De la parentalité d’accueil à la coéducation
Un modèle spécifique de coparentalité
p. 39-48
Texte intégral
Un jour il m’a fait un dessin, une grosse femme avec cinq enfants dans le ventre et un autre sur le bord et il m’a dit, « T’as vu t’en as pas cinq mais six, Damien il est là sur le bord de ton ventre »
1Mélodie est une jeune femme placée à l’âge de sept mois dans sa famille d’accueil pour cause de maltraitance.
2L’histoire de la prise en charge par l’aide sociale à l’enfance de cette enfant commence à l’hôpital lorsque l’on constate que le bébé âgé de vingt jours a subi plusieurs traumatismes crâniens, sept fractures au bras, trois au pied, qu’elle présente des hématomes sur tout le corps, des cals à l’intérieur des os… Le père prétexte une chute dans la baignoire, puis avoue qu’il ne supportait pas les pleurs et les cris du bébé. Les parents sont jugés et incarcérés. Mélodie est hospitalisée, soignée et placée à la pouponnière Saint-Gabriel pendant presque sept mois. L’équipe s’aperçoit au fil du temps d’un mal-être chez ce bébé, des signes d’hospitalisme sont présents, elle se balance contre le mur, fuit le regard… Un placement en famille d’accueil est alors décidé.
3Mélodie est placée chez une assistante familiale d’origine sénégalaise, Dak, qui va occuper d’elle jour et nuit, la nourrir, l’entourer, la bercer, la masser. La relation développée avec Mélodie est fusionnelle.
4« Il fallait qu’elle vive, c’était obligé Alors toute la famille a porté cet enfant. »
5Mélodie a aujourd’hui vingt-trois ans, elle a grandi, elle a compris son histoire, et ses souffrances semblent apaisées. Elle a son propre appartement, juste à côté de sa famille d’accueil, elle travaille. C’est une belle jeune femme. Elle maintient le lien et le dialogue avec sa maman et son papa, elle invite son frère et sa sœur chez elle, et poursuit la construction de sa vie.
6Dak explique l’éducation qu’elle a donnée à cet enfant, son accompagnement dans la vie, la compréhension de son histoire, la transmission des valeurs :
Je lui ai expliqué l’enfance de sa maman et pour chaque âge ce qu’elle pouvait en entendre. Qu’elle ne devait pas lui en vouloir, c’était indépendant de sa volonté, elle lui devait respect et politesse. J’ai poursuivi jusqu’à ce qu’elle puisse comprendre et accepter la pathologie de ses parents.
7L’histoire de Mélodie témoigne de la place centrale de cet enfant au sein de la famille d’accueil et de l’existence de relations affectives fortes, elle questionne les places de chacun autour de l’enfant et plus largement l’inscrit au centre d’un débat sur la parentalité d’accueil.
L’ambivalence entre liens du sang et liens électifs
8Par sa fonction première d’accueillir un enfant dans une famille dont l’un des conjoints est rémunéré pour cela, l’accueil familial baigne dans une ambivalence sournoise et constante où se mêlent affection familiale et professionnalisation, deux logiques aujourd’hui encore antagonistes renvoyant à celle de la substitution par la famille d’accueil et à celle de la pérennité de la famille d’origine1.
9La logique de substitution se fonde sur une représentation de la famille d’accueil comme d’une famille substitutive remplaçant la famille d’origine, effaçant progressivement les liens d’origine et inscrivant l’enfant totalement dans cette nouvelle famille, où l’assistant familial devient le nouveau parent.
10La logique de la pérennité se fonde au contraire sur l’idéalisation du lien biologique, la continuité de l’existence de la famille d’origine au-delà du placement des enfants et de la séparation du couple parental, par une reconnaissance du caractère irremplaçable des parents d’origine et une accentuation de la professionnalisation des assistants familiaux.
11Ces deux modèles de représentation coexistent aujourd’hui, héritage d’une longue histoire de l’accueil des enfants et de la conception des liens familiaux qui s’inscrivent dans une filiation exclusive biologique ou adoptive. On est ainsi passé d’un système considérant la famille d’origine comme « nocive et toxique, non pas parce que maltraitante mais parce que incapable d’assurer l’éducation scolaire et morale de l’enfant » (Tomkiewicz 1995) à un système inverse à celui des années 1960, où la famille d’origine doit être maintenue, respectée et reconnue dans ses droits à l’égard de l’enfant.
