La modernité dans le regard d’une laïcité excentrée : le cas de la Tunisie coloniale (1881-1955)
p. 145-177
Texte intégral
1Ayant à traiter, dans le cadre de cette contribution, de la question de la modernité dans le discours des laïcs français, dans la Tunisie du protectorat, il importe – nous semble-t-il – de commencer notre propos par quelques rappels.
2Née des idées de la Renaissance et des Lumières, la laïcité n’est, historiquement, pas une valeur universelle mais plutôt occidentale et, plus précisément, française.
3En France, et avant même la loi de 1905, ce concept connut sa première grande victoire légale, avec le vote des lois de 1881-1882, sur l’école publique gratuite, laïque et obligatoire, indissociables de l’œuvre de Jules Ferry, chef du gouvernement et ministre de l’Instruction publique. Or celui-ci avait un double visage : celui du démocrate éclairé (promoteur de réformes progressistes)1 à l’intérieur ; celui du théoricien et de l’artisan zélé de l’expansion coloniale, qu’il cherchera à justifier dans plusieurs de ses discours2 et qu’il mènera, en partie, en lançant la France dans la guerre du Tonkin mais surtout dans la conquête de la Tunisie, en avril-mai 1881.
4Par sa démarche, Jules Ferry incarne ainsi l’une des contradictions majeures d’une certaine modernité occidentale prétendant cumuler le combat pour la démocratie et l’émancipation de l’esprit avec les conquêtes coloniales et leur cortège d’oppressions et d’horreurs.
5Jules Ferry était, toutefois, probablement conscient de cette contradiction. C’est pourquoi tout en assumant, ouvertement, les objectifs stratégiques de la colonisation, ses successeurs chercheront, avec plus ou moins de conviction, à lui associer une mission apparemment plus noble, de nature « civilisatrice », censée ouvrir les territoires conquis aux « bienfaits de la civilisation occidentale ». Ce raisonnement révèle, en fait, deux certitudes. La première est que les tenants et acteurs de la modernité occidentale, de la fin du XIXe siècle, octroyaient, d’office, à celle-ci – en tant que modèle – une ambition universelle, quitte à cautionner, au passage, la notion de hiérarchie des cultures et des races, pourtant hautement incompatible avec l’exigence de rationalité critique, supposée inséparable de la démarche laïque. La seconde certitude (qui rejoint, à vrai dire, un certain discours politique d’aujourd’hui) consiste à croire que – à l’égard des autres – la modernité peut être imposée par la violence et la guerre, la fin justifiant, ici, quelque part, les moyens.
6La question se trouve, ainsi, finalement, ramenée à un rapport de force entre « lumières » et « obscurantisme », ou encore, entre « civilisation » et « barbarie », autrement dit entre un certain « bien » (représenté – dans le cas présent – par le colonisateur) et un certain « mal », représenté, sinon par le colonisé, du moins par son univers.
7Nous nous trouvons, dans ce domaine, en réalité plus proches du prosélytisme religieux que d’une quelconque éthique démocratique sans laquelle il n’y a, pourtant, pas de véritable culture laïque.
8Le cas tunisien doit, pensons-nous, être examiné en fonction de ces quelques remarques introductives.
9Quelles furent, concrètement, les conséquences de l’occupation française du pays ?
10Observons, tout d’abord, que – contrairement à l’Algérie voisine – la Tunisie n’a pas été annexée mais soumise à un système de Protectorat. De ce fait, l’État tunisien s’était trouvé maintenu et non pas dissous. L’occupation laisse, ainsi, en place non seulement une identité juridique tunisienne propre mais aussi un système politique dirigé (du moins théoriquement) par un monarque théocratique, cumulant pouvoirs temporel et religieux. Le maintien de l’État tunisien s’accompagne, toutefois, d’une dépossession politique de fait à travers le transfert du pouvoir réel à une autorité française civile et militaire. Or celle-ci – par sa nature – était doublement étrangère au pays : d’abord par son essence française et ensuite par sa nature non religieuse c’est-à-dire ouvertement laïque : dans un pays musulman dirigé, officiellement, par un souverain, émir des croyants, garant et protecteur de l’Islam le vrai pouvoir sera, ainsi, dorénavant exercé par une administration se réclamant d’une idéologie se situant aux antipodes de celle, jusque-là, en cours dans le pays. Il s’agit, là, d’une rupture majeure qui favorise l’émergence, en Tunisie, de réalités ethno-démographiques, socio-économiques et culturelles nouvelles, liées à l’installation d’une forte communauté européenne dominante, mais pesant, également, d’une manière ou d’une autre, sur le vécu et les mentalités des autochtones3.
11Une certaine « modernité d’en haut », voulue ou favorisée par l’occupant, a fini ainsi par essaimer sur le terrain. Mais celui-ci était miné par des antagonismes inhérents au fait colonial et quasiment insurmontables.
12Comme elle le fit dans le reste du Maghreb, « la modernité coloniale » en Tunisie prétendait, en effet, concilier l’oppression objective de l’écrasante majorité des autochtones avec le développement, tout aussi objectif, d’un certain espace démocratique (politique, syndical et culturel) se référant aux principes fondateurs de la République française.
13Œuvre paradoxale, extrêmement incertaine et, moralement peu crédible, cette démarche – nourrie de contradictions, de racisme, de préjugés, de paternalisme mais aussi d’ouvertures, de curiosités, de convivialité et même, chez certains, d’une vraie sincérité – trouve, naturellement, son écho dans le discours officiel, comme dans la presse d’opinion, autant en France qu’en Tunisie où les débats sont vifs. S’il est sollicité par, quasiment, tous les acteurs (tunisiens ou français) de la scène politique locale, le concept de modernité ne se trouve pas moins livré à des Lectures divergentes. En effet, outre le fait que les nationalistes autochtones – tout en s’en réclamant – lui opposent la réalité de l’oppression coloniale, le contenu précis de ce concept ne faisait pas vraiment l’unanimité parmi les Français eux-mêmes. Ayant déjà eu l’occasion d’aborder, dans une autre étude, la position – sur ce terrain – des nationalistes tunisiens4, nous consacrerons la majeure partie de la présente intervention à l’analyse du point de vue adverse : celui des « occupants ».
La modernité coloniale dans le discours officiel : la légitimation d’une œuvre « civilisatrice »
14« L’expédition de Tunisie, la France l’a acclamée, non pas comme une promesse de victoires militaires, mais par un sentiment plus élevé (…). En allant en Tunisie, elle faisait un pas de plus vers l’accomplissement de la tâche glorieuse que ses destinées lui avaient confié : le triomphe de la civilisation sur la barbarie, la seule forme d’esprit de conquête que la morale moderne puisse admettre ». Cette réflexion de Jules Ferry5 ne sera, loin de là, pas la seule de ce genre. Des décennies durant, le discours officiel « métropolitain » restera, en effet, généralement figé dans ses certitudes. En visite officielle en Tunisie, en 1931, le président de la République Gaston Doumergue rend, ainsi, un vibrant hommage à l’action coloniale sur place, en saluant « la continuité de la politique féconde, inaugurée par Jules Ferry, le grand patriote républicain », qualifiant de « considérable », l’œuvre accomplie car, « en un espace de temps relativement court, la vaillance de nos soldats a établi la paix et l’ordre, nos administrateurs ont affermi et développé les bases de la constitution politique et sociale du pays, nos agriculteurs, nos commerçants, nos ingénieurs multiplient les entreprises vivifiantes (…) tandis que nos médecins et nos maîtres s’occupaient des besoins corporels et spirituels » montrant, de cette façon, que « la France n’a pas failli à la mission civilisatrice – (basée sur un) principe de justice impartiale et (sur le) respect scrupuleux des croyances, des mœurs et des traditions – que la Tunisie lui a confiée »6.
15À la veille de l’indépendance tunisienne, il se trouvait encore des responsables français pour affirmer qu’« il y a 70 ans (…), sur cette terre de misère et de mort, régnaient le banditisme et la piraterie. Les Français, (qui) y sont venus, se sont trouvés dans un pays sans route, devant une terre envahie de jujubiers et de lentisques, à peine grattée par des charrues en bois pauvrement attelées » et qu’en conséquence, « notre apport en travail et en capital, nous a donné, abstraction faite de tout traité, un droit de cité sur la terre fécondée »7.
16Encore plus explicites, certains n’hésitent pas à enfermer les « Arabes » dans une image exclusivement négative voire destructrice :
« Est-il nécessaire – proclame un haut responsable militaire – de rappeler qu’oliveraie et grenier de l’empire romain, la Tunisie fut conduite, par la conquête arabe, à l’état de barbarie où nous la trouvâmes en 1881. La chasse et le massacre de ses habitants, la destruction des travaux hydrauliques firent tomber sa population, changèrent les terres à blé et les oliveraies en brousse, où les pistes remplacèrent les voies, permirent à la sécheresse d’amener disette, famine, typhus et peste à l’état endémique, contraignirent les habitants au nomadisme et au brigandage et transformèrent les ports en repaires de la piraterie barbaresque. Nous avons, en 70 ans, effacé 13 siècles de décadence »8.
17Dominant au sein de la classe dirigeante, ce raisonnement était, toutefois, contré par quelques voix discordantes : en 1881, Georges Clemenceau (député radical et futur président du Conseil) s’illustra, ainsi, par son opposition à l’occupation de la Tunisie et, plus particulièrement, au traité du protectorat qui – dit-il – « a modifié radicalement, et d’une façon préjudiciable aux intérêts de la France, la situation diplomatique de notre pays en Europe », en refroidissant « des amitiés cimentées sur le champ de bataille » et en alimentant « des défiances absolument injustifiées mais indéniables »9. Et de dénoncer une entreprise cachant « de simples affaires de spéculation », organisée par « des hommes qui, (de) Paris, veulent gagner de l’argent en bourse », sans que « l’honneur du drapeau » soit en rien concerné10.
18Le jugement de Jules Guesde11 est encore plus tranchant : évoquant les « trente mille cadavres de paysans et d’ouvriers » morts lors de l’intervention militaire en Tunisie, ainsi que « les contribuables écorchés et les familles décimées », il dénonce la voracité d’» une classe qui vit de toutes les spéculations industrielle, commerciale et financière » et qui est appelée à être la principale bénéficiaire de « la conquête économique de la Régence », point de vue partagé par Paul Lafargue12 faisant allusion aux « conséquences néfastes de l’affaire tunisienne » et attribuant, à la bourgeoisie, l’entière « responsabilité du sang versé en Afrique et des infamies commises »13.
19Ces prises de positions (accompagnées, du reste, par une campagne de presse dénonçant les méfaits et dessous de la « campagne de Tunisie »)14 mirent – pour le moins – à mal la crédibilité de la « mission civilisatrice » avancée par Jules Ferry et autres zélateurs de l’œuvre coloniale. Le député radical Thalamas dira, ainsi, en 1912, son admiration pour « les grandes et vieilles villes d’université musulmanes, centres d’études doctrinales, religieuses et philosophiques qu’ont été, et que redeviendront, Tunis, Fès et Alger » alors qu’un de ses collègues ne tarira pas d’éloges sur l’âge d’or islamique qui « du VIIe au XIIe siècle – et sur tous les terrains du savoir humain – a été la richesse de l’humanité »15.
