La grâce judiciaire dans le duché de Milan au XVIe siècle : perspectives sur l’échange du pardon souverain
p. 117-132
Texte intégral
1Le système de la grâce judiciaire, en vigueur dans les États européens au début de l’époque moderne, s’est construit sur les conceptions à la fois religieuses et anthropologiques du concept de grâce. Au centre de sa procédure se trouve l’idée de pardon qui articule les différentes étapes de l’octroi de la clémence. Cependant, différents éléments laissent à penser qu’il ne s’agit pas d’un pardon gratuit, octroyé par le souverain en raison d’une clémence bienveillante. En effet, malgré les différentes théories politiques relatives à la libéralité et à la clémence princières sur lesquelles s’appuie la procédure de grâce, celle-ci est avant tout un instrument du pouvoir et une manifestation de l’autorité politique. La construction de la grâce comme procédure judiciaire, ainsi que ses implications politiques et sociales, permettent de la définir comme un don induisant une réciprocité de la part du suppliant, c’est-à-dire un contre-don à destination du souverain et agissant en faveur de ses objectifs politiques. La grâce se conçoit ainsi comme un système interrelationnel dans le réseau social et politique existant, puisqu’elle révèle une hiérarchie désormais bilatérale entre le souverain et ses administrés, privée de tout intermédiaire. Mais elle rend perceptible une nouvelle conception de l’État fondée sur l’idée d’un contrat entre le détenteur de l’autorité et ses sujets.
2L’étude des prémisses religieuses et anthropologiques du concept de grâce permet de définir la notion dans sa perspective judiciaire et de comprendre les fondements de la réciprocité que le don de la grâce engage.
L’origine du paradigme de grâce : entre don et pardon
3La grâce est un terme polysémique dont l’usage s’est diversifié depuis sa première définition. En effet, afin de comprendre ce qu’est la grâce et quels sont les concepts et les principes qu’elle recouvre sur les plans anthropologique, religieux et judiciaire, il convient d’abord de déterminer l’évolution de la compréhension de ce paradigme. D’une définition très générale, touchant le domaine des sentiments et des sensations, la grâce s’oriente peu à peu vers une spécialisation dans le domaine judiciaire et prend la forme d’une réelle procédure de pardon stricte et définie. Dès le début, les concepts de don et de pardon sont créateurs de sa signification et de ses implications, tant sur le plan anthropologique que sur celui des usages.
4Le mot « grâce » vient du latin « grato » qui désigne, à l’origine, une sensation de plaisir suscitée par le caractère simple, naturel, délicat et harmonieux des choses, exprimant ainsi une valeur positive, à la fois naturelle et inexplicable, puisqu’il s’agit d’une sensation1. Cependant, le sens s’élargit et quitte la sphère physiquement limitée de l’individu pour toucher le domaine des relations sociales, la grâce définissant alors une sorte d’amabilité et de gentillesse dans les rapports entretenus avec les autres. Le terme conserve, mais étend également son caractère positif à d’autres domaines que celui des sensations personnelles, et met en jeu les relations interpersonnelles. Aussi la grâce se comprend-elle comme un concept encadrant et organisant les rapports entre les hommes, établissant un ordre hiérarchique entre ceux-ci. Il est possible de retenir, dans ce cas, le titre de « Grâce », donné par les Anglais à leur souverain ou à certains membres de la noblesse censés rassembler en leur personne tous les attributs originaux du concept.
5Ces deux définitions constituent en fait les bases de la notion de grâce prise dans son acception judiciaire : s’y retrouvent non seulement l’idée positive, liée à la sphère du sensoriel, d’amabilité, qui implique celle de don, mais aussi le concept, plus pragmatique et lié au réseau des relations humaines, de rapports sociaux et d’échanges entre les individus. Si l’ensemble des manifestations du concept semble reposer sur une origine inexplicable et immatérielle, son usage s’achemine vers l’utile et le concret, non sans emprunter sa dimension surnaturelle à la sphère religieuse. Le terme est symbolisé dans les mythologies grecque et romaine par trois déesses, Aglaé, Euphrosyne et Thalie qui présidaient à l’amabilité, à la joie et à la beauté féminine. Avec son entrée dans le Panthéon, le terme s’attache définitivement aux détenteurs du pouvoir.
6Inséré dans le champ du surnaturel et du religieux, le concept est assimilé au champ lexical chrétien. La théologie catholique l’adopte comme une aide surnaturelle et gratuite de Dieu, concédée aux créatures pour les guider vers le salut. Toutefois, cette aide divine se manifeste en fonction du mérite des œuvres de la personne touchée par cette action divine. Selon les protestants, la grâce est un complexe de dons gratuits qui, dérivant de la seule incarnation et mort du Christ, et ne nécessitant pas, contrairement au précepte catholique, la coopération des œuvres, porte au salut individuel, la grâce se présentant dès lors comme une concession divine faite aux hommes et comme une étape vers la rédemption. Plus précisément, le terme est utilisé pour désigner la rédemption du péché originel accordé par la puissance divine aux hommes. La notion implique déjà les idées de don et de pardon, puisque cette rédemption est un don de Dieu aux hommes qui éprouvent repentir et remords pour leurs actions négatives et contraires à la loi divine. Une telle définition, transposée de la sphère strictement religieuse à la sphère humaine, permet d’offrir une première idée de ce que peut être la grâce dans le domaine judiciaire : elle apparaît comme un pardon, un don gratuit concédé par une puissance supérieure ou par le détenteur d’un pouvoir.
