Le discours constitutionnel dans El Imparcial de Pedro Estala (1809)1
p. 281-304
Texte intégral
1Dans son premier acte de roi des Espagnes et des Indes, le 11 juin 1808, Joseph Bonaparte s’adressait aux nouveaux sujets que la « Providence » avait placés sous sa protection, pour demander leur collaboration pour la régénération qu’il promettait2. En fait de Providence, il devait son trône à son frère l’Empereur et si ce dernier imagina de faire accepter la substitution dynastique en donnant une constitution qui apporterait les « bienfaits d’une réforme, sans froissements, sans désordres, sans convulsions »3, il n’entendait pas perdre le contrôle de la Péninsule en cédant ses droits.
2Prenant en compte les informations que Murat lui transmettait sur l’état d’esprit des élites madrilènes, Napoléon fit réunir à Bayonne une assemblée de notables pour désigner un roi et recevoir une constitution. Les inquiétudes relatives à la durée de l’interrègne accélérèrent la nomination de Joseph qui fut reconnu lors de la première session de l’assemblée4. La convocation des députés indiquait qu’ils devaient être porteurs des vœux et doléances de leurs commettants afin de pouvoir poser les bases « de la nouvelle constitution qui doit gouverner la monarchie »5. En fait, le projet avait été préalablement préparé sur le modèle des constitutions de l’Empire6 et soumis secrètement à l’avis de magistrats madrilènes pour l’adapter7. Napoléon n’avait pas voulu réunir une assemblée dotée de pouvoirs constituants. En vertu des droits cédés par traité par les membres de la dynastie des Bourbon8, il était seul souverain. Si la Constitution fut finalement décrétée par Joseph9, il n’en demeure pas moins que du point de vue impérial, il s’agissait d’un octroi.
3Mais la reconnaissance par les Espagnols de Joseph comme roi devait reposer sur un fondement distinct qu’il convient de ne pas négliger pour comprendre les enjeux de la légitimation du nouveau régime10. Du fait de l’intervention d’un certain nombre de députés espagnols11, furent inclus dans la constitution les éléments qui en faisaient la « base du pacte qui lie nos peuples à nous [le roi] et nous à nos peuples » (préambule). Dans tous ses actes, son titre, c’est-à-dire le rappel du fondement juridique qui l’autorisait à agir était « Don Joseph par la grâce de Dieu et la constitution de l’État, roi des Espagnes et des Indes » (art. 4). Il devait, comme ses sujets, prêter serment de respecter la constitution (art. 6 et 7). Ces ajouts permettaient de donner au texte une nature contractuelle qui l’inscrivait dans la continuité de la tradition politique pactiste espagnole. Pour Joseph, la constitution qui avait une dimension interne, n’était pas un pur acte royal12. C’était le fondement au nom duquel il exerçait son autorité et sa légitimation impliquait l’adhésion des sujets.
4Napoléon qui détermina le contenu final de la constitution, avait cherché à garantir ses intérêts en s’assurant que Joseph, premier dans l’ordre de succession impériale en France13, aurait les moyens de mettre la Monarchie espagnole au service de son système européen. Joseph, pour sa part, reconnaissait l’obligation royale de respecter la constitution en contrepartie de sa reconnaissance. L’ultimatum lancé en décembre 1808 par l’Empereur à la députation des corporations de la ville de Madrid était très clair14. Ayant puni ceux qui, niant la validité des traités de Bayonne, avaient remis en cause ses droits, et les ayant confirmés par la conquête, soit il désignait des vice-rois (une menace qui effraya15), soit les Espagnols prêtaient serment pour accepter le roi et la « constitution libérale », l’un n’allant pas sans l’autre. Lorsque la perpétuation de la résistance rendit patente l’absence de reconnaissance pacifique de Joseph, Napoléon ignora la constitution et les traités et exigea de son frère qu’il fit de même16. Les différents projets de convocation des Cortès sont révélateurs de la volonté royale de consolider le fondement constitutionnel de son autorité en obtenant l’assentiment de la « Nation espagnole ». Il envisagea même de faire rédiger une nouvelle constitution17.
5Ainsi, le discours sur la régénération de la Monarchie repris à son compte par Joseph, la politique de captation18 rapidement organisée et les mesures mises en place pour obtenir le serment des Espagnols ne sont pas seulement la conséquence de la nécessité d’obtenir une reconnaissance du changement politique opéré au sommet de l’État. Il s’agissait de créer le fondement constitutionnel de l’autorité royale. En dépit de la domination d’un argumentaire circonstanciel idéologiquement pauvre, la propagande des joséphins n’en est pas moins un élément constitutif majeur de la légitimation juridique du nouveau régime. Il ne faut donc pas s’étonner de l’importance accordée à la presse par les nouvelles autorités, ni de l’entrain avec lequel certains joséphins mirent leur plume au service du roi.
6Alors qu’en juillet 1808 le Conseil de Castille faisait de l’obstruction pour l’impression et la circulation de la constitution, la Gazeta de Madrid, contrôlée par les Français19, fut utilisée pour sa diffusion20. Lorsque le roi se réinstalla dans sa capitale début 1809, parallèlement à la republication de la constitution21, il fallait former l’opinion publique. C’est l’objectif que se fixa Pedro Estala en publiant El Imparcial, o Gazeta Política y Literaria22 pour « détromper et éclairer [ses] compatriotes » (« desengaño e ilustración de [sus] compatriotas »)23. L’importance de ce périodique bihebdomadaire (en dépit de la brièveté de sa publication), relève à la fois de la personnalité de son auteur et de son contenu. En 1808 Estala était chanoine de Tolède et bibliothécaire de l’Institut de San Isidro de Madrid. Il faisait partie des intellectuels qui avaient fait carrière en servant la politique de Godoy, Prince de la Paix. Il s’engagea très tôt pour la cause joséphine : alors même qu’il n’avait été nommé à aucune fonction, il fut au nombre réduit de ceux qui évacuèrent Madrid lorsque le roi se retira au Nord après la défaite française de Baylen24. Il mit dès lors ses talents littéraires au service de la propagande, ce qui lui valut de faire partie de la première promotion civile de l’Ordre royal d’Espagne, mais aussi sa proscription par les autorités « patriotiques »25. Le contenu de El Imparcial ne se limite pas à l’argumentaire circonstanciel sur l’absurdité de continuer une guerre de résistance vouée à l’échec face aux armées du « vainqueur de l’Europe » (le desengaño) ; il vise aussi à expliquer les avantages d’une constitution qui, une fois compris, ne pourront que convaincre (la ilustración).
7Ce périodique dont Hans Juretschke avait signalé l’intérêt pour connaître la propagande afrancesada26, n’a fait l’objet d’aucune étude d’ensemble. Gérard Dufour a analysé le contenu général à travers le prospectus et a suggéré les raisons de son échec27. La biographe d’Estala a dressé la liste des articles d’opinion sans les analyser28. Seuls un discours sur la constitution et un article sur le patriotisme ont fait l’objet d’un commentaire à propos du discours constitutionnel du régime joséphin29. Mais une lecture attentive de la collection révèle que le discours constitutionnel dépasse ces deux textes. Les réflexions historiques, sur l’état moral et l’esprit des Espagnols, la présentation des nouvelles extérieures et la critique de la Junte centrale dévoilent la conception que l’un des porte-parole du régime joséphin avait de la constitution en tant qu’instrument de régénération30 de la patrie. La constitution était d’abord et avant tout une organisation du pouvoir qui distinguait le parti du roi Joseph de l’insurrection anarchique : sa seule existence devait conduire les Espagnols à prêter serment. Mais le contenu de El Imparcial révèle qu’en dépit des louanges qui lui étaient adressées, la Constitution de 1808 n’était pas forcément idéale. Le discours d’Estala s’inscrivait dans la culture constitutionnelle ilustrada qui, si elle avait adapté son vocabulaire après la Révolution française, n’avait pas assimilé les notions de la science nouvelle du gouvernement.
La Constitution, un argument de ralliement
8L’évacuation de Madrid avait eu pour conséquence fâcheuse la formation d’un gouvernement concurrent dans le camp dit patriotique. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre la teneur du discours des joséphins pour rallier les Espagnols à leur cause. La Constitution de Bayonne allait résoudre tous les maux de l’Espagne en créant la patrie. Le choix était simple : soit les Espagnols optaient pour le régime constitutionnel de Joseph, soit ils cédaient au « despotisme anarchique » de l’insurrection.
Une régénération constitutionnelle de la patrie
9Estala commença sa série d’articles d’opinion par un « discours sur la constitution »31 dont l’objectif clairement affiché était d’instruire le peuple32. Son propos s’inscrivait dans le discours historique produit par la culture constitutionnelle de la Monarchie espagnole en germe depuis la décennie de 178033. Ainsi, il affirmait que les fors (fueros) et lois fondamentales des différents territoires de la Monarchie avaient été leur constitution. En dépit de leur manque d’unité (une critique de la division territoriale et politique de la Monarchie) et de leurs imperfections (ils étaient donc améliorables), ils avaient limité le pouvoir des rois et garanti les droits des sujets. Les freins qui s’opposaient à la puissance royale avaient été rompus par le despotisme des deux dernières dynasties. Le lecteur pouvait donc aisément comprendre que l’ère constitutionnelle ouverte en 1808 par une nouvelle dynastie mettait fin à la longue parenthèse de l’absolutisme moderne dont la responsabilité incombait aux anciennes familles régnantes. Pour expliquer les avantages d’une constitution, Estala préférait recourir à l’expérience historique plutôt qu’à une analyse du texte de Bayonne.
