Conclusion
La parentalité plurielle dans l’intérêt des enfants
p. 213-220
Texte intégral
1Le concept de parentalité d’accueil est de toute évidence une notion innovante à la fois dans le champ de la protection de l’enfance (Chapon, Neyrand, 2005 ; Euillet, Zaouche-Gaudron 2007 ; Chapon, 2014) mais également au sein de l’espace européen. C’est l’une des clés pour rendre véritablement à l’enfant sa juste place au sein d’un système familial complexe et multiple qui lui échappe. Reconnaître les nécessaires complémentarités familiales d’origine et d’accueil à partir d’une analyse de la parentalité d’accueil, c’est ouvrir la voie aux parentalités additionnelles, aux affiliations possibles existantes dans un dispositif de prise en charge, mais aussi la mise en place d’outils innovants (médiation, programme d’accompagnement parentaux, formation des familles d’accueil, évolution des outils juridiques…) dans l’unique intérêt de l’enfant. Le regard porté par les pays européens sur les prises en charge de l’enfant en accueil familial, nous l’avons vu est changeant, dépendant de l’histoire, de la culture, des politiques familiales adoptées, si bien que les mesures mises en œuvre sont elles aussi différentes. Certaines œuvrent pour maintenir l’enfant au sein de sa parentèle, en développant le placement en famille élargie, d’autres optent pour un placement auprès de familles d’accueil tiers, des professionnels de l’enfance formés, d’autres encore développent un réseau de familles d’accueil adoptives.
2On se rend compte à la lecture de l’ensemble des contributions, la difficulté qui se pose dans chaque pays pour répondre à l’injonction de la CIDE d’agir dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Car même si l’objectif est de poser le cadre de prise en charge sous la forme d’un engagement réciproque des parties, d’un contrat tacite afin de tout mettre en œuvre pour préserver le bon développement de l’enfant dans un environnement familial sécurisant et bienveillant, on voit que les réponses apportées diffèrent et qu’il est parfois difficile de tenir l’engagement. En effet les études montrent les risques pathogènes encourus chez l’enfant confié lors de rupture brutale, rapide et non préparée (Oned, 2013), des difficultés émotionnelles que peuvent rencontrer ces enfants (Biehal, Sinclair, Wade, 2015).
3Pecora et al., (2009) considèrent que le système de services destinés aux enfants, aux adolescents et aux familles vulnérables se caractérise par sa finalité première, qui consiste à protéger les enfants contre toutes les formes de préjudice, et par deux finalités secondaires, préserver les unités familiales existantes et promouvoir le développement des enfants afin qu’ils puissent vivre de façon autonome et réussir leur intégration dans la communauté. Ces mêmes auteurs rapportent que l’on voit émerger le souhait de parvenir à un meilleur équilibre entre les priorités en protection de l’enfance, et le soutien à la famille, aussi bien pour des questions d’efficacité des interventions que pour les dispositions se référant aux réglementations internationales (Premoli, 2016).
4Dans cette perspective, le croisement des contributions fait apparaître plusieurs points : le bien-être, la sécurité et la stabilité des enfants et des adolescents confiés, la démarche de soutien à la famille d’origine, la stabilité de la mesure choisie, la reconnaissance des possibles attachements pluriels au sein des familles d’accueil. Aux fins de la réflexion qui fait l’objet de cette publication, ces objectifs semblent être étroitement reliés entre eux. En effet, l’approche du système de protection de l’enfance est en train de changer, pour passer « d’une conception unidimensionnelle à une conception multidimensionnelle de l’intervention » (Milani, 2009 : 26) qui met en évidence un déplacement de l’attention de la protection de l’enfant maltraité à la protection des liens et au bon traitement de la famille dans son ensemble, en prévoyant un maximum d’implication des parents eux-mêmes dans les projets d’intervention (Grietens et al., 2007 ; Pourtois, Desmet et Nimal, 2000).
5Les interventions s’adressant aux enfants, adolescents et familles vulnérables se transforment, par l’évolution de l’idée de tutelle du mineur et de prévention de la maltraitance infantile vers une idée de « bientraitance » des familles et des liens familiaux (Premoli, 2016, Pourtois et Desmet, 2002 ; Sellenet, 2007) ; de l’antithèse des intérêts des mineurs et de la famille vers le “family focus in child and welfare”, aux pratiques d’intervention centrées sur la famille (Parton et Mathews, 2001 ; Allen et Petr, 1998) et sur les services orientés à sa tutelle (“family preservation services”) (Maluccio, 1981 ; Pecora et al., 2000 ; Schuerman, Rzepnicki et Little, 1994).
