Le dispositif de parentalité, soutien et contrôle en famille d’accueil
p. 29-34
Texte intégral
1Ce que l’on peut appeler la parentalité d’accueil a du mal à être reconnu, car est déniée aux parents des familles d’accueil une appellation qui les identifierait comme parents, du style « parents d’accueil ». Pourtant l’idée de parentalité d’accueil nous semble pertinente pour rendre compte d’une situation, qui a énormément évolué depuis une cinquantaine d’années. Et cela pose un grand nombre de questions, dont je vais essayer d’évoquer rapidement ici quelques-unes parmi les plus fondamentales.
2Ce qui est en jeu est complexe, car il s’agit aussi bien de traiter de la montée dans le discours public d’une référence qui demande à être précisée, celle que l’on désigne sous le terme parentalité, que d’expliciter pourquoi j’en suis arrivé à parler de dispositif de parentalité à son égard, de préciser aussi comment les parents des familles d’accueil y sont impliqués, et comment – à travers même leur désignation comme assistant-e-s familiaux – se trouve mise en jeu spécifiquement une tension entre soutien et contrôle que l’on retrouve partout dès qu’il s’agit d’accompagnement à la parentalité, mais qui va articuler de façon particulière ici familles, institutions et genres.
La montée de la parentalité, une ouverture pour l’analyse des relations en famille d’accueil
3Si la notion de parentalité se diffuse dans les discours publics dès les années 1980, elle va trouver à particulièrement s’affirmer dans les années 1990 tant dans les médias que dans les discours politiques, qui y voient l’occasion d’insister sur ce qui dans le processus éducatif de l’enfant renvoie à la présence parentale, une présence parentale qui est reconnue comme fondamentale dans la socialisation mais à besoin d’être réaffirmée face à la double précarisation qu’elle subit. Une précarisation économique des familles qui a commencé à se mettre en place avec le premier choc pétrolier de 1974 qui signe la sortie des Trente Glorieuses, mais surtout une précarisation relationnelle qui, avec la montée des unions libres et des divorces dans les années 1970, voit l’union maritale se désinstitutionnaliser et s’affaiblir certains liens parentaux, le plus souvent paternels, après une séparation. Le recours croissant à l’idée de parentalité vient souligner l’importance grandissante que l’on va devoir accorder à l’une de ses dimensions qui ne demandait pas à être mise en relief à l’époque où l’institution du mariage les nouait de façon indissoluble : la dimension psycho-éducative, celle qu’Irène Théry appelle domestique pour rappeler qu’elle est inscrite dans l’espace privé de la maison, la domus latine.
4Pour ce qui concerne les deux autres dimensions : biologique et généalogique : la notion de géniteur rappelle que celui qui procrée n’est pas encore parent, il faut qu’il se reconnaisse et soit reconnu comme tel (avec la déclaration de naissance ou le processus d’adoption) pour inscrire l’enfant dans un système de parenté qui définit ses lignées et les différents membres de sa famille. À l’affiliation psychique d’un enfant à ses parents s’articule ainsi une affiliation sociale qui légitime les liens, et permet que se développe une relation parentale dans la quotidienneté des pratiques domestiques de soin et d’éducation. De ces trois dimensions c’est cette relation quotidienne sur laquelle insiste la notion de parentalité, même si elle peut englober les deux autres.
5Là encore ce n’est pas un hasard, car toute une tradition d’utilisation du terme existe dans lesscienceshumaines. Dès 1930, l’anthropologue Bronisław Malinowski (1930) l’utilisait pour désigner les fonctions, de soin, d’éducation, de nomination, d’attribution d’identité, dévolues aux parents, alors que quelques décennies plus tard, avec Paul-Claude Racamier, en 1961, s’était inauguré une longue tradition d’approche psychanalytique de la parentalité par le lien psychique. Mais c’est sans doute l’utilisation sociologique du terme dans les années 1980 qui va contribuer à son succès grandissant dans les discours publics, car elle pointe l’autonomisation de la dimension psycho-éducative quotidienne dans certaines situations familiales que mettent en avant les néologismes qui se succèdent de monoparentalité, beau parentalité, homoparentalité… Est ainsi mis en avant que dans ces situations c’est la dimension de la coprésence quotidienne sur laquelle on insiste : monoparentalité du soin alors que demeure la biparenté. Actuellement, les termes beau-parentalité et homoparentalité référent uniquement à ce domaine tant que n’est pas reconnue à ces acteurs parentaux un statut légal spécifique.
