microtopographie de Carpentras au moyen âge reste à établir.
31Aucune opération immobilière sur la rue de la Fournaque où les juifs auraient donc été facilement renfermés selon le mandement pontifical, n’a été relevée. Bien plus, c’est le maître des écoles chrétiennes, Etienne Jausandi, qui y loue pour un an une maison en août 1372 (23 florins de loyer)27.
32Dans ces opérations réalisées vers 1368-1378 interviennent quatorze juifs auprès de sept vendeurs ou bailleurs chrétiens. Encore ceux-ci appartiennent-ils à quelques familles seulement. Les de Plana viennent d’Asti ; ils sont drapiers. André qui a épousé Agnès de Riciis également d’Asti, a un fils, Guillaume, d’abord clerc vraisemblablement, qu’il émancipe en avril 1370 avant de le marier huit ans plus tard à Élisabeth de Barateriis, de Plaisance, dotée de 2200 florins (!), mariage à l’occasion duquel André donne à son fils ses biens de Bédoin en veillant à rester dans les limites des 500 aurei ou sous légaux en matière de donation sans avoir à recourir à une décision de justice. Ami de Jean de Cario, important juriste avignonnais mentionné ci-dessus, il s’empresse de constituer des procureurs en janvier 1379 pour réclamer sa créance de 700 florins auprès des exécuteurs de la succession du cardinal Gilles Aycelin de Montaigu décédé l’année précédente.
33Les frères Siffrein, Odet et Raphaël ; sont plutôt ses neveux ou cousins, étant fils de Barthélemy et de Florimonde. Le premier a acheté la ferme du vingtain des draps sur les trois ateliers de la ville, dont le sien, pour 200 florins (août 1370). Il procède à une division de biens patrimoniaux avec son jeune frère Odet, comprenant la grande maison tenue de la femme de Vincent Ser Lotti, Florentin (octobre 1370) ; Odet qui, lui-même âgé de dix-huit ans, échange des maisons avec Raphaël qui reçoit une maison à Carpentras contre une autre à Asti (février 1371). Les différentes maisons qu’ils possèdent sont toutes situées in Aurivellaria ou rue Aurivellarie, soit de l’Orfévrerie. Pierre Galaffe dont la maison est proche, a laissé son le nom à la rue citée par Bardinet et dénommée aujourd’hui selon l’abbé Ameye « rue Neuve ». André fait exécuter dans sa maison sise dans cette rue pour 80 florins de travaux (février 1373). Dans le cadastre de 1414, le « bourg » de Bermond de Plana, qui comprend trois maisons juives sur huit, payant le cens à Bermond, se trouvait la maison des héritiers de Galaffe. C’est dans cette rue et quartier que les de Plana donnent en location des maisons à Durant de Lunel (janvier 1368), à Salomon Davin (avril 1372). Raphaël entre en conflit avec Isaac de Bédarrides, rue de la Muse, qui a ouvert des fenêtres dans un mur lui appartenant (novembre 1372) ; en mars 1375 (compte-rendu d’estimation en novembre 1379), c’est au tour de Siffrein d’être en procès avec Salomon Davin qui a acheté une maison à André (juillet 1374). Bonnefille de Carcassonne se voit confirmer en février 1373 son achat d’août 1371 auprès d’André, avec révision du cens à la hausse (passé de 7 à 10 florins, ce qui pour ce dernier représente le prix d’achat).
34En 1377, Salomon de Carcassonne achète la moitié d’une « androne » voisine d’André de Plana pour 10 florins à Guillaume Magistri, d’Orange. C’est encore à André que doit le cens de 8 florins Bonisac Dorsini acquéreur en juillet 1378 d’une maison aux exécuteurs testamentaires du même Magistri (50 florins). C’est alors qu’un conflit éclate entre Bonisac et les frères Astruc et Salomon de Carcassonne à propos d’un mur mitoyen qui menace de s’écrouler sur la rue ; les trois estimateurs imposent la réparation à Bonisac dans la mesure où ses voisins ne prennent pas appui sur le mur et lui recommandent de garder la note de frais si l’état des lieux était modifié et qu’alors les frères devaient lui en payer la moitié28.