12Notre système de parenté nous conduit donc à un dilemme : ou les liens dans la famille d’accueil n’existent pas, ou les liens dans la famille d’origine n’existent plus C’est l’un ou l’autre, l’un effaçant l’autre, mais rarement l’un et l’autre. Or les nouvelles configurations familiales nous exhortent justement à reconsidérer ce positionnement et à nous ouvrir à l’élargissement et la reconnaissance des différents acteurs familiaux autour de l’enfant. La parentalité d’accueil est un des chemins permettant de reconnaître chacun à sa juste place. En accueil familial l’enfant s’est construit avec ses deux familles, l’une d’accueil avec laquelle il partage son quotidien et l’autre d’origine avec laquelle il partage des moments de vie adaptés à la situation parentale. L’une et l’autre sont importantes pour l’enfant, pour son développement, pour sa construction. Aujourd’hui, c’est justement hors de cette alternative du tout ou du rien, sous une forme atténuée, que les situations familiales d’accueil se vivent. Théry (1991 : 154) parle de niveau juste, celui qui échappe à la fois à la tentation de la négation du présent au nom du passé, qu’à l’effacement du passé au nom de la construction du présent.
La parenté, un système complexe
13Pour appréhender les situations complexes de l’accueil familial, il convient de les situer dans le contexte général des mutations actuelles en utilisant une démarche pluridisciplinaire, afin d’expliciter la dynamique des composantes de la filiation et éviter la bipolarisation entre filiation biologique et filiation sociale. Cette première partie vise à reposer le contexte spécifique de la famille d’accueil et des rapports de filiation. Le dispositif de parentalité (Neyrand 2011) permet d’appréhender sous un nouvel angle les rapports familiaux existants au sein de ces familles qui s’inscrivent en dehors du système de parenté tout en s’y référant (Chapon-Crouzet, Neyrand 2005).
14La première étape consiste à clarifier les termes utilisés de parenté et de parentalité.
15Ainsi, pour désigner l’ensemble des individus liés par le sang et l’alliance, on utilise la notion de parenté.
16La parenté est composée de trois types de liens possibles dans une famille :
- le lien de filiation (père, mère/fils, fille),
- le lien d’alliance (homme et femme unis par le mariage),
- le lien de germanité (frère/sœur).
17Notre système de filiation s’accompagne d’une norme d’exclusivité : chaque individu n’est en position « de fils de » ou « fille de » que par rapport à un seul homme et à une seule femme (Ouellette 1996). Ainsi dans des situations spécifiques comme la procréation médicalement assistée ou l’adoption qui introduisent plus de deux parents, la société se trouve confrontée à une difficulté : que fait-on des géniteurs ? La société a tendance dans certains cas à éliminer les géniteurs pour mieux établir la parenté sociale, pensée comme substitutive, c’est le cas de la loi du 29 juillet 1994 sur la bioéthique qui érige l’anonymat du donneur au rang des grands principes qualifiés « d’ordre public » (Fine 2013). On efface l’un au profit de l’autre. Cette conception indivisible de la filiation est bousculée par l’évolution sociale et familiale.
18Bien que certains auteurs (Cadoret 2001), dans une approche anthropologique ayant étudié les systèmes de parenté en familles d’accueil, inscrivent leurs travaux dans le champ de la parenté plurielle ou d’une paternité sociale (Martins 2010), nous préférons à ce contexte spécifique mobiliser une approche pluridisciplinaire de la parentalité d’accueil (Chapon 2014), reflétant une évolution socio-historique, une restructuration des logiques d’affiliation dans les relations sociales, signe d’une mutation de l’ordre familial, de ses fonctions et de ses liens.
19La référence unique à notre propre système de parenté ne permet pas d’envisager un tel élargissement, bien que les mutations familiales et l’émergence de nouvelles procréations médicalement assistées bousculent nos références. La parentalité se précise et s’associe à d’autres notions formant un vocable spécifique aux phénomènes sociaux étudiés, tel que celui de la parentalité d’accueil.