20Prolongement, sur place, du gouvernement de la République, les autorités du protectorat constituaient, si l’on peut s’exprimer ainsi, « la voix de leur maître ». Néanmoins, confrontées aux réalités locales, elles semblent, généralement – dans le souci évident d’amadouer ne serait-ce qu’une partie de l’élite autochtone – privilégier (quant aux objectifs du projet colonial) un discours à l’apparente modération.
21« Le mot-clé de la « politique indigène » (de la France en Tunisie) – écrit l’historien Daniel Goldstein – était, depuis le début du siècle, « l’association » (qui) avait remplacé « l’assimilation », par laquelle les colonialistes avaient (initialement) espéré créer la plus grande France » en favorisant l’émergence d’» un empire, au besoin décentralisé, soumis à un parlement unique, composé d’hommes parlant la même langue, malgré la différence de leur origine ». Contrairement à cette dernière, l’association « se proposait (en effet) de respecter les structures existantes, par l’administration indirecte et d’offrir aux « indigènes » la participation au progrès économique »16. Or – remarque ce même auteur – « c’était, là, la politique du protectorat : une tutelle paternaliste (…) qui visait, surtout, à se perpétuer, sans se soucier des échéances lointaines qu’impliquaient les théories politiques ». Le résident général17 Flandin la résuma, d’ailleurs, en 1919, en jugeant que « les indigènes, doux de nature, valent qu’on les aide, avec une sollicitude paternelle, dans leur évolution vers notre civilisation »18, alors que son successeur, Lucien Saint, l’explicitera, en 1921, en disant
« sa préoccupation pressante d’assurer, à la Tunisie, par une administration réfléchie et mesurée, également accueillante à toutes les bonnes volontés, la paix des esprits et l’union de tous les cœurs, en même temps que le bénéfice des mesures les plus propres à aider à son expansion économique, par le développement de ses transactions commerciales et la mise en valeur d’un sol privilégié »19.
22Ce thème restera, en fait, au centre du discours des responsables français en Tunisie, jusqu’à la veille de l’indépendance, donnant, parfois, lieu à des professions de foi quasiment caricaturales. Ainsi, le résident général Marcel Peyroutton exalte la France « pays inspirateur et berceau de tous les grands esprits de l’humanité, depuis qu’il y a une humanité et depuis qu’il y a une France », il célèbre « le génie français, sa puissance de sympathie et son altruisme » indissociables d’une certaine « tradition de libéralisme qui est chez nous universelle (et doit permettre) la réalisation d’une formule d’association (à laquelle) nous nous employons de donner toute son ampleur »20.
23En ces mêmes années trente – et à l’instar des responsables « métropolitains » –, les gestionnaires du protectorat se montrent, en fait, unanimes à vanter « la valeur matérielle, morale et sociale de l’œuvre accomplie, par la France, en Tunisie, pour le bien de tous ceux qui y vivent », estimant que « la France (…) ne veut régner, dans la Régence21, que par l’irradiation de son prestige, en apportant, non pas la contrainte, mais l’âme et le cœur d’une nation (ayant) toujours, aux quatre coins du monde, combattu pour la justice et la liberté ». En conséquence, « les termes de politique d’association, de collaboration, de fusion d’intérêts – entre les Français et les indigènes – ne doivent pas seulement remplir des formules mais être l’objectif constant de l’œuvre de colonisation française », l’ambition de celle-ci ne pouvant viser qu’à la conquête du « cœur des indigènes, par la réalité de ses bienfaits et la sincérité de son esprit de justice et d’équité »22. Il n’était pas question, pour autant –pour les autorités coloniales – que le régime du protectorat puisse, à un quelconque moment, changer de nature et, à cette règle, même les résidents « libéraux » ne pouvaient se soustraire.
24Nommé, en 1936, par le gouvernement du Front populaire – pour décrisper l’atmosphère en cherchant l’apaisement avec les nationalistes tunisiens23 – le résident Armand Guillon crût, ainsi, préalablement à toutes réformes, nécessaire de rappeler que « le régime du protectorat (étant) un régime d’association, basé sur des traités, (il implique) – entre la France et la Tunisie – une co-souveraineté (…) dont l’existence ne peut être mise en discussion. (En conséquence), les droits découlant des traités, les droits de son altesse le Bey (comme) les droits de la France doivent être respectés et ils le seront ».
25Son ministre de tutelle (Pierre Viènot, membre du gouvernement de Léon Blum) ne dira, d’ailleurs, pas autre chose en soulignant que s’il entendait, certes, privilégier l’interprétation « la plus large » des traités franco-tunisiens, « en vue d’étendre leur application jusqu’à une collaboration avec de nouveaux éléments de la population qui, au contact de la France, ont atteint un développement qui légitime leur désir de se voir associés à l’administration de leur pays », il importe, en revanche, de se rappeler que « l’installation de la France, en pays de protectorat, a un caractère définitif, aucun Français, si loin qu’il aille dans l’idée qu’il se fait des méthodes de collaboration (ne pouvant) envisager la fin d’une participation directe de la France au gouvernement de ce pays »24.
26Ce discours survivra à la Seconde Guerre mondiale, même si sa formulation laisse entrevoir de nouvelles perspectives : en 1952, le président de la République française, (le socialiste Vincent Auriol) s’adresse, ainsi, en ces termes, au Bey de Tunis :
« Je veux rappeler (à votre altesse) que rien ne peut rompre les liens d’affection qui unissent, traditionnellement, la Tunisie et la France ; que rien ne peut interrompre, sans nuire à nos deux peuples, l’œuvre magnifique de civilisation humaine que, avec votre dynastie, la France a édifié dans votre royaume. (…) La France ne nie, certes, pas l’évolution. Elle en a donné le signal (…). Mais cette œuvre ne peut être accomplie que dans l’esprit de sagesse, de confiance, de constante collaboration que celui qui (…) a permis d’amener la Tunisie au degré de prospérité et de civilisation où elle se trouve (…). Ainsi, la Tunisie sera-t-elle conduite – dans le respect, de sa souveraineté, de votre dynastie et des intérêts légitimes de la France et des Français de Tunisie – vers une autonomie intérieure dont l’heureuse réalisation dépendra, surtout, de la sagesse de ses dirigeants »25.
27Quoique se situant sur un chapitre différent, un élu des Français de Tunisie acquiescera à ces propos, en jugeant, peu de temps après :
« qu’une solidarité pourrait naître entre les religions du livre, face à un matérialisme athée. (Or, seule) la garantie d’un État neutre (pourrait la permettre), les traités du protectorat (offrant, dans ce sens) le cadre le plus souple aux lentes maturations qui naissent de l’endosmose de deux civilisations »26.
28Cet appel au « collaborationnisme » officiel, si l’on peut s’exprimer ainsi, présenté comme le meilleur remède au « retard civilisationnel des indigènes », eut peu d’écho parmi les Tunisiens qui – à l’exception d’une petite minorité – l’assimilèrent à une sorte de vulgate constamment contredite par les faits. Combattue par les nationalistes autochtones, cette option fut, en même temps, très diversement appréciée par l’opinion publique française en Tunisie.
La modernité dans le miroir de l’opinion française de Tunisie : choc ou proximité des projets ?
29Bien que très majoritairement acquise au fait colonial et à sa pérennité, l’opinion française en Tunisie avait, de la modernité – ainsi que de ses prolongements en termes de laïcité et de rapports aux colonisés – une approche, idéologiquement, plurielle. Pour résumer, nous dirions que cette opinion – s’exprimant, surtout, à travers la presse locale – était tiraillée entre deux grandes écoles de pensée assimilables à une droite et à une gauche coloniales.
Entre racisme et « annexionnisme » : le discours des « prépondérants »
30L’observation de la scène politique, en Tunisie coloniale, permet de déceler, très nettement, la présence d’un courant s’apparentant, indiscutablement, à la droite « dure ». Revendiquant, pour lui-même, la représentation de l’idéologie de la « prépondérance française en Tunisie »27 – ainsi que de la lecture des rapports de force politique, socio-économique et culturel qui en découlent – ce courant est animé par une hostilité organique à l’égard des autochtones à l’égard desquels il développe une démarche visiblement nourrie, à la fois, de grande ignorance et de beaucoup de mépris. Cette mentalité – qui, selon les termes de l’historien tunisien, Mohammed Salah Lajeri « rappelle, à bien des égards, celle des blancs d’Afrique du Sud vis-à-vis des noirs indigènes » à l’époque de l’Apartheid28 – se retrouve, de manière particulièrement virulente, chez certains journalistes et petits notables, jouissant de « situations privilégiées qu’ils n’auraient, probablement, jamais obtenues dans leur propre pays »29. Ce courant – qui fit de l’agitation du « péril arabe » un véritable fonds de commerce – eut pour principal porte-parole – jusqu’aux années 20 – un certain Victor De Carnières, journaliste et colon, établi en Tunisie dès 1883. Fondateur de journaux aux titres éloquents (L’Annexion, La Tunisie française et Le Colon français), il ne s’illustra guère – ainsi que ses disciples et successeurs – par la finesse de ses analyses : se penchant sur le passé de la Tunisie, il
« n’y trouve pas un acte qui fasse honneur à l’humanité. C’est un tissu de crimes, de cruautés, de trahisons, de lâchetés, de parjures, de vénalité et (de) corruption qui s’étalent du haut en bas de l’échelle sociale ».
31Ce constat l’amène, aussitôt, à des jugements expéditifs :
« Les Arabes sont menteurs et voleurs. Certes, il y a des exceptions mais elles se présentent, en somme, assez rarement et il est facile de le comprendre car (…) le mensonge n’est pas considéré (chez eux) comme une vilenie, pas plus que le vol n’a de caractère infamant »30.