7Quoique les origines religieuses des concepts de grâce et de pardon soient certaines, il est néanmoins nécessaire de ne pas les surestimer, car elles conservent une certaine ambiguïté. En effet, les variantes de leurs significations sont nombreuses, et leurs origines et genèses restent multiples et complexes2.
8Si le terme de grâce se précise avec son acception religieuse, il désigne un moment et une manifestation de la justice divine. La justice humaine s’étant largement inspirée des conceptions religieuses de la justice, la grâce adopte avec facilité ce concept et l’introduit dans le déroulement de ses procédures, devenant même progressivement une procédure en tant que telle, organisée et normalisée qui attribue au chef d’État les mêmes prérogatives que celles de Dieu, notamment celles d’absoudre le coupable de ses crimes. La grâce apparaît dans sa dimension judiciaire comme une concession extraordinaire réalisée avec désintérêt, magnanimité et générosité. Dans son sens général, elle peut dispenser un individu d’une obligation ou d’une responsabilité, alors que, dans un sens strictement judiciaire, elle est la commutation d’une peine infligée à un coupable par le biais d’une sentence irréversible. À la fin du XVIIe siècle, la grâce n’était comprise qu’à travers le droit pénal. Le Dictionnaire de Droit et de Pratique3 de Claude de Ferrière donnait des lettres de grâce, manifestations concrètes de l’octroi du pardon, une définition simple et claire : « Lettres par lesquelles Sa Majesté préférant la clémence à la rigueur et sévérité des lois remet la peine que l’impétrant pourrait avoir encourue ». On ne pouvait mieux mettre en lumière la mesure individuelle, acte de volonté souveraine lié au pouvoir terrestre, suspendant pour un cas précis et par miséricorde l’application des lois. En raison de ce caractère définitif et normatif de la sentence, la grâce se présente comme un recours extraordinaire, une procédure exceptionnelle, concédée par le souverain en tant qu’héritier des atouts divins. Elle délivre le condamné des conséquences de son acte et le rétablit dans son état initial d’innocence. En définitive, cette procédure absout celui qui en bénéficie de la souillure entourant le crime.
9La grâce se définit, d’abord, dans l’histoire lexicale du terme, comme un don octroyé par la divinité, puis par le souverain qui reçoit son pouvoir de cette même divinité. Elle accède rapidement au rang de variable déterminant un ordre social et une hiérarchie entre les individus. Il paraît dès lors intéressant de considérer la conception de la grâce comme un don : une telle idée a des origines anthropologiques, le don faisant partie des manifestations de la sociabilité.
10Selon les anthropologues, le concept du don participe au tissage du lien social et possède une finalité propre, car il établit une réelle structure sociale au sein des communautés en mettant en place les gestes et les rituels de l’échange. Par là même, le don peut fixer une hiérarchie et une réglementation des rapports interindividuels. Marcel Mauss avait souligné que le don incluait une obligation de réciprocité, parce qu’il devait être échangé de manière surabondante. Qu’il repose sur des biens matériels ou symboliques, le don garantit ainsi la paix sociale en se présentant comme un geste d’une valeur égale à celle de la signature d’un pacte.
11En quoi les notions de pardon ou de grâce peuvent-elles s’appliquer à ces préceptes ? Tout d’abord, pardon et grâce se présentent et se définissent comme des dons immatériels, octroyés selon un schéma précis de relations et de hiérarchies sociales, puisqu’ils émanent, de façon générale, d’une autorité supérieure sur le plan à la fois politique, lorsque la grâce est cédée par le souverain, et moral, quand le pardon provient de la victime. Ensuite, comme le don, le pardon et la grâce réglementent les rapports sociaux et rendent effective une paix entre des parties qui étaient au préalable en conflit. Enfin, la grâce ne peut être attribuée, à l’instar du don, qu’au regard du mérite de la personne qui la reçoit. Dans la procédure de grâce, les conditions et les requis sont en effet clairement délimités, le coupable n’étant pas graciable, car il est censé présenter un certain nombre de qualités et de mérites. La conception anthropologique du don pose ainsi les bases de la compréhension de la notion de grâce dans son acception judiciaire, même si celle-ci s’en distingue par ses implications spécifiques.
12Le concept anthropologique de grâce a eu une importance particulière dans le contexte indo-européen. Emile Benveniste4 a souligné que « la grâce consiste dans le fait de rendre un service gratuit, sans contrepartie », une telle idée se distinguant de celle du don, de laquelle elle prend son origine, car elle s’associe à une gratuité, à une reconnaissance, dans un système interindividuel « lié à des représentations beaucoup plus vastes, qui mettent en jeu l’ensemble des relations humaines ou des relations avec la divinité ; relations complexes, difficiles, dans lesquelles les parties sont toujours impliquées ». Aussi se différencie-t-elle du don en s’éloignant de la sphère strictement terrestre des relations humaines et se soustrait-elle au calcul des hommes, son origine sacrée constituant un des éléments principaux de sa définition.
