La parentalité d’accueil, une analyse de 9 pays européens
p. 21-47
Texte intégral
1Le Comité des droits de l’enfant considère que le terme famille inclut « toute une série de structures permettant d’assurer la prise en charge, l’éducation et le développement des jeunes enfants, dont la famille nucléaire, la famille élargie et d’autres systèmes traditionnels ou modernes fondés sur la communauté, pour autant qu’ils soient compatibles avec les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant1. » Bien que cette définition ouverte de la famille ne soit pas explicitement reconnue dans les textes internationaux, elle laisse toutefois la possibilité d’une évolution dans l’ensemble des pays, et confère aux travaux scientifiques dans le champ de la parentalité d’accueil de larges possibilités. Chaque pays s’inscrit dans un système familial rattaché à des normes, des valeurs et des cultures propres, qui l’orientent vers une politique familiale et une prise en charge des familles et des publics vulnérables spécifiques. Des différences majeures mais aussi des similitudes sont alors observables entre les différents dispositifs de protection de l’enfance et des politiques mises en œuvre au sein des pays européens. Nous proposons d’apporter un nouvel éclairage sur la question de la protection de l’enfance au niveau européen, de mieux comprendre les dispositifs existants, les orientations choisies selon les pays et réfléchir au concept de parentalité d’accueil en Europe.
2Tout d’abord nous aborderons les différents travaux français sur la question de la parentalité, la parenté sociale (Cadoret, 2001) et la parentalité d’accueil (Chapon, 2003, 2014) puis nous questionnerons les cadres législatifs, historiques, et ceux de la pratique en protection de l’enfance, plus particulièrement de l’accueil familial dans 9 pays européens2.
La démarche mise en œuvre
3Neuf pays européens sont présentés et analysés à partir des dispositifs mis en place en protection de l’enfance et en accueil familial. Il s’agit de la France, le Luxembourg, la Suisse, l’Allemagne, la Belgique, l’Espagne, l’Italie, les Pays-Bas et l’Angleterre.
4Notre propos n’est pas de réaliser un historique des politiques familiales de l’ensemble des pays, ni d’opposer les conceptions de chacun, l’histoire de l’accueil familial et donc de l’enfance confiée est complexe dans chaque pays. Face à la diversité de l’histoire du placement des enfants, des pratiques de prise en charge, des textes de lois légiférant les procédures d’accueil et d’adoption d’un enfant, le statut des accueillants familiaux professionnels ou bénévoles, de l’organisation de l’accueil des enfants, de la prise en compte des droits de l’enfant et/ou des droits des parents, la démarche de comparaison exhaustive s’avère difficile. Notre propos consiste essentiellement à mieux comprendre les choix et les enjeux présents dans chaque pays en matière d’accueil familial en nous focalisant sur la question des relations affectives et de la mise en œuvre de la parentalité d’accueil.
5Afin de réaliser ce travail d’analyse comparative, nous avons sollicité plusieurs sources, d’une part les professionnels de l’enfance des différents pays membres d’APFEL en leur proposant un questionnaire sur la parentalité plurielle comprenant un ensemble de 30 questions regroupées en trois sections sur l’institution, les parents, et la famille d’accueil.
- L’institution : l’organisation de l’accueil familial, les raisons du placement, le soutien aux parents ;
- Les parents : la place des parents dans l’accueil de l’enfant, le maintien du lien avec les parents, la fratrie, la famille élargie, l’évolution des compétences parentales ;
- La famille d’accueil ou l’accueillant familial : le statut des accueillants, la notion de profession, les liens d’attachement entre l’enfant et la famille d’accueil, la parole de l’enfant.
6En complément de cette approche, nous avons également mené un travail de lecture approfondie d’études, de rapports, de conférences d’experts de l’ensemble des pays concernés. L’analyse consécutive de tout le matériel rassemblé, hétérogène selon les pays en termes de qualité et de quantité d’informations.
7Nous présenterons 9 monographies des pays concernés qui seront ensuite dévellopées par un expert national dans la suite de l’ouvrage :
- La France dont le système de protection est basé sur le maintien des liens d’origine ;
- Le Luxembourg partagé entre le maintien des liens d’origine et la reconnaissance de l’importance des liens d’affiliation pour un développement harmonieux de l’enfant ;
- La Suisse qui bascule d’un modèle substitutif à un modèle supplétif de l’accueil familial ;
- L’Allemagne, où l’accueil familial est en chemin vers une stabilisation des parcours ;
- L’Espagne, où on privilégie la famille d’accueil élargie tout en s’ouvrant aux autres familles ;
- L’Italie dont les systèmes de protection sont centrés sur l’enfant et sa famille d’origine ;
- La Belgique à la fois la Flandre et la Fédération Wallonie-Bruxelles qui rejoint le positionnement de l’Espagne et de l’Italie ;
- Les Pays-Bas qui a une posture proche de celle de l’Espagne et de la Belgique avec un placement fort présent dans la famille élargie et chez les grands-parents ;
- Puis l’Angleterre où l’évolution de la législation a mené à privilégier la stabilité d’une famille et des liens affectifs autour de l’enfant à protéger. Ainsi, l’adoption d’un enfant après sa protection est conçue comme une mesure apportant la stabilité.
8Dans cette perspective, nous analyserons pour chaque pays, les mesures de soutien à la parenté d’origine, les dispositifs d’accueil de l’enfant, et les mesures adoptées en accueil familial, en questionnant la parentalité d’accueil. Nous tenterons une comparaison de l’ensemble des dispositifs dans un cadre européen avec pour objectif de mieux cerner les modèles familiaux existants, les idéologies sous-jacentes et la mise en œuvre de la parentalité d’accueil. Analyse comparative qui permettra d’apporter des éléments de réflexion au débat actuel sur les relations au sein des familles d’accueil et de la question de la parentalité d’accueil.
9Afin de mieux comprendre le positionement des pays en accueil familial, nous avons réalisé un schéma comprenant 2 axes.
10Sur l’axe horizontal, on retrouve l’ensemble des mesures de prise en charge en accueil familial, qui vont d’un placement en famille d’accueil élargie, à un placement en famille d’accueil non apparentée à une adoption possible par celle-ci.
11Sur l’axe vertical, on représente les orientations du droit en vigueur selon les pays, des orientations qui vont dans le sens des droits des parents ou des droits des enfants. Nous reprenons ici l’analyse faite sur la question de la politique familiale mise en œuvre selon les pays qui oriente les mesures de prises en charge et les lois en vigueur :
- Soit pour un maintien de l’enfant au domicile ou un retour rapide de celui-ci dans sa famille d’origine ;
- Soit vers une sécurisation de l’accueil et le choix d’offrir à l’enfant une nouvelle famille, dans son intérêt avec un délai fixé de prise en charge et une évaluation des compétences parentales.
Le concept de « famille » : le défi de la protection des enfants3
12L’analyse transversale de l’accueil familial au niveau européen, montre que les choix des politiques familiales et les mesures de protection de l’enfance mises en œuvre dans les différents pays, ainsi que les dispositions législatives s’appuient sur une conception spécifique de la famille propre à chacun. Si en 1994, l’Assemblée Générale des Nations Unies proclamait l’Année Internationale de la Famille en considérant que la famille était l’unité de base de la société, 24 ans plus tard, cette conviction reste forte tout en y apportant des nuances (SSI, 187, 2014). On constate qu’il demeure difficile de définir une famille et de développer une législation, des politiques et des pratiques globales, qui respectent pleinement les droits des parents et celui des enfants sans les opposer. Face à ce contexte nous devons donc nous poser la question : Qu’est-ce qu’une famille ?
Familles, une variété de formes
13Quand on parle de « famille », on constate un large éventail de possibilités variant selon les pays, les dispositions juridiques, les choix politiques qui peuvent renforcer ou fragiliser la famille et les références idéologiques de chacun. Une chose est certaine : le concept de famille est au cœur de discussions en cours actuellement et demeure selon le Service Social International un sujet de controverse parmi les communautés juridiques, politiques, sociales et religieuses (SSI, 187, 2014). Dans son Préambule, la Convention des Droits de l’Enfant stipule que la famille est « l’unité fondamentale de la société et milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier des enfants » qu’il convient de respecter au niveau national, mais la Convention ne prévoit pas de définition claire de la famille.
