La Grande-Bretagne et l’insurrection de 1808
p. 121-147
Texte intégral
1Commençons par un arrêt dans le temps. C’était le 7 juin 1808 et la poste, qui faisait chaque jour le voyage long et difficile entre le comté lointain de Cornouailles et Londres, venait juste d’entrer dans la capitale de la Grande-Bretagne. Comme elle traversait les rues, elle était enveloppée par tout le bruit et l’agitation qui sont si caractéristiques de la ville, et au début il semblait que son arrivée n’était qu’un fait habituel d’un jour habituel. Mais en l’espace d’un très court instant, cette impression se dissipa. À peine la voiture fut-elle arrêtée qu’une atmosphère d’excitation et même de fête s’éleva autour d’elle. Il y eut des cris et des acclamations, qui ne firent que s’accroître lorsque les principaux occupants du véhicule (un petit groupe d’Espagnols à la tête duquel se trouvait le vicomte de Matarrosa, plus connu en tant que comte de Toreno, titre dont il hérita quelques mois plus tard, et l’universitaire Andrés Angel de la Vega) en descendirent. À eux cinq, ils avaient apporté des nouvelles concernant un événement totalement inattendu, à savoir la révolte contre Napoléon menée par la petite province espagnole des Asturies, et, comme la nouvelle se répandait, ils se retrouvèrent au centre d’une véritable excitation frénétique. Ainsi débuta un été d’hispanophilie qui a rarement, sinon jamais, connu d’équivalent dans l’histoire longue et complexe des relations hispano-britanniques. L’objet de cet article est d’examiner les origines de cette évolution et, en particulier, de la replacer dans son contexte militaire, économique et politique.
2Comment pourrait-on expliquer l’émotion avec laquelle l’apparition de la délégation asturienne fut accueillie dans les rues de Londres ? Dans le cas de Matarrosa en particulier, il fut sans aucun doute aidé par son apparence singulièrement romantique, Henry Brougham le décrivant comme « un beau jeune homme, âgé de dix-huit ans, très prometteur, et si j’ose dire, bien né »1, mais le point de départ évident ici se trouve être la situation stratégique de la Grande-Bretagne pendant l’été 1808. Elle n’était pas très encourageante, c’est le moins que l’on puisse dire. Depuis le tout début de l’année, l’atmosphère générale avait été dominée par un air de pessimisme. Comme le futur Lord Melbourne l’écrivit, « le premier [janvier] le Parlement s’est réuni en plein milieu d’une situation de plus en plus alarmante, comme à l’accoutumée après des vacances riches en événements, certains d’entre eux calamiteux et d’autres objets de consolation, mais tous indiquant fortement la condition perdue du continent et une crise extrêmement alarmante dans ce pays »2. Tout d’abord il y avait la situation maritime. Avec la victoire de Trafalgar le 21 octobre 1805, la peur d’une grande invasion par la mer avait diminué, tandis qu’une intervention militaire rapide et efficace en 1807 avait sauvé la flotte du Danemark et du Portugal des mains de l’ennemi. Cependant, les Français contrôlaient tant de ports et de ressources maritimes qu’il était impossible d’écarter complètement la possibilité d’une nouvelle menace maritime : on savait que dans toute une série de villes portuaires on construisait de nombreux navires de guerre, qu’une base navale majeure était en cours de construction à Cherbourg, et que Napoléon avait parlé de ramener la grande armée jusqu’aux côtes de la Manche. Pendant ce temps, maintenir un blocus constant, dont la sécurité des Îles Britanniques dépendait, plaçait une responsabilité sur la Royal Navy aussi lourde que coûteuse : entre 1805 et 1814 cette force ne perdit pas moins de dix navires de ligne et trente-cinq frégates dans des naufrages et autres accidents, alors qu’elle devait mettre hors service un total de soixante-dix navires de guerre, car hors d’état de naviguer (en dehors des eaux britanniques, réparer les vaisseaux de la Royal Navy posait un gros problème car les seuls ports contrôlés par la Grande-Bretagne disposant de l’équipement nécessaire pour des travaux importants étaient ceux de Valette et Gibraltar ; en outre, le fait que les bateaux devaient désormais être construits avec du bois de qualité inférieure qui pourrissait plus vite ne constituait pas une circonstance favorable – voir ci-dessous – et ce, à cause de la fermeture de nombreuses sources britanniques d’équipement maritime). Et, pire encore, malgré tous les énormes efforts réalisés afin de garder une force substantielle en mer, les fameux « murs de bois » étaient tout simplement incapables de maintenir les Français au port en permanence : en janvier 1808, par exemple, l’amiral Allemand s’échappa de Rochefort avec une escadre de cinq navires de ligne et réussit à faire le trajet jusqu’à Toulon, où il s’unit à l’autre escadre française de l’amiral Ganteaume et participa à une expédition réussie dont le but était de réapprovisionner et renforcer la garnison française cruciale de Corfou, et tout ceci sans que la Royal Navy n’ait tiré une seule fois.
3Avec le recul confortable de 200 ans, il est possible de constater que le rêve de Napoléon de s’emparer de la Grande-Bretagne à nouveau par la mer avait peu de chance de porter ses fruits (les peurs britanniques à ce sujet étaient, en fait, exagérées), mais malgré cela il ne fait aucun doute que la situation maritime avait pris une tournure nettement plus dangereuse à l’automne 1807. Tout d’abord, il y eut les effets du traité de Tilsit, et l’alliance qu’elle supposait entre Napoléon et Alexandre Ier de Russie. Ainsi, avec ses quarante-cinq navires de ligne, la Russie était une puissance maritime imposante avec la capacité de créer de sérieuses difficultés pour Londres aussi bien en mer Baltique qu’en Méditerranée, alors que le rôle énorme joué par les exportations de la Russie et de la Prusse dans la construction de nouveaux vaisseaux sur les quais de la Grande-Bretagne menaçait sa capacité à maintenir et renforcer sa flotte : en 1805, 11 841 transporteurs de bois maritime arrivèrent dans les ports britanniques, mais en 1808 ce nombre tomba à tout juste vingt-sept. Pendant ce temps, on assistait parallèlement à une augmentation des prix : entre 1807 et 1809 le prix du bois importé des ports de Danzig et Memel doubla. Ensuite vint l’occupation du Portugal par la France durant l’automne 1807. Pour les Britanniques la perte de Lisbonne fut un coup dur. La flotte portugaise avait été sauvée, certes, mais le véritable enjeu n’était pas les six petits navires de ligne obsolètes qui constituaient en tout et pour tout sa force active, mais plutôt la capitale portugaise elle-même. Lisbonne, pour ainsi dire le seul port d’une certaine importance ouvert aux Britanniques sur toute la côte de l’Atlantique au sud des Îles Britanniques, avait constitué un refuge précieux pour les bateaux de la Royal Navy et le Portugal avait offert en général une source fiable d’eau et de nourriture. Avec l’occupation des Français, à l'inverse, tous ces avantages n’existaient plus, alors que, pour des raisons sur lesquelles nous n’avons pas besoin de nous attarder ici, le port de Lisbonne hébergeait à ce moment-là une flotte ennemie sous la forme de l’escadre russe de l’amiral Dimitri Senyavin3.
4Pour ajouter aux problèmes de la Grande-Bretagne au début de l’année 1808, une attaque directe contre elle n’était en aucun cas la seule arme de l’arsenal napoléonien. Dès novembre 1806, il avait imposé le système de guerre économique connu sous le nom de « Blocus continental ». Dans les premières années de son application, l’impact de cette mesure sur le commerce britannique fut très sérieux. Comme on sait, la Grande-Bretagne trouva par la suite de nouveaux marchés pour ses produits (et, peut-être même plus important encore, ceux de ses colonies) à travers le développement d’un trafic à grande échelle en Europe et l’invasion commerciale de l’Espagne, du Portugal et de l’Amérique Latine. Mais, en 1808, ces solutions étaient à l’état embryonnaire ou bien éloignées dans le futur. Et pour rendre plus difficile, encore la situation, las des obstacles constants que la Grande-Bretagne et la France mettaient en travers de son commerce, les États-Unis imposèrent un embargo complet sur tous les contacts commerciaux avec ces deux nations. Les conséquences de tout cela furent saisissantes. Les produits des colonies britanniques et ceux de ses propres industries furent dépouillés d’une partie considérable de leurs marchés et le résultat fut que des régions comme celles du Yorkshire, Lancashire et du Black Country connurent toutes une période de dépression. À la fin de l’année 1808, par exemple, il était dit que quatre-vingt-quatre manufactures de coton seulement travaillaient à pleine capacité à Manchester, et que quarante-quatre avaient été tout bonnement fermées. Pour le gouvernement, il existait peu de sources d’inquiétude plus importantes. Ainsi, conformément aux prévisions de Napoléon, tout en ébranlant la prospérité qui finançait à la fois l’effort de guerre propre à la Grande-Bretagne et sa capacité à aider ses alliés continentaux, les dégâts infligés par le Blocus continental menaçaient de détruire la volonté de l’ensemble de la population d’appuyer l’effort de guerre, et cette politique ne tarda guère à porter ses fruits. Ainsi, dans diverses régions industrielles, on assista à des manifestations en faveur de la paix. Dans le Lancashire les ouvriers des métiers à tisser manuels organisèrent une grève générale pour protester contre la baisse de leur salaire qui était la conséquence d’un effondrement économique. À Manchester, des émeutes sérieuses éclatèrent, dont une eut pour point culminant l’incendie d’une prison locale. Et, enfin et surtout, la presse publia une série de lettres critiquant la guerre et dénonçant les différentes mesures imposées par le gouvernement (par-dessus tout, les fameux « décrets ») en réponse au blocus. À ce moment-là, il n’y eut aucune réitération des rumeurs d’un mouvement révolutionnaire secret dans le style de la conspiration supposée du « black lump » en 1802. Mais la peur générale de l’invasion, qui avait tant contribué à l’esprit d’unité nationale en 1803-1805, n’était plus assez forte pour faire basculer l’ensemble de la population du côté de « L’Église et de la Couronne ». Il s’ensuivit la réapparition des demandes de réforme politique qui avaient été si caractéristiques de la décennie précédente4.