35Si le prix moyen d’une maison est ici de 10 florins, les contrats de location souvent passés pour quatre ans pouvaient s’élever à 10 ou 12 florins par an.
36Avec Jean Ralherii, autre drapier, originaire de Pignerol, nous quittons la rue de l’Orfévrerie pour le plan Trescatorum ou Trescorum, devenu en provençal « Tricadour » et que l’abbé Ameye, après Frédéric Mistral, propose de traduire par « tricheur ». L’endroit est proche de la rue de la Muse et davantage centre d’affaires à en juger par les transactions suivantes qui concernent des boutiques et des maisons de notaires. C’est de là que par sa mesure de septembre 1376 Grégoire XI voudrait écarter les juifs. Jean retient Durant de Lunel et sa femme pour y gérer sa boutique de toiles et avance le capital de 205 florins (1367). Il est locataire de la boutique que Pons Bermond donne à acapte en février 1370 pour 100 florins à Mossé de Marseille, juif de Vaison. C’est au plan Trescatorum que le notaire Falco Jordani loue pour quatre ans à 12 florins et demi par an une boutique proche de celle de Haym Vidal et d’une autre sienne à Crescas Cassin Tauros, qui a déjà là une maison qu’il tient de Réparate, fille du notaire décédé Jean Sarrazin. Réparate a d’ailleurs partagé l’hôtel avec Haym Vidal et donne à acapte la partie qui lui revient à Boniuza Astruc de Savasse (janvier 1379). Non loin de là, Nerio « Bonsenhor » (disons Bonsignori), Florentin, avait pris en arrentement pour 5 ans et 26 florins par an une maison de Guillaume de Poitiers (Pictavis) août 137829.
37Les frères Mandarenqui nous sont apparus comme les principaux partenaires de la reconstruction de la synagogue en cédant maison et jardin rue de la Muse et j’ai exposé plus haut les conditions des deux ventes. Ils sont peu mentionnés en dehors de ces transactions. Dans le conflit qui l’oppose aux baylons en mai 1376, Macip Astruc, devenu leur voisin pour la synagogue, produit comme témoin Siffrein Mandarenqui, qui reste alors leur « seigneur direct » ou propriétaire foncier éminent en raison du cens. Lors de la taille de 1380, Siffrein est imposé pour 2 livres après révision à la hausse du montant initial de 1 l. 17 s. 6 d. Barthélemy est témoin ainsi que quatre chrétiens pour le partage cité entre les frères Tauros Cassin en janvier 137930.
38Outre la rue de l’Orfèvrerie, c’est bien sûr cette précédente rue de la Muse appelée aussi de la Juiverie, qui renfermait le plus grand nombre de maisons juives citées comme confronts dans les transactions précédentes.
39Dans les actes notariés apparaissent quelques autres dénominations : le bourg St-Jean (aujourd’hui place du Dr Cavaillon), où le médecin Isaac Tauros posséda au moins deux maisons, où Moïse de Roquemartine fut en litige avec son voisin le notaire Falco Jordani ; non loin de là, le portail de la Bouquerie, connu pour les boutiques de Jacques Barthélemy, celle qu’il loue pour un an à Sautellet de Tournon (4 florins en 1373) et celle que le boucher Antoine Raynaud lui avait achetée ; la rue « Canonegue », où Estes, femme d’Astruc Cassin, juif de Mornas, possédait deux maisons, ayant acquis l’une d’elles en mars 1371 d’un prêtre bénéficier de la cathédrale, pour 200 florins payables en quatre termes (le dernier solde fut payé en avril 1373), le cens de 4 florins étant dû aux dominicaines de Ste-Praxède d’Avignon ; devenue veuve, Estes y fit faire par un plâtrier (giperius), qui dut réparer aussi les poutres de la toiture, pour 35 florins de travaux (juin 1372). Reste à citer le marché aux bœufs, où le notaire Falco Jordani louait en voisin pour un an à Jacob de Tarascon une boutique avec habitation pour le prix de 14 florins (août 1372), marché associé aux anciens fossés et remparts, à la rue des Barroux (famille) mais aussi au portail de la Font du coustel (pilori) et au-delà vraisemblablement, c’est le bourg neuf où se trouvait la triperie31.