14En effet aujourd’hui des discussions se poursuivent suite à la résolution 26/11 de 2014 relative à la protection de la famille du Conseil des Droits de l’Homme du 26 juin 2014. Cette résolution sur la protection de la famille a vu s’opposer deux clans :
- Les partisans de la famille comme unité fondamentale de la société en donnant la primauté aux droits des parents sur les droits des enfants et ;
- Ceux qui insistent sur le devoir des états de protéger les enfants dans toutes les structures y compris sa famille.
15Selon le SSI l’objectif de la résolution devrait être de dépasser la définition consensuelle proposée pour aller vers des mesures qui protègent les droits des familles et des enfants indépendamment de l’environnement dans lequel ils grandissent, notamment leur famille.
16Les confrontations idéologiques familiales actuelles présentent au niveau international reflètent bien l’état d’une société en mutation en recherche de nouveaux repères confrontée à des résistances dépassées où le parent avait la primauté sur sa progéniture, où le lien de sang définissait la famille. Aujourd’hui des courants s’élèvent pour la reconnaissance des droits de l’enfant, de son ressenti et l’existence d’attachement familial multiple dans de nouvelles familles affectives.
17Pour nombre de sociologues et de psychologues, la question que l’on doit se poser actuellement face aux mutations familiales profondes est celle de la centralité de l’enfant : L’enfant fait-il la famille ou la famille fait-elle l’enfant ?
18Cette ambiguïté présente au niveau international se reflète aussi au niveau national, elle a un impact direct sur les politiques familiales de protection de l’enfance et des pratiques, notamment par les dispositifs de protection de l’enfance mais aussi des mesures de prise en charge des enfants en danger par les institutionnels : le choix s’orientera t’il davantage vers un accueil de l’enfant en institution ou en famille d’accueil ? Si l’accueil familial est retenu s’agit-il de la famille élargie ou d’une autre famille qui sera privilégiée ? Est-ce que l’adoption est une mesure envisageable et sous quelles formes ? Vers quelles familles les ressources sont-elles dirigées, vers les familles biologiques, les familles élargies, d’accueils et/ou adoptives ? Chaque pays répondra en fonction de sa perception de la famille, des références idéologiques de chacun.
L’émergence du concept de parentalité d’accueil
La parentalité d’accueil
19Dans une famille d’accueil, la référence au cadre de la parenté inscrit l’enfant dans un ordre familial qui n’est pas le sien, et ne permet pas de reconnaître l’élargissement des liens d’affiliation présents, qui ne sont des liens ni de filiation, ni d’alliance et/ou de germanité. Le terme parentalité signifie le fait « d’être et de rester parent au-delà des défaillances personnelles, structurelles ou contextuelles » (Sellenet, 2000, Chapon, 2014).
20Ce que souligne le concept de parentalité, c’est qu’il ne suffit pas d’être géniteur, ni d’être considéré comme le parent de l’enfant, faut-il encore « devenir parent » (Solis-Ponton, 2002), c’est un processus qui mène à l’état d’être parent (Dayan, 1999), par la mise en œuvre d’un ensemble de façons de vivre le fait d’être parent.
21Cette approche met davantage en œuvre les fonctions parentales indépendamment du système de parenté, elle laisse entrevoir des possibilités pour des individus faisant « fonction de parents ». Nous estimons que la relation que le couple d’accueil établit avec l’enfant confié s’inscrit dans une parentalité d’accueil.
Parentalité d’accueil et modes de suppléance
22On s’inscrit ici dans l’analyse conceptuelle de la suppléance familiale (Durning 1999) c’est-à-dire que la famille d’accueil supplée la famille d’origine à un moment donné, elle ne la remplace pas, elle vient en supplément de la famille d’origine, fragilisée à un moment dans son parcours parental. La parentalité d’accueil est appréhendée à partir de plusieurs facteurs : l’histoire de l’accueil de l’enfant, les caractéristiques de l’enfant, les circonstances du placement, l’histoire parentale, la perception et l’attitude de la famille d’accueil, la perception de la durée du placement, le rythme de rencontres parentale (Chapon, 2014).
23On constate que selon ces différents facteurs on aura un type d’accueil spécifique de l’enfant, nommé « mode de suppléance » qui pourra varier d’une posture substitutive avec une prédominance de la famille d’accueil à une posture supplétive avec une prédominance parentale.
24Quatre modes de suppléance ont été définis qui déterminent quatre type d’accueil de l’enfant confié (Chapon, 2014) ;
- La suppléance substitutive, se caractérise par une substitution par la famille d’accueil lors de placement de longue durée ;
- La suppléance partagée se présente par une reconnaissance de la place des parents et de la famille d’accueil, une parentalité partagée qui se construit en fonction du présent en tenant compte du passé ;
- La suppléance soutenante s’oriente vers un soutien aux parents d’origine avec une intervention ponctuelle ;
- La suppléance incertaine qui dévoile une situation de placement en attente et un enfant isolé affectivement.
25Ces quatre modes de suppléance sont associés à une représentation de la notion de famille pour l’enfant, la famille d’accueil et la famille d’origine (Chapon, Siffrein-Blanc, 2017).
L’accueil familial en France, une parentalité d’accueil en émergence
26Aujourd’hui, en matière d’hébergement, le placement familial est considéré comme une réponse privilégiée pour 56 % des situations, l’accueil en établissement reste encore très présent pour 36 % (10e rapport ONED, 2015).
L’accueil familial, une longue histoire
27Le placement familial en France est l’héritier d’une longue histoire de prise en charge des enfants abandonnés où l’enfant était placé au sein de familles nourricières, sans avoir de relation parentale. Pendant plusieurs siècles le placement de l’enfant a été confondu avec l’abandon, si bien que nombre d’entre eux restaient toute leur enfance en nourrice puis y poursuivaient leur vie en travaillant à la ferme. On ne pouvait penser le placement familial que dans une logique de substitution, on remplaçait une famille par une autre, pour une question de survie. (Chapon, 2014).
28Si pendant des siècles le lien a été considéré comme nocif entre l’enfant et ses parents, on assiste à un basculement idéologique dans les années 70, en accordant dans les discours et les pratiques une nouvelle légitimité aux parents. Progressivement on laisse apparaître la notion de maintien des liens dans les années 80 à partir du rapport Bianco-Lamy et d’une série de mesures législatives. Ainsi le législateur favorise le maintien des liens avec la loi de 1970 sur l’autorité parentale qui modifie les conditions de mise en place de l’assistance éducative, ainsi que celle de la déchéance d’autorité parentale. La famille d’origine reprend progressivement ses droits, le maintien de l’enfant dans sa famille d’origine devient une nécessité pour le bien-être de l’enfant, et le maintien des liens s’il est placé (Chapon, 2014).
29Ainsi la signification du placement familial change, celui-ci est placé sous l’exigence de la séparation parentale identifiée comme douloureuse mais nécessaire.
30La mesure s’inscrit dans une double contrainte ; celle de maintenir le lien avec les parents et celui du retour de l’enfant dans sa famille. Les actions de prévention et de soutien à la parentalité se multiplient et sont mises en œuvre à l’aune de cette représentation, afin d’éviter le placement. Or les difficultés parentales sont telles que le placement devient inéluctable, il est alors forcément considéré comme un échec et non comme une solution favorable pour l’enfant (Coum, 2013).
31L’enfant baigne dans une nouvelle famille, tout en gardant des relations avec sa famille d’origine détenteur de l’autorité parentale. L’enfant se débrouille, il compose avec une double appartenance, il sait pertinemment, si petit soit-il, qui est sa mère biologique et qui est son assistante familiale, même s’il utilise le langage de la parenté pour la nommer (Chapon, 2014).