32Les Tunisiens ne sont-ils, d’ailleurs, pas « des demis barbares (…) composés, pour les 999 millièmes, de véritables mineurs, en retard de deux mille ans sur nous, et qui auraient mauvaise grâce à se plaindre qu’on les prive de droits qu’ils n’ont jamais eus ? ». De même, leur « civilisation musulmane n’a (t-elle) jamais fait (autre chose), en Afrique, que détruire arbres et monuments, pour se servir des débris, afin de construire mosquées et gourbis ? ». Quant aux « sciences arabes, (elles sont) définitivement mortes, l’algèbre et l’alchimie (valant du reste) aussi peu que l’alcool »31. Ce jugement nourrissait, très logiquement, un type de comportement, assez visible chez les « petits blancs » des villes, éprouvant le besoin de se distinguer manifestement des « indigènes ». Ainsi « telle brasserie tunisoise refusait de servir les Arabes, tels Européens ne respectaient pas les cortèges funèbres musulmans (alors qu’un) archéologue (…) – dans une vision de « la Tunisie en l’an 2000 » – prévoyait « l’introduction d’une troisième classe, dans le tramway » pour que les Européens, « ne pouvant pas s’offrir la première classe », ne soient pas obligés de côtoyer « les gens odorants »32. Victor De Carnières ira plus loin encore : se réclamant d’une sorte de « droit de défiance à l’égard de gens (n’ayant) pas – en matière morale – les mêmes idées que nous », il appela – devant les membres de la « conférence consultative »33, où il siégea, – à séparer – sur les bancs de l’école publique – enfants français et tunisiens, afin que « les élèves qui sortent des douars »34 ne puissent pas côtoyer « les élèves des fermes françaises »35 De tels excès de langage finirent, en fait, par indisposer certains représentants locaux des Français de Tunisie, l’un d’eux s’irritant, ouvertement, de voir « une certaine presse éprouver le trop fréquent besoin de déverser sa bile sur les Arabes, d’injurier la population indigène musulmane, saisissant la moindre occasion pour englober, dans la même réprobation, tous nos protégés », et d’estimer que :
« Le programme de M. De Carnières est le suivant : lorsqu’un Français est attaqué par un indigène, même si le Français a tous les torts, il faut défendre le Français contre l’indigène, donner raison à celui qui a tort et tort à celui qui a raison, acquitter le Français et condamner l’indigène. La race doit (ainsi) passer avant la vérité, la justice et le droit. Cette attitude est, peut-être, électorale, reste à savoir si elle est bien française »36.
33À part ses excès, à quoi pouvons-nous identifier ce courant de « la prépondérance » ?
34Faute de vrai programme, nous parlerons d’une vision semblant s’articuler autour de deux grands principes. Le premier renvoie à l’attachement à la colonisation agricole :
« Cette terre nous l’avons sauvée de l’anarchie, nous devons, maintenant, la sauver de l’inculture, de la paresse, de la mendicité même (…) Nous avons, sur elle, tous les droits, nous avons, devant elle, tous les devoirs, que ceux – qui la négligèrent et la maltraitèrent pendant des siècles – ont laissé tomber en poussière. »37
35Du reste, cet « hymne à la terre » est, très curieusement, pour les colons, l’occasion d’afficher un certain « altruisme » en liant colonisation et évolution du Tunisien.
« Voulez-vous transformer par le travail, par l’exemple, un peuple qui – pendant des siècles – fût immobile au milieu de tant de civilisations ? Colonisez ! Voulez-vous corriger, pour lui, l’effet, souvent démoralisant, des droits politiques ? Colonisez ! Voulez-vous le soustraire aux funestes entraînements de l’alcoolisme ? Colonisez et faites bâtir des fermes pour mieux vider les débits ! À l’exploitation, éhontée, des ouvriers, à la rapacité des chefs (…) (à) la tuberculose, la syphilis, la misère et le vice ? Colonisez ! »38.
36Le second est la préférence nettement affichée pour la perspective d’annexion de la Tunisie à la France :
« La Tunisie est appelée à devenir un quatrième département français nord-africain39. En attendant qu’elle soit, en droit, ce département, travaillons pour qu’elle le soit en fait (…) (car) l’incorporation définitive dans la métropole est un travail de longue haleine, qui durera tant que les esprits et les cœurs n’évolueront pas dans un sens nettement français »40.
37Cet objectif est, toutefois, considéré comme incompatible avec l’octroi – dans le cadre du protectorat – de droits politiques aux Tunisiens car – non seulement « les peuples orientaux (…), si retardés dans l’évolution politique et sociale, préféreraient, cent fois, au droit de vote, l’amélioration de leur sort matériel » – mais aussi « que deviendraient, en Tunisie, dix ou quinze mille électeurs français, noyés dans la masse électorale indigène », la Tunisie, en tant que « rempart de la puissance française en Afrique », ne pouvant que, aussitôt, cesser d’exister41
38Pourtant, et aussi étonnante que la chose puisse paraître, malgré ses dérives, cette droite coloniale se réclamait, bel et bien, de la République, célébrant ses fêtes et faisant siennes ses devises. Tout en contestant la reconnaissance de droits politiques aux « indigènes », elle n’hésite, en effet, pas à les revendiquer – dans leur plénitude – au profit des Français de Tunisie, au nom même de la démocratie républicaine. D’ailleurs, le discours de De Carnières (et de ses disciples) pourrait paraître presque « modéré », comparé à celui d’un certain « nationalisme intégral », encore plus extrémiste, s’efforçant de relayer, en Tunisie, la mouvance idéologique portée par l’Action française. Ce type de nationalisme (se réclamant de la pensée de Charles Maurras) se situe dans une démarche d’affrontement frontal avec la modernité laïque issue de la Révolution. Nourri de « cléricalisme, de tradition, de refus du modernisme » mais aussi d’» antiparlementarisme, d’autoritarisme, de militarisme, d’antisémitisme, d’antimarxisme et de germanophobie » ce courant associe le « régime démocratique (basé) sur la liberté, l’égalité et la fraternité (à un) mode de gouvernement (facilitant) l’égoïsme et (la destruction) de toute hiérarchie, (incitant) le citoyen à méconnaître ses devoirs de patriote et (engendrant) l’humanitarisme à outrance »42.
39Il en a découlé, notamment, un regard sur la colonisation et les « indigènes » d’une extrême « franchise » : « La France – lit-on dans les écrits de cette mouvance – a besoin, plus que jamais, de ses colonies pour vivre (car), en exploitant toutes (leurs) ressources, (elle peut garantir) sa prépondérance économique et la grandeur de (sa) nation, (en devenant) une puissance économique mondiale (capable de) renverser le commerce américain et anglais ». Ces considérations suppriment, évidemment, toute possibilité de véritable prise en compte des droits du colonisé. Cantonné à la place du « perdant », il est pratiquement assimilé à un corps inerte, l’inégalité dont il est victime étant d’autant plus ramenée à « une loi de la nature, condition essentielle et sage de la vie des sociétés et du travail » que « toutes les théories sociales (n’admettant) pas ce point de vue, (n’ont engendré) que le désordre et l’indiscipline ». La légitimité de l’occupation française de la Tunisie se trouve, de ce fait, confortée, s’étant faite « au nom du principe de la hiérarchie des peuples, aussi indispensable au maintien de la civilisation que l’est la hiérarchie sociale pour la paix intérieure ». L’État français se trouve, même, accusé de laxisme ayant « (montré) un peu trop de faiblesse dans ses rapports avec les indigènes », alors qu’une autorité énergique s’imposait pour tenir un peuple qui « – livré à lui-même – stagne dans la plus déplorable situation », la Tunisie restant, avant le protectorat français, « un foyer de richesses immenses auquel l’incapacité maîtresse de ses occupants ne sût jamais tirer profit »43. Quels rapports, cette droite coloniale – adepte de « la prépondérance française » en terre coloniale – entretenait-elle avec les autorités du protectorat ?
40À première vue, on serait tenté de parler d’un certain partage des rôles assimilable à une évidente connivence idéologique et politique (les uns et les autres servant – au-delà de la différence des discours – les mêmes intérêts).
41Pourtant, à mieux regarder, les choses paraissent plus complexes :
« Le régime du protectorat s’est révélé incapable d’opposer une politique autonome aux forces économiques et sociales, maîtresses de la politique. L’administration aide, non seulement, les prépondérants44, mais essuie (aussi) leurs affronts sans dignité ».
42Les représentants des prépondérants prirent, ainsi, l’habitude de « dénoncer publiquement les résidents «indisciplinés», sans le moindre souci du tort qu’ils font à l’autorité française »45. On vit, ainsi, sous le Front populaire, le porte-parole des colons dénoncer, dans une lettre ouverte au résident général, la passivité de celui-ci devant des faits « extrêmement graves et symptomatiques », le qualifiant, au passage, de « crédule, totalement aveugle et sourd », l’accusant de « très mal connaître l’esprit des gens et la situation du pays » étant « très mal conseillé par des ignorants ou des gens qui cachent la vérité » et le prévenant que – dans l’absence de « mesures énergiques et immédiates » – « le sang coulera », ce dont il sera « tenu responsable »46
43Dans les années 1950, les choses seront exprimées encore plus brutalement. Ainsi, le 20 novembre 1951, dans un télégramme à Robert Schuman (ministre des Affaires étrangères), les représentants de tous les corps constitués (français en Tunisie) lui font connaître que la population française (sur place) refuse à M. Perillier (le résident général du moment) le droit de parler au nom des Français de Tunisie, dont il a trahi la confiance, et qu’ils défendront l’œuvre de la France (dans le pays) par tous les moyens ».
44Pire encore : lors des événements sanglants qui secouèrent la Tunisie de 1952 à 195547, une partie, au moins, des « prépondérants » fut, sans doute, (et devant le prétendu « laxisme » des autorités) derrière l’assassinat de plusieurs chefs nationalistes tunisiens ainsi que du leader syndicaliste : Farhat Hached (meurtres attribués à une mystérieuse « main rouge » dont les membres ne furent jamais arrêtés ni jugés).
« Très tôt – écrira, plus tard et à ce sujet, un témoin tunisien de ces événements – des Français de Tunisie en étaient venus à l’idée de s’organiser en groupes dits d’autodéfense, pour entreprendre des actions de représailles contre la population tunisienne et les nationalistes en vue. Ils le firent, sans aucun doute, avec la protection et la complicité active de hauts responsables de la police48 (…) Pour la plupart, les hommes de main (étaient) issus des couches populaires de la colonie française, se (recrutant), de préférence, parmi les petits fonctionnaires et les employés de bureau qui avaient, déjà, fait leur service militaire. (Se distinguant par) la virulence de leurs activistes et leur acharnement contre ceux qui, de près ou de loin, exprimaient l’idéal nationaliste, (ces groupes) organisèrent – (rien qu’entre) mars (et) décembre 1952 – une cinquantaine d’attentats dirigés, tous, contre des personnalités « suspectes » d’appartenance néo-destourienne »49.
45Mis côte à côte, ces faits ne font – selon Charles André Julien50 –, autre témoin privilégié de l’époque – qu’illustrer « l’impuissance de l’administration (coloniale) à réagir contre (une situation) qu’elle a fini (faute de vouloir, vraiment, la contrer), par considérer comme normale »51.
Progressisme colonial et modernité laïque : le discours laborieux des socialistes français de Tunisie
46Comme la droite politique, la gauche était – dans la Tunisie du protectorat et à l’image de la laïcité elle-même – un « produit d’importation ». Bien que plurielle (avec des composantes radicale52, communiste et même anarchiste), cette gauche était, néanmoins, surtout représentée par le courant socialiste.
47Fondée en 1908 – soit trois ans à peine après sa « maison mère » en France – la Fédération socialiste de Tunisie s’est voulue – dès le départ – le porte-parole, par excellence, d’un certain progressisme colonial soucieux, à la fois, de fermeté idéologique et de souplesse pragmatique.
« Le parti socialiste est un parti de réalisation, un parti qui doit, s’il veut vivre, tenir compte des réalités vivantes. S’il a une doctrine bien définie et nette (…), le parti socialiste ne saurait (pour autant), se laisser paralyser (ni) demeurer inactif devant certaines situations. Planer sur les hautes cimes d’une doctrine intangible est bien (mais) s’occuper de voir si cette doctrine est toujours en harmonie avec les faits est beaucoup mieux »53.
