Anonymat vs auteur
Le cas du Roman de la Rose
p. 253-266
Texte intégral
Cy commence un moult notable livre nommé le Roumant de la Rose, lequel commença notable et discrette personne maistre Guillaume de Lorris. Et puis fut parfait et acompli par notable homme et grant clerc maistre Jehan de Meun.
1Cette rubrique est placée au-dessous de la miniature qui illustre le début du Roman de la Rose tel qu’il se lit dans le manuscrit BnF fr. 1570 (f. 1, xve siècle1). On trouve réunis ici le titre de l’œuvre – ce qui est habituellement le cas dans les rubriques sises au début du Roman – accompagné du nom des deux auteurs du récit allégorique. Or ce détail qui pour un lecteur moderne n’a rien de surprenant est tout à fait exceptionnel pour la tradition manuscrite du Roman. Le fait est d’autant plus remarquable que Guillaume de Lorris et Jean de Meun sont mis à égalité dans la présentation qui en est faite. On notera peut-être un léger décalage dans les qualificatifs qui leur sont attribués : notable et discrette personne pour Guillaume ; notable et grant clerc pour Jean. Mais en-dehors de cela, la rubrique propose au lecteur du quinzième siècle un « état » du roman proche de ce que nous donnent nos modernes couvertures d’édition.
2Nous le savons pourtant, le Roman de la Rose ne se présente pas de façon aussi simple et univoque. Commencé anonymement par Guillaume de Lorris, il fut poursuivi toujours anonymement par Jean de Meun, lequel sur près d’un tiers de sa partie demeure dans la même posture d’anonymat qu’avait adoptée son prédécesseur. Mais c’est à lui toutefois que nous devons de connaître les noms des deux auteurs du texte. Ainsi, alors que le Roman de la Rose s’affichait comme un Janus aux deux visages, l’un anonyme, l’autre surnommé – on connaît le jeu sur Clopinel pour Chopinel qui se trouve dans certaines versions manuscrites – il offre en fait une double identité, mais dans un après-coup qui a déjà fait couler beaucoup d’encre2. La question de l’anonymat semble donc ne pas convenir au Roman de la Rose.
3Mais l’orientation que propose le ms. 1570 ainsi que celle offerte par les éditions modernes gauchissent la réalité de ce qu’un lecteur médiéval pouvait percevoir en ouvrant un manuscrit. C’est donc à un groupe de ces témoins3 que je voudrais poser directement la question de l’anonymat en dévoyant, il est vrai, quelque peu son horizon d’attente. La dualité entre posture anonyme et affirmation d’auteur qui généralement dessine la trajectoire de l’œuvre médiévale, en tout cas dans l’image longtemps transmise par l’histoire littéraire, l’une s’effaçant progressivement devant l’autre, cette dualité se retrouverait dans l’histoire même de ce texte, à plus d’un titre, unique. Le nombre élevé des manuscrits qui l’ont conservé et ce, durant toute la période qui a suivi sa rédaction, permet de suivre l’évolution de sa réception sur ce point précis. Confirmant, peut-être un peu trop schématiquement, le trajet auctorial évoqué, la tradition manuscrite semble dessiner au fur et à mesure l’assomption de l’un des deux « parrains » du Roman de la Rose, Jean de Meun devenant l’auteur unique de l’œuvre originellement bifrons. Il en ressort dans le même temps que Guillaume doit s’éclipser, s’effacer pour laisser place à son successeur. C’est cette trajectoire, qui fait dialoguer anonymat et figure d’auteur, que je voudrais tenter de suivre en prenant appui sur le corpus défini.
