1Le Système de Protection de l’Enfant en Espagne s’occupe des enfants dont les parents ne peuvent pourvoir à leurs besoins et qui présentent un risque élevé de mauvais traitement ou de négligence2. Habituellement, les familles sont évaluées par le système de protection de l’enfance après l’assistance par les services sociaux notamment des services de soins primaires qui sont concentrés sur la prévention du problème et tentent la préservation familiale. Dans d’autres cas, les familles sont renvoyées directement vers le système de Protection de l’enfance à cause de situations familiales spécifiques de mauvais traitements.

2Après la première étape d’évaluation, la seconde est la mise en place de la mesure de placement et la prise en charge de l’enfant. La mesure aborde les faiblesses du rôle parental et les questions de négligence pour aider la famille à établir un cadre pour le bien-être de l’enfant en fournissant une série de mesures d’assistance. Ainsi, ce processus inclut un ensemble d’interventions pour répondre aux questions de négligence soulevée au sein du contexte familial, entre les parents et l’enfant. Dans cette mesure de prise en charge, les options de placement sont établies quand est exigé « du soin à domicile ». En Espagne, 35045 enfants se retrouvent pris en charge dans un système de protection d’enfant en 20133. 38,2 % des enfants sont placés en établissement et 61,8 % sont en famille d’accueil. La plupart des enfants placés en famille d’accueil se trouvent dans le réseau de la parenté (74 %) et le reste dans les familles d’accueil non apparentées (26 %)4.

3À l’heure actuelle, on constate que lors des interventions des services de protection de l’enfance en Espagne, les familles sont les destinataires involontaires des services et que la plupart des interventions des services de Protection de l’enfance fonctionnent sur la base de l’intervention individuelle et sans l’implication des parents et des enfants. Ces pratiques sont très éloignées de ce que propose la Recommandation Rec (2006) 19, du Comité de Ministres aux États membres sur la politique de soutien positif au rôle parental dans les situations d’exclusion sociale, qui recommande de :

Former les professionnels et les parents ensemble pour réaliser une connaissance mutuelle et une compréhension, pour construire un projet commun dans l’intérêt supérieur de l’enfant, pour mieux comprendre ce que les familles éprouvent et mieux connaître leur projet familial, en vue de mieux adapter les pratiques des professionnels.

4Étant donné cette réalité quatre défis sociaux sont évidents :

• Éviter la séparation de l’enfant à ses parents en s’efforçant de préserver la famille par un soutien ;

• Si la séparation est nécessaire, réduire le temps de séparation (des enfants dans le soin) ;

• Aider la réunification ; en créant les conditions pour un engagement participant des parents et des enfants.

5Dans ce contexte nous voulons comprendre ce que les parents et les enfants éprouvent, particulièrement dans cette phase sensible de l’intervention, quand la famille a surmonté ses problèmes et s’est réunie.

Faire face aux défis du système de protection d’enfant en Espagne

6Les données présentées font partie de deux grands projets de recherche sur « Les enfants dans les services de protection d’enfant : un processus socio-éducatif » et « La famille biologique dans le système de protection de l’enfance : processus éducatifs ».

7Nous nous sommes intéressés aux expériences des familles qui avaient récemment été réunies par un processus de réunification ou qui étaient sur le point de le vivre, puis nous avons identifié les aspects les plus pertinents de ce processus. En fait, c’est le premier pas d’un plus large projet de recherche-action qui vise à soutenir des familles dans un processus de réunification. Donc, la première étape est d’identifier des besoins, la deuxième étape doit aider les familles au changement par la mise en place d’un programme éducatif.

8Nous allons nous concentrer sur la première étape.