6Pour les professionnels du secteur, il semble aujourd’hui essentiel d’adopter une perspective écologique et systémique de la famille (Bronfenbrenner, 1986 ; Dunst, Trivette et Deal, 1988 ; Hoffman, 1984 ; Whittaker et Garbarino, 1983). Nous pouvons donc affirmer que la meilleure façon de protéger un enfant est de pouvoir lui restituer des parents plus compétents (Premoli, 2016).
7Allen et Petr (1996) identifient cinq principes de base des pratiques axées sur la famille :
Prendre soin de la famille comme unité d’attention : les relations familiales doivent être sauvegardées chaque fois que cela est possible et les services doivent se concentrer sur le système familial plutôt que sur les individus ;
Établir une bonne collaboration entre famille et professionnels : les services produisent en effet des interventions plus efficaces si elles peuvent développer des contextes relationnels respectueux ;
Respecter les choix de la famille : les familles doivent être accompagnées, par le biais d’un processus d’autonomisation, pour devenir capable de prendre des décisions au sujet de leur propre situation ;
D’améliorer et de mettre à profit les points forts de la famille : les ressources internes et externes de la famille et de leurs communautés sont évaluées et intégrées dans le projet cadre ;
Développer des services individualisés, c’est à dire flexibles et attentifs aux spécificités de chaque famille.
8La famille d’accueil vise à promouvoir des formes de soutien dans les situations difficiles, pour répondre aux besoins de défense et de protection des enfants et de ses relations familiales, en favorisant le développement équilibré des enfants dans le cadre de leur environnement familial et social, en permettant d’expérimenter des modèles de soutien à la parentalité et d’implication des membres de la famille eux-mêmes dans le parcours d’aide (selon les pays), en offrant une famille accueillante qui soit en mesure de représenter une ressource pour l’enfant, sans pour autant s’opposer à la famille d’origine, mais bien au contraire en la soutenant, en harmonie avec les professionnels impliqués dans la décision d’opérer un changement de perspective qui l’aide à confier temporairement leur enfant à la famille d’accueil.
9Une fois délimité cet horizon, il semble évident que la construction de la parentalité plurielle représente un point de convergence pour promouvoir le bien-être de l’enfant, sécuriser son parcours et travailler au probable retour de l’enfant au domicile parental ou à une stabilité de son accueil dans sa famille d’accueil (Oned, 2013, Chapon, Siffrein-Blanc, 2017). Pour un enfant, l’expérience d’avoir deux familles et, par conséquent, une pluralité de parents est une expérience atypique, qui a priori n’est pas choisie par l’enfant, même si elle est le résultat de séparations et de divorces, qui représentent aujourd’hui des événements qui n’ont rien d’inhabituels. Pour que cette expérience singulière de liens multiples produise des effets positifs sur l’enfant, il est nécessaire que les deux familles ne soient pas perçues comme des sujets en opposition, afin d’éviter les conflits de loyauté possibles. La complexité inévitable dans la gestion de cette double appartenance ne doit pas aboutir à un déchirement, de manière à faire germer une double compétence. Par double compétence, on entend la possibilité pour l’enfant de se bâtir des compétences affectives plurielles, comme un héritage des attachements multiples qu’il a eu l’occasion de développer au cours de son parcours en famille d’accueil, en continuité avec l’histoire familiale à laquelle sa naissance est liée. L’enfant vit son présent dans sa famille d’accueil tout en poursuivant son histoire familiale d’origine de façon singulière, en reconnaissant la nécessaire complémentarité des deux familles pour son bien-être.
10La lecture des différentes contributions atteste la possibilité de faire sédimenter certains apprentissages particulièrement significatifs en matière de parentalité plurielle.
