Les troubadours baroques
Comment traduire la poésie occitane du Moyen Âge en polonais contemporain ?
p. 115-123
Texte intégral
1C’est par les travaux consacrés à la poésie des troubadours que commence en Pologne l’intérêt pour la littérature française du Moyen Âge. Ces études, fruit et témoignage d’un engouement romantique pour la poésie populaire et nationale, étaient élaborées par des écrivains connus mais aussi par des dilettants érudits et des amateurs enthousiastes. Les premières en date étaient contemporaines de la publication des volumes liminaires de l’anthologie de François-Just-Marie Raynouard Choix des poésies originales des troubadours1. Ainsi, en 1818 paraît un essai intitulé : Rzut oka na wieszczów Prowansji zwanych trubadurami (Coup d’œil sur les poètes de Provence dits troubadours)2 écrit par le général Wincenty Krasiński, père du grand poète Zygmunt. Cette fascination à l’égard des troubadours se prolonge dans les écrits des romantiques polonais : Kazimierz Brodzinski, Adam Mickiewicz, Józef Ignacy Kraszewski3. Il faut toutefois attendre la deuxième moitié du xixe siècle pour voir apparaître les premières traductions de la poésie occitane en polonais. En 1872, lors d’une conférence donnée à Cracovie, le poète Adam Asnyk présente sa traduction des poèmes de Jaufré Rudel, Bertrand de Born, Arnaud de Marueil et Pons de Capdeuil4. Mais c’est à Edward Porębowicz qu’appartient l’honneur de donner aux lecteurs polonais une première anthologie des troubadours : Antologia prowansalska. Wybór poezyi trubadurów i felibrów xi-xix wieku (L’Anthologie provençale. Choix des poèmes des troubadours et félibres des xie-xixe siècles)5. Ce recueil publié en 1887 et qui reste toujours de référence, fut une œuvre de jeunesse : le futur professeur de l’Université de Lvov, grand romaniste et illustre traducteur de Dante n’avait à cette époque que vingt-cinq ans et il préparait son doctorat. Il a dédicacé son anthologie à Camille Chabaneau, professeur de philologie romane à Montpellier et éditeur des biographies des troubadours, « en témoignage d’estime et de reconnaissance ». Il faut souligner après Anna Drzewicka, la date très précoce de cette publication et son rôle pionnier dans la familiarisation du public polonais avec l’œuvre des troubadours6. Une cinquantaine d’années plus tard, dans les années 1930, Porębowicz a réédité une version corrigée de son anthologie dans Wielka literatura powszechna (Grande histoire de le littérature universelle), ouvrage encyclopédique auquel il a collaboré en tant qu’auteur des parties consacrées à la littérature française et provençale7.
2À partir de cette date, d’autres essais de traduction ont été tentés, mais c’est seulement dans les années soixante que paraissent deux recueils importants. Ainsi en 1963, durant son exil à Paris, la poète et romancière Zofia Romanowiczowa fait éditer une anthologie de poèmes des troubadours dans sa propre traduction : Brewiarz miłości. Antologia liryki staroprowansalskiej (Bréviaire d’amour. Anthologie de l’ancienne lyrique provençale)8. La traductrice, diplômée en linguistique provençale a complété son recueil par une introduction érudite et elle l’a dédié à son maître, le professeur Jean Boutière, fondateur et directeur de l’Institut de langue et littérature d’Oc de la Sorbonne. Dans l’abondante matière, l’auteure a choisi vingt-cinq poètes et elle a présenté les traductions de quarante-cinq poèmes, dont quelques-uns anonymes, en complétant son choix par quelques vidas.
