Accueil familial et approche fondée sur les droits
Nouvelles représentations des enfants et des parents d’origine pour de nouvelles interventions
p. 83-93
Texte intégral
1Durant ces cinquante dernières années, l’accueil familial, parallèlement à l’accueil en résidence de petites dimensions et à caractère familial, s’est affirmé comme l’une des solutions alternatives au placement en institution d’enfants et d’adolescents maltraités. Il représente aujourd’hui l’une des stratégies d’intervention les plus importantes du secteur des services socio-éducatifs, auprès des enfants, des adolescents et des familles vulnérables, défini dans la littérature internationale comme « Child and Family Welfare » (CFW).
Penser l’action éducative à partir des droits
2Ces dernières années le Child and Family Welfare affronte de profonds changements, liés à la crise économique mondiale, à l’érosion de la raison éthique sur laquelle se fonde justement le welfare (Bauman 2000) et, en général, aux processus de globalisation (Ahmadi, 2003), mais également à une maturation de la recherche et à une qualification des pratiques en vue d’améliorer l’efficacité des interventions (Premoli 2012). Les transformations amorcées peuvent être comprises et non mal interprétées, gouvernées et non subies, si on les replace dans une optique globale (Pinkerton 2011), tenant compte du cadre général, qui dépasse le niveau national ou local dans lequel se développent, aujourd’hui, les phénomènes sociaux et si on encourage des processus de réflexions locaux, permettant d’acquérir une conscience relative aux idées et pratiques de travail socio-éducatif qui se développent.
3Les services éducatifs du « Child and Family Welfare » existent, sous différentes formes, dans tous les pays européens et assument toujours plus d’orientations, de prospectives et d’approches émergentes qui se répètent dans les différents contextes nationaux, sous l’influence en particulier de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant des Nations Unies (CIDE, 1989) et des politiques de soutien à l’intégration promues, en premier lieu, par la Communauté Européenne et, ensuite, par l’Union Européenne.
4En résumé, on peut affirmer que de nouvelles directions (orientations, approches, prospectives, logiques d’action) commencent à s’affirmer, non pas systématiquement, mais subtilement et sur une large échelle, en France, en Europe et dans le monde (voir schéma). Nous faisons référence, par exemple, à la tendance à dépasser l’opposition entre droit de l’enfant et droits de la famille en direction de la préservation de la famille, « family préservation » ; à l’apparition de paradigmes anti-déterministes comme la résilience, la valorisation des points forts et la recherche de la beauté ; à l’écoute du point de vue des petits garçons et des petites filles ; à l’encouragement de leur participation et de celle de leurs parents ; à l’approche interculturelle ; à la croissante attention à faire, des interventions socio-éducatives, l’objet de recherche et d’évaluation pour en améliorer la qualité et l’efficacité1.
Une approche fondée sur les droits
5L’adoption d’une prospective et d’une approche basée sur les droits, en particulier sur les droits établis par le CIDE, dont les principes peuvent être suivis en adoptant une politique sociale, d’intervention pédagogique et socio-éducative et représenter un code éthique pour les opérateurs sociaux (Reading et al. 2009) est le cœur battant de cette transformation lente, mais radicale.
6Imposer des droits – spécialement des droits humains – au cœur de l’éducation signifie donner de l’espace à la « défense de la personne dans son individualité » à la « recherche de justice », au « dépassement des nationalismes en faveur de la défense de l’homme, de la femme, de l’enfant, en tant que tels, quels que soient l’ethnie, le sexe, la religion, la culture » (Santerini 2001 : 111).