10Il s’appuya particulièrement sur les institutions de l’Aragon qui étaient la référence préférentielle des ilustrados pour démontrer l’existence ancienne d’un pouvoir royal sub lege34. L’historien écossais Robertson avait largement diffusé l’idée selon laquelle, au terme de la « reconquête », la Castille avait eu une monarchie féodale, alors qu’en Aragon l’organisation républicaine du gouvernement avait garanti une « liberté par laquelle [les Aragonais] s’étaient distingués des autres nations » (« liberty by which [the Aragoneses] were distinguished from other nations »)35. Un autre joséphin, Frère Miguel de Santander, s’était fait l’écho de cette interprétation dans sa Carta [anonyme] de un religioso español, amante de su patria, escrita a otro religioso amigo suyo sobre la constitución del reyno y abuso del poder36 qui fut diffusée dans le camp patriotique par les partisans de la révolution nationale et constitutionnelle de l’Espagne (les « libéraux révolutionnaires »)37. Le modèle explicatif choisi par Estala était donc à la fois un lieu commun et un élément constitutif du mythe politique de l’origine médiévale des libertés.
11Estala expliqua la manière dont furent instaurés les fueros de Sobrarbe (IXe siècle) en interprétant à sa convenance les annales de Zurita38. L’objectif de sa démonstration était clair : il définissait la « monarchie constitutionnelle » comme le meilleur des régimes politiques et posait le critère qui devait guider en priorité le choix du roi. Sans mention ni de l’invasion arabe, à laquelle les tenants d’une croisade anti-française comparaient l’intervention impériale de 1808, ni de l’incursion carolingienne au Sud des Pyrénées, une autre référence qui aurait été peu habile, Estala expliquait qu’à la mort sans héritiers des premiers rois d’Aragon qui avaient régné de façon arbitraire, les Aragonais furent « maintenus » par un « gouvernement aristocratique »39. Mais assiégés par les Maures, il leur fallait une autorité plus énergique. Ils résolurent donc de se doter d’une « monarchie constitutionnelle », c’est-à-dire un système dans lequel la « liberté des citoyens » se combine avec « l’énergie propre au gouvernement monarchique ». Paraphrasant les fueros, Estala explique que les Aragonais n’hésitèrent pas à consulter des juristes lombards et français ainsi que le pape pour établir leurs fueros avant de désigner leur roi. Bien que les Lombards et le pape avaient conseillé de ne pas choisir quelqu’un qui ne serait pas natif du royaume et alors même qu’il y avait en Aragon des personnages très éminents, les Aragonais désignèrent Iñigo Arista, natif de Bigorre et donc étranger, parce qu’il était le meilleur. Estala conseillait de méditer ce bel exemple de patriotisme qui savait sacrifier les préoccupations nationales pour le bien de la patrie. Le parallèle avec Joseph, roi étranger qui avait accepté de limiter ses pouvoirs par une constitution était si manifeste qu’il était suffisant de le suggérer. La grandeur de l’Aragon était le fruit du patriotisme des Aragonais, sa ruine vint de la destruction des fueros par Philippe II qui s’appuya sur l’Inquisition40.
12Le discours d’Estala réagissait au débat qui dans le camp « patriotique » avait opposé en 1808 les partisans d’une régence conservatrice des lois et des droits de Ferdinand VII, pendant sa captivité en France, aux libéraux révolutionnaires. Le Semanario patriótico, périodique emblématique de ces derniers, avait donné une double définition de la patrie qui fut reprise dans El Imparcial. Si pour les « modernes » (modernos), elle était seulement le lieu de naissance, les « anciens » (antiguos), c’est-à-dire ceux qui parlaient avant l’instauration du despotisme, appelaient
« Patrie l’état ou la société à laquelle ils appartenaient, et dont les lois leur assuraient liberté et bien-être. […] Par conséquent, là où il n’y avait pas de lois œuvrant à l’intérêt général, où n’existait pas un gouvernement paternel qui veillerait au bien commun, où toutes les volontés, toutes les intentions, et tous les efforts, au lieu de converger vers un même centre, ou étaient réduite à l’esclavage par l’arbitre d’un seul homme ou bien allaient dans des directions différentes, il y avait certainement un pays, une population, une communauté d’hommes, mais en aucun cas une Patrie »41.
13Pour Quintana et son entourage, responsables du Semanario, il fallait donc réunir la Nation souveraine en cortès pour former une constitution qui unifierait la Nation42. Grâce à « l’arrangement intérieur de l’État », « nous aurons une patrie, une véritable patrie qui protégera et défendra ses enfants en préservant du pouvoir arbitraire la liberté civile, la sécurité des personnes et la propriété des biens »43. Lorsque parut El Imparcial en mars 1809, la Junte centrale installée à Séville, une régence dont la forme était inédite (ou extraordinaire mais en aucun cas révolutionnaire), était loin de promouvoir des réformes dans le camp opposé à Joseph. Ainsi, Estala qui avait été traité de « Barrabas » dans le Semanario44, put faire valoir que la Constitution de Bayonne avait réalisé le vœu de former une patrie espagnole et qu’il suffisait donc de s’y rallier lorsque l’on voulait être patriote.
14« La Patrie [écrivit-il], c’est ce pays où est né l’homme, qui lui fournit tous les avantages inhérents à une société bien ordonnée, et lui permet de jouir de ses droits indispensables »45. Jusqu’alors les Espagnols n’étaient qu’un « troupeau d’être rationnels, privés des droits les plus sacrés, voués à tout sacrifier, jusqu’à [leur] vie, au caprice de ceux qui les commandaient »46. Il n’y avait pas de patrie, seulement un conglomérat d’individus égoïstes et préoccupés de leur seule survie, entretenus dans l’erreur par des maximes despotiques enseignées depuis l’enfance, maintenus dans la misère par la concentration des richesses entre les mains des bénéficiaires du despotisme (courtisans et nobles), condamnés à la servitude dans un pays sans industrie. La description n’est pas sans rappeler un pamphlet révolutionnaire d’Arroyal qui dépeignait « une Espagne enfant et faible, dépeuplée, sans industrie, sans richesse, sans esprit patriotique, et même sans gouvernement connu »47. L’absence de patrie était la cause de la stagnation économique et démographique de l’Espagne. Faute de sécurité juridique, toute entreprise, toute innovation était vouée à l’échec. Les parents faisaient entrer leurs enfants dans les ordres « stériles » pour qu’ils échappent à la misère. Si d’aventure quelqu’un s’occupait du bien commun, sa ruine et son échec inéluctables devaient servir d’exemple à tous contre les initiatives d’intérêt public.
15Le despotisme allant de pair avec l’ignorance, les Habsbourg mirent l’Espagne sous la coupe des théologiens et du Conseil de Castille, « cette boîte de Pandore d’où sont sortis tous les maux de l’Espagne »48. Après avoir détruit les institutions qui protégeaient la liberté, il avait fallu en faire oublier le souvenir. Comme disait Francisco Martínez Marina, le despotisme « réussit à avilir et dégrader le cœur des Espagnols qui, habitués à leurs chaînes, les aimaient et se vantaient d’être esclaves »49. Sans quoi, comment comprendre que les Aragonais durent être détrompés (à coups de canon) avant de prêter serment au roi Joseph50. Mais comment aussi ne pas voir que les Basques qui étaient parvenus à conserver leurs fueros jusqu’ici, non seulement étaient prospères en dépit de la pauvreté du terrain sur lequel ils vivaient, mais en plus, bien informés des avantages d’une constitution, ils ne s’étaient pas soulevés51. Estala taisait l’impact qu’avait pu avoir la présence de l’armée impériale. Il considérait indispensable d’inclure la connaissance de la constitution dans les programmes d’enseignement52.
16Ainsi, sans jamais expliquer en quoi la Constitution de 1808 devait permettre de réparer la longue liste des maux exposés, Estala affirmait qu’elle le ferait. « Pour aimer la constitution, il suffit de la connaître » affirmait-il53. Il promit, sans donner suite, une présentation analytique de ses principaux articles. En définitive, elle n’était pas vraiment utile. Telle qu’il l’avait présentée, la constitution était l’antithèse du système politique précédant et devait par conséquent produire l’effet inverse. De sa seule existence devait émerger une patrie espagnole uniforme (et non la nation en tant que sujet politique). La constitution accomplissait presque un miracle, elle était un don inespéré. Certes, il en coûtait aux bons Espagnols de la devoir à un étranger et Estala lui-même aurait aimé qu’un « tuteur » (Napoléon) ne fût pas nécessaire pour recouvrer la liberté. Mais le despotisme s’était tellement bien installé qu’il immobilisait les Espagnols ou les condamnait à pire sort s’ils s’agitaient54. Martínez Marina qui tout en participant au débat du camp patriotique resta dans la capitale de Joseph, reconnaissait aussi que l’intervention de Napoléon avait été un réveil providentiel après le despotisme des Habsbourg et des Bourbon55.