La parentalité, une approche pluridisciplinaire
20L’usage des notions participant de la parenté renvoie à notre système de parenté, à une structure définie, à des nominations précises déterminant une place spécifique pour chacun au sein de la famille. Dans une famille d’accueil, la référence au cadre de la parenté inscrit l’enfant dans un ordre familial qui n’est pas le sien, et ne permet pas de reconnaître l’élargissement des liens d’affiliation présents, qui ne sont des liens ni de filiation, ni d’alliance et/ou de germanité. Le terme parentalité, lui est plus large, ouvert à de nouvelles perspectives. Il s’agit d’une définition souple privilégiant l’aspect dynamique, le fait « d’être et de rester parent au-delà des défaillances personnelles, structurelles ou contextuelles » (Sellenet 2000 : 3).
21Ce que souligne le concept de parentalité, c’est qu’il ne suffit pas d’être géniteur, ni d’être considéré comme le parent de l’enfant, encore faut-il « devenir parent » (Solis-Ponton 2002), c’est un processus qui mène à l’état d’être parent, par la mise en œuvre d’un ensemble de façons de vivre le fait d’être parent. La définition de Godelier (2004 : 239) rend compte de cette ouverture :
La parentalité désigne l’ensemble culturellement défini des obligations à assumer, des interdictions à respecter, des conduites, des attitudes, des sentiments et des émotions, des actes de solidarité et des actes d’hostilité qui sont attendus ou exclus de la part d’individus qui – au sein d’une société caractérisée par un système de parenté particulier et se reproduisant dans un contexte historiquement donné- se trouvent, vis à vis d’autres individus, dans des rapports de parents à enfants…
22Cette approche met davantage en œuvre les fonctions d’être parent que la structure même du système de parenté, elle laisse entrevoir pour des individus faisant « fonction de parents », la possibilité d’une extension des rapports de parentalité.
La parentalité d’accueil
23L’usage du terme de parenté signifie que l’enfant placé s’inscrit généalogiquement, juridiquement dans une nouvelle famille, ce qui ouvre à un élargissement des liens de filiation, d’alliance et de germanité. Or notre système actuel de parenté ne permet pas la reconnaissance des liens électifs. La parenté s’inscrit soit dans la filiation biologique, soit dans la filiation adoptive en aucun cas dans une filiation élective comme on peut le retrouver dans le partage du quotidien avec le beau-parent dans les familles recomposées, les familles homoparentales ou le couple d’accueil en familles d’accueil. La notion de parenté apparaît donc ici inappropriée.
24Le croisement pluridisciplinaire (juridique, anthropologique, sociologique, psychologique) permet d’appréhender différemment l’accueil familial en ouvrant à la possible existence de différentes figures parentales, la circulation des enfants et l’importance du temps passé à vivre ensemble. Nous estimons que la relation que le couple d’accueil établit avec l’enfant confié s’inscrit dans une parentalité singulière, toute particulière, dans une parentalité d’accueil.
25La parentalité d’accueil peut devenir une parentalité partagée (Steinhauer 1996) car au-delà des défaillances personnelles, structurelles ou contextuelles, les parents restent les parents. Le placement de l’enfant est vu sous l’angle du partage, de son intégration dans la structure d’accueil et de la persistance des liens d’attachement avec ses parents d’origine. On peut parler de parentalité partagée pour les placements de longue durée. Il s’agit de permettre à l’enfant placé de s’épanouir dans sa famille d’accueil tout en conservant des relations avec ses parents d’origine. Une reconnaissance mutuelle des familles d’accueil et d’origine est nécessaire à la réalisation de cette osmose. Cette analyse souffre de nombreuses résistances y compris chez les professionnels de l’enfance basées sur des conceptions faussées, notamment celle reconnaissant l’impossibilité pour un enfant d’avoir plusieurs figures d’attachement, la présence de conflits internes chez l’enfant liés à la présence de plusieurs figures maternelles et la croyance en la vertu d’une seule figure celle de la mère favorisant au plus vite un retour dans la famille d’origine (on pense ici à la résistance des références à la monotropie), ou au contraire une adoption dans la famille d’accueil. Afin de dépasser les résistances de certains professionnels de l’enfance, nous nous référons aux derniers travaux réalisés sur ce sujet qui montrent combien il est important de dépasser l’opposition lien de filiation et lien d’affiliation.