3Trois ans après cette publication, en 1966, paraît, sous la rédaction de Jerzy Lisowski, le premier volume d’une anthologie bilingue de la poésie française qui, dès sa parution est devenue un livre culte pour au moins trois générations de lecteurs9. Dans ce volume intitulé Od Sekwencji o św. Eulalii do Agrippy d’Aubigné (De la Séquence de sainte Eulalie à Agrippa d’Aubigné), la poésie des troubadours est largement représentée. Le rédacteur explique ainsi cette place d’honneur : « La lyrique provençale médiévale se trouve ici organiquement fondue dans l’histoire de littérature qu’elle contribue à créer et dont elle constitue toujours une source vive10 ». Ce grand projet de donner aux lecteurs polonais un vaste panorama de la poésie française aussi bien ancienne que contemporaine était aussi – selon l’intention du rédacteur – une occasion de présenter les poèmes traduits par les meilleurs poètes polonais du passé et du présent. Certaines traductions étaient spécialement commandées pour le besoin du volume. S’il s’agit toutefois des troubadours, Lisowski reprend les anciennes versions de Porębowicz et de Romanowiczowa, sauf une – celle de l’aube de Guiraut de Borneil « Reis gloriós », traduite par Jaroslaw Iwaszkiewicz et insérée auparavant dans son roman Czerwone tarcze (Les Boucliers rouges, 1934).
4La plus récente tentative de traduction de la poésie occitane en polonais est entreprise par Jacek Kowalski, poète, musicien et chanteur, mais aussi médiéviste et professeur d’histoire de l’art. Depuis 1988, il interprète ses propres chansons et des anciennes ballades polonaises avec l’ensemble « Monogramista JK ». Les chansons qu’il compose se situent aux confins d’une riche tradition polonaise de la poésie chantée : se nourrissant de l’histoire, elles exaltent la gloire et la misère de la République des Nobles. Dans ses textes, suivant l’exemple de l’ancienne poésie polonaise des xvie et xviie siècles, Jacek Kowalski met en oeuvre la poétique du pastiche, pratique le mélange des tons où le comique côtoie le pathétique et coïncide souvent avec des accents amers. En 1997, ce poète-chanteur a fondé un autre groupe musical : « Klub świętego Ludwika » (« Le Club Saint-Louis »), avec qui il chante les poèmes des troubadours et des trouvères ainsi que des fragments des chansons de geste dans sa traduction. Car ce poète et musicien est aussi spécialiste de la culture française du Moyen Âge et ce sont ses recherches de médiéviste et historien de l’art qui l’ont conduit à la littérature française. Il a traduit notamment François Villon et Charles d’Orléans. Deux recueils qu’il a édités sont précédés d’introductions savantes dont il est également l’auteur11.
5Mais il est surtout auteur des traductions de plusieurs poèmes des troubadours, publiées dans deux anthologies : Niezbędnik krzyżowca czyli pieśni i opowieści krucjatowe e petit manuel du croisé ou chants et récits des croisades)12 et Niezbędnik Trubadura czyli dumania, kancony i romanse (Le petit manuel du troubadour ou rêveries, chansons et romances)13. Le premier recueil réunit les traductions des chants de croisade, inédites jusqu’alors en Pologne. Le deuxième est un « florilège » contenant des poèmes médiévaux français et occitans des xiie-xiiie siècles, des fragments d’un roman allemand du xive siècle et une chanson polonaise sur la bataille de Tannanberg. L’anthologie est précédée d’un long et riche essai sur les chansons de geste, la poésie des troubadours et des trouvères, ainsi que sur la poésie chantée en Pologne et dans les pays voisins à l’époque du Moyen Âge. Les deux livres sont accompagnés d’un CD avec un choix de chansons interprétées par le traducteur.
6Toutefois, cet effort de traduction, malgré les effets dont il faudrait saluer la qualité, la variété et la richesse, se heurte à plusieurs difficultés. La traduction des œuvres poétiques du Moyen Âge en langue polonaise s’avère problématique à cause de l’incompatibilité des deux cultures : au xiie siècle quand s’épanouit la lyrique des troubadours, la poésie polonaise n’existe pas encore. La question qui se pose est donc : comment ressusciter la langue polonaise des xie et xiie siècles, si la première phrase écrite en polonais, insérée dans une chronique latine, ne date que de la deuxième moitié du xiiie siècle14 ? On ne peut pas non plus parler d’une langue polonaise littéraire qui existerait à l’époque des troubadours. L’invention d’un idiome capable de rendre le caractère de l’ancien français ou occitan reste donc un défi difficile voire impossible à réaliser auquel doivent faire face tous les traducteurs de la littérature médiévale en polonais, pas seulement de la poésie des troubadours.
