Les professions de pink collar au Brésil et au Canada
La mémoire du travail féminin dans une perspective comparée dans la téléphonie1
Résumés
En ces temps de réorganisation productive et de globalisation, nous nous proposons de reconstruire la combinaison complexe entre intérêts économiques et symboles culturels qui instaure la ségrégation occupationnelle des femmes dans les entreprises de téléphonie au Brésil et au Canada. Une telle analyse comparative des marchés du travail est confortée par le fait que la première entreprise de téléphonie à s’être implantée à Rio de Janeiro est d’origine canadienne. L’histoire des stratégies des entreprises permetra d’appréhender la reconstruction des relations sociales de genre au Brésil et au Canada. Dans les deux sociétés, les pratiques de travail dans la téléphonie nourrissent la formation de vocations et la constitution d’une identité professionnelle féminine. Dans quelles configurations et avec quelles formes de représentations culturelles les femmes s’engagent-elles dans cette activité ? Quelles attentes et quels projets incitent les travailleuses à constituer des réseaux de solidarité au sein du mouvement syndical au Brésil et au Canada ? En reprenant Halbwachs et le philosophe Paul Ricoeur (2007), nous mettrons en lumière tant le caractère essentiellement privé, singulier des souvenirs, c’est-à-dire la mémoire individuelle, que la mémoire collective, les références partagées que favorise la grande intersubjectivité des pratiques de travail. Les sources qui permettent de décrire ce passé récent sont à la fois directes et indirectes. Notre hypothèse de travail est que revenir aux contextes historiques qui marquent le début de l’insertion des femmes dans l’espace non ouvrier au Brésil et au Canada, celui de la téléphonie, secteur d’activité des « pink collar », éclairera et mettra au jour plusieurs caractéristiques des processus globaux de réorganisation du marché du travail. Ce retour au passé est fécond dans la mesure où il rend visibles les continuités et les changements intervenus dans les transformations des relations de genre dans nos sociétés, surtout quand sont en jeu les arrangements économiques et culturelles de la division sociale et sexuelle du travail.
En estos tiempos de reestructuración productiva y de globalización, proponemos reconstruir la compleja combinación de símbolos económicos y culturales que la segregación ocupacional establece para las mujeres en las empresas de telefonía en Brasil y Canadá. Tal análisis comparativo del mercado de trabajo es apoyado por el hecho de que la primera compañía telefónica en Río de Janeiro es canadiense. La historia de las estrategias corporativas possibilita entender el tipo de reconstrucción de las relaciones sociales en Brasil y Canadá. En ambas sociedades, las prácticas de trabajo en la telefonía nutre la formación de las vocaciones y de la identidad profesionales de las mujeres. Bajo qué modalidades y formas de representaciones culturales las mujeres se dedican a esta ocupación? Quales proyectos animan las trabajadoras para construir redes de solidaridad dentro del movimiento sindical en Brasil y en Canadá? Al tomar Halbwachs y el filósofo Paul Ricoeur (2007), vamos a destacar tanto el carácter esencialmente privado, recuerdos singulares, es decir, la memoria individual, la memoria colectiva, las referencias compartidas que promueve una mayor interacción prácticas de trabajo. Las fuentes que describen este pasado reciente son tanto directos como indirectos. Nuestra hipótesis de trabajo es que los contextos históricos marcan el inicio de la telefonía y de la integración de las mujeres en el mundo del trabajo en Brasil y Canadá. El sector de actividad de "pink collar" ilumina las características del proceso global de reorganización del mercado de trabajo. Este retorno al pasado es fructífera porque hace visibles las continuidades y los cambios de las relaciones de género en nuestra sociedad, especialmente cuando siempre están en juego acuerdos económicos y culturales de la división social y sexual del trabajo.
In these times of globalization’s production restructuration, we propose to recompose the complex combination between economic and symbolic cultural interests which introduced occupational segregation of women in the telephone industries of Brazil and Canada. This comparative analysis of labor markets is comforted by the fact that the first telephone firm to settle in Rio de Janeiro was of Canadian origin. Through this prism, social relations of gender in Brazil and Canada will be reconstructed. What were the work configurations and with what forms of cultural representations did these women engage in this activity? What where the expectations and projects which incited women workers to build solidarity networks within the labor movement of this sector in both societies? By referring to Halbwachs and the philosopher Paul Ricoeur (2007), we highlight both the essentially private nature, singular or what one might call individual memories, and the collective memory, the shared references that favor the deep-going inter-subjectivity of work practices. The sources which enable to describe this recent past are both direct and indirect. Our hypothesis is that looking back at the historical context which marked the beginning of women’s insertion into the non-blue collar work space in Brazil and Canada, that of the telephone industry, a “pink-collar” sector, will help clarify and bring out several characteristics of today’s global labor market reorganization process. This voyage back in time is rich to the extent that it brings out the continuity and changes intervening through the transformations of gender relations in our societies, especially when economic and cultural arrangements of this social and sexual division of labor are concerned.
Entrées d’index
Mots-clés : Femmes, globalisation, ségrégation, téléphonie, Brésil, Canada
Keywords : Woman, globalisation, segregation, Brazil, Canada
Palabras claves : Mujeres, globalización, segregación, Brasil, Canadá
Texte intégral
Introduction
1Dans nos sociétés, la façon dont les femmes sont perçues influence les caractéristiques attribuées au travail. L’industrie des télécommunications constitue un bon exemple de cette relation. Dans l’histoire du travail féminin, la profession de Telephone Operators illustre dès le début du XXe siècle comment les valeurs et les symboles du bon comportement et de la bonne conduite sont institués comme règles morales qui disciplinent les métiers du secteur des services, connus sous le nom de White Collars (Mills Charles Wright 1951). Les bureaux, les entreprises prestataires de service (banques, hôpitaux, écoles, compagnies d’assurance) et les services publics sont des lieux où les femmes sont engagées comme téléphonistes, dactylographes ou secrétaires, entre autres. Ces métiers modifient rapidement l’équilibre de sexe, en acceptant rapidement des femmes, contrairement à d’autres fonctions pour lesquelles l’embauche d’hommes reste privilégiée (télégraphistes, facteurs, comptables, auxiliaires administratifs, journalistes, etc.). Le réseau de téléphonie est l’exemple le plus marquant d’une situation paradoxale dans laquelle un système public produit des appels téléphoniques privés. Le travail de la téléphoniste/opératrice incarne ce paradoxe, puisque sa présence dans un espace collectif permet la mise en relation des appels personnels de la clientèle. Une telle situation interfère dans la sphère privée et justifie un processus d’éducation censé orienter le comportement de la travailleuse (Martin 1988). Cet article parcourt l’histoire des premières entreprises de télécommunication au Canada et au Brésil. Nous recherchons ainsi les racines de la division sexuelle du travail, observée aujourd’hui dans de nombreuses entreprises de call centers. Nous considérons que cette spécificité peut être resituée dans un ensemble plus vaste d’interférences économiques et culturelles qui forment et transforment le sens donné au travail féminin. Ainsi, sous l’effet de dynamiques complexes, entre continuité et renouvellement, la culture industrielle continue à s’approprier les principes organisationnels de la gestion taylorienne, introduits aussi dans les entreprises de télécommunication. L’analyse de la situation canadienne et de la première entreprise de capital canadien au Brésil, Companhia Telefônica Brasileira2, permet de confronter deux contextes sociopolitiques distincts — le Canada et le Brésil — ainsi que les réponses des travailleuses et les médiations des autorités nationales (les ministères du travail et les syndicats, entre autres) face aux stratégies des entreprises.