7Les droits humains représentent une plateforme concrète et raisonnable sur laquelle fonder un projet pédagogique et des interventions éducatives parfaitement légitimes. Ceci revêt une importance particulière aujourd’hui, en raison de la complexité émergente du pluralisme culturel au sens large du terme (non seulement ethnique, mais également politique, idéologique, éthique, etc.) qui caractérise les contextes sociaux pratiquement partout. Les droits, en effet, représentent les valeurs partagées par les citoyens des collectivités démocratiques, qui sont à la base du pacte de la vie en société ; il est, par conséquent, opportun, utile, nécessaire d’orienter intentionnellement les finalités du projet pédagogique et de l’action éducative en direction des droits fondamentaux établis par les législations nationales et les conventions internationales.
À travers le prisme des droits des enfants
8Dans le cadre du Child and Family Welfare, contexte dans lequel on œuvre à l’intérieur de systèmes familiaux caractérisés par certaines valeurs, par des styles éducatifs et des modèles de parents légitimement variés, une approche pédagogique et éducative basée sur les droits, sur une pédagogie des enfants et des adolescents ne pouvant avoir d’autre référence que la Convention internationale des Droits de l’Enfant, promulguée par les Nations Unies le 20 novembre 1989 (Premoli 2012) doit être soutenue.
9La CIDE est un traité sociopolitique qui met en évidence les obligations que l’État – et les services sociaux en particulier – ont envers les enfants et leurs parents (Vandenbroeck 1999). De plus, la Convention réserve une attention particulière aux groupes d’enfants plus vulnérables, y compris aux enfants à risque, pris en charge par les services (Gutbrandsson 2006).
10Selon Grietens (2010), la ratification de la CIDE par tous les pays européens et son introduction progressive dans toute l’Union représente une des évolutions fondamentales du Child and Family Welfare européen, de même qu’un instrument particulièrement important pour la protection des enfants, la tutelle de leurs droits et le support des processus de « empowerment » les concernant.
11Les quatre principes généraux sont les piliers de la Convention et abordent tous les droits de son contenu :
- le principe de non-discrimination (art. 2, CIDE), selon lequel tous les droits établis par la CIDE s’appliquent à tous les petits garçons et petites filles, jeunes hommes et jeunes filles, sans aucune distinction ;
- le principe du meilleur intérêt (art. 3), qui établit que, dans toutes les décisions concernant les enfants, le meilleur intérêt de l’enfant doit être une considération primordiale ;
- le principe de droit à la vie, à la survie, au développement (art. 6) ;
- le principe de participation et respect du point de vue de l’enfant (art. 12), qui établit le droit de l’enfant à être entendu, ses opinions devant être dûment prise en considération.
12Carlo Alfredo Moro (2000 : 9), souligne que par la ratification de la Convention :
même un principe à caractère purement programmatique comme celui de l’article 3 (le meilleur intérêt, nda) finit par devenir un principe charnière des systèmes juridiques nationaux : en effet les principes généraux de la réglementation constituent un critère fondamental d’interprétation des normes individuelles […] pour surmonter les ambiguïtés de ces dernières.
13L’approche basée sur les droits dépasse les orientations centrées sur les besoins, encourageant l’« empowerment » et la participation, exigeant une responsabilité plus importante des institutions dans le développement de meilleures conditions de vie et de compétences (Ljiungman 2005). Adopter une telle approche nécessite, avant tout, une transformation du regard de l’observateur sur les situations problématiques, conceptualisant le besoin apparent qui est vu comme un droit non réalisé (et éventuellement nié) ; considérant les personnes concernées, non comme des victimes ou des objets de l’intervention, mais plutôt comme les sujets d’un processus de croissance et de renforcement destiné à les rendre capables de réclamer leurs droits ; exerçant l’attention et mettant en service des interventions, non seulement au niveau micro systémique des contextes relationnels et de vie, mais également à des niveaux plus amples du contexte social, économique, culturel et politique.