5Le Blocus continental n’était pas non plus le seul facteur qui compliquait la situation économique du pays, Napoléon ayant encore une autre arme sous la forme des attaques qu’il pouvait lancer sur la marine marchande britannique. Concernant le raid commercial, les Français pouvaient mettre à profit différents éléments. Tout d’abord, les diverses escadres de frégates maritimes qui étaient toujours en mer dans diverses parties du globe, mais aussi les navires qui pouvaient de temps à autre sortir de ports tels que Brest ou La Rochelle, ou bien encore les nuées de corsaires qui opéraient sous le drapeau français. Les résultats, entre-temps, étaient importants : en 1805 les Britanniques perdirent 507 bateaux de cette manière, en 1806, 519 et 559 en 1807, ce qui provoqua une augmentation considérable du coût de l’assurance maritime. Le problème n’était certes nullement insurmontable (les attaques pouvaient être déjouées par l’introduction d’un système de convois, ou leurs auteurs privés de leurs bases par la capture systématique des avant-postes français outre-mer). Mais, tout comme ce fut le cas avec le développement d’une réponse au Blocus continental, il était peu probable que la victoire arrivât du jour au lendemain. Dans l’immédiat, la perte constante de transporteurs restait à la fois une grande source d’inquiétude pour le gouvernement et un stimulus supplémentaire pour le mouvement en faveur de la paix, qui trouvait un très large écho au sein de la communauté commerciale5.
6La position dans laquelle la Grande-Bretagne se trouvait au début de l’année 1808 était donc assez difficile, et, allait encore continuer d’empirer, si cela était encore possible. Après les désastres de la période 1805-1807, les seuls alliés qui restaient à la Grande-Bretagne étaient les royaumes de Sicile et de Suède (il convient de préciser que, contrairement à ce qu’on affirme généralement, le Portugal n’était pas un allié à part entière, mais plutôt un pays neutre bienveillant). Le premier d’entre eux occupa une position stratégique très importante, mais, aussi utile fut-il, le régime du roi Ferdinand IV n’était pas à même de se défendre lui-même, et encore moins contribuer de manière positive à la cause des Alliés. Ainsi devait-il être constamment appuyé par une substantielle garnison britannique. Quant à la Suède, lorsqu’elle fut attaquée par la Russie et le Danemark en février 1808, il devint vite évident qu’elle ne pouvait se défendre seule de manière efficace et que la Grande-Bretagne ne pouvait rien faire pour l’aider. Ainsi, les Russes envahirent toute la Finlande (alors une province suédoise) en l’espace de quelques semaines, la grande forteresse de Sveaborg s’étant rendue en fait sans tirer un seul coup de feu. Elle dut également avoir recours à l’appui de la force de frappe britannique : une escadre maritime conséquente fut envoyée en mer Baltique pour protéger le cœur de la Suède de l’invasion (10 000 hommes furent également envoyés à Göteborg sous le commandement de Sir John Moore, mais, à la suite d’amères disputes concernant la façon dont ils devaient être employés, on les retira en l’espace de quelques semaines)6.
7Dans une situation aussi dangereuse, le seul espoir pour la Grande-Bretagne était la reconstruction d’une coalition continentale dans le style de celle qui avait combattu Napoléon en 1805. Mais en 1808, d’où pourraient bien venir ses membres ? Des vieux partenaires de la Grande-Bretagne, seule l’Autriche apparaissait comme une alliée peu probable (Naples était aux mains du frère aîné de Napoléon, Joseph). La Prusse était occupée, désarmée et ruinée financièrement, et la Russie était une alliée de la France. En fait, même l’Autriche n’était pas vraiment une possibilité. Il existait, il est vrai, un « parti en faveur de la guerre » actif à la cour de Vienne, mais il était vraiment minoritaire, la majorité des conseillers de l’Empereur (sans oublier l’Empereur lui-même) considérant la perspective d’une nouvelle campagne avec la plus grande inquiétude, voire une hostilité ouverte. Ce n’était pas non plus surprenant. Le programme de réforme militaire engagé dans le sillage de la campagne d’Austerlitz était toujours à l’état embryonnaire. L’Autriche n’avait aucun besoin pressant de se lancer dans une guerre contre la France car elle avait toujours l’option de trouver compensation dans les Balkans. Et, enfin et surtout, durant la période entière des guerres contre la France, la Grande-Bretagne s’était montrée un allié des plus fiables, en particulier en ce qui concernait l’argent, ce dont Vienne avait le plus besoin. Durant les Guerres de la Révolution française, la Grande-Bretagne avait constamment favorisé la Prusse aux dépens de l’Autriche. Pour citer l’historien américain Paul Schroeder, « la Grande-Bretagne avait supposé en traitant avec la Prusse que celle-ci devait être payée pour se battre car elle pouvait et voulait faire défection. Un principe corollaire fut appliqué à l’Autriche : elle ne devait pas être payée car elle se battait pour sauver sa peau et ne pouvait pas faire défection »7. Le traitement que Vienne avait reçu pendant la campagne de 1805 n’avait pas non plus été meilleur, alors que les années qui suivirent la bataille d’Austerlitz avaient discrédité encore plus les Britanniques. Ainsi, la période 1805-1808 avait été caractérisée par une série d’aventures militaires qui n’avait mené qu’à l’humiliation. Tout d’abord il y avait eu une expédition à Montevideo et Buenos Aires. Trop compliquée à expliquer ici, cette entreprise avait été marquée d’un bout à l’autre par la confusion, l’incapacité et un manque total de bon sens, et, en juillet 1807, elle s’était soldée par la capitulation du commandant britannique, Sir John Whitelocke, face à la milice coloniale qui avait encerclé ses forces armées. Et puis il y avait eu la brève guerre entre la Grande-Bretagne et la Turquie en 1807. Envoyé en Égypte pour distraire les Turcs de leur lutte contre la Russie dans les Balkans, une seconde force d’expédition britannique avait été forcée de rendre les armes dans la ville de Rosetta (maintenant Al Rashid). Rien d’étonnant donc à ce que l’armée britannique ne fût guère respectée sur le continent. « Avant que la Péninsule n’ait fait preuve de leur excellence », grommela Sir William Napier, « les troupes britanniques étaient sous-estimées de façon absurde par les pays étrangers et méprisées par le sien. À l’époque elles ne pouvaient pas se déplacer en larges bataillons aussi facilement que les Français avec leur longue expérience, mais les soldats étaient stigmatisés comme idiots, les officiers ridiculisés, et une armée britannique luttant contre une armée française au cours d’une unique campagne passait pour une chimère »8. Ce préjugé était injuste : il y avait bien eu des désastres en Égypte et en Amérique du Sud mais, par exemple, lors de la bataille de Maida, dans le sud de l’Italie, le 6 juillet 1806, les Britanniques s’étaient montrés capables de mettre en déroute les Français. Cependant, ce n’était pas simplement une question de défaite militaire, car l’envoi de troupes britanniques aussi nombreuses vers le théâtre d’opérations secondaires avait rendu impossible le déploiement d’une armée dans la Baltique pour aider les Russes et les Prussiens lors des campagnes d’Eylau et de Friedland. La volonté apparente de la Grande-Bretagne de favoriser des objectifs extra-européens au détriment d’un engagement continental ayant été tout aussi forte dans les années 1790, il était alors facile de croire qu’elle était réellement intéressée par l’expansion coloniale uniquement. Tous ces déboires, il est vrai, avaient été l’œuvre d’un gouvernement particulièrement incompétent connu sous le nom de « Ministère de tous les Talents », désormais remplacé par une nouvelle administration placée sous la direction de Lord Portland. Ce dernier était certes plus énergique que son prédécesseur, mais le mal était déjà fait : la Grande-Bretagne ne jouissait que de très peu de crédit sur le continent9.
8Même lorsque Londres agissait d’une façon plus efficace, il n’était pas garanti que la réputation de la Grande-Bretagne en fût renforcée. Et nous en venons à l’attaque de Copenhague en août 1807, fruit de la détermination britannique à sauver la flotte danoise des mains des Français (le Danemark était sur le point d’être occupé par une armée française). Cette action était éminemment défendable sur le plan de la raison d’État, mais les Danois avaient été neutres, alors que plus de 2 000 civils périssaient dans un terrible bombardement infligé à la capitale afin d’obtenir une capitulation rapide. Face à cette violation du droit de la guerre, y compris de nombreux observateurs britanniques s’indignèrent avec horreur. Le général Paget, par exemple, déclara : « Nous devons par conséquent être surnommés la Nation des Sarrasins au lieu de la Nation des Boutiquiers »10. De même, pour Lord Sidmouth (Henry Addington, premier ministre dans les années 1801-1804), la Grande-Bretagne imitait les méthodes honteuses qui étaient celles de Napoléon lui-même. Ainsi, « puisse le présent constituer ce qui est juste : nous avons donné le coup fatal à tout ce qui restait de la loi des nations. Notre magnanimité et notre honneur ont capitulé en faveur de notre confort et de nos peurs, et Bonaparte a grossi le nombre de ses triomphes avec une victoire sur la bonne foi et la moralité de la Grande-Bretagne »11.