Technologie, savoir-faire féminins et organisation taylorienne du travail
2Le secteur des télécommunications est un exemple emblématique de tensions paradoxales entre un souci constant de moderniser les structures productives et des stratégies de reproduction des valeurs traditionnelles du patriarcat, qui placent les femmes dans des ghettos professionnels. L’historienne canadienne Elaine Bernard (Bernard 1982 : 4) souligne que les technologies de la communication illustrent cette contradiction tenace dès leur première utilisation commerciale. D’une part, l’utilisation des technologies de communication par les entreprises contient la promesse de raccourcir les distances, de faire porter la voix au loin, augmentant ainsi les contacts humains. D’autre part, leur utilisation industrielle continue d’accroître la distance entre les travailleurs, alors même que cette technologie permet de la réduire. Dans ces industries, le contrôle rigide et permanent de l’activité des travailleurs empêche par conséquent l’émergence d’un sentiment de proximité mutuelle. Pour l’auteur, ce n’est pas une coïncidence si la direction des entreprises de téléphonie est la première à expérimenter le contrôle du travail en empruntant le chemin du taylorisme3. La transformation du travail en une séquence monotone de tâches répétitives permet dorénavant d’atteindre une meilleure productivité4. Shirley Tillotson (1991 et 1999) s’appuie sur les bases posées par Elaine Bernard et introduit une approche genrée de l’évolution de l’usage de cette technologie. Selon elle, le passage du télégraphe au téléphone, s’il favorise la simplification des savoirs, permet aux entreprises de remplacer la main-d’œuvre masculine par une main-d’œuvre féminine (Tillotson 1990). Pour ces auteurs canadiens, la culture professionnelle se construit comme combinaison de relations complexes entre genre et technologies5. Ces paradoxes observés par les chercheuses semblent persister au début du XXIe siècle, alors que les critères de haute qualité des produits sont associés à des exigences de rythmes de travail et de productivité extrêmement épuisants et dégradants pour les femmes.
Plus qu’un travail, une profession : les téléphonistes au Canada
3Comment l’utilisation commerciale de la technologie du téléphone a-t-elle ouvert ses portes aux femmes ? Dans quelles conditions sont-elles entrées dans les entreprises de téléphonie ? Pour quelle raison le recrutement de jeunes hommes est-il si tardif ? Ne sont-ils pas considérés comme des travailleurs tout aussi compétents, avec leur voix ferme et vive et leur capacité à se montrer patients face aux sollicitations des clients ? Quelles ségrégations, quelles discriminations, quelles luttes les travailleuses sont‑elles parvenues à intégrer aux revendications des syndicats ? Nous mobiliserons la mémoire collective des femmes employées dans des entreprises au Canada6, puisque l’historiographie montre que la Companhia Telefônica Brasileira, l’une des premières entreprises à s’installer au Brésil au début du XXe siècle, provient de ce contexte entrepreneurial.
4Dès la fin du XIXe siècle, après la période monopolistique de 1879-1893, les entreprises de téléphonie font leur apparition et acquièrent des petites et moyennes entreprises régionales du vaste territoire urbain et rural canadien (Gabel 1969). C’est au cours de la phase suivante, celle du marché compétitif (1883-1920), que s’accélère le recrutement de femmes dans le secteur des télécommunications (Babe 1988). L’historiographie canadienne analyse cette phase de la stratégie des firmes comme une nouvelle étape qui met les entreprises en contact avec une vaste clientèle et modifie l’équilibre atteint jusqu’alors grâce au recrutement prioritaire de travailleurs hommes dans les bureaux du télégraphe. Cela fait ainsi apparaître clairement une division du travail par métiers dans la branche de la téléphonie, dans ces nouveaux espaces industriels où la stratégie de gestion taylorienne est appliquée avec une extrême rigueur. L’isolement des femmes dans de grands bâtiments, à l’écart de leurs collègues de sexe masculin, devient une bonne option. Les hommes, quant à eux, restent ouvriers des services du télégraphe — une fonction bien plus complexe dans la mesure où elle sollicite des savoirs manuels et intellectuels spécifiques. Le télégraphe perdure comme un outil subsidiaire dans les circuits d’affaires restreints des bureaux des industries, dans les sociétés d’import-export tout comme dans les gares ferroviaires et dans les mines. Des impératifs économiques et financiers vont de pair avec un ensemble d’arguments, de sentiments et de croyances qui privilégient le recrutement de femmes dans le système industriel du secteur de la téléphonie. Plus encore, la fonction de standardiste/téléphoniste revêt rapidement des caractéristiques associées à la féminité et construites par la propagande des entreprises, posant ainsi les bases de la représentation de la vocation naturelle des femmes.
5L’historienne E. Bernard (1982 : 12-14) voit dans la stratégie de la revue Telephone Talk (à partir de 1911) un exemple emblématique de cette diffusion idéologique dans le milieu des entreprises canadiennes. Dans cette revue entrepreneuriale s’expriment des préférences pour la division du travail ; des tâches spécifiques sont délimitées et des professions distinctes modelées pour chaque sexe. Au moment où les entreprises de téléphonie abandonnent la clientèle commerciale au profit des consommateurs — lors de l’avènement du service public de téléphone —, les hommes sont mis à l’écart du travail d’accueil. La presse entrepreneuriale justifie une telle politique en soutenant que savoir répondre à cette nouvelle clientèle, satisfaire ses sollicitations et faire face aux urgences d’une vaste population requiert des qualités qui, de façon stéréotypée, sont attribuées aux femmes. L’on considère que les hommes ont des manières grossières, commettent des erreurs, ne respectent pas la clientèle et ne répondent pas de façon satisfaisante aux urgences et aux sollicitations.