17En conclusion, le seul choix patriotique que les Espagnols pouvaient faire, c’était prêter serment d’obéissance au meilleur roi et à la constitution sans laquelle il n’y avait pas de patrie. Suivre la Junte centrale à laquelle Estala ne reconnaissait pas la qualité de gouvernement, était une erreur ou le choix du despotisme et de l’anarchie.
Un choix entre un gouvernement constitutionnel et le despotisme anarchique
18C’est à travers le discours polémique contre l’adversaire qu’il est possible de cerner le positionnement politique d’Estala face à la crise de la Monarchie espagnole. Pour lui, la guerre opposait le camp du roi constitutionnel Joseph et des « vrais » patriotes (les joséphins), soutenu par les armées impériales alliées de la nouvelle dynastie, au peuple trompé par les privilégiés et aux tenants d’un complot anarchique destructeur qui recherchaient l’appui de l’Angleterre, ennemie naturelle des intérêts de l’Espagne.
19Sur le plan des interventions externes au conflit, la faute était rejetée sur l’Angleterre qui cherchait sur tout le continent à « attiser le feu de la discorde par d’atroces suggestions et de perfides promesses » obligeant la France à employer ses « Immenses ressources » pour défendre la paix56. Estala qui avait déjà dénoncé la politique de l’Angleterre en 180557, ne cessait de vouloir démontrer ses intentions égoïstes et sa déloyauté. L’expédition de Moore dans la Péninsule en 1808 devait illustrer ce qu’il fallait attendre d’elle. Les troupes débarquées avaient fui devant les Français en abandonnant les Espagnols, mais à la Chambre des Communes, la responsabilité de la débâcle évidente fut rejetée sur l’incompétence espagnole58. À l’inverse, l’intervention française était une libération de l’oppression anglaise, de l’erreur et du désordre. Les provinces encore sous le joug des juntes l’attendaient et l’espéraient « avec impatience pour sortir de l’état d’oppression et d’agitation où elles sont prostrées »59. Le roi Joseph ne voulait pas réunir une forte concentration de troupes pour conquérir, mais pour démontrer par l’évidence que toute résistance était impossible afin de ramener rapidement l’ordre pour que ses réformes produisent au plus tôt leurs effets bénéfiques60. La clémence de Joseph envers Saragosse, tout comme celle de Napoléon envers les Viennois61, devaient inspirer confiance aux Espagnols.
20Les responsables de l’insurrection étaient les privilégiés qui avaient tout à perdre de l’instauration d’un gouvernement « libéral ». Ils rejetaient les promesses de « bonheur » faites par les Français parce qu’ils jouissaient de rentes scandaleuses et de décorations distinguées sans rien faire pour les mériter62. Abusant de leur ascendant sur le peuple, ils l’entraînaient dans une guerre insensée et destructrice. Le propos d’Estala était une véritable diatribe contre les privilégiés qui représentaient un obstacle à l’amélioration de la situation publique :
21« Pour que l’on puisse envisager la moindre réforme il fallait que tous les grands et autres personnages et corps ayant survécu au bouleversement général, devinssent des anges dépourvus de tout attachement humain pour être capables de renoncer volontairement à toutes leurs usurpations. Voilà la véritable cause de tous nos maux, voilà la véritable raison des efforts que ces hommes ont faits et font encore pour empêcher la réforme totale de tant d’abus. Et toi, malheureux peuple (je le répéterai mille fois), et vous, malheureuses victimes du despotisme des grands et des usurpations des corps privilégiés, vous souhaitez sacrifier les misérables reliques qui vous restent, et même vos propres vies, pour ces tyrans, qui vous laisseraient sombrer dans une misère encore plus grande s’ils parvenaient à triompher ! »63.
22Ce discours s’inscrivait à la suite des positions les plus critiques de la Ilustración contre le système nobiliaire, féodal ou de cour, au motif qu’il représentait un frein pour le développement économique du pays64, mais aussi parce que c’était un corps intermédiaire qui disputait au roi le monopole de son pouvoir65. La position d’Estala n’était donc pas révolutionnaire, mais elle dévoilait que les adversaires de la noblesse étaient disposés à la destruction de ses privilèges si la volonté royale le permettait. Le changement de régime en 1808 permettait d’aller beaucoup plus loin, plus vite et plus radicalement contre les obstacles à la réforme de la Monarchie que ne l’avaient permis plusieurs décennies de despotisme éclairé. Si la thèse de Miguel Artola66 sur le fait que l’afrancesamiento est une expression attardée de la ilustración est ainsi validée, elle est incomplète. Elle ne permet pas de comprendre la position générale des joséphins par rapport à la Révolution française et à ses conséquences. Or l’afrancesamiento s’inscrit comme une réaction au bouleversement général des idées et des actions depuis 1789. La critique anti-nobiliaire d’Estala s’associait à la dénonciation en termes réactionnaires de l’esprit jacobin et anarchique qui animait les meneurs de l’insurrection.
23Exploitant les tensions du débat de l’été 1808 sur la formation d’une autorité centrale pour recréer une unité entre les territoires dominés par des juntes souveraines67, Estala établit un parallèle avec le gouvernement révolutionnaire qui chercha à étendre sa tyrannie dans une guerre civile sanglante. La Junte centrale était une réunion de « trente et quelques rois qui, sans qu’il y ait eu désignation ou volonté de la nation, s’étaient érigés en despotes »68. Mais ce gouvernement aristocratique était aussi celui d’« Imitateurs de Roberspierre [sic] »69 dont le but n’était autre que détruire toute la société et la religion… ce que Barruel avait dénoncé comme le complot du jacobinisme70. Il régnait par la terreur et les proscriptions. La mauvaise foi n’est peut-être pas absente de l’explication alambiquée d’Estala71. Les « tyrans de Séville » entretenaient la populace (populacho) dans une exposition mensongère de la situation. Ceux qui dirigeaient l’opinion avaient été les plus fervents partisans des Français à l’époque de la Terreur et espéraient alors que les jacobins viendraient révolutionner l’Espagne (c’était l’époque de la guerre de la Convention). Mais la paix de Bâle (1795) avait mis un terme à leurs espoirs d’anarchie et de désordre. Ils se tournèrent alors vers les Anglais et commencèrent à diriger les esprits contre le rétablissement du bon ordre par Napoléon. La sédition de 1808 offrit à l’ambassadeur anglais l’occasion de faire agir les plumitifs à sa solde pour tromper l’opinion72. Estala employait tous les ressorts systématisés par Barruel en faisant des Anglais les maîtres du complot73. Les Espagnols pouvaient être absous ; la faute incombait à une infime minorité malfaisante. Les soldats des armées patriotiques espagnoles n’étaient pas des volontaires74 et les guérillas étaient un ramassis de brigands (comme les Marseillais du 10 août et de Valmy étaient en fait des bagnards et non des Provençaux75). L’opprobre était jeté sur les « écrivaillons stupides »76 qui avaient excité la populace au nom d’un patriotisme illusoire et étaient parvenus à imiter « toutes les fureurs du jacobinisme français »77. Enfin, la participation du clergé à l’agitation était contre-nature et paradoxale. En promouvant la violence, ils violaient les écritures et s’opposaient à la Providence divine dont Napoléon et Joseph étaient les instruments78. Ils faisaient le jeu des Anglais, ennemis de la religion catholique, contre Napoléon qui l’avait rétablie en France79. Les ecclésiastiques bernés allaient être les premières victimes d’un complot de l’impiété une fois que l’anarchie aura triomphé80.
24Ce discours clairement réactionnaire n’était pas celui des adversaires de la Révolution française considérée comme une unité, mais celui de la réaction thermidorienne amplifiée par Brumaire. Le schéma simpliste de la théorie du complot, systématisé par Barruel, avait l’avantage d’être modelable et adaptable. Dans quelle mesure Estala y croyait-il ? Marchena qui avait participé à la Révolution française aux côtés de girondins donnait une interprétation plus subtile de l’insurrection, mais en utilisant des arguments similaires. Les Grands avaient manipulé la plèbe pour faire le coup d’État d’Aranjuez contre Godoy, mais ils en perdirent le contrôle lorsqu’elle s’empara de la souveraineté81. Un pays sans lumières comme l’Espagne ne pouvait pas produire de grande révolution, seulement une émeute permanente entretenue par des visées contradictoires. La Régence de Cadix était un gouvernement contre nature alliant l’ochlocratie et la théocratie82. Le gouvernement constitutionnel de Joseph avait produit ce que seule une rénovation non seulement de la politique mais aussi de la société pouvait permettre. Les joséphins s’opposaient à la fois à la structure traditionnelle d’un État divisé en ordres et à l’intervention du peuple en politique. Il était indispensable d’éduquer ce dernier pour qu’il puisse jouer un rôle et la fonction des élites était de le former.