9L’affaire de Copenhague eut des effets fort importants dans le sens où elle mit fin à la trêve politique qui régnait en Grande-Bretagne depuis 1803 : avec l’affaiblissement de la menace d’une invasion immédiate, une grande partie des Whigs était revenue à ses vieilles critiques de la guerre contre la France, leur opinion étant, en bref, qu’il s’agissait essentiellement d’un combat idéologique opposant la « liberté » (c’est-à-dire la Révolution française) au « despotisme » (c’est-à-dire l’Ancien Régime). Comme les Whigs constituaient le parti favorisé par le Prince de Galles, les Tories qui formaient l’administration Portland se retrouvèrent confrontés à un problème très sérieux : le roi Georges III étant vieux et infirme, ils savaient qu’à tout moment, ils pouvaient être démis et remplacés par un nouveau Cabinet favorable à la signature d’un compromis de paix avec Napoléon. L’opposition étant de plus en plus convaincue que la poursuite de la guerre ne pouvait mener qu’à un désastre, la seule réponse possible du gouvernement était la mise en œuvre d’une série de succès militaires, et pourtant le seul espoir d’y arriver passait par le soutien d’alliés puissants sur le continent (au moment où l’administration Portland prit le pouvoir en mars 1807, il ne disposait que d’environ 20 000 troupes aptes au service). Cependant, tout comme Sidmouth l’avait noté, l’attaque de Copenhague avait rendu la formation d’une nouvelle coalition plus improbable que jamais. Au vu des circonstances dominant l’automne 1807, l’atout majeur dans ce contexte était la Russie d’Alexandre Ier, mais ce monarque avait des raisons très particulières de prendre ombrage des actions britanniques. En premier lieu, l’attaque contre le Danemark l’avait blessé dans l’idée qu’il se faisait de lui-même : apparaître comme le protecteur des petits états d’Europe était l’une des nombreuses manies du tsar. Et, en second lieu, l’attaque de Copenhague était une menace trop évidente, car elle pouvait être facilement répétée contre l’île-forteresse de Kronstadt, principale base maritime russe dans la Baltique. En effet, c’était exactement la façon dont George Canning, le ministre des Affaires étrangères de l’administration Portland, espérait que l’attaque se fît, un de ses objectifs dans son appui en faveur de l’attaque étant qu’elle pourrait dissuader les Russes de créer une alliance avec Napoléon (le fait que ce fut, en réalité, déjà le cas n’était pas encore évident en août 1807, les détails complets du traité de Tilsit n’ayant pas encore été assimilés à Londres à ce moment-là). Cependant, menacer la Russie n’aiderait en aucun cas à gagner son amitié, et le Tsar en fut, de façon assez prévisible, profondément offensé. Loin d’obtenir le repentir d’Alexandre Ier, tout ce que Canning réussit fut de le pousser un peu plus dans les bras de Napoléon. Pour reprendre les mots de Paul Schroeder, en somme, « L’expédition danoise fut ainsi, sinon un crime, une bévue encore plus importante »12.
10Les difficultés politiques et diplomatiques dans lesquelles les tactiques napoléoniennes avaient placé la Grande-Bretagne ne se limitaient pas non plus aux conséquences d’actions dramatiques telles que l’incendie de Copenhague. Encore et toujours, l’application sans merci par la Royal Navy des décrets concernant le trafic maritime des nations neutres ou ennemies permit à Napoléon d’affirmer qu’il se battait pour la liberté de l’espace maritime et, par extension, pour les droits commerciaux de toute l’Europe. Une fois de plus, en somme, la Grande-Bretagne avait été mise dans une position où elle était perçue comme se battant pour ses propres intérêts égoïstes, ici l’établissement d’un monopole sur tout le commerce maritime. Quant aux résultats probables, nous nous tournons à nouveau vers Sidmouth : « Ne courrons-nous pas le danger, avec un tel usage de notre pouvoir maritime, d’exaspérer et de faire ainsi enrager le monde civilisé au point qu’il s’unisse en un effort combiné pour accomplir notre destruction ? Bonaparte se bat désormais contre nous avec deux instruments absolument formidables : la haine de nous et la peur de lui »13.
11Avec l’hostilité européenne, le désastre à l’étranger, l’effondrement économique, le mécontentement interne et le conflit politique, on peut facilement affirmer que les premiers mois de 1808 constituèrent une des périodes les plus difficiles dans toute la longue histoire britannique : en effet, elle a même été comparée à la fameuse « heure de gloire » de juillet 1940. De telles comparaisons étaient impossibles dans la Grande-Bretagne de juin 1808, bien entendu, mais il est tout de même facile de comprendre l’excitation et la joie qui accueillirent l’arrivée de Matarrosa et La Vega. Tout d’abord, les Britanniques n’étaient fondamentalement plus seuls face au pouvoir napoléonien, et, par extension, il existait de nouveau assez de potentiel pour qu’une nouvelle coalition antinapoléonienne se forme à travers l’Europe. Le fait qu’une Grande-Bretagne alliée à l’Espagne et au Portugal constituait une alliée plus attrayante que la Grande-Bretagne toute seule n’était pas non plus la seule raison pour motiver ce changement. Il y avait aussi la manière dont Napoléon avait poussé les Bourbons hors du trône. Comme l’écrivit George Canning, « la perfidie et l’atrocité sans précédent » dont Napoléon avait fait preuve dans sa manière de traiter la famille royale d’Espagne à Bayonne « a dû démontrer à l’Empereur de Russie et au Roi du Danemark que chaque conquête réussie… les rapproche… de la disparition de leurs dynasties respectives »14. Et même si les autres puissances ne considéraient pas l’intervention de Napoléon en Espagne comme un cri d’alarme pour lui résister à tout prix, elle représenta du moins une opportunité de faire un croche-pied à un empereur qui était à ce moment-là engagé dans différents projets de division de l’empire turc (autre point trop complexe pour être développé dans ce cadre ; cet aspect de la situation stratégique fit son apparition avec la détermination d’Alexandre Ier de marcher sur Constantinople dans le sillage du traité de Tilsit, et, plus particulièrement, le refus de Napoléon de voir la Russie réaliser des profits territoriaux importants sans qu’il n’obtienne une part du butin)15. Un observateur intéressé, par exemple, fut Sir Arthur Wellesley (c’est-à-dire le futur duc de Wellington), alors commandant d’un corps expéditionnaire qui avait été sur le point d’embarquer pour la côte considérée aujourd’hui comme le Venezuela :
« Les événements qui se sont déroulés récemment en Espagne… semblent mériter l’attention sérieuse des ministres du Roi. Il ne peut y avoir aucun doute sur le fait que le… massacre de Madrid et la révolution faite à Bayonne [ont] excité la jalousie de toute la nation espagnole et… poussé certaines personnes en charge et haut placées en Espagne à manifester une disposition à résister à l’exécution des projets d’asservissement de leur pays. En effet, Bonaparte lui-même ne semble pas considérer que la situation de ses affaires en Espagne est très prospère : il a fait des remarques concernant les sentiments et procédés… des Espagnols, et… appelé des renforts importants pour aider ses troupes. Dans l’ensemble, donc, ceci semblerait être une crise dont on pourrait tirer profit en fournissant un grand effort, et il est certain que toute mesure permettant de mettre en détresse les Français en Espagne doit les obliger à retarder pour une saison l’exécution de leurs projets concernant la Turquie, ou à retirer leurs armées du nord… Ces projets concernant l’Espagne seraient grandement facilités par tout ce qui pourrait être fait pour alarmer Bonaparte en France. Ce n’est certainement pas impossible, et la manière dont ses armées sont actuellement réparties dans tous les coins de l’Europe, chacune ayant des buts importants et un travail largement suffisant qui ne peuvent pas être abandonnés sans causer du tors à ses affaires, offre une opportunité que l’on ne devrait pas ignorer »16.