14Les professionnels travaillant avec les enfants et les adolescents doivent interagir avec la réalité, au travers du prisme des droits, qui, en premier lieu, permet de considérer l’action éducative en se demandant, à chaque fois, quel est le meilleur intérêt de l’enfant en question. Dans certaines langues, comme le français et l’italien, le concept de « the best interest of the child », exprimé par l’article 3 de la CIDE, a été traduit par « intérêt supérieur ». Une traduction plus littérale, privilégiant le concept de meilleur intérêt de l’enfant, semblerait plus opportune, car bien qu’il s’agisse, dans les deux cas, d’adjectifs superlatifs relatifs, « supérieur » implique de façon marquée une idée de comparaison (intérêt de l’enfant supérieur à celui de quel autre ?), alors que « meilleur » semble prendre davantage en considération l’intérêt absolu de l’enfant, comme bien inaliénable. En somme, on peut affirmer l’idée que l’intérêt de l’enfant ne puisse et ne doive pas être présenté comme étant en conflit avec les intérêts adultes (des parents, des enseignants, des opérateurs, ...).
La meilleure façon de protéger un enfant : lui restituer ses parents (plus compétents)
15Les interventions s’adressant aux enfants, adolescents et familles vulnérables se transforment par l’évolution de l’idée réductive de tutelle du mineur et de prévention de la maltraitance infantile vers une idée de « bientraitance » des familles et des liens familiaux (Pourtois et Desmet 2005 ; Sellenet 2007) ; de l’antithèse des intérêts des mineurs et de la famille vers le « family focus in child and welfare », aux pratiques d’intervention centrées sur la famille (Parton et Mathews 2001 ; Allen et Petr 1998) et sur les services orientés à sa tutelle (« family preservation services ») (Maluccio 1981 ; Pecora et al. 2000 ; Schuerman, Rzepnicki, Little 1994).
16Milani (2009 (a) : 8) souligne que la « recherche internationale affirme aujourd’hui de façon univoque, qu’au lieu de s’orienter vers « la protection du mineur », il est prioritaire de centrer l’intervention sur « la protection de la famille » dans son ensemble, en évitant d’éloigner l’enfant et en cherchant le moyen d’aider les parents à prendre soin correctement de leurs propres enfants ».
17Concentrer l’objectif de l’intervention sur la famille permet de reconnaître que le « système familial est influencé par l’interdépendance de ses membres et que, renforcer et soutenir la famille entière et non seulement l’enfant, permettra d’augmenter remarquablement les possibilités d’apporter des changements significatifs pour tous les composants du noyau familial » (Dunst, Trivette, Deal 1988 : 6).
18La tendance à placer la famille au centre de l’intervention réside dans la recherche indispensable d’un équilibre satisfaisant entre protection de l’enfant et tutelle de la famille, entre promotion d’actions « dans le meilleur intérêt de l’enfant » et reconnaissance des droits parentaux (Goldstein et Solnit 1978). Dans cette logique, le débat s’instruit entre éloignement du mineur – et son placement en institution résidentielle ou accueil – et la prise en charge du mineur et/ou de la famille par une assistance à domicile ou journalière (Kamerman, Kahn 1990).
19Il est fondamental d’examiner les situations concrètes, pour éviter que les orientations théoriques ne prennent le dessus de façon idéologique (Pecora et al. 2000), ce qui amènerait à l’introduction hâtive d’un « focus in Child welfare », mettant ainsi en risque les enfants, en les laissant dans des contextes familiaux à haut risque de dangers, où les interventions de soutien à la parentalité sont inefficaces (Gelles 1996).
20Trouver un équilibre entre droits des enfants et droits des parents n’est pas simple, surtout dans l’action quotidienne (Besharov 1985). Nous connaissons tous les difficultés rencontrées par les opérateurs sociaux, écartelés entre la conscience qu’ils ont de l’importance de la famille et des parents pour un enfant, la nécessité de donner une opportunité de rachat et de transformation aux parents soumis, eux aussi durant leur enfance, à des mauvais traitements et à des négligences, et la réalité physique, émotive, relationnelle, quotidienne, avec des enfants et des adolescents maltraités, oubliés, invisibles, avec leurs peurs et leurs insécurités, les bleus, les blessures. Il n’existe pas de solutions toutes prêtes, adaptées à chaque situation. Ce sont la compétence et la sensibilité du professionnel préparé et expert qui doivent guider l’interprétation et la compréhension de chaque situation, en collaboration avec les opérateurs avec lesquels il travaille.