40La reconstitution de la trame des rues est fort difficile, voire impossible. La quantité et le regroupement des dénominations apparaît le mieux dans un recueil d’analyses d’actes notariés concernant la directe ou censive de l’évêque vers 1372, 1385-1400. Le cahier de la taille de 1380 répartit la ville en sept capitaineries désignées chacune par le ou les capitaines se trouvant à leur tête. Celui de la taille de 1400 comprend quelques noms de rues et plus souvent des noms de propriétaires. Quant au cadastre de 1414, hors territoire rural, il présente quarante-six « bourgs », parfois si petits qu’ils ne comprennent que deux maisons, ce sont des « îles » désignées par un propriétaire qui n’y habite pas toujours ; les noms de rues sont fort rares. Il m’est impossible actuellement de superposer ces quatre documents32.
41Dans les reconnaissances de propriétaires payant un cens à l’évêque, les appellations appliquées à une rue sont diverses (alias). L’une de celles le plus souvent citées est la rue des Guigues (Guigonorum) : elle a la particularité d’abriter les principales institutions ecclésiastiques, la rectorie, l’évêché et le four de l’évêque, la prévôté, la sacristie (c’est-à-dire la maison du sacriste de la cathédrale), l’archidiaconé ! Et cette rue peut être dite in speciaria, rue de l’Epicerie, près de l’ancien rempart (celui antérieur au XIVe siècle), (alias ou près de) la traverse du Septier, la rue de Mazan et même Fournaque, mais surtout pour ce qui nous intéresse, quoique assez rarement, in Aurivellaria, rue de l’Orfèvrerie, où nous avons trouvé les juifs aussi nombreux que rue de la Muse. Les deux rues devaient être bien proches l’une de l’autre pour avoir en commun le voisinage de l’archidiaconé jouxtant la synagogue. J’incline à situer cette rue de l’Orfèvrerie, en tenant compte de la proximité de la porte de Mazan, là où passait la rue de l’Eau pendante devenue rue Vigne. L’on peut alors être étonné de l’éloignement de la cathédrale pour l’évêché et quelques maisons de dignitaires du chapitre. La rue de la Fournaque ou de la « vieille juiverie » est bien plus au sud.
42Lors de la taille de 1400, sont imposés au plan Trescatorum dix-sept propriétaires chrétiens, entre 6 sous et 24 livres (environ 480 sous !), ce dernier impôt frappant Audoin de Plana – non rattaché au reste de la famille –. La communauté des juifs non localisée, est alors taxée pour 90 livres.