9La recherche a été effectuée dans quatre régions espagnoles (la Catalogne, des Îles Baléares, Cantabria et la Galice). Cette recherche a impliqué des professionnels et des familles, aussi bien que des enfants. L’échantillon comprend 63 professionnels, 42 parents et 30 enfants et adolescents. Toutes ces familles, au moment de la collecte des données, ont montré une attitude positive et ouverte à la collaboration avec les professionnels, elles comprennent des caractéristiques démographiques (l’âge, la structure familiale, nb d’enfants) très variables et leurs enfants ont entre 12 et 20 ans. Les professionnels qui ont participé à la recherche où les membres de l’équipe de protection d’enfant sont des psychologues, des assistants sociaux, des éducateurs sociaux et des pédagogues.

10Cette recherche-action a demandé un contact direct avec les systèmes de Protection de l’enfance et des professionnels de la Protection de l’enfance dans toute l’Espagne pour établir une collaboration et donner l’accès aux parents et aux enfants.

La méthodologie

11Les données ont été rassemblées en utilisant une approche qualitative. Il y a eu 23 groupes de discussion, 18 entretiens avec des parents et des adolescents ont été effectués. Les groupes de discussion ont été utilisés pour rassembler les avis des participants. Cette démarche aide les parents à développer une conscience de la situation. Ces groupes de discussion duraient environ 2 heures. Des entretiens plus informels ont été planifiés pour des adolescents, puisque l’on recommande une rencontre moins structurée pour cet âge. De façon exceptionnelle, deux parents ont été interviewés séparément des groupes parce qu’ils ont demandé à ne pas participer aux groupes de discussion. Dans tous les cas, les questions éthiques ont été soulevées et les données ont été enregistrées avec le consentement de tous les participants.

Les résultats

12Que sont les premiers résultats ? Quels besoins les parents et les enfants expriment-ils pour vivre avec succès le processus de réunification familiale ?

13Nous avons analysé les demandes et nous avons trouvé quatre étapes progressives du processus de réunification :

• Communication au sujet de l’intervention de protection de l’enfant (dorénavant CPI) ;

• Visites et contacts ;

• Préparation pour réunification ;

• Premiers jours à la maison.

1^re phase : Communication au sujet de l’intervention de protection de l’enfant (CPI)

14La première phase de communication au sujet de l’intervention se densifie quand nous savons que les enfants seront temporairement séparés des parents, parce que la situation de négligence ou d’abus est trop sérieuse pour une coexistence saine avec leurs parents. C’est un temps critique et douloureux dans lequel une mesure protectrice d’intervention est établie et l’enfant est placé temporairement dans une autre famille ou dans un établissement.

15Notre analyse a constaté que les familles et les enfants ont besoin de plus d’informations sur la mesure CPI. Les parents sont en état de choc quand ils traversent cette phase, ce qui ne leur permet pas de comprendre et d’assimiler les informations. Aussi, la majeure partie des enfants interrogés estiment qu’ils auraient eu besoin de plus d’informations. Les résultats fournissent la preuve de deux situations très différentes :

• De moins en moins de placements sont associés aux comportements problématiques de l’enfant, les enfants prennent conscience du problème. Dans ces situations, ils sont aussi capables d’identifier les éléments de leur comportement qui ont ajouté aux difficultés initiales de leurs parents ;

• Quand les causes de la vulnérabilité sont la conséquence de problèmes familiaux, beaucoup d’enfants ne connaissent pas la raison pour laquelle ils ont été séparés de leurs parents ;

Quand les enfants ne connaissent pas le motif de la séparation et n’ont pas connaissance du CPI, ils ressentent une anxiété plus grande à l’égard de la mesure de placement.

16Être conscient du problème et comprendre ainsi les raisons de la séparation familiale et la mesure de placement, signifient que les familles ont besoin d’une meilleure communication afin d’appréhender les vrais problèmes et les raisons du placement hors du foyer. L’impact du placement sur les enfants doit être compris par les parents et les professionnels qui doivent s’assurer que les enfants ont aussi intégré les véritables raisons.