32La dernière recherche réalisée en France sur la question des liens en famille d’accueil montre toute la richesse des relations pour l’enfant, l’importance de reconnaître ce qui se vit au sein de sa famille d’accueil sans l’opposer à sa famille d’origine. Les représentations de la famille et de l’attachement pour l’enfant sont multiples et variées, tout en étant très claires. Nomme l’assistante familiale « Maman » ne pose alors aucun problème pour l’enfant, ni l’assistante familiale quand cela se vit dans le respect des places de chacun (Chapon, Siffrein-Blanc, 2017).
Un changement possible de paradigme
33Les travaux de recherche actuel en France montrent que l’accueil familial n’est plus dans une logique de substitution mais dans une combinaison de multiples figures parentales significatives autour de l’enfant, (Chapon, 2014, Chapon, Siffrein-Blanc, 2017). La cohérence des liens est importante, le but du placement ici n’est plus le retour, ni l’adoption de l’enfant par la famille d’accueil, mais le maintien de l’enfant qui agence plusieurs figures parentales (Coum, 2013). On parle ici de parentalité d’accueil possible dans le cadre d’un vrai partage entre la famille d’accueil et la famille d’origine, c’est un nouveau paradigme qui est présenté. La loi du 4 mars 2016 est guidée par une volonté de promouvoir les droits de l’enfant, elle comprend trois objectifs :
- Une meilleure prise en compte des besoins de l’enfant et de ses droits ;
- L’amélioration du repérage et du suivi des situations de danger et de risque de danger ;
- Le développement de la prévention.
34Laurence Rossignol, alors ministre de la famille, considère donner une nouvelle définition de la protection de l’enfance, et souligne la nécessité de changer de paradigme :
La spécificité des missions de protection de l’enfance exige d’accorder une attention particulière à l’enfant, indépendamment des difficultés que peuvent rencontrer ses parents… Protéger l’enfant ce n’est pas simplement s’assurer du respect de son intégrité physique. Protéger l’enfant c’est lui garantir que son environnement lui permettra le développement épanoui de ses capacités (Feuille de route 2015-2017).
35Nous proposons dans la dernière recherche sur les liens en accueil familial en France de poursuivre les objectifs de la loi de 2016 avec trois mesures phares œuvrant dans l’intérêt de l’enfant et pour une stabilité des liens en accueil familial (Chapon, Neyrand, Siffrein-Blanc 2018), qui rejoint par bien des égards des mesures mises en œuvre chez nos confrères européens ou sur lesquelles ils réfléchissent actuellement (Allemagne, Luxembourg, Suisse).
36Nous proposons de travailler à la construction d’une justice consensuelle développant la médiation pour pacifier les relations entre parent/ institution, et en développant des outils juridiques de justice collaborative.
Pacifier les relations par un renfort de la technique de médiation
37Instaurer des mesures préalables de médiation en protection de l’enfance avec les services de l’Aide Sociale à l’Enfance, en construisant un lien de confiance entre les services et les parents.
Vers une nouvelle mesure conventionnelle : l’accueil conventionnel homologué
38L’accueil provisoire tel qu’il existe aujourd’hui ne semble pas forcément assurer une sécurité suffisante à l’enfant.
En effet, le contrat d’accueil provisoire est limité à une année, au terme de laquelle il peut être renouvelé, pour la même durée. Il n’est pas possible, dans le cadre d’une mesure administrative de prévoir une durée de placement plus longue, même si l’évaluation de la situation des parents établirait une impossibilité de retour de l’enfant. Prévoir un contrat de plus longue durée sans contrôle judiciaire pourrait être perçu comme une atteinte au droit au respect de la vie familiale tant de l’enfant que du parent. Ainsi, la recherche d’un placement conventionnel de plus longue durée pourrait se placer sous le contrôle d’un juge judiciaire. Pour cela, il semblerait intéressant d’instaurer une voie médiane entre l’accueil provisoire décidé par les parents avec l’autorité administrative et le placement judiciaire imposé exclusivement par le juge. La mesure décidée s’apparenterait à un contrat fixant l’étendue des obligations respectives des parents et de l’Aide sociale à l’enfance pour l’accomplissement de la mesure. En cas d’accord trouvé, le juge apparaitrait comme le garant des droits et libertés, en veillant à l’équilibre de la convention et au respect des consentements (Chapon, Neyrand, Siffrein-Blanc 2018).
L’adoption un outil juridique de protection de l’enfance
39L’adoption plénière est pensée et pratiquée sur le modèle de la substitution. L’enfant adopté bénéficie d’une intégration familiale dans toutes les ramifications de la parenté4. L’adoption simple s’en distingue radicalement en admettant, l’addition des liens de filiation. L’adoption simple ou complétive, pourrait devenir un outil juridique de la protection de l’enfance (Colombani, 2008), en octroyant une « seconde famille », à des enfants dont les parents sont profondément carencés, mais avec lesquels des liens perdurent.
40Nous verrons que la question de la sécurisation des parcours, du maintien des différentes figures d’attachement, la construction de relations familiales et affectives stables, traversent également les recherches des différents pays européens. Comment l’accueil familial est-il organisé au Luxembourg, en Allemagne, aux Pays-Bas, en Espagne, en Italie, en Belgique, et en Angleterre ? Quelles sont les mesures de prise en charge mise en œuvre ? Quelle conciliation peut-on observer entre la famille d’accueil et la famille d’origine ? De quelle manière la parentalité est-elle mise en œuvre ?
L’accueil familial au Luxembourg, parfois si proche de la France
41En 2016, on comptabilise 1300 enfants placés au Luxembourg, dont 501 enfants et jeunes sont accueillis dans 378 familles d’accueil et 799 enfants et jeunes sont placés en institution. Plus des 2/3 des placements sont judiciaires, ce qui signifie que la coopération parentale reste minoritaire face à la mesure. Si l’on compare ces chiffres à la France, on constate que le nombre d’enfants confiés est équivalent à ceux d’un département français, si le placement en famille d’accueil est par contre majoritaire en France, puisqu’il concerne 52 % des placements, et la judiciarisation des mesures est tout aussi généralisée (Oned, 2015) qu’au Luxembourg. La difficulté de coopérer avec les parents, de les intégrer au processus de prise en charge et de les accompagner dans la mesure reste une réelle question. Malgré cette différence entre les deux pays, on constate que les choix politiques et idéologiques sont similaires, et que le processus engagé en protection de l’enfance choisi par le Luxembourg est proche de celui de la France.
42Dans son analyse Robert Theisen rappelle que l’histoire de l’accueil familial au Luxembourg a été traversé par deux périodes décisives depuis les années 70 dans la prise en charge de l’enfant. Héritage politique et idéologique dont les services sociaux gardent encore les traces aujourd’hui, mêlant ainsi des modèles rappelant à la fois les droits des parents à exercer leurs compétences parentales et celui des droit des enfants à connaitre une stabilité dans le mode de prise en charge et la possibilité de développer un attachement sécurisant.
43Les services de placement au Luxembourg se trouvent aujourd’hui au cœur de ce dilemme, tout comme en France, où chacun, professionnels de l’enfance, parents d’origine, familles d’accueil, juges pour enfant… sont persuadés d’œuvrer pour le bien de l’enfant, mais où les chiffres et les analyses parlent d’eux-mêmes tant les incohérences de pratiques sont présentes à tous les niveaux ; notamment par le constat d’une multiplication des ruptures de parcours, par une discontinuité dans les mesures et au final un attachement de l’enfant insécurisé (Chapon, Neyrand, Siffrein Blanc, 2018).
44L’héritage de la première période des années 70, bercée par l’idéologie du lien familial où la préservation des relations avec les parents d’origine prime sur toute autre décision, vacille dans les années 2000, avec les travaux sur les attachements multiples et les défaillances relationnelles parentales constatées.
45Le dilemme reste entier et le positionnement du Luxembourg en faveur d’un soutien à la parentalité se poursuit en 2008 avec la « Loi relative à l’aide à l’enfance et à la famille » et la création de l’Office National de l’Enfance. Le législateur introduit des mesures soutenant davantage la prévention et le développement des compétences parentales, pour planifier un éventuel retour de l’enfant au sein de sa famille d’origine et dans le même temps professionnalise les familles d’accueil, par le biais d’une sélection, d’une formation et d’un exercice soumis à l’obtention d’un agrément.