25Cette position pragmatique était au fond plus réaliste que celle des révolutionnaires libéraux dont le projet ne put se maintenir au retour de Ferdinand VII faute d’appui populaire. Elle était aussi plus progressiste que le conservatisme immobile des tenants de la tradition et même que l’absolutisme éclairé dont la force ne tenait qu’à la volonté du roi, ce qui fragilisait à la fois ses objectifs et son maintien dans le temps. C’est ce qui différenciait précisément le despotisme éclairé du despotisme légal établi par la Constitution de 1808.
La notion de Constitution chez Estala
26La notion de constitution chez Estala n’était pas empruntée au « modèle » exporté par Napoléon en Espagne ; elle était héritière de la culture politique espagnole qui tendait à encadrer le pouvoir royal de façon à établir un équilibre entre ses prérogatives et les droits de la « nation ».
Un pouvoir royal encadré par la constitution
27Pour Estala (comme pour les constituants de Cadix), l’objectif du gouvernement était de promouvoir le bonheur des membres de la société83. La constitution devait assurer dans le temps l’existence d’un pouvoir royal modéré par des conseils et limité dans l’action par des procédures qui étaient la garantie des libertés des sujets.
28L’objet d’une constitution, comme l’avait expliqué El Imparcial, était de former la patrie, c’est-à-dire une société dans laquelle le fonctionnement du gouvernement était organisé de façon à ce qu’il protège et favorise le bonheur et la prospérité des membres qui la composent. Cette définition qui a de commun avec celle donnée par l’article 16 de la Déclaration de 1789, d’envisager la constitution comme une organisation non seulement de l’État mais de la société elle-même84, en diffère profondément quant à la notion des droits. Les constituants français avaient (théoriquement) limité la souveraineté de la nation par la reconnaissance de droits individuels naturels et donc antérieurs. La séparation des pouvoirs, indissociable de la question de la garantie des droits85, était une répartition des prérogatives découlant toutes de la souveraineté entre des organes institués, dans le but de limiter le pouvoir politique. L’émergence de droits individuels donnant à chacun la liberté de poursuivre son bonheur, détachant la société de toute fin universelle, impliquait une rupture avec la pensée antique, médiévale86 et néo-scolastique qui ne s’était pas produite dans la Monarchie catholique. Ainsi, si les rois philosophes, les despotes éclairés, avaient montré tout le bien que l’on pouvait attendre de leurs bonnes intentions, tout cela était fragile, expliquait Estala87. Les « progrès en tous genres » qui se firent lorsque Charles III était entouré d’hommes capables cessèrent lorsque le monarque tomba sous la séduction du néfaste Floridablanca88. Une constitution était ce qui donnait une stabilité et une solidité au bon gouvernement. Ce n’était plus le roi, mais la fonction qui était « philosophe ».
29Même si c’est à Napoléon que les Espagnols devaient une constitution modelée sur le droit français, c’est la tradition pactiste espagnole qui se profilait dans l’exposé d’Estala. Précisons que le roi étant le souverain, lui seul est en mesure de donner une constitution dans laquelle il limite ses propres pouvoirs. Le choix du roi par le peuple, c’est-à-dire l’origine de son pouvoir, est un problème indépendant de l’étendue de celui-ci. La translatio potestatis impliquait un transfert complet de la souveraineté. La communauté, entité souveraine potentielle, médiane entre Dieu et le roi, n’en conservait aucune portion. Les conditions auxquelles elle donnait le pouvoir au roi renvoyaient à la question du droit de résistance à l’oppression. C’est-à-dire que si le roi ne respectait pas ses obligations, il perdait ses droits. L’enjeu était alors de déterminer qui pouvait contrôler les actions du souverain. C’est par le serment de respecter les lois et droits du royaume au moment de monter sur le trône que le roi reconnaissait positivement ses obligations et par conséquent les limites de son pouvoir. Ainsi, après avoir été désigné par les Aragonais, Iñigo Arista ajouta de sa propre initiative une loi fondamentale autorisant les sujets à changer de roi si le royaume était opprimé et les lois violées89. Implicitement le droit de résistance justifiait l’éviction des Bourbon et Joseph qui avait recueilli une souveraineté absolue, accepta de régner par une constitution qui limitait son pouvoir et garantissait un exercice paternel de l’autorité royale.
30La référence au roi père de la nation et de ses peuples revient avec récurrence dans les pages de El Imparcial90. L’énergie nécessaire à la monarchie était garantie par le monopole royal du pouvoir, sa sagesse par une bonne connaissance des affaires. Le problème des mauvais ministres et plus encore des favoris qui usurpaient le pouvoir était réglé par la constitution qui d’une part prévoyait des attributions précises à chacun d’entre eux91 et, d’autre part, plaçait leur action personnelle et collective sous la tutelle royale92. Le roi tenait des conseils prolongés et réguliers afin d’être bien informé et l’article (31) qui prévoyait la responsabilité des ministres devant le roi était la meilleure garantie de leur conduite. Estala ne se trompait pas et le décret de février 1809 interdisant expressément aux ministres d’édicter de façon autonome des ordres au nom du roi le confirmait93. Le Conseil d’État avait été promptement installé pour examiner des projets formant les bases du « bonheur public »94. Sans plus de détail, il était présenté comme n’ayant rien « de commun, hormis son nom, avec l’antérieur »95. L’existence de procédures de conseil et d’information était essentielle à la conservation des libertés. Les instructions secrètes que Louis XIV avait données à Philippe V avaient achevé de détruire les reliques de l’ancienne constitution en supprimant les formalités qui impliquaient l’intervention de l’ancien Conseil d’État96.
31D’après Estala, la constitution qui ne contenait aucune déclaration des droits, établissait pour la première fois la liberté et l’égalité devant la loi97. Cette dernière découlait de l’abolition de la féodalité et de l’influence nobiliaire indue sur le gouvernement. Il convient de définir le contenu de la liberté. Les « droits imprescriptibles » de l’homme protégés dans le cadre d’une patrie n’avaient d’existence qu’en tant que libertés garanties par l’organisation du pouvoir ; elles dépendaient donc de l’appartenance de l’individu à une société constituée. Si le respect de ces libertés est une condition pour l’existence d’une vraie constitution, elles n’existent que potentiellement avant celle-ci. Les commentaires d’Estala aux décrets réformateurs de Joseph, semblent indiquer que les droits et libertés en question étaient la protection de la religion catholique, de la sûreté individuelle grâce à une justice bien réglée et de la propriété privée. Joseph, roi catholique98, régnait par une constitution qui protégeait la religion. La suppression de l’Inquisition, instrument du despotisme et monstre de la superstition, et la réforme des ordres religieux étaient des mesures destinées à rétablir une discipline ecclésiastique conforme à la foi99. Si la nouvelle organisation constitutionnelle de la justice et les dispositions d’habeas corpus ne firent pas l’objet de commentaires nourris100, Estala insista sur la protection de la propriété privée que ce soit à travers l’assainissement des finances de l’État et l’optimisation de ses ressources ou bien le remboursement de la dette publique101. La levée des entraves au développement économique permettait de surcroît d’assurer la prospérité de l’Espagne que seule la guerre empêchait pour l’instant.
32Faute de développements précis sur le système de Bayonne (la réorganisation des cortès n’est jamais abordée), c’est à travers l’exposé de l’histoire constitutionnelle de la Suède qu’apparaît l’élément central d’une constitution : composer un équilibre entre les « pouvoirs ».
L’équilibre de la monarchie constitutionnelle
33La déposition de Gustave IV-Adolphe (13-03-1809) donna à Estala l’opportunité d’expliquer à travers l’histoire des changements politiques en Suède102 quel était l’élément essentiel d’une constitution stable. Mêlant son propos à des considérations diplomatiques et militaires103, il cherchait à montrer que « lorsque disparaît le juste équilibre des pouvoirs, il ne faut guère attendre pour que la liberté ne dégénère en licence ou pour que le despotisme ne détruise la constitution »104. Cette affirmation énoncée avec un vocabulaire moderne pourrait laisser croire qu’Estala s’inscrivait dans le courant de ceux qui, à la suite de Montesquieu, tentèrent d’organiser au mieux les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. En réalité, l’équilibre dont il était question devait s’établir entre les différents corps composant la société, c’est-à-dire que l’objectif n’était pas de limiter le pouvoir pour protéger un espace de liberté hors de sa portée, mais de l’organiser de façon à ce que les intérêts de chacun des corps soient respectés. Cela impliquait que le souverain, le roi, consulte les différents organes de la constitution.