48Ce pragmatisme amène, tout d’abord, les socialistes locaux à clarifier leur position sur la question de la conquête du pays par la France.
« Les (socialistes) de Tunisie pas plus que ceux de France54, ne sont pas pour les guerres d’annexion, mais ils (sont bien obligés) de considérer la situation telle qu’elle est aujourd’hui et non telle qu’elle était il y a 30 ans. Le pays est conquis, c’est un fait (et) il est incontestable. Vouloir le nier et parler d’indépendance de la Tunisie (…), c’est agiter un fantôme qui n’a aucune réalité »55.
49Ce constat étant fait, il s’agissait, pour ces socialistes expatriés, de définir un projet pour le pays où ils ont choisi de s’établir. Or, – et jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale du moins – ce projet était construit, non pas autour d’une volonté d’association (comme le préconisaient État français et pouvoir colonial) mais sur le mot d’ordre d’annexion. Toutefois, ce dernier étant déjà de rigueur chez les prépondérants de la droite coloniale, il importe de s’interroger sur les fondements et la pertinence de cette position.
50En d’autres termes : y a-t-il une version proprement socialiste de l’annexion et si oui, en quoi consiste-t-elle au juste ?
51La presse socialiste locale consacre, en fait, de longs développements à ce thème dont les grands traits sont utiles à rappeler. Dans ce domaine, un constat général sert, en quelque sorte, de préambule :
« En Tunisie, rien n’est fait sans la permission expresse de la métropole (puisque) chaque fois qu’une réforme est demandée par la population, c’est à la France que ses promoteurs sont obligés de s’adresser et aux parlementaires français qu’ils sont forcés de faire appel. (En outre), il n’y a encore, ici, ni lois ouvrières, ni lois sociales, ni liberté de réunion, les municipalités (n’étant, par ailleurs) pas élues, les impôts (restant) anachroniques et le pays est – dès le début – livré aux grandes compagnies financières. »
52En conséquence, les socialistes demandent –
« en tant que Français, de rentrer dans le giron (pour) obtenir nos droits de citoyens et (accomplir en même temps) notre devoir de socialistes, parce que l’annexion de la Tunisie serait, pour les habitants de ce pays, quels qu’ils soient, la marche vers l’émancipation »56.
53Sur ce terrain, l’ennemi déclaré des socialistes est, donc, « l’affreux, irrationnel et archaïque régime du protectorat, source de tous les malheurs (et) que – disent-ils – le devoir de la France démocratique est d’abolir sans tarder ». Jugé « indigne de la France et de sa mission civilisatrice (dans la mesure où), sous couvert de tolérance religieuse, il a entretenu, dans la masse indigène, l’ignorance et le fanatisme », ce régime doit, donc, céder la place – non pas à l’indépendance – mais à une annexion synonyme de la fusion des Tunisiens, au sein d’une certaine « francité » républicaine.
« Nous sommes des occidentaux. Notre idéal latin doit triompher sur la terre d’Afrique contre la sottise fanatisée. Nous ne cachons (donc) pas que notre rêve est d’assimiler, à notre génie, d’élever à notre culture – laïque et rationnelle – la masse religieuse et fanatisée (…). Nous croyons que – dotée, même contre son gré, d’institutions laïques – la masse indigène ne regrettera pas ses juges religieux ; Nous croyons que – instruite dans nos écoles françaises – la masse indigène s’éveillera à l’esprit critique. Nous croyons, enfin, que – un jour lointain, peut-être, mais certain – rehaussée à l’intelligence de notre civilisation, la masse indigène nous comprendra et nous aimera (…). Si le fossé est profond, qui sépare les deux races et les deux civilisations, nous sommes prêts à l’impossible pour le combler ; Nous consentirons tous les sacrifices, sauf un : celui de notre dignité d’occidental. Nous voulons que l’islam s’élève jusqu’à nous (car) nous ne descendrons pas jusqu’à lui »57.
54Cette « descente vers l’islam » est, du reste, d’autant plus inconcevable, pour les socialistes, que – du fait de la colonisation – le pays connaît, à leurs yeux, une évolution très positive :
« on doit avouer que, au point de vue de la civilisation, de grands progrès ont été réalisés en Tunisie (…) : Les colons, qui ont été les pionniers principaux de la civilisation européenne, ont amené, du point de vue agricole, plus de prospérité et de vie, dans toutes les contrées où ils se sont établis. Ils ont changé, de beaucoup, la mentalité même des indigènes, lesquels, au contact de la main-d’œuvre européenne, ont abandonné leurs anciennes coutumes et sont devenus de meilleurs travailleurs. Ils ont su (ainsi) faire aimer et respecter la France. Par l’établissement des routes et des chemins de fer, le gouvernement a donné la vie et la sécurité à de vastes parties du pays qui étaient incultes et sauvages (et) a amené le progrès jusqu’aux confins du désert »58.
55Ils profiteront, donc, des émeutes (à base d’antagonismes ethno-religieux opposant les autochtones aux immigrés italiens) ayant ensanglanté Tunis en novembre 191159 pour lancer, à la face des réformistes tunisiens (accusés de les avoir fomentées) :
« Nous ne pouvons céder, à l’islam insurgé, un pouce de cette terre, que les prolétaires français (et) italiens ont fertilisé de leur sang et de leur sueur ; Nous ne pouvons, sans déchoir, abandonner l’Afrique, reconquise, par nous, à la civilisation occidentale. »60
56Par sa logique et ses postulats, cette démarche s’interdit, en fait, toute approche interculturelle, le colonisé n’étant perçu qu’à travers les prismes d’un regard unique liant l’hypothétique égalité entre colonisateurs et colonisés à la quasi-disparition des seconds en tant qu’êtres culturels autonomes. Pourtant, écartant l’accusation de se « prévaloir de prétendus droits basés sur la force brutale et la conquête », les socialistes considèrent qu’en tant que « Français (et) représentants du pays protecteur », ils ont « vis-à-vis des indigènes, surtout des devoirs » :
« Nous prenons au sérieux notre mission civilisatrice. Nous voulons, sincèrement, libérer les indigènes, les dégager tant de leurs préjugés que des institutions barbares dont le joug leur est, encore, imposé. Nous voulons les instruire, les éduquer, les émanciper, les, rapprocher, progressivement, de nous, pour en faire, peu à peu, égaux »61.
57Cet objectif ne saurait, toutefois, être atteint – les socialistes l’admettent volontiers – sans une véritable démocratisation de l’accès à l’enseignement.
« L’Arabe du peuple est un miséreux qui crève de faim, parce qu’il ne sait pas gagner sa vie. Sa nonchalance, sa paresse, sont le résultat de l’anémie, et cette dernière est due aux morsures de la faim. Il faut (donc), tout d’abord, lui apprendre à travailler, faire de lui, premièrement, un ouvrier capable de gagner son pain. Il est (par conséquent) très bon, très juste, de créer, pour lui, un enseignement professionnel et un enseignement agricole spéciaux (…) (et) c’est la masse entière du peuple des villes et des campagnes (qui doit y avoir droit) »62.
58Pour être efficace, cette politique doit pourtant s’imposer une certaine prudence :
« Tous ceux qui connaissent, à fond, la mentalité des protégés – notent-ils – sont obligés de reconnaître que l’Arabe est intelligent, désireux de s’instruire et qu’il serait facile de lui faire comprendre et aimer l’instruction, à condition que l’enseignement soit donné en tenant bien compte de la mentalité primitive de l’individu. On a (en effet), très souvent, remarqué, chez certains émancipés, ayant suivi les écoles françaises, que l’instruction reçue n’avait point été comprise, qu’elle était très superficielle, et qu’elle n’avait laissé aucune trace sérieuse dans l’intellect de l’Arabe (…). Il faut (donc) absolument créer des écoles pour les Arabes, mais il faut leur donner, à tous, un enseignement capable de les faire réfléchir, capable de les débarrasser de tous les errements du passé, pour en faire des hommes et non pas des brutes inconscientes lesquelles, dans leur ignorance extrême, sont la proie du fanatisme et de toutes les rêveries de l’Islam »63.
59Les décennies qui suivent (soit les années 1918-1955) apporteront-elles du neuf ?
60Sans doute oui, dans la mesure où elles permettent, aux socialistes français de Tunisie, d’étoffer et de mieux structurer leur discours. Ils n’y apporteront pas, pour autant, des changements sur le fond. Tout au plus chercheront-ils – d’abord, face à la radicalité de leurs rivaux communistes puis à l’égard des nationalistes tunisiens – à accentuer le caractère « progressiste » de leur démarche idéologique. Leur perception de la modernité continuera, pourtant, – comme avant guerre – à se situer à l’intérieur du fait colonial, sans jamais chercher à le mettre, structurellement, en cause.
61Joachim Durel, l’un de leurs dirigeants-théoriciens de l’entre-deux-guerres, écrira ainsi, dans les années 1920, que « la colonisation est un mode d’activité humaine vieux comme le monde, qu’elle est (en tant que telle) chose naturelle et bonne en soi, puisqu’elle est créatrice de richesses matérielles et morales »64. Cette conviction est, cependant, accompagnée d’une mise en cause du fonctionnement du système colonial tel qu’il existe. Ainsi – s’agissant du cas tunisien –, les socialistes constatent que – contrairement aux « Français de France » – le « peuple tunisien – (toutes) nationalités, races, religions (confondues) – n’est pas maître de ses droits », ces derniers étant « à la merci d’un petit nombre de chefs de service et de la volonté résidentielle ou beylicale ». Et d’expliquer – dans leur nouvel organe Tunis-socialiste65 – que :
« ce qui tue l’influence française, dans les colonies, c’est – le plus souvent – l’esprit détestable de la haute administration qui – pour des avantages certains – s’allie à tous les grands coquins, chacun y (trouvant) son intérêt. (Ainsi par) la complaisance, d’abord, et la complicité (ensuite) (…) la danse est menée, ici et là, par les sous-ordres qui représentent l’ancien régime : celui des prébendes, des spoliations et des vols organisés »66.
62Ces dérives – jugent les socialistes – sont dues au caractère « capitaliste » d’une pratique coloniale, « fondée sur l’exploitation des indigènes », auquel ils se proposent de substituer « une colonisation socialiste qui les affranchira, en faisant d’eux des hommes qui seront nos égaux »67.
63Sur les objectifs précis de cette « colonisation socialiste » et les moyens d’y parvenir, les socialistes de Tunisie publieront – avant comme après la Deuxième Guerre mondiale – de très nombreux documents dessinant les contours d’un véritable projet de gauche moderniste et laïque en Tunisie.
64Constatons, tout d’abord, que ce projet ne semble plus reprendre la revendication de l’annexion, formulée avant la Grande Guerre, mais continue, en même temps, à écarter celle de l’indépendance de la Tunisie. Quand elle n’est pas totalement escamotée, celle-ci est, en effet, généralement assimilée à une perspective très éloignée et pratiquement abstraite.