6Du point de vue des entreprises, une posture disciplinée exige un entraînement poussé des hommes et une grande vigilance de la part de la direction. Au contraire, les jeunes femmes, qui les remplacent de façon quasi exclusive dès la fin des années 1890, se montreraient plus attentives, accordant beaucoup d’attention aux contacts et aux sollicitations les plus insistantes et les plus diverses des clients. En plus de cela, elles ne demandent aucune rémunération durant les mois de formation comme apprentie/auxiliaire, elles n’exigent aucun contrat écrit et ne réclament pas de jours de repos hebdomadaires. La création de centrales téléphoniques dans les différentes compagnies locales et régionales va de pair avec l’introduction généralisée du système de contrôle taylorien sur les téléphonistes. Les témoignages réunis par l’historienne E. Bernard (1982) montrent que, parallèlement à la consolidation d’un ensemble compact de règles de compétences et de comportements, l’on assiste à la lente construction du mythe de la téléphoniste/standardiste héroïque qui valorise cette vocation auprès des young ladies. Le travail de standardiste/opératrice/téléphoniste se métamorphose en une prestigieuse qualification professionnelle qui se traduit par des étapes de formation, de carrière et de promotion (Bernard 1982 : 40). L’emploi d’une main-d’œuvre féminine longtemps perçue comme une réserve fait désormais partie intégrante du calcul d’optimisation des ressources. Ainsi, la téléphoniste apparaît au début du XXe siècle comme une force de travail plus apte à rentabiliser et rendre lucratif le capital investi dans l’utilisation commerciale de la nouvelle technologie qu’est le téléphone (Pezerat 1984).
7Rappelons que rationalité et rentabilité économiques ne s’expriment pas toujours de façon directe. Elles s’alimentent mutuellement par l’ensemble des justifications adoptées par la culture des entreprises. Au Canada, comme plus tard dans d’autres pays, les justifications de la préférence pour le recrutement de femmes se mêlent à des pressions parfois complexes, comme les nécessités économiques de répondre à la grande disponibilité des femmes sur le marché du travail, l’hostilité et les résistances des hommes à leur présence sur le lieu de travail ou encore l’image négative du travail des femmes. Pourtant, cette féminisation est désormais renforcée par la valorisation de leur « voix » par les entreprises. Cette prétendue disposition naturelle s’ajoute à un ensemble de symboles et de préceptes et s’accommode bien avec l’expansion de l’utilisation commerciale de cette innovation technologique. Ainsi, à l’intersection entre exigences de rentabilité et valeurs socioculturelles, certaines barrières tombent et de nouvelles frontières entre les sexes voient le jour. Comme le montre très bien Martin dans Capitalizing on the Feminine Voice (1989), la logique de production capitaliste tire parti d’un élément naturel des technologies de communication (plus dans la téléphonie que dans la radio). Les différences en termes d’attribution de compétences au travail sont ainsi justifiées par une asymétrie de genre (Benston 1988).
8C’est la « voix » (disciplinée par le contrôle taylorien du travail) qui permet l’institution d’un dialogue entre l’opératrice — membre de la classe ouvrière — et la nouvelle clientèle de consommateurs qui, dans un premier temps, est issue de la classe moyenne. Dans cette perspective, la « voix » constitue, pour les compagnies de téléphone, l’élément central qui doit être éduqué : les tons, les pauses, les vocables utilisés doivent permettre la projection d’un ensemble de sentiments affectifs. La rationalité des entreprises atteint ainsi ses objectifs : en contrôlant le contenu du dialogue et en surveillant la productivité de l’opératrice, elles réussissent finalement à contrôler son caractère moral. L’industrie du téléphone atteint ses objectifs de contrôle du processus productif en intégrant les relations sociales de domination présentes dans la société patriarcale.
Businessmen were told that “a good voice, used intelligently, politely and persuasively, is a commercial asset”. (Kenney 1905: 51)
“Instead of the noisy, abusive boy there came the gentle, soft-voiced girl. If ever the rush of girls into the business world was a blessing it was when they took possession of the telephone exchanges. ... The girl and the telephone are natural friends.” (News 1916)
9Nous possédons aujourd’hui plus d’informations pour appréhender la stratégie rapide de féminisation du secteur où travaillent les standardistes/téléphonistes dans les entreprises au Canada comme aux États-Unis. Dès 1913, l’entreprise British Columbia Telephone (Bernard 1982 : 40) préfère par exemple embaucher des jeunes femmes âgées de 17 à 25 ans, qui sont préparées par une longue formation non rémunérée avant d’être intégrées comme opératrices effectives. Pour pouvoir prétendre à cet emploi, elles doivent présenter plusieurs lettres de recommandation. Les horaires de travail s’étendent sur huit heures, divisées en deux périodes de quatre heures, avec une pause pour le déjeuner. Pendant très longtemps, le service nocturne d’accueil téléphonique reste réservé aux hommes. Dans le contrat, qui fréquemment n’est pas formalisé à l’écrit, le droit à un jour de repos hebdomadaire pour les young ladies est garanti. Les entreprises préfèrent choisir des jeunes filles canadiennes, anglaises, américaines, juives et européennes qui n’ont aucune expérience préalable, en se fondant sur l’idée qu’elles arriveraient plus rapidement à mémoriser des phrases standardisées, éliminant ainsi toutes les interférences qui pourraient entraver l’objectif de rapidité d’accueil des clients, établi à 230 communications par heure de service.
10Enfin, il est important de rappeler que ce n’est qu’au début du siècle que les syndicats catégoriels intègrent les travailleurs de la téléphonie à la branche de l’électricité, en premier lieu aux États-Unis puis au Canada dès 1891 dans le syndicat IBEW — International Brotherhood of Electrical Workers. Les standardistes/téléphonistes y sont intégrées en 1893. Pour la première fois, une section de femmes téléphonistes voit le jour aux États-Unis en 1918. L’inclusion des electrical working sisters représente le dépassement de plusieurs représentations et obstacles : elles étaient minoritaires au sein de la catégorie des électriciens, quittaient souvent le syndicat après leur mariage ou lorsque leurs fils entraient sur le marché du travail, et, pendant très longtemps, le travail féminin, comme celui des mineurs, fut considéré comme nuisant à l’insertion des hommes, qui les voyaient comme des concurrentes (Bernard 1982).