13La « grâce » a donc une nature divine, même lorsqu’elle opère au milieu des hommes. Pour l’individu du Moyen Âge et du début de l’époque moderne, la grâce se conçoit à partir d’un sens fortement religieux, au même titre que les termes de « paix » et de « pardon ». Cependant, ces mots tendent à être soustraits à leur signification religieuse, puisqu’ils sont réappropriés par les institutions judiciaires et infrajudiciaires, par les représentants du pouvoir politique, social ou religieux. Les modalités de paix déterminées par les modes de traitement des conflits de nature infrajudiciaire sont toujours placées sous l’administration de Dieu. Qu’il s’agisse d’un « renoncement » à poursuivre en justice un coupable, d’une « paix » signée entre les parties d’un litige ou d’un conflit ou d’un « pardon » accordé par la partie offensée au coupable, les différentes procédures se présentent comme l’expression d’une volonté communautaire de paix, placée sous la garantie divine.
14Comprise comme une forme de pardon, la grâce participe aussi à cette paix sociale tant recherchée, censée contrebalancer les formes latentes de violence et de criminalité. Elle est une manifestation anthropologique et humaine de la paix divine ou, plus précisément, un instrument de paix et d’accord mis par Dieu à la disposition des communautés. Cependant, en dépit de ses fortes implications religieuses, la grâce judiciaire semble plus voisine de l’idée anthropologique de don que de l’idée chrétienne de pardon, en raison de ses prétentions à la réciprocité.
La grâce judiciaire comme manifestation historique du concept de don : le cas du duché de Milan à la fin du XVIe siècle
15Si la grâce est initialement un concept anthropologique et religieux, quels usages les historiens peuvent-ils en faire ? L’éventail des réponses peut être long en raison des différentes formes, religieuses, sociales et judiciaires que peut prendre la grâce dans la gestion des rapports interpersonnels.
16Dans le champ spécifique de l’histoire religieuse, la grâce peut être envisagée sur la base de ses différentes manifestations matérielles et humaines : quels usages la théologie a-t-elle fait de ce concept, comment l’a-t-elle matérialisé dans le cadre de la vie chrétienne ? Ces deux questions peuvent constituer des points de départ à une réflexion historique. Dans le domaine de l’histoire sociale, la grâce peut également être considérée sous l’angle des différents rapports sociaux, gérés par l’idée de don ou de réciprocité. Il s’agit alors de s’interroger sur l’idée d’un équilibre de l’échange qu’elle induit ou sur la notion de gratuité qu’elle peut impliquer. Ces interrogations peuvent se rapporter à l’histoire politique, puisque la grâce met en jeu des rapports de dépendance et établit des hiérarchies. Enfin, dans le cadre de l’histoire judiciaire, la grâce peut être appréhendée selon des outils juridiques qu’elle utilise pour une application procédurale de l’idée d’échange ou de gratuité. En quoi le système de procédure se présente-t-il comme la concrétisation matérielle d’un concept tenu, à l’origine, pour religieux et anthropologique ? Quelles sont les étapes nécessaires à l’octroi du pardon et de la clémence ? Telles sont les questions posées pour les suppliques de grâce adressées au Gouverneur du duché de Milan au XVIe siècle5.
17Les origines anthropologiques et religieuses de la procédure de grâce lui donnent sa valeur et sa légitimité judiciaire. Cependant, avant d’entrer de plain-pied dans le domaine du droit pénal et de devenir une prérogative du souverain, la grâce figure d’abord comme une des modalités de traitement des conflits de nature infrajudiciaire, utilisée par les communautés dans l’intention de pacifier les relations sociales, de gérer les conflits et de concilier les parties d’un litige. C’est plus précisément la notion de pardon qui est à l’origine de la notion de grâce et détermine les gestes et les moments adoptés ensuite par la procédure judiciaire.
18Ces modalités de résolution réalisées sans l’intervention de l’État par les communautés sont les premières manifestations de l’usage du pardon dans une approche « judiciaire », dans l’intention de rendre justice à la victime d’un acte illégal. La justice de composition médiévale, qui se maintient à l’époque moderne, met en place une série de gestes et de rituels destinés à marquer ce pardon sur le plan concret et à lui donner une valeur sociale reconnue et acceptée de tous. La paix est alors signée. Cependant, le moment du pardon n’est pas concevable sans l’intervention d’un tiers, à la fois médiateur et arbitre, chargé de trouver une composition acceptable par les différentes parties.
19Conçue dans un premier temps à partir d’une volonté et d’une nécessité de protection de la victime, la médiation permet de régler les conflits grâce à la participation d’un tiers et suppose l’existence d’une situation suffisamment difficile pour que les parties ne puissent s’entendre par elles-mêmes, lesquelles choisissent des conseillers, nommés garants, arbitres ou juges, dont le rôle est de servir d’intermédiaires, de proposer des solutions et de chercher un compromis acceptable6. Au début de l’époque moderne, les arbitres sont souvent des ecclésiastiques, issus du clergé régulier, comme les moines du couvent local, ou du clergé séculier, à l’instar du prêtre de la paroisse. Mais le médiateur peut aussi être un personnage éminent de la communauté laïque, chef de famille ou de faction, quoique l’autorité des médiateurs soit souvent limitée, car elle est informelle, liée à leur assise sociale, à leur influence morale, à leur sagesse et à l’amitié qui les rattache aux parties. Aussi, amitié et sagesse étant des notions subjectives, l’autorité du médiateur ne requiert-elle pas les compétences techniques d’un juge, d’où la figure du notaire qui se développe pour pallier cette lacune, puisqu’il détient la foi publique, garante de l’officialité de la médiation, laquelle se distingue de l’arbitrage, la distinction la plus pertinente entre ces deux notions se situant dans le caractère décisionnel ou non du rôle confié au tiers dans son intervention dans le règlement du litige7. Au contraire, l’arbitrage voit les parties s’en remettre par avance à un ou plusieurs arbitres, chargés de trancher le différend et de permettre la conclusion de l’affaire8.