34Estala présente une histoire cyclique, à la Polybe, de la liberté suédoise. En organisant une constitution nationale qui limitait l’ambition des grands, Gustave (1496-1521-1560 : Gustav I Vasa) avait mis fin à la longue période pendant laquelle l’ignorance et la dureté des mœurs fragilisaient l’« harmonie » au sein de la monarchie. Désormais, le « sénat » (riksrad) conseillait le roi ; la diète (riksdag) composée des quatre ordres ou états (nobles, ecclésiastiques, bourgeois et paysans) se réunissait dans les occasions importantes pour délibérer avec lui sur les impôts, les alliances, les déclarations de guerre et les traités de paix. Le roi avait conservé les privilèges des états ; il avait promis de protéger la religion « dominante » (en fait, le luthéranisme devint la religion d’État105) et de ne pas infliger de peine sans procès légal. L’équilibre fut rompu lorsque la reine Christine106 attribua des grands domaines à la noblesse qui devint prédominante. Les excès de cette dernière permirent une alliance entre les autres ordres et le roi Charles XI qui se fit attribuer le pouvoir absolu par la diète de 1680. Son successeur, Charles XII, abusa de ses prérogatives et lança son pays dans des guerres interminables. Assassiné par ses propres soldats exaspérés, il ne laissa pas de descendants en 1718. Les états profitèrent alors de leur position dominante pour étendre « leurs privilèges au-delà des justes limites » (« sus privilegios mas allá de los justos límites »), déplorait El Imparcial. La période initiée en 1719, appelée en Suède l’« ère des libertés » et que les Lumières admirèrent107 n’était donc pas du goût d’Estala. La souveraineté du parlement suédois108 ne respectait pas, d’après lui, le juste équilibre entre les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. Dans sa perspective il s’agissait d’une usurpation de la souveraineté royale par l’organe constitutionnel de conseil représentatif. Les excès des états conduisirent à un nouveau revirement en 1772 lorsque par un coup d’État, le roi Gustave III109 « établit les principes visant à saper progressivement les fondements de l’ancienne constitution » (« estableció los principios para ir minando poco a poco los fundamentos de la antigua constitución »).
35Curieusement Estala fait une description détaillée de cette constitution qu’il juge déséquilibrée en faveur du roi, alors que les prérogatives attribuées à Gustave III restaient en deçà de celles établies par la Constitution de Bayonne au profit de Joseph110. Il s’agissait d’un système de gouvernement royal en conseil dans lequel le roi « chef unique et suprême de la nation » nommait tous les employés (art. 123), ses conseillers et « les sénateurs », responsables devant lui seul (comme les ministres espagnols). Les différentes institutions étaient des « corps destinés à assister le monarque dans l’administration intérieure » (ministres, sénat, conseil d’État, cortès). Les représentants de la nation (riksdag) ne pouvaient être réunis que sur son ordre (art. 76) et devaient être consultés sur la variation des lois, sur les impôts, la monnaie et la guerre (Joseph n’avait pas cette dernière obligation). Le roi reconnaissait aux ordres leurs privilèges qui ne pouvaient être modifiés qu’avec l’assentiment de tous (ce que n’avait pas fait la Constitution de Bayonne111). Les freins du pouvoir royal étaient si faibles qu’en 1789, Gustave III supprima tout « corps pouvant revendiquer les droits de la nation ». Son successeur continua dans le même esprit et ruina le pays en prenant part aux coalitions contre la France. La révolution qui venait de se produire en 1809 s’était faite sans violence pour le « rétablissement de la constitution ».
36Si cet article permettait à Estala d’insister sur l’importance intrinsèque d’une constitution et sur ce qu’elle devait contenir, il lui devenait très difficile d’exposer ensuite les principes de la Constitution de Bayonne. La concentration des pouvoirs entre les mains du roi, seul souverain, était contradictoire avec la notion de monarchie équilibrée. Les Suédois, à la différence des Espagnols, étaient un peuple instruit. Faut-il en conclure que la Constitution de 1808 n’était qu’un instrument provisoire de la récupération espagnole avant l’établissement d’une constitution équilibrée ? Au fond, Estala ne cherchait pas vraiment à légitimer le nouveau pouvoir, il se contentait, comme Llorente l’avait fait112, de le présenter comme le meilleur dans les circonstances présentes.
37L’échec du périodique d’Estala peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Il semble important de noter le rapide essoufflement du contenu. Moins de trois mois après le début de la parution, l’auteur avait traité tous les sujets qu’il promettait d’aborder dans son prospectus. Dès lors, il se contenta de commenter les décrets de Joseph en répétant ses arguments. Le régime joséphin qui manquait de personnel dévoué n’avait sans doute pas intérêt à soutenir une publication qui n’apportait rien de plus que la Gazeta de Madrid ? Il valait mieux exploiter les talents d’Estala d’une autre façon. Il accompagna Joseph en Andalousie pour orchestrer la propagande dans les territoires « libérés ». L’intérêt qu’il avait marqué pour l’instruction113 et la littérature espagnole en fit un membre tout désigné de la Junte chargée de travailler aux programmes d’instruction publique, formée en 1811114 et de la commission d’étude sur l’amélioration de l’art scénique dans les théâtres de Madrid115.
38Le discours constitutionnel d’une des voix les plus importantes de la propagande du régime joséphin montre en définitive que le modèle français qui avait inspiré la Constitution de Bayonne était complètement ignoré. L’interprétation de celle-ci en fonction de la culture juridique de la Monarchie catholique la vidait en grande partie de ses apports. Cela explique en partie son faible impact sur le constitutionnalisme espagnol. Mais la rupture que la constitution avait introduite en abattant d’un coup les obstacles qui s’étaient opposés au despotisme éclairé, associée à un système de réformes menées par des élites, avait marqué une étape importante dans le processus de résolution de la crise de la Monarchie116. El Imparcial apparaît donc comme un périodique particulièrement révélateur de la complexité de la crise de la Monarchie et des ambiguïtés politiques des tentatives de la résoudre pendant la guerre d’Indépendance.
Notes de bas de page
1 Ce travail doit être considéré comme un résultat du programme de recherche « Cultura jurisdiccional y orden constitucional en España y América (siglos XVIII y XIX) » (SEJ2007-66448-C02-02).
2 Joseph reprit sa proclamation en entrant dans la Péninsule : Vitoria, 12-07-1808 : Prontuario de las leyes y decretos del rey nuestro señor don José Napoleón I, Madrid, Imp. Real, 2ª ed. del vol. I, 1810, p. 45-46.
3 Proclamation aux Espagnols, accompagnant le décret convoquant une assemblée de notables à Bayonne, Bayonne, 25-05-1808, Moniteur universel, 18-06-1808, p. 667.
4 Arch. del Congreso de los Diputados, Papeles reservados de Fernando VII, t. III-IV, partiellement reproduit dans Actas de la diputación general de españoles que se juntó en Bayona […], Madrid, Imp. y fundición J. A. García, 1874, p. 20-21.
5 Article 1 du décret impérial du 25-05-1808, Moniteur universel, 18-06-1808, p. 667.
6 Sur l’expression voir Marcel Morabito, Histoire constitutionnelle de la France (1789-1958), Paris, Montchrestien, 9e éd. 2006, p. 153 et 137. Sur la préparation du projet, il existe les travaux classiques de Pierre Conard, La Constitution de Bayonne (1808) : essai d’édition critique, Paris, E. Cornély, 1910 et Carlos Sanz Cid, La Constitución de Bayona, Madrid, Reus, 1922. Récemment se développent deux interprétations différentes : Ignacio Fernandez Sarasola, « Estudio preliminar », La Constitución de Bayona (1808), Madrid, Iustel, 2007, p. 27-100 et J.-B. Busaall, La réception du constitutionnalisme français dans la formation du premier libéralisme espagnol (1808-1820), thèse, Université Aix-Marseille III-Universidad Pública de Navarra, 2006.
7 Correspondance du comte de La Forest, ambassadeur de France en Espagne (1808-1813), éd. C.-A. Geoffroy de Grandmaison, Paris, A. Picard et fils, 1905-1913, t. I, p. 49-50 (31-05-1808).
8 Les différents documents par lesquels les Bourbon renoncèrent à leurs droits au profit de Napoléon furent publiés dans la Gazeta de Madrid, 20-05-1808, p. 482-484.
9 La version suivie est celle du Prontuario, op. cit., I, p. 3-42.
10 Raisonnement dans J.-B. Busaall, « Révolution et transfert de droit : la portée de la Constitution de Bayonne », Historia constitucional (revista electrónica), n° 9 (septiembre 2008). Voir aussi Fernando Martínez Pérez, « La constitución de Bayona y la experiencia constitucional josefina », Historia y política, n° 19 (enero-junio 2008), p. 151-171.
11 Les députés Pablo Arribas et José Gómez Hermosilla, Luis Marcelino Pereyra, Antonio Ranz Romanillos, Vicente Alcalá Galiano, Cristóbal de Góngora, Francisco Ángulo et Francisco Antonio Zea voulurent que le serment royal inclût le respect et la protection de la constitution (Actas de la diputación, op. cit., p. 72, 76, 83, 84, 85, 87, 97). Alcalá, Zea et Ángulo proposèrent de surcroît un serment réciproque des vassaux en faisant référence à la tradition pactiste. L’assemblée demanda unanimement ces modifications (ibid., p. 39 et 42).
12 Contrairement à la charte de 1814, octroyée par Louis XVIII en vertu d’une souveraineté dynastique antérieure qui excluait toute notion de pacte avec la nation : voir Stéphane Rials, Révolution et contre-révolution au XIXe siècle, Paris, DUC-Albatros, 1987, p. 95-112.