Parents vulnérables et transformations possibles
21Dans le cadre de l’accueil familial également, une attention spécifique doit être réservée aux adultes (parents, en particulier) qui s’occupent des enfants et des adolescents éloignés de leurs familles, dans le but de leur enseigner à penser, raisonner, réfléchir par eux-mêmes : il s’agit en effet de femmes et d’hommes impliqués dans des événements à caractère fortement relationnel et existentiel (l’éloignement de leurs enfants) et qui peuvent évoluer vers des formations et des apprentissages appropriés à la résolution de problèmes et de situations critiques spécifiques, (Demetrio 2003 (b) leur permettant d’éviter également des comportements dangereux pour leurs propres enfants (Barth 2009).
22L’intervention en faveur de ces familles vulnérables doit être absolument repensée à la lumière de la conception de l’adulte qui s’affirme de plus en plus au cours de ces vingt dernières années (Demetrio, Alberici 2002). L’idée traditionnelle d’adulte est une idée rigide, stable, liée à des modèles définis par les exigences du monde productif ou des appareils idéologiques des doctrines sociales, alors que la notion émergente d’adultité fait apparaitre la complexité irréductible de l’expérience adulte et permet de penser à cette condition existentielle et à ce rôle social en des termes de fluidité, mobilité, changement (Demetrio 2003 (b). Il s’agit d’une nouvelle conception du développement de l’individu vu comme un processus doté de dynamisme et de plasticité et en perpétuelle transformation durant toute la vie.
23Dans ce sens également, « la parentalité, interprétée comme fonction de l’individu adulte […] peut être apprise et soutenue » (Milani 2009 (b) : 18). Et cette affirmation est également valable pour les adultes vulnérables qui prennent la mesure de leur « (in) compétence » également dans la fonction parentale (Formenti 2008). Si on offre la possibilité à ces parents de « reprendre un contact réflexif avec le monde », par exemple à travers l’accompagnement à domicile, une psychothérapie familiale, la participation à un groupe de parents vulnérables, « quelque chose de nouveau arrive, et c’est cela l’éducation » (Demetrio 2003 (a)).
24Soutenir les parents vulnérables d’après les indications de l’éducation des adultes signifie :
- placer le sujet au centre avec ses exigences de développement et la possibilité d’une transformation et d’une croissance tout au long de son existence (Alberici 2002) ;
- valoriser la biographicité, entendue comme capacité de construire de façon autonome un projet de vie et de le poursuivre de façon créative et flexible (Alheit, Dausien 2000) ;
- promouvoir la pensée réflexive : il s’agit de favoriser l’acquisition de nouvelles façons d’être parents, en passant des zones de pré-réflexivité à des zones plus conscientes, et d’accompagner le développement d’une pensée critique et réflexive comme condition pour le développement d’une nouvelle façon d’être parents.
- comprendre les spécificités contextuelles d’un système familial pour essayer de comprendre les compétences de type local développées par le parent dans sa pratique et en faire le point de départ d’une œuvre de reconnaissance et de valorisation de ce qu’il existe de positif (Fabbri
2007).
Une nouvelle représentation des parents : « mamans et papas un peu comme ci un peu comme ça »
25L’objectif de l’aide et du soutien aux familles vulnérables ne réside pas dans la recherche des problèmes et des difficultés, mais consiste plutôt à repérer, à l’intérieur et autour du système familial, les ressources et les points forts, même s’ils semblent inexistants au premier abord (Walsh 2008). La réalité, les histoires, les caractéristiques, les problèmes et les ressources de chaque famille présentent des aspects d’unicité qui doivent être écoutés, compris, valorisés et auxquels doit correspondre une réponse sociale et éducative non standardisée, mais personnalisée (Milani 2009 (a)).