46Les enfants placés, comme tout autre enfant, ont le besoin de se construire à partir d’un sentiment d’affiliation ou d’appartenance. Nous verrons que les services de placement au Luxembourg ont tenté de développer des conceptions afin de concilier le besoin d’affiliation de l’enfant à sa nouvelle famille d’accueil et de conserver le contact avec leurs parents.
47Le dilemme posé au Luxembourg se retrouve d’une certaine manière en Suisse avec un basculement radical dans l’histoire de l’accueil familial en passant d’un modèle substitutif à un modèle supplétif.
L’accueil familial en Suisse, de la substitution à la suppléance familiale
48L’accueil familial en Suisse est marqué par une histoire difficile dévoilé récemment en 2014 dans un rapport de l’Office fédéral de la Justice5. L’État reconnait que de nombreux enfants orphelins ou issus de milieux défavorisés ont été placés en service chez des familles paysannes, constituant une main d’œuvre bon marché et souvent maltraitée. Les mesures de protection de l’enfant prévues par le Code civil ont conduit à des mesures de placements abusives, dans des foyers et des familles d’accueil dans lesquels de nombreux enfants ont subi des mauvais traitements. Ainsi du début du xxe siècle jusqu’aux années 1980, la loi autorisait « l’internement administratif d’éléments dangereux pour la société » et tous ceux qui montrent « un penchant marqué à la criminalité ». « Le placement des enfants était souvent la conséquence de mesures coercitives touchant les parents. Il arrivait que toute une fratrie soit disséminée car leur père ou leur mère était interné ». (V. Grandjean, Chancelier de l’État de Vaud6). Ces différentes mesures ont été abrogées dans les années 1970 et 1980 aux niveaux suisse et vaudois, elles ont concerné plus de 100000 enfants placés de force dans des familles ou des institutions. En 2014 est entrée en vigueur la loi fédérale sur la réhabilitation des personnes placées par décision administrative, la question de la réparation financière c’est posée.
49Ce sombre épisode de l’histoire de l’accueil familial des enfants est éclairant de la politique de protection de l’enfance mise en œuvre aujourd’hui en Suisse, qui souhaite « tirer des enseignements de ce passé douloureux7 ». On passe ainsi d’une politique de protection de l’enfance substitutive, les parents d’origine étant considérés comme nocif pour la société et leurs enfants, avec des placements d’enfants imposés, à une politique familiale de maintien des liens dans les familles d’origine, où la mesure de placement reste provisoire et le retour de l’enfant dans sa famille, l’objectif. Ainsi nous sommes face à un revirement de politique familiale, à l’image du parent coercitif se substitue celle du parent à maintenir dans sa parentalité. La difficulté est de trouver un équilibre dans le choix des mesures prises de la substitution à la suppléance familiale, en se focalisant sur l’intérêt de l’enfant et non en mémoire d’un passé houleux dévalorisant les parents et les populations vulnérables. On se rend compte qu’au-delà de vouloir maintenir des liens avec les parents en vue d’un retour de l’enfant, un travail d’accompagnement et de soutien à la parentalité d’origine devraient être envisagés et développés dans l’intérêt du parent mais aussi de l’enfant.
50L’analyse de Chervaz Dramé & Demierre, montre un ajustement nécessaire entre les préconisations de la législation, les pratiques professionnelles et le bon développement de l’enfant. Les auteurs constatent que si le retour de l’enfant dans sa famille est un objectif, la majorité des accueils familiaux sont des accueils à plein temps et à très long terme, voir « des projets de vie », même s’ils ne sont pas annoncés comme tels. L’impermanence annoncée de la mesure engendre une incertitude dans la famille d’accueil, et un climat d’insécurité ne permettant pas à l’enfant de s’installer véritablement dans la famille. Nous constatons que cette problématique est récurrente sur l’ensemble des pays européens étudiés, et que des mesures concrètes s’avèrent nécessaires afin d’apporter une sécurisation des parcours des enfants confiés.
51L’accueil familial en Suisse est considéré aujourd’hui comme une mesure de protection pour l’enfant, même s’il n’est pas reconnu comme un métier, il est indemnisé comme en Belgique. Mais il pose un certain nombre de question notamment autour de la professionnalisation, de la difficulté de recrutement des familles d’accueil, de leur suivi mais aussi des mesures de soutien à la parentalité d’origine et d’accueil. L’analyse de l’accueil familial à partir du concept de parentalité d’accueil est une grille de lecture innovante dans un pays où l’accueil familial est en évolution.
L’accueil familial en Allemagne, en chemin vers une stabilisation des parcours
52On dénombre en Allemagne 50 364 enfants et adolescents vivant en familles d’accueil et 61 806 en établissement fin 2005 (Fendrichs & Lange, 2006). Cette proportion est relativement faible comparativement à la France.
53Bien que des experts internationaux aient souligné depuis plus d’une décennie toute l’importance de favoriser le placement des enfants en accueil familial plutôt qu’en établissement (Thoburn 2007, Wolf 2006, Reimer 2009), l’Allemagne poursuit encore aujourd’hui l’orientation des enfants et adolescents vulnérables vers des établissements ou des foyers plutôt que des familles d’accueil. Comme dans nombre de pays européens, l’aide à la jeunesse se traduit tout d’abord par un choix privilégié de l’aide aux familles par rapport aux placements (Blandow, 2004, Reimer 2009). C’est seulement lorsque ces interventions ne peuvent pas garantir la protection du bien de l’enfant qu’un placement est envisagé. Les familles d’accueil sont dans la majorité des cas bénévoles, recevant une faible indemnité compensatoire comme on peut le retrouver dans certains pays européens tels que la Belgique ou la Suisse. Toutefois, il existe de plus en plus de familles d’accueil spécialisées, constituées d’éducateurs professionnels exerçant à leur domicile, qui reçoivent un salaire correspondant à leurs prestations (Reimer, 2009). La frontière devient alors poreuse entre les placements en famille d’accueil spécialisée et les foyers, due à une comptabilisation globalisée (Reimer, 2009).
54Si pendant plus de 20 ans des débats très controversés ont interrogé les notions de substitution et de suppléance familiale dans le cadre de l’accueil d’un enfant dans une autre famille, considérant la famille d’accueil soit comme une famille de remplacement, soit comme un complément de la famille d’origine, la question posée aujourd’hui sur la parentalité d’accueil se positionne en dehors de ces deux pôles en considérant les rôles de chaque famille comme nécessaire. On constate qu’en Allemagne ces deux pôles opposés ont été mises en pratique dans des régions voisines, par exemple en ce qui concerne la question du placement permanent, des relations avec la famille d’origine et de la séparation des frères et sœurs.
Ainsi l’on peut observer des pratiques de l’accueil familial différentes, voire opposées dans des régions voisines. Pendant qu’une région, se référant à son expérience et à certaines sources littéraires (Nienstedt, Westermann, 1989) préconise que des frères et sœurs devraient toujours être placés séparément et qu’en général après un placement aucun contact intensif ne doit exister, la région voisine se réfère à d’autres sources (Deutsches Jugend Institut, 1987), pour le placement conjoint des frères et sœurs dans la mesure du possible ou au moins le maintien de contacts étroits entre eux s’ils sont placés séparément. Toutefois, depuis ces dernières années, les représentants de ces deux points de vue sont devenus plus conciliants et on peut espérer plus d’objectivité dans les discussions sur les résultats des recherches et des programmes (Gehres, Hildenbrand, 2008). (Reimer, 2009)
55Klaus Wolf considère que l’appartenance stable et la connaissance de ses origines, sont deux points très importants pour un développement positif et harmonieux des enfants confiés au sein des familles d’accueil. Il montre qu’en Allemagne, les services sociaux sont convaincus que le fait de mettre l’enfant dans un lieu protégé, est suffisant, attendant une évolution possible de la famille d’origine, pour pouvoir permettre le retour de l’enfant chez ses parents, parfois après plusieurs années de vie dans la famille d’accueil.