13 Article 5 du sénatus-consulte de l’an XII (les textes français d’après Jacques Godechot, Les constitutions de la France depuis 1789, éd. corrigée et mise à jour par H. Faupin, Paris, Garnier-Flammarion, 2006).
14 Gazeta de Madrid, 16-12-1808, p. 1611-1616.
15 Correspondance La Forest, op. cit., t. I, p. 394 (12-12-1808) et 400 (15-12-1808).
16 Voir la lettre impériale du 07-11-1810 dans la Correspondance de Napoléon 1er, Paris, Imp. impériale, 1858-1870, t. XXI, p. 306-309.
17 Lors de la campagne victorieuse d’Andalousie, Joseph envisagea de convoquer des cortès conformément à la Constitution de Bayonne : Gazeta de Sevilla, 27-04-1810, t. I, p. 241-243 et Gazeta de Madrid, 09-05-1810, p. 540. L’année suivante, il évoqua la formation de « Cortès généraux [sic] de la Nation à Madrid » auxquels les autorités du camp insurgé pourraient participer : « Extrait du discours du Roi à la Municipalité, au clergé et aux autorités de Valladolid, inséré dans une lettre écrite de cette ville le 28 d’avril 1811 », Archives du ministère des affaires étrangères, correspondance politique, Espagne (AMAE), vol. 686, fº. 69-70.
18 Expression employée par Juan López Tabar, Los famosos traidores. Los Afrancesados durante la crisis del Antiguo Régimen (1808-1833), Madrid, Biblioteca Nueva, 2001, p. 31-46.
19 Voir Gérard Dufour, « Les autorités françaises et la Gaceta de Madrid à l’aube de la Guerre d’Indépendance », El Argonauta espagnol, n° 1 (2004), http://argonauta. imageson.org/document42.html.
20 Gazeta de Madrid, 27/30-07-1808, p. 966-910, 912-917, 923-925, 930-934. Voir la Correspondance La Forest, op. cit., t. I, p. 185-186 (24-07-1808).
21 « no habiendo circulado por todo el reino lo bastante por entonces », Gazeta de Madrid, 29/31-03 et 01/02-04-1809, p. 440, 443-444, 447-448, 450-452, 453-456.
22 Con permiso superior, Madrid, 21-03/04-08-1809, 40 números, 1 vol., 320 p. (El Imparcial). Il est signalé dans les catalogues de Eugenio Hartzenbusch, Apuntes para un catálogo de periódicos madrileños desde el año 1661 a 1870, Madrid, 1894, p. 19 ; Manuel Gómez Imaz, Los periódicos durante la Guerra de la Independencia (1809-1814), Madrid, 1910, p. 195-196 ; Miguel Artola, Los orígenes de la España contemporánea Madrid, IEP, 1959, II, p. 106.
23 Prospectus publié dans la Gazeta de Madrid, 21-03-1809, p. 408.
24 Leur liste : AMAE, vol. 676, n° 14, fº 35 (consultable dans Artola, M., Los afrancesados, Madrid, Alianza, ed. 1989, p. 111). Ces « reos de alta traición » furent inclus dans un décret de représailles de la Junte centrale (24-04-1809) : AHN, Estado, leg. 10-C, n° 6.
25 Le terme patriotique est employé exclusivement pour désigner avec commodité le camp opposé à Napoléon et au régime joséphin, la question de son caractère « patriotique » étant hors de propos.
26 Los afrancesados en la guerra de la Independencia, Madrid, Rialp, 1962, p. 139. Ce petit livre dont le plan ne manque pas d’intérêt souffre de sa volonté de condamner les traîtres « dégénérés » et corrompus.
27 « Une éphémère revue afrancesada : El Imparcial de Pedro Estala (mars-août 1809) », El argonauta español, n° 2 (2005), http://argonauta.imageson.org/document64.html. L’échec serait dû au prix élevé signalé dans le prospectus (il est reproduit). Mais Estala corrigea son annonce initiale expliquant que les prix indiqués étaient ceux des abonnements hors de Madrid. Ceux pour Madrid étaient de 70 réaux pour un an, 40 pour un semestre et 20 pour un trimestre : El Imparcial, 28-03-1809, n° 24, p. 24. S’il est difficile d’affirmer que El Imparcial fut lu en dehors de Madrid, il est certain que son auteur était bien connu en tant que propagandiste du régime comme l’atteste El Espectador sevillano (30-10-1809, n° 29, p. 115).
28 María Elena Arenas Cruz, Pedro Estala (1757-1815), vida y obra : una aportación a la teoría literaria del siglo XVIII español, Madrid, CSIC, 2003, p. 471-472.
29 L’article sur la constitution avait été signalé par Juretschke, op. cit., p. 147. Nous les avons évoqués dans « Le règne de Joseph Bonaparte : une expérience décisive dans la transition de la Ilustración au libéralisme modéré », Historia constitucional (revista electrónica), n° 7 (2006), § 28-30 (http://hc.rediris.es/07/articulos/html/Numero07. html). Ils ont été publiés par Ignacio Fernández Sarasola, op. cit., p. 411-420.
30 Estala emploie le terme : El Imparcial, 09-06-1809, n° 24, p. 191.
31 « Discurso sobre constitución », El Imparcial, 21-03-1809, n° 1, p. 7-8 ; 24-03-1809, n° 2, p. 15-16 ; 28-03-1809, n° 3, p. 22-24 ; 04-04-1809, n° 5, p. 28-40.
32 Il s’excusait auprès de son public savant et promettait d’employer un langage « al alcance de los que ni aun comprenden la significación de esta palabra », El Imparcial, p. 8.
33 José María Portillo Valdés, Revolución de nación. Orígenes de la cultura constitucional en España, 1780-1812, Madrid, CEPC-BOE, 2000. Sur les différents modèles constitutionnels produits à partir des institutions historiques des différents royaumes de la Monarchie, voir J.-B. Busaall, Las instituciones del Reino de Navarra en el debate histórico jurídico de la revolución liberal, Pamplona, Universidad Pública de Navarra, 2005, p. 33-97.
34 La référence perdura jusqu’au Triennat comme l’a montré Gérard Dufour, « El tema de la Constitución antigua de Aragón en el pensamiento de la Ilustración española », Actas del I Symposium del Seminario de Ilustración Aragonesa, Zaragoza, Diputación general de Aragón, 1987, p. 215-222.
35 William Robertson, The History of the reign of the emperor Charles V [...], London, 1769, vol. I, p. 144-165, citation p. 154. Estala s’y réfère dans l’article « Instrucción pública [2/7] », El Imparcial, 21-04-1809, n° 10, p. 79.
36 La Carta rédigée en 1798 (publiée en 1808) contenait une défense de la légitimité de la Révolution française et une dure critique de la situation espagnole (dans Antonio Elorza (ed.), Pan y toros y otros papeles sediciosos de fines del siglo XVIII Madrid, Ayuso, 1971, p. 97-110).
37 Voir [Isidoro de Antillón], Quatro verdades útiles a la Nación extractadas de algunos escritores españoles, con permiso de la Junta Superior de Mallorca, Palma, Imp. de Domingo, 1810, p. 7-16. L’expression « libéraux révolutionnaires » désigne les Espagnols qui militèrent dès 1808 pour la promulgation d’une constitution préparée par une assemblée représentative de la Nation espagnole. L’une de leurs caractéristiques est de fonder leur programme politique sur le rationalisme constructif, délaissant toute notion de constitution historique.
38 Jerónimo Zurita, Anales de Aragón [princeps 1547], liv. I, § V (Zaragoza, CSIC, t. I, 1967, p. 26-29). Voir aussi le préambule du Fuero General de Navarra (ed. Por Juan F. Utrilla Utrilla, Pamplona, Gobierno de Navarra-Institución Príncipe de Viana, 1987, t. I, p. 15-16 et 152, t. II, p. 32).
39 El Imparcial, p. 15-16.
40 El Imparcial, p. 22.
41 « Reflexiones sobre el Patriotismo », Semanario patriótico, 15-09-1808, n° 3, t. I, p. 47-51, p. 47 : « Patria el estado o sociedad a que pertenecían, y cuyas leyes les aseguraban la libertad y el bien estar. […] Por consiguiente, donde no había leyes dirigidas al interés de todos, donde no había un gobierno paternal que mirase por el provecho común, donde todas las voluntades, todas las intenciones, y todos los esfuerzos en vez de caminar a un centro, o estaban esclavizadas al arbitrio de uno solo, o cada una tiraba por dirección diversa ; de allí había ciertamente un país, una gente, un ayuntamiento de hombres ; pero no había Patria ».
42 « Reflexiones acerca de la Carta sobre el modo de establecer un Consejo de Regencia con arreglo a nuestra constitución », Semanario patriótico, 22-09-1808, n° 4, t. I, p. 62-71, en particulier p. 69-70. Il fallait absolument mettre un terme à la division de l’Espagne affirmait le Semanario patriótico, 01-09-1808, n° 1, t. I, p. 11-16.
