« Donner le temps » : le répit royal à la fin du Moyen Âge1
p. 39-57
Texte intégral
1« Liberalité (…) despent des racines de charité. (…) Liberalité (…) sert non mie seulement en tant qui touche donner dons de pecune, terres, joyaulx, ou autres avoirs, mais aussi en estre liberal de l’aide de sa puissance, de son corps, de sa parolle, de sa peine, de son bel accueil et bonne chiere, de pardonner de bon cuer injures receues, voulentiers secourir les besongneux, et generalement en toutes les choses en quoy on peut valoir à autruy2. »
2La définition par Christine de Pisan de la vertu princière de libéralité est bien connue3. Comme son prédécesseur Philippe de Mézières4, comme son contemporain Jean Gerson5, Christine considère que gouverner, c’est ordonner et répartir les dons et que la libéralité, qui a sa racine dans la charité, est un procédé de gouvernement. Mais, à l’inverse de ce qu’elle avait pu écrire quelques années auparavant dans le Livre du corps de policie6 et au rebours de ce que ses contemporains, les penseurs réformateurs, recommandaient7, Christine prône dans ce passage du Livre de paix, une libéralité intégrale. Chez ses contemporains, comme plus tard chez Philippe de Commynes8, chez Jean Budé ou chez Jean Bodin9, la largesse princière devait être mesurée. Le roi du Livre de paix est un roi bien différent. Sa libéralité y apparaît comme une qualité en vertu de laquelle il prête égard aux requêtes de tous ses sujets, sans compter, par amour pour eux. Selon ce regimen10, le rôle du roi dans l’ordre humain voulu par Dieu est d’« aider, secourir, pardonner » et d’« octroyer graces11 », bref de donner. Ce don auquel s’identifie la fonction royale n’est pas strictement assimilable au don/contre-don de la théorie maussienne, puisque, « dépendant des racines de charité », il se modèle sur le don gracieux du christianisme. Pourtant, en suivant la suggestion de Gadi Algazi12, on considérera le paradigme maussien comme une invitation à « explorer un contexte et des usages des dons », dans une perspective d’anthropologie politique du don royal. L’anthropologie politique du don a surtout porté son regard sur les dons faits au chef, comme autant de figures du consentement, qu’il s’agisse des annua dona faits au roi carolingien, des oblationes faites au seigneur13, des pots-de-vin14. Alain Guéry a par ailleurs montré la force du modèle de la largesse aristocratique pour le gouvernement royal, puis son essoufflement à partir du XVIIe siècle. Il a également suivi le glissement du don considéré comme contribution consentie à l’impôt considéré comme acte d’autorité, soit le passage du roi donataire à l’État fiscal15. Lydwine Scordia a souligné, dans son étude de la pensée de l’impôt en France à la fin du Moyen Âge, combien la monarchie française à partir de la fin du XIIIe siècle a invoqué l’amour unissant le roi et ses sujets pour justifier le don de l’impôt16. Alain Boureau a rappelé que bien avant Christine de Pisan, c’est sans doute à la fin du XIIIe siècle que la magnificence et la libéralité royales ont trouvé leur justification la plus précise, quand les théologiens ont travaillé à construire ensemble la « république étatique » et la figure du roi souverain dispensateur, figure conçue sur le modèle du largitor divin17. Pourtant, une étude systématique des pratiques du don royal à la fin du Moyen Âge, comme celle que Natalie Zemon Davis a proposée pour le XVIe siècle18, reste à faire, de même qu’il reste à prendre sérieusement en considération l’équivalence posée alors entre le circuit des grâces et celui des biens, la continuité essentielle entre la distribution des faveurs et l’attribution des revenus.
3Christine de Pisan le suggère en effet, le roi ne donnait pas que des biens, des terres, des joyaux, de l’argent, des revenus, mais il donnait aussi des grâces. Grâces et dons relèvent selon elle d’une même pratique politique et d’un même art de gouverner, puisqu’il s’agit pour le prince d’être libéral tout à la fois de son « avoir » et de sa « puissance ». Claude Gauvard a montré l’efficacité politique des grâces en matière criminelle aux XIVe et XVe siècles, en un paradoxe qui n’est qu’apparent, la rémission apparaissant pour la justice royale comme la meilleure manière de pénaliser certaines infractions et de capter leur répression. Ce « gouvernement par la grâce19 » ne s’exerçait pas qu’en matière pénale. Une autre catégorie de grâce royale naquit au début du XIVe siècle, le répit, par lequel le roi concédait à un débiteur, non pas du fisc, mais d’un créancier privé, un délai de paiement, un « répit » dans le remboursement et dans les poursuites entamées contre lui20. Les effets de ce répit étaient la suspension de ces poursuites, le desserrement des contraintes éventuellement exercées à l’encontre du débiteur, comme la saisie de biens, l’excommunication pour dette et l’emprisonnement pour dette. Jean Boutillier y voyait donc un des attributs de la souveraineté royale à la fin du XIVe siècle, à côté de la capacité à légiférer et à concéder des lettres de rémission :
« Si sçachez que le roy de France, qui est empereur en son royaume, peut faire ordonnances qui tiennent, et vaillent loy, ordonner et constituer toutes constitutions ; peut aussi remettre, quitter et pardonner tout crime criminel, crime civil ; donner graces et respit de dettes à cinq ans, à trois ans, et à un an21. »
4Le répit prenait aux XIVe et XVe siècles la forme d’une lettre de chancellerie adressée au débiteur qui en avait fait la requête. Ces lettres de chancellerie n’ont pas laissé de traces dans les registres du Trésor des Chartes, contrairement aux lettres de rémission, car ces lettres de grâce à validité temporaire – il ne s’agit pas de remises de dette, mais de délais de grâce –, qui se présentaient sous la forme de mandements scellés de cire jaune sur simple queue, n’avaient pas vocation à être conservées par la chancellerie royale. En effet, les registres du Trésor des chartes comprennent, en règle générale, les actes royaux à effet perpétuel, rédigés sous forme de chartes et scellés de cire verte22. On connaît toutefois la teneur de ces lettres de répit par les formulaires de chancellerie. Le roi a aussi légiféré sur leur usage. Enfin, les archives judiciaires conservent des procès et des sentences relatifs à leur entérinement en justice. Celles de Paris, et au premier chef celles du Châtelet et du Parlement, n’ont cependant pas gardé la copie de telles lettres, même si les procès d’entérinements étaient loin d’être rares puisque, d’après les treize registres de causes civiles du Châtelet de Paris conservés pour la période allant de 1395 à 1455, le tribunal du prévôt royal devait examiner des répits au rythme de un tous les quarante-cinq jours. Cet ensemble de documents montre que le répit royal, élément du regimen aux XIVe et XVe siècles, a été soigneusement défini comme un don gracieux et qu’une régulation de son usage a été mise en œuvre dans les juridictions royales.