20Aussi la justice de composition s’avère-t-elle essentiellement une justice de proximité et s’oppose-t-elle à la justice d’État, lointaine et répressive, les bans de composition pouvant arrêter la marche de la justice avant que celle-ci n’ait tranché9. Il apparaît naturel que la justice se construise à partir de l’éradication de ces formes conciliatoires du traitement des conflits. Plus précisément, le principe de la composition a rencontré une large adhésion chez les justiciables qui restent méfiants à l’égard des institutions judiciaires, notamment dans les villages ruraux et excentrés10. Les gestes et les pratiques, dans le cadre de la médiation et de la conciliation informelle, régissent le bon déroulement de la procédure et participent à l’octroi du pardon.
21Nicolas Offenstadt a livré de nombreuses informations sur les rites du pardon au Moyen Âge, adoptés ensuite par la procédure officielle de grâce, une série de gestes et de rituels devant être accomplie pour marquer le passage du conflit et du désordre à la réconciliation et à la paix11. Ces signes redéfinissent les rapports de force, font oublier, de manière symbolique, la querelle, sont l’expression d’un pardon octroyé autant par l’offensé que par la communauté, de telles formes codifiées de régulation se rattachant à la procédure12. Les conciliations et leurs rituels doivent à la fois réparer le lien social brisé par la transgression et symboliser cette réparation13. Aussi les lexiques de l’amitié et de la paix se trouvent-ils constamment associés, l’amitié étant à l’origine et à l’issue de l’arbitrage, et les « amis » de chacune des parties figurant souvent comme les acteurs de la conciliation. Le pardon concédé au cours de la cérémonie par le représentant de la partie offensée est implicitement accordé par tous les membres de son groupe, la mise en scène de la réconciliation et le caractère public et théâtralisé du pardon composant la structure du rituel qui doit s’inscrire dans un lieu et un temps précis14 : des espaces sacrés, les églises et les couvents figurent comme les lieux privilégiés, car ils sont exempts de toute juridiction laïque, prérogative héritée du droit d’asile médiéval. Toutefois, le conflit peut être aussi réglé sur le lieu où a été commis le crime ou l’offense, le cadre rituel garantissant le bon déroulement de la procédure, tant par la présence du sacré que par l’absence de souillure, car le lieu de la conciliation figure comme un agent actif de celle-ci15. De la même façon, le temps est un mode de régulation de l’arbitrage, le choix de la date de la réconciliation revêtant par exemple un caractère spécifique, souvent lié au calendrier chrétien et à ses significations religieuses, le rituel de pardon étant marqué également par plusieurs étapes temporelles16, à l’instar de la procédure de grâce adoptée par la justice étatique. Le pardon dispose aussi d’un large répertoire de gestes s’agençant selon les lieux, les temps et les enjeux, lesquels témoignent du caractère effectif du pardon.
22Au cœur des procédures infrajudiciaires de composition et de conciliation, le pardon est l’objet d’une procédure spécifique. La justice étatique, en définissant de manière toujours plus précise les différentes phases de l’octroi de la grâce, s’empare de certains de ces aspects pour donner au pardon une valeur publique et officielle, et s’assurer la compréhension de la procédure par les justiciables qui la pratiquaient de façon informelle.
23À ce processus d’appropriation s’en superpose un autre : celui qui voit le concept de pardon prendre la forme matérielle et concrète d’une procédure judiciaire. Des techniques procédurales sont mises en œuvre pour effectuer cette transformation utile à la gestion de la justice et pour donner à la grâce tous les caractères d’un recours extraordinaire, s’opposant aux lois et aux normes grâce à sa nature d’exceptionnalité. Quelles sont donc les formes et les étapes du pardon que la justice étatique du duché de Milan a emprunté aux rites de composition et de paix infrajudiciaires ?