« Dans un délai, certes plus ou moins long mais que la bonne volonté des hommes doit raccourcir quand la France (…), cette institutrice des peuples, aura formé des individus et élevé les têtes de troupeau à la dignité d’hommes, quand la vertu d’une culture supérieure et la constante pratique de la justice auront créé, entre protecteurs et protégés, entre Français immigrés et indigènes autochtones, une atmosphère commune, également respirable aux uns et aux autres, des liens véritables et la commune envie de vivre ensemble une fraternelle harmonie, sur une terre que leur commun labeur fécondera, quand – en un mot – les uns et les autres sentiront vivre, en eux, une patrie nouvelle (…) oui, alors la France métropolitaine (…), mère de ce peuple neuf, n’aura, raisonnablement, d’autre souhait à formuler que de voir son enfant prospérer dans l’indépendance heureuse, seulement et largement payée par sa peine, par la gratitude et l’action fidèle d’un pays qui lui devra tout »68.
65Renvoyant l’indépendance du pays à plus tard, le projet socialiste prétend, en réalité se situer sur un autre terrain, jugé beaucoup plus porteur :
« La mission historique de la France (étant) une tâche d’émancipation des peuples et d’affranchissement humain, le socialisme exige la diffusion d’un enseignement rigoureusement laïque, l’application de toutes les lois protectrices du travail, l’admission des éléments indigènes à la gestion directe des affaires publiques (afin de permettre) – par l’école, le syndicat et la vie politique – la formation (d’) un prolétariat conscient de ses devoirs et de ses droits, capable d’accomplir sa mission historique. (C’est pourquoi), le socialisme – (qui poursuit) une œuvre d’unité – (…) ne peut que (condamner), avec énergie, les mouvements de xénophobie, de fanatisme et de nationalisme indigènes69 (contre lesquels) il prône une collaboration entre les individus de toutes races, fondée sur le principe d’une absolue égalité économique et sociale »70.
66Bien entendu, la réalisation de ce projet est inséparable – aux yeux de ses promoteurs – de l’affirmation, en Tunisie, d’un espace pour une authentique démocratie politique.
67Les socialistes se saisissent, ainsi, de toutes les occasions pour rappeler leur attachement aux libertés fondamentales – y compris au profit de leurs adversaires politiques, notamment nationalistes – allant, même, jusqu’à qualifier de « scélérats » voire de « super-scélérats », les décrets pris par le pouvoir colonial afin de réprimer l’agitation indépendantiste des années 1920 et 1930. Ils seront même les seuls, dans le camp colonial, à réclamer une amnistie générale, accompagnée de réformes profondes au profit des Tunisiens et ce, quelques mois seulement après les émeutes sanglantes d’avril 1938 qu’ils avaient, pourtant, vivement dénoncées71.
68Ce cadre démocratique, propice et même nécessaire au développement de l’action transformatrice, n’est, pourtant, pas perçu comme un dogme.
« Nous ne sommes pas, en tant que parti – écrit André Duran Angliviel, autre dirigeant de la fédération – des apôtres de la non-résistance au mal. Nous sommes des révolutionnaires. Nos ancêtres ont fait les barricades. Et s’il est nécessaire, un jour, nous ferons comme eux. La résignation du Christ, la non-violence de Ghandi : ce sont des vertus de haut luxe qu’un individu peut s’offrir mais qui ne suffisent pas à assurer la défaite des coquins installés au pouvoir et qui rongent le pays comme un rat peut le faire d’un fromage »72.
69Joachim Durel rappellera, de son côté, que :
« l’expérience du mouvement social montre, à l’évidence, que le prolétariat n’a jamais rien obtenu qu’il n’ait su imposer. Pour conquérir une amélioration de salaire, pour faire aboutir une quelconque revendication il n’y a qu’un moyen : c’est la lutte syndicaliste. (…) Que les travailleurs de Tunisie, au lieu de se plaindre en silence, se constituent, tous, en syndicats, qu’ils élaborent leurs cahiers de doléance, qu’ils expriment nettement, unanimement, leur volonté et ils triompheront. Dans cette œuvre, ils nous trouveront à leurs côtés, à leur service, nous les aiderons de tous nos moyens »73.
70Les socialistes chercheront, par ailleurs, après 1945, à faire évoluer leur lecture de la démocratie, en mettant en avant deux nouvelles revendications.
71La première porte sur la création d’» une assemblée élue au suffrage universel composée, à égalité, de Français et de Tunisiens, délibérant en commun et élisant, en commun, les membres du bureau et des commissions. Elle aura – précisent-ils – comme attributions, l’examen et le vote du budget annuel avec un droit d’initiative budgétaire le plus large (et) aura (aussi) le droit de proposer au gouvernement toute mesure de politique générale compatible avec le bien du pays »74.
72La deuxième revendication concerne la mise en place de communes rurales ou urbaines qui – estiment les socialistes – constituent « comme dans tous les pays civilisés, la cellule initiale de toute vie sociale organisée », chacune d’entre elles devant être « administrée par un conseil municipal élu au suffrage universel (comprenant) des représentants de la population tunisienne et française, délibérant et votant en commun, élisant – parmi eux – un maire français ou tunisien (ainsi que) ses adjoints »75.
73Cette dernière réforme est, pour les socialistes, prioritaire dans la mesure où elle permettra de faire « apprendre à tous les Tunisiens, sans distinction de classe, la pratique du civisme (grâce à) l’exercice des responsabilités communales, le peuple (prenant par ce moyen) une conscience claire de ses intérêts, de ses devoirs et de ses droits »76.
74Un dernier aspect du projet socialiste – et sans doute, l’un des plus significatifs en cette première moitié du XXe siècle – concerne le rapport à l’islam ainsi que son inévitable corollaire : le rapport au nationalisme tunisien. Le sujet a, certes, été abordé avant 1914 mais il reviendra en force, après la Grande Guerre, dans le débat politique.
75Le traitement de ce thème n’est, bien évidemment, pas sans rapport avec la position générale des socialistes à l’égard du fait religieux en tant que tel. Pour la plupart marxisants, imbus de matérialisme historique, ils étaient, pour le moins, extrêmement réservés vis-à-vis des croyances métaphysiques. Toutefois, Français d’origine et d’appartenance mais également républicains par conviction et par adhésion, ces « socialistes coloniaux » imitèrent leurs camarades de France, en ciblant, tout d’abord, le cléricalisme (qu’ils confondirent, parfois, avec plus ou moins de bonne foi, avec le christianisme), assimilé, par eux, à « l’empire de l’Église catholique (et) des prêtres sur les choses qui n’ont rien de commun avec la religion »77. Sur ce sujet, les socialistes sont, toutefois, plutôt ambigus :
76Capables de tolérance et d’ouverture – reconnaissant, par exemple, tel Joachim Durel, l’existence « d’excellents principes dans la philosophie chrétienne (à savoir) les enseignements de la sagesse antique que le Christ a renouvelés et marqué de sa mansuétude »78 –, ils savent aussi, céder aux jugements les plus définitifs :
« L’église est une maison, depuis longtemps, vide de Dieu, une boutique à miracles et à scapulaires, scandale de l’esprit qui pense et du cœur qui souffre ».
77Et une militante de surenchérir :
« Le christianisme est la pire des calamités dont ait eu à souffrir le cerveau humain. Durant les siècles, où il tint l’Europe sous son impitoyable griffe, il brûla les bibliothèques et abattit les temples, les remplaçant par des monuments élevés à la superstition. Il abolit les jeux et les bains, leur substituant les monastères et la malpropreté. Il réprima la pensée libre, supprima la libre recherche, exigea et imposa qu’on obéisse, servilement, aux propagandistes des mythes, des miracles, des momeries. Il combattit la science et la raison et, à côté de la croix, plaça le bûcher. Pendant plus de mille ans, le christianisme domina sur les âmes et les corps des hommes ; Partout, il créa la solitude mentale, morale, physique. Il fit de la naissance un péché, de la vie un cauchemar, de la mort une épouvante (…). Les êtres humains devinrent lâches, rampants, avilis. L’Europe fut un abattoir et Dieu, un monstre (…) ».
78Et de conclure que
« Les hommes probes intellectuellement rejettent, avec une répugnance sincère, sa théologie, son dogme et sa profession de foi (car) le christianisme, en ses multiples attitudes, est une maladie, un ulcère hideux et malin, sur le cerveau humain »79
79Quant à Joachim Durel – qui soutient « que le catholicisme romain est trop pénétré de fanatisme et d’intolérance pour que des esprits, même cultivés, puissent demeurer libres, justes, humains en l’adoptant, en le choisissant » – il appelle à lui opposer « l’enseignement laïque, gratuit et obligatoire », comme une sorte d’antidote « mêlant, harmonieusement, humanisme, culture physique, apprentissage manuel, révélation artistique, esprit d’initiative et méditation » afin de faire surgir « l’homme intégral » et permettre « à chacun de trouver sa vérité »80.
80Religion d’ascendance biblique, prolongeant – d’une certaine manière – le message judéo-chrétien, l’islam souffrira-t-il du même rejet ?
81Dans un pays colonisé à très grande majorité musulmane, le sujet était, assurément, très sensible. Les dirigeants socialistes ne dédaignèrent certes pas en parler et ce (comme on l’a vu) dès l’avant-guerre. Toutefois, par facilité, ignorance ou calcul, ils laissèrent, à partir des années 1920, davantage s’exprimer l’un de leurs rares « camarades » autochtones : Mohammed Noomane81. Que dit-il ? Rien de vraiment inattendu de la part d’un socialiste de l’époque. Les arguments sont cependant novateurs et particulièrement osés dans la bouche d’un musulman s’exprimant en public.
« Ceux qui croient encore pouvoir demander aux textes sacrés de répondre aux innombrables besoins créés, chaque jour, par le progrès de la science et l’évolution des esprits, finiront, tôt ou tard, par se trouver en présence d’un vide effrayant. Et ce dogme, usé jusqu’à la corde et réduit à l’état de fantôme, finira par perdre le dernier vestige de considération » écrit-il, avant d’expliquer que « les religions, et tous les préjugés qui y sont attachés, constituent des biens précieux pour certaines classes sociales, très puissantes et il n’est pas aisé de leur faire lâcher prise. C’est (pour elles) un capital précieux et inépuisable (et) par conséquent, un instrument excellent pour dominer les esprits »82.
82Il ajoute :
« Les bons apôtres de chez nous sont fort nombreux. Mais aucun d’eux ne se doute que la base de toute évolution, de tout progrès, est la liberté de conscience. Ils voudraient tous imposer leur système, en enrégimentant les hommes et en les englobant dans la même doctrine religieuse. Ils s’imaginent que, sitôt que les hommes ont la même foi et la même conception de la vie, tous les obstacles qui s’opposent à leur progrès, disparaissent comme par enchantement. (Or), il est extrêmement dangereux, dans le lamentable état où nous nous trouvons, de le renforcer encore, en prenant comme exemples les siècles d’ignorance et de préjugés, que nous avons traversés. Les sciences et la philosophie sont, aujourd’hui, l’apanage des peuples qui habitent l’Europe et les Amériques. (…) Nous, nous sommes restés en arrière, dans un état contemplatif, en nous étonnant, naïvement, de voir ces peuples, non seulement nous devancer mais nous asservir économiquement et politiquement. (Ce serait pourtant) une erreur d’une gravité exceptionnelle si nous nous mettons dans la tête que nous pourrons, un jour, constituer une force rien qu’avec des préjugés accumulés durant les siècles de décadence que nous venons de traverser83.