11Au début du siècle (1902), l’entreprise British Columbia Telephone7 est bouleversée par des mouvements de grève en faveur de la médiation syndicale des conflits sur les contrats, dans lesquels les femmes standardistes/téléphonistes sont très présentes. C’est dans cette entreprise que le mouvement de grève canadien revendique l’obtention d’un contrat écrit, le paiement du salaire durant les jours non travaillés pour maladie ou soutien à la lutte contre la discrimination des militants syndicaux ouvriers à l’usine, et l’arrêt de la formation non rémunérée (Bernard 1982)8. Depuis son siège à Vancouver, la compagnie de téléphone décide de remplacer plusieurs travailleurs par des femmes juste après les premières paralysies, afin de tenter de réduire les pertes économiques. Ce conflit entre la compagnie et les travailleurs est résolu en décembre 1902 grâce à l’intervention d’un groupe d’entreprises qui, en qualité de clientes de la compagnie de téléphone, se constituent en institutions médiatrices dans ce conflit du travail. L’historiographie montre que cette solution a largement été favorisée par une opinion publique qui interprète la grève du service téléphonique comme résultant davantage du comportement de la firme que de l’attitude revendicative du syndicat de travailleurs (Bernard 1982). Cette action syndicale est la preuve de la vivacité du mouvement canadien dans les télécommunications, qui traduit explicitement la précarité des conditions de travail qui accompagnent l’émergence de ce métier dans le contexte d’une technologie moderne et sophistiquée pour l’époque.
12L’historiographie canadienne recense (Martin 1988) des données importantes concernant une autre entreprise : la Bell Telephone Company of Canada9. Dans cette entreprise, le processus de substitution d’hommes par des femmes débute à la fin des années 1880, lorsque la direction générale perçoit que la segmentation peut favoriser une expansion du marché. L’on passe du monde des affaires, dans lequel les clients sont des entreprises, à celui du grand public, où l’on atteint les familles en tant que consommateurs. À partir de 1888, l’entreprise commence à remplacer tous les opérateurs par des téléphonistes de sexe féminin dans les grandes villes de Montréal et Toronto. C’est ainsi qu’émerge une nouvelle opportunité d’emploi urbain dans cette branche, qui favorise une sous-division hiérarchique, valorise les spécialisations techniques pour les hommes et confie les tâches les plus simples aux femmes récemment embauchées. Comme le souligne Martin, l’entreprise choisit de mettre en place une organisation bureaucratique qui attribue aux femmes des qualifications spécifiques en s’inspirant d’une conception patriarcale de la société centrée sur l’obéissance et la soumission. De plus, cette opportunité d’emploi est novatrice, dans la mesure où elle offre aux femmes — même avec des salaires plus bas — l’avantage d’un statut social : cela nourrit en elles un sentiment de dévouement à leur prochain, l’impression de réaliser un labour of love pour la collectivité10.
13Pour stimuler la féminisation de cette activité, la Bell of Canada introduit de nouveaux prérequis pour l’exercice de ce métier et modèle l’ensemble des symboles que le monde des affaires n’avait pas mobilisés jusqu’alors : la force morale de l’ethos professionnel. Dans leur travail de médiation des appels téléphoniques, les opératrices se trouvent face à une situation paradoxale : leurs interventions sont essentielles pour connecter les lignes entre les clients, mais cela peut représenter un problème pour le respect de la vie privée. La médiation de l’opérateur est nécessaire, mais cette contradiction doit être surmontée, et les entreprises résolvent le problème en substituant les hommes par des femmes opératrices qui apportent à cette activité une vision morale claire. La féminité est symbolisée par le dévouement, la rapidité, l’attention accordée aux clients qui sont autant de qualités utiles pour préserver la vie privée de celui qui appelle et décroche le téléphone. L’image morale est confortée par d’autres valeurs qui stimulent la productivité et l’efficacité. C’est ainsi que les travailleuses sont soumises à une discipline militaire renforcée par le contrôle administratif de leur « engagement moral », qui vise à accélérer l’accueil téléphonique dans les centrales de façon à répondre au nombre croissant de demandes des consommateurs.
14Martin (Martin 1988) se demande : comment est-il possible que la Bell of Canada introduise ce recrutement de femmes dans un contexte où la nature technique du travail est un attribut masculin ? Comment recruter des femmes lorsqu’il existe un risque que soient ignorées les traditions patriarcales ? Encore une fois, il semble que la Bell of Canada, prise dans la récente vague de capitalisme, sache imposer par sa stratégie les modifications adaptées à son nouveau grand public de consommateurs, constitué par des familles. Ainsi Sise, le directeur général de Bell Telephone Company of Canada conclut :
“…boys as operators were proved complete and consistent failures. They were noisy, rude, impatient and talked back to subscribers, played tricks with wires, and on one another.” (1887)11
“A woman would give better service and be a better agent… young women at salary not greater than commission amounts to commission men,” the telegraph messengers, who treated the telephone as secondary to their own business, and acted very independently. (1888)12
15Malgré cette politique de féminisation des centrales téléphoniques, ce sont les hommes qui continuent à travailler de nuit : ces derniers commencent soit à 18 soit à 22 heures. L’historienne M. Martins (1988) met l’accent sur la ségrégation professionnelle complète qui maintient les hommes sur des postes d’opérateurs/ouvriers dans les secteurs où sont exigées les compétences techniques d’électricien, en particulier dans les travaux de maintenance et de réparation, activités qui nécessitent une amélioration constante des interventions afin de préserver l’attractivité de l’utilisation du service. Malgré cette division, nombreuses sont les pertes de productivité et les réclamations reportées par l’entreprise après des expériences désagréables13.
Throughout the hearings Bell was criticized for its: excessive long-distance rates; high urban rates; almost complete lack of rural service; neglect of small towns and villages; anti-competitive practices by way of establishing restrictive covenants with public places such as railways; refusal to interconnect with independent telephone companies; and higher costs and lower general availability in comparison to countries like Denmark, Norway, Sweden, and Britain (Canada, 1905: 8-17).
16La politique d’embauche de femmes de la Bell Telephone, qui exerce ses activités au Québec et dans l’Ontario, est reproduite dans d’autres régions du Canada, où le niveau d’exigence est un peu plus élevé : trois lettres de recommandation sont demandées, un certificat médical est nécessaire, et une lettre de présentation d’un propriétaire foncier. C’est pourquoi l’auteur commente l’origine sociale des premières téléphonistes/standardistes, issues d’un respectable background (Martins 1988 : 154). Les téléphonistes de la Bell Telephone de Toronto sont les actrices principales de la grève historique de 1907 au cours de laquelle est réclamée la création d’une Commission d’enquête du ministère du Travail (Sangster 1978). Dans cette entreprise, le salaire des téléphonistes, pour des fonctions non qualifiées, atteignait 30 $ par mois, alors que pour des fonctions qualifiées les hommes pouvaient recevoir jusqu’à 40 ou 60 $ par mois. Ce n’est cependant pas cet écart qui déclencha le processus de mobilisation des téléphonistes de la Bell Telephone à Toronto14. C’est l’annonce faite par la direction que, à compter du 1er février 1907, la journée de travail passerait à huit heures, avec une augmentation relative de salaire, mettant un terme à la journée de cinq heures en vigueur depuis 1905. La décision de la direction d’étendre et de standardiser la durée du travail à huit heures quotidiennes dans toutes les implantations de l’entreprise est justifiée par la nécessité d’améliorer la productivité des services téléphoniques de la firme à un moment où augmentent les pressions en termes de compétitivité sur le territoire national. Pour faciliter une meilleure rationalisation, l’entreprise avait commandé à la compagnie américaine AT&T une étude interne sur l’efficacité du système de prix pour atteindre le palier du management scientifique déjà en vogue aux États-Unis15.