24D’abord, la procédure d’octroi de la grâce nécessite certaines conditions équivalentes aux requis du pardon effectué selon les modalités de l’infrajudiciaire. Il s’agit de la rémission ou de la paix privée effectuée par la partie offensée, celle-ci n’étant alors plus perceptible sous la forme de gestes, tels que le baiser ou la paumée, mais sous celle d’un véritable document, signé par les deux parties en conflit, validé par l’« instrumentum » d’un notaire qui lui donne une valeur officielle et recevable pour la procédure. Établie hors du champ de la justice étatique, la paix privée apparaît comme un préalable obligatoire à la paix publique et implique, dans les deux cas, une acceptation volontaire et personnelle du pardon par la partie offensée. Sinon, le pardon ou la grâce est perçu comme injuste par l’ensemble de la communauté. Préalable à l’octroi de la grâce, ce pardon privé répond à une volonté d’ordre et de paix de la part de l’État, le renoncement à punir le coupable ne se faisant qu’à la condition que le litige ou le conflit cesse. Les traditions de règlement des conflits judiciaires et infrajudiciaires s’inspirent donc du principe commun d’une recherche de quiétude sociale, quoique la norme judiciaire, précisée par les textes et la pratique des communautés, se différencie aussi bien dans le choix de leurs acteurs que dans le déroulement de la procédure. Reste que les deux types de réglementation des conflits obéissent au fondement commun du choix éthique du pardon17.
25Puis, les deux types de procédures, infrajudiciaire et judiciaire, requièrent la présence de témoins du pardon et de garants pour le coupable. Dans la procédure étatique, les témoins peuvent apparaître sous la forme de l’apparat documentaire nécessaire au déclenchement de la procédure (document de l’enquête, de la mise en examen, de la rémission de la partie offensée), ainsi que se présenter à travers les figures des différents secrétaires qui copient ou relatent les différentes phases de la procédure. Aussi les garants figurent-ils comme des documents diplomatiques, et non plus des personnes physiques : ce sont les fois des notaires ou des actuaires requises par la justice, qui stipulent l’absence de délits antérieurs commis par l’inculpé, et par là même son adéquation possible aux normes sociales et judiciaires. Le crime commis, sans préméditation et sous l’emprise d’une colère stimulée par la victime ou due à l’alcool, était considéré en effet comme une simple déviance. Comme nous le verrons, dans les requêtes de grâce, le recours à certaines formules, qui se répètent mot pour mot d’une requête à l’autre et constituent un passage obligé de la rédaction de la requête, rappelle des formes de conciliation et de pardon infrajudiciaires, en particulier les gestes du pardon. Enfin, la procédure de grâce émanant du souverain obéit à des temps précis, comme le délai dans lequel le criminel, souvent condamné en contumace, demandant sa grâce, doit se présenter devant le Sénat de Milan pour valider l’octroi de cette faveur, ou le respect d’un calendrier précis dans le recueil des suppliques de grâce des condamnés qui attendent leur peine en prison, ces moments symboliques pour le pouvoir souverain se manifestant traditionnellement autour des fêtes de Noël et de Pâques.
26En définitive, l’appropriation progressive des formes du pardon privé par les procédures étatiques se réalise à travers une transformation de certains gestes ou de certains rituels qui passent d’une forme concrète à une forme documentaire. La spécificité de la procédure étatique d’octroi de la grâce se caractérise par la mise par écrit de ces différents moments de la paix. Il s’agit bien sûr d’écrits diplomatiques, officiels et valides pour un usage procédural qui doivent correspondre à une forme précise et réglementée. Le renforcement de la présence du notaire, essentielle à la procédure, relève d’une évolution notable en matière de contrôle des réconciliations et de recensement des garants officiels des paix privées.
27Parallèlement à son intégration au système pénal, et une fois devenue prérogative du souverain, la grâce est « politisée ». Elle apparaît comme un réel instrument du pouvoir central, utile au souverain pour légitimer sa force et ses prérogatives. La procédure de grâce participe à la fidélisation du peuple et des grands du royaume, et par là même à la longévité et à la force de son règne, en se présentant comme le contre balancier d’une justice étatique plus répressive et en donnant au Prince la possibilité de faire un usage régulier de la clémence. Si, bien entendu, elle n’est pas utilisée de manière abusive… Dès le XIVe siècle, la grâce est ainsi théorisée et politisée, afin de réglementer son usage et de donner aux souverains le mode d’emploi de ce pouvoir à double tranchant.
La grâce judiciaire, une manifestation de l’autorité étatique ou un don gratuit ?
28En raison de ses origines anthropologiques et religieuses, ainsi que de l’évolution de son acception et de son sens, la grâce judiciaire se présente comme une manifestation historique du concept de don. Il s’agit cependant d’un don spécifique, attaché à un contexte essentiellement politique (et pas seulement judiciaire). Instrument de la puissance souveraine, la grâce est un don émanant de l’autorité politique vers la masse de ses sujets. Et cette expression de l’autorité nécessite effectivement, selon les préceptes du paradigme du don, un contre-don de l’administré au pouvoir central, censé servir ce dernier dans son processus de consolidation.
29Le processus bipartite de la procédure d’octroi de la grâce par le souverain dans le duché de Milan à la fin du XVIe siècle peut apparaître comme une manifestation concrète et tangible du paradigme du don et du contre-don. En effet, la procédure se déroule en deux temps : à la lettre de requête du suppliant, suit, ou non, la lettre d’octroi. Et la requête du criminel, quoique très formelle en raison de la nature diplomatique du document, qui respecte une structure définie et une rhétorique conventionnelle, apparaît comme une réelle promesse de contre-don au souverain, sous réserve de l’octroi du don qu’exprime la lettre de grâce. Si le contre-don n’est pas encore effectif, il est néanmoins garanti par l’officialité du document et le bon déroulement de la procédure, elle-même affirmée par l’usage, mais surtout, en cette fin du XVIe siècle, par le texte législatif fondateur et unificateur que sont les Nuove Costituzioni de 1541.