Le répit royal, don gracieux
5Les trois composantes de cet ensemble documentaire – formulaires de la chancellerie, législation royale, registres de justice –, convergent pour assigner aux années encadrant 1320 la date de naissance de la lettre de répit, ce qui coïncide avec la mise au point de la lettre de rémission. La première ordonnance royale mentionnant les répits est l’ordonnance « sur diverses matières financières » de Philippe V, datée du 25 février 1319, qui restreint l’émission des lettres de répit et d’état en faveur des combattants des armées royales au roi et à ses lieutenants23. Le plus ancien formulaire de la chancellerie royale attesté, celui de Jean de Caux, daté de 1318, comporte cinq rubriques consacrées à des répits, dont trois en faveur de croisés ou de combattants des armées royales24. Le répit, avant d’être une lettre de chancellerie favorable à un débiteur, fut en effet un privilège collectif concédé aux croisés, depuis le règne de Philippe Auguste, c’est-à-dire une composante du privilège de croix25. Un autre formulaire de chancellerie précoce26, qui rassemble des actes de Philippe IV, Louis X et Philippe V, et qui fut compilé à la fin du règne de Philippe V comporte un respectus, ou répit jusqu’à un terme (la Nativité Saint Jean Baptiste) en faveur de combattants du roi dans les guerres de Flandre27. À peine la lettre de répit est-elle attestée dans la législation et à la chancellerie royale, son utilisation en justice l’est également : un mémoire au roi sur la justice du Châtelet de Paris, datant de 1321, réprouvait déjà la fréquence du recours aux répits28. La plus ancienne mention d’une lettre de répit repérée dans les archives du Parlement par Pierre Timbal date de 1322 : la cause était venue en appel d’une sentence du prévôt de Paris qui avait refusé d’entériner ce répit, en raison de la renonciation jurée du débiteur à y recourir29.
6La genèse administrative de cette grâce royale court sur près d’un siècle, plusieurs décennies étant nécessaires pour que la formule du répit se fixe. C’est chose faite avec le formulaire d’Odart Morchesne de 1427. Les répits constituent à partir de là l’un des dix-sept chapitres des formulaires au XVe siècle30 et ont acquis une remarquable technicité au sein de la chancellerie royale. Ils se déclinent en quatre types de lettres, qui modulaient la faveur royale selon les catégories de débiteurs, leur degré d’endettement et de solvabilité, les types de dettes, les créanciers31.
7Le répit d’un an prescrivait aux juges du royaume, et pas seulement aux juges royaux, comme le précisent les notae qui assortissent les formulaires du XVe siècle32, d’entraver pendant un an l’action coercitive des créanciers à l’encontre du débiteur et de ses pleiges, une fois que le débiteur aurait donné une caution33. Quatre conditions devaient être remplies par le débiteur. Les événements qui l’avaient acculé ne devaient pas être antérieurs de plus de six ou sept ans à la requête ; il devait se trouver dans une situation telle qu’il devait se séparer (« faire distracion ») de certains biens, pour régler sa dette ; il ne pouvait obtenir qu’un unique délai d’un an ; enfin, le répit n’était valable qu’à l’encontre des créanciers « puissans d’attendre », c’est-à-dire capables de supporter ce délai. Le répit de cinq ans s’entourait de conditions plus strictes. Il s’adressait uniquement aux juges royaux. La lettre leur prescrivait d’appeler les créanciers du débiteur et, dans le cas seulement où une majorité de créanciers (en nombre de créanciers et en montant de dettes) serait favorable à un délai de cinq ans, de contraindre les créanciers minoritaires à respecter ce délai. Le débiteur, pour obtenir cette faveur, devait se trouver dans une situation telle qu’il aurait dû faire cession de ses biens pour s’acquitter, en une sorte de faillite personnelle. En revanche, le recours au répit d’un ou de cinq ans devait toujours demeurer possible pour un débiteur : si le débiteur avait renoncé à un tel recours lors de l’obligation, cette renonciation était considérée comme nulle, s’il obtenait une dispense ecclésiastique (dispensatio prelati). Le répit exceptait les créances royales et celles des foires de Champagne et de Brie. Le répit de deux ans s’adressait aux débiteurs de créanciers reconnus comme usuriers. Aucune condition d’insolvabilité n’était alors exigée du débiteur. Ce dernier devait fournir une caution et régler le principal de la dette en deux termes, les usures étant annulées34. Les conditions de ce répit étaient finalement moins favorables pour le débiteur que celles des autres répits, dans lesquels aucun paiement n’était prescrit avant le terme final. La filiation entre ce répit, qui prescrivait un échelonnement en deux termes du remboursement, et les mesures royales anti-usuraires du XIIIe siècle est claire, bien que le délai soit réduit de trois à deux ans. Ces trois types de lettres étaient en place dès les formulaires du règne de Charles V. Enfin, il existait un répit de trois ans pour les établissements ecclésiastiques. Ce dernier comportait une application très précise. Le juge royal auquel le répit était adressé devait mettre en sa main le temporel de l’établissement débiteur et commettre une personne à la gestion de ses biens. Les revenus de l’établissement devaient pendant trois ans être répartis en trois volets, l’un affecté à l’entretien des religieux, le deuxième à l’entretien des biens de l’établissement, le troisième au remboursement des dettes. Le juge devait alors contraindre les créanciers à respecter ces conditions. Ce répit de trois ans émergea tardivement dans les formulaires, à la fin du XIVe siècle. Il naquit apparemment des interventions royales en faveur de monastères touchés par la guerre.
8Le terme générique adopté pour ces quatre types de lettres apparaît dans le titre du chapitre des formulaires de chancellerie qui les rassemble à partir du formulaire d’Odart Morchesne de 1427. Ce chapitre figure sous la rubrique « répits ». Les quatre types de lettres reçurent, à une époque ou à une autre, dans les formulaires comme dans les registres de justice, la dénomination « répit ». Le terme « répit », qui qualifiait au départ le seul répit d’un an, s’étendit donc aux autres variétés de lettres, originellement dénommées autrement. Ainsi, le « répit de cinq ans » ne naquit qu’avec le formulaire des règnes de Charles V et Charles VI35, pour s’imposer ensuite, les dénominations major pars, littera dilacionis ou quinquannion lui étant jusqu’alors préférées. C’est le même formulaire qui introduisit la rubrique « répit à deux ans contre usuriers » en lieu et place du biennium. Le formulaire d’Odart Morchesne reprit et imposa cette dénomination. Le terme répit en vint finalement à qualifier toute intervention royale visant à concéder un délai de paiement à un débiteur. Or d’autres termes étaient disponibles, le terme de « délai », ou « dilation », celui de prorogation ou encore les mots construits par préfixation du radical « annion » (« quinquannion », « annion », « biannion »), qui ont été également employés.