12À ce moment-là Wellesley n’avait aucune idée précise de la manière dont l’armée britannique pouvait opérer efficacement dans la Péninsule, mais dans ses paroles on peut néanmoins percevoir une prise de conscience implicite de ce que l’Espagne et le Portugal offraient un théâtre d’opérations permettant à une force d’expédition de se maintenir sur le continent européen. En quinze ans d’une guerre presque constante avec la France, aucun gouvernement britannique à quelque moment que ce fût n’avait pu envoyer plus de 20 000 hommes en Allemagne ou dans les Pays-Bas (théâtres clés des opérations dans toute guerre avec la France). Accompagné d’un allié puissant tel que l’Autriche ou la Russie, une telle force pouvait sans aucun doute apporter une aide précieuse, mais, livrée à elle-même, elle ne pouvait raisonnablement espérer battre les armées françaises, et encore moins dans les étendues grandes ouvertes de la plaine nord-européenne. Pour cette raison, les interventions indépendantes que les Britanniques avaient tentées sur le continent avaient toutes été de courte durée et ils avaient eu tendance à provoquer la défaite de leurs ennemis par l’interruption de leur commerce, la neutralisation de leurs flottes et la conquête de leurs colonies. Mais ce fut absolument contre-productif : au final, la victoire ne pouvait être obtenue par cette approche indirecte, qui, en fait, tendait à rendre encore plus difficile la formation d’une coalition puissante, seul espoir certain de succès. En pillant les îles Caraïbes (« filching sugar islands », phrase utilisée par le leader Whig, Charles James Fox, pour stigmatiser la prédilection des administrations des années 1790 pour les expéditions coloniales), la Grande-Bretagne ne pouvait que s’exposer à être accusée de ne s’intéresser qu’à renforcer ses propres objectifs égoïstes, accusation qui, assez naturellement, forma l’un des piliers de la propagande napoléonienne. Ainsi, si les soldats anglais attaquaient une colonie française, c’était réellement dans l’optique de l’assimiler à l’empire britannique. De même, si la Royal Navy bloquait les côtes de l’Europe, ce n’était pas tant pour briser la résistance française et maintenir au port les flottes de Napoléon que pour démolir l’industrie européenne et s’assurer le monopole de tout le commerce maritime. Pire encore, avec l’armée britannique aussi éparpillée dans le monde ou obligée de rester en réserve au pays (les énormes forces de volontaires, levées pour défendre la Grande-Bretagne de toute invasion, étaient considérées à juste titre comme étant d’un intérêt douteux), beaucoup se plaignaient du fait que la Grande-Bretagne était déterminée à se battre jusqu’à la mort du dernier autrichien. Mais désormais tout ceci avait changé : l’Espagne et le Portugal offrirent un théâtre des opérations qui fut plus difficile à dominer pour les Français que les plaines d’Allemagne et de Flandres, ainsi qu’un substitut humain pour les armées d’Autriche, de Russie et de Prusse. En bref, la boucle avait enfin été bouclée, les insurrections ibériques offrant une occasion de lancer l’assaut direct sur la puissance napoléonienne. Canning et d’autres y avaient vu la seule chance de mettre un terme aux déprédations de l’empereur17.
13Il est par conséquent assez compréhensible que l’on se réjouît vraiment en entendant les nouvelles d’Espagne, alors que les célébrations eurent un goût encore plus fort du fait de la capacité de l’insurrection espagnole à unir presque tous les secteurs de l’opinion publique britannique. Ainsi, une fois que le danger immédiat d’invasion eut disparu en 1805, le monde politique avait repris le schéma des années 1790 et était devenu profondément divisé sur la question de la guerre. Pour les Tories (les précurseurs du parti Conservateur d’aujourd’hui), Napoléon Bonaparte représentait le jacobinisme et, avec, la menace d’une révolution universelle. Par conséquent, il était nécessaire de faire respecter les droits de tous les monarques d’Europe et de s’opposer à la France, sinon jusqu’à ce que l’Empereur ait été destitué de son trône, alors tout du moins jusqu’à ce que la France ait été mise dans l’incapacité de perturber de nouveau la paix en Europe. Cependant, pour les Whigs (les précurseurs du parti Libéral actuel), ce qui importait était la défense de la liberté. En dépit de tout ce qui s’était passé, pour beaucoup d’entre eux la Révolution française restait un moment historique de nature fermement optimiste (un phénomène, en effet, qui méritait les plus grands éloges), et par conséquent une croisade contre-révolutionnaire n’était, pour eux, d’aucun intérêt. Partisans instinctifs de l’idée d’une paix négociée avec la France, la perspective d’une invasion française les avait unis pendant un court moment derrière l’effort de guerre, mais ils étaient désormais revenus à leurs fantasmes d’une nouvelle Paix d’Amiens (le compromis de courte durée qui avait momentanément mis fin à la lutte anglo-française en 1802) et étaient fort enclins à considérer Napoléon comme un libérateur. Ici aussi, cependant, l’insurrection espagnole chercha la quadrature du cercle. D’un côté, les Tories pouvaient voir dans le conflit l’image flatteuse d’un peuple loyal et dévoué se sacrifiant au nom de la religion et de la légitimité, alors que de l’autre les Whigs pouvaient se convaincre de ce que ce qu’ils pouvaient voir en Espagne était un combat pour retrouver les libertés que le pays avait perdues face au despotisme, ceci étant un facteur qui transforma la guerre en bien plus qu’un combat pour faire respecter un Ancien Régime qu’ils considéraient avec haine et mépris. On retrouvait ici (dans les deux cas) un véritable manque de discernement, mais à ce moment-là les nouvelles d’Espagne suscitèrent un formidable élan d’optimisme et favorisèrent l’unité nationale. En guise d’illustration de l’excitation générale qui régnait alors, nous pourrions citer les mots du célèbre radical William Cobbett, d’autant plus qu’il avait été jusqu’alors un des détracteurs les plus féroces de la guerre :
« Si l’on se tourne vers les patriotes espagnols, il apparaît réellement qu’il y a quelque perspective de leur succès final. Il semble y avoir un authentique esprit de résistance contre la France. Les mots des différents discours sont ceux d’hommes déterminés. Tout ce noble esprit gît étouffé sous le cauchemar du despotisme. Une fois celui-ci retiré, il bondit avec la rapidité de l’éclair. Éclair, éclair en zigzag, puisse-t-il faire ses preuves aux yeux de tous ceux qui, quels qu’ils soient, souhaiteraient l’étouffer. C’est la seule opportunité équitable qui a offert un obstacle à la progression de Napoléon. C’est la seule cause dont le peuple d’Angleterre a vivement souhaité la réussite. Très probablement, c’est la dernière opportunité qui nous sera offerte de porter un coup à la longue cascade de succès, et si nous négligeons cette opportunité, si nous gaspillons les heures précieuses qui nous sont maintenant données pour agir à douter, hésiter et retarder, nous… méritons de périr, ou, mieux encore, de nous traîner dans une vie de misère sous les huées de tous les hommes biens »18.
14Il s’ensuivit qu’en quelques heures une grande vague d’hispanophilie submergea le pays. Au cœur de ce processus se trouvaient une série de banquets et de réceptions, certains officiels et d’autres privés, les hôtes comprenant le Club Espagnol de Londres, le lord-maire, les banquiers et marchands de la ville, Canning, le Premier ministre, Lord Portland, et le duc de Cambridge (un jeune fils de Georges III). Dans toutes ces fonctions, les mêmes caractéristiques étaient visibles sous forme de décorations somptueuses, toasts sans fin, discours grandiloquents et chants patriotiques, alors que la présence de nombreux représentants de l’establishment britannique et la nature prolongée des célébrations (elles continuèrent pendant une bonne partie de l’été), sans oublier la couverture importante que la presse accorda à toute l’histoire, assurèrent que les mêmes niveaux d’émotion furent communiqués à la société cultivée en général et même à la foule. En réponse, pendant ce temps, des poètes, dramaturges et compositeurs réalisèrent qu’on leur avait offert une merveilleuse opportunité commerciale et inondèrent le marché d’une grande variété de productions littéraires et artistiques. Pour ne citer qu’un exemple, le 15 août, la première représentation d’une pièce écrite à la va-vite, The Spanish Patriots, or a Nation in Arms (Les Patriotes espagnols, ou une Nation en armes), connut un tel succès qu’il fut impossible d’obtenir des billets durant de nombreuses représentations19. Il ne fait aucun doute, alors, que les événements notés par le sculpteur Joseph Farington dans son journal furent répétés dans de nombreux foyers. « J’ai dîné chez M. William Smith. M. Smith a porté un toast exceptionnel : « Au succès des Espagnols ». Il a dit [qu’] il avait bon espoir qu’ils réussiraient, [et] que Bonaparte, après une telle vague de succès, et détenteur d’une puissance aussi importante, pourrait… dans ce cas précis… avoir visé trop haut »20. En résumé, l’enthousiasme était général. « Quelle splendide série d’événements se déroule sous nos yeux en Espagne » écrivit un membre de la célèbre famille Wedgewood dans une lettre privée. « Je ne peux vous décrire l’intérêt que je porte à la cause espagnole. Il excède tous les autres, excepté peut-être celui que j’ai ressenti dans les premiers moments de la Révolution française. Puissent les Espagnols obtenir une parfaite liberté, et relever [cette] déesse de l’abysse dans lequel les Français l’avaient laissée afin que l’humanité l’admire »21. Comme le célèbre réformateur William Wilberforce l’écrivit, « Toutes les têtes et les cœurs sont pour ces pauvres Espagnols », comme nous le prouvent les mots du frère de Sir John Moore, Graham, un officier de marine qui était à ce moment-là à Rio de Janeiro : « Mon cœur et mon âme tout entiers sont avec les Espagnols, et j’espère et je suis certain que nous devrions les aider et nous battre pour eux le mieux possible… J’espère que Bonaparte est désormais trop occupé pour penser à envahir l’Angleterre. Il a visé trop haut, et, je l’espère grandement, c’en est fait de lui »22. Et pour finir il y a les mots de l’éminent Whig Phillip Francis, dans une lettre à sa sœur :
« Les perspectives en Espagne sont hautement favorables, et, maintenant que nos ministres se sont déclarés, il est probable, je pense, qu’elles continuent à l’être. Eliza vous aura dit quel patriote je suis : un patriote espagnol je veux dire. Une opportunité s’est enfin présentée d’obstruer la carrière de Bonaparte, voire (car il mourra de rage si les Espagnols réussissent à lui résister) de se débarrasser de lui complètement, et, avec lui, de la guerre et de la taxation qui ne pourront jamais disparaître tant qu’il est en vie »23.