30De quelle nature peut donc apparaître le contre-don promis par le criminel en échange de la clémence souveraine ? Deux hypothèses étroitement liées, mais cependant différenciées, s’offrent à nous d’après l’étude des documents d’archives.
31La première se rattache au rapport personnel entretenu par le souverain avec chacun de ses sujets et rappelle étrangement les origines religieuses, puis infrajudiciaires, des concepts de don et de pardon. Il s’agit pour le criminel de manifester, en échange de l’octroi de la grâce, les signes les plus manifestes de son sincère repentir face à la faute et au délit commis, pour lesquels il a été condamné. Le repentir est plus qu’un sentiment : c’est un comportement qui appartient au registre des éléments requis pour l’obtention du pardon souverain et, surtout, pour l’obtention du pardon social. Juridiquement, à l’instar de l’accompagnement de la supplique de grâce par une rémission de l’offensé ou une paix privée, ou de la nature non atroce du crime commis et de ses circonstances atténuantes (crime commis en rixe ou par légitime défense), il n’est pas spécifié par les textes législatifs comme étant une condition à l’octroi juridique de la grâce. Mais l’expression du repentir reste officialisée dans la procédure comme une manifestation du droit coutumier, témoignage du respect de certaines règles sociales implicites et de réminiscences religieuses. S’il n’est pas toujours sincèrement ressenti, il n’en demeure pas moins qu’il doit être clairement manifesté dans la supplique de grâce. Aussi retrouve-t-on dans les requêtes de grâce des expressions issues du champ lexical du repentir humain et du pardon divin, et surtout de nombreuses représentations des gestes symboliques liés à cette thématique, développée picturalement durant le Moyen Âge. Ces formules renvoient aux pratiques de conciliation et de pardon de nature infrajudiciaire développées par les sociétés européennes au cours du Moyen Âge sous forme de droit coutumier, survivant au XVIe siècle dans certaines régions, notamment montagneuses. Ainsi il convient de signaler le recours très fréquent à une gestuelle symbolique, le suppliant requérant le pardon « le braccie incrociate » ou dans une posture précise, « in ginocchio », une caractéristique des procédures informelles. Ces positions du corps restent un symbole de contrition nécessaire à l’octroi du pardon, privé ou public. De même domine l’emploi, quelle que soit sa forme, de l’adjectif « umile » : l’humilité dans la requête de pardon transpose ici non seulement le sentiment nécessaire de repentir face au crime commis et la conscience, de la part du suppliant, d’avoir mal agi, mais elle révèle aussi une position de soumission par rapport au souverain qui est le dispensateur de la grâce et le détenteur de l’autorité politique et judiciaire. Cette soumission est également manifestée par des formules métaphoriques, le suppliant, en fin de requête, priant le souverain de le laisser vivre « sotto l’ombra della Sua Eccelenza ».
32Cette attitude générale du suppliant, qui transparaît de manière systématique et formalisée dans chacune des requêtes étudiées, est révélatrice de la puissance croissante du souverain sur le comportement social de ses sujets, de la supériorité de celui qui concède le don sur celui qui le reçoit, implicitement tenu à un système de réciprocité. Cette hiérarchie sociale et politique, manifestée ici de manière symbolique, n’est pas sans rappeler le rapport entretenu entre Dieu et chacun des hommes préconisé par la Bible, le créateur, dispensateur de vie et de grâces, détenant une position incontestée de supériorité sur les hommes qui ne peuvent se présenter à lui sans contrition. Le système politique est donc une imitation explicite de la hiérarchie chrétienne, comme l’illustre le système bipartite de la grâce.