17L’analyse des performances des travailleuses dans la Bell of Canada a été réalisée par des ingénieurs américains qui démontrent que ces nouveaux horaires amélioreraient la qualité du travail. Néanmoins, les opératrices perçoivent que l’augmentation des heures de travail et du salaire ne compense pas, puisque le nouveau système élimine la possibilité de réaliser cinq heures supplémentaires. Dans les faits, il y a donc une réduction de la rémunération puisque le système de cinq heures supplémentaires permettait d’augmenter le salaire. Les réclamations contre la forte réduction monétaire reçoivent le soutien de plusieurs femmes superviseurs et d’ouvrières du siège de Toronto qui évaluent les conditions de travail des jeunes femmes.
18Les téléphonistes grévistes s’adressent au syndicat, l’International Brotherhood of Electrical Workers — IBEW qui, jusqu’en 1907, n’acceptait pas encore leur syndicalisation. Désormais, IBEW recommande une syndicalisation préalable16. Mais ce mouvement reçoit surtout le soutien de l’évêque et des journaux locaux de la ville de Toronto. Le refus de la compagnie d’accepter le retour des cinq heures s’accompagne de stratégies comme le recrutement de casseurs de grève afin de ne pas interrompre le service auprès des consommateurs. La Bell of Canada défend l’idée que les téléphonistes grévistes représentent une petite minorité par rapport au grand nombre d’opératrices impatientes de reprendre le travail. Enfin, l’entreprise déclare que les téléphonistes ont des avantages de confort par rapport aux autres travailleuses de la ville. Elles bénéficient d’un restaurant d’entreprise, d’une armoire personnelle et d’un vestiaire pour se changer.
19Pour sortir de l’impasse, une Commission Royale est créée et coordonnée par William Lyon Mackenzie King, qui fixe des objectifs : étudier la nature du travail des opératrices, élaborer un avis médical sur les conditions de travail, instaurer une table d’écoute et de contrôle sur la pratique et les conséquences de la grève17. Les témoignages recueillis par les superviseuses révèlent un travail sans limites, aggravé par les pressions des tâches domestiques que les téléphonistes/standardistes réalisent à leur domicile. Finalement, la commission des médecins confirme que les conditions de travail mènent à un épuisement physique et mental et préconise la réduction de la journée de travail à cinq ou six heures quotidiennes, avec une période de pause.
20Pour l’historienne, les dépositions et les conclusions des médecins reflètent la mentalité collective de l’époque, qui renforce l’image du sexe « faible » des femmes : « Nous portons atteinte aux fondements de notre avenir, à la santé de ces jeunes femmes ». La grève révèle les attitudes de la compagnie et son pouvoir monopolistique, et montre le rôle pionnier de l’intervention médiatrice et régulatrice du gouvernement. D’un autre côté, l’entreprise elle-même introduit, juste avant 1914, certaines pratiques pour améliorer la labour policy sur le lieu de travail : elle facilite la communication interne en encourageant des relations plus fréquentes entre la direction et les superviseuses/inspectrices et met en place des soins médicaux pour toutes les opératrices. Ainsi, l’historiographie souligne comment cette grève a conduit à l’introduction de plusieurs changements dans l’entreprise Bell of Canada. Pour Sangster (Sangster 1978), ces changements permettent la poursuite de l’exercice de domination qu’il appelle « paternalisme bénévole », puisque l’on réduit l’insatisfaction salariale, qu’on augmente le prestige de la profession et, surtout, qu’on évite la présence active du syndicat dans la Bell Telephone Company of Canada.
21Du fait de son impact politique, cette grève constitue un élément de l’héritage mobilisé par les travailleuses canadiennes lors de la vague de grèves après 1963 (Sangster 1978; Klein and Wayne 1974).
Plus qu’un travail, une profession : les téléphonistes de Rio de Janeiro
22Les politiques canadiennes de gestion des entreprises de l’industrie de télécommunications ont sans doute constitué un outil important lorsque des segments du secteur ont pensé à les exporter vers le Brésil. En effet, les entreprises canadiennes de téléphonie avaient été confrontées aux mobilisations continuelles des travailleuses et avaient trouvé des moyens de pacifier l’intégration de la jeune génération de young ladies en les habituant au rythme de la longue journée de travail. Ce que Sangster appelle « paternalisme bénévole » a peut-être représenté un héritage du management canadien qui arrive au Brésil dans le secteur de l’industrie naissante des télécommunications.
23La première expérience sur le territoire brésilien est lancée après que plusieurs négociations successives aient été menées18 et se consolide par le biais de plusieurs fusions industrielles19. La présence de l’entreprise d’origine canadienne se pérennise grâce à l’obtention de plusieurs contrats de concession successifs octroyés par les autorités gouvernementales à partir de 190720. En ce début de XXe siècle, le milieu sociopolitique brésilien (comme le canadien) est par ailleurs marqué par les mobilisations du mouvement ouvrier dans les deux plus grands centres urbains (Rio de Janeiro et São Paulo), où la Brazilian Telephone Company installe ses nouveaux sièges.
24L’entreprise concessionnaire canadienne, la Brazilian Telephone Company, s’implante à Rio de Janeiro (comme à São Paulo et Belo Horizonte) en adoptant des stratégies en vogue dans les entreprises de télécommunication canadiennes les plus importantes au début du XXe siècle. La tradition fructueuse de féminiser les centrales téléphoniques au Canada est reproduite au Brésil sans rencontrer, semble-t-il, de résistances. Cette pratique avait déjà fait ses preuves en combinant de bons résultats économiques de rentabilité et la facilité d’avoir une jeune main-d’œuvre de femmes disposées à s’insérer dans des milieux professionnels non ouvriers. La division sociale du marché du travail à Rio conjugue, dans cette phase d’industrialisation naissante, des capitaux en provenance de la culture du café, des importantes activités portuaires, financières et commerciales d’importation et d’exportation, des activités qui demandent et stimulent toutes l’utilisation de la récente innovation technologique qu’est le téléphone.
25Il est important de rappeler que Rio de Janeiro se distingue des autres capitales mondiales car la ville constitue un grand centre administratif où la primauté de l’État donne lieu à une prédominance de la signification politique sur la vitalité des implantations industrielles21.