7La solution la plus communément adoptée consiste en une stylisation ou une archaïsation de la langue. Mais la question à laquelle doivent répondre les traducteurs est de savoir quelle langue choisir pour obtenir l’effet désiré. La langue littéraire la plus proche des troubadours serait celle du xvie siècle, car c’est à cette époque que naît la poésie polonaise. Ainsi, pour traduire le Testament de Villon, Tadeusz Żeleński-Boy, traducteur titanesque de littérature française, a résolu d’imiter le polonais du xvie siècle, ce qui a donné un effet en même temps exotique et anachronique, comme le souligne Anna Drzewicka dans un article consacré aux différentes stratégies mises en oeuvre par les traducteurs de la littérature ancienne15. Quoique du point de vue chronologique et culturel il soit difficile de comparer les deux époques, on pourrait objecter que dans une perspective aussi lointaine cent ou même trois cent ans ne font pas de différence. En faveur d’un pareil anachronisme on n’aurait pas tort d’avancer les arguments, déjà cités, sur le décalage entre le développement culturel de la France et de la Pologne, et, finalement parler de la nécessité de prendre en considération les possibilités de réception du lecteur, incapable de comprendre le polonais médiéval ou « médiévalisant ».
8Le recours à l’archaïsation dans la traduction des oeuvres anciennes a ses partisans et ses adversaires16. Le dilemme mis en lumière par Anna Drzewicka se résume dans l’opposition : atteindre l’universel ou reconstruire l’historique ? Rendre proche ou, au contraire, mettre en relief la distance ? Essayer de parler la langue que l’auteur avait employée pour s’adresser à ses contemporains, naturelle et compréhensible, ou bien chercher à restituer une langue ancienne, la mettre dans la bouche de l’auteur pour le faire parler aujourd’hui, après des siècles, à ses compatriotes qui ne le comprennent qu’à peine. Autrement dit, la question est de savoir si le traducteur doit viser à « imprimer [...] une marque d’ancienneté pour produire l’illusion d’une distance temporelle entre le lecteur et ce qu’il lit17 ».
9Tous les traducteurs polonais de la poésie de troubadours se sont confrontés à ces problèmes. Edward Porębowicz et Zofia Romanowiczowa, traducteurs savants et érudits, véritables spécialistes dans le domaine, ont laissé des traductions qui malgré leur beauté et leur raffinement donnent – paradoxalement – une image fausse de la poésie occitane et peuvent aujourd’hui décevoir. L’inactualité et l’anachronisme de ces traductions résident dans le fait qu’ils portent une forte empreinte de sensibilité romantique et postromantique. Écrites en une langue déjà vieillie et patinée, celle du xixe et de la première moitié du xxe siècle, elles pèchent souvent par un excès de sentimentalisme et d’affectation. Pour traduire les troubadours, les deux traducteurs ne recourent pas à la langue du xvie siècle, mais ils utilisent une langue très soignée, élevée, élégante et souvent emphatique. L’accumulation de mots et d’expressions rares, inusités, peu familiers, contredit souvent la simplicité du message de la poésie troubadouresque. L’usage systématique des diminutifs et même leur surabondance produit un effet de préciosité, étranger à la poésie des troubadours. Ce résultat est encore renforcé par la prédilection pour les expressions conventionnelles, empruntées à la poésie romantique. La traduction de la célèbre canso de Jaufré Rudel « Lanquan li jorn son lonc en mai » par Zofia Romanowiczowa en offre des exemples à profusion : « enchaîné par les liens d’amour », « empoisonné par le venin de la nostalgie », « le destin tissé au berceau18 ». Le même goût se fait voir dans le recueil d’Edward Porębowicz : on y trouvera un « spectre de l’amour19 » et un « chemin jonché de roses20 ». Il préfère dire : « la fleur de lis dévoile sa blanche poitrine » que traduire tout simplement : « la blanche fleur de lis s’épanouit », et au lieu d’« elle me comble de délices », il choisit : « mon coeur s’envole sur les ailes21 ». Les deux traducteurs ajoutent des larmes, pleurs, blessures et soupirs, même là où il n’y en a pas22. C’est une poésie belle et élégante mais incompatible avec la simplicité raffinée de la langue des troubadours. Un autre facteur qui gêne le contact avec la poésie médiévale à travers ces traductions jugées canoniques est leur langue vieillotte. Les traductions vieillissent plus vite qu’on ne le pense : même lorsque les traducteurs prétendent parler une langue contemporaine, c’est une langue qui reste éloignée de nous de cent ans dans le cas de Porebowicz et de cinquante ans dans le celui de Romanowiczowa.