6On peut légitimement conclure de cette analyse qu’il y a bien une parentalité d’accueil, centrée sur la quotidienneté éducative alors que le assistants familiaux accueillant les enfants ne sont par définition ni les géniteurs, ni les parents socio-juridiques. Cette parentalité se situe dans la même dimension que celle où s’inscrivent les beaux-parents, et s’exprime dans la mise en œuvre d’une fonction de type parental de soin et d’éducation dans la famille où réside l’enfant placé, et auquel ou a demandé de manifester à son égard des pratiques et des affects habituellement caractéristique des parents, tout en gardant une distance toute professionnelle destinée à éviter ce qui est considéré comme la confusion des genres.
7Avec Agnès Pitrou (1997), nous avions décrit voici déjà une quinzaine d’années le nouveau modèle ainsi :
Ce modèle articule le primat de la parenté biologique à la constitution de la famille d’accueil en cadre de vie passager, dispensateur de soins et de contenus affectifs de substitution, et à un suivi institutionnel régulier aux fonctions de formation, de régulation et de contrôle, voire de thérapie des parents et de l’enfant […] Dans un tel système les parents biologiques, abdiquant on désinvestis de leurs prérogatives quotidiennes concrètes, n’en continuent pas moins à assumer une fonction symbolique jugée primordiale pour l’équilibre de l’enfant : son inscription dans l’ordre de la filiation. […] Par le maintien des prérogatives parentales des parents biologiques, la mère d’accueil [que nous appelons maintenant assistante familiale] est assignée à une fonction spécifique, celle de constituer le support affectif sur lequel l’enfant va s’appuyer […] L’institution de placement […] est le régulateur du modèle […] instance intermédiaire entre les deux familles, établissant entre elles le relais nécessaire, le suivi de l’accueil, l’accompagnement et la thérapie éventuelle de l’enfant et des parents biologiques, elle constitue la pierre angulaire du modèle, distribuant les rôles et les fonctions, les attentes et les significations, sans toutefois posséder la véritable maîtrise de la régulation qu’elle assume.
8La situation n’a pas beaucoup évolué depuis. En effet, beaucoup de choses contradictoires sont en jeu dans un tel dispositif institutionnel : des injonctions paradoxales, des références théoriques divergentes, des mutations du regard sur le placement, des remises en perspective de la normativité juridique organisant notre représentation de la parenté et de la parentalité, tout cela aboutissant à une sorte de conflictualité interprétative de ce que représentent les pratiques d’accueil familial.
9On sait que l’une des modalités d’éclaircissement de ce conflit mise en évidence par notre président de séance, Paul Durning (1985), a été l’identification du passage d’une logique de substitution à une logique de suppléance, déclinée par Nathalie Chapon (2014), sous les quatre figures concrètes de la suppléance substitutive, partagée, soutenante ou incertaine.
10Mais cette actualisation du dispositif spécifique – au sens d’instrument de gouvernement – du placement familial demande pour en identifier tous les enjeux de la replacer dans la constitution du dispositif social – au sens de stratégie de gouvernementalité (Lascoumes, Le Gales 2004) – de parentalité. Car la tension où se trouvent mises les familles d’accueil trouve à s’actualiser et se renouveler dans la cristallisation même de ce dispositif de parentalité qui, à travers le soutien devenu nécessaire aux parents, vise à pouvoir s’assurer qu’une éducation suffisamment bonne reste susceptible d’être encore assurée aux enfants dans une société en pleine restructuration.
