La propagande française au Portugal pendant la Guerre de la péninsule
p. 149-157
Texte intégral
1Contrairement à ce qui est arrivé en Espagne où elle dura pratiquement sans interruption de 1808 à 1814, la guerre se déroula au Portugal en trois vagues successives que l’on appelle les Invasions françaises1.
2Au milieu du mois de novembre 1807, les Français commandés par Junot entrèrent au Portugal2 et se dirigèrent sur Lisbonne. Face à cette situation, le Prince Régent se retire au Brésil avec toute la famille royale et une suite nombreuse. La Première Invasion Française devait durer jusqu’en août 1808, quand les forces luso-britanniques vainquirent les troupes françaises au cours des batailles de Roliça et de Vimeiro et obligèrent Junot à abandonner le pays après la Convention de Cintra, extrêmement préjudiciable au Portugal. Il convient de souligner l’importance de l’élément populaire dans la résistance à l’envahisseur, avec la formation de juntes et la participation de milliers de civils et de militaires. La Deuxième Invasion, dirigée par le maréchal Soult, commença en février 1809, et se déroula dans les provinces de Trás-os-Montes et de Douro. Les Français conquirent la ville de Porto3. Mais ils en furent chassés en mai de la même année par l’armée luso-britannique. La Troisième Invasion Française commença en juin 1810 et les troupes placées sous le commandement de Masséna entrèrent au Portugal par la province de Beira. Après s’être dirigé à grand-peine vers Lisbonne, il fut vaincu à la bataille de Buçaco, et il se heurta aux Lignes de Torres, un réseau extrêmement complexe de fortifications qui empêcha la progression sur Lisbonne. en mars de l’année suivante, les Français finirent par se retirer complètement sur l’Espagne et furent poursuivis par Wellington et les forces alliées. En outre, en avril 1812, les troupes françaises sous les ordres du général Marmont pénètrent à nouveau au Portugal. Mais cette Quatrième Invasion fut extrêmement brève puisqu’elle ne dura pas plus de 20 jours. Après le retrait des Français du territoire national, les troupes portugaises participèrent à diverses batailles en Espagne et accompagnèrent Wellington jusqu’à la victoire définitive en France.
3Nous avons donc une différence fondamentale entre ce qui arriva en Espagne et au Portugal : la présence française au Portugal fut éphémère. De novembre 1807 à février 1808, la Régence que le Prince a laissée à Lisbonne est en place et les Français respectent sa légalité même si, bien entendu, ils la contrôlent et font pression sur elle.
4Junot ne connut pas de résistance quand il entra au Portugal. Le gouvernement que laissa le Prince Régent collabora activement avec l’envahisseur. De même, le patriarche de Lisbonne, Joseph II, chef suprême de l’Église Catholique Portugaise, dans une lettre pastorale datée du 8 décembre 1807 prêcha la collaboration et couvrit d’éloges Napoléon. Comme le Prince Régent et les plus hauts dignitaires de l’Église avaient expressément ordonné et recommandé la collaboration, il n’est guère étonnant que les Portugais (aussi bien les autorités que l’armée et le peuple en général) n’aient offert aucune résistance. Curieusement, le premier signe de mécontentement eut lieu précisément le 13 décembre 1807, à Lisbonne, quand des civils s’opposèrent à ce qu’au château de Saint Georges le drapeau français remplaçât celui du Portugal.
5Suivant en cela les instructions données par Napoléon dans sa lettre du 12 novembre4, même si la Régence était toujours en fonction, les autorités françaises réduisirent la puissance de l’armée portugaise en licenciant des soldats et en dissolvant des unités. en janvier 1808 furent dissous les régiments de milice, et leurs membres furent obligés à déposer leurs armes dans un certain nombre de forteresses et l’armée portugaise fut réorganisée selon le modèle français. Tous les soldats qui avaient moins d’un an de service et ceux qui étaient mariés furent libérés de leurs obligations militaires et les officiers déclarés inaptes au service furent destitués ou mis à la retraite. Le marquis d’Alorna, commandant en chefs des forces armées avait été chargé de cette opération. en mars 1808 un corps d’armée qu’il avait réorganisé et avait pris le nom de Légion Portugaise5 se mit en marche pour Bayonne, à proximité de la frontière franco-espagnole, qu’il gagna en passant par Salamanque et Burgos.