10La tentative de Jacek Kowalski se situe à l’autre pôle de cette pratique traductologique. Son originalité tient au fait que ses traductions puisent dans la tradition de la poésie polonaise de l’époque préromantique, même baroque, celle du xviie et du xviiie siècles, plus proche de la sensibilité médiévale que la littérature romantique ou moderniste. Il faut souligner que les poèmes traduits par Kowalski sont destinés à être chantés et ils le sont réellement, car le traducteur est lui-même interprète de ses traductions. La raison d’être de l’ensemble qu’il avait fondé : « Klub świętego Ludwika » (« Le Club Saint-Louis ») est de faire revivre les paroles et la musique des oeuvres anciennes et les rendre plus proches du public contemporain. Les anthologies qu’il a éditées sont donc accompagnées des CD avec l’enregistrement de ses concerts. Il faut préciser que le traducteur prépare ses projets et disques en collaboration avec plusieurs instrumentistes, spécialistes en musique ancienne, et l’ensemble joue sur des copies d’instruments anciens.
11Quels sont les critères qui décident du choix des textes à traduire ? Dans une interview consacrée aux problèmes liés à la traduction de la littérature française médiévale, Jacek Kowalski répond qu’il choisit des poèmes qui l’ont fasciné pour leur donner une forme polonaise. Le critère majeur est la possibilité de les représenter dans leur forme vivante. Il s’intéresse en particulier aux pièces dont la mélodie a été conservée. Pour certains il invente lui-même une musique à la manière médiévale comme dans le cas du sirventés « J’aime le gai temps de Pâques » (« B’em platz lo gais temps de Pascor ») attribué à Bertrand de Born23. La stratégie choisie par le traducteur, poète et musicien en une seule personne le confronte à d’autres difficultés qu’avaient rencontrées ses illustres prédécesseurs. Il doit trouver la solution du problème : comment concilier la fidélité à la forme et au contenu avec la fidélité à la mélodie pour que les versions polonaises puissent garder le charme, la beauté de l’original pendant qu’elles sont chantées. Pour y parvenir certains textes sont plutôt des paraphrases que des traductions de l’original. Kowalski s’en explique dans la préface de son anthologie Niezbędnik krzyżowca (Petit manuel du croisé) : s’il choisit de paraphraser le texte, il suit l’usage médiéval selon lequel le traducteur est aussi auteur du texte24. Ce besoin est dicté et motivé par le fait que le traducteur lui même interprète son texte et cette exécution par le chant contribue à la réécriture, impose des changements. Cette nécessité de paraphrase se trouve souvent doublée par une tentation de la paraphrase à laquelle le traducteur cède pour remplacer le texte original par une formule plus forte, une expression plus imagée, plus saisissante. L’intention primordiale du traducteur est de garder « l’esprit », même au dépens de « la lettre ».
12Le souci de conserver la mélodie originale expose Kowalski aux difficultés de la structure mélodique du vers polonais : la nécessité de garder les rimes masculines (où l’accent tombe à la dernière syllabe) qui sont naturelles en français est ressentie comme très artificielles en langue polonaise à cause de leur répétition et leur accumulation monotones. En polonais la rime masculine est formée par des mots d’une syllabe dont le choix est très limité. Le traducteur garde donc les rimes masculines là où c’est absolument nécessaire. Dans d’autres cas, il les remplace par les rimes féminines, plus naturelles en polonais, si seulement la mélodie le permet. La primauté de la musique se montre donc contraignante pour le choix de la rime.