9Par l’octroi d’un répit, le roi prétend donner le temps : « nous a icelui suppliant ou cas dessusdit avons donné et octroyé donnons et octroyons de grace especial par ces presentes terme respit et delay de ses debtes paier36 ». Le roi donne au débiteur une nouvelle échéance (« terme ») et une durée (« delay ») pour payer ses dettes. Que peut donc ajouter à cela le troisième objet du don royal, le « respit », qui s’est aussi imposé comme terme générique pour cette grâce royale à la chancellerie et dans les cours ?
10Certes, respectus a, en latin médiéval comme en latin classique, le sens, parmi d’autres, de délai judiciaire ou de prorogation. Du Cange signale par exemple l’existence d’un salvum respectum ou « sauf respit d’hommage jusques a un an ». Le terme français « respit » a gardé ce sens de délai judiciaire, qui se retrouve dans la littérature coutumière et juridique, le Très ancien coutumier de Normandie37, les Assises de Jerusalem38, le Livres de jostice et de plet39, chez Beaumanoir40 et dans Le livre Roisin41. Mais respectus et « respit » ont aussi une histoire particulière qui ajoute des connotations qui relèvent d’un autre champ que celui de la technique juridique. Respectus désigna les délais concédés par le roi en faveur des croisés en 118842 et en faveur des débiteurs des Juifs en 121943. En français au milieu du XIIIe siècle, sous la plume de Pierre de Fontaines, il désigna aussi un répit concédé par le roi aux croisés, vraisemblablement celui concédé par Louis IX en octobre 124544, qui est connu par un mandement au bailli de Vermandois, région d’origine de Pierre de Fontaines et dont il devint lui-même bailli en 1253. On retrouve ce même « respit » de croisade mentionné vers 1260 dans les Récits d’un ménestrel de Reims45. Privilège alors collectif, ce n’est qu’ensuite qu’il s’appliqua aux interventions royales en faveur de débiteurs isolés. Le « répit » au début du XIVe siècle est donc l’un des avantages qui composent le privilège de croix et un mode d’action royale en faveur de ceux que le roi considère comme les victimes de l’usure juive. Cette réalité construite au XIIIe siècle s’adosse à une évolution sémantique antérieure.
11Avant de désigner un délai judiciaire, respectus désigne en latin classique l’action de regarder en arrière. Par suite, il désigne aussi la considération, l’égard (à l’origine du mot « respect »), comme dans les expressions respectus humanitatis, respectu alicujus rei. En découle le sens de refuge, recours. Le terme a en latin un sens relationnel, le respectus étant d’abord un regard, soit horizontal (respect) soit vertical (considération). En latin médiéval, ce champ s’est infléchi. Le Comité Du Cange a recensé cent trente-quatre occurrences du terme au Moyen Âge central, parmi lesquelles on retrouve les sens anciens de respect, délai, mais où apparaissent des sens nouveaux, celui de visite de la grâce divine, celui de vengeance divine, celui de terreur, celui de jugement, celui de refuge, celui enfin de redevance46. Autrement dit, la christianisation du lexique au Moyen Âge semble avoir infléchi la valeur sémantique du mot en faisant du respectus un regard essentiellement vertical. Le terme apparaît sept fois dans la Vulgate, cinq fois dans le seul Livre de la Sagesse47, où respectus traduit le grec épiskopè et l’hébreu pequddah, qui désignent une intervention divine, tantôt gracieuse, tantôt vengeresse, en particulier la visite divine qui doit précéder l’établissement du règne de Dieu48. Chez les auteurs chrétiens, il est particulièrement fréquent dans l’œuvre de Grégoire le Grand, et en particulier dans ses Moralia in Job, son commentaire du Livre de Job, où il se rencontre plusieurs fois en couple avec gratia. Respectus gratia s’applique au regard de Dieu pour l’homme, dans cette œuvre qui rappelle la transcendance radicale de Dieu et l’impossibilité pour l’homme d’en pénétrer pleinement le sens. Le respectus est ce regard divin, qui considère l’homme qui ne voit pas celui qui le regarde.
12Ainsi les mots respectus puis « respit », retenus par la chancellerie royale dès 1188 avec le répit de croisade, n’ont-ils pas la neutralité de termes juridiques comme « délai » ou « prorogation ». Ils créent par la métaphore ophtalmologique l’image d’un roi attentif à ses sujets et au travers duquel chemine le regard divin. Par le répit, sans égard pour le contrat ni pour le tiers engagé et lésé, le roi semble « visiter » de sa faveur le débiteur en difficulté. Le choix par la chancellerie des termes « respectus » et « respit » place ainsi l’action royale non dans le champ du droit ou de l’éthique, mais dans celui de la miséricorde et de la grâce.
13Ainsi inspiré du respectus divin, le répit royal se présente comme le don gracieux par excellence. Pourtant, une grâce royale est aussi une construction institutionnelle et juridique précise, qui requiert une administration et qui met en œuvre une économie. Or, dans cette administration de la grâce royale, tous les répits n’étaient pas des lettres de grâce. En effet, la chancellerie royale a distingué deux types de lettres : les lettres de grâce stricto sensu, comportant la mention « de grace especial » qui marquait la concession de la grâce royale, et les lettres de justice, qui avaient des effets juridiques très nettement distincts49. Parmi les quatre variétés de répits, trois furent érigées au rang de grâces royales : il s’agit des délais d’un, deux, trois ans, le répit de cinq ans demeurant une lettre de justice sur toute la période considérée. Les répits d’un et de deux ans devinrent des lettres de grâce dès le XIVe siècle. Le répit de trois ans en faveur des gens d’église devint une grâce plus tardivement, au début du XVe siècle, entre le formulaire des règnes de Charles V et de Charles VI50 et le formulaire de 142751. En revanche, dans le formulaire imprimé du règne de François Ier, elle n’était plus une grâce, signe que la grâce royale était une production administrative qui pouvait être remise en cause52. Jamais en revanche, les répits de cinq ans, encore appelés major pars ou quinquenelles, ne furent considérés par la chancellerie royale comme des lettres de grâce. La lettre de justice constituait, pour les juges auxquels elle était adressée, un simple rappel de l’ordre légal, qu’elle visait à maintenir ou à rétablir, le répit de cinq ans se contentait donc de rappeler un juge royal au droit commun. Au contraire, les répits d’un an, de deux ans et de trois ans entraient en contradiction avec ce droit commun, ils concédaient un privilège exorbitant à un sujet particulier au détriment d’autres sujets. La lettre de grâce se présentait comme un acte arbitraire du souverain, qui tendait à modifier l’ordre légal au profit d’une personne. Les répits d’un an et de trois ans, ainsi, contrevenaient au droit commun des contrats, en suspendant l’exécution d’un contrat régulièrement passé. Le roi n’intervenait qu’en vertu de l’insolvabilité fortuite du débiteur53 et non du fait de l’existence d’un abus à la conclusion du contrat. La régularité de la transaction n’était pas en cause dans cette intervention du roi dans une transaction privée. La grâce royale se définit juridiquement par ce principe de dérogation : elle ne répond à aucun droit chez le bénéficiaire, elle est l’expression de la pure libéralité du roi et de ce que Jean Boutillier appelle « sa noblesse »54, en quoi l’on serait tenté de voir sa « souveraineté ». Cette grâce était donc une affirmation forte de la souveraineté du roi sur les biens de ses sujets.