La famille d’accueil et l’enfant accueilli, des modes de suppléance à la coéducation
26On s’inscrit ici dans l’analyse conceptuelle de la suppléance familiale (Durning 1999, Chapon 2014) c’est-à-dire que la famille d’accueil supplée la famille d’origine à un moment donné, elle ne la remplace pas, elle vient en supplément de la famille d’origine, fragilisée à un moment dans son parcours parental. Nous croisons ici deux approches, celles de la suppléance et de la parentalité d’accueil. Ces travaux s’appuient sur une recherche réalisée auprès de quarante assistantes familiales de l’Aide sociale à l’enfance, qui interroge les perceptions et les discours au sujet des relations affectives présentes en famille d’accueil à partir de différents facteurs : l’histoire de l’accueil de l’enfant, les caractéristiques de l’enfant, les circonstances du placement, l’histoire parentale, la perception et l’attitude de la famille d’accueil, la perception de la durée du placement, le rythme de rencontres parentales...
27Nous allons présenter les quatre modes de suppléance qui se positionnent sur un continuum qui se partage entre substitution et prédominance parentale. La suppléance substitutive, se caractérise par une substitution par la famille d’accueil lors de placement de longue durée ; la suppléance partagée se présente comme une double affiliation, reflétant une parentalité partagée qui se construit en fonction du présent en tenant compte du passé et peut conduire à une coparentalité. La suppléance soutenante s’oriente vers un soutien à la parentalité et une intervention ponctuelle et enfin la suppléance incertaine dévoile une situation de placement en attente et un enfant isolé affectivement.
28Voici une présentation des quatre modes de suppléance.
29La suppléance substitutive. La substitution désigne le fait de prendre la place de l’autre parent ; la famille d’accueil prend ici la place de la famille d’origine et au-delà considère l’enfant comme son propre enfant. Face à une absence de relation parentale, à une déperdition des liens, la famille d’accueil se substitue progressivement à la famille d’origine, en prenant toute la place laissée vacante par les parents. On s’oriente alors, soit vers un placement de longue durée, soit vers une adoption déclarant l’abandon de l’enfant (la demande est examinée par le conseil de famille, mais la famille d’accueil n’est pas prioritaire dans la démarche).
30Mahid est arrivé à l’âge de deux mois, il est devenu adoptable à quatre ans et demi. Pendant deux ans il est resté sans contact maternel malgré les multiples relances du service. La famille d’accueil prioritaire dans la démarche d’adoption a décidé de garder Mahdi qui devient ainsi le cinquième enfant de la famille :
Quand vous avez un enfant à deux mois, vous vous y attachez, même si on ne veut pas le faire parce qu’il peut partir, dans la vie quotidienne on oublie qu’il partira un jour. Il est là sept jours sur sept, ce n’est pas deux heures de visite qui vont changer quelque chose… La situation avec sa mère était catastrophique, entre deux et quatre ans cet enfant il n’avait personne… On a discuté de la situation avec nos aînés, ils ne voulaient pas qu’il parte. Ils ont des relations de frères et sœurs… Alors on l’a adopté.
31La suppléance partagée. Elle désigne des situations où les deux familles d’accueil et d’origine reconnaissent l’importance de chacun. L’enfant circule entre les deux familles, il développe des liens affectifs chez la famille d’accueil et aménage de nouveaux rapports avec sa famille d’origine. La suppléance partagée se caractérise par un partage entre les deux entités familiales, et la mise en œuvre d’une coéducation singulière en fonction des forces et des faiblesses de chacun, la nécessité de l’un et de l’autre pour la construction de l’enfant et devenir un adulte responsable. Cela implique un partage du temps, des lieux de vie, des liens et le développement d’une double appartenance familiale.
32Mélodie est accueillie depuis toute petite dans la famille d’accueil, elle a aujourd’hui dix-sept ans. Elle continue à voir sa maman, même si il y a eu des hauts et des bas dans la relation pendant toute la durée du placement. Sa maman restera toujours sa mère, tout comme sa grand-mère qu’elle voit régulièrement, mais son assistante familiale reste un pilier affectif indéracinable, une référence structurante et quotidienne :
Mélodie, je l’ai toujours considérée comme à nous, mais y a quand même une différence avec nos enfants, parce qu’on en parle avec les parents… Ils ne sont pas qu’à nous… Mélodie elle dit « J’ai deux papas et j’ai deux mamans ».