13Un autre problème est lié à la forme de strophe typique pour la poésie occitane, basée sur les rimes répétées. En polonais, une pareille répétition est perçue comme ennuyeuse et fatigante pour l’oreille, donc ce procédé stylistique qui n’est pas souvent utilisé, est très difficile à traduire. Le traducteur garde les rimes identiques là où il le juge absolument nécessaire, ou du moins – possible. C’est le cas de la première traduction de l’une des plus belles et de plus tragiques chansons de la lyrique occitane, la canso de Bernard de Ventadour « Quan vei la lauseta mover ». Pour que l’on puisse chanter le texte, comme l’avoue Jacek Kowalski, il faudrait utiliser les rimes masculines, comme dans l’original sans pour autant le rendre artificiel et primitif. Par ailleurs, le poème est un véritable réservoir d’images, devenues clichés, mais à l’époque fraîches et vives. L’enjeu pour le traducteur et chanteur est de faire une traduction qui rendra compte de la finesse musicale de l’original et en même temps écartera le risque de la banalité : créer une chanson « simple et expressive, condensée, passionnée, dépourvue de minauderie », comparable à sa version occitane25.
14Pour atteindre cet idéal, et nous arrivons ici au cœur même de l’originalité et du succès de ces traductions, Jacek Kowalski choisit le langage et les images du baroque polonais. Le poète et le traducteur est sensible au goût baroque pour les contrastes, les oppositions, les extrêmes : dans ses traductions la chair s’oppose à l’âme, l’amour à la guerre, Dieu à la matière. Ces contrastes qui caractérisent la poésie baroque polonaise se retrouvent également dans la poésie des troubadours. Les traductions anciennes ont atténué les extrêmes et la sensibilité ardente et contrastée des poèmes troubadouresques, les traducteurs postromantiques ont préféré une rhétorique intimiste qui a produit un effet poétique souvent trop sucré, naïf et sentimental. Kowalski, à travers le recours à l’anachronisme baroque, dégage les tensions et les émotions qui bouillonnent dans la poésie des troubadours, les met en relief, parfois même jusqu’à l’excès. Ce traducteur n’a pas peur des contrastes : pour lui le mélange du comique, du grivois, du burlesque avec le pathétique et le sublime ne pose pas de problème. Il se trouve donc que la poésie des troubadours s’accorde parfaitement avec les chants et poèmes de l’ancienne Pologne, de nos poètes baroques qui, comme les troubadours ont su concilier les passions extrêmes.
15Il fallait faire un détour par le baroque sarmate pour que la poésie des troubadours soit rendue proche du public contemporain à travers l’histoire et la littérature polonaise. Dans les traductions de Kowalski, cette stratégie du rapprochement se réalise aussi à travers la langue : il n’y a aucune barrière entre le texte et le lecteur-auditeur, au contraire, c’est une transparence totale. Même lorsque le traducteur a recours aux archaïsmes, il adapte toujours sa traduction aux possibilités de réception26. Une archaïsation occasionnelle, légère est un signal discret et non pas une reconstruction systématique de la langue ancienne. Les livres, les disques, les concerts de Jacek Kowalski font donc de ce mélange de traditions sa marque distinctive. On peut reprocher au traducteur une certaine incohérence, un manque de conséquence là où dans un texte apparement contemporain on rencontre de temps en temps une forme, un mot, une construction qui heurtent nos habitudes linguistiques. On peut lui reprocher un éclectisme, une certaine désinvolture avec laquelle il fait dialoguer les textes de différentes époques. Mais sa stratégie s’avère efficace : ses traductions sont beaucoup plus compréhensibles et abordables que celles d’autrefois.
16Il serait difficile de nier la valeur poétique des traductions de Jacek Kowalski. Il faut admirer l’effort mis dans la recherche de l’équivalence stylistique, mélodique et lexicale. La stratégie antiromantique et baroque, mais aussi anachronique et archaïque de ses traductions et interprétations a permis aux troubadours de Provence de conserver en langue polonaise leur altérité et leur actualité et d’être accueillis dans le pays que Philippe Desportes, poète d’Henri de Valois, roi de Pologne et de France, présentait comme le pays « d’un éternel adieu », des plaines « toujours de neige ou de glace couvertes27 ».