33La seconde hypothèse de définition du contre-don offert par le criminel au souverain en échange de la grâce, donc de la suspension de sa condamnation, est étroitement liée à l’interprétation politique du système de grâce comme procédure extraordinaire. Il s’agit non seulement, pour le suppliant, d’exprimer un profond repentir, mais aussi de formuler la promesse d’une intégration sociale, laquelle est rendue possible essentiellement par le respect des normes édictées par les coutumes, règles que l’État s’approprie dans ses textes législatifs et ses décrets. Un tel processus d’appropriation du droit coutumier par le pouvoir central est perceptible par une instrumentalisation de la justice, réorganisée et centralisée au cours du XVIe siècle dans la plupart des États européens. En effet, avec la formation et le développement d’un État moderne fort, centralisé, mettant sous tutelle la sécurité et le bien-être des sujets, la justice, à travers ses instruments, ses acteurs et ses objectifs, devient un allié précieux du pouvoir. Elle est dès lors en mesure, grâce aux compilations de textes juridiques antérieurs réalisées dans une perspective d’unification des juridictions territoriales, mais aussi grâce à l’usage presque systématique de bans et de décrets du gouverneur dans les territoires de domination espagnole comme le duché de Milan, d’édicter des normes de comportement pour faire face à l’augmentation de la criminalité et à la diversification de ses formes, et de punir le cas échéant. Cependant, si la justice a eu une fonction punitive censée pénaliser le coupable pour sa faute ou, du moins, réparer les dommages causés à la victime, elle se distingue à l’époque moderne par un objectif nouveau : celui de maintenir l’ordre et la sécurité publics par un contrôle effectif des populations et la promulgation de normes visant à encadrer les comportements sociaux, une fonction présentant des carences et des faiblesses dans l’organisation d’une nouvelle force, la police, et l’application concrète des normes sociales. Les nombreuses licences de port d’armes interdites, accordées pourtant par le Sénat milanais, conservées dans les Carteggi delle Cancellerie dello Stato di Milano, témoignent des limites de la justice préventive, puisqu’elles impliquent la reconnaissance de l’État de ne pouvoir pallier l’insécurité en remettant un tel rôle aux sujets qui le requièrent en bonne et due forme. Cependant, sur le plan politique, l’État tend à s’élever contre les autres formes d’autorités, féodales et communales, traditionnellement de forme arbitrale, à affirmer sa souveraineté et à contrôler les différents aspects de la société, gérés jusque-là par les communautés. L’État central en cours de formation s’octroie non seulement l’administration de la justice, la tutelle de la tranquillité et celle de la sécurité publique, mais aussi le pouvoir de définir les comportements déviants et nuisibles à l’exercice de son autorité ou à la société. Cette nouvelle prérogative se fonde sur une théorie politique : si le prince est pleinement souverain et détenteur de l’autorité, il a en contrepartie des devoirs envers ses sujets. L’État moderne se conçoit donc comme un échange de dons entre le souverain et ses sujets : en raison de la sécurité offerte par le prince, les règles qu’il édicte doivent être respectées. Il n’est pas inutile de souligner, ici, la contemporanéité de la consolidation de ce phénomène contractuel avec les théories politiques de Hobbes18 : il existe un pacte implicite entre le monarque et ses sujets, au fondement du pouvoir politique, pacte s’articulant autour d’un échange de devoirs mutuels entre le souverain et ses administrés, garant de la sécurité contre l’abandon des libertés individuelles et la normalisation des comportements sociaux.
34La définition des crimes et leur hiérarchisation relève de deux ordres : d’une part, la pénalisation des actes de délinquance ; d’autre part, la précision des comportements jugés déviants dans une société d’Ancien Régime fortement marquée par l’appartenance au groupe de l’individu, la procédure de grâce pouvant nous renseigner sur la première, alors que le dépouillement des requêtes de grâce, dans une perspective plus sociale, nous informe sur la deuxième. En effet, le système des grâces dans la Lombardie espagnole prévoit des conditions à la requête, le criminel ne pouvant prétendre le pardon princier. Le respect de la procédure est une façon de sélectionner le délinquant graciable, en fonction de la nature de son crime et des circonstances atténuantes qui l’ont poussé au délit. Ces éléments font de lui un sujet capable de s’adapter aux normes sociales et législatives.
35Un ban promulgué le 7 avril 1583 par le duc de Terranova, Gouverneur du duché19, rappelle aux sujets et aux rédacteurs des requêtes de grâce, la nécessité de suivre une structure diplomatique précise. Il souligne en effet qu’il existe de nombreux abus dans la rédaction des lettres, constat confirmé dans les sources étudiées, puisque toutes les suppliques enregistrées par la chancellerie ne sont pas accompagnées des documents exigés. Selon le Gouverneur, « nei memoriali, che si danno dimandando grazia dei delitti comessi, si fanno molto abusi ». Il insiste sur le fait, afin de remédier à ces lacunes diplomatiques,
« che ogni uno che pretende gratia da Sua Eccellenza sia tenuto a specificare fedelemente non solo il delitto comesso, et il modo, et il tempo, ma encora se il delinquente è in prigione o no, et se egli altra volta fu imputato, o graziato, o condannato d’altro delitto, et quale, altramente, et il memoriale non sarà decretato et ogni espedizione che sopra quel si facesse per inavvertenza, sarà nulla et invalida ».
36De nombreux juristes du droit lombard rappellent également la nécessité d’indiquer dans la requête de grâce ces éléments, ainsi que d’autres, notamment la peine infligée pour les éventuelles condamnations précédentes et le nom de la magistrature qui l’a décidée, le récit complet du crime pour lequel le suppliant demande grâce (« la narratio criminis »), la nature du crime (la « qualitas criminis ») – perpétrés délibérément ou spontanément ? –, et, enfin, les autres délits réalisés, afin d’évaluer la « consuetudo delinquendi » du sujet, son « aptitude et habitude à la délinquance »20. Il s’agit de la « charta inquisitionis », de tels éléments étant des conditions nécessaires à la mise en marche de la procédure d’octroi de la grâce et à son aboutissement. En cas de lacune ou d’omission, la requête est rejetée. Afin de certifier la vérité des éléments et des événements relatés dans la supplique, la procédure requiert que soient également joints certains documents officiels tels que le compte rendu de l’enquête, celui de la condamnation, les fois des notaires ou d’actuaires certifiant que le suppliant n’a pas commis d’autres crimes ou délits, les documents relatifs aux procès précédents dans le cas d’une condamnation antérieure, un exemplaire de la rémission ou de la paix effectuée par la partie offensée. Au-delà de son aspect purement procédural, cet exemple rend perceptible l’existence d’un seuil de tolérance fixé par les autorités face aux comportements déviants et criminels, certains crimes dits « atroces », comme le meurtre prémédité ou le rapt, impliquant une fatalité criminelle du sujet. De même, un récidiviste ne peut recevoir la grâce, car il est tenu pour trop enclin à la délinquance et à un mode de vie marginal, attitude inconcevable dans une société où l’identité de l’individu est d’abord définie par son appartenance à un groupe ou à un réseau. Tous les suppliants graciés figurant dans les sources analysées ont, en effet, commis un crime, souvent une rixe, due à un mouvement de colère naturel ou à un abus d’alcool leur faisant perdre leur faculté de raisonnement, ces écarts coupables étant, pour la justice lombarde, pardonnables et n’impliquant pas une inadéquation définitive aux normes. Enfin, l’existence d’une rémission de la partie offensée peut se présenter comme une attestation sociale de la capacité du criminel à vivre au sein de la société, une garantie cruciale pour l’obtention du pardon formel et étatique.