17Finalement, nos données soutiennent la littérature scientifique, qui met en évidence dans cette phase que les familles doivent être motivées pour changer et s’impliquer pendant et après la réunification. Il est important que les parents soient conscients de la situation et qu’ils mettent tous leurs efforts et leur engagement pour pouvoir vivre à nouveau avec leurs enfants. L’attitude de la famille face au placement peut influencer le processus de réunification ; il a été prouvé qu’une acceptation résignée de placement hors du foyer n’est pas un bon indicateur de réunification, tandis que les familles qui réagissent initialement contre cette mesure peuvent transformer cette crise en moteur de changement.

2^e phase : Les visites et les contacts dans la deuxième phase

18Quatre questions de base liées aux besoins sont apparues :

• L’importance de contact entre parents et enfants en maintenant des visites régulières ;

• Les familles se sentent gênées à cause de la surveillance des professionnels pendant les visites, les pères et les mères se sentent contrôlés par les professionnels ;

• L’importance de fournir un cadre structuré pendant les visites a afin de permettre l’expression d’un attachement. À de nombreuses occasions, nous avons vu que lors de visites se déroulant dans un centre ou dans un espace neutre, se présentait des difficultés à établir une relation confortable et saine entre les parents et l’enfant. Les visites peuvent devenir « un temps d’interrogation » pendant lequel les parents demandent constamment aux enfants ce qu’ils ont faits, une façon pour les parents de chercher des informations sur la famille d’accueil, c’est aussi un espace dans lequel ils apportent toujours des cadeaux aux enfants ;

• Les familles pourraient aussi aborder le besoin qu’ils ont de partager un sentiment d’identité familial commun, qui les aiderait à avoir une certaine stabilité et une cohésion familiale.

19Quant aux enfants, les résultats indiquent que la gestion émotionnelle est un élément important. Les résultats montrent que quelques enfants profitent des visites mais pour d’autres cela induit une grande instabilité émotionnelle, surtout pour les plus jeunes enfants. La présence d’ambivalence dans les sentiments et les émotions chez les enfants est évidente. Ils éprouvent des sentiments à la fois d’amour et de colère envers leurs parents en même temps. Toutefois, les enfants gardent des contacts avec leurs parents, malgré des situations de mauvais traitement.

20Les enfants doivent pouvoir s’exprimer librement et calmement. Ils doivent avoir connaissance des transformations, des changements et des améliorations faites par leurs parents en vue de leur réunification. Ils doivent savoir si leurs parents reconnaissent leurs besoins et les soutiennent. Il est important aussi de discuter de leur avenir avec eux avec réalisme afin de leur permettre d’être pro-actif. Les enfants identifient leur éducateur social de référence comme un support pour eux afin de faire face à leurs émotions liées notamment aux visites avec les parents.

3^e phase : Préparation à la réunification

21Cette phase est la dernière pour la famille d’origine avant que leur enfant ne rentre à la maison. C’est une étape où les visites augmentent et où le retour est déjà prévu pour les enfants, qui passent progressivement plus de temps au domicile parental : un jour, un week-end, les vacances. Les familles estiment important d’avoir un soutien formel dans cette étape, en utilisant le réseau de service social pour soutenir cette adaptation, aussi bien que d’avoir une bonne coordination avec les autres services comme les écoles, les docteurs, etc. Elles apprécient aussi le soutien et leur relation avec le travailleur social. Le maintien de la communication constante avec les professionnels donne le soutien nécessaire pour aborder les inquiétudes et la crainte d’échouer de nouveau.

22Après une période durant laquelle les parents n’ont pas pu pratiquer leurs compétences parentales, ils ont besoin de conseils pour créer et organiser un environnement structuré. Ces conseils soutiennent le rôle parental et adaptent les besoins des enfants qui sont essentiels pour les familles. C’est important pour les familles de s’adapter, d’être flexible à la situation et de savoir traiter ces préoccupations. Elles le vivent de façon positive et avantageuse pour elles et leurs enfants, et elles prennent confiance, se sentent capables et autonomes pour gérer cette situation. Aussi, pour les enfants confiés, du moment où ils savent qu’ils retourneront chez leurs parents, ils expriment le besoin de communiquer avec leurs parents, avec d’autres enfants et des professionnels durant cette phase de réunification.