6La période de collaboration entre le gouvernement nommé par le Prince et les Français prit fin le 1er février 1808 quand Junot proclama que la Maison de Bragance avait cessé de régner et qu’il gouvernait le royaume au nom de Napoléon. Le Conseil de Régence fut dissous et on forma un nouveau gouvernement composé de Français et aussi de Portugais. Pendant ce temps, la situation évoluait en Espagne de façon dramatique avec les événements du 17 et du 18 mars 1808 : le soulèvement d’Aranjuez, la démission de Godoy et l’abdication de Charles IV en faveur de son fils, Ferdinand VII. Mais ce ne fut qu’après les événements qui eurent lieu le Deux mai à Madrid et plus manifestement encore après les soulèvements de la fin de ce même mois, que commença à souffler au Portugal le vent de la rébellion. Le 30 mai, on divulgue la Proclamation de la Junte Suprême du Gouvernement d’Espagne au Peuple portugais promettant de l’aide aux soulèvements contre l’armée française. Le 6 juin 1808, le général espagnol Belesta se retire de Porto, avec les troupes espagnoles, conformément aux instructions de la Junte de Galice, en emmenant comme prisonnier le général français Quesnel. Le général de brigade Luís de Oliveira da Costa assume par intérim le gouvernement de la place de Porto. Le 7 juin le Prince Régent est acclamé à Castelo da Foz, par le vice-gouverneur par intérim, le major Raimundo José Pinheiro. Mais le 9, le général de brigade Luís de Oliveira rétablit la situation antérieure au 6 et ordonne de hisser de nouveau le drapeau français sur tous les édifices publics. Le 11 a lieu à Bragance un soulèvement dirigé par le gouverneur militaire de la province de Trásos-Montes, le général Manuel Jorge Gomes de Sepúlveda. Le vent de la révolte souffle également dans le sud. Le 16 commence à Olhão une révolte dirigée par l’ancien capitaine général et gouverneur militaire de l’Algarve, le comte de Castro Marim, grand veneur du Roi.
7À l’instar de ce qui se passe en Espagne, des Juntes se forment partout. Juntes municipales, cantonales, provinciales et, à Porto, la Junte Suprême du Gouvernent de la Ville présidée par l’évêque don António José de Castro, qui joue un rôle de premier plan au niveau national, rôle que lui reconnaît la majorité des juntes.
8Le général Oison quitte Almeida et se dirige sur Porto à la tête d’une faible force militaire dans l’intention de rétablir la situation. Le 19, l’insurrection éclate à Faro. Le 13 juillet, à Evora, où elle est dirigée par le général Francisco de Paula Leite. Des forces militaires portugaises, composées de troupes régulières et de miliciens, sous les ordres du lieutenant-colonel Francisco de Magalhães Pizarro, font le siège de la forteresse d’Almeida. Le 1er août commence le débarquement de l’armée britannique à Lavos, face à Figueira da Foz. Il se prolongera jusqu’au 5. À partir de là, Portugais et Anglais combattent ensemble contre les Français et emportent sur eux les victoires de Roliça (17 août) et de Vimeiro (21 août). Le 30 août sera signée la Convention de Cintra entre les armées françaises et britanniques. Le 15 septembre, Junot embarque avec son armée mettant fin ainsi à la Première Invasion française.
9Le 18 septembre, une proclamation du général britannique Dalrymple annonce le rétablissement de la Régence pour que puisse se faire la transmission des pouvoirs de l’armée britanniques aux autorités portugaises. La Junte de Porto et toutes les autres furent dissoutes. L’époque révolutionnaire et populaire était achevée et le Portugal entra à nouveau dans la normalité, même si le Prince restait au Brésil. Mais le nouveau gouvernement assura la légalité et il n’y aura pas de troubles jusqu’à la fin du conflit. Le 30 septembre, l’armée portugaise est officiellement restaurée par un décret complété d’un édit dans lequel on informe les officiers, les sergents et les soldats des lieux où sont réorganisés les anciens corps. En conclusion de cette première partie, les Français gouvernent une petite fraction du territoire portugais de février à septembre 1808. Évidemment, leur propagande ne fut guère importante, mais elle a existé.
10L’homme clé de la propagande française à cette époque fut Pierre Lagarde. Dans une lettre adressée le 7 janvier 1808 à Fouché, ministre de la Police, Napoléon écrivait : « Expédiez le sieur Lagarde en Portugal au général Junot. Il lui sera utile pour la police »6. Lagarde arriva au Portugal et fut nommé Intendant Général de la Police par décret du 28 mars 1808. Ne dépendant pas des secrétaireries d’État, il travaillait directement avec Junot7. Il s’installa dans le Palais de l’Inquisition, au Rossio. Par un nouveau décret de Junot du 16 avril, Lagarde fut nommé conseiller du gouvernement ayant droit d’assister aux réunions dudit gouvernement8. Outre de la police, Lagarde fut responsable de la Gazeta de Lisboa, le plus important des journaux portugais, qui connut une curieuse transformation. Les armes du Portugal disparurent et, après une période où rien ne vint s’y substituer, surgit l’écusson impérial. Le contenu changea du tout au tout et la Gazeta rejoignit le chœur des publications qui, dans toute l’Europe, reprenaient le Moniteur, et chantaient la gloire de Napoléon.