26À Rio de Janeiro, l’entreprise canadienne ouvre les portes du recrutement aux femmes et concurrence ainsi les autres offres d’emploi urbaines susceptibles d’attirer les « jeunes filles22 ». Les photographies des postes téléphoniques, à partir de 1915, permettent de caractériser ce nouveau cadre de travail. S’il est possible d’identifier l’évolution technologique, l’on note également, comme au Canada, la présence de grands espaces de travail dans lesquels sont façonnées des attitudes de discipline collective qui s’appuient sur une structure hiérarchique typiquement taylorienne. On distingue clairement celles qui restent assises à leur bureau pour recevoir les appels de celles qui gèrent la disponibilité des lignes en notant le temps de chaque communication, et de celles qui circulent entre les standardistes pour les surveiller et les contrôler. Au Brésil aussi, la mémoire entrepreneuriale laisse des traces écrites. Les archives de la revue Sino Azul, de la Companhia Telefônica Brasileira (CTB), montrent comment cette activité s’affirme rapidement en tant que profession. Non seulement les savoirs et compétences mobilisés sont délimités, mais des tableaux et des graphiques codifient également les meilleurs temps de communication (Sino Azul, juillet 1928). Sur ce support écrit, qui circule parmi les employés, la CTB annonce la création de l’école pour téléphonistes/standardistes (1929) où sont dispensés des cours pour entraîner et évaluer les apprenties et former les instructrices du secteur23. Les enseignements proposés sont diversifiés : comment réaliser un appel manuel, comment réaliser un appel automatique, comment superviser le travail des téléphonistes, comment diriger un groupe d’opératrices. Ainsi, comme les historiennes l’ont déjà souligné dans les entreprises de téléphonie du Canada, la Companhia Telefônica Brasileira est particulièrement attentive à la définition des objectifs, des rythmes et des modalités des tâches attribuées aux opératrices. Dans ce secteur industriel, on assiste également, à Rio comme à São Paulo, à l’adoption généralisée d’un outil important : la gestion scientifique du travail. Preuve en sont les nombreux articles de la revue Sino Azul consacrés à la construction de l’image idéale de la profession24. L’objectif est atteint grâce à la réappropriation de l’idéal-type du modèle de gestion scientifique du travail qu’est la structure hiérarchique militaire (comme au Canada) :
À l’armée, le soldat se soumet à l’apprentissage de recrue. Ce n’est qu’ensuite qu’il « est mûr », c’est-à-dire qu’il devient apte à servir dans les rangs. Son premier poste est celui de caporal. Dans la compagnie de téléphone, les recrues sont des « apprenties ». Lorsqu’elles ont bien assimilé ce qui leur a été enseigné, elles deviennent téléphonistes. Puis, lorsqu’une opportunité se présente, elles sont promues « responsables ». La promotion de « chef-standardiste » ne vient que plus tard. La chef-standardiste est toujours la plus parfaite de toutes les « responsables », de même que ces dernières incarnent l’essence des téléphonistes.
27L’important pour les entreprises est d’établir et de diffuser les spécialisations et les compétences pour codifier la structure hiérarchique mais aussi pour instituer une trajectoire professionnelle, poser les bases d’une carrière : téléphonistes B, téléphonistes A, téléphonistes de services spéciaux, téléphonistes interceptrices, et téléphonistes interurbaines.
28Les hommes aussi sont victimes de ségrégation, mais dans d’autres secteurs. On attend d’eux des connaissances et des compétences manuelles, des savoirs qualifiés et non qualifiés qui donnent accès à l’éventail le plus large de carrières. Enfin, les reportages et les photographies de la revue Sino Azul de 1928 à 1970 mettent en évidence une continuité entre la division technique et la division sexuelle du travail, de telle sorte qu’il n’existe aucun espace de connivence entre hommes et femmes dans l’entreprise toute entière (Cappellin et Cortez 2011).
29Qu’est-ce qui peut inciter les femmes à s’engager dans la profession de standardiste jusque dans les années 1930, au paroxysme du développement de l’entreprise étrangère ? L’éthos professionnel ! D’après la Companhia Telefônica Brasileira, de capital canadien (qui deviendra entreprise publique fédérale à partir de 1966), la signification sociale de cette profession du point de vue de ses qualités matérielles et morales se renforce :
La profession de téléphoniste est l’une des plus belles professions de la femme. La beauté de cette profession est de deux natures : matérielle et morale. Sa beauté matérielle réside dans ses propres conditions de travail, dans l’appareillage extrêmement intéressant avec lequel elle doit interagir, à la fois complexe dans sa conception et simple dans son fonctionnement, dans la propreté de son environnement de travail, dans la justesse de ses horaires de travail, dans la commodité et le confort qui l’entourent pendant ses heures de repos et dans l’intérêt tendre avec lequel on doit à préserver, pour sa santé et pour la conservation de sa joie de vivre, tant nécessaire à cette mission de la femme téléphoniste. La beauté morale de la profession de téléphonistes est intraduisible. Invisibles pour les abonnés, qui ne peuvent qu’entendre leur voix au ton doux ou souriant, elles vivent de façon anonyme mais sont toujours dans le cœur de ceux qui bénéficient directement ou indirectement de leurs soins. C’est un anonymat qui anoblit, un anonymat du bien, qui élève la profession à la catégorie d’un sacerdoce. Parmi les éléments de leur beauté morale, se détache la notion exacte du sens du devoir. (Sino Azul, mars 1930)
30Enfin, d’autres éléments nous montrent combien l’adhésion à l’emploi de téléphonistes est promue par la CTB. En l’absence d’une définition des droits et des devoirs dans la loi du travail, la CTB applique les stratégies adoptées par les compagnies de téléphonie au Canada, et met en avant les avantages dont peuvent profiter les jeunes téléphonistes dans l’entreprise25.
Et toutes les jeunes filles qui commencent leur apprentissage vérifient rapidement qu’il s’agit en fait d’un travail propre, agréable, infiniment intéressant et très sérieux, en contact direct et exclusif avec les autres jeunes filles ; que les postes possèdent tout le confort nécessaire, avec des salles de repos et de restauration, des armoires de métal pour garder leurs vêtements, leurs chapeaux, leurs ombrelles, etc., ou même des vestiaires avec des employées qui gardent de tels objets en échange d’un ticket de consigne ; des dortoirs, une infirmerie, etc.26.