33La suppléance soutenante. La famille d’accueil est ici un complément parental temporaire, elle soutient la famille d’origine qui vit et revendique sa place de parent. La suppléance soutenante se caractérise par un soutien ponctuel à la parentalité fragilisée.
34Myriam et Stéphanie, quatre ans et dix-neuf mois, sont placées depuis un an dans la famille d’accueil avec l’accord maternel, car la mère rencontre des difficultés judiciaires et professionnelles. Elle voit ses enfants toutes les semaines, et les reçoit à son domicile un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. La mère est très présente et participe également aux tâches éducatives :
Pour Myriam et Stéphanie, je suis les directives de la maman, je laisse la place à leur mère, parce qu’elle est proche d’elles, je leur dis « que maman fera tout pour les reprendre… La place de l’enfant dans la famille est différente selon si la mère est proche ou non. »
35La suppléance incertaine. Les deux familles sont ici peu impliquées, l’enfant est sans réel appui affectif, le placement est tardif et de courte durée.
36Denis et Karine sont deux adolescents de dix-sept et quinze ans, accueillis depuis un an dans la famille d’accueil, ils sont en rupture familiale avec leur père et leur sœur aînée, isolés affectivement. Il s’agirait d’un placement temporaire, toutefois l’avenir du placement et son évolution restent incertains. Ici ils n’ont de place ni dans leur famille d’origine, ni dans la famille d’accueil :
Professionnellement, il y a des moments où l’on se dit les sentiments on les laisse de côté, on est obligé de se raisonner… Ces enfants on ne les a pas faits, y a une différence… Avec Denis et Karine, les deux grands ça n’est pas pareil, je néglige… La relation affective est différente.
Une nouvelle lecture des liens
37Les frontières entre les modes de suppléance sont fragiles, les limites perméables en fonction du temps et de l’histoire du placement. L’orientation donnée est relative et ponctuelle, elle ne préjuge pas d’un changement et d’une évolution possibles vers un autre axe en fonction de facteurs spécifiques (interruption des visites parentales, ou au contraire mise en place d’un droit d’hébergement avec un retour probable de l’enfant dans sa famille d’origine, des interventions des travailleurs sociaux, etc.). La vie en famille d’accueil demande de l’adaptabilité, de la prise de recul, le cadre est en perpétuelle évolution compte tenu de l’ensemble des acteurs en présence qui interagissent. Dans une même famille d’accueil peuvent coexister plusieurs modes de suppléance en fonction des enfants accueillis et du temps passé dans la famille, chaque mode de suppléance pouvant glisser vers une nouvelle suppléance selon la durée du placement, du temps passé dans la famille…
38Cette analyse remet alors en question la notion de profil des assistants familiaux utilisée par certains services d’accueil familial déterminant un profil type par assistant familial. On voit bien ici qu’il est préférable de réfléchir en fonction des modes de suppléance présents dans la famille d’accueil, qui permet une analyse plus ouverte que la notion de profil. Cette nouvelle approche permet de poser un regard innovant sur la famille d’accueil et de reconnaître la capacité d’adaptation des assistants familiaux aux conditions spécifiques du placement de l’enfant.
39La professionnalisation les assistants familiaux poursuit ce cheminement, les assistants familiaux se positionnent en dehors de l’alternative du tout ou du rien, ils sont davantage nuancés dans leurs discours et leurs représentations à l’égard des parents et de l’enfant. C’est majoritairement sous une forme atténuée que se vit le placement dans la famille d’accueil avec « une suppléance partagée », où les parents d’origine sont mobilisés, et où l’enfant circule entre les deux familles. La professionnalisation permet de davantage se positionner comme un professionnel de l’enfance, de trouver un juste équilibre en préservant la place des parents. Apprendre à aimer les enfants accueillis différemment de ses propres enfants en respectant les places de chacun, des parents mais aussi des travailleurs sociaux, de l’équipe, il s’agit là d’un positionnement d’une parentalité d’accueil partagée qui nécessite une réelle collaboration de l’ensemble des acteurs à tous les niveaux. C’est à ce croisement précis que l’on peut parler de coéducation en accueil familial.