11Le parcours du placement en famille d’accueil vise à construire une alliance si forte et si claire entre les deux familles que la famille d’origine, qui pourrait au début se sentir menacée et en compétition avec la famille d’accueil, pourrait ainsi devenir capable de saisir une opportunité de croissance et de bien-être pour l’enfant, de vivre temporairement dans une autre maison. Probablement, cette idée condense en elle le sens le plus profond de la coparentalité comprise comme une authentique relation de coopération et de coresponsabilité dans l’intérêt de l’enfant (Chapon, 2014). La parentalité plurielle se construit dès les premières phases du processus, comme l’a montré Nuria Fuentes-Peláez (2015). En ce sens, une communication claire représente une base indispensable dans la relation à construire avec les familles. Les objectifs doivent être transmis (ou négociés) de manière précise, (soutien aux activités quotidiennes, soutien scolaire, etc.). Il est important d’aborder avec les parents les questions liées aux préoccupations soulevées par les indicateurs éventuels de négligence et / ou de mauvais traitements signalés par l’école ou par d’autres acteurs sociaux. Il ne s’agit pas là d’une question purement éthique, mais d’une question fonctionnelle. Il est évident qu’une communication claire implique plus de risques ou de probabilités de conflit, de rejet ou de défense, mais elle constitue le seul moyen d’atteindre des objectifs significatifs de changement dans les systèmes familiaux. En même temps, la clarification des motivations, des objectifs et des modalités de l’intervention, sans pour autant éviter l’opposition, permet de réduire l’anxiété du parent face à l’incertitude et de l’aider à faire face à la réalité (Knowles, 1997). Cela peut protéger ne serait-ce qu’en partie l’enfant du fait de se sentir responsable de l’intervention de protection à l’égard de sa famille. Dernier point, cela fait table rase des pensées indicibles et des périodes d’attente que les opérateurs ne peuvent pas ou ne doivent pas traiter avec les parents, en perdant ainsi la possibilité d’activer des transformations à partir des difficultés concrètes qu’ils peuvent rencontrer. La clarté est une condition nécessaire à la construction d’une relation basée sur la confiance. Comme on le sait, la présence d’une relation de confiance est un facteur déterminant pour la réussite des interventions (Dore et Alexander, 1996).
12Toutes les phases de placement en famille d’accueil doivent être soigneusement préparées et suivies, comme nous allons le rappeler ci-après : la combinaison entre l’enfant et la famille d’accueil, en tenant compte des caractéristiques de la famille d’origine ; les visites et les contacts entre celle-ci et l’enfant pendant toute la durée du placement en famille d’accueil ; tout autre aspect significatif pour la construction du futur regroupement ; le contrôle et le suivi de la première phase du regroupement familial.
13D’un autre côté, les familles d’accueil doivent être aidées, depuis la sélection et la formation initiale, à se penser comme des « gardiens de la relation » entre l’enfant accueilli et la famille d’origine même si dans de nombreux pays on constate des résistances de la part des institutions.
14Certaines compétences particulièrement importantes doivent être soutenues et développées :
Montrer aux enfants la réalité de vie de leurs parents, qui par le passé ne les voyait pas, ne s’en occupait pas (Premoli, 2016) ;
Améliorer les « petites » compétences inattendues, qui sont présentes chez les parents d’origine ;
Voir, découvrir et montrer l’affection qui existe, chez le parent envers son enfant ;
Construire une alliance pour le bien de l’enfant.
15En ce sens, il est possible d’emprunter aux études interculturelles de Perregaux (2002 ; 2007) le concept « d’espace d’intercompréhension » entre famille d’origine et famille d’accueil, mais aussi entre les familles et les services sociaux et éducatifs. Il s’agit d’un espace à construire et à contrôler, où la réunion pourrait avoir lieu, l’explication d’idées et de positions, la négociation, afin notamment de favoriser l’émergence d’une alliance entre les familles, l’implication de la famille d’origine à la prise de décision, la participation active et coresponsable des familles aux interventions. Il est impératif d’identifier cet espace de convergence entre les deux familles, un terrain d’entente à partir duquel établir une vision partagée sur l’avenir de l’enfant. La recherche réalisée en France sur la question des liens en famille d’accueil par Chapon, Neyrand, et Siffrein-Blanc (2017, 2018) propose dans ce sens de renforcer une justice consensuelle et collaborative en instaurant une « démocratie familiale » (Fize, 1990 ; Neyrand, 2009) par laquelle le consensus est privilégié, en usant davantage des outils de médiation qui vont permettre de pacifier les relations. Le plus important pour faire adhérer les familles est de les impliquer, notamment par le biais de la médiation familiale. La technique de médiation familiale est mise en exergue dans le 9e rapport de l’Oned (2014), une médiation intra-familiale certes, mais aussi extra-familiale. Cet outil devrait être préconisé dans l’ensemble des pays européens, quelle que soit leur histoire de prise en charge de l’enfance et de la famille, même si les pays où la parentèle est davantage sollicitée (Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas…) lors de développement de programme de compétences parentales (Espagne, Italie, Flandre). L’ensemble des travaux européens montre que les mesures de retour de l’enfant dans sa famille d’origine doivent faire l’objet d’un accompagnement spécifique, d’un soutien à la parentalité, d’un retour accompagné et soutenu qui a lieu le plus souvent lors des prises en charge de courte durée (Biehal, Ellison, Baker, Sinclair, 2010). Les travaux montrent aussi que la réussite des retours des enfants en famille d’origine se fait le plus souvent grâce à un soutien à la parentalité, et à une relation d’entraide qui a pu se développer entre la mère d’origine et l’assistante familiale (Chapon, 2014).