14Une autre distinction formulaire entre les répits d’un an et de trois ans d’un côté, de cinq ans de l’autre, va dans le même sens. Dans le répit d’un an, le roi « donne et octroie de grace special » le répit55. De la même manière, dans le répit de trois ans, le roi « veut et octroie »56. En revanche, dans le répit de cinq ans, c’est la majorité des créanciers qui « donne » le répit57. L’emploi du verbe « octroyer », qui vient de auctorare (auctor, le garant), trace ainsi la frontière entre lettres de justice et lettres de grâce et renvoie à la responsabilité du donateur. Le don-octroi n’est pas équivalent au don fait par le créancier, en ce qu’il provient d’une volonté inaccessible au donataire, qui n’a pas à dévoiler ses raisons, ni à rendre de comptes. L’expression « de grace especial » dit la même chose à sa manière, l’événementialité et le caractère irruptif du don royal. Cette grâce royale, qui n’est pas juste et qui agit au-delà de toute justice, est d’ailleurs adressée à toutes les juridictions du royaume, tandis que les quinquenelles étaient adressées aux seuls juges royaux, nouvelle distinction qui signifie bien le caractère souverain du pouvoir qui s’affirmait dans la lettre de grâce. La distinction du don-octroi (répit d’un an) et du don fait par le créancier (répit de cinq ans) renvoie à la distinction d’un don sans réciproque possible et d’un don-échange. Entre le roi et le débiteur, l’octroi du répit suppose une altérité radicale, il se veut don absolu, don purement généreux, sans espoir de retour, à l’image de la grâce divine.
La grâce apprivoisée : pratique et usages du répit
15Pourtant, le caractère irruptif et souverain de ce don est immédiatement démenti par son usage. Institutionnalisé à la chancellerie et dans les juridictions royales, il fait l’objet d’une économie qui en atténue la gratuité et l’arbitraire.
16La distinction entre lettres de justice et lettres de grâce permet à la chancellerie une première gestion du don royal. Les archives de la chancellerie n’ont pas conservé ces lettres de répit, mais les enregistrements de procès d’entérinement de répits à l’auditoire civil du Châtelet peuvent servir d’indicateur par défaut. Même s’il faut tenir compte du poids des répits dont la portée temporelle n’est pas indiquée par le clerc civil, il semble bien que le roi donnait plus aisément des répits de cinq ans et qu’il « économisait » ses lettres de grâce d’un an. Sur cinquante-six répits évoqués à l’auditoire civil du prévôt royal de Paris entre 1395 et 145558, on ignore la durée de validité de dix-neuf d’entre eux, vingt-quatre étaient des quinquenelles et treize des répits d’un an. Aucun répit de deux ans ou de trois ans n’a été impétré. La grâce royale pure semble donc avoir été rare, en matière d’endettement. Le roi préférait apparemment pousser les parties à s’entendre et les créanciers à consentir un délai de cinq ans, plutôt que de concéder unilatéralement des délais d’un an. La quinquenelle recommandait au juge de concéder un délai de cinq ans au débiteur, si une majorité des créanciers y consentait. Le débiteur qui la requérait devait donc négocier avec certains de ses créanciers pour obtenir leur consentement. On peut même supposer que, dans la plupart des cas, il ne requérait la lettre de chancellerie que s’il avait la certitude d’avoir l’accord d’une bonne partie de ses créanciers. Ces chiffres reflètent sans doute d’un côté la préférence des débiteurs pour des délais longs et, d’un autre côté, la préférence des créanciers pour des délais consentis et leur répugnance envers des délais imposés par le pouvoir royal.
17Sur les quarante-huit sentences du Châtelet réglant explicitement le sort du répit, on compte treize entérinements de répits, soit une proportion de 27 %. Ainsi, un quart seulement des répits octroyés par le roi était-il entériné au Châtelet, la déperdition entre les impétrations et les entérinements auprès du prévôt de Paris était considérable. L’attitude du juge ne semble pas avoir été constante : l’entérinement pouvait être la règle à une époque (en 1454-1455)59, et l’exception à une autre (1430-1431)60. Ces entérinements ne sont guère commentés, le clerc civil les enregistrant, sans résumer les débats passés. Mais ils révèlent une préférence pour les quinquenelles, au détriment des répits d’un an. Huit des treize entérinements concernent en effet des quinquenelles. Les sentences du juge royal semblent donc accentuer le goût de la chancellerie royale pour ces répits consentis par les créanciers et renforcer la rareté relative des grâces. D’après les sentences du principal juge royal de la capitale, autant le pouvoir de grâce du roi en matière de dette était-il affirmé avec force, autant il était rarement appliqué dans les faits.
18Doit-on voir dans les nombreux échecs d’entérinement des répits un signe flagrant de l’intransigeance du Châtelet à l’égard des débiteurs ? Faut-il y voir un effet de la pression des créanciers ou de celle des récriminations contre les grâces royales en matière de dettes ? Faut-il y voir une expression de l’autonomie du juge à l’égard des interventions royales ? S’il est impossible de trancher, il faut prendre en considération ce souci de ses prérogatives du juge royal, prérogatives qu’il défendait même à l’égard de lettres de chancellerie61 : comment comprendre sinon que le juge prétendait parfois concéder, en quelque sorte en lieu et place du roi, le délai qui avait été concédé par le roi au débiteur ? En effet, le juge ne se contentait pas d’entériner le répit, mais il prétendait parfois le concéder lui-même :
« Entre Colet procureur Philippot Des Treilles d’une part et Simon Le Basennier procureur Denis Tonnel d’autre part, dit est que certaines lectres royaulx de respit a cinq ans obtenues et impetrees par ledit Philippot seront enterinees et en ce faisant que ledit Philippot aura et lui donnons terme et delay de paier audit Denis Tonnel la somme de IIII l.t. qu’il lui a confessé devoir par lectres obligatoires, jusques a cinq ans a prandre du jour et date desdites lectres de respit et condempnons icellui Denis Tonnel es despens62. »
19L’enregistrement de la sentence substituait ici au don royal le don fait par le juge. Remarquons toutefois que le mot « répit » n’était pas repris à son compte par le juge, signe qu’il faisait bien figure d’attribut de la souveraineté.