43 Sans titre, Semanario patriótico, 24-11-1808, n° 13, t. I, p. 231-234, p. 233-234 : « […] el arreglo interior del Estado. [...] Tendremos patria, verdadera patria que ampare y defienda a sus hijos poniendo a cubierto del poder arbitrario la libertad civil, la seguridad personal, y la propiedad de los bienes ».
44 Le Semanario patriótico (10-11-1808, n° 11, t. I, p. 185-190) fustigea Estala, auteur des « Réflexions impartiales sur l’état actuel de l’Espagne », Vitoria, septembre 1808 (Correspondance La Forest, op. cit., t. I, p. 263 (08-09-1808) ; traduction française conservée aux AMAE, vol. 676, doc. n° 96, fº 251-256).
45 « Patriotismo », El Imparcial, 07-04-1809, n° 6, p. 43-48, p. 44 : « Patria, es aquel país nativo del hombre, que le proporciona todas las ventajas de una sociedad bien arreglada, y gozar de sus derechos imprescindibles ».
46 Ibid. : « rebaño de racionales, privados de los derechos más sagrados, destinados a sacrificarlo todo, hasta nuestras vidas, al capricho de los que mandaban »
47 [León de Arroyal], Oración apologética en defensa del estado floreciente de España, en el reynado de Carlos IV dixo en la plaza de toros de Madrid N. de N. [diffusé à partir de 1793], in Elorza, Pan y toros, op. cit., p. 15-31, p. 18 : « una España niña y débil, sin población, sin industria, sin riqueza, sin espíritu patriótico, y aún sin gobierno conocido ».
48 « Instrucción pública [1/7] », El Imparcial, 14-04-1809, n° 8, p. 61-64, p. 62 : « esa caxa de Pandora, de donde han salido todos los males de España ».
49 Discurso sobre el origen de la Monarquía y sobre la naturaleza del gobierno español [1813], § 117 (ed. con estudio preliminar de J. Antonio Maravall, Madrid, CEC, reimp. 1988, p. 158) : « llegó a envilecer y degradar el corazón español, que familiarizado con sus cadenas las amaba y hacía mérito de ser esclavo ». Voir El Imparcial, p. 48.
50 El Imparcial se fit l’écho de la soumission de l’Aragon : serment de la Junte suprême de gouvernement de Saragosse (21-03-1809, n° 1, p. 6-7 et 24-03-1809, n° 2, p. 12-13) et exhortation de l’évêque auxiliaire de Saragosse, Miguel de Santander, le jour de la prestation de serment de tous les employés (31-03-1809, n° 4, p. 28-32).
51 El Imparcial, p. 23.
52 El Imparcial, 05-05-1809, n° 14, p. 109.
53 El Imparcial, p. 40.
54 El Imparcial, p. 39.
55 Discurso sobre el origen de la Monarquía, op. cit., § 115 (p. 156-157).
56 « Austria », El Imparcial, 21-03-1809, n° 1, p. 1 : « exitar el fuego de la discordia con sus atroces sugestiones y perfidas promesas ». Estala reprit, avant la Gazeta de Madrid (16-22 et 24-04-1809 et El Imparcial, 14-04-1809, n° 8, p. 58-61), des extraits de la presse londonienne présentant le pamphlet de William Roscoe : Considerations on the causes, objects, and consequences of the present war and on the expediency or the danger of peace with France (Londres, 1808) dans lequel l’Angleterre était rendue responsable de la rupture de la paix d’Amiens.
57 Pedro Estala, Quatro cartas de un español a un anglómano en que se manifiesta la perfidia del gobierno de la Inglaterra como perniciosos al género humano, potencias europeas y particularmente a la España, Reimpresa en Cádiz en la Casa de Misericordia, para beneficio de los pobres de ella, como en Madrid se hizo la primera edición a favor del Real Hospicio de aquella corte, 1805. Le gouvernement anglais, corrompu et « machiavélique » (p. 21), opprimait les Anglais avec les atours d’un système parlementaire libre et menait une politique extérieure despotique. La troisième lettre dénonçait en particulier toutes les actions entreprises contre l’Espagne pour s’emparer du commerce d’Amérique.
58 El Imparcial, 21 et 31-03, 18-04-1809, n° 1, 4, 9, p. 2, 25, 65-69.
59 El Imparcial, 21-03-1809, n° 1, p. 5 ; 23-05-1809, n° 19, p. 151 ; 23-06-1809, n° 28, p. 223 : « con ansia para salir del estado de opresión y de agitación en que gimen ».
60 « Reflexiones políticas », El Imparcial, 16-05-1809, n° 17, p. 135-136.
61 Les nouvelles de la guerre avec l’Autriche, susceptible d’affaiblir l’armée impériale en Espagne, occupèrent les premiers numéros de El Imparcial. Napoléon avait facilement vaincu l’armée d’un prince inexpérimenté. Fait révélateur, l’entrée de Napoléon dans Vienne fut rapportée dans la section relative à l’Espagne : El Imparcial, 02-06-1809, n° 22, p. 175-176.
62 El Imparcial, p. 46 ; 30-05-1809, n° 21, p. 167.
63 « Madrid, 8 de junio », El Imparcial, 09-06-1809, n° 24, p. 189-192 : « Para que se intentase la menor reforma era preciso que todos los grandes y demás personas y cuerpos que subsistían del trastorno general, se convirtiesen en ángeles desnudos de todo afecto humano para sacrificar voluntariamente todas sus usurpaciones. He aquí la verdadera causa de todos nuestros males : he aquí la verdadera razón de los esfuerzos que tales hombres han hecho y están haciendo para impedir la reforma total de tantos abusos. ¡Y tú, infeliz pueblo (lo repetiré mil veces), y vosotros, infelices víctimas del despotismo de los grandes y de las usurpaciones de los cuerpos privilegiados, queréis sacrificar las tristes reliquias que os restan, y aun vuestras propias vidas, por esos tiranos, que os dejarían sepultados aún en mayor miseria, si llegasen a triunfar ! »
64 Les entraves de la mainmorte pour le développement économique avaient fortement préoccupé la Ilustración comme en témoignent les projets de réforme agraire d’Olavide, Campomanes ou Jovellanos. La critique de la noblesse oisive, improductive et néfaste avait été particulièrement vive dans El Censor publié entre 1781 et 1787 (facsímile con prólogo y estudio de José Miguel Caso González, Universidad de Oviedo, 1989). Pereyra, un fidèle joséphin, avait été l’un de ses rédacteurs.
65 La réaction aristocratique est parfaitement illustrée par l’interprétation que donna le comte de Teba (futur Palafox) aux institutions aragonaises qui impliquaient que le roi consulte les nobles pour gouverner : Discurso sobre la autoridad de los Ricos Hombres sobre el Rey y cómo la fueron perdiendo hasta llegar al punto de opresión en que hallan hoy, 1794. Voir Paula de Demerson, « Un escrito del conde de Teba : el discurso sobre la autoridad de los Ricos-Hombres », Hispania, 1971, t. XXXI, n° 118, p. 137-156.
66 Artola, Los afrancesados, op. cit., p. 31-57.
67 Ne pas vouloir former une junte unique pour tout le royaume (i. e. la Monarchie) était fomenter une guerre civile à la française : Servidor & Amante de la Patria, verdad y Justicia, 1808 (época memorable en los siglos venideros), AHN, Estado, leg. 50-A, n° 65, fº 7.
68 El Imparcial, p. 39 : « treinta y tantos reyes que sin nombramiento ni voluntad de la nación se habían erigido en déspotas ». La liste des trente-six membres de Junte centrale dans Gaspar Melchor de Jovellanos, Memoria en defensa de la Junta central [1811], Oviedo, Junta General del Principado de Asturias, 1992, t. II, p. 21-26.
69 El Imparcial, 23-05-1809, n° 19, p. 151. Les « demágogos » ne veulent pas abandonner l’Espagne avant d’en avoir fait un désert : 11-07-1809, n° 33, p. 262.
70 Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme [1797-1798], Paris, diffusion de la pensée française, 1973, 2 t. Une analyse synthétique dans J.-B. Busaall, « La pensée politique de l’abbé Augustin Barruel, un contre-révolutionnaire de la tradition à la réaction [II] », Revue juridique d’Auvergne, vol. 2000/2, p. 81-126. Cette œuvre réactionnaire fut d’abord traduite en espagnol sous forme de résumé en 1812 avant d’être largement diffusée par quelques ecclésiastiques hostiles à la Constitution de Cadix.
71 « Reflexiones políticas », El Imparcial, 21-07-1809, n° 36, p. 284-288.
72 Ibidem et 11-07-1809, n° 33, p. 263 : la Junte centrale est dominée par l’ambassadeur anglais.
73 Dans ses Quatro cartas, il avait accusé les Anglais d’avoir provoqué à prix d’or la « atroz » Révolution française : op. cit., p. 6-7.
74 Les hommes étaient arrachés à leurs familles et à leurs terres : El Imparcial, 06-04-1809, n° 6, p. 43 ; 19-05-1809, n° 18, p. 151. La peur d’une conscription impériale avait joué un rôle important dans le soulèvement initial : Gérard Dufour, « Pourquoi les Espagnols prirent-ils les armes contre Napoléon ? », in Actes du colloque international Les Espagnols et Napoléon, Aix-en-Provence, Publication de l’Université de Provence, 1984, p. 317-334.