11Parmi les proches collaborateurs de Lagarde, il y eut le sous-intendant Perron, son délégué à Porto, le futur écrivain Carion-de-Nisas, qui rédigea de nombreux articles pour la Gazeta et assista à des sessions de l’Académie des Sciences de Lisbonne, et le naturaliste Geoffroy-Saint-Hilaire, tant qu’il demeura dans la capitale9. Il y eut également Timothé Lecussant Verdier, commerçant français né à Lisbonne, chargé d’actions de propagande par le gouvernement français et qui répandit au Portugal l’idée de la nécessité d’une constitution semblable à celle de Varsovie, mais il fut arrêté en juin 1808 sur ordre de Junot. La Gazeta, fut le principal organe de propagande. Mais il y eut également de très nombreuses proclamations ainsi qu’un petit périodique publié à Lisbonne sous le titre de Semanario Político, qui se déchaînait contre la Grande Bretagne. On publia également à cette époque un très curieux guide de conversation français-portugais, sans doute destiné aux militaires et aux fonctionnaires français.
12Tandis qu’en Espagne se produisent de profondes divisions, avec des afrancesados fidèles à Joseph Bonaparte et une absence de leadership due au fait qu’à Bayonne Charles IV et Ferdinand VII sont au pouvoir de Napoléon, au Portugal il y a unanimité pour reconnaître D. João comme Prince Régent détenteur de toute légitimité. Les afrancesados portugais, si l’on peut utiliser ce terme, sont rares et se trouvent pour la plupart à l’étranger dans l’armée de Napoléon. L’un d’eux fut José Pedro de Sousa Azevedo, officier de marine et franc-maçon arrêté et déporté en 1809, qui écrivit une apologie de Napoléon sous forme de biographie publiée en 1808 comme une traduction. À titre de curiosité, signalons que l’hostilité à l’égard de Lagarde entraîna la fondation d’un périodique bizarrement intitulé O Lagarde Português.
13On retrouve la propagande française lors de la Deuxième Invasion dirigée en 1809 par le maréchal Soult qui pénétra par le nord en direction de Porto. Après une défense dont les Français vinrent aisément à bout, Soult s’empara de la ville où il entra le 29 mars et contrôla la situation jusqu’au 8 mai, date à laquelle les troupes luso-britanniques reprirent la cité. Pendant cette période, Soult fit publier un journal, le Diário do Porto, qui fut son organe de presse. On y trouve nombre d’informations sur l’activité des Français dans le nord. Il n’eut que cinq numéros avec deux suppléments et deux feuilles volantes.
14En conclusion, la propagande française au Portugal ne fut guère importante et se développa pendant de très courtes périodes. Mais elle a existé et elle mérite d’être étudiée. Nous avons fait ici un inventaire de ses pièces les plus représentatives.
Notes de bas de page
1 V. Cristóvão Aires, Dicionário Bibliográfico da Guerra Peninsular, Coimbra, Imprensa da Universidade, 1924-1930, 4 volumes.
2 António Ferrão, A 1ª Invasão Francesa, Coimbra, Imprensa da Universidade, 1923 ; Alberto Iria, A Invasão de Junot no Algarve, Lisboa, Ed. do Autor, 1941 ; Durval Pires de Lima, Os Franceses no Porto 1807-1808, Porto, Publicações da Câmara Municipal do Porto, 2 volumes, s.d.
3 A. P. Taveira, Estudo Histórico sobre a Campanha do marechal Soult considerada nas sus relações com a defesa do Porto, Lisboa, Tip. da Cooperativa Militar, 1898 ; Carlos de Azeredo, As Populações a Norte do Douro e os Franceses em 1808 e 1809, Porto, Museu Militar do Porto, 1984 ; Vitoriano J. César, Invasões Francesas em Portugal. Invasão Francesa de 1809. De Salamonde a Talavera, Lisboa, Tip. da Cooperativa Militar, 1907.
4 Correspondance Militaire de Napoléon I extraite de la Correspondance Générale et publiée par ordre du Ministère de la Guerre, Paris, E. Plon, Nourrit et Cie, 1893, t. 5, p. 119-121.
5 P. Boppe, La Légion Portugaise 1807 – 1813, Paris, Berger-Levrault et Cie Éditeurs, 1897 ; Bento da Franca, A Legião Portuguesa ao serviço do Império Francês, Lisboa, Livraria de António ; Maria Pereira, 1889 ; Apontamentos para a História da Legião Portuguesa ao Serviço de Napoleão I mandada sair de Portugal em 1808, Lisboa, Imprensa nacional 1863 ; Artur Ribeiro, A Legião Portuguesa ao serviço de Napoleão (1808-1813), Lisboa, Livraria Ferin, 1901.
6 Lettres inédites de Napoléon Ier, publiées par Léonce de Brotonne (Paris, 1898).
7 Colecção dos Decretos, Avisos, Ordens, Editais etc. etc, op. cit.
8 Id.
9 Cf. J. Bettencourt Ferreira, « O Museu da Ajuda e a Invasão Francesa », Boletim da Classe de Letras da Academia das Ciências de Lisboa, vol. 5, p. 376-380 ; Pedro de Azevedo, « Geoffroy Saint-Hillaire em Lisboa », Boletim da Classe de Letras da Academia das Ciências de Lisboa, vol. XIV, p. 93-121.
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