20Le Châtelet déboutait la majorité des impétrants de leur répit, en prononçant leur condamnation à payer, voire à tenir prison, tout en leur concédant souvent, avec l’accord du créancier, un « aterminement », c’est-à-dire des délais de paiements qui pouvaient être relativement longs. Pour comprendre le contenu réel de ces sentences, il faut être attentif à toutes leurs clauses. On peut utiliser un total de 51 sentences63, neuf relatives à des prisonniers pour dette et quarante-deux à des débiteurs non incarcérés.
21Le rejet du répit pouvait prendre la forme de plusieurs expressions différentes sous la plume du greffier : le débiteur y renonçait, il en était débouté, le répit était mis au néant. S’il n’y avait qu’une manière d’entériner le répit, il y avait donc plusieurs façons de le rejeter. Mais en aucun cas, il ne faut interpréter le rejet du répit comme un échec de l’impétration. Ce n’est que dans onze cas sur trente-huit que le répit rejeté ne procura aucun avantage au débiteur. Les avantages obtenus par l’impétrant dont le répit était rejeté étaient de plusieurs ordres : un délai ou « aterminement », la délivrance ou l’élargissement de son corps, la délivrance de ses biens saisis par exécution. Ils pouvaient se combiner et être concédés dans des proportions variables. L’aterminement peut sembler parfois long : en 1431, Pierre de Faye était débouté de sa quinquenelle, mais obtenait un échelonnement de remboursement de sa dette de huit livres sur plus de trois ans, avec trois annuités fixées à chaque Pentecôte64. La même année, Henry le Servoisier était débouté de son répit d’un an, mais obtenait un échelonnement de remboursement de sa dette de quarante livres sur dix mois environ, par des mensualités de quatre livres65. Le juge pouvait aussi faire bénéficier le débiteur débouté d’une autre faveur : les biens saisis sur le débiteur étaient partiellement rendus, le reste étant destiné à dédommager le créancier66. Le prisonnier pouvait être délivré ou élargi. La négociation pouvait jouer sur tous les tableaux, le temps imparti au débiteur, le sort du corps ou celui de ses biens67.
22Le plus souvent pourtant, elle jouait sur le temps. La sentence qui rejetait le répit royal tendait donc à l’imiter en concédant un « aterminement ». Dès lors, quel intérêt le créancier avait-il à une telle opération ? Il obtenait en général la fixation d’un échéancier de remboursement, le premier terme de paiement étant parfois proche, ainsi que la condamnation du débiteur, voire sa condamnation à tenir prison, avec la confirmation de l’hypothèque emportée par l’obligation initiale si elle existait, et parfois un cautionnement. Autrement dit, la perspective d’un paiement effectif rapide, même partiel, était beaucoup plus sûre avec ce type d’arrangements qu’avec l’acceptation simple d’un répit qui repoussait toute poursuite, toute contrainte, et a fortiori tout paiement. Le répit était un donc argument qui poussait le créancier à consentir un aménagement de la dette.
23Il arrivait évidemment que certains impétrants échouent totalement dans leur tentative d’obtenir l’entérinement d’un répit : le répit n’était pas entériné, ils étaient condamnés à payer et l’exécution sur leurs biens était ordonnée. Pour autant que les enregistrements permettent de les saisir, ces sentences écartaient des répits juridiquement infondés : l’impétrant avait commis une erreur de procédure (mise en défaut68, impétration après la fin de l’exécution69), était pris en flagrant délit de mauvaise foi (un impétrant multiplia les exceptions c’est-à-dire les artifices de procédure70), se voyait opposer une créance privilégiée71 ou des contre-lettres72, avait déjà obtenu des délais73. Le juge exerçait ainsi son devoir de vérification des conditions de validité du répit, conformément aux recommandations de la chancellerie.
24Ainsi l’impétration des répits au Châtelet révèle-t-elle moins l’arbitraire d’une faveur royale qui s’impose dans des relations privées quitte à léser certains sujets, qu’une occasion de renouer le dialogue entre des parties en conflit, utilisée par les impétrants et par les juges. Les enregistrements des causes civiles du Châtelet montrent bien que les lettres de répit impétrées par un débiteur poussaient le créancier à lui faire des concessions. Le recours au répit royal était donc un aiguillon pour une négociation avec le créancier.
25Un autre fait marquant est le souci croissant de réécriture par le clerc civil de la concession royale. Le juge royal cherchait à faire sien le don en faveur du débiteur et à affirmer ainsi que la concession de délais de paiement était fondamentalement de son ressort, c’est-à-dire du ressort d’une justice attentive à toutes les parties en cause. Preuve en est le fait que dans la batterie des concessions possibles aux débiteurs était systématiquement préférée la concession de délais de paiement : le juge reprenait à son compte le répit. On serait tenté d’y voir un signe de l’affirmation de l’autonomie du juge contre le pouvoir de grâce du roi.
26La pratique d’une juridiction royale montre donc que la grâce royale ne semblait pas alors pouvoir s’imposer par elle-même. Les sujets et les magistrats en discutaient : il y avait alors un dialogue possible entre les faveurs royales et les intérêts particuliers des sujets, dialogue qui se cachait derrière les débats judiciaires et les négociations. La grâce royale ne semblait pas définir un absolu, transcendant par rapport aux relations sociales. Sa fonction principale était de créer un espace possible pour la négociation entre les intérêts privés. Elle-même était au centre de plusieurs négociations : celle qui se jouait entre ces intérêts privés, celle qui se jouait entre la volonté de la chancellerie et le pouvoir judiciaire. Le caractère inachevé de la construction du répit comme grâce, qui laissa toujours en dehors du champ de la grâce royale le répit de cinq ans, se prolonge dans cette comptabilité par laquelle la faveur royale était mesurée : limitation par la chancellerie de l’émission des lettres de grâce, contrôle judiciaire de la validité des lettres de grâce, rejet fréquent par le juge royal des lettres de grâce, tout ceci était aussi une manière d’organiser la rareté de la grâce royale et d’en maintenir le prix. Le répit royal, conçu sur le modèle du don gracieux, haute affirmation de la souveraineté, était ainsi l’objet d’une économie de la grâce à la chancellerie et à l’audience du juge royal. Transformant le débiteur d’un créancier en débiteur de la majesté royale, il était l’un des instruments de la construction de la sujétion, par le recours à la chancellerie et au tribunal, sujétion qui peut être vue comme le contre-don politique de ce don gracieux.