23Un autre élément important est de savoir gérer les espérances et les émotions quand il y a un retour au domicile parental. Dans ce processus, les enfants ont besoin de soutien pour accepter les sentiments contradictoires qui peuvent surgir pendant la réunification. Les sentiments de bonheur en même temps que ceux de colère, d’anxiété et de tristesse apparaissent. Ils voient aussi l’éducateur social comme un repère significatif de soutien émotionnel dans ce processus.

4^e phase : Les premiers jours à la maison

24Quand les enfants rentrent à la maison et qu’ils vivent la réalité de la réunification familiale, il y a une période de réadaptation intense. Les familles passent une période de « lune de miel » où ils ne peuvent pas identifier les difficultés qu’ils éprouvent. Il est important de reconnaître les besoins de cette nouvelle cohabitation familiale : le soutien formel par la continuité de l’intervention et le suivi sont nécessaires.

• Le soutien formel et le réseau informel sont fondamentaux. La recherche réalisée par Paola Milani montre toute l’importance du soutien de familles volontaires vers d’autres familles qui ont besoin d’aide dans l’exercice de leur rôle parental ;

• La surveillance et la continuité de l’intervention sont le meilleur mécanisme pour éviter de répéter des modèles précédents et des comportements à risque dans les familles quand la famille est réunie de nouveau ;

• Le soutien et le suivi sont nécessaires dans la phase de retour pour permettre que le placement hors du foyer ne soit pas répété. Le défi lié au changement dans le processus de réunification est un aspect à mettre en évidence, les parents doivent regagner leurs responsabilités quant au bien-être de leurs enfants. Ils doivent accepter et reconnaître que leurs enfants ont changé tandis qu’ils n’étaient pas à la maison, reconnaitre leurs sentiments et chercher l’aide quand c’est nécessaire.

25Dans les premiers jours à la maison, il a été observé que les enfants reconnaissent qu’il y a eu un progrès fait dans leur situation familiale. Dans le moment de la réunification, des émotions différentes s’expriment. Par exemple, le ressentiment envers leurs parents à cause de la situation, la tristesse de laisser la famille d’accueil, etc. Les enfants ont beaucoup de mal à contrôler leurs émotions. Dans ce moment, comme dans les autres étapes, l’enfant perçoit leurs éducateurs comme des personnes soutenantes vers lesquelles ils peuvent se tourner, qui leur offrent des conseils et les aide à gérer leurs émotions. Il est important de maintenir ce support social qu’ils ont reçu des services de protection de l’enfance et des travailleurs sociaux, mais aussi des amis. Les enfants ont besoin de l’acceptation de leurs parents et de leur compréhension pour maintenir ces liens.

Conclusion

26Des besoins spécifiques des parents et des enfants apparaissent dans chaque phase du processus de réunification : la communication de l’intervention de protection de l’enfant (CPI), les visites et les contacts, la préparation pour la réunification, les premiers jours à la maison. Les implications dans les pratiques sont claires, un travail spécifique est nécessaire pour fournir :

• Des informations plus claires pendant le processus, avec une attention particulière pour les enfants ;

• Des outils pour les familles pour mieux gérer leur temps ensemble (par exemple des visites) ;

• Une aide pour gérer les sentiments, les émotions et les espoirs pendant toutes les phases du processus de réunification ;

• Développer des mécanismes de soutien pour les parents et les enfants, tant formels qu’informels avec une attention spéciale pour le rôle de l’éducateur social et des familles de soutien volontaire.

27Ces implications dans les pratiques ont été prises en compte dans la conception du programme d’aide dans le processus de réunification en Espagne.