15Comme on le dit souvent, une image vaut mille mots. Pour capter le mélange d’espoir et d’attente qui s’empara de l’opinion publique britannique, nous ne pouvons faire autrement que d’évoquer certains des nombreux dessins humoristiques et caricatures que la guerre en Espagne générait. Commençons par une gravure intitulée King Joes reception at Madrid, publié par un certain Thomas Tegg.
16Dans cette image, Joseph Bonaparte est montré entrant dans Madrid appuyé par une armée française l’acclamant. Mais tout ne va pas pour le mieux : lorsqu’un général français grogne « Où sont les hourras ? Où est le son des cloches ? Si vous ne faites aucun bruit vous tomberez tous sous les baïonnettes royales », un attroupement de civils espagnols échange des remarques dénigrantes, telle qu’« Il se prend pour un avocat et nous allons vite l’éjecter d’Espagne », et « Même si je suis une femme, j’ai l’intention de résister ». Et c’est ce que fit le peuple.
17Dans une deuxième gravure (« Spanish-patriots attacking the French-Banditti ») publiée par le célèbre caricaturiste James Gillray, une horde d’Espagnols menée par un évêque et encadrée par des moines et des nonnes, apparemment armés de presque rien mis à part des épées, des poignards ainsi qu’un unique et vieux canon, est montrée se jetant sur les Français et les acculant à la débâcle, avec l’aide d’un unique grenadier britannique.
18Le résultat est également représenté. Ainsi, dans une autre caricature, nous voyons Joseph et son armée abandonner Madrid et prendre la route vers la France lourdement chargés de sacs de dollars, de trésors d’église et de laine espagnole, pendant qu’un Espagnol mourant gisant sur la chaussée parmi de nombreux autres cadavres suffoque « Puissent les cieux venger notre cause ».
19Dans ces trois illustrations, on retrouve l’incarnation même de l’opinion britannique sur la lutte espagnole pendant l’été 1808. Ainsi, la cause espagnole est juste. Le peuple espagnol (qui est partout montré vêtu de costumes du XVIe siècle pour évoquer les gloires du passé) est uni dans la bataille. Et les Français sont des bandits et de lâches meurtriers qui ne s’intéressent qu’au pillage. Tout ceci n’entraînait qu’une seule conclusion : Joseph Bonaparte serait jeté hors d’Espagne sans aucune autre intervention que celle symbolique de la Grande-Bretagne (le fait qu’un seul Anglais soit montré sur le champ de bataille décrit par Gillray peut être considéré ici comme hautement significatif). Citons le commentaire d’Henry Brougham sur les rapports totalement fictifs qui arrivèrent à la fin du mois de juin et spécifiaient que les Français avaient fuit le pays, « Ici, on ne fait que rêver et construire des châteaux, au sens propre du terme, bâtir des châteaux en Espagne. Les gens sont occupés à fortifier les Pyrénées contre de nouvelles invasions de l’ennemi, formulant des conditions de paix qu’ils ne pourront peut-être pas accepter et qui mèneront à une campagne en France, soulevant une cinquième coalition en Allemagne et provoquant le retour des Bourbons »24.
20Très rapidement, pendant ce temps, l’espoir fut renforcé par la réalité ou, tout du moins, par ce que l’on crut être la réalité. Des nouvelles arrivèrent donc de victoires espagnoles les unes après les autres. L’escadre française qui avait trouvé refuge dans le port de Cadix fut obligée de se rendre. Les envahisseurs furent écartés des murs de Valence, Gérone et Saragosse. Une colonne ennemie fut mise en déroute par la milice catalane à Bruch. Et, enfin et surtout, le 19 juillet l’armée du général Dupont fut battue et obligée de se rendre à Bailén. Cette défaite fut véritablement un événement extraordinaire : une armée française avait dû capituler en Égypte, certes, mais une humiliation aussi totale infligée à une force impériale en rase campagne par un « peuple nombreux et armé », selon l’expression consacrée, était une tout autre affaire. Au même moment les premiers observateurs britanniques arrivés en Espagne étaient unanimes dans leur témoignage de l’excitation et de la vision optimiste qui prévalaient de toute part. il est intéressant de noter ici les paroles de Sir Arthur Wellesley (un observateur généralement objectif) concernant la situation qu’il rencontra à La Corogne quand il y accosta le 20 juillet 1808 :
« Depuis mon arrivée j’ai eu des conversations fréquentes avec la Junte… Le résultat général… me semble être que toute la nation espagnole, à l’exception des provinces de Biscaye et Navarre, et celles des environs de Madrid, est en état d’insurrection contre les Français, que plusieurs détachements français dans différentes parties du pays ont été détruits, notamment un corps sous le commandement de Lefebvre, qui avait été quatre fois attaqué près de Saragosse… particulièrement les 16 et 24 juin ; un corps qui, je le pense, a été sous le commandement de Dupont… et deux corps battus en Catalogne… Les Catalans ont aussi pris possession du fort de Figueras… et ont bloqué les troupes françaises à Barcelone… Il est impossible pour vous d’avoir une idée du sentiment qui prévaut ici en faveur de la cause espagnole. La différence entre deux hommes se fonde sur le fait d’être ou non un bon Espagnol : un bon Espagnol est celui qui déteste les Français avec le plus de sincérité. Je comprends qu’on ne donne en fait aucune fête française dans le pays, et je suis convaincu qu’avec tous ces événements aucun homme désormais n’ose montrer qu’il est un ami des Français »25.
21La connaissance de la Campagne d’Espagne suffit à révéler la nature erronée de cette version des faits. Même lorsqu’il n’y avait aucune possibilité de cacher la défaite, la vérité était toujours manipulée. Ainsi, dans une seconde lettre écrite le même jour que celle que nous venons tout juste de citer, Wellesley racontait l’histoire de la bataille de Medina de Río Seco conformément à la version que lui en avait livrée la Junte de Galice. Cette opération, qui eut lieu le 14 juillet 1808, fut une catastrophe pour les Espagnols car, en quelques heures, ils subirent une perte de plus de 3 000 hommes contre seulement 400 morts du côté français, mais, au lieu de la bataille inégale qui constitua la réalité de ce jour-là, nous avons quelque chose de très différent :
« L’armée galicienne, qui, rejointe par celle de Castille, regroupait quelque 50 000 hommes, était postée à Río Seco dans la province de Valladolid… Ils furent attaqués le 14 par un corps français… sous le commandement de Bessières, constitué d’environ 20 000 hommes, dont 4 000 appartenaient à la cavalerie… Le début de l’opération fut en faveur des Espagnols, l’infanterie française [perdant] 7 000 hommes et six… canons, mais vers la fin de la journée la cavalerie française chargea la ligne gauche espagnole, qui était constituée entièrement de paysans de Castille, la brisa, et en tua ou blessa 7 000 et prit huit… canons »26.
22Si les Espagnols avaient connu le pire à cette occasion, alors, il était clair qu’ils s’étaient bien battus, et avaient judicieusement surpassé les efforts, disons, médiocres des Prussiens en 1806. Il est aisé d’imaginer l’impact de tout ceci sur une Grande-Bretagne aussi assiégée que celle de 1808. Par exemple, les mots de Wellesley trouvèrent un écho fidèle dans une lettre personnelle écrite par le secrétaire privé du ministre des Affaires étrangères, George Canning :
« Tous les récits reçus hier sont couleur de rose, ou plutôt, de sang. Mais comme il y a une proportion importante de sang français versé, tout est pour le mieux. On dit qu’après la bataille, les paysans se sont rués sur les Français et ont tué tous les hommes que la bataille avait épargnés. Les députés sévillans ont reçu des comptes rendus hier de Cadix… Ils nous ont fait passer le mot : en plus du succès du général Palafox, deux corps de troupes françaises de 5 000 hommes chacun ont été complètement détruits à Manresa et Tarragone en Catalogne. Les Français n’ont pas plus de 3 000 hommes restant à Barcelone »27.
23Et tout ceci se poursuivit ainsi. Les premiers livres et pamphlets sur la guerre en Espagne ne tardèrent pas à paraître, et ceux-ci se montraient optimistes et flatteurs. Une de ces premières publications fut une biographie du général espagnol Joaquín Blake, écrite courant octobre par un des officiers de liaison qui avaient été envoyés en Asturies durant l’été. Que peut-on espérer d’autre que la victoire après avoir lu ce qui suit ?