Notes de bas de page
1 Puisqu’à la fin du Moyen Âge, le répit est le temps donné par le roi au débiteur infortuné, qu’il soit permis de citer ici l’ouvrage de J. Derrida, Donner le temps. t. I. La fausse monnaie, Paris, Galilée, 1991, qui, partant d’une méditation sur la locution idiomatique « donner le temps », propose une lecture de l’Essai sur le don de M. Mauss.
2 Christine de Pisan, The « Livre de Paix », Ch. C. Willard éd., Paris, Mouton, 1958, p. 148.
3 Elle a été largement commentée par Alain Guéry, « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la monarchie française d’Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 39-6, 1984, p. 1241-1269, ici p. 1245-1247.
4 Philippe de Mézières, Le Songe du vieil pelerin, G. W. Coopland éd., Cambridge, 1969, vol. II, p. 238-241. « Cy traicte la royne Verite du xiiii point du premier quartier du misterieux eschequier, touchant de largesse et de prodigalite. (…) Or venons, dist la royne, Beau Filz, a la pratique de dons de ta royalle magesté ; c’est assavoir aux dons publiques, sicomme aux eglises, aux grans seigneurs estranges qui te viennent visiter, aux ambaxadeurs et messaiges des grans seigneurs, a vaillans chevaliers estranges, aux princes qui viendront d’un voyage, ou qui en ta guerre se seront vaillamment et notablement portez, ou aux autres qui seront prisonniers, ou à tes officiers aussi qui auront bien servi. (…) Mais les dons royaulx, qui peuent estre diz dons secrez, sicomme aux serviteurs de ta personne royalle, qui ne sont pas petis ne legiers mais a cent doubles et a miliers, en cestui point xiiiie ne doivent pas estre oubliez. Qui vouldroit bien compter, disoit la royne, les dons discrez, ordinaires et extraordinaires, qui ont este faiz en une anne de ta royalle mageste, il trouveroit par avanture qu’il monteroit presque autant que ton juste demaine vault d’une annee. O quelle abusion et largesse fondee sus vaine gloire par indiscrecion… »
5 Jean Gerson fulminait contre les « oultraigeux dons » et souhaitait les ramener à « mesure et liberalité », tandis que « prodigalité, c’est assavoir fole largesse [serait mise] dehors », J. Gerson, « Discours au roi sur la réforme du royaume. Vivat rex », Œuvres complètes. VII, L’Œuvre française. Sermons et discours (340-398), Mgr Glorieux éd., Paris, 1968, n° 398, p. 1179.
6 Christine de Pisan, Le Livre du Corps de Policie, Paris, Honoré Champion, A. J. Kennedy éd, 1998, p. 24-25 (I, 14 : « De liberalité en prince et exemple des rommains ») : « Liberalité se monstre a ceulx qui sont povres et souffraiteux et qui ont mestier que on leur soit large et liberal. (…) Si declaire Seneque ou second livre Des Benefices et dit que le prince, ou cellui qui veult donner, doit regarder la puissance et auctorité de lui qui donne, et aussi la force et l’estat de cellui a qui il veult donner, affin qu’il ne donne mendre don que a lui appartient a donner, et aussi plus grant qu’il n’appartient a cil qui reçoit, ne plus petit aussi. Et doit considerer le prince, ou le donneur, a qui et pourquoy il donne le don, car il y a difference entre donner pour merite et guerredon d’aucun bienfait, et donner par franche liberalité de pure courtoisie. Car se c’est pour merite, le prince doit bien regarder que le don soit tel qu’il n’en puist estre blasmez de nulle chetiveté ou escharseté, si doit estre fait tousjours sus le large selon le merite. Mais quant le don est fait sans grant desserte ou merite, ja soit ce qu’il appartiengne a prince ou a puissant personne donner grant don ou il appertient, toutesvoies peut il aussi donner petit don a povre et indigente personne. (…) Ceste liberalité doit estre du sien et non de l’autrui, car, selon que dit Saint Ambroise ou premier livre Des Offices, ce n’est mie liberalité quant l’en donne aux uns et l’en toult aux autres, car riens n’est liberal s’il n’est juste. Et aussi par ce que dit est, liberalité est vertu divine, laquelle appartient avoir a tout bon prince. »
7 L’idée que la libéralité est la vertu du donateur raisonnable, présente chez Mézières et Gerson, se lit chez le prévôt royal de Paris, Guillaume de Tignonville, Dits Moraulx, dans Tignonvillana inedita, R. Eder éd., Romanische Forschungen, t. 33, 1915, p. 908-1022, ici p. 996 : « Liberalité est donner aux souffreteux ou a cellui qui l’aura desseruy ; mais que le don soit jouxte la possibilité du donneur, car cellui qui donne oultre, doit estre appelle gasteur et non pas liberal. »
8 Parmi les qualités qu’il veut bien reconnaître à Charles le Téméraire, figure sa libéralité pour ses commensaux. Philippe de Commynes, Mémoires, éd. et trad. J. Blanchard, Paris, Agora, 2004, p. 357 : « Aucun prince ne désira davantage que lui entretenir autant de commensaux et leur donner un bon train de vie. Ses bienfaits n’étaient pas très grands parce qu’il voulait que chacun en profite. »
9 Cités et commentés par N. Zemon Davis, Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, Paris, Seuil, 2003, p. 148-151
10 M. Senellart, Les arts de gouverner. Du regimen médiéval au concept de gouvernement, Paris, Seuil, 1995, p. 23 et p. 32 en particulier.
11 Christine de Pisan, The « Livre de Paix », Ch. C. Willard éd, Paris, Mouton, 1958, p. 148 : « Car pourquoy furent establis les princes sur terre ne mais pour aidier et secourir par auctorité de puissance, de corps, de parolle, de peine, de réconfort et tout aide non pas seullement les subgiéz, mais semblablement tous crestiens (…) et generalement tout homme de leur pouoir ayant juste cause et qui les en requeist (…) pardonner voulentiers à ceulx qui se repentent et pardon requierent, octroyer graces et telz choses qui proprement affierent à prince, lesquelles, quant voulentiers et acoustumeement sont faictes, est droit liberalité. »
12 G. Algazi, « Introduction. Doing Things with Gifts » dans Negotiating the Gift. Pre-Modern Figurations of Exchange, B. Jussen, V. Groebner et G. Algazi éd., Vandenhoeck et Ruprecht, 2003 (Veröffentlichungen des Max-Planck-Instituts für Geschichte, vol. 188), p. 9.
13 L. Kuchenbuch, « Porcus donativus. Language Use and Gifting in Seigniorial Records between the Eighth and the Twelth Centuries », dans Negotiating the Gift…, p. 193-246.
14 A. Derville, « Pots-de-vin, cadeaux, racket, patronage. Essai sur les mécanismes de décision dans l’État bourguignon », Revue du Nord, 56 (1974), p. 341-364.