83Les socialistes de Tunisie cultivaient-ils, pour autant, une sorte d’» islamophobie primaire » ? Par leurs propos, certains, parmi eux, le laissaient volontiers croire :
« Le socialisme aspire et conduit cette halte finale, sans souci des sacrifices que le labeur impose. Les reniements sont une des conditions du progrès, l’apostasie est une des lois de l’évolution (…). Le jour où le musulman s’éloignera de l’Islam, ce ne sera pas pour embrasser une religion nouvelle, ce sera – comme en Turquie84 – pour se libérer définitivement »85.
84Mohammed Noomane semble, quant à lui, beaucoup plus mesuré. Dans une démarche que ne nieraient sûrement pas les musulmans éclairés de nos jours, il rappelle, à juste titre, que :
« l’islam a vécu, durant cinq siècles (les premiers de son histoire), dans un parfait accord avec les sciences et la philosophie grecques, (et) qu’il ne leur était (donc) pas hostile. Tant qu’ils ont été d’accord, avec elles, les peuples musulmans ont vécu dans une civilisation des plus brillantes, (et) leur décadence n’a commencé qu’avec la rupture entre le dogme et la science. Pour réagir contre cette décadence, il faudrait, (par conséquent), ne pas se contenter de regretter cette rupture (ce qui n’avance pas à grand-chose) mais en étudier les causes et chercher à les éliminer ».
85Analysant celles-ci, Mohammed Noomane estime qu’» il est arrivé à l’islam ce qui est arrivé à la chrétienté, après le concile de Trente : triomphe du fanatisme contre la libre-pensée, proscription des philosophes et des hommes de science, soit par des princes usurpateurs (qui ne pouvaient asservir leurs peuples tant que ceux-ci comptaient des esprits libres) soit par un clergé omnipotent (qui ne pouvait exercer aucun pouvoir en présence d’une élite rationaliste et imbue de philosophie) ». La solution à la décadence musulmane s’impose, donc d’elle-même :
« Pour vivre avec les hommes, il faut s’entendre avec eux, partager leurs connaissances, leur façon de comprendre la vie, en un mot : fraterniser avec eux (…). Les véritables causes de la décadence des peuples musulmans (résidant) dans la soumission aveugle à l’esprit de routine – qui (…) continue à (les) dominer et à encercler (leurs) esprits, dans le cadre du dogme – il faut (œuvrer à) séparer, nettement, ce qui est du domaine de la conscience d’avec ce qui constitue la vie (en prenant) les mêmes moyens qui ont permis à d’autres d’évoluer. (Or), ces autres n’ont commencé à évoluer que du jour où ils se sont mis à chercher la vérité dans la science humaine et non dans les élucubrations de leurs directeurs de conscience »86.
86Malgré ces fortes nuances, le discours des socialistes sur l’islam attira l’ire des nationalistes tunisiens (toutes tendances confondues) qui ne manquèrent pas d’y rétorquer par de fermes condamnations87.
« S’ils se gardent bien de le dire expressément, les socialistes de Tunisie consacrent, réellement, l’énergie de leur parti, sa force de propagande et sa puissance politique, à semer la division dans nos foyers, à dissoudre notre société, à rompre l’unité de notre peuple, à discréditer notre culture pour favoriser l’assimilation »88.
87Cette amertume marquera longtemps le discours des nationalistes. Elle était, d’ailleurs, d’autant plus vivace que la plupart de leurs dirigeants – passés par les universités françaises – étaient, à des degrés divers, imbibés de culture laïque. À ses amis « métropolitains », le chef du Néo-Destour (Habib Bourguiba)89 ne manquait, ainsi, pas de rappeler ce qu’il devait à « certains Français qui, sur le banc de l’école ou de la faculté, ont meublé mon esprit, formé mon entendement et, loyalement, contribué à dégager ma personnalité ». Il se disait, par conséquent, stupéfait de voir le gouvernement de la République – par le biais des autorités du protectorat – s’attaquer au
« seul mouvement sérieux et honnête qui – en Tunisie et même dans tout le monde arabo-musulman – joue la carte de la démocratie, de l’occident en général et de la France en particulier (et) qui, face aux démagogies et aux surenchères de droite et de gauche, est parvenue à maintenir ses positions modérées et leur rallier les masses tunisiennes »90.
88Cette sorte de « partition autour d’un amour déçu » subsistera jusqu’à la toute fin de l’ère coloniale, Bourguiba jugeant alors (devant la perspective d’une indépendance désormais à portée de main) manifestement venu le moment de changer de langage vis-à-vis des socialistes. Oubliant, ainsi, ses mémorables querelles journalistiques avec Joachim Durel, des années de l’entre-deux-guerres91, il n’hésita pas à écrire (au risque de se contredire), dans un message aux dirigeants de la fédération socialiste de Tunisie en 1955 :
« Au moment où la France tient sa promesse à la Tunisie et renonce à la vieille politique d’administration directe et d’annexion déguisée ; au moment où elle admet que la Tunisie est un État souverain (…), je me fais un devoir d’exprimer la reconnaissance du peuple tunisien envers le parti socialiste français, le parti de Jaurès et de Léon Blum, qui a toujours combattu le système colonial et lutté pour la liberté des individus et des peuples. (…) Notre gratitude s’adresse, aussi, à la fédération socialiste de Tunisie qui, depuis plus de 30 ans (…), mène une lutte difficile pour la fraternité des deux races et l’amitié des deux peuples. Le peuple tunisien n’oubliera (en tout cas), jamais ses amis français qu’il a trouvés, avec lui, dans les jours d’épreuve, ceux qui – malgré toutes les vicissitudes – l’ont empêché de désespérer de la France »92.
89Malgré la divergence de leurs analyses et projets, socialistes français de Tunisie et nationalistes tunisiens savaient ainsi ménager dans les moments cruciaux, quelques terrains de rencontre. Autant que par les circonstances, ceux-ci étaient, à vrai dire, encouragés par leur commun rejet des prépondérants, dont ils dénonçaient, constamment, discours et attitudes. Sous le Front populaire (par exemple), socialistes et nationalistes s’indigneront ainsi ensemble des menées des
« privilégiés de la colonisation (qui) – menacés ou atteints dans leurs privilèges de conquérants par une politique nouvelle de justice et d’humanité – voudraient faire bloc contre le représentant de la République (et) ruiner le front populaire pour sauver les privilèges, restituer les exploiteurs dans leurs profits et perpétuer l’esclavage d’une race inférieure ».
90Et de condamner
« une tactique (consistant à) provoquer une tension dans les esprits, susciter des troubles, créer du désordre (afin d’) exaspérer la population tunisienne, dans l’espoir de l’amener à des réactions inconsidérées (et d’) en rendre responsable le résident général »93.
91Jusqu’à la veille de l’indépendance, Bourguiba rappellera encore cette convergence le liant aux socialistes : « Toutes les fois que la France a essayé de pratiquer une politique humaine en Tunisie », les partisans de la prépondérance, « drapés dans leur orgueil de conquérants et imperméables à toutes les leçons de l’expérience, l’ont froidement sabotée et ont toujours fini par la lui faire abandonner »94.
92Convergences ponctuelles et apparente réconciliation finale demeurèrent, pourtant, pour l’essentiel, impuissantes à masquer les profondes divergences séparant, sur le fond, ce couple étrange d’» adversaires-partenaires ». Leurs perceptions respectives de la nature du peuple tunisien étaient, ainsi, pratiquement inconciliables. Tout en rejetant les prépondérants, les socialistes de Tunisie étaient, en effet, restés fidèles, jusqu’au bout, à la théorie de « peuple tunisien en devenir ». Leur évocation de l’image d’» un peuple majeur, maître de ses droits et de ses destinées » se trouve, de ce fait, assortie d’un commentaire précisant que :
« ce n’est pas (d’) un peuple qui est, à l’heure présente qu’il s’agit, mais d’un « peuple qui sera », les théoriciens de ce “socialisme colonial” expliquant, volontiers, à ce sujet, qu’il fallait entendre par l’expression “peuple tunisien” « non pas tel ou tel groupement, musulman, juif, français ou italien, dont la réunion incohérente fait, proprement, une poussière humaine – c’est-à-dire le contraire d’un peuple – mais, plutôt, le bloc homogène, d’esprit nouveau et fraternel, qui doit naître, un jour, du rapprochement et de l’interpénétration de ces groupements, aujourd’hui séparés et hostiles »95.
93Or, pour les dirigeants nationalistes tunisiens – et malgré une certaine affinité culturelle, issue d’une formation intellectuelle, sur plusieurs points, similaire à celle de leurs vis-à-vis socialistes – un tel raisonnement était, tout simplement, irrecevable : jugeant l’existence du peuple tunisien, (ainsi que les traits précis le définissant) indiscutablement établie depuis très longtemps, ils préfèrent mettre l’accent sur les périls qu’y font peser la politique coloniale, en général, et la colonisation de peuplement, en particulier :
« La Tunisie – écrit, à ce propos, Habib Bourguiba – où habite un peuple pacifique ayant sa langue, ses institutions, ses traditions, sa religion et son histoire, gémit, depuis un demi-siècle, sous le poids d’un régime basé sur l’inégalité et l’arbitraire administratif, régime destiné à corriger la prédominance démographique de l’élément autochtone et hâter le jour où l’élément européen – devenant la majorité – assurera, à la France, la possession définitive du pays (…). Ainsi, une minorité d’immigrants croit pouvoir, grâce à un régime dictatorial, basé sur les inégalités et les privilèges, transformer, de fond en comble, la physionomie de ce pays et, d’un État musulman autochtone, ayant toutes ses caractéristiques nationales, faire un département français, un prolongement de la métropole. Toute la question tunisienne est là (et) tout le mal, dont nous souffrons, vient de là »96.
94Ne partageant pas la même définition du peuple tunisien, socialistes et nationalistes n’avaient pas, non plus, la même vision de l’avenir politique du pays : ainsi, alors que les socialistes rêvaient d’une fusion de la Tunisie avec la France, mettant fin à la « fiction » du protectorat, et n’envisageaient, dans les meilleurs des cas, l’indépendance que comme une perspective abstraite et très lointaine97, les nationalistes, avaient – on le devine aisément – une toute autre lecture de ce registre :
« L’empire colonial français a été édifié au petit bonheur, sans idée directrice, sans vue intelligente de l’avenir, à base d’appétit et de rapines (…). Tant que la force sera là, pour le soutenir et l’étayer, il restera debout. Mais si, par hasard, elle vient à lui manquer, il tombera comme toutes les constructions artificielles qui méconnaissent les lois économiques et sociales. Il s’écroulera comme un château de cartes »98.