… Que les jeunes filles qui travaillent dans notre entreprise comprennent donc l’avantage de ce service et sachent profiter des leçons apprises au bénéfice de la collectivité. Ainsi, la Companhia Telefônica Brasileira s’estimerait amplement récompensée. (Sino Azul, 1930 : 9)
31Après le changement qui conduit à la nationalisation de l’entreprise CTB en 1966 (Saraiva 2006 : 54), les femmes téléphonistes cessent d’être appelées jeunes filles et deviennent partie intégrante du corps des fonctionnaires. La direction étrangère est remplacée par une direction de cadres brésiliens composée, jusqu’en 1984, par des militaires27. Mais les spécialisations attribuées à la profession de téléphoniste se maintiennent. En 1969, une annonce publiée dans la revue Sino Azul aide à préserver la continuité du modèle de gestion :
La CTB cherche à donner à la Téléphoniste tout le confort et toute l’assistance nécessaires. Un restaurant installé dans des locaux modernes de la Rue Alexandre Mackenzie, où fonctionnent les principaux services, fournit des repas durant 24 heures par jour. Ont aussi été installés : une salle de repos avec une radio et une télévision, un vaste dortoir pour celles dont les horaires incluent une partie de la nuit, en plus de cours de coupe et de couture.
Conclusion : « Mobiliser la mémoire pour essayer de comprendre le présent28 »
32À partir de la fin du XIXe siècle, après l’introduction d’innovations comme le chemin de fer, la navigation à vapeur, la substitution de l’énergie du gaz par l’électricité et le télégraphe, le téléphone fait peu à peu partie du cadre de la vie moderne. Nous pouvons nous demander si son utilisation va de pair avec l’apparition d’opportunités d’emploi féminin et si elle révolutionne le rôle traditionnel domestique des femmes.
33Un premier élément de réponse à ces questions suppose que toute introduction d’innovations technologiques dans les pratiques productives impose une modernisation généralisée des comportements. Quelle incidence les innovations technologiques ont-elles sur l’ouverture de champs professionnels et de travail féminin ? En particulier, comment l’introduction du téléphone influence-t-elle la vie des femmes travailleuses ? Comment, sur le lieu de travail, se redistribuent les attributions professionnelles des hommes et des femmes ?
34Le chemin que nous avons parcouru montre comment la présence massive des femmes sur le marché du travail des télécommunications, dans les centres d’appels, plonge ses racines dans une longue histoire, consignée dans plusieurs sources de la mémoire collective. L’historiographie internationale nous aide à comprendre comment, à la fin du XIXe siècle, ce marché naissant stimule l’entrée des femmes sur le marché du travail, grâce à des stratégies entrepreneuriales qui créent ces nouveaux espaces d’emploi non ouvrier. Ainsi, la demande de téléphonistes augmente à l’échelle internationale, comme cela avait été le cas pour les dactylographes et les institutrices. Pourtant, cette ouverture est restreinte, elle est limitée à quelques espaces où les sexes ne se mélangent pas, de façon à éviter le problème délicat de la promiscuité sexuelle. À travers les règles qui sont imposées, inspirées par les principes tayloriens d’organisation du travail, c’est la combinaison entre profit et culture de gestion de la main-d’œuvre orientée vers le conformisme et le respect des normes et valeurs patriarcales qui est recherchée.
35Enfin, les entreprises cherchent à employer de jeunes travailleuses bien éduquées, qui ne menacent pas la moralité des espaces de travail et se tiennent à l’écart des revendications agitées organisées par les hommes (Pézerat 1984 : 52) La construction de compétences professionnelles pour les femmes dans le centre d’appels — de l’accueil téléphonique, de l’information et de l’accompagnement des abonnés — paraît mobiliser des attitudes, des façons d’être, des capacités qui ne font pas nécessairement partie de leur qualification mais qui leur sont attribuées comme des qualifications naturelles. C’est ainsi que se construit une association entre les qualités attribuées au sexe féminin d’une part — la capacité de comprendre, la qualité maternelle de dévouement, la fidélité, le caractère paisible, l’aptitude à accepter des situations de subordination —, et d’autre part les exigences qui renvoient à des qualifications naturelles comme la façon cordiale et discrète de communiquer, la disponibilité dans l’accueil des clients, la volonté d’aider les hommes de l’organisation à gérer les informations, et le respect des routines typiques des pratiques administratives et des règles bureaucratiques (Laufer 1992).
36Nous pouvons finalement nous demander quel est l’héritage laissé à la réalité actuelle du secteur des télécommunications. L’historiographie montre comment, au début du XXe siècle, la jeune génération de femmes a su répondre activement aux discriminations subies sur le lieu de travail et déconstruire la vision classique qui les représente comme travailleuses, comme victimes de l’application des nouvelles technologies dans le système industriel de téléphonie.
37Il existe des différences profondes entre hier et aujourd’hui. En tant d’années, la conquête de nouveaux savoirs avance, la technologie se démocratise. Mais cette démocratisation, déjà effective du côté des usagers, paraît ne pas remettre en cause la division sexuelle du travail traditionnelle au sein des entreprises de télécommunication aujourd’hui. Cela signifie que le processus de démocratisation n’est pas achevé en ce qui concerne l’accès, le traitement et la formation professionnelle des travailleurs, et plus particulièrement des travailleuses. Après toutes ces années, paradoxalement, la ségrégation professionnelle est toujours d’actualité et donne lieu à une concentration des femmes, non plus dans les anciens salons des compagnies téléphoniques, mais dans les nouvelles salles de télévente, dans les centres d’appels. Tout indique que la démocratisation des opportunités redevient l’un des mots d’ordre des revendications des générations actuelles de jeunes travailleuses. C’est pourquoi les caractéristiques des professions ouvertes aux femmes dans le secteur des télécommunications pourraient, encore au XXIe siècle, permettre de reprendre l’ancienne métaphore et de parler de pink collar29.
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Notes de bas de page
1 Syndicat Sinttel-Rio et l’Arquivo de Memória Operária do Instituto de Filosofia e Ciências Sociais da Universidade Federal do Rio de Janeiro (AMORJ/IFCS/UFRJ). L’article a été traduit par Mathilde Mondon (École doctorale Études anglophones, germanophones et européennes, Paris 3).
2 Le téléphone a été introduit au Brésil en 1877. En 1880, la Telephone Company of Brasil s’implante au Brésil. Plus tard, l’entreprise allemande Brasilianische Elektricitats Gesellschaft et plusieurs centrales téléphoniques obtiennent une concession. En 1912, cette firme est absorbée par l’entreprise de capital canadien Brazilian Traction Light & Power. En janvier 1923, la direction de Rio de Janeiro and São Paulo Telephone Company à Toronto, au Canada, décide de changer le nom de la compagnie, qui s’appelle désormais Companhia Telefônica Brasileira, la CTB.
3 Pour Bernard, les trois principes de gestion taylorienne sont les suivants : la stricte division entre tâches manuelles et planification intellectuelle, qui détaille dans ses moindres détails le processus d’exécution ; l’attribution au travailleur d’une tâche spécifique qui doit être réalisée durant sa journée de travail ; la supervision et la surveillance de chaque travailleur afin qu’il exécute les ordres rapidement et précisément.