26Différentes recherches mettent en relief que l’implication des parents est un élément essentiel pour obtenir des interventions efficaces dans le cadre des services socio-éducatifs pour enfants vulnérables (Dawson, Berry 2002 ; Littell 2001 ; Berry 1992).
27Pour pouvoir réellement préserver le meilleur intérêt de l’enfant, il est nécessaire de travailler avec sa famille d’origine. Il n’est pas impossible d’avoir des parents « suffisamment bons » (pas explicitement formulé en ces termes) mais dans ce cas, quelqu’un doit s’occuper de ces parents incompétents pour les rendre capables, selon leurs possibilités, de prendre soin de leurs enfants. Il est évident que pour pouvoir travailler de façon efficace avec les parents, il est nécessaire de redéfinir la façon de penser les parents.
28Le « métier » de mère et père ne peut s’apprendre qu’en l’exerçant concrètement. Il s’agit d’une compétence pratique, contextuelle, située dans le système de relations familiales, sociales, culturelles.
29Parler de parents « incompétents » permet de penser à un changement dans le sens du développement de compétences. Il existe des moyens de remplacer les étiquettes dysfonctionnelles, signalant une vision déterministe des familles quand, par exemple, elles sont qualifiées comme des familles très problématiques (« multi-problems families »). On a suggéré de les appeler familles « échevelées » ou de penser que ce sont des « mamans et papas un peu comme ci un peu comme ça » (Prandin, Papetti 2006). Il s’agit de penser autrement ces familles et ces parents, ce qui est la condition nécessaire pour une possible transformation. Il existe :
Des façons d’être parents ou de ne pas l’être, qu’il est facile de critiquer, stigmatiser, juger négativement, avant de les avoir réellement comprises. Lire […] les histoires de mamans et de papas un peu spéciaux, un peu normaux, un peu limites, signifie essayer de comprendre, avec légèreté ou avec un regard tendre, sans jugement, les comportements qui blessent, même non intentionnellement, les attitudes qui confondent, alors qu’elles voudraient transmettre amour et présence (Formenti 2006, postface).
30En effet, pour réussir à comprendre ces personnes et ces liens, sans condamner ou étiqueter :
Avec des définitions précises – C’est un incapable... Il est fou... Elle est méchante... Elle a des problèmes... – est une tâche importante qui s’impose, au résultat potentiellement thérapeutique. C’est un acte profondément éthique (Formenti 2006).
31Selon Paola Milani (2009 (b) : 26-27), « le concept de “compétence parentale” est une construction sémantique qui se réfère à la capacité pratique des parents à guider, protéger, éduquer et assurer une croissance harmonieuse de leurs enfants » ; et on se demande alors « quel est le niveau minimum d’attention et de soins demandé aux parents ? ». Il ne s’agit pas d’une demande spéculative, mais d’une demande qui touche des aspects essentiels pour l’histoire de l’enfant et de sa famille, car ils ont des rapports avec éloignements et réunifications, prescriptions d’interventions de toutes façons invasives et souvent coactives. Et ceci est vrai en particulier du point de vue judiciaire.
32Alors que les indicateurs de maltraitance peuvent être considérés comme des éléments objectifs relevables par un observateur qualifié et interprétables de façon univoque, le pronostic, c’est à dire la définition de l’intervention appropriée pour une certaine famille, résulte de la relation entre opérateur et parent vulnérable (Milani 2009 (a) ; Milani 2009 (b) ; Serbati, Milani 2011). Il apparait inévitable, dans ce sens, de retourner la question de la récupération du parent (peut-il être aidé et récupéré ?), et d’évaluer si les compétences des professionnels intéressés peuvent activer et soutenir un processus de changement permettant la récupération de ses compétences éducatives. Une telle transformation de la perspective de la signification (Mezirow 1991) pourrait évidemment créer des difficultés à l’opérateur sur le plan épistémologique (est-il capable de développer un niveau suffisant de réflexivité pour remettre en question ses propres pratiques professionnelles et par conséquent les modifier ?), sur le plan socioculturel (est-il capable de se décentrer suffisamment et de sortir d’une culture professionnelle définie pour avoir un autre point de vue ?) et surtout, sur le plan psychologique (le concept de soi est-il remis en question et à quel niveau, par une idée d’évaluation ainsi renversée, remettant en question la compétence et la responsabilité de l’opérateur même ?).