« Nous attendons seulement le moment où Blake nous ordonne d’attaquer [l’ennemi] avant de prendre conscience de la promesse que nous avons faite à l’Espagne et au monde d’ériger un monument éternel à la liberté et aux droits des nations par son anéantissement. Mais le courage de Blake, bien qu’inégalé, quand les circonstances exigent des initiatives, fait partie de cette catégorie bienheureuse qui est totalement maîtrisée par la prudence et la discrétion… D’une bataille infructueuse, il se plaça de telle sorte que l’ennemi n’osa pas l’attaquer. Dans cette position il manœuvra de façon à tenir en respect des forces supérieures confortant constamment ses positions jusqu’à ce que l’ennemi n’ose plus rester en sa présence. Dans sa poursuite et ses agissements ultérieurs en présence de l’ennemi, il a obtenu tous les avantages de belles victoires durement gagnées par la seule association de mouvements adroits. Cette armée est prête et désireuse de se battre, mais notre général ne soumettra pas la grande cause qu’on lui a confiée au hasard d’une bataille, ou alors dans des circonstances fournissant au moins une certitude morale de succès total… Ce qu’un officier de la cavalerie française a dit naguère de lui-même peut très bien être appliqué au général Blake, à savoir, qu’il était son propre adjudant, son propre sergent et son propre caporal. Mais il ne peut être ajouté, comme on le rétorqua au Français vantard, qu’il est son propre clairon. Aucun homme n’avait autant fui les louanges que tout le monde estimait qu’il méritait, mais que peu s’autorisaient à lui offrir, par respect pour sa délicatesse. Le général Blake dirige lui-même la brigade de l’intendant général de son armée et, en tenant compte de certaines difficultés qui ne peuvent être surmontées, il n’y avait jamais eu d’armée mieux équipée. Il n’y a pas de précipitation : tout est fait avec un calme parfait, mais en même temps avec rapidité et à grande échelle. Si vous pouviez voir le général Blake dans son campement, occupé pendant des jours et des semaines par ses plans et ses stratégies, vous supposeriez qu’il avait peu à faire, tant il apparaissait si parfaitement désinvolte et à l’aise. Tout semble fonctionner tout seul, et il semble être témoin de l’action plutôt que diriger ou inciter le mouvement. Il ressemble au directeur d’un camp de loisirs durant une période de paix profonde. Mais son esprit se tient toujours prêt pour tout événement qui pourrait se produire, et il n’est jamais surpris »28.
24Tout aussi optimiste, entre-temps, était Charles Vaughan, un Whig romantique ensorcelé par la vision d’une révolution espagnole, qui avait voyagé en Espagne pour s’imprégner de l’atmosphère générale et avait fini comme assistant officieux de l’ambassadeur britannique qui fut envoyé en Espagne en octobre. En route vers Madrid depuis La Corogne, par exemple, il écrivit la lettre suivante à la doyenne de la société Whig, Lady Holland :
« Il m’est impossible de vous décrire la façon dont les gens, dans chaque ville que nous avons traversée, ont exprimé leur opinion sur les Anglais. Nous avons festoyé avec la haute société, et la populace nous a littéralement serré et porté dans ses bras. Il est singulier que dans chaque classe et chaque région, on ait exprimé à plusieurs reprises le même désir anxieux que la famille royale d’Angleterre donne une épouse à Ferdinand VII. L’outrage de la saisie de leurs frégates est désormais perçu comme une intervention miraculeuse de la providence, qui plaça entre les mains des Anglais un trésor qui serait certainement tombé entre les mains des Français, lequel trésor leur a été restitué par les Anglais au moment où la nation en a le plus grand besoin… Dans chaque ville que l’on traverse les gens se rassemblent pour demander anxieusement quelles sont les nouvelles, et le courrier est à peine arrivé qu’un homme lit déjà la gazette à haute voix à l’assemblée. Nous n’avons eu aucune raison de nous plaindre d’un quelconque désordre durant notre voyage, bien que nous ayons comme à l’accoutumée entendu, de temps à autre, que nous devions nous attendre à rencontrer dans certaines régions lointaines des voleurs »29.
25Finalement, les Hollandais se rendirent également en Espagne et, comme on pouvait s’y attendre au vu de ce qui se passait, eux aussi se laissèrent emportés par l’enthousiasme général :
« Arrivés à Saint-Jacques aux environs de cinq heures [le 12 novembre 1808]… Accueillis et interpellés par une haie de personnes criant « Viva, viva ! » en l’honneur de l’alliance… Le soir, on nous donna la sérénade durant un concert offert par les autorités civiles -les musiciens de la cathédrale. Pendant les entractes, il y eut un feu d’artifice accompagné d’acclamations de « Viva ! » pour l’« Inglaterra » et « Jorge III y Fernando VII »… Le duc de Veracruz, un Grand d’Espagne, descendant de Colomb, nous a confié qu’il avait reçu des comptes rendus d’Astorga l’informant que Romana, qui était parti en posta à Madrid, avait reçu là-bas l’ordre de passer directement à l’armée sans aller à la junte centrale pour obtenir des instructions. Ils décrivent l’accueil réservé à Romana par le peuple comme quelque chose de touchant : ils tirèrent l’attelage, un honneur jusque-là jamais accordé à quiconque en Espagne, l’entraînèrent dans les rues principales, et furent seulement interrompus par les acclamations de « Viva ! Viva ! ». Il fut assez submergé et sanglota tout haut… Nous avons vu des recrues espagnoles s’entraîner : c’étaient des jeunes gens en bonne santé et en forme. Habillés grossièrement, [ils] n’avaient pas vraiment l’air de soldats. C’est une vision glorieuse que celle de la population d’un pays se tournant avec zèle vers une cause nouvelle et contre un tel ennemi »30.
26On voit ici la preuve d’un autre facteur de cette image de la guerre qui se formait en Grande-Bretagne. Si des romantiques tels que Vaughan et Lord et Lady Holland étaient trop désireux de voir ce qu’ils voulaient voir dans la guerre d’Espagne, les autorités espagnoles de leur côté étaient désireuses de manipuler l’opinion en Grande-Bretagne. Pour donner un bon exemple des méthodes qu’ils utilisèrent, examinons ici l’accueil qui fut réservé à l’ambassadeur britannique John Hookham Frere lorsqu’il arriva à La Corogne le 20 octobre :
« À dix heures… le gouverneur… accompagné de quelques hidalgos et députés montèrent à bord et, après avoir échangé une nuée de compliments et conclu un nombre dérisoire d’affaires, nous commençâmes la cérémonie du débarquement, pour laquelle attendaient trois embarcations gaiement décorées … Alors que nous avions tous pris place et étions sur le point de quitter le navire, l’évènement intéressant fut annoncé aux spectateurs anxieux qui longeaient la rive, avec un salut du Semiramis, auquel il fut immédiatement répondu par les tirs de vingt-et-une armes à feu. Nous avançâmes et posèrent enfin le pied sur le sol espagnol au milieu des cris et acclamations sans fin de milliers de gens excités, de tout âge, sexe et condition. On pourrait dire que l’air était déchiré par les vivas sonores qui résonnaient autour de nous, vivas pour les ingleses, pour Ferdinand VII, pour la Junte, et pour bien d’autres personnes et choses trop nombreuses pour en faire le détail. Mais pour vous donner une meilleure idée de notre débarquement, je devrais vous dire que la ville de La Corogne se situe très en hauteur… Au premier plan se trouve une longue rangée de maisons, dont les fenêtres, toits et nombreux balcons sont remplis de femmes, rassemblées sous diverses ombrelles colorées et agitant leurs mouchoirs avec vigueur. Il faisait très beau, et le tout ensemble (sans oublier la variété de costumes pittoresques et les voiles des femmes, qui, par ailleurs, servent à tout sauf à cacher leurs charmes) constituait un spectacle dont je ne vous ai donné qu’une description très vague, mais qui sera toujours à mes yeux un souvenir des plus intéressants, quel que soit le résultat de nos efforts. L’enthousiasme des habitants… est une chose que j’aurais difficilement pu imaginer, encore moins décrire. Les femmes semblent particulièrement engagées dans la cause, un zèle qui s’est même étendu aux couvents. Car, sur le chemin …, il est à noter qu’une partie de la foule nous obligea à prendre une route détournée, et après renseignement il apparut qu’ils avaient été achetés pour le faire par les nonnes d’un couvent voisin pour qu’elles puissent avoir la satisfaction de nous voir passer. En effet, à notre apparition, elles s’évertuèrent à témoigner de leur joie… en agitant leurs mouchoirs, et en passant des petits drapeaux et étendards par les grilles de leurs cellules. Cependant, pour retourner au lieu d’embarquement, quand nous eûmes sans grande difficulté atteint le sommet, le gouverneur, monté sur un cheval richement caparaçonné, montra le chemin, pendant que nous le suivons dans des attelages décorés pour l’occasion, et, menés par la foule vers le parlement, escortés par les nouvelles recrues, à pied ou à cheval, et avec toute la ville de La Corogne sur nos talons, leurs cris seulement interrompus par le crépitement des pétards, les explosions de fusées, et les détonations d’un autre salut envoyé par les navires et cannons »31.