56On constate tout comme en France que les enfants ressentent un sentiment d’insécurité vécu aussi par la famille d’accueil, dû à un climat décisionnel incertain dépendant des services sociaux (Canali, Maluccio, Vecchiato, 2011) et des institutions judicaires. Les propositions de Klaus Wolf pour répondre à cette insécurisation rejoignent celles faites par des travaux en Angleterre, aux États-Unis (Denby, Rindfleisch, Bean, 1999) et en France (Chapon, Siffrein-Blanc, 2017) dans le sens d’une évaluation des compétences parentales pour un retour possible de l’enfant et de la mise en œuvre d’une parentalité plurielle reconnue.
L’accueil familial en Espagne, une parentalité d’origine favorisée
57L’accueil familial en Espagne s’est développé avec la loi de 1987, sur le Placement Familial et l’Adoption. Cette loi représente un changement majeur en matière de protection de l’enfance, car depuis la guerre civile (1936-1939) seul un modèle basé sur l’institutionnalisation était en vigueur (Del Valle, 2011). En 1996, la Loi Constitutionnelle sur la Protection de l’Enfance est devenue le cadre légal de référence, qui souligne l’importance prioritaire de la famille et du placement familial comme premier choix pour le placement des enfants séparés de leur famille. La référence idéologique principale en Espagne consiste à donner la priorité aux solutions familiales, et de dépasser le modèle issu de la dictature, où l’institutionnalisation apparaissait comme la seule ressource (Del Valle, López, 2014).
58En 20 ans la prise en charge des enfants a changé, l’accueil familial est devenu un complément à la famille d’origine, il s’est structuré avec des modules de formation, puis en 2010, un accueil familial professionnel a été créé venant en appui à l’accueil en famille élargie qui lui a toujours existé. Les familles d’accueil ne sont pas rémunérées, elles reçoivent un soutien financier (300-500 € par mois) qui peut varier selon les régions autonomes et selon le type de famille (famille élargie/ famille d’accueil professionnelle). En Espagne, en 2013, on compte 35 045 enfants pris en charge par le système de protection d’enfants8. 38,2 % d’enfants sont pris en charge en établissement et 61,8 % sont en famille d’accueil. La plupart des enfants accueillis en famille d’accueil le sont au sein de leur parenté pour 74 % et le reste 26 % dans une famille d’accueil non apparentée. La spécificité de l’Espagne demeure le recours au placement des enfants dans sa famille élargie, avec 74 % de l’accueil familial. On constate également de 2008 à 2013 une augmentation du nombre d’enfants pris en charge en famille d’accueil, puisqu’on est passé de 58 % à 61,8 %.
59Cela correspond à une tradition d’accueillir des enfants chez les grands-parents. L’enfant passe ainsi du domicile parental au domicile grand-parental. Dans la majorité des cas, ce sont les grands-parents maternels qui prennent en charge les enfants.
60Les études montrent que nous sommes face à une continuité et un maintien des liens familiaux important en Espagne du fait d’un accueil familial privilégié en famille élargie, tout comme on le verra en Italie. De plus les enfants en accueil intra familial ont un sentiment d’abandon moins important que ceux dans une autre famille, et connaissent moins de rupture dans l’accueil. Toutefois une confusion des rôles peut être possible, et des difficultés peuvent survenir entre les grands-parents prenant en charge l’enfant et ses parents (Fuentes-Peláez, 2014).
L’adoption reste une exception
61Si l’accueil familial a été conçu comme une mesure de placement à court terme, on constate qu’un grand nombre de situations d’accueil durent toute l’enfance en s’inscrivant sur le long terme, similaire à des situations d’adoption. Or l’idéologie dominante n’est pas favorable au développement de mesures favorisant l’adoption des enfants, au contraire elles s’inscrivent dans une démarche de soutien à la parentalité d’origine.
Le cadre législatif recommande d’impliquer les parents
62Le cadre législatif espagnol actuel pose comme principe d’impliquer les parents et les enfants dans le processus de prise en charge, notamment la Recommandation 19 du Comité des Ministres des États membres (2006) sur la politique de soutenir le rôle parental de façon constructive. Ce texte recommande « de construire un projet commun dans l’intérêt supérieur de l’enfant en lien avec les parents et les professionnels et d’apprendre aux familles à mieux identifier leur projet familial » afin de permettre aux professionnels d’orienter leurs pratiques.
63Dans l’article de Nuria Fuentes-Peláez et al., nous verrons quels sont les besoins spécifiques des parents et des enfants qui apparaissent dans chaque phase du processus de réunification et les clés de la réussite du processus. Nous allons aborder l’accueil familial en Italie et voir les points de convergence avec l’Espagne.
L’accueil familial en Italie, une parenté d’origine favorisée dans l’ensemble des mesures
64Le modèle de protection de l’enfance en Italie favorise la préservation des liens familiaux en mettant l’enfant et les parents au cœur du dispositif. Une protection de l’enfant certes mais avec ses parents tout comme en Espagne. L’Italie accorde une importance particulière aux membres proches de la famille qui doivent fournir les moyens nécessaires à l’enfant lorsque les parents en sont dans l’impossibilité. Cette centration sur la famille élargie et le réseau social de proximité est au cœur des dispositifs de protection et d’adoption mis en place.
65En effet, il y a beaucoup de placement en famille élargie, notamment dans la province de Milan, qui représente plus de la moitié des enfants protégés.
66Pour de nombreux auteurs italiens (Premoli, 2013, Milani, 2015), il est important d’envisager une protection des liens des enfants et de leur famille. Ils partent du principe que les familles sont au centre du dispositif et elles sont reconnues comme étant « les meilleurs experts » de la vie des enfants. Dans ce cadre, il apparait important de mettre les familles en capacité d’être de « bonne famille », de leur permettre de développer de nouveau des compétences parentales par rapport à leur propre vie (Premoli, 2013). La démarche ici est de redonner les clés au sujet dans le cadre de l’intervention. Apprendre à croire de nouveau en ses compétences parentales. Responsabiliser les parents serait le meilleur moyen pour favoriser le retour de l’enfant au domicile parental. Pour Premoli (2013), il est essentiel que l’enfant puisse composer avec ses parents d’origine car il en est issu ; ses parents resteront ses parents. L’auteur encourage donc les travailleurs sociaux à tout mettre en œuvre dans ce sens. On voit bien ici l’idéologie familiale dominante dans laquelle s’inscrit le système italien, proche par bien des égards à celui de l’Espagne et des Pays-Bas, mais très éloigné du modèle anglais.
67Dans le même ordre d’idée le ministère des Politiques sociales en partenariat avec l’Université de Padoue a démarré en 2011 l’implantation du PIPPI, programme inspiré par Fifi Brindacier (Fifi est connue sous le nom de Pippi en Italie, jeune fille irrévérencieuse et résiliente). Les objectifs du programme sont doubles :
- Réduire le placement des enfants en dehors de leur famille d’origine par un travail de requalification des compétences parentales et de retissage des liens entre la famille et l’enfant ;
- Favoriser le soutien à la parentalité par la mise en place d’un accompagnement de la famille entière et de son entourage comme on peut le retrouver en France dans les AEMO, action éducative en milieu ouvert, où l’enfant reste dans sa famille d’origine suivie par un éducateur.
68À ce jour 500 familles sont recrutées pour participer au programme PIPPI dans 50 villes (Milani, Serbati, Ius, 2015).
L’adoption, le recours ultime en famille élargie
69Aujourd’hui en Italie, il existe un seul type d’adoption des mineurs9. La réglementation de l’adoption fait porter l’accent sur la primauté de l’intérêt du mineur qui doit avoir une famille et qui doit être si possible la famille naturelle. L’adoption est envisagée lorsque l’enfant est privé de ses parents et de sa famille élargie qui est aussi tenue de veiller à l’éducation de l’enfant. Il s’agit d’une réelle politique de trouver du soutien et un lieu de vie pour l’enfant au sein de sa famille élargie avant d’aller chercher une famille d’accueil et même adoptive.
70Dans ce cadre, un placement pré-adoptif, véritable période d’essai pendant laquelle la nouvelle relation est tenue sous étroite surveillance, est réalisé. Si l’accueil pré-adoptif a une issue positive (constatée par le tribunal) il y a lieu à l’adoption proprement dite après un an de placement. C’est le terme de la procédure déclaratoire d’adoption, l’adopté acquiert le statut de fils légitime des adoptants et reçoit un statut juridique stable et définitif (ONED, 2009).