43Il faut attendre le cadastre de 1414 qui indique les valeurs locatives, pour retrouver leurs maisons. Dans le « bourg » de Guillaume Rolland que l’on peut assimiler à la juiverie et même en partie au plan Trescatorum : six maisons sur douze sont à des juifs, dont la maison de la communauté estimée 19 florins, qui sert aux dominicains 25 florins de cens – valeur et surtout cens sont ici élevés –, Astruc Vinas associé aux héritiers de maître Bonet Astruc de Mazan, paie le cens au corps des anniversaires de St-Siffrein, maître Bondavit Avidor, Ismaël Bonafos d’Orange, Durant de Cadenet, en trois maisons, le paient à Jacques Paul, fils ou proche parent du notaire Bertrand Paul. Dans le « bourg » de Guillaume Nalis, cinq maisons sur onze sont juives : Joseph (« Juffet ») de Noves paie le cens pour une maison à Bermond de Plana, pour l’autre à Pierre Rolland, Astruc de Nîmes 8 sous à l’évêché, Mosson de Cadenet 10 florins aux clunisiens de St-Martial d’Avignon, Crescas (« Cresquet ») d’Arles en partie à Jean Hugues et en partie à Siffrein Yzon, un épicier de la rue des Guigues qui compte parmi les plus riches propriétaires. Dans le « bourg » de Bermond de Plana, seules trois maisons sur huit sont juives : Astruc de Carcassonne, Druda, veuve de Boniac de Orsino (ailleurs Dorsini) et Régine Calhe (ou Talhe, mais est-elle bien juive ?), tous à Bermond de Plana ; la mention de Bonisac (ou Boniac) Dorsini nous ramènerait ici à la rue de l’Orfèvrerie (Aurivellaria). C’est ainsi douze propriétaires juifs qui sont nommés en 1414, sans compter les nombreux détenteurs de vignes, ce qui ne contraste guère avec la quinzaine de propriétaires de maisons rencontrés une quarantaine d’années plus tôt33.
44Ainsi, même si deux transactions seulement ont été relevées après la mesure édictée par Grégoire XI : achat par Salomon de Carcassonne de la moitié d’une « androne » en 1377 et par Bonisac Dorsini en juillet 1378 dans la même rue de l’Orfèvrerie, les effets en paraissent nuls.
45Riches drapiers italiens et notaires avaient vendu et loué des immeubles au plus près de leurs maisons, ce qui inévitablement pouvait amener des litiges ; le clergé ne restait pas étranger à ces opérations et lorsque l’existence du cens le requérait, évêque, abbé avaient investi les juifs dans leurs biens, parfois proches de leurs demeures.
46Des intérêts lucratifs entraient sûrement en jeu mais les deux communautés vivaient alors une coexistence pacifique que pouvaient temporairement altérer des sanctions et pénalités résultant notamment de retards dans le paiement des services34.
47Sans rivaliser probablement avec la Cordoue idyllique du Xe siècle, Carpentras en cette fin du XIVe siècle permettait aux juifs de jouir de la capacité financière et du droit de propriété, soit d’une situation meilleure que celle de leurs coreligionnaires d’Avignon, situation qui ne laissait guère présager les graves événements de juin 145935.
Pièce justificative
48Liste des juifs présents au parlement du 29 janvier 1374, d’après le registre notarié 3E 26/48, fol. 130 et suiv. (traduction et uniformisation relative des noms)
49Regine d’Avignon, Dieulosal d’Avignon, Rotino Samuel, Bonnefille de Roquemartine
50Macip Macip de Lunel, Mandine de Lunel, maître Isaac Tauros, Salomon Davin
51Caracausa Bonaffos, Durant de Lunel, Salamita Vidas de Lunel, Mosse de S. Gervasio, Astruc de Lunel, Salves Caracausa, Salomon et Astruc de Carcassonne
52Salomon de Noves, Mandine d’Anduze, Vivonet, fils de Jacob de Tarascon
53Crescon de Narbonne, Manassès de Valréas, Ferratren de Valabrègues
54Haym Vidal, Astruc de Portali, Falconeta, veuve de Bendich Bonafos de Portali
55Jacob Taman, Bonania de Valence, Durant de Carpentras, Isaac de Carpentras
56Bonella, veuve de Mardochée, Vidal Davin, Padeto Comprat
57Jacob Durant, fils d’Astruc de Cavaillon, Vidal Joseph Cassin, Salomon Guers de Tournon
58Vidal Cohen, Bonuzon de Savasse, Crescon et Vidal Thoros Cassin
59Cregudet de Mende, Sautel de Tournon, Vidal Abraham, Astruga, veuve de Saragot.