95Aussi, et vu les rapports de force et les réalités internationales, sans exiger tout et tout de suite, les nationalistes s’engagent-ils dans un processus de lutte censé les amener, par étapes et dans un avenir raisonnablement prévisible, à l’émancipation politique du pays. Dans un premier temps, prudent, Bourguiba se contentera ainsi d’écrire :
« Le peuple tunisien a toujours été attaché à la formule de la coopération mais vidée, expurgée de toute notion de domination ou de prépondérance, qui ne fait que la vicier à la base et la rendre impraticable. C’est pourquoi (…) nous, nationalistes tunisiens (avons) toujours (tenu) à combattre, inlassablement, cette collaboration-là (…) pour hâter le jour où (…) elle ferait place à l’autre, la vraie, qui sera basée sur l’égalité et la justice »99.
96Sous le Front populaire, la décrispation politique aidant, le discours devient un peu plus explicite. En présence du ministre français Pierre Viènot, en visite à Tunis, le président du Néo-Destour déclare ainsi notamment :
« un peuple comme le peuple tunisien – qui a, derrière lui, un long passé, une ancienne civilisation, qui a, maintenant, ses cadres et son élite – aspire, légitimement, à vivre une vie pleine, dans une atmosphère de liberté réelle et à être associé à l’édification de sa propre destinée ; ses revendications apparaissent (d’ailleurs) d’autant plus légitimes que les traités du protectorat, que les principes mêmes de tout protectorat, laissent sa place à une souveraineté proprement tunisienne »100.
97Il faut, toutefois, attendre le début des années 1950 pour voir les nationalistes s’affranchir de toute réserve et dire le fond de leur pensée :
« Les solutions de paresse sont à écarter – écrit un proche adjoint de Bourguiba après l’arrestation de celui-ci en janvier 1952 – Il faut penser l’ensemble et l’entrevoir ; c’est la seule condition du succès, je dirais mieux : du salut. De quoi s’agit-il ?
D’abord de notre souveraineté. Elle est la seule légitime en Tunisie (…). Ensuite, de notre gouvernement ! Il est à nous exclusivement et doit nous revenir (…). Ces deux principes comportent des corollaires : dans l’ordre administratif, le retour de l’administration tunisienne aux Tunisiens (…). Dans l’ordre de la représentation politique, la participation des Français, résidant en Tunisie, est insoutenable en droit. Le peuple tunisien ne comprendra la nécessité et ne ressentira le besoin d’une participation des éléments français, dans les institutions politiques tunisiennes, que si ces éléments s’intègrent dans la communauté tunisienne. Il n’y a aucun déshonneur – nous semble-t-il – à devenir Tunisien si, vraiment, on tient à ce pays, si, réellement, on y est attaché par des liens autres que ceux du profit facile (…). Les Français de Tunisie, ainsi débarrassés du complexe de supériorité, qui est à l’origine de tous nos maux, et devenus citoyens Tunisiens, de langue française, constitueront (dans ces conditions) assurément, un pont d’amitié et un trait d’union entre l’orient et l’occident »101.
98Entre tenant du « progressisme colonial » et ceux du nationalisme des colonisés, le fossé s’avérait, ainsi, objectivement, tout sauf chimérique, chacun définissant, somme toute, sa voie en fonction d’appartenances et d’aspirations que l’autre avait le plus grand mal à vraiment entendre.
99En conclusion, une laïcité excentrée reste-t-elle – malgré les apparences et le dépaysement géo-culturel – une idéologie centrée sur elle-même et à vocation fatalement centralisatrice ?
100Le cas tunisien montre les limites, évidentes, d’une doctrine née en Europe, en fonction d’une réalité européenne, qui prétend à l’universel mais se heurte au mur – affiché ou camouflé – du racisme, sans pouvoir le dépasser.
101La laïcité française dans la Tunisie du protectorat illustre, en réalité, – à travers ses multiples discours – les effets dévastateurs d’un jeu de miroirs bien particulier où le regard porté sur l’autre n’est, finalement, que l’expression de l’identité de celui qui le porte. Le plus significatif, à ce sujet – et sans doute aussi (il faut le dire) le plus insupportable – c’est d’écouter (à travers leurs écrits) les porte-parole (officiels ou officieux) d’une petite minorité – étrangère, par ses origines, ses allégeances et ses références, au pays où elle s’installa à la faveur de la colonisation française – discuter, longuement et très naturellement, de la faisabilité, ou non, de l’assimilation – à leur propre modèle socioculturel – de la très grande majorité autochtone. C’est – toutes proportions gardées – l’équivalent d’un discours centré (et après en avoir admis la légitimité) sur les voies et moyens pour les minorités étrangères – dans la France d’aujourd’hui – d’imposer, à tous les habitants de ce pays, à la fois, leur domination politique et socio-économique ainsi que leurs propres références culturelles. Qu’ils pensent cette assimilation réalisable ou qu’ils en contestent l’intérêt et la possibilité, aucun de ces porte-parole (ou presque) ne semble, en outre, se soucier d’un sérieux débat sur la pertinence du concept de « décadence » paraissant frapper les Tunisiens, comme si celle-ci ne pouvait qu’aller de soi.
102L’approche du fait religieux – intéressante en soi – achève de démontrer le caractère, essentiellement franco-français, de l’analyse proposée même si le regard porté sur le rapport de l’islam à la modernité nous paraît – en dehors de quelques dérapages linguistiques – suffisamment argumenté pour être défendable.
103Avec de telles convictions, même les plus éclairés des laïcs français de Tunisie avaient peu de chance de croiser le chemin des défenseurs de l’identité nationale tunisienne autrement que sur le terrain de l’affrontement et de la polémique. Bourguiba, lui-même, n’eut-il pas, d’ailleurs, cette phrase sentencieuse : « grattez le Français le plus intelligent, le plus libéral, le plus « à gauche » : le prépondérant apparaît »102. Les convergences conjoncturelles qui unirent laïcs de gauche et nationalistes tunisiens, contre les prétentions des prépondérants, ou pour la défense des libertés publiques, seront, ainsi, trop partielles pour pouvoir peser, durablement, sur leurs orientations respectives. Français et Tunisiens perdront, là, incontestablement, l’occasion d’un véritable dialogue des cultures qui aurait pu orienter différemment la marche d’une Histoire, en réalité commune – pour le meilleur et pour le pire – aux deux parties.
Notes de bas de page
1 Outre les lois sur l’école, Jules Ferry fit, aussi, voter, en ces mêmes années 1880, d’autres lois garantissant la liberté syndicale et de la presse.
2 Le plus explicite et le plus éloquent fût, sans doute, celui du 28 juillet 1885, devant la Chambre des députés, exclusivement consacré à la question coloniale.
3 Sur les transformations générales intervenues, en Tunisie durant la période coloniale, consulter, notamment, les ouvrages d’Ahmed Kassab, Histoire de la Tunisie. L’époque contemporaine, société tunisienne d’édition, 1976) ; André Raymond et Jean Poncet, La Tunisie, collection « Que sais-je ? », Paris, PUF, 1971) ; Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette littératures, 2003.
4 Sur le discours nationaliste tunisien et son évolution au long du XXe siècle, voir notre étude, « Une démarche laïcisante en milieu musulman : aspects et implications du réformisme tunisien des XIXe et XXe siècles », à paraître dans les actes du colloque international, 1905-2005, Cent ans de séparation. Enjeux, actualité et perspectives, Co-organisé par l’université de Toulouse Le Mirail, l’École des hautes études en sciences sociales et l’université de Toulouse 1. Du 8 au 10 décembre 2005. Également : Ahmed Kassab, Histoire de la Tunisie. L’époque contemporaine, op. cit., Ali Mahjoubi, Les origines du mouvement national en Tunisie (1904-1934), publication de l’université de Tunis. 1982 ; Mohammed Salah Lajeri, L’évolution du mouvement national, des origines à la Deuxième Guerre mondiale, maison tunisienne d’édition, 2 vol., 1973 et 1974.
5 Déclaration de Jules Ferry, le 6 novembre 1881, dans le cadre des débats et interpellations sur l’intervention française en Tunisie. Voir François Grézes-Rueff, « Les reconstructions de l’histoire tunisienne dans le discours parlementaire français, 1877-1955 », La Tunisie Mosaïque, publication des presses universitaires du Mirail, 2000, p. 450.
6 Jean Rives, « Une commémoration détournée », La Tunisie Mosaïque, op.cit., p. 227-228.
7 Discours du député Jacques Vassor (20 juin 1952), du général Aumeran (5 juin 1952) et de Jacques Fontlupt-Esperaber (1954), voir François Grézes-Ruef, art. cit., p. 450).
8 Général Aumeran (discours cité).
9 Allusion est ici faite aux rapports franco-italiens, ébranlés par l’occupation française de la Tunisie, l’Italie ayant depuis longtemps des « vues » sur le pays.
10 Cité par Mahmoud Faroua dans : La gauche en France et la colonisation de la Tunisie 1881-1914, Paris, l’Harmattan, 2003, p. 57 et 63).
11 Fondateur du parti ouvrier de France (d’obédience marxiste) et député, il sera – durant la Grande Guerre – ministre du gouvernement d’union sacrée.
12 Gendre de Karl Marx et cofondateur, avec Jules Guesde, du Parti ouvrier de France.
13 Faroua, op. cit.,, p. 56-57.
14 Idem, p. 51-72.
15 François Grézes-Rueff, art. cit., p. 451.
16 Toutefois, malgré leurs divergences conceptuelles, assimilation et association semblent finalement avoir une base commune : « la foi dans la suprématie de la civilisation française et le désir d’étendre son rayonnement » – l’association des « indigènes » « à l’œuvre coloniale » ne pouvant, dans ce sens, être envisageable « que dans la mesure où ils s’y conformaient ». Daniel Goldstein, Libération ou annexion : Aux chemins croisés de l’histoire tunisienne (1914-1922), Maison tunisienne d’édition, 1978, p. 370.
17 Les résidents généraux de France en Tunisie (et aussi au Maroc dès 1912) étaient, à l’époque coloniale, les véritables maîtres du pays, laissant au souverain officiel (le Bey de Tunis ou le Sultan du Maroc) un rôle de figuration.
18 Goldstein, op. cit., p. 372.
19 Idem, p. 373.
20 La Dépêche tunisienne du 28 avril 1934.
21 La Régence de Tunis : telle était la désignation officielle de l’État tunisien, du début de l’occupation ottomane (1574) à l’abolition de la monarchie et la proclamation de la République, (après l’indépendance du pays) en 1957.
22 La Dépêche tunisienne du 3 mai 1931 et du 1er mars 1930.
23 Regroupés, depuis le début des années 1920, au sein du parti destourien, puis – à partir des années 30 – au sein de son rival et concurrent le parti néo-destourien (qui mènera, jusqu’à son terme, la lutte pour l’indépendance).