16À la lecture de ce riche panorama européen des politiques de protection de l’enfance et des mesures de prises en charge de l’accueil de l’enfant confié, nous constatons une similitude des défis à relever au niveau européen, tant au niveau du choix des mesures, de leur évaluation, des difficultés rencontrées, que celui de la question de l’affiliation de l’enfant aux différentes figures parentales d’origine et d’accueil. Si la posture dominante est de privilégier le maintien des liens d’origine, et de favoriser le retour de l’enfant dans sa famille, elle s’accompagne de la nécessité de développer des programmes de développement de compétences parentales, un soutien à la parentalité, et d’une nouvelle reconnaissance de la place des familles d’accueil.
17Ainsi au-delà du soutien et de la collaboration, il conviendrait aussi de renforcer la responsabilisation des acteurs pour conduire à un accord collectif co-construit avec une adhésion et un véritable engagement des parents d’origine, notamment en proposant une nouvelle mesure conventionnelle : l’accueil conventionnel homologué, c’est-à-dire la mise en place d’un contrat de longue durée co-construit entre les parents et l’autorité administrative, dont la durée serait décidée en amont par les parents. Les éléments fondamentaux du contrat d’accueil seraient établis de façon collaborative avec l’équipe, la convention s’inscrirait dans une logique d’engagement réciproque (Chapon, Siffrein-Blanc, 2017, 199). Cette proposition que l’on retrouve dans la dernière recherche française sur la question des liens en accueil familial répondrait dans de nombreux pays, dont la France, à la nécessité de sécuriser les lieux de placement notamment pour les placements de longue durée, en permettant à l’enfant de s’installer dans sa famille d’accueil et de tisser des liens en toute sécurité et de façon pérenne jusqu’à sa majorité comme cela est préconisé dans de nombreux travaux européens (Rowe & Lambert, 1973, Ward & Skuse 2001, Schofield 2002, Schofiel & Ward 2011, Reimer 2009, Biehal, Ellison, Baker, Sinclair, 2010, Tapsfield 2011, Vanderfaeillie, Damen et al., 2016).
18L’allongement de la prise en charge des enfants confiés, avec des placements qui durent toute leur enfance et leur adolescence, nécessite de sécuriser les parcours des enfants, en évitant les ruptures de prise en charge et la multiplication des lieux de placement, en reconnaissant les liens d’attachement pluriels au sein des familles d’accueil. La Cour européenne des droits de l’homme a opéré une interprétation extensive de la notion de « vie familiale » afin de rendre compte de la diversité des modèles familiaux. La Cour a considéré que les liens tissés par des tiers avec un enfant, sans lien de parenté, pouvaient être protégés par l’article 8 de la Convention1. Ainsi dès lors que l’on se trouve dans une relation d’attachement réciproque (relation constante et effective, cohabitation des membres), la Cour recommande aux États de protéger les relations familiales au-delà de la famille d’origine, en l’ouvrant aux familles d’accueil. Cette reconnaissance des liens noués se traduit en France dans certains départements par une priorité accordée à la famille d’accueil d’adopter l’enfant accueilli devenu pupille de l’état.
19Comme nous l’avons vu, à la question très sensible de l’analyse de la parentalité d’accueil, des réponses multiples se dégagent. L’enjeu aujourd’hui à partir des évaluations fines des situations de chaque enfant et de chaque famille, dans le cadre de l’élaboration du projet de vie pour l’enfant, est aussi de reconnaître les nouvelles attaches développées par l’enfant et les familles d’origine et d’accueil.
L’analyse nous conduit à repenser les liens intrafamiliaux d’accueil, à reconnaître la parentalité d’accueil, à favoriser la co-parentalité entre la famille d’origine et la famille d’accueil en mettant au cœur du projet l’enfant. (Chapon, Neyrand, Siffrein-Blanc, 2017).
20Reconnaître l’une et l’autre famille, renaître à une pluralité des liens constitutive d’une nouvelle affiliation de l’enfant est une nécessité. C’est aussi accepter pour l’enfant ce qui se vit, ici et maintenant, ailleurs que dans sa famille d’origine.
Notes de bas de page
1 Se référer à l’analyse juridique réalisée dans l’ouvrage Chapon N, Neyrand G, Siffrein-Blanc C, (2018), Les liens en accueil familial, Erès, et que l’on retrouve dans l’arrêt CEDH, X, Y et Z c. Royaume-Uni du 22 avril 1997.
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Parentalité d’accueil en Europe
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