Liste complémentaire du 8 février suivant
60Astruc de Valabrègues, Maymonet de Lunel, Jacob de Tarascon, Jufet de Lunel
61Isaac de Bédarrides, Durant de Bédarrides, maître Crescas Bondavin, Salvet Levi
62Vidal de Carcassonne, Petite, veuve de Bellant et Macip Cohen.
Notes de bas de page
1 L. BARDINET, « Antiquité et organisation des juiveries du Comtat Venaissin », dans Revue des études juives, 1880, p. 262-292 ; I. LOEB, ibidem, 12, 1886, p. 34-64. Un aperçu sur la juiverie d’Avignon est donné par A.-M. Hayez, « La paroisse St-Pierre au temps des papes d’Avignon », dans Annuaire de la Société des amis du Palais des Papes, LXXVI, 1999, p. 26-28.
2 La lettre est enregistrée dans le registre des Archives Vaticanes coté reg. Vatican 288, f° 257. Elle est analysée par S. SIMONSOHN, The Apostolic See and the Jews, Toronto, Pontifical Institute of medieval studies, 8 vol. , 1988-1991, ici tome I, n° 435.
3 J.-J. EXPILLY, Dictionnaire géographique, historique et politique des Gaules et de la France, I (1764), p. 106. Recueil de divers titres…, Carpentras, Quenin, 1783, p. LXIV-LXVI, recueil relié à la Bibliothèque Inguimbertine à la suite du Bullarium privilegiorum Comitatus, même éditeur, 1780. R. MOULINAS, Les Juifs du pape, Avignon et Comtat Venaissin, Paris, Albin Michel, 1992, p. 45, rappelle les démarches successives et contradictoires des représentants de la ville et de ceux de la communauté juive de janvier 1459 à juin 1461.
4 G. DAHAN, Les intellectuels chrétiens et les juifs au Moyen Âge, Paris, Cerf, 1990, p. 140-141, n° 24. S. SIMONSOHN, copieux régeste des actes pontificaux, indique pour les années 1323, 1326, 1345, 1354, l’existence de la chapelle Ste-Marie reconstruite à Carpentras sur l’emplacement de la synagogue et desservie par trois chapelains, t. I, n° 322-323, 334, 367, 377). V. THEIS, Les lieux du pouvoir pontifical (1309-1352), DEA dirigé par J. Chiffoleau, Lyon II Université Louis Lumière, présente l’expulsion de 1322 comme l’antidote à l’installation du pouvoir pontifical à Carpentras, en quelque sorte pour apaiser l’opinion publique, autant que le mobile religieux (p. 61-63).
5 S. SIMONSOHN, I, n° 406. Lettres secrètes et curiales… France, n° 1889.
6 L. BARDINET, art. cit. ; I. LOEB, art. cit. ; H. DUBLED, « Carpentras au XIVe siècle », dans Actes du congrès international Francesco Petrarca, Avignon, impr. Aubanel, 1974, p. 228-231. Dans Dubled, corriger p. 230, « Clément VI » en « Urbain V » et « 1343 » en « 1323 ». B. BLUMENKRANZ, Art et archéologie des juifs en France médiévale, Toulouse, Privat, 1980, p. 320-323, trace un plan des deux quartiers.
7 Acte reçu par le notaire François Arbrion le 26 juillet 1344, en copie XVe siècle dans le recueil coté 3 G 41 f. 227-229 ; Clément VI, Lettres closes. France, n° 2214, citée par G. DAHAN, ouvr. cité, p. 155.
8 I. LOEB, p. 50-53, d’après le manuscrit 560, qui constitue une partie du chartrier de l’évêque, pièce 24. V. THEIS, DEA cité, p. 65-67, indique d’après le registre Collect. 261 des Archives Vaticanes, les dimensions de la chapelle construite sur l’emplacement de la synagogue, globalement de 4 cannes sur 9, soit juste un peu supérieures à celles de la future synagogue autorisée en 1344 ; elle donne l’édition du compte de construction en annexe 1, p. 76-79.