24 La Dépêche tunisienne du 1er octobre 1936 ; Les Annales coloniales de novembre 1936.
25 Lettre de Vincent Auriol au Bey de Tunis, en date du 27 mars 1952.
26 Déclaration de Gabriel Puaux, sénateur des Français de Tunisie.
27 Formule également utilisée, pour désigner ce même courant (mais avec une forte connotation négative), par ses adversaires de la gauche coloniale et les nationalistes tunisiens.
28 Mohammed Salah Lajeri, L’évolution du mouvement national, op. cit., vol. 1, p. 86.
29 Idem.
30 Le Colon français du 12 mai 1907 et du 4 octobre 1908.
31 Le Colon français du 7 août et du 4 septembre 1920.
32 Gloddstein, op. cit., p. 381-382.
33 Créée en 1906, par un résident général « libéral », la « conférence consultative » était une sorte d’assemblée, à compétence non législative et réunissant (sur une base inégalitaire) des membres français et tunisiens non élus. Elle sera remplacée, en 1922, par le « grand conseil », fonctionnant sur la même base mais aux pouvoirs un peu plus élargis.
34 Le mot douar est un terme arabe (en usage au Maghreb) désignant un petit hameau isolé.
35 Discours à Tunis devant la conférence consultative en 1907.
36 Article de Paul Lambert dans Le Républicain, cité par Le Tunisien, organe des réformistes tunisiens, du 30 décembre 1909.
37 Le Colon français du 10 avril et du 8 mai 1920.
38 Le Colon français du 18 avril 1919.
39 Les trois autres étant les départements algériens.
40 La Tunisie française du 2 juillet 1920 et du 5 juillet 1921.
41 Le Colon français du 16 février 1919 et du 22 mai 1920.
42 Cf. Bachir Tlili, Nationalisme, socialisme et syndicalisme dans le Maghreb des années 1919-1934, publication de l’Université de Tunis, 1984, t. 1, p. 273 et 275).
43 La Voix française (organe du nationalisme intégral en Tunisie) du 15 avril 1920 et du 28 novembre 1920.
44 En leur accordant par exemple le tiers colonial, autrement dit en augmentant, automatiquement, d’un tiers, les salaires des fonctionnaires français en Tunisie, sans en faire autant pour les tunisiens employés – à compétence égale – aux mêmes tâches.
45 Charles André Julien, L’Afrique du nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris, Julliard, 1972, p. 60.
46 Le Colon français du 23 janvier 1937.
47 Déclenchés par l’arrestation de Habib Bourguiba (chef du Néo-Destour), les affrontements entre armée française et maquisards tunisiens feront plusieurs milliers de morts. Ils s’achèvent, en 1955, avec l’octroi de l’autonomie interne (puis de l’indépendance) à la Tunisie.
48 Ce qui ne prouve, toutefois, pas une complicité directe dans les actes commis, de la part des dirigeants du protectorat mais plutôt l’infiltration de l’appareil d’État colonial par les milieux de l’extrême droite française en Tunisie.
49 D’après Mohammed Sayah, Le Néo-Destour face à la 3e épreuve (1952-1956), op. cit., vol. 1, L’échec de la répression, p. 399-400.
50 Universitaire et historien – très fin connaisseur de l’histoire maghrébine dans laquelle il s’est spécialisé – Charles André Julien était aussi un homme politique ayant inauguré sa carrière sous le Front populaire et fut, en tant que tel, très proche de certains dirigeants maghrébins (notamment Habib Bourguiba et le roi du Maroc, Mohammed V).
51 Charles André Julien, op. cit., p. 61.
52 À comprendre comme se référant au parti radical socialiste, représentatif (en France comme en Tunisie) d’une tendance modérée de centre gauche.
53 Le Socialiste (organe de la fédération socialiste de Tunisie) du 30 juin 1911 (cité par Bachir Tlili dans : Crises et mutations dans le monde islamo-méditerranéen contemporain, 1907-1918, vol. 2, Libéralisme, socialisme et syndicalisme, publications de l’Université de Tunis. 1978. p. 282).
54 Sur la position générale de la SFIO « métropolitaine » à propos de la question coloniale, voir, notamment Ahmed Koulaksis, Le Parti socialiste et l’Afrique du Nord, de Jaurès à Blum, Paris, Armand Colin, 1992 et Claude Liauzu, Aux origines des tiers-mondistes, Paris, L’Harmattan, 1982.
55 Le Socialiste du 30 juin 1911.
56 Idem.
57 Le Socialiste des 11 et 19 novembre 1911 (Bachir Tlili, Crises et mutations…, op. cit., p. 301-307.
58 Le Socialiste du 11 novembre 1911 (même source, p. 270).
59 Nées des rumeurs d’immatriculation (perçue comme préalable à la confiscation) concernant le cimetière musulman du Jellaz (à Tunis), ces émeutes opposeront, des heures durant, dans les quartiers populaires de la capitale, Tunisiens et Italiens, dans une explosion inouïe de violences et d’exactions. Elles se solderont par des dizaines de morts et une répression de très grande ampleur.
60 Le Socialiste du 19 novembre 1911 (même source, p. 300).
61 Le Socialiste de juin 1911 (même source, p. 279).
62 Le Socialiste du 18 avril 1913 (même source, p. 293).
63 Idem, p. 192.
64 Joachim Durel, « La politique coloniale de la SFIO » (discours devant le congrès national du parti, le 15 juillet 1928) – cité par Mustapha Kraïem dans Nationalisme et syndicalisme en Tunisie (1918-1929), publication de l’Union générale tunisienne du travail. 1976, p. 343.
65 Fondé en 1920, afin de pallier « la défection » de leur précédent journal l’Avenir social (lancé en 1919 mais récupéré par les communistes, après la scission interne à la SFIO).
66 Tunis-socialiste du 26 août 1924 et du 19 mai 1926.
67 Joachim Durel, discours cité (mêmes références).
68 Tunis-socialiste du 23 mars 1926 : Sages paroles (p. 1).
69 Allusion est ici faite, principalement, au parti destourien, à son idéologie et à son action.
70 Joachim Durel : discours cité.
71 Voir par exemple : Tunis-socialiste des 23 février, 22 mars, 12 avril et 19 juillet 1926 ainsi que du 27 septembre 1937, et du 3 et 18 janvier ainsi que du 11 avril 1939.
72 Tunis-socialiste du 14 janvier 1926 : La fenêtre ouverte.
73 Tunis-socialiste du 18 janvier 1926 : Pour les travailleurs de ce pays (p. 1).
74 Voir Mohammed Lotfi Chaibi, La fédération socialiste de Tunisie au lendemain de la deuxième guerre (1945-1952), mémoire de maîtrise en histoire contemporaine, Université de Tunis, 1982, p. 40.
75 Ibid., p. 46.
76 Ibid., p. 49.
77 Tunis-socialiste du 29 décembre 1923.
78 Tunis-socialiste du 5 juin 1926.
79 Tunis-socialiste des 4 et 23 mars 1921 et du 19 mai 1926.
80 Tunis-socialiste du 5 juin 1926.
81 Ancien militant nationaliste, Mohammed Noomane se sépare, au début des années 1920, du parti destourien, pour fonder, avec un autre transfuge de ce dernier (Hassan Guellaty), un nouveau mouvement politique, au destin éphémère : Le parti réformiste, accusé par ses adversaires – non sans quelque raison – d’être la vitrine arabe de la fédération socialiste de Tunisie.
82 Tunis-socialiste du 17 mars 1926 (Par Mohammed Noomane).
83 Tunis-socialiste du 12 juillet 1926 et du 7 juin 1926.
84 Allusion à l’œuvre kemaliste dans ce pays.
85 Tunis-socialiste du 1er Novembre 1923 et du 29 novembre 1923.
86 Tunis-socialiste du 19 juin 1926 (articles de Mohammed Noomane).
87 Beaucoup des nationalistes tunisiens des années 20 à 50, partageaient, pourtant, l’analyse de Mohammed Noomane sur l’Islam mais prenaient, néanmoins, bien soin de ne pas l’afficher publiquement, estimant, sans doute, (tel leur principal leader Habib Bourguiba) qu’en situation coloniale, la priorité absolue devait aller à la mobilisation des énergies de tous les Tunisiens, dans le combat pour l’indépendance et que le moment ne se prêtait, donc, pas au développement d’un tel discours sur la religion (voir notre étude : « Une démarche laicisante… », art. cit.).
88 L’Étendard tunisien du 8 mars 1929.
89 Bourguiba garda, en effet, depuis les années 1930, de solides amitiés au sein de la SFIO et les conserva après l’indépendance (ses liens avec les époux Challaye, Alain Savary et Jean Rous sont bien connus). Il cultiva, de même, et jusqu’à sa mort, une très haute estime pour Pierre Mendès France (dont la photo trônait en permanence sur son bureau), pour son rôle dans le processus menant à l’indépendance tunisienne.
90 Lettre d’Habib Bourguiba au socialiste français Jean Rous, (octobre 1952), dans Le Néo-Destour face à la troisième épreuve – 1952-1956, vol. 1. L’échec de la Répression, op. cit., p. 616-617. Ce courrier fût rédigé et expédié alors que Bourguiba se trouvait en exil forcé à l’île tunisienne de La Galite où l’avait cantonné le résident général Jean de Hautecloque, à un moment où le pays était secoué par des troubles violents.
91 Voir, par exemple les articles (signés par Habib Bourguiba) dans « L’Etendard tunisien » (organe du parti destourien) des 11 janvier, 1er et 23 février 1929.
92 Tunis-socialiste du 6 mai 1955.
93 Tunis-socialiste des 22 et 23 janvier 1937, et l’Action tunisienne du 22 juillet 1937.
94 Lettre d’Habib Bourguiba à Jean Rous, (document cité, p. 619).
95 Déclaration de la fédération socialiste de Tunisie du 20 janvier 1925 et Joachim Durel : discours sur la politique coloniale du parti socialiste devant le congrès national de la SFIO, le 15 juillet 1928 (Mustapha Kraïem, op. cit., p. 329-330.
96 L’Action tunisienne du 5 mai 1933 ; Lettre ouverte à M. Guernut (vice président du comité de la ligue des droits de l’homme).
97 Voir divers textes de Joachim Durel, cités précédemment.
98 L’Action tunisienne du 29 avril 1933 : Les colons contre la métropole.
99 L’Action tunisienne du 15 avril 1933 : La « Tunisie française » reprend sa vieille tradition.
100 Discours de Mahmoud Materi (président du Néo-Destour) le 20 février 1937 (cité dans Habib Bourguiba. Ma vie, mon œuvre (1934-1938), Paris, Plon, 1986, p. 317-318.
101 Mission (hebdomadaire politique pro-destourien) du 25 janvier 1952 (éditorial de Hadi Nouira).
102 L’Action tunisienne du 15 avril 1933, cf. par exemple, l’ouvrage de Sophie Bessis et Souhair Belhassen, Bourguiba, Paris, Édition Jeune-Afrique, 2 vol., 1988-1989.
Auteur
Université de Tunis
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