La coéducation en accueil familial
40La coéducation renvoie au fait d’éduquer en commun, ensemble un enfant. S’articulent alors plusieurs acteurs et logiques d’interventions différentes qui vont œuvrer en commun pour le bien-être éducatif de l’enfant :
Coéduquer, c’est ouvrir, apaiser et rendre créative « la table ronde » des acteurs directement concernés par l’éducation des générations montantes. La coopération des parents, des professionnels et des bénévoles, des enfants et des jeunes eux-mêmes semble aujourd’hui devenue indispensable (Jesu 2004 : 18).
41À la table des coéducateurs chacun doit participer y compris l’enfant de façon ouverte et transparente. La coéducation doit permettre d’élaborer ensemble des objectifs, des finalités, des moyens adaptés et évolutifs pour et par l’enfant. Cette dynamique collective peu usitée dans le champ de la protection de l’enfance ouvre le chemin de nouvelles formes de prise en charge et d’interactions.
42Accepter de coéduquer, c’est accepter le dialogue en dehors de la référence unique à la famille d’origine, c’est aussi reconnaître la pluralité des figures structurantes autour de l’enfant (Cadoret 2001, Chapon 2014), sa circulation au sein d’un système familial pluriel (famille d’accueil/ famille d’origine/ travailleurs sociaux). « On ne peut accéder à la coéducation sans collaboration, ni coopération », la collaboration permet la mise en commun des ressources et des savoir-faire des personnes (Chapon 2014). De la collaboration à la coéducation il n’y a qu’un pas à franchir à partir d’un partage équilibré et satisfaisant des responsabilités et des tâches. L’instauration d’un équilibre (famille d’accueil, parents d’origine, travailleurs sociaux) et le partage des décisions signifient un dialogue entre les parties et le respect des valeurs de chacun pour établir un réel partenariat.
Un modèle de coparentalité spécifique en accueil familial
43La coparentalité est devenue un concept majeur depuis la loi no 2002-305 du 2 mars 2002 sur l’autorité parentale. Cette loi a notamment étendu et promu le principe de l’exercice conjoint de l’autorité parentale, plus communément dénommé coparentalité2. Nous avons vu que dans certaines situations d’accueil, la parentalité d’accueil est aussi une parentalité partagée, notamment dans la suppléance partagée où se vit une vraie co-éducation entre famille d’accueil et parents d’origine. On peut dans ce contexte spécifique parler de coparentalité. Ainsi au-delà de la présence de la famille d’origine (le père et/ou la mère) et de la famille d’accueil autour de l’enfant, la relation de confiance instaurée avec les parents, la compréhension mutuelle accordée à la situation, aux orientations choisies dans l’intérêt de l’enfant conduisent parents d’origine et famille d’accueil à développer un modèle de coparentalité spécifique. On est en présence ici des pères et mères de l’enfant, ou de l’un d’entre eux, le plus souvent la mère, et du couple d’accueil qui exerce des fonctions parentales. La coparentalité s’exerce donc entre ses deux entités parentales, l’une d’origine, l’autre d’accueil. Comme dans le cadre de la loi du 2 mars 2002 « chacun (des pères et mères) doit maintenir des relations personnelles avec l’enfant et respecter les liens de celui-ci avec l’autre parent » comprenons ici l’autre famille (art. 373-2). La coparentalité d’accueil s’exerce donc en dehors de la structure du couple, dans une autre famille par un partage de la vie quotidienne, dans l’intérêt du développement de l’enfant. Etre coparent signifie malgré la séparation avec le conjoint, avec l’enfant, continuer à discuter, négocier, faire des concessions et si nécessaire finalement s’entendre (Bastard 2013). Dans les cas présents, les deux familles s’acceptent, reconnaissent leur respective importance pour l’enfant, elles s’associent et collaborent, participant chacune à son éducation en fonction de leur place auprès de l’enfant. La coparentalité ne peut pas être un modèle unique, exclusivement centré sur la permanence du couple parental, père et mère, mais elle doit s’élargir aux figures d’attachement possibles qui gravitent autour de l’enfant, à la fois dans les familles recomposées, les familles homoparentales et les familles d’accueil. Il est important dans ce cadre de changer le vocable utilisé et de parler des figures parentales présentes autour de l’enfant et reconnaître la permanence de ces liens pour le bien-être de l’enfant.