9 Les minutes des notaires de Carpentras sont conservées dans cette ville, à l’annexe des Archives départementales (palais de justice). À côté de celles de Pierre Teinturier et de Jacques de Gramavilla presque entièrement perdues, celles de Bertrand Paul sont abondantes et représentées par huit registres d’« étendues », cotés 3E26/42-49, que j’ai dépouillées, et par neuf de brèves, dont j’ai consulté les registres 34-35, 38bis et 39. Les registres d’étendues renferment les actes les plus importants mais en désordre chronologique, les brèves ayant l’avantage de suivre par année le calendrier de l’activité du notaire. Si l’on considère les citations par Bertrand Paul d’actes reçus par ses confrères, l’on dénombrerait environ une trentaine de notaires exerçant ainsi vers 1360-1378.
10 Reg. d’étendues 48, f° 130 et suiv. Selon l’usage de cette époque, le style chronologique adopté par les notaires du Comtat est celui de l’Annonciation, c’est-à-dire que l’on attend le 25 mars pour avancer le millésime d’une unité. L’on notera la formule du notaire à la place de l’invocation chrétienne, ici adaptée à la communauté juive : viam pro salute agnoscere veritatis, « reconnaître pour le salut le chemin de la vérité », ou encore : In illius nomine qui legem Moysi non venit destruere sed penitus adimplere, amen (reg. 42, f° 147).
11 Le cens traduit la reconnaissance légale d’un propriétaire supérieur éminent ou « direct » ; le trézain couramment appelé « lods et trézain », soit le droit de mutation payé au moment de l’investiture de l’acquéreur, paraît ici faible car il était couramment du huitième du prix de vente. Le terme d’alleu dans la transaction voisine indique par contre la franche propriété.
12 Reg. 3E26/34, f° 112 v.
13 Reg. 3E26/48, f° 46, 49.
14 De même que dans les chapitres de chanoines, l’un d’eux porte le titre d’« ouvrier » parce qu’il est responsable de l’entretien des bâtiments ou des constructions, il en est certainement de même ici pour ces juifs « ouvriers ». Reg. 48, f° 64.
15 Reg. 49, f° 65 pour l’expertise. Nous ignorons tout, hélas !, de cette convention avec le cardinal de Monteruc. Peut-être était-elle d’autant plus motivée que la synagogue avait pour voisin l’archidiacre de St-Siffrein. Le cardinal Pierre de Monteruc avait été « créé » par Innocent VI, son oncle, en 1356 ; vice-chancelier de l’Église depuis 1361, il mourut en 1385. La bulle de collation de l’archidiaconat se trouve dans le registre Avignon 129, f° 199, aux Archives Vaticanes ; l’achat par son procureur dans le registre notarié 53, f° 52. Je remercie mon confrère Pierre Jugie de m’avoir signalé l’existence de la lettre d’Innocent VI. Le cardinal garda-t-il jusqu’à sa mort cet archidiaconat ? L’on peut vraisemblablement répondre par l’affirmative lorsque l’on voit conférer le 7 octobre 1385 son autre archidiaconat de Hesbaye, au diocèse de Liège, qu’il avait reçu de son oncle six mois avant celui de Carpentras et devenu vacant par sa mort (H. NELIS, Documents relatifs au Grand Schisme, III, Suppliques et lettres de Clément VII, Institut belge de Rome, 1934, p. 216 : la mention du cardinal Martin de Zalva est à corriger en Pierre de Monteruc).
16 Reg. 48, f° 65 v.
17 Voir pièce justificative. I. LOEB, p. 41-42 (1276) et 49 (1343). Dans la convention du 26 juillet 1344 que je cite, les noms de Salvet de Bagnols, Durant de Séguret, Salvet de Cavaillon apparaissent dans la liste publiée par Loeb ; s’y ajoutent ceux de Vinon de Rega, Vinas Cohen, Crescas de Carlat et Astruc de Tournon.