La place de l’accueil familial dans la formalisation du dispositif de parentalité
11Dès les années 1970, les bouleversements des mœurs et des représentations (profanes et savantes), aussi bien que des conditions de vie des familles et des rapports entre les sexes et les générations, amènent à ce qu’au sein de la société civile se développent de multiples initiatives associatives visant à soutenir et accompagner une parentalité que l’on juge sinon en péril du moins en pleine recomposition (Neyrand 2011). Ce sera les crèches parentales et l’ACEPP, la Maison verte et les lieux d’accueil enfants-parents, la médiation familiale et les espaces rencontre, les groupes de parole de parents et autres initiatives visant à accompagner ce que l’on commence à appeler la parentalité. En participent les évolutions du regard sur la relation parentale que portent les sciences humaines et sociales depuis les années 50, la critique de l’hospitalisme, la théorie de l’attachement, puis la promotion de l’enfant sujet cher à Françoise Dolto jusqu’à l’élargissement de la théorie de l’attachement à la personne du père et la promotion de la triade (Fivaz, Corboza 2001)…
12Toujours est-il que la reconnaissance croissante de l’importance des liens parents-enfants amène un revirement quant aux conceptions mise en œuvre dans le placement familial. Au niveau juridique, qui l’organise, on va finir par basculer au début des années 1980 dans une valorisation du maintien du lien de l’enfant placé à ses parents d’origine en remplacement de l’ancienne conception qui privilégiait la substitution des parents de la famille d’accueil aux parents d’origine. Mais en même temps qu’ils deviennent des suppléants des parents d’origine les parents d’accueil ne doivent plus être considérés comme des parents, car il n’est pas concevable pour notre droit formalisant notre système de parenté qu’il y ait plus de deux parents pour un enfant, et par là plus de deux lignées parentales. L’adoption pleinière efface les parents d’origine, et fait « comme si » ils n’existaient pas, et les lois de 1984 qui restructure le placement familial, et de 1987 apportant l’autorité parentale conjointe après séparation conjugale, en activant le principe de coparentalité, institutionnalisent cette tension dans la façon de concevoir ces acteurs parentaux que sont les parents de la famille d’accueil, mais aussi les beaux-parents, qui se multiplient, et bientôt les homoparents, dont l’accroissement est porté par l’assistance médicale à la procréation devenue de plus en plus performante…
13Le nouveau positionnement de l’aide sociale à l’enfant à l’égard de l’accueil participe ainsi d’une évolution globale des institutions qui, prenant acte de la fragilisation du couple et de la famille, reconnaissent dans un premier temps l’intérêt de soutenir les actions de la société civile en direction des parents ; puis, face à la nécessité devenue structurelle du soutien, en arrivent dans un deuxième temps à la volonté d’organiser et coordonner l’ensemble des actions avec la création des réseaux d’écoute d’appui et d’accompagnement des parents en 1999 jusqu’à la mise en place du Comité national de soutien à la parentalité en 2010, visant à « l’articulation des différents dispositif d’appui à la parentalité1 » dans tous les départements, en l’occurrence les Reaap avec, notamment, les Comités locaux d’accompagnement à la scolarité créés en 2000 et la médiation familiale, désormais l’institutionnalisée…
14Cette mise en réseau, qui a, comme le dit Michel Foucault (1994 : 298), « pour fonction majeure de répondre à une urgence », signe la constitution de ce véritable dispositif de parentalité dans les années 2000. Mais ce mouvement dans lequel les familles d’accueil sont comme les autres emportées ne va pas sans tensions et sans contradictions, ressenties par les acteurs de terrain comme l’imposition d’injonctions paradoxales, où soutien et contrôle se mêlent parfois indistinctement, aussi bien dans le dispositif de parentalité global, que dans les dispositifs spécifiques comme l’accueil familial.
Les contradictions au principe des tensions ressenties
15Si un malaise diffus parcours les intervenants du social, du soin et de l’éducation, c’est bien qu’ils se trouvent pris dans la nécessité d’avoir à assurer la gestion des contradictions dont notre système social est la proie en matière de régulation des relations privées. Tant du point de vue de règles d’organisation de la parenté que des expériences de la parentalité, et des conséquences de leurs interactions. Ainsi que le rappelle Alain Ducousso-Lacaze (2013) :
Le fait que le politique, prenant acte de ces transformations de notre système de parenté, ait légiféré le « mariage pour tous » oblige à interroger les principes par lesquels, aujourd’hui, on définit l’alliance mais aussi plus généralement la parenté.
16Le malaise apparaît alors lié à l’incertitude qui caractérise aussi bien des normes en pleine restructuration que des pratiques en pleine évolution. Dans ce contexte le fait d’avoir généralisé à toutes les familles la logique du soutien, s’il a tendance à favoriser une déstigmatisation de celles habituellement visées par l’action sociale n’en efface pas cependant la spécificité de leurs situations. Elle rappelle cependant qu’au-delà de la position traditionnelle d’aide où s’inscrit l’action sociale, une démarche d’accompagnement plus soutenante peut être aussi développée vis à vis des parents en difficulté dans une perspective plus préventive et prévenante.