Notes de bas de page
1 François-Just-Marie Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, t. 1-6, Paris, Firmin Didot, 1816-1821.
2 Wincenty Krasiński, Rzut oka na wieszczów Prowancyi zwanych trubadurami, Warszawa, Drukarnia Zawadzkiego i Wedzkiego, 1818.
3 Voir Krystyna Kasprzyk, « Literatura staroprowansalska w Polsce », Kwartalnik Neofilologiczny, n° 2, 1955, p. 110-122 ; Henrika Chojko-Boutière, « Les études d’oc en Pologne », Actes et mémoires du 1er Congrès International de langue et littérature du Midi de la France, Avignon, Institut méditerranéen du Palais du Roure, 1957, p. 403-410.
4 Adam Asnyk, Trubadurowie. Odczyt miany w Krakowie, Kraków, Kraj, 1872.
5 Edward Porębowicz, Antologia prowansalska. Wybór poezyi trubadurów i felibrów xi-xix wieku, Warszawa Teodor Paprocki i S-ka, 1887.
6 Voir Anna Drzewicka, « Literatura starofrancuska na użytek polskich czytelników lat trzydziestych w wersji Edwarda Porębowicza », Wielkopolska. Polska. Europa. Studia dedykowane pamięci Alicji Karłowskiej-Kamzowej, red. J. Wiesiołowski i J. Kowalski, Poznań, Wydawnictwo PTPN, 2006, s. 106.
7 Edward Porębowicz, Literatura staroprowancka, Warszawa, Trzaska, Ewert i Michalski, 1932.
8 Brewiarz miłości. Antologia liryki staroprowansalskiej, trad. et comm. Zofia Romanowiczowa, Wrocław, Zakład Narodowy im. Ossolińskich, 1963.
9 Jerzy Lisowski, Antologia poezji francuskiej, t. 1, Od Sekwencji o św. Eulalii do Agrippy d’Aubigné, Warszawa, Czytelnik, 1966.
10 Ibidem, p. 11. La traduction est d’Ana Loba.
11 François Villon, Legaty czyli Mały Testament, Poznań, Studio Bąk, 1994 ; Karol Orleański, Ronda i ballady, Warszawa, Volumen, 2000.
12 Jacek Kowalski, Niezbędnik krzyżowca czyli pieśni i opowieści krucjatowe, Poznań, Fundacja Świętego Benedykta, 2007 (Polski Śpiewnik Historyczny, t. 2).
13 Id., Niezbędnik trubadura czyli dumania, kancony i romanse, Poznań, Fundacja Świętego Benedykta, 2007 (Polski Śpiewnik Historyczny, t. 3).
14 Cette phrase : « Daj, ać ja pobruszę, a ty poczywaj » (Donne, je vais moudre [à la meule] et toi, repose-toi) provient du Livre de Henrykow (Liber fundationis claustri sanctae Mariae Virginis in Heinrichow), trouvé dans un monastère cistercien. Les traces écrites les plus anciennes d’un texte polonais datent du xiie siècle. C’étaient des noms de personnes et des toponymes « incrustés » dans un document latin de 1136. Un recueil de sermons, les premiers textes complets conservés en polonais, date des années cinquante du xive siècle et la plus ancienne traduction en polonais d’un texte plus long reste un psautier datant de 1380 environ.
15 Anna Drzewicka, « François Villon i dwóch Franciszków Wilonów », in Między oryginałem a przekładem, t. II : Przekład, jego tworzenie się i wpływ, réd. M. Filipowicz-Rudek et J. Konieczna-Twardzikowa, Kraków, Universitas, 1996, p. 49-50.
16 Voir Jósef Prokop, « O archaizacji przekładu », Z teorii i historii przekładu artystycznego, réd. J. Baluch, Kraków, Uniwersytet Jagielloński, 1974, p. 95-100.
17 Anna Drzewicka, « De l’ancien français au français moderne. Réflexions sur la traduction intralinguale », « Volez oïr… » études sur la littérature française du Moyen Âge, Kraków, Księgarnia Akademicka, 2012, p. 370.