18 Reg. 34, f°3 v.
19 Reg. 34, f° 20, 124, 129 v ; 35, passim ; 47, f° 41 v, ; 48, f° 89 ; 53, f° 1. LOEB, p. 56, cite Druda pour un siège à la synagogue qui lui avait autrefois appartenu.
20 Reg. 34, 124 ; 35, 144 v, 222 v.
21 Reg. 39, f° 194 v-196 v. La mention d’un maître Isaac Tauros nommé auditeur des comptes pour les juifs de Carpentras en janvier 1379 et pour un acte reçu dans sa maison vers la même date, s’appliquerait à un homonyme (reg. 39, f° 198 v et 207v).
22 Reg. 34, f° 288 ; 35, passim ; 39, passim (« prêts ») et 198 v ; 49, 62. Le manque de place ne me permet pas de rapporter ici la fréquence des recours annuels à tel ou tel juif pour un prêt. Il ne s’agissait d’ailleurs pas d’une étude quantitative des prêts, comparable à celle qu’a fournie C. CASTELLANI, « Le rôle économique… début XVe siècle / 1396-1418/ », dans Annales, 1972, p. 583-611.
23 Reg. 39, f° 124, 194 v-196 v.
24 Reg. 35 passim et f° 105 v, 144 v ; 39, f° 36 v, 76 v, 114 v, 142, 145 v ; 47, dernier fol. mutilé ; 50 passim.
25 Reg. 39, f° 49 v, 50, 114 v ; 47, f° 89. A.-M. HAYEZ, Le terrier avignonnais de l’évêque Anglic Grimoard (1366-1368), Paris, Comité des travaux historiques, 1993, p. 282, cite une vigne au terroir d’Avignon possédée par Vidal Bonfils. ; sur J. de CARIO, ibidem, p. 37-38. Danièle Iancu, sur la période 1460 à 1500 à Aix-en-Provence, relève les montants extrêmes des dots, de 661 à 40 florins (D. et C. IANCU, Les Juifs du Midi, Avignon, Barthélemy, 1995, p. 64. En février 1386 n. st., Guillaume Trimond reconnaissait tenir de l’évêque rue des Guigues alias in Plano, plusieurs maisons dont une grande, voisine de la rectorie et au nom de son fils légitime Barthélemy une autre, même rue, près de la maison du juif Isaac de Carpentras alias Guez, et du marché aux bœufs ou anciens fossés.
26 Reg. 35 passim ; 38 bis, f° 170 ; I. LOEB, ouvr. cité, p. 53, identifierait volontiers Salomon de Noves avec Salomon Davin, qui est baylon en 1385. B. BLUMENKRANZ dir., ouvr. cité, p. 323.
27 Reg. 35, f° 107.
28 Reg. 34, f° 106, 144 v, 176 v, 286 ; 35, f° 19, 275 v ; 39, f° 22 v, 69 v, 77 v, 209 v ; 47, f° 22, 100, 191 ; 50, f° 243 v. AD C 87 (cadastre de 1414), f° 33 v. Il serait hasardeux de déduire que la rue de l’Orfèvrerie puisse représenter la rue Dorée. Pour l’abbé Ameye, En flânant… Rues et places de Carpentras, Carpentras, impr. Batailler, 1966, p. 120-121, le nom de rue Dorée, aujourd’hui Moricelly, viendrait de la famille Doria qui y possédait au XVIe siècle un hôtel parmi d’autres fort aristocratiques ; p. 125 : rue Neuve, à l’emplacement de la rue de Galaffe. Lors de la taille de 1380, André était fortement imposé pour 8 livres 6 sous 8 deniers, alors que Siffrein ne l’était que pour 3 l. 15 s. Vers 1385, sont citées les chapellenies fondées à St-Siffrein par Barthélemy et André (3 G 160, f° 20 v, 30 ; AC Carpentras (Bibl. Inguimbertine) CC 23).