4 L’élaboration et la diffusion du taylorisme dans le monde du travail à partir de la fin du XIXe siècle aux États-Unis sont brillamment analysées par Coriat (Coriat 1979).
5 Cockburn (Cockburn 1988) pointe le mythe de « l’incompétence féminine » dans des contextes de transformations technologiques continues.
6 Bell Telephone Company of Canada (1880) ; Northern Telephone Company (Ontario ; 1905) ; the Alberta Telephone Company (1907) ; British Columbia Telephone Company Limited (1904). Entre 1911 et 1915, le processus de consolidation de la compagnie Bell Canada se traduisit par l’absorption de plus de six entreprises et l’emploi de 82 % de la main-d’œuvre du secteur. Le nombre de personnes employées dans le secteur a crû considérablement (de 10 425 à 15 072) durant les années qui précèdent la Première Guerre mondiale.
7 “Unions first took hold in western Canada when British Columbia Telephone Company (B.C. Tel) workers joined the International Brotherhood of Electrical Workers (IBEW) in 1901 and 1902. By 1907 the IBEW organized the line-workers at the Alberta Government Telephone system (AGT). The union represented plant workers at MGT seven years later, and operators by 1917.” (IBEW)
8 Dans les journaux de Toronto est diffusée une information selon laquelle les femmes peuvent travailler jusqu’à neuf mois dans le cadre d’une formation non rémunérée (Daily Providence 1902).
9 Les sources de l’auteur sont issues de la consultation de la Bell Company’s Historical Collection (BCHC).
10 Luxton M. définit le « labour of love » comme un ensemble d’activités traversé de contradictions. D’une part, c’est une réalisation importante, nécessaire et susceptible de générer de la satisfaction. D’autre part, ce sont des activités peu valorisées, des travaux isolés qui cristallisent des frustrations. Pour l’auteur, ces caractéristiques complètent les images du travail de mères travailleuses de la classe ouvrière, à savoir le travail domestique (Luxton 1980).
11 Cf. Sise’s Letter, 21 February 1887 (Martin 1988: 151).
12 Cf. Report of Meeting of CF. Sise with Local-managers, 16-17 mai 1887, document #26606, BCHC, 9 (Martin 1988: 151).
13 “The company’s managers decided that “courtesy” and “discipline” were the most important qualities to "perform successfully the duties of... [such] subordinate places” as telephone operators. (Cf. Coyle 1901)
14 Au Canada, l’introduction de la technologie du téléphone s’intègre dans la politique régionale relativement tôt : “the extension of a national telephone system was secured when the federal government asserted legislative control over the telephone system and granted the company a Charter with extensive rights. The charter was introduced into Parliament on February 23, 1880. The Charter gave Bell the right to manufacture telephone and telegraph equipment.” (Babe 1990: 68)
15 Bell imported the methods of Henry Ford, employing vertical integration to maintain control over all aspects affecting the price, quality, and supply of material used in its production process (Canada, 1928a, p. 3134). This also meant employing engineers and “scientific methods” to control the work force.
16 Les syndicats maintiennent une grande distance avec le mouvement de grévistes, car ils considèrent toujours que les femmes sont des membres peu fiables car peu assidus et exécutant des activités peu qualifiées.
17 Report of the Royal Commission on a Dispute respecting terms, Bell Telephone Company of Canada and Operators at Toronto, Ottawa 1907.
18 L’avocat Alexander Mackenzie et l’ingénieur hydraulique Hugh Cooper furent envoyés au Brésil pour choisir le premier capital investi. Mackenzie et Marcelo Mollica Jourdan vendirent des titres à la communauté financière de Toronto pour financer l’entreprise (Mollica 2006).
19 L’expansion s’est construite grâce à des acquisitions. Entre 1914 et 1915, l’entreprise absorbe trois nouvelles entreprises de téléphonie : la compagnie Rede Telefônica Bargantina présente dans 99 villes de la région de São Paulo, Minas Gerais et Rio de Janeiro, la Companhia Telefônica de l’État de São Paulo (villes de São Paulo, Campinas et Santos) et la Companhia de Telefones Interestaduais de Minas Gerais.
20 La Brazilian Traction, Light and Power Company (« Light »), fondée par des entrepreneurs canadiens en 1899, a été responsable de presque toute l’infrastructure (tramway, électricité, téléphone, gaz) de l’axe Rio-São Paulo pendant 80 ans. En avril 1907, la RJ Light absorbe également la compagnie de téléphonie récemment créée, la Brasilianische Elektricitäts Gesellschaft, qui avait un atout intéressant, à savoir une exemption fiscale complète en échange d’une participation de la municipalité de 10 % aux bénéfices (McDowall 1988).
21 L’historien Carvalho José Murilo montre que les ouvriers représentent en 1900 33 % de la population active de la ville de Mexico, 37 % à Lisbonne en 1911, 36 % à Londres en 1912 et 42 % à Buenos Aires en 1914 (Carvalho 2007 : 78 et 153).
22 Au cours de cette période, d’autres opportunités d’emploi pour les femmes font leur apparition : celle d’institutrice, qui se légitime par sa proximité avec la vocation féminine pour la maternité, celle d’infirmière, qui sollicite des savoirs et des connaissances dans le prolongement des soins déjà prodigués par les épouses.
23 Les instructrices chargées de réaliser la formation étaient soigneusement choisies au sein du personnel ayant les meilleures aptitudes et la plus grande expérience de service dans les centres. Elles étaient soumises à une préparation spéciale de deux semaines.
24 Bernard dans son ouvrage souligne comment en 1911 la compagnie British Columbia Telephone fonde la revue mensuelle Telephone Talk où l’entreprise consolide l’image professionnelle de l’opératrice, héroïque du fait de la prestigieuse vocation des « jeunes ladies » : “as telephone operating has truly become a profession, and one of which any Young lady may be proud” (Bernard 1982: 40).
25 Il faut rappeler qu’au Canada comme dans d’autres pays européens, le travail nocturne des femmes est rapidement remplacé par le recrutement d’hommes auxquels n’est pas proposé l’accès aux dortoirs.
26 Nous avons depuis 1929 confirmation de l’existence d’un dortoir pour les téléphonistes/standardistes de nuit. Ainsi, on peut lire l’annonce suivante : « nouveaux hébergements de la station Nord-Rio de Janeiro » : « Le dortoir des standardistes de nuit, qui sert également de chambre silencieuse pour toute employée qui, durant la journée, aurait besoin d’un repos absolu pour toute indisposition momentanée, a aussi été rénové. [...] » (cf. Sino Azul 1929 : 16 et 17).
27 Même durant le processus de redémocratisation, les présidents des entreprises de la CTB, qui devient la TELERJ, sont des militaires.
28 Cf. Castel 1995.
29 Kapp Howe Luise, Pink collar workers, 1978, New York, ed. Avon.
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