18 « Raz jeden stanąć przed oczyma / Tej, w której więzy jestem skuty » ; « Tęsknoty jadem chodzę struty » ; « Miłuję sam niemiłowany… / W kolebce los mi ten usnuty » (c’est moi qui souligne). Voir Jaufré Rudel, « Lanquan li jorn son lonc en may… », Brewiarz miłości. op. cit., p. 25-26.
19 « Już się z marą nie rozstanę miłosną ». Voir Edward Porębowicz, Antologia prowansalska, op. cit., Bernard de Ventadour « Bel Monruel, aicel que-s part de vos », p. 38.
20 « Wybierzem się razem w drogę, / W drogę słaną kwieciem róż ». Voir E.dward Porębowicz, Antologia prowansalska, op. cit., Arnaud de Marueil, « Bel m’es quan lo vens m’alena », p. 64. Or, dans le poème du troubadour il n’est guère question de roses : « E pueys farem breu viatge, / Sovendet e breu cami » (Voir François-Just-Marie Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours, op. cit., t. 3, p. 210).
21 « Białą pierś wygina lilija » ; « w sercu skrzydła mi rosną ». Voir E. Porębowicz, Antologia prowansalska, op. cit., Bernard de Ventadour « Bel Monruel, aicel que-s part de vos », p. 37-38.
22 « Je lui baise la bouche et les deux yeux », traduit Porębowicz, mais il ajoute encore : « ma blessure guérit » (« W oczy, w usta mię całuje – i rana / Ma się goi, raj się zmysłom odsłania »). Voir Edward Porębowicz, Antologia prowansalska, op. cit, Bernard de Ventadour « Bel Monruel, aicel que-s part de vos », p. 38.
23 « Rozmowa o tłumaczeniu średniowiecznej literatury francuskiej (Teresa Giermak-Zielińska, Joanna Gorecka-Kalita i Jacek Kowalski odpowiadają na pytania Anny Gęsickiej) », Królestwo. Świat wartości i antywartości w dawnych literaturach romańskich, réd. A. Gęsicka, Toruń, Wydawnictwo Naukowe Uniwersytetu Mikołaja Kopernika, 2010 (Litteraria copernicana, n° 2 (6), 2010, p. 187.
24 Jacek Kowalski, Niezbędnik krzyżowca czyli pieśni i opowieści krucjatowe, op. cit., p. 48.
25 Jacek Kowalski, « Bernard de Ventadour, Quan vei la lauseta mover », Królestwo. Świat wartości i antywartości w dawnych literaturach romańskich, op. cit., p. 191. Voir aussi Jacek Kowalski, Niezbędnik trubadura czyli dumania, kancony i romanse, op. cit., Bernartz de Ventadorn « Skowronek i kochanek. Quan vei la lauseta mover », p. 279-281.
26 Il faut souligner que cette stratégie du rapprochement est utilisée par Kowalski non seulement pour traduire les troubadours, mais elle caractérise l’ensemble de ses traductions de la littérature médiévale. Voir Anna Drzewicka, « François Villon i dwóch Franciszków Wilonów », op. cit., p. 55.
27 Voir Philippe Desportes, « Adieu à la Pologne », Wieslaw Mateusz Malinowski et Jerzy Styczyński, dir., La Pologne et les Polonais dans la littérature francaise (xive-xixe siècles), Paris, L’Harmattan, 2008, p. 24.
Auteur
Professeure à l’université Adam Mickiewicz à Poznań (Pologne) où elle enseigne la littérature française du Moyen Âge et de la Renaissance. Ses recherches portent notamment sur la littérature didactique, religieuse et morale de la fin du Moyen Âge. Elle s’intéresse également au médiévalisme et à l’histoire des études médiévales en Pologne. Elle a publié Le Réconfort des dames mariées. Mariage dans les écrits adressés aux femmes à la fin du Moyen Âge (2013). Elle a dirigé le volume Ton nom sera reluisant aprés toy par longue memoire. Études sur Christine de Pizan (2017).
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