Soutenir la parentalité vulnérable
33Durant ces dix dernières années, les interventions de protection des enfants et des adolescents dans les pays occidentaux se sont orientées vers la diminution des éloignements (accueil en résidence et accueil familial) et la diffusion simultanée des services éducatifs journaliers, à domicile, territoriaux de prévention et de promotion (Fablet 1993), dans le but de requalifier les compétences parentales, de récupérer la qualité des liens et d’éviter les séparations, également au travers de pratiques impliquant la famille d’origine et la réunification dans
34toutes les situations où l’éloignement d’un enfant ou d’un adolescent est jugé inévitable (Milani 2009 (b)).
35La possibilité de bénéficier d’un soutien aux propres compétences parentales est une opportunité pour le parent, une ressource pour sortir de sa propre vision subjective et autoréférentielle, par la confrontation avec une nouvelle vision de la réalité. Cette intervention n’a pas l’objectif de faire émerger ou de transmettre ce que le parent ne sait pas faire ou les erreurs qu’il fait, mais de proposer des points de vue différents, pouvant stimuler la réflexivité et les apprentissages transformationnels (Schön 1983 ; Mezirow 1991 ; Vitale 2011). On essaie par conséquent de « créer une relation sous forme de négociation, implication et co-construction, en la libérant, au moins en partie, du sens de contrainte qui est inévitablement perçu à l’intérieur du circuit de la tutelle des mineurs » (Premoli, Confalonieri, Volpi 2012 : 100).
36Lorsque l’on décide de séparer l’enfant de son propre noyau familial, il est nécessaire de prévoir des formes de soutien à la famille d’origine et aux réseaux de proximité (parenté, voisinage, amitiés, volontariat) qui sont autour d’elle pour la renforcer et créer les conditions appropriées au retour de l’enfant (Milani 2009 (b)). Si l’on constate des formes de négligence ou de maltraitance qui nécessitent l’éloignement de l’enfant ou de l’adolescent de sa famille, on se trouve face à une « parentalité cassée » dont il faut prendre soin dans l’intérêt même de l’enfant éloigné (Milani 2009 (c)). Selon Dunst, Trivette et Deal (1988), à travers la reconnaissance de l’interdépendance des différents membres du système familial et le renforcement du système complet, la possibilité d’introduire des changements et des transformations pour tous les composants augmente.
Connaître et construire les facteurs de succès pour un bon retour en famille
37Différents auteurs (Farmer, Parker 1991 ; Cleaver 2000 ; Malet et al. 2010) identifient les facteurs de succès pour un bon retour en famille d’un enfant éloigné : un bon attachement entre enfant et parents naturels ; la motivation des parents au changement et à la demande d’aide ; un soutien résolu et approprié, perçu également comme une expérience positive ; un contrôle et une restitution constants du parcours effectué ; des services de support dans la phase du retour en famille ; la durée de l’éloignement inférieur à un an ; la stabilité du placement ; les changements limités (ou aucun changement) de la composition de la famille d’origine ; l’âge de l’enfant (bas) ; et son retour simultanément à celui d’autres frères ou sœurs éloignés.