4Pour un lecteur moderne, l’identité de l’auteur dont il ouvre le livre se dévoile d’emblée en couverture. Il n’en est pas ainsi pour le texte médiéval, a fortiori pour le Roman de la Rose. Trois moments s’y emploient, passages où les rubricateurs et/ou les enlumineurs ont orienté son attention sur cet aspect particulier de l’œuvre : l’ouverture – nous l’avons vu en introduction –, la transition entre Guillaume de Lorris et Jean de Meun, et enfin le discours d’Amour, situé au milieu du récit global. On le sait, tout dépend en fait de ce dernier. C’est là, et là seulement, qu’apparaît l’information. C’est aussi le seul endroit où le texte lui-même découvre son origine, les deux autres, tous antérieurs notons-le, sont le fait des manuscrits et de leurs facteurs. C’est donc tout naturellement de là que la critique est partie elle aussi pour commenter le jeu complexe mis en place par le second auteur. Si, comme je l’ai dit, je ne reviendrai pas sur cette question, il faut faire remarquer que ces lectures ont toutes privilégié une approche s’adossant à la notion d’auteur car des trois passages cités il est le seul qui en fournit le profil le plus convaincant. Ce n’est donc pas là que je débuterai, le sentier ayant été trop bien balisé, mais du début du texte, de son ouverture, pour suivre les trois moments dans leur ordre « chronologique », c’est-à-dire au fil de la lecture. Cet aspect me semble important car il permet de se faire une meilleure idée de la façon dont un lecteur, au Moyen Âge, pouvait appréhender la question – anachronique, certes, pour lui – de l’auteur du texte qu’il avait entre les mains. Dans ce cas, l’anonymat de la première Rose se vérifie aisément, que ce soit au niveau du texte – le prologue, contrairement à une certaine pratique, ne livre aucun nom d’auteur – ou au niveau des différentes stratégies propres au livre manuscrit.
5Dans le débat sur la paternité du Roman que j’évoquais précédemment, l’un des arguments des tenants d’une bipartition de l’œuvre repose sur l’existence de deux manuscrits, à quoi j’ajouterais un troisième témoignage, d’un autre ordre il est vrai. Ces deux manuscrits du xiiie siècle (ms. fr. 12786 et fr. 1573) tendent à confirmer qu’un récit a circulé avant la continuation de Jean de Meun. Le ms. fr. 12786 ne nous a transmis, en effet, que la première partie du Roman de la Rose, alors que le second, tout en copiant un texte complet, est marqué d’une coupure nette, c’est-à-dire un blanc d’une colonne et demi, entre le début et la continuation4. De plus, dans les deux cas, le récit de Guillaume commence sans marque externe autre qu’une discrète rubrique, accompagnée d’une lettre décorée sobrement dans le ms. fr. 15735. De même, la fin de cette partie ne comporte-t-elle aucune signalisation (sinon le blanc déjà relevé). Le texte de la première Rose est donc bien rendu, dans ces deux exemplaires manuscrits, à son anonymat.
6Le troisième témoignage auquel je faisais allusion est contenu dans le ms. n.a. fr. 28047. Il s’agit d’un exemplaire de la version interpolée du Roman de la Rose due à un certain Gui de Mori qui l’exécuta peu après la rédaction de Jean de Meun. Ce manuscrit, longtemps perdu6, apporte un curieux témoignage qui corroborerait ce que les deux autres ne prouvent qu’implicitement. En effet, à la suite de la fin anonyme qui se trouve dans certains manuscrits, dont celui-ci, on peut lire quelques vers, peut-être de Gui de Mori, affirmant qu’à cet endroit s’achève la partie de Guillaume de Lorris, précisant qu’aucune autre fin n’est connue. Mais le texte poursuit et révèle qu’après un certain laps de temps, la partie de Jean est parvenue au remanieur qui a alors continué son entreprise sur ce nouveau texte. Ces quelques lignes en vers puis en prose constitueraient l’unique témoignage conscient de l’existence autonome de la première partie du Roman de la Rose. Cependant, le manuscrit qui nous le transmet est postérieur d’une quarantaine d’années au remaniement. Il n’est donc vraisemblablement pas de son auteur. Il ne contient d’ailleurs pas le prologue général de l’entreprise, contenu dans un autre manuscrit conservé à la Bibliothèque de Tournai sous la cote 101, et débute directement avec le texte de Guillaume de Lorris7.
7Mais l’anonymat de la première partie est également confirmé par la tradition manuscrite qui nous en a rendu un texte complet. En effet, quand ils ne se contentent pas d’une simple lettrine décorée surmontée d’une rubrique portant le titre de l’œuvre, les manuscrits illustrent ce début selon deux modèles que les mss. fr. 803 et fr. 802, tous deux du xive siècle, emploient tour à tour. On peut y voir un personnage allongé dans un lit les yeux clos, un rosier se déployant au pied du même lit. Un personnage intervient dans le second cas (ms. fr. 802, f. 1 ; illustration 18). Muni d’une massue, il se dresse à droite de l’enluminure. Une construction, avec une tour et un mur crénelé, complète la miniature. Dans le mur, on distingue une porte et, sur les remparts, juste au-dessus de la