71On vient de voir que le modèle de protection de l’enfance en danger en Italie préserve les liens parents-enfants dans l’ensemble de ses mesures y compris l’adoption. La lecture des droits de l’enfant est associée à celui de la famille, et le droit de l’enfant à avoir la meilleure famille possible. L’Italie, tout comme l’Espagne, fait l’hypothèse que cela passe par l’aide aux parents d’origine à devenir plus compétents, et ce dans l’intérêt supérieur de l’enfant et sollicite dans ce sens le soutien de la famille élargie. Nous allons voir que le modèle belge se rapproche par bien des égards à ceux de l’Italie et de l’Espagne.
L’accueil familial en Belgique, le soutien à la parentalité d’origine
Politique familiale en faveur de la famille élargie
72En Belgique, la solidarité familiale, les systèmes d’entraide intrafamiliaux sont encore très présents et inscrits dans le cadre juridique notamment lorsque les parents ont besoin d‘être soulagés dans la prise en charge de leur enfant. Les parents et la famille élargie demeurent au centre du dispositif de protection de l’enfance comme on peut le retrouver en Italie ou en Espagne.
73Au niveau de la législation de l’Aide à la jeunesse, les mesures d’aide mises en œuvre donnent aux parents une place centrale. En effet le décret de 1991 favorise le retour de l’enfant au domicile parental :
le maintien du jeune dans son milieu de vie est la règle et l’éloignement de ce milieu est toujours l’exception… Le placement familial est provisoire même s’il peut durer des années… le placement familial n’implique en aucune façon une substitution parentale.
74La position est donc très claire, le placement de l’enfant s’inscrit dans une suppléance momentanée des parents dont le premier relais serait la famille élargie. Le cadre familial d’origine est favorisé dans toutes les situations comme en Italie et en Espagne. Ainsi les parents gardent l’autorité parentale dans la grande majorité des situations, les grands-parents sont le plus souvent sollicités, et l’accueil intrafamilial s’organise « naturellement ». Le service travaille alors avec l’ensemble du système familial.
Il est donc naturel qu’au moment où l’hébergement de l’enfant hors de chez ses parents est nécessaire, ce soient d’abord les grands-parents, les oncles et tantes, grande sœur qui proposent leurs services ou qui sont sollicités pour prendre en charge l’enfant (Lambert, 2011).
75Toutefois comme le soulignent les recherches espagnoles (Fuentes-Peláez, 2014), une certaine ambiguïté peut s’installer lorsqu’une grand-mère ou une sœur est amenée à exercer des fonctions parentales auprès de l’enfant, des dysfonctionnements intrafamiliaux peuvent alors apparaître, mais le maintien des liens avec la famille est nettement plus important qu’en placement institutionnel.
76En communauté française, on dénombre 7500 jeunes accueillis dont 3400 sont confiés en famille d’accueil. 55 % sont des mesures judiciaires et 45 % des mesures administratives. Dans 70 % des cas, la famille d’accueil fait partie du réseau élargi du jeune, les autres familles sont recrutées par le service de placement familial10. Les familles d’accueils ne sont pas considérées comme des professionnels, elles ne reçoivent pas une rémunération mais une allocation mensuelle comme aux Pays-Bas, en Italie et en Espagne.
77Les mesures de placement sont prises pour une durée de 1an maximum renouvelable. Toutefois on constate que la majorité des accueils durent une grande partie de l’enfance voire pour certains jusqu’à la majorité.
78Si l’accueil familial est favorisé, le placement résidentiel peut être préféré notamment dans les situations où le service suppose l’accueil de courte durée. Ici les difficultés parentales et leur incapacité d’exercice sont identifiées comme ponctuelles, afin de protéger la relation avec l’enfant et développer avec les parents un travail de soutien à la parentalité avec eux, le placement en institution peut être un choix priorisé.
79Même s’il est reconnu de graves défaillances parentales, et l’épuisement de la palette d’outils d’aide au soutien à la parentalité (aide en milieu ouvert, soutien lors d’un hébergement résidentiel de l’enfant, intervention éducative intensive, suivi…), le travail sera alors d’aider les parents à trouver leur place dans une parentalité partielle tout en poursuivant le soutien des relations parents-enfant.
Une parenté d’origine soutenue
80Dans les textes légaux et les mesures de placement familial, on constate que l’attachement affectif de l’enfant à sa famille d’accueil (et vice versa) n’est pas explicitement nommé, même si celui-ci est implicitement recherché, puisqu’on attend de la famille d’accueil qu’elle materne l’enfant, et développe avec lui une relation sécurisante et stable tout en respectant sa filiation et les relations avec les parents. La priorité est donnée au droit fondamental de l’enfant à vivre avec ses parents, et non à celle des besoins de développement du jeune enfant en matière de sécurité et de stabilité affective. De plus même si on constate un réel attachement réciproque au sein des familles d’accueil, il n’y a pas de réelle objectivation des liens. Ce lien particulier entre l’enfant et la famille d’accueil peut être, comme en France, perçu comme le résultat de l’emprise de la famille d’accueil sur l’enfant, plutôt que l’expression d’une base affective sécurisante essentielle à son développement.
81La Belgique Bruxelles-Wallonie semble s’inscrire davantage en défenseur des droits des parents, dans le but de soutenir le parent en état de faiblesse et maintenir sa filiation. Le statut de bénévole des familles d’accueil, l’absence de statut professionnel ne permet pas aux accueillants familiaux de revendiquer leur activité comme un métier ou une profession. Il semblerait que nombre d’entre eux s’en satisfont pleinement, car ils estiment ainsi pouvoir favoriser l’existence d’une relation affective forte, d’un attachement singulier avec l’enfant accueilli. On s’inscrit donc dans un système de protection de l’enfance où la parentalité d’accueil n’est pas réellement reconnue, convaincu que l’intérêt de l’enfant se trouve au sein de sa famille d’origine.
L’accueil familial en Flandres
82En Flandre, la famille d’accueil est de plus en plus l’option de choix pour le placement des enfants hors du foyer. Avant on considérait le placement en famille d’accueil comme une intervention provisoire avec pour but principal, la réunification de l’enfant avec ses parents tout comme en Belgique wallonne. Depuis le Décret sur l’accueil familial du 29 Juin 2012, la posture face au retour de l’enfant au domicile parental a changé. Ce Décret reconnaît qu’une réunification avec les parents n’est pas toujours dans les intérêts supérieurs de l’enfant. Par conséquent, la réunification n’est plus le seul résultat attendu de la mesure de prise en charge. Ainsi le placement en famille d’accueil dans un processus sur le long terme est rendu possible (Vanderfaeillie, 2012).
83Les décisions de réunification familiale sont souvent difficiles car elles demandent à trouver un juste équilibre entre l’intérêt de l’enfant, le maintien de sa protection et un soutien à la famille. Le choix de la décision de la réunification familiale n’est pas toujours très claire (Hess et al., 1992) et parfois pas toujours approprié notamment lorsqu’elles sont prématurées (Allen et Vacca, 2011) et qu’elles peuvent mettre l’enfant en insécurité. On constate qu’après la fin de placement, seulement 40 % des enfants retournent vivre avec leurs parents.
84Les travaux de Johan Vanderfaeillie (2016) montrent qu’en Flandre, il est difficile d’avoir accès à une connaissance précise sur la question de la réunification familiale et les facteurs associés, que l’on n’a peu d’information à ce sujet et que la comparaison internationale s’avère difficile notamment due à des questions de méthodologie, d’échantillonnage et de diversité des pratiques, des politiques mises en œuvre au niveau européen.
85Le positionnement de la Belgique flamande ou wallonne rejoint celui des pays d’Europe du sud comme l’Italie et l’Espagne, mais aussi des Pays-Bas.