38Une intéressante recherche norvégienne sur la participation et l’implication des familles dans les situations d’éloignement a démontré également, l’importance du concept de « reconstruction de la parentalité » pour les parents vulnérables (Willumsen, Severinsson 2005). Se reconstruire comme parents passe par quatre phases de changement et d’apprentissage :
- supporter son propre enfant (en particulier, vivre en tenant compte des imprévus, comprendre la complexité du vécu du propre enfant, se confronter au refus, reconquérir sa confiance) ;
- demander et prétendre de l’aide (collaborer et participer aux décisions, se faire écouter, partager les responsabilités, se fier) ;
- lutter pour une vie normale au quotidien (s’occuper des membres restants de la famille, se confronter à l’incertitude et aux préjugés, se préparer à accueillir son propre enfant) ;
- conserver l’estime de soi (s’efforcer d’être un bon parent, obtenir le respect, la recherche de reconnaissance, résoudre ses propres problèmes).
39L’éloignement d’un enfant peut être vécu comme une rupture (breakdown) à deux niveaux : une rupture des soins parentaux et de la relation quotidienne entre parents et enfant ; une rupture de la relation entre parents et services socio-éducatifs qui accompagnent la famille avant l’éloignement. Il faudrait effectivement évaluer au cas par cas l’éventuelle poursuite d’une forme d’accompagnement socio-éducatif pour les parents d’un enfant éloigné par les opérateurs ayant conduit l’intervention jusqu’à ce moment-là. Poursuivre le travail avec un professionnel connu et qui connaît l’histoire de la famille pourrait constituer une base sûre sur laquelle construire un nouveau parcours de travail sur soi.
40La rupture peut être cependant également ressentie comme une « percée vers » (« break trough ») ou comme un tournant (Christiansen, Skaale Havnen 2003). Les parents entrent dans une nouvelle phase, marquée par la décision de l’autorité judiciaire, qui comporte, d’une part, une menace à leur propre essence parentale et d’autre part le début d’une lutte pour obtenir de l’aide par des services et reconstruire une relation de support avec leur propre enfant. Cette nouvelle phase peut ouvrir des perspectives inédites sur la propre façon d’être parent et sur les motivations pour participer au processus de redéfinition des liens familiaux.
Ofelia
Mme Ofelia est la mère de George.
Elle est toujours élégante, vêtue de noir.
Elle travaille dans un atelier de couture.
Mme Ofelia divise
son temps en jours pairs et jours impairs.
Impairs et pairs ?
Et aujourd’hui, quel jour on est ? BIM BAM BOUM… .
Un jour pair, Ofelia a toujours du rouge à lèvres
et elle accompagne George à l’école.
La marque de son baiser doux, reste imprimé, comme peint,
sur la peau de Georges.
Parfois, ses camarades le taquinent en demandant :
— Qui as-tu embrassé ?
Mme Ofelia est la mère de George.
Les jours impairs, personne ne la voit.
Elle s’enferme dans la maison, ne dit pas un mot, et
elle reste assise sur un fauteuil du salon,
dans l’obscurité.
Mme Ofelia, les jours impairs
Regarde passer les nuages noirs,
chargés de tempête, qui se sont donnés
rendez-vous dans ses pensées.
Les jours impairs,
George est un enfant plus âgé.
Il est seul, il prépare avec soin le petit déjeuner :
lait, orge, sucre, biscuits sablés.
Ensuite, il quitte la maison,
et quand Sara et Alexander passent avec leur mère,
il se joint à eux qui vont à l’école.
Les jours impairs,
George observe d’autres mamans.
Mme Ofelia et George, aujourd’hui, après l’école
vont au parc.
Parce qu’aujourd’hui est un jour pair, et
il n’y a pas de nuages noirs à l’horizon.
41Cette histoire est tirée de A. Prandin A., L. Papetti L., Mamme e papà un po’ così e un po’ cosà, Belvedere Marittimo, CS : Coccole e Caccole, 2006.
Notes de bas de page
1 Pour un développement plus ample des nouvelles orientations de « Child and Family Welfare », voir S. Premoli (2012).
Auteur
Universita Cattolica del Sacro Cuore di Milano
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