Les bouquetins d’Altamira (Cantabrie, Espagne)
p. 135-138
Texte intégral
Le site
1La grotte d’Altamira est située à Santillana del Mar, près de Santander (Cantabrie) dans la partie haute du karst, à 158 mètres d’altitude. Cette formation géologique comprend des strates quasi horizontales de calcarénite de près d’un mètre d’épaisseur, séparées par de fines couches d’argile, ce qui a rendu la circulation de l’eau faible et lente au sein de cette structure rocheuse. Divers épisodes d’effondrement ont dessiné la morphologie de la grotte depuis la Préhistoire, comme en témoignent les grandes tablettes orthogonales provenant des strates du plafond qui jonchent désormais le sol de façon chaotique. Le plus important est celui qui a marqué le surplomb de l’entrée de la grotte : en s’effondrant sur une partie du gisement, il en a aussi fermé l’accès jusqu’au xixe siècle, vers 1868, date de la découverte.
2La grotte mesure 290 mètres de long et présente un léger pendage descendant. Son entrée est proche de la surface et orientée au nord. La salle des Polychromes et les galeries qui lui sont perpendiculaires sont peu développées et doivent être considérées davantage comme les annexes d’une grande et unique galerie principale. L’art pariétal est présent tout au long de la grotte, mais la salle des Polychromes reste la plus connue.
3La grotte d’Altamira a été un habitat récurrent ou permanent pendant plus de 9 000 ans. Les fouilles du gisement archéologique n’ont pas fourni d’information fiable, d’autant qu’elles ont été réalisées à différentes périodes et sans méthodologie adaptée, en particulier de 1880 à 1925. De cette époque datent les travaux de M. Sanz de Sautuola, de É. Harlé et de H. Alcalde del Río, ainsi que de H. Obermaier. En 1981, J. González Echegaray et L. Gordon Freeman reprennent partiellement la fouille du niveau attribué au Magdalénien ancien. Tous ces chercheurs mentionnent l’existence d’une stratigraphie constituée de deux niveaux, attribués respectivement au Solutréen supérieur et au Magdalénien ancien. De ce fait, l’art pariétal a aussi été attribué à ces périodes, bien que quelques figures possèdent des caractéristiques stylistiques compatibles avec des périodes plus anciennes. Dans ses recherches sur Altamira, H. Breuil (1935) a défini un style propre à l’Aurignacien qu’il reconnaît dans certaines figures (comme les grandes figurations peintes en rouge, les points, les mains, les tracés digitaux, et quelques gravures qu’il considérait comme moins évoluées). Mais cette proposition n’a pas été retenue dans les recherches suivantes.
4À partir de 2003, le Musée d’Altamira met en place un programme de recherche afin de caractériser le gisement archéologique, ce qui a permis de disposer de nouvelles données de grand intérêt. Nous avons ainsi pu reconnaître l’existence d’un nouveau niveau archéologique, attribué au Gravettien récent, qui occupe la base de la séquence stratigraphique. Toutefois, le grand éboulement qui a scellé le bas de la stratigraphie n’a pas permis de descendre plus bas et, de ce fait, de savoir si d’autres occupations, antérieures, avaient eu lieu.
L’art préhistorique d’Altamira
5La grotte d’Altamira est un sanctuaire complexe, qui renferme des représentations de diverses périodes culturelles, de l’Aurignacien au Magdalénien moyen, réparties dans toute la grotte. Dans le parcours en longueur de la grotte, on rencontre différents espaces décorés, relevant de toutes les périodes stylistiques et techniques. Dans tous les cas, on observe très peu de superpositions et des figures appartenant à des chronologies différentes peuvent voisiner sur le même panneau.
6Néanmoins, dans la salle des Polychromes, la réutilisation des mêmes supports a conduit à de nombreuses superpositions, parfois complexes, qui mélangent des figures réalisées au cours de plusieurs milliers d’années. Déchiffrer ces successions et en reconnaître les différentes étapes de réalisation est l’objectif de notre recherche actuelle. Dans le cadre de cette étude, des datations directes par 14C-AMS ont été obtenues (Lasheras 2009, Heras & Lasheras 2014). Elles sont toutes magdaléniennes, sauf une date obtenue par uranium/thorium sur une croûte de calcite recouvrant un signe du grand plafond, qui a donné un âge de 36 160 ans (Pike et al. 2012) et pourrait indiquer une présence aurignacienne, à condition qu’elle soit confirmée par d’autres datations. On peut donc situer hypothétiquement le début du dispositif pariétal à cette période, sachant qu’il s’est poursuivi jusqu’au Magdalénien moyen, sur plus de 20 000 ans.