37La promesse formelle, mais implicite, du suppliant de normaliser son comportement et de réintégrer la société peut être saisie comme un contre-don au pardon et à la grâce du souverain, et souligne la force croissante de l’État qui intègre les manifestations du contre-don dans le domaine judiciaire, les reconvertit en termes juridiques et s’approprie finalement la réciprocité anthropologique du don à des fins politiques. La procédure de grâce, en s’inspirant du paradigme du don, sublime un État solide et autoritaire, aspirant à une centralisation administrative et judiciaire, en mesure d’imposer ses normes sociales et ses lois tout comme de manifester son pouvoir. Le XVIe siècle est un moment clé de cette réappropriation du don, puisque cette période est marquée par la consolidation de l’État, l’unification de ses lois, le renforcement de ses normes et la réorganisation de ses administrations. Parallèlement, le système de la grâce appréhendé comme manifestation historique du paradigme du don révèle des rapports politiques et hiérarchiques complexes entre le souverain et ses sujets, rapports semblant se tisser dans un système de relations sociales et symboliques concrétisées par la formalité de la procédure. Ce jeu de don et de contre-don rend compte d’un lien étroit entre le monarque et ses administrés : au lieu d’un rapport de dominants à dominés s’impose une mise en discussion de l’attribution de la souveraineté, de la définition du rôle et du comportement de chacun au sein de la société et de la politique. Il s’agit donc d’un dialogue constant et d’un jeu d’échanges et de communications dans une hiérarchie qui peut sembler toujours plus figée à la fois dans ses formes et ses procédures.
Notes de bas de page
1 N. Zingarelli, Vocabulario della lingua italiana, Zanichelli, 1996, p. 788 (12e éd.).
2 O. Niccoli, Perdonare. Idee, pratiche, rituali in Italia tra Cinque e Seicento, Bari-Rome, Laterza, 2007.
3 C.-J. De Ferrière, Dictionnaire de Droit et de Pratique, seconde édition, Paris, 1740, V, cité par J. Hilaire, « La grâce et l’État de droit dans la procédure civile (1250-1350) », H. Millet (dir.), Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe -XVe siècles), Actes du colloque international (Rome, 1988), Rome, Collection de l’École Française de Rome, 2003, p. 357, n. 1.
4 E. Benveniste, « Il vocabulario delle istituzioni europee », cité par O. Niccoli, « Rinuncia, pace, perdono. Rituali di pacificazione della prima età moderna », Studi storici, 40 (1999), p. 219-261, n. 1, p. 219.
5 Le fonds étudié se trouve à Milan, à l’Archivio di Stato, Registri delle Cancellerie, serie IV Grazie, cartons 38, 39.
6 H. Debax, « Médiations et arbitrages dans l’aristocratie languedocienne aux XIe et XIIe siècles », C. Gauvard et alii, Le règlement des conflits au Moyen Âge, actes du XXe Congrès des historiens médiévistes de l’enseignement public, Paris, Publication de la Sorbonne, 2001, p. 145.
7 H. Debax, op. cit., p. 144.
8 Ibid., p. 146.
9 N. Carrier, « Une justice pour établir la concorde », C. Gauvard et alii, op. cit., p. 243.
10 N. Carrier, op.cit., p. 254.
11 N. Offenstadt, « Interaction et régulation des conflits, les gestes de l’arbitrage et de la conciliation au Moyen Âge (XIIIe -XVe siècles) », C. Gauvard et alii, Les rites de la justice. Gestes et rituels judiciaires au Moyen Âge, Paris, Le Léopard d’or, Cahier n° 9, 1999, p. 201-228.
12 N. Offenstadt, « Interaction et régulation des conflits… », p. 203.
13 Ibid., p. 204.
14 Ibid., p. 205.
15 Ibid., p. 211.
16 Ibid., p. 213.
17 O. Niccoli, Perdonare…, op.cit., passim.
18 Thomas Hobbes, Léviathan [1651].
19 G. P. Massetto, « Monarchia Spagnola, Senato e Governatore. La questione delle grazie nel Ducato di Milano », G.P. Massetto, Saggi di storia del diritto penale lombardo, Milan, LED, 1994, chap. III, p. 246, n. 58.
20 G. P. Massetto, « Monarchia Spagnola, Senato e Governatore. La questione delle grazie… », p. 246.
Auteur
Université de Provence
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