17Mais, avec la montée de l’angoisse sécuritaire dans les années 2000, s’affirme en contrepoint des procédures d’accompagnement une préoccupation quant à la capacité éducative des parents dont les enfants provoquent des troubles dans l’espace public, qu’il s’agisse de simples incivilités ou d’actes de délinquance. Accusés de démissionner de leur rôle éducatif, ces parents se trouvent en butte à une volonté de contrôle qui participe plus d’une démarche a posteriori de correction, qui entre en contradiction avec la volonté préventive d’accompagnement fondée sur la production d’une confiance personnalisée entre parents et intervenants (Habermas 1990).
Le placement familial, situation d’exacerbation des tensions
18Or, la pratique de l’accueil familial actualise de façon particulièrement forte cette tension entre soutien et contrôle. Le placement s’effectue le plus souvent à l’issue d’une procédure de contrôle, souvent initiée à la suite d’un signalement (Becquemin 2006), qui positionne les parents d’origine dans une situation de contrainte qui n’est guère favorable à l’élaboration de relations apaisées entre famille d’origine et famille d’accueil, sauf à ce que la demande de placement émane des parents eux-mêmes, confrontés à trop de difficultés. Une telle situation engendre plus facilement de la méfiance que de la confiance entre des parents d’origine positionnés du côté du contrôle et des parents d’accueil en position de soutien, et une équipe de suivi qui tente tant bien que mal de réguler des relations forcément complexes et ambivalentes entre les membres des deux familles. Ce d’autant plus que dans cette situation évolutive propice au conflit de repères se trouve favorisé aussi bien le développement de fantasmes multiples concernant la parentalité dans ses différentes dimensions que la conflictualité d’un positionnement des parents d’accueil produit par les incohérences de la position institutionnelle.
19J’ai déjà évoqué la contradiction majeure dans laquelle sont placées celles que l’on désigne comme des assistantes familiales (car les assistants familiaux sont rares) : tenir une position professionnelle en mettant en œuvre un cadre, des pratiques et des affects de types parental. Deuxième contradiction, le contrat d’accueil n’institue comme assistante que la mère alors qu’il s’agit d’une famille, où la place du père et de l’éventuelle fratrie sont fondamentales pour définir l’accueil. Ce qui est alors produit ce sont des incertitudes d’autant plus fortes que le contexte social est particulièrement évolutif. Enjoint à tenir une position d’accueil, de soutien et d’accompagnement à l’égard de l’enfant accueilli tout en étant soumis à l’injonction au maintien des liens de l’enfant aux parents d’origine et au contrôle de ce qui est censé être leur bon positionnement, la position des parents d’accueil n’est pour le moins pas facile à tenir. D’où, bien sûr, la diversité des stratégies que les parents peuvent adopter, et qu’a bien mis en évidence Nathalie Chapon (2014), en s’appuyant sur une notion devenue nécessaire pour comprendre ce qui est en jeu dans le quotidien de l’enfant placé, celle de parentalité d’accueil.
20Mais ce sur quoi achoppe ce dispositif spécifique de prise en charge est bien la question de la responsabilité à l’égard de l’enfant : réassurée aux parents d’origine qui ont tant de difficultés à l’assumer, elle est déniée aux parents d’accueil, auxquels ne sont pas donnés les véritables moyens de leur professionnalité, ne sont pas reconnus les droits à l’égard de l’enfant correspondant à leurs devoirs, et est occultée leur place parentale dans la complexité du dispositif individuel de parentalité de l’enfant accueilli ; enfin, la responsabilité organisatrice et régulatrice de l’institution de placement est tributaire d’une multitude de contraintes juridiques, institutionnelles, et en dernière analyse sociales, qui la positionnent dans un rôle de surveillance et de contrôle intenable des façons dont peut être mise en œuvre une conciliation d’injonctions contradictoires.
21Face à cette situation paradoxale, les familles d’accueil vont devoir faire avec, et l’élaboration d’alternatives possibles progressivement se construire. Ce que devraient tour à tour évoquer Nathalie Chapon et Catherine Sellenet dans ce volume.
Notes de bas de page
1 Décret portant création du comité national de soutien à la parentalité.
Auteur
Université de Toulouse, CIMERSS
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