7La salle de la Hoya est un espace restreint, presque circulaire d’environ 30 mètres carrés, qui se trouve un peu en contrebas du reste de la cavité, à 150 mètres de l’entrée de la grotte. Cette salle recèle un ensemble homogène synchrone qui réunit 3 bouquetins, 1 cerf et 1 bison, tous peints en noir. Cette unité est exceptionnelle à Altamira où les mêmes panneaux associent en général des figurations, parfois superposées, de différents styles relevant de plusieurs techniques et attribuables à des phases chronologiques distinctes. L’ensemble de la Hoya peut être daté du Magdalénien ancien cantabrique grâce à des datations par 14C-AMS qui situent sa réalisation entre 15 050 ± 180 BP (GifA-96062) soit 18 287 ± 206 cal BP et 16 480 ± 210 BP (GifA-96061) soit 19 894 ± 261 cal BP. La première date a été obtenue sur la tête de la biche qui accompagne les bouquetins, tandis que la seconde correspond à des tracés noirs non figuratifs de la Galerie finale d’Altamira, mais que l’on connaît partout dans la grotte, y compris dans la Salle de la Hoya.
Les représentations de bouquetin
8Dans ce contexte de longue occupation artistique, les bouquetins n’ont jamais été un thème important dans le décor d’Altamira. De fait, on en décompte (au moins) seize dans toute la grotte, ce qui représente à peine 3,2 % des motifs identifiés (501 au total dont 231 figures animales et 270 signes). Avec la révision du registre pariétal actuellement en cours, il est possible que ce chiffre varie, éventuellement à la baisse. L’abbé H. Breuil (1935) ayant, en effet, attribué à cette espèce quelques représentations qui aujourd’hui nous semblent douteuses et que nous signalons dans l’inventaire comme étant potentiellement plus des figures de cervidé que de bouquetin.
9À Altamira, les bouquetins ont surtout été représentés au Magdalénien ancien cantabrique (soit gravés, soit peints en noir) ; ils l’ont moins été au Gravettien et aucun à l’heure actuelle n’a pu être attribué au Solutréen, en dépit du fait que c’est l’une des principales périodes d’occupation de la grotte. Quant aux attributions « aurignaciennes » de H. Breuil, rien ne vient les corroborer. Les travaux menés actuellement permettront, espérons-le, d’apporter plus de précisions sur la place des représentations de bouquetin dans le bestiaire paléolithique de la grotte d’Altamira.
Les bouquetins emblématiques d’Altamira
10La majorité des représentations de bouquetin d’Altamira se trouve à l’intérieur de panneaux où sont figurés d’autres animaux qui les masquent parfois et où les caprinés ne semblent avoir qu’un rôle secondaire. Néanmoins, les bouquetins de la salle de la Hoya sont les sujets majeurs de la composition, raison pour laquelle nous les avons retenus comme des images emblématiques.
11Les trois représentations de bouquetin de cette salle forment un ensemble de grand intérêt. Elles occupent la partie centrale d’un étroit bandeau encadré par deux strates et partagent l’espace avec une simple mais magistrale tête de biche.
12Les deux premiers bouquetins forment une composition évidente (Altamira f.14 et f.15) et figurent, sans aucun doute, un tableau réaliste. L’animal situé sur la partie supérieure du panneau est représenté debout, attentif, avec la tête levée et ses grandes cornes rabattues vers l’arrière. Il est en position d’alerte, son odorat et sa vue, très développés et caractéristiques de ces animaux, l’ayant prévenu d’un possible danger. L’autre bouquetin a déjà commencé de fuir et court, effrayé. Cette seconde figuration a été adaptée au relief du support de telle manière qu’elle semble disparaître derrière un repli de la paroi, comme l’animal vivant disparaît dans la montagne. Les pattes en extension (dont seul le départ est figuré) et la petite queue, totalement relevée, trahissent une situation de danger imminent.
13Cette scène – puisqu’il s’agit certainement d’une composition dotée de sa propre signification – représente, à deux moments, la situation commune dans la nature que sont l’alerte et la fuite en présence du danger. Mais quel danger fuient donc ces animaux figurés ? Un chasseur, pourtant invisible ?
Auteurs
Conservatrice du Patrimoine, Musée National et Centre de Recherche d’Altamira, 39330 Santillana del Mar, Cantabria, Espagne – carmen.delasheras[at]cultura.gob.es
Conservateur du Patrimoine, Musée National et Centre de Recherche d’Altamira, 39330 Santillana del Mar, Cantabria, Espagne – alfredo.prada[at]cultura.gob.es
Conservatrice du Patrimoine, Directrice adjointe du Musée National et Centre de Recherche d’Altamira, 39330 Santillana del Mar, Cantabria, Espagne – lucia.diaz[at]cultura.gob.es
Conservatrice du Patrimoine, Musée National et Centre de Recherche d’Altamira, 39330 Santillana del Mar, Cantabria, Espagne – deborah.ordas[at]cultura.gob.es
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