15 A. Guéry, « Le roi dépensier. Le don, la contrainte et l’origine du système financier de la monarchie française d’Ancien Régime », Annales. Histoire, Sciences Sociales, 39-6, 1984, p. 1241-1269.
16 L. Scordia, « Le roi doit vivre du sien ». La théorie de l’impôt en France (XIIIe -XVe siècles), Paris, Institut d’Études Augustiniennes, 2005 (Collection des Études Augustiniennes, Série Moyen Âge et Temps Modernes, 40), particulièrement p. 383-398.
17 A. Boureau, La religion de l’État. La construction de la République étatique dans le discours théologique de l’Occident médiéval (1250-1350), Paris, Les Belles Lettres, 2006, spécifiquement p. 265-270.
18 N. Zemon Davis, Essai sur le don dans la France du XVIe siècle, Paris, Seuil, 2003.
19 Voir Suppliques et requêtes. Le gouvernement par la grâce en Occident (XIIe -XVe siècle), H. Millet dir., Rome, Collection de l’École Française de Rome, 310, 2003, et particulièrement C. Gauvard, « Le roi de France et le gouvernement par la grâce à la fin du Moyen Âge. Genèse et développement d’une politique judiciaire », p. 371-404.
20 E. Aurieau, Lettres de répit, Bordeaux, 1910.
21 Jean Bouteiller, Somme Rural ou le Grand Coustumier de practique civil et canon, L. Charondas Le Caron éd., Paris, 1603, Livre II, titre 1, p. 646.
22 Sur ce point, voir : Registres du Trésor des Chartes, R. Fawtier dir., t. I, Introduction, Paris, 1958 ; G. Tessier, « L’enregistrement à la chancellerie royale française », Le Moyen Âge, 62 (1956), p. 39 et suiv. ; R. Scheurer, « L’enregistrement à la chancellerie de France au cours du XVe siècle », Bibliothèque de l’École des Chartes, 120 (1962), Paris, 1963, p. 122 qui définit ces registres comme « les recueils dans lesquels sont enregistrées les lettres de grâce scellées de cire verte ».
23 Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1849, t. I, p. 681, article 8 : « Pour les lettres de respits, et estats, que nous donnons, et de plusieurs autres au nom de nous, mesmement en faveur de ceuls qui dient qu’ils vont, ou veullent aller en nos guerres, plusieurs grands pertes et dommages viennent de jour en jour aux bons marchands de nostre royaume, dont nous deplait, nous voullons et ordenons, que d’ores en avant, nul ne donne telles lettres d’estat, si ce n’est par nous, ou par nos lieutenants… »
24 C.-V. Langlois, « Formulaires de lettres du XIIe, du XIIIe et du XIVe siècles (6e article). Les plus anciens formulaires de la chancellerie de France », Notices et extraits des manuscrits de la Bibliothèque Nationale et autres bibliothèques, t. XXXV, 2e partie, Paris, 1897, p. 793-830.
25 É. Bridrey, La condition des croisés et le privilège de croix, étude historique du droit français, Caen, 1900 ; J. A. Brundage, Medieval Canon Law and the Crusader, Madison-Milwaukee-London, 1969, p. 182 en particulier.
26 Bibliothèque Nationale de France (désormais abrégé BnF) lat. 4763. Après celui-ci, il faut attendre un demi-siècle pour trouver de nouveaux recueils : les BnF lat. 13868 et BnF lat. 4641.
27 BnF lat. 4763, fol. 40 : respectum est datum de debitis usque ad terminum. Le terme respectus désigne aussi, dans une autre rubrique, une intervention en faveur d’un créancier du roi, un combattant en attente de sa solde, qui a des créanciers.
28 Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1849, t. I, p. 741-742 en note.
29 P.-C. Timbal, Les obligations contractuelles d’après la jurisprudence du Parlement (XIIIe -XIVe siècles), Paris, 1973-1977, t. II, p. 87, n. 38, Archives Nationales (désormais Arch. Nat.) X1A 5, fol. 225v
30 S. Lusignan, « La transmission parascolaire des savoirs juridiques. Les arts épistolaires de la chancellerie royale française », dans Éducation, apprentissages, initiation au Moyen Âge. Les cahiers du CRISIMA, 1 (1993), Montpellier, t. I, p. 249-262.
31 BnF fr. 5024 ; éd. critique par Olivier Guyotjeannin et Serge Lusignan : http://elec.enc.sorbonne.fr/morchesne/3.htm. Ce formulaire est copié tout au long du XVe siècle et sert de matrice au formulaire imprimé officiel de la chancellerie du XVIe siècle, Le grand stille et prothocolle de la chancellerie de France, G.Tessier, « Le formulaire d’Odart Morchesne (1427) », dans Mélanges dédiés à la mémoire de Félix Grat, Paris, 1949, t. II, p. 75-102.
32 BnF fr. 5024, fol. 15v.
33 BnF fr. 5024, fol. 15.
34 G. Tessier, Diplomatique royale française, Paris, 1962, p. 264-265.
35 BnF fr. 18114.
36 BnF fr. 5024, fol. 15.
37 Le Très ancien Coutumier de Normandie, E.-J. Tardif éd., I, 2e partie, Rouen et Paris, 1903, p. 31 : « Plet e batailles pueent estre essonié ou respoitié par trois foiz, a chascune foiz par II homes. E après le tierz respit… »
38 Assises de Jérusalem ou recueil des ouvrages de jurisprudence composés pendant le XIIIe siècle dans les royaumes de Jérusalem et de Chypre, A. A. Beugnot éd., Paris, 1841, t. I Livre de Philippe de Novare, p. 482 : « quarante jours de respit de prover ».
39 Li Livres de jostice et de plet, P. N. Rapetti éd., Paris, 1850, p. 341 : « et aura ses respiz et contremanz ».
40 Les « répis » y désignent tous les délais qu’un créancier peut consentir à un débiteur, voir par exemple Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, A. Salmon éd., Paris, 1899-1900, rééd. G. Hubrecht, Paris, 1970-1974, t. II, chap. LV « des reclameurs », p. 321-325, mais aussi des délais judiciaires plus variés, ibid., t. II, chap. LXV « des delais que coustume donne et des respis que li homme pueent prendre de jugier » », p. 442, n°1866 : « S’il convient que li homme voisent en ost ou hors du païs par le commandement du roi ou du conte, les quereles qui sont en jugement doivent demourer en autel estat dusques a tant qu’ils soient revenu, ne teus delais qui est fes par commandement de souverain ne tout pas as hommes leurs respis. » Le sens de « respit » concédé par le roi à un débiteur (un croisé) apparaît une fois, ibid., t. I, chap. VII « des defenses », n° 237, p. 121 : « ou quant li rois ou l’apostoiles donne respit des detes pour le pourfit de la crestienté et li defenderes alligue tel respit. ».