75 Barruel, op. cit., t. II, p. 461.
76 El Imparcial, p. 46 : « escritorcillos mentecatos »
77 El Imparcial, p. 47 : « todos los furores del jacobinismo francés ».
78 Les exhortations religieuses de Santander et du vicaire de l’évêché de Calahorra (El Imparcial, 11-04-1809, n° 7, p. 53-56) étaient fortement teintées de providentialisme.
79 « Religión [1/4] », El Imparcial, 30-05-1809, n° 30, p. 239.
80 El Imparcial, 21-07-1809, n° 36, p. 287.
81 « Personalidades de la Guerra de la Independencia », Gazeta de Madrid, 12-02-1810, n° 43, p. 175-176.
82 « Al gobierno de Cádiz », (Gazeta de Madrid, 27/29-07-1812) : José Marchena, Obra española en prosa, ed. Juan Francisco Fuentes, Madrid, CEC, 1990, p. 119-142, p. 134-135.
83 El Imparcial, p. 48 (par exemple) et article 14 de la Constitución política de la Monarquía española, 1812 (fac-similé du manuscrit dans Constituciones españolas, Madrid, BOE-Congreso de los Diputados, reimp. 2001, p. 1-112). La formule du serment que les employés publics devaient prêter en prenant leurs fonctions est révélatrice : « Juro cumplir las obligaciones de… con el solo objeto de la felicidad de la nación y la gloria del Rey, conforme a las disposiciones de la Constitución. » (décret du 02-05-1809, Prontuario, op. cit., I, p. 178).
84 Michel Troper, Pour une théorie juridique de l’État, Paris, PUF, 1994, p. 217.
85 Stéphane Rials, La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, Paris, Hachette, 1988, p. 252-254 et 373-376.
86 Bernard Manin, « Les deux libéralismes : la règle et la balance », in Irène Théry et Charles Biet (éd.), La famille, la loi, l’État de la Révolution au Code civil, Paris, Imp. Nationale, 1989, p. 372-389, en particulier p. 374-378.
87 El Imparcial, p. 7.
88 « Instrucción pública [3 et 5/7] », El Imparcial, p. 87-89 et 101-104 : « progresos en todos géneros » (p. 87).
89 El Imparcial, p. 16.
90 El Imparcial, p. 5, 48, 118, 256 etc.
91 Article 27 de la constitution prévoyant les différents ministres dont les attributions furent précisées par un décret du 06-02-1809 : Prontuario, op. cit., I, p. 83-94.
92 « Madrid 8 de mayo », El Imparcial, 09-05-1809, n° 15, p. 115-119, p. 116.
93 10-02-1809, Prontuario, op. cit., I, p. 102-103.
94 El Imparcial, p. 118. Joseph nomma des conseillers d’État dès sa première entrée dans Madrid le 25-07-1808, puis décréta son règlement le 02-05-1809 (Prontuario, op. cit., I, p. 171-177). Sur son histoire, voir Xavier Abeberry, Le gouvernement central de l’Espagne sous Joseph Bonaparte (1808-1813). Effectivité des institutions monarchiques et de la justice royale, thèse droit dactyl., Université Paris XII, 2001, p. 309-412.
95 El Imparcial, p. 118 : « de común con el antiguo sino el nombre ». « Vemos aparecer un Consejo de Estado, tan diferente del antiguo como lo es la nulidad absoluta de la utilidad positiva », expliqua Amorós au Corregidor de Ronda en 1810 : Carmen Muñoz de Bustillo, Bayona en Andalucía : el Estado bonapartista en la prefectura de Xerez, Madrid, CEC-Junta de Andalucía, 1991, p. 371.
96 El Imparcial, p. 38.
97 « Reflexiones patrióticas », El Imparcial, 16-05-1809, n° 17, p. 136.
98 El Imparcial, p. 32.
99 Commentaire aux décrets du 07-06-1809 mettant le clergé au service de l’État (nominations, serment, attribution des prébendes : Prontuario, op. cit., I, p. 193-194 et II, p. 305-307) : El Imparcial, 04-07-1809, n° 31, p. 243-246. « Religión [3/4] », El Imparcial, 07-06-1809, n° 32, p. 255-256.
100 La mise en place de tribunaux provisoires est à peine évoquée : El Imparcial, p. 118. Dans la Constitution de 1808, articles 96-117 sur l’ordre judiciaire, articles 39-44 sur le fonctionnement de la junte sénatoriale de la liberté individuelle et articles 126-133 sur les garanties procédurales d’habeas corpus.
101 « Madrid 15 de junio », El Imparcial, 16 et 20-06-1809, n° 26-27, p. 202-216 : contient les décrets du 09-06-1809 relatifs à l’extinction de la dette publique (Prontuario, op. cit., I, p. 194-198). Les bons de la dette avaient été garantis par l’article 115 de la constitution. Nominations de membres de la commission chargée de vérifier la liquidation de la dette de l’État : El Imparcial, p. 223 et 279-280.
102 Sur la Suède, nous avons consulté : Ingwar Andersson, Histoire de la Suède des origines à nos jours¸ Roanne, Horvath, 1973, p. 238-248. Michael Roberts, The age of liberty, Sweden 1719-1772, Cambridge University Press, 1986. Franklin D. Scott, Sweden, the Nation’s History, Southern Illinois University Press, 1988. Irene Scobbie, Historical dictionary of Sweden, Metuchen (N.J.)-London, The Scarecrow Press, 1995.
103 D’après El Imparcial, les malheurs de la Suède venaient de sa rupture avec la France qui avait toujours été la protectrice de ses libertés. De fait, la paix de Tilsitt renversa dramatiquement les alliances de la Suède qui fut attaquée en Finlande par la Russie. Gustave IV, attaché à l’Angleterre pour des raisons commerciales, fut considéré comme responsable de la défaite et renversé par des officiers sans que nul ne s’élève pour sa défense.
104 « Estokolmo 20 de marzo », El Imparcial, 28-04-1809, n° 12, p. 89-95, p. 90 : « cuando se pierde el justo equilibrio de los poderes, bien pronto la libertad degenera en licencia, ó el despotismo destruye la constitución ».
105 Le recès (décret) de Vesteras (1527) permit à Gustave de récupérer les biens du clergé catholique au profit de la couronne. En 1544, la rupture avec Rome fut définitivement consommée lorsque l’Église nationale suédoise devient luthérienne.
106 1626-1689. La noblesse qui se considérait garante des intérêts du royaume luthérien s’opposa à sa conversion au catholicisme. Christine abdiqua en 1654 au profit de son cousin Charles X Gustave (1654-1660).
107 Pour Voltaire, la Suède était « le pays le plus libre du monde ». Mably considérait que la constitution de 1720 rédigée par le riksdag réuni en 1719 était un « chef-d’œuvre de la législation moderne ». Pour Rousseau, c’était un « exemple de perfection ». Cité par Roberts, op. cit., p. 59.
108 Si la constitution anglaise attribuait la souveraineté au « King and Parliament » : William Blackstone, Commentaries on the laws of England, book I, chap. II (Oxford, 3rd ed. 1768, I, p. 146-189), la constitution suédoise de 1720 l’attribuait au Riksdag seul : Roberts, op. cit., p. 62.
109 Claude Nordmann, Gustave III [1746-1771-1792], un démocrate couronné, Presses universitaires de Lille, 1986. En 1772, il fit arrêter les membres du Riksdag et du Riksrad, rétablissant l’absolutisme mais régnant en despote éclairé.
110 El Imparcial, p. 92-93. Entre parenthèses, les parallèles avec la Constitution de Bayonne.
111 Les membres des ordres anciennement privilégiés siégeant aux cortès ne le devaient qu’au roi (art. 65-66) et le vote se faisait par tête et non par ordre (art. 80).
112 Dans la seconde Carta del verdadero español, Madrid, 04-06-1808 (publiée par G. Dufour, « Pourquoi les Espagnols prirent-ils les armes contre Napoléon ? », op. cit., p. 326-334, p. 329) Llorente insinuait qu’au fond peu importait la légitimité des droits de Joseph, ce qui comptait c’est qu’il était décidé à les faire respecter et qu’il en avait les moyens militaires.
113 « Instrucción pública », El Imparcial, 14, 21, 25, 28-04 et 02, 05, 09-05-1809, n° 8, 10, 11, 12, 13, 14, 15, p. 61-64, 76-80, 87-88, 95-96, 101-104, 107-112, 119-120.
114 Décret du 28-01-1811, Prontuario, op. cit., III, p. 78-79. La liste des membres dans Juan Mercader Riba, José Bonaparte rey de España, 1808-1813. Estructura del Estado español bonapartista, Madrid, CSIC, 1983, p. 531.
115 Mercader Riba, op. cit., p. 554-555.
116 Busaall, « Le règne de Joseph Bonaparte », op. cit., passim.
Auteur
Casa de Velázquez, Madrid
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