27En conclusion, toute une série de facteurs ont concouru à assurer que la nouvelle que l’Espagne s’était dressée contre Napoléon trouverait un écho important en Grande-Bretagne. La fortune de cette dernière non seulement déclinait fortement, mais les Whigs tout comme les Tories pouvaient concilier ce qui semblait se passer en Espagne avec leurs propres croyances politiques, et ainsi toutes les nuances du spectre politique purent se rejoindre à la faveur de la liesse générale. Il existait, il est vrai, un nombre de voix enclines à préconiser la prudence, mais dans le brouhaha général elles furent balayées, d’autant plus qu’à l’extérieur des cercles gouvernementaux on possédait très peu d’informations sur l’état des choses dans la Péninsule. Avec le recul, on peut voir, en effet, que les raisons de se réjouir ne manquaient pas. Sans la guerre en Espasssgne et au Portugal, il est difficile d’imaginer comment la grande coalition, qui renversa finalement Napoléon en 1814, aurait jamais pu être constituée, et encore moins en arriver à suivre le leadership moral de la Grande-Bretagne. Cependant, à court terme, la réalité fut très différente. Pour utiliser une expression bien connue et particulièrement pertinente ici, en 1808 les Britanniques construisaient, comme Henry Brougham l’avait souligné sans être conscient de l’ironie dont il faisait preuve, des châteaux en Espagne. Pour des raisons exposées par ailleurs, l’insurrection espagnole ne correspondait pas à la représentation que l’on s’en faisait traditionnellement pendant les premiers mois du conflit. Le résultat, bien entendu, fut qu’on nourrit des attentes plus grandes que celles que la cause des Patriotes aurait pu espérer satisfaire. En toute honnêteté, il existait nombre de voix sceptiques, mais elles furent noyées par le brouhaha général. Par conséquent, quand tout fut enfin révélé, notamment durant la campagne de novembre 1808 à janvier 1809, on assista à une vague d’hispanophobie d’une telle intensité qu’elle balaya complètement l’hispanophilie tout aussi appuyée qui l’avait précédée. Plus jamais l’Espagne et ses habitants n’auraient aussi bonne presse en Grande-Bretagne, alors que les effets de cette désillusion générale continuent d’empoisonner de nombreuses études anglophones portant sur la Guerre de la Péninsule.
Notes de bas de page
1 H. Brougham à Lord Grey, 2 juillet 1808, cit. H. Brougham, The Life and Times of Lord Brougham written by Himself (London, 1871), I, p. 405.
2 L. Sanders (ed.), Lord Melbourne’s Papers (London, 1890), p. 44 : « On the first [of January] Parliament met in a situation of affairs growing as usual more and more alarming after a recess crowded with events, some of them calamitous and some of them subjects of consolation, but all of them strongly indicating the lost condition of the Continent and a crisis most alarming to this country ».
3 Au sujet du Blocus continental sur le commerce en mer Baltique, voir C. D. Hall, British Strategy in the Napoleonic War, 1803-1815 (Manchester, 1992), p. 89-90.
4 Concernant la dépression économique de 1808, voir C. Emsley, British Society and the French Wars, 1793-1815 (London, 1979), p. 135-138.
5 La campagne française de raid commercial est discutée dans P. Crowhurst, The French War on Trade : Privateering, 1793-1815 (London, 1989).
6 Pour l’expédition vers Göteborg, voir R. Muir et C. J. Esdaile, « Strategic planning in an age of small government : the wars against Revolutionary and Napoleonic France, 1793-1815 », in C. Woolgar (ed.), Wellington Studies, I (Southampton, 1996), p. 43-69.
7 P. Schroeder, The Transformation of European Politics, 1763-1848 (Oxford, 1994), p. 141 : « Britain had assumed throughout in dealing with Prussia that it had to be paid to fight since it could defect and wanted to do so. À corollary principle was applied to Austria : it should not be paid because it was fighting for its life and could not defect ».
8 W. Napier, History of the War in the Peninsula and the South of France from the Year 1807 to the Year 1814 (London, 1828-1840), I, p. 7 : « Before the Peninsula had proved their excellence, the British troops were absurdly under-rated in foreign countries and despised in their own. They could not then move in large bodies so readily as the long practiced French, but the soldier was stigmatised as stupid, the officer ridiculed, and a British army coping with a French one for a single campaign was considered a chimera ».
9 Pour une discussion de la manière dont la Grande-Bretagne était perçue par l’Allemagne, etc., voir A.D. Harvey, « European attitudes to Britain during the French Revolutionary and Napoleonic Wars », History, LXIII, n° 209 (October, 1978), p. 356-365.
10 A. Paget (ed.), The Paget Papers : Diplomatic and other Correspondence of the Right Hon. Sir Arthur Paget, G.C.B., 1794-1807 (London, 1896), II, p. 376.
11 P. Ziegler, Addington : a Life of Henry Sidmouth, First Viscount Addington (London, 1965), p. 281 : « Might now constitutes right : we have given the death-blow to all that remained of the law of nations. Our magnaminity and outr honour have surrendered to our convenience and our fears, and Bonaparte has swelled his triumphs by a victory over the good faith and moral character of Great Britain ».
12 P. Schroeder, Transformation of European Politics, op. cit., p. 329.
13 P. Ziegler, Addington, op. cit., p. 203 : « Is there not a danger that, by such an exercise of our maritime power, we shall so exasperate and madden the civilised world as to unite it in one combined effort to accomplish our desrtruction ? Bonaparte is now fighting us with two most formidable instruments : hatred of us and dread of himself ».
14 G. Canning to W. Thornton, 10 June 1808, National Archives (par la suite NA.) FO.73/45.
15 L’auteur affirme que c’était précisément la probabilité grandissante d’une guerre dans les Balkans et la Méditerranée, ainsi que les considérations stratégiques que cela impliquait, qui amenèrent Napoléon à abandonner l’idée de donner à Ferdinand VII une épouse Bonaparte (une idée qu’il martelait encore très fermement jusqu’à mi-janvier 1808) en échange du contrôle total de l’État espagnol.
16 Rapport de Sir Arthur Wellesley, n.d., cit. second duc de Wellington (ed.), Supplementary Despatches, Correspondence and Memoranda of Field Marshal the Duke of Wellington, K.G. (Londres, 1858-72 ; par la suite SD.), VI, p. 80-2 : « The events which have recently occurred in Spain… appear to deserve the serious attention of the king’s ministers. There can be no doubt that the ... massacre at Madrid and the revolution effected at Bayonne [have] excited the jealousy of the whole Spanish nation and ... induced some persons high in authority and command in Spain to manifest a disposition to resist the execution of the plans for the subjugation of their country. Indeed, Bonaparte himself does not appear to consider the situation of his affairs in Spain to be very prosperous : he has remarked upon the sentiments and proceedings of ... the Spaniards, and ... called large reinforcements to the assistance of his troops. Upon the whole, then, this would appear to be a crisis in which a great effort might be made with advantage, and it is certain that any measures which can distress the French in Spain must oblige them to delay for a season the execution of their plans upon Turkey, or to withdraw their armies from the north… These plans upon Spain would be much facilitated by anything which could be done to alarm Bonaparte in France. Surely this is not impossible, and the manner in which his armies are now spread in all parts of Europe, each portion of them having great objects and ample employment which cannot be given up without injury to his affairs, afford an opportunity which ought not to be passed by ».
Le projet d’envahir le Venezuela était une survivance des fantasmes sud-américains de l’administration Portland qui avaient été imposés par l’aventurier Francisco de Miranda, le fait qu’un plan aussi stupide ait pu être adopté fournissant un indice supplémentaire de la situation stratégique qui paraissait ô combien désespérée lorsqu’elle était vue de Londres. En effet, un des atouts, et pas le moindre, de cette insurrection espagnole pour la Grande-Bretagne fut qu’elle sauva très certainement Wellesley d’une défaite cuisante qui aurait probablement mis fin à sa carrière militaire.
17 Pour une discussion détaillée de l’importance de « l’engagement continental » de la stratégie britannique, voir C. D. Hall, British Strategy, op. cit., p. 74-91 passim.
18 J. Greig, The Farington Diary (London, 1922-25), V, p. 84 : « Turning now to the Patriots of Spain, there really does appear to be some prospect of their final success. There seems to be a genuine spirit of resistance against France. The language of the several addresses is that of men resolved. All this noble spirit lay smothered under the incubus of despotism. That removed, up it bounds with the quickness of lightning. Lightning, forked lightning, may it prove to all those, be they who may, who would wish to smother it. This is the only fair opportunity that has offered for checking the progess of Napoleon. It is the only cause to which the people of England have heartily wished success. In all probability it is the last opportunity that will offer for enabling us to give a turn to the long flowing tide of success, and if we neglect this opportunity, if we waste the precious hours that are now given us for action in doubts, hesitations and delay, we ... ought to perish, or, which would be better, linger out a life of misery loaded with the curses of all good men ».
19 Concernant la vague d’hispanophilie qui suivit l’arrivée de la délégation des Asturies, voir A. Laspra, Intervencionismo y revolución (Gobierno Principado de Asturias, 1992), p. 73-5.
20 J. Greig, The Farington Diary, op. cit., V, p. 85.
21 E. Meteyars (ed.), A Group of Englishmen, 1795 to 1815, being Records of the Younger Wedgewoods and their Friends (London, 1871), p. 371 : « I cannot describe to you the interest I feel in the Spanish cause. It exceeds anything except perhaps that which I felt in the first moments of the French Revolution. May the Spaniards obtain perfect liberty, and raise [that] goddess for the admiration of mankind from the abyss in which the French have left her ».
22 W. Hinde , George Canning (London, 1973), p. 195 ; G. Moore à T. Creevey, The Creevey Papers : a Selection from the Correspondence and Diaries of the late Thomas Creevey, M.P., ed. H. Maxwell (London, 1904), I, p. 90 : « My whole heart and soul is with the Spaniards, and I hope and trust we shall support them and fight for them to the uttermost ... I hope Bonaparte has now enough on his hands without thinking of invading England. He has overshot his mark, and, I have great hopes, has done for himself ».
23 P. Francis à C. Francis, 4 juillet 1808, B. Francis et E. Keary (eds.), The Francis Letters : Sir Phillip Francis and other Members of the Family (London, n.d.), II, p 646-7 : « The prospect of affairs in Spain is highly favourable, and, now that our Ministers have declared themselves, is, I think, likely to continue so. Eliza will have told you what a Patriot I am – a Spanish Patriot I mean. An opportunity is at length arrived for checking the career of Bonaparte, perhaps (for he will die of rage should the Spaniards resist him successfuly) for getting rid of him altogether, and, with him, of war and taxation which can never end while he lives ».