44On dépasse ainsi la notion de parenté pour s’inscrire dans celle de la parentalité d’accueil. Alors les interrogations soulevées notamment les nominations de l’enfant, l’acceptation de l’assistante familiale ou son refus de se faire appeler maman ou tata, l’hésitation d’exprimer les difficultés rencontrées dans l’accueil de l’enfant, de dire ou pas à l’équipe ce qui se joue à son domicile, de développer une relation de confiance où d’être sur la réserve, de se sentir ou non intégrer à l’équipe pour les décisions prises pour l’enfant, toutes ces questions liées au positionnement de l’assistante familiale et à l’expression des relations affectives développées avec l’enfant doivent être appréhender dans un contexte pluriel de parentalité. En décalant le regard porté sur la famille d’accueil, en le positionnant en dehors de la structure de la parenté, puisque celle-ci ne peut être remise en cause de fait, et en s’inscrivant dans la parentalité, le questionnement est alors orienté vers la collaboration et la co-éducation entre les familles et l’équipe. La coparentalité d’accueil est un nouvel axe de travail dans le champ de la protection de l’enfance, pour le bien-être de l’enfant, permettant de sortir de l’alternative posée encore aujourd’hui dans certains services d’accueil et laissant la place à l’enfant de s’installer dans une pluriparentalité acceptée et reconnue par tous les acteurs.
Conclusion
45La coéducation renvoie à une dimension plurielle de la vie quotidienne qui se tisse dès le plus jeune âge. L’enfant accueilli développe des relations affectives différentes en fonction des diverses figures relationnelles et éducatives qui l’entourent, des relations affectives où chacun trouve sa place dans la singularité et la complémentarité.
46La coéducation par l’exercice de la co-parentalité d’accueil prend ici plusieurs formes, pour un seul objectif faire grandir l’enfant en privilégiant son développement et son bien-être. Dans ce sens il convient de toujours échanger, dialoguer au sujet de l’enfant y compris dans les situations de blocages apparents. La parole portée par les éducateurs, l’assistant familial donne du sens à l’enfant, à son histoire, aux décisions prises et les choix faits par les instances décisionnaires deviennent plus explicites et acceptables. Car pour un enfant confié, déjà fragilisé par la vie, séparé de ses parents. Nous devons donc poursuivre sur le chemin de la coéducation d’accueil en développant une co-parentalité d’accueil au nom de l’intérêt de l’enfant.
Notes de bas de page
1 On retrouve cette distinction dans l’analyse des familles recomposées de Théry (1991).
2 Onze ans après son entrée en vigueur, la mise en œuvre de la coparentalité semble toutefois encore se heurter à des difficultés. Alors que l’enfant doit pouvoir, malgré la séparation de ses parents, conserver une relation équilibrée avec chacun d’eux, certains enfants n’entretiennent plus de relations régulières avec un de leurs parents, certains parents n’ont plus la possibilité d’exercer leur autorité parentale et de participer effectivement à l’éducation de leur enfant. Un groupe de travail a été mis en place en juin 2013 en pour réfléchir aux moyens d’assurer le respect de la coparentalité entre les parents séparés.
Auteur
Aix Marseille Université, LID2MS
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
La fête en héritage
Enjeux patrimoniaux de la sociabilité provençale
Laurent Sébastien Fournier
2005
Israël/Palestine, l'illusion de la séparation
Stéphanie Latte Abdallah et Cédric Parizot (dir.)
2017
À l’origine de l’anthropologie au Vietnam
Recherche sur les auteurs de la première moitié du XXe siècle
Phuong Ngoc Nguyen
2012
Dimensions formelle et non formelle de l’éducation en Asie orientale
Socialisation et rapport au contenue d’apprentissage
Jean-Marc De Grave (dir.)
2012
La banlieue de Ho Chi Minh-Ville
Bà Ðiểm (Hóc Môn) et Vĩnh Lộc A (Bình Chánh)
Hoang Truong Truong
2014
Entre l’école et l’entreprise, la discrimination en stage
Une sociologie publique de l’ethnicisation des frontières scolaires
Fabrice Dhume-Sonzogni (dir.)
2014
Une autre foi
Itinéraires de conversions religieuses en France : juifs, chrétiens, musulmans
Loïc Le Pape
2015