L’accueil familial aux Pays-Bas, une implication de la famille élargie
86Selon le rapport de l’Oned sur le délaissement parental (2009), depuis la révision du système de protection de la jeunesse en 2005 la politique générale aux Pays-Bas est de tout faire pour impliquer les parents afin qu’ils conservent leur responsabilité parentale pendant la mesure de protection, leur accord doit être obtenu pour le placement de l’enfant. La législation ne prévoit aucune possibilité de poursuivre les parents en justice pour négligence ou maltraitance psychologique sur leur enfant sans l’avoir démontré par des effets corporels. Dans ce contexte de soutien parental, les mesures d’adoption ne sont pas favorisées.
87Aujourd’hui on constate que 1 % des enfants néerlandais sont placés hors de chez eux (out of home care) (CBS, 2014). Parmi eux 58 % sont en famille d’accueil, ce qui correspond à 21880 enfants en 2014. Ainsi le nombre total d’enfants placés en famille d’accueil a doublé depuis 10 ans. 40 % des enfants sont placés dans la famille élargie dont deux tiers chez les grands-parents (n = 6000 enfants) (Pleegzorg Nederland, 2015), mais aussi chez les tantes, les oncles, les voisins ou les enseignants. Les autres enfants (60 %) vivent dans une famille d’accueil choisie par le service de l’accueil familial.
88Selon Van den Bergh, la plupart des enfants confiés en famille d’accueil aux Pays-Bas sont placés après une crise dans la famille. Cela signifie que les enfants sont accueillis dans des circonstances graves. Le placement hors domicile parental est dans la plupart des cas le résultat d’une accumulation de problèmes : la violence psychologique, la violence physique, la toxicomanie et la négligence.
89Cette politique actuelle de protection visant à soutenir les parents à exercer leurs responsabilités parentales explique le peu d’enfants bénéficiant d’une mesure de placement, ainsi que leur âge tardif au moment de la mesure. Les recherches actuelles confirment que la plupart des enfants accueillis ont des antécédents de négligence et d’abus (Van den Bergh & Weterings, 2010).
90L’accueil en famille élargie et particulièrement chez les grands-parents est la mesure choisie aux Pays-bas, tout comme en Espagne, en Belgique et en Italie. Les récents travaux comparatifs de Van den Bergh sur l’accueil familial élargi et « étranger », sont particulièrement éclairants. Ils montrent toute la difficulté de trouver le positionnement juste pour les grands-parents devant exercer de nouvelles compétences parentales à l’égard de leur petit-enfant, et ils constatent tout le bénéfice pour l’enfant de rester dans son cadre familial. Ainsi les enfants placés dans la famille élargie auraient moins de retard de développement physique, social, émotionnel et intellectuel que les autres enfants en famille d’accueil « non apparentées » (Van den Bergh, Weterings, 2010). Toutefois ces résultats sont à relativiser car la tendance s’inverse au bout d’un an de placement. Ainsi les chercheurs constatent que les enfants élevés en familles d’accueil dites « étrangère » atteignent un meilleur développement que les enfants élevés en famille élargie. Deux hypothèses sont proposées par les chercheurs :
- Les enfants élevés dans le réseau parental ont moins de problèmes que les autres enfants ;
- Les parents d’accueil sans lien de parenté ont fourni plus d’attention aux enfants confiés comparativement à ceux placés dans le réseau parental.
91Que ce soit pour les Pays-Bas comme pour l’Espagne ou la Belgique, la prise en charge dans le réseau familial de parenté n’est pas une réponse toujours adaptée, elle comprend des avantages, mais aussi des inconvénients liés au fait de rester dans même contexte social et culturel, les difficultés relationnelles sont présentes à la fois avec les services de placement, mais également intrafamilial entre les parents et les grands-parents. Les difficultés engendrées pour solliciter la famille élargie, et accueillir un enfant de la famille conduisent les pays (Pays-Bas, Espagne, Italie, Belgique) au recrutement d’autres familles d’accueil et à leur professionnalisation. On constate que la France et L’Angleterre sont loin de ces considérations, des choix fort différents d’orientation de politique familiale ayant été fait, mais ne pourraient-ils pas emprunter un chemin inverse en sollicitant à leur tour davantage la famille élargie afin de répondre au problème de recrutement de famille d’accueil ?
L’accueil familial en Grande Bretagne où la stabilité de l’enfant
92Selon Nina Biehal (2015), l’accueil familial en Angleterre se définit aujourd’hui par trois notions clés : la stabilité, l’appartenance et la permanence notamment pour les enfants séparés de leurs familles particulièrement pour ceux qui sont placés sur le long terme, c’est-à-dire pendant toute leur enfance et jusqu’à leur majorité.
93Les trois-quarts des enfants en Angleterre sont placés dans des familles d’accueil. La famille d’accueil est une mesure préconisée pour presque tous les enfants en dessous de dix ans et jusqu’à 15 ans (Berridge, Biehal et Henry, 2012 ; Département de l’éducation 2016). Contrairement à beaucoup d’autres pays européens, comme en Italie, Espagne et Belgique seulement 15 % des enfants sont placés dans des familles élargies avec un lien de parenté.
94Les accueillants familiaux en Angleterre sont des professionnels comme en France. Ils reçoivent un salaire qui varie selon l’âge et les besoins spécifiques de l’enfant, aussi qu’une allocation de vie pour couvrir les coûts quotidiens. Ils reçoivent également une formation et travaillent en collaboration avec les travailleurs sociaux.
95Depuis les années 1980, le but de la politique gouvernementale est de permettre le retour des enfants avec leur famille quand c’est possible, en fournissant des services d’assistance familiale si nécessaire. Le but est d’évaluer la faisabilité du retour de l’enfant et de le mettre en place dès que possible, en améliorant la prise de décision dans l’intérêt de l’enfant. (Biehal, Sinclair et Avancent, 2015 ; fermier, Sturgess, O’Neill et Wijedasa, 2011).
96Depuis la fin des années 90, le gouvernement anglais considère la mesure d’adoption en protection de l’enfance comme une mesure de placement à long terme pour les enfants qui ne peuvent retourner dans leur famille d’origine. Ceux qui sont adoptés sont typiquement les enfants qui sont placés à un très jeune âge en raison de maltraitance ou de forte négligence parentale, ils sont adoptés avant qu’ils n’aient cinq ans (Biehal et al., 2010 ; Schofield, 2002 ; Schofield, Beek, Sargent, Thoburn, 2000).
Une politique familiale en faveur de l’adoption
97L’orientation vers une procédure d’adoption peut être donnée à chaque fois qu’aucun retour en famille ne parait possible pour un enfant pris en charge par les services sociaux. Cette indication n’étant pas automatiquement liée à une recherche d’adoptants. Par ailleurs, face à une situation de délaissement d’un enfant, l’approche britannique privilégie d’abord la reconfiguration d’une nouvelle famille.
98Ces mesures de protection se basent sur l’intérêt de l’enfant à avoir une vie de famille stable et éviter ainsi les ruptures de vie.
99Les études anglaises montrent qu’un enfant protégé pendant 6 mois risque de l’être encore pendant plus de 4 ans avec une forte probabilité de délaissement parental. À partir de ces constats et afin de réduire les placements à long terme, l’orientation de l’enfant est décidée dès le début de sa prise en charge dans un souci de stabilité considéré comme indispensable.
100La forte proportion d’enfants protégés puis adoptés peut s’expliquer par les modalités d’entrée des enfants dans le dispositif de protection (ONED, 2009).
101La procédure dure en moyenne 32 mois entre l’entrée dans le système de protection, la décision d’adoption, l’apparentement avec des parents adoptifs et le placement pour adoption (ONED, 2009).
L’accueil familial professionnalisé
102L’ensemble du Royaume-Uni a traversé une période de changement en matière d’accueil familial. Le système reposait jusqu’alors sur des familles bénévoles dont on attendait qu’elles utilisent leur expérience de parent. Un programme de changement ambitieux a été développé pour améliorer le bien-être des enfants confiés, la stabilité des placements et offrir de meilleures perspectives aux enfants (Tapsfield, 2011).