24 H. Brougham à Lord Grey, 2 juillet 1808, in H. Brougham, Life and Times, op. cit., I, p. 405 : « All is hope and castle building here, literally bâtir des chateaux en Espagne. People are busy fortifying the Pyrenees against new invasions of the enemy, contriving terms of peace which he may not be able to accept and which will lead to a campaign in France, raising a fifth coalition in Germany and bringing back the Bourbons ».
25 Wellesley à Lord Castlereagh, 21 juillet 1808, J. Gurwood (ed.), The Dispatches of Field Marshal the Duke of Wellington during his various campaigns in India, Denmark, Spain, the Low Countries and France (new and enlarged edition ; London, 1852), III, p. 31-33 : « Since my arrival I have had frequent conversations with the Junta… The general result ... appears to me to be that the whole of the Spanish nation, with the exception of the provinces of Biscay and Navarre, and those in the neighbourhood of Madrid, are in a state of insurrection against the French, that several French detachments in different parts of the country have been destroyed, viz. a corps under Lefebvre, which had been attacked four times near Zaragoza ... particularly on the 16th and 24th June ; a corps which I believe to have been under the command of Dupont ... and two corps deferated in Catalonia ... The Catalonians have also got possession of the fort of Figueras ... and have blockaded the French troops in Barcelona… It is impossible to you an idea of the sentiment that prevails here in favour of the Spanish cause. The difference between any two men is whether the one is a better or worse Spaniard, and the better Spaniard is the one who detests the French most heartily. I understand that there is actually no French party in the country, and at all events I am convinced that no man now dares to show that he is a friend to the French ».
26 A Wellesley à J.W. Gordon, 21 juillet 1808, cit. SD. VI, p. 90 : « The Galician army, which, joined by that of Castille, consisted of 50,000 men, was posted at Río Seco in the province of Valladolid ... They were attacked on the 14th by a French corps ... under the command of Bessières, consisting of about 20,000 men, of which 4,000 were cavalry ... The commencement of the action was in favour of the Spaniards, the Freench infantry [losing] 7,000 men and six ... cannon, but towards the close of the day the French cavalry charged the left of the Spanish line, which consisted entirely of the peasants of Castile, broke it, and killed or wounded 7,000 and took eight ... cannon ».
27 J. Ross à Lord Malmesbury, 20 juillet 1808, Earl of Malmesbury (ed.), A Series of Letters of the Earl of Malmesbury, his Family and his Friends from 1745 to 1820 (London, 1902), II, p. 73 : « All the accounts received yesterday are couleur de rose, or, rather, de sang. But as there is a very fair proportion of French blood shed, it is very well. No doubt seems entertained of General Palafox’s success in Aragón. It is said that after the battle the peasants rushed upon the french and killed every man that the battle had spared. The Sevillian deputies received accounts yesterday from Cádiz ... They have sent us word that, in addition to the success of General Palafox, two coprs of French troops of 5,000 each have been totally destroyed at Manresa and Tarragona in Catalonia The French have not more than 3,000 men left at Barcelona ».
28 W. Parker Carroll, Sketch of the Life and Character of Don Joaquín Blake (London, 1808), p. 14-17 : « We await only the moment when Blake commands us to attack [the enemy] to realise the assurance we have given to Spain and the world of raising an eternal monument to freedom and the rights of nations by their annihilation. But Blake’s valour, though unexcelled, when the occasion requires enterprise, is of that happy cast which is under the complete control of prudence and discretion ... From an unsuccessful battle, he took a position in which the enemy did not dare to attack him. In that position he kept a superior force in awe by demonstrations, constantly increasing his strength till they no longer dared to remain in his presence. In his pursuit and his subsequent proceedings in the presence of the enemy, he has gained all the advantages of great and dearly purchased victories by the mere combination of skillful movements. This army is ready and anxious for combat, but our general will not commit the great cause with which he is entrusted to the hazard of a battle unless under circumstances affording at least a moral certainty of complete success ... What a French cavalry officer formerly said of himself may well be applied to General Blake, namely, that he was his own adjutant, his own serjeant and his own corporal. But it cannot be added, as was retorted on the gasconnading Frenchman, that he is his own trumpeter. Never did man shrink so much from the praise which everyone feels he merits, but which, from respect to his delicacy, few allow themselves to offer. General Blake superintends himself the quartermaster-general’s department of his army, and, making allowance for some difficulties that cannot be overcome, never was an army better supplied. There is no bustle : everthing is done with perfect ease, but at the same time with rapidity and to ample extent. If you could behold General Blake in his camp, for days and weeks occupied with his plans and arrangements, you would suppose he had little to do, so perfectly easy and unembarassed does he appear. Everything seems to move of itself, and he appears to witness rather than direct or impell the movement. He resembles the commander of a pleasure camp in a period of profound peace. But his mind is always prepared for any event that may occur, and he is never surprised ».
29 Earl of Ilchester (ed.), The Spanish Journal of Elizabeth, Lady Holland (London, 1910), p. 403 : « It is impossible to describe to you the manner in which the people in every town through which we passed have expressed their opinion of the English. We have been feasted by the upper classes of society, and we have been literally hugged and carried in the arms of the mob. It is singular that in every class and every district, the same anxious wish has been repeatedly expressed that the royal family of England should give a wife to Ferdinand VII. The outrage of seizing their frigates is now considered as the miraculous interposition of providence, which placed in the hands of the English a treasure that would certainly have fallen into the hands of the French, and which treasure is now given back to them by the English when the nation is most in need of it… In every town through which you pass the people collect together anxiously enquiring the news, and the post no sooner arrives than the gazette is read aloud to the multitude by some fellow mounted upon a chair. We have had no reason to complain of bad police on our journey, though as usual we have heard from time to time that in some distant district we must expect to meet with robbers ».
30 Ibid., p. 205, 210-213 : « Arrived at Santiago about five o’clock [NB. on 12 November 1808]… Greeted and molested by a concourse of persons crying out ‘Viva, viva!’ in honour of the alliance… In the evening we were serenaded by a concert sent from the public authorities – the musicians of the cathedral. During the intervals between the music, fireworks were displayed accompanied by acclamations of ‘Viva!’ for ‘Inglaterra’ and ‘Jorge III y Fernando VII’… The Duke of Viraquez, a grandee and descendent of Columbus, told us he had received accounts from Astorga informing him that Romana, who had set off en posta to Madrid, had there received orders to proceed directly to the army without going to the Central junta for instructions. They describe the reception given to Romana by the people as being touching : they drew the carriage, an honour never bestowed upon any person in Spain before, dragged him along the principal streets, and were only interrupted by acclamations of ‘Viva! Viva!’ He was quite overcome and sobbed aloud… We saw some Spanish recruits exercising : they were healthy, well-looking young men ; clothed rudely, [they] did not appear the less military. It is a glorious sight to behold the population of a country turning out with zeal in a fresh cause and against such an enemy ».
31 Lady Jackson (ed.), The Diaries and Letters of Sir George Jackson, K.C.H., from the Peace of Amiens to the Battle of Talavera (London, 1872), II, p. 274-279 : « By ten o’clock … the governor … with a few hidalgos and deputies came on board, and, after an immense deal of complimentation and a trifling amount of business had been got though, we began the ceremony of landing, for which three gaily decorated boats were in waiting … When we had all taken our places and were about to stike off from the ship, the interesting fact was announced to the anxious spectators that lined the shore, by a salute from the Semiramis, which was immediately returned from the batteries by twenty-one guns. Onward we went and at last set foot on Spanish soil amidst the never-ceasing shouts and acclamations of thousands of excited people of every age, sex and condition. The air may indeed be said to have been rent by the loud vivas that resounded around us, vivas for the ingleses, for Ferdinand VII, for the Junta, and for many other persons and things too numerous to particularise. But to give you a better idea of our landing, I should tell you that the town of La Coruña lies very high … In front of it is a long row of houses, the windows, roofs and numerous balconies of which were filled with women, grouped under various coloured parasols and waving their handkerchiefs most vigorously. The day was very fine, and the tout ensemble, not forgetting the variety of picturesque costume and the veils of the women, which, by the way, serve for anything but concealing their charms – formed a spectacle of which I have given you a very faint description, but which will ever be to me a most interesting recollection, let the results of our efforts be what it may. The enthusiasm of the inhabitants … is something I could hardlly have imagined, much less can I describe it. The women appear particularly forward in the cause, a zeal which has extended even to the convents. For on our way…, it was observed that a part of the mob forced us to take a roundabout road … and upon inquiry it appeared that they had been bribed to do so by the nuns of a neighbouring convent in order that they might have the satisfaction of seeing us pass. Accordingly, as soon as we appeared, they strove to testify their joy … by waving their handkerchiefs, and thrusting little flags and streamers through the gratings of their cells. However, to return to the landing place, when we had with no small difficulty reached the top of it, the governor, mounting a richly caparisoned horse, led the way, while we followed in suitably decorated carriages, and, dragged by the populace, to the government house, attended by escorts of the new levies, oh horse and foot, and the whole town of Coruña at our heels, their shouts only interrupted by the fizzing of crackers, explosions of rockets, and the banging of another salute from the ships and batteries ».
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