41 Le Livre Roisin. Coutumier lillois de la fin du XIIIe siècle, R. Monier éd., Paris-Lille, 1932, n° 136 : « boin respit de clains de cateuls et de tous ensignemens de cateuls ».
42 Il s’agissait d’un répit de deux ans en faveur des croisés, Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1849, t. XI, p. 255, en note et Rigord, Gesta Philippi Augusti, Recueil des Historiens des Gaules et de la France, t. XVII, p. 25-26 qui cite l’ordonnance.
43 Il s’agissait d’un répit de trois ans, en faveur des débiteurs des Juifs dépourvus de biens et travaillant de leurs mains dans le domaine royal et en Normandie, Ordonnances des roys de France de la troisième race, Paris, 1723-1849, t. I, p. 35. Voir W.-C. Jordan, The French Monarchy and the Jews. From Philip Augustus to last Capetians, Philadelphia, 1993, p. 324.
44 Pierre de Fontaines, Le Conseil de Pierre de Fontaines ou traité de l’ancienne jurisprudence française, M. A. J. Marnier éd., Paris, 1846, p. 483.
45 Récits d’un ménestrel de Reims au XIIIe siècle, N. de Wailly éd., Paris, Société de l’Histoire de France, 1876, p. 190, n° 368.
46 Je remercie les responsables du Comité Du Cange, en particulier Bruno Bon et Anita Guerreau-Jalabert, qui ont bien voulu me laisser consulter les fichiers de travail du Novum Glossarium Mediae Latinitatis, dictionnaire international de la langue latine médiévale de 800 à 1200 en cours de rédaction.
47 Sg 2, 20 ; 3, 7 ; 4, 15 ; 14, 11 ; 19, 15. Les deux autres occurrences dans la Vulgate sont respectivement : Ps. 72, 4 et Si. 40, 6. Le mot y désigne aussi des interventions divines.
48 C. Larcher, Études sur le livre de la Sagesse, Paris, J. Gabalda et Cie, 1969, p. 316 et ID., Le Livre de la Sagesse ou la sagesse de Salomon, Paris, J. Gabalda et Cie, 1983-1985, t. I, p. 257, p. 285, t. II, p. 343, t. III p. 802, p. 1069.
49 G. Tessier, « Lettres de justice », Bibliothèque de l’École des Chartes, 101 (1940), p. 102-115 : la lettre de justice se définit comme une « lettre adressée à un juge par laquelle le roi lui mande de faire droit à une requête fondée sur l’équité, la coutume ou la loi ».
50 BnF fr. 18114.
51 Une lettre en faveur de l’abbaye de Solignac datant de 1401 porte d’ailleurs la mention « de grace especial », P. Morel, L’abbaye de Solignac durant les Guerres de Cent Ans, Extrait du Bulletin de la société archéologique et historique du Limousin, t. 78, Limoges, 1940, p. 19, pièce n° II. Henri Denifle, qui travailla à partir des suppliques du Vatican, ne mentionne pas les répits royaux, H. Denifle, La désolation des églises, monastères, hôpitaux en France vers le milieu du XVe siècle, Mâcon, 1897-1899.
52 BnF F 843.
53 Le suppliant avait perdu ses biens en raison de « dures fortunes » (« guerres et gens d’armes » et « sterilité du temps »), d’après la formule du répit d’un an, BnF fr. 5024, fol. 15.
54 Jean Bouteiller, Somme Rural ou le Grand Coustumier de practique civil et canon, L. Charondas Le Caron éd., Paris, 1603, Livre II, titre 22 « de lettres de respits », p. 807 : « Item quant a la grace d’un an que peut faire le prince de sa noblesse… »
55 « Nous a icelui suppliant ou cas dessusdit avons donné et octroyé donnons et octroyons de grace especial par ces presentes terme respit et delay de ses debtes paier », BnF fr. 5024, fol. 15.
56 « Voulons et octroyons ausdiz religieux de grace especial par ces presentes… », BnF fr. 5024, fol. 17v.
57 « Il vous appert que la greigneur partie des creances de (…) se consente sanz fraude a lui donner terme respit et dilacion de ses debtes paier jusques au terme de cinq ans », BnF fr. 5024, fol. 16.
58 Sept ans et demi d’activité très discontinue seulement sont documentés par les registres de causes civiles, Arch. Nat., Y 5220-5232.
59 Arch. Nat. Y 5232, cinq répits entérinés pour cette seule année.
60 Un seul répit sur les dix discutés est entériné en 1430-1431, Arch. Nat. Y 5230.
61 De ce point de vue, le juge du Châtelet reflète bien « l’idéologie de la magistrature ancienne » qui conteste la justice personnelle du roi, J. Krynen, L’État de justice. France, XIIIe -XXe siècle. I. L’idéologie de la magistrature ancienne, Paris, Gallimard, 2009, p. 38 en particulier.
62 Arch. Nat. Y 5232, fol. 170, 26 octobre 1454.
63 Dont trois ne précisent pas le sort du répit.
64 Arch. Nat. Y 5231, fol. 40, 4 juin 1431.
65 Arch. Nat. Y 5231, fol. 16, 5 avril 1431. Autres exemples : Arch. Nat. Y 5231, fol. 12, 22 mars 1431, Adam Doquier, qui est débouté de son répit, obtient un délai de plus de dix-huit mois pour payer sa dette de dix-neuf livres tournois, en deux paiements aux termes de la saint Remi ; Arch. Nat. Y 5231, fol. 22, 22 avril 1431 : Jehan de Stranfort est débouté de sa quinquenelle, mais il obtient un délai de plus de deux ans pour régler sa dette.
66 Arch. Nat. Y 5228, fol. 13, 14 juin 1414.
67 Arch. Nat. Y 5226, fol. 12, 2 mars 1407 : Guillaume de Bonhaing voit son répit rejeté, obtient un délai de paiement de sept mois pour sa dette de deux cents écus et la délivrance des biens qui avaient été saisis sur lui.
68 Arch. Nat. Y 5220, fol. 143v, 7 mars 1396, Gerart de Celiers.
69 Arch. Nat. Y 5227, fol. 110v, 26 octobre 1409, Michel Haudry.
70 Arch. Nat. Y 5220, fol. 240v, 27 juin 1396, Guillaume Rose.
71 Arch. Nat. Y 5224, fol. 128, 27 novembre 1402, Godeffroy d’Arcueil.
72 Arch. Nat. Y 5226, fol. 4, 23 février 1407, Laurencin Hartuenet.
73 Arch. Nat. Y 5231, fol. 27, 3 mai 1431, Jehan Chabasse et sa femme.
Auteur
Université de Reims
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