29 Dans la taille de 1380, Jean Ralherii fut imposé pour 6 livres 5 sous, boutique comprise. Lui-même (ou un fils ?, un homonyme ?), drapier, s’installa à Avignon, étant cité en 1396 (notes d’A.-M. Hayez) et ses héritiers dans le cadastre de 1414 (f°30 v) sont cités pour une maison dont la valeur locative est de 12 florins. Reg. 34, f° 288 ; 39, f° 83 v ; 45, f° 93 v ; 47, f° 41 v ; 48, f° 51 v. Article CC 23 déjà cité, f° 33.
30 Reg. 34, f°112 v ; 35, f°100 v, 101 v ; 39, f°194 v ; 48, 46, 130 et suiv. ; 49, f°65.
31 Reg. 35, f° 67 v, 104 ; 36, f° 23 ; 48, f° 56 v ; 49, f° 62. La rue de la Bouquerie étant identifiée ave la rue David-Guillabert par l’abbé Ameye (p. 73), c’est aux abords de l’église de l’Observance qu’il faudrait rechercher le portail du même nom. Quant à la rue « Canonegue » ou de la Canourgue, le même auteur (p. 101) l’identifie avec la rue d’Inguimbert.
32 3 G 160 : directe de l’évêque. L’article CC 23 des Archives municipales (Bibl. Inguimbertine) contient notamment ces deux cahiers de taille. Le cadastre de 1414 conservé dans ces mêmes archives, CC 3, représente deux grosses liasses de cahiers dans l’ordre alphabétique (prénoms) des propriétaires ; le registre C 87, seconde foliotation, qui présente quelques variantes, composé par « bourgs », est plus facilement consultable.
33 Cadastre de 1414 : C 87, f° 30 v, 32 v, 33 v. Sur l’épicier Siffrein Yzon, cf. M.ZERNER, Le cadastre, le pouvoir et la terre…, Rome, École française, 1993, à l’index, p. 689 ; sur Audoin de Plana, p. 550. L’Auteur (p. 531, n° 1) ne compte que quatre juifs propriétaires de maisons pour une communauté d’environ trente-cinq.
34 L’on apprend qu’en 1394, les juifs avaient été « excommuniés », c’est-à-dire interdits de relations avec les chrétiens, à la demande du procureur de l’évêque, en raison du non-paiement du service de literies (lecta) pour l’hôtel épiscopal. Un paiement effectué par Salomon de Noves pour la période probable du 1er janvier (? début de l’année) au 24 juillet 1392 s’élevait à 190 florins (3 G 160, f° 130 v). Pareil service de literie existait à la charge des juifs en faveur de l’archevêque d’Arles (100 sous ; D. et C. IANCU, ouvr. cité, p. 45, 46), à Châteauneuf-du-Pape grevant les chrétiens sujets de l’évêque d’Avignon (J.-C. PORTES, Châteauneuf-du-Pape, Avignon, Barthélemy, 1993, p. 86 : 6 literies complètes jusqu’à 1371).
Contrairement à l’avis de Loeb (« Juifs de Carpentras… », p. 50-53), la redevance annuelle et courante d’épices, 6 livres pour Noël, soit 3 de poivre et 3 de gingembre, moitié blanc et moitié « colombin » (c’est-à-dire indien) n’avait pas été transférée en ces dernières années du XIVe siècle de l’évêque aux dominicains. Ce service s’ajoutait toujours aux 18, livres ou « math » par an (approximativement 15 florins : 3 G 160, f° 130 v, 135 v).
35 Sur le massacre du 12 juin 1459, H. DUBLED, « Les juifs de Carpentras à partir du XIIIe siècle », dans Provence historique, XIX (1969), p. 216.
Auteur
Archives départementales de Vaucluse
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