103Ce programme passe par une professionnalisation accrue des assistants familiaux désormais considérés comme des acteurs clé de la réussite de l’accueil familial. Ils sont aujourd’hui considérés comme des professionnels, même si ce processus a pris de nombreuses années. Les assistants familiaux travaillent avec les professionnelles de l’enfance et les parents sur une base égalitaire, ils contribuent aux évaluations de l’enfant, ils fournissent des rapports, et peuvent être écoutés par le tribunal, travailler à des programmes de développement. (Asquith, 2012) Le concept de permanence est apparu aux USA et au Royaume-Uni au début des années 1970, face au constat que nombre d’enfants placés se retrouvaient sans réel projet, sans possibilité de retour dans leur famille d’origine.
104L’objectif premier des politiques demeure l’intérêt supérieur de l’enfant, son bien-être et pouvoir bénéficier d’une famille stable. À la lecture des différentes approches européennes de la protection de l’enfance en accueil familial, on se rend bien compte que si l’ensemble des pays ont une vocation commune d’offrir à l’enfant une stabilité familiale en accord avec les directives de la CIDE, les orientations choisies sont différentes, et s’expliquent par des postures familiales opposées. Si l’Italie privilégie l’accueil en famille élargie, le soutien à la parenté d’origine et le développement des compétences parentales, dans le même temps si l’ensemble des mesures ont été épuisées, le Royaume-Uni sera favorable à une adoption et à une orientation précoce de l’enfant dès le début de la mesure de placement.
105Dans ce contexte spécifique, le Royaume-Uni serait-il davantage favorable que les autres pays européens à la mise en œuvre d’une parentalité plurielle, où glisserait-on d’une famille à une autre, effaçant dans un cas comme dans l’autre, l’émergence de la pluralité des liens affectifs et des affiliations possibles ?
Conclusion
106La présentation de l’accueil familial dans les différents pays s’est centrée sur une analyse de la prise en charge, des points communs, des orientations partagées mais aussi sur le positionnement possible des différents acteurs : les parents, la famille élargie, la famille d’accueil et l’enfant. Chaque pays développe des pratiques, des politiques familiales en fonction de son histoire, de sa culture mais aussi du modèle dominant de la notion de famille. Bien que chacun s’accorde sur le respect de la convention des droits de l’enfant (CIDE) et sur la nécessité de son application, on se rend bien compte de la diversité des lectures, des interprétations et des mesures proposées dans les pays étudiés. Bien qu’œuvrant chacun dans l’intérêt de l’enfant, les mesures choisies de maintenir ou non l’enfant dans sa famille d’origine, de maintenir les liens avec celle-ci, de stabiliser et sécuriser le placement dans la famille d’accueil peuvent suivre des orientations totalement opposées selon les pays.
107Chacun tente de nouvelles approches, s’inspire de modèles existants ailleurs, soit d’une part en favorisant le soutien à la parentalité et la famille élargie (Italie, Espagne, Pays-Bas, Belgique), soit au contraire en développant une approche de remplacement en accordant une stabilité au milieu éducatif (Angleterre), puis d’autres oscillent entre les deux tendances (France, Luxembourg, Allemagne), mais tous se posent les questions relatives au bien-être de l’enfant et de sa famille d’origine, à la façon d’évaluer au mieux les situations de mise en danger, d’efficience du système, du bon recrutement des accueillants familiaux, du bon apparentement enfant-famille d’accueil, du statut des accueillants familiaux et de la reconnaissance des liens, du devenir des enfants confiés… Nous n’avons repéré aucun outil ou grille d’analyse spécialement construit pour mesurer l’attachement de l’enfant à ses familles d’accueil et d’origine, ni d’outil mesurant le délaissement parental (ONED, 2009), alors que l’on constate un allongement de la durée de l’accueil dans tous les pays, et une déperdition sensible des liens parentaux malgré l’idée dominante de la nécessité du maintien des liens d’origine dans bien des pays étudiés.
108De nombreux pays s’interrogent sur la possible professionnalisation du statut d’assistant familial. Alors que la France a démarré très tôt le processus de professionnalisation des assistants familiaux, dans nombre de pays les familles d’accueil sont bénévoles et ne sont pas rémunérées, c’est le cas de la Belgique, de l’Italie, de l’Espagne et des Pays-Bas, ces deux derniers pays s’engageant doucement dans ce processus. La professionnalisation sera un nouveau pas à franchir et engendrera inévitablement des conséquences sur le recrutement, l’accueil de l’enfant, les relations intrafamiliales d’accueil et d’origine.
109Nous avons vu qu’en fonction des choix politiques et idéologiques entrepris, l’expression de la parentalité d’accueil est différente selon les pays, certains où le contexte familial d’origine est déterminant, on constate une parenté d’origine soutenue et favorisée (Italie, Espagne, Belgique), d’autres au contraire la parentalité glisse vers la substitution et la parenté adoptive (Angleterre), puis certains basculent d’un côté, puis de l’autre en fonction des pratiques, des voix s’élèvent pour dénoncer les abus du maintien des liens (Gouttenoire, 2014) et tenter de faire évoluer les textes de lois dans la reconnaissance d’une parentalité partagée en favorisant l’adoption simple comme mesure de protection (Chapon, Neyrand, Siffrein-Blanc 2018).
110Comme on le voit, aucune réponse simple ne peut être dégagée à la question très sensible et complexe de la parentalité d’accueil. L’enjeu semble donc bien être celui de l’équilibre des pratiques, de leur questionnement permanent, et de leur individualisation en fonction d’une évaluation fine de la situation de chaque enfant et de chaque famille, dans le cadre de l’élaboration d’un projet de vie pour l’enfant. L’important dans une mesure d’accueil d’un enfant est de développer un lien d’attachement sécurisant d’origine ou d’accueil. Selon le temps cela peut être l’un ou l’autre, le plus souvent ce sera l’un et l’autre, c’est-à-dire reconnaître le passé de l’enfant et accepter le présent dans la pluralité des liens existants.
Notes de bas de page
1 Voir CRC/C/GC/7/Rev.1, 2006, paragraphe 15, disponible à l’adresse suivante : http://www2.ohchr.org/english/bodies/crc/docs/AdvanceVersions/ GeneralComment7Rev1.pdf
2 Nous avons mené des réflexions au sein du groupe de travail sur la Parentalité plurielle d’APFEL (Acting for Promotion of Fostering at the European Level), sur les notions de parenté, de parentalité, de leur co-existence, de l’application des textes de lois et des pratiques de terrain.
3 Nous retrouvons cette analyse dans le rapport de recherche Chapon N., Siffrein-Blanc C, (2017), « Qu’est-ce qui fait famille en famille d’accueil ? » ONED. http://www.onpe.gouv.fr/appel-offre/familles-daccueil-familles-dorigine-et-enfants-dans-laccueil-familial-appel-doffres
4 Article 358 du Code civil.
5 Office fédéral de la Justice, Confédération suisse, Août 2014, Mesures de coercition à des fins d’assistance et placements extrafamiliaux en Suisse avant 1981 http://www. fuersorgerischezwangsmassnahmen.ch/pdf/RT_Bericht_Vorschlaege_fr.pdf
6 https://www.tdg.ch/suisse/vaud-demande-pardon-enfants-places/story/20492491
7 Office fédéral de la Justice, Confédération suisse, Août 2014, Mesures de coercition à des fins d’assistance et placements extrafamiliaux en Suisse avant 1981. http://www.fuersorgerischezwangsmassnahmen.ch/pdf/RT_Bericht_Vorschlaege_fr.pdf
8 Data from : Dirección General de Servicios para la Familia y la Infancia. Ministerio de Sanidad, Servicios Sociales e Igualdad (2015). Boletín de Datos Estadísticos de Medidas de Protección a la infancia (Datos 2013). Boletín Estadístico n° 16. Madrid, Ministerio de Sanidad, Servicios Sociales e Igualdad.
9 Prévue par la loi n° 184 du 4 mai 1983 qui, modifiée par la loi 149 de 2001 qui s’intitule « droit des mineurs à une famille ».
10 Rapport d’analyse de la parentalité plurielle dans un contexte européen, Groupe de travail APFEL, non publié.
Auteur
Aix Marseille Univ, CNRS, LAMES, UMR-7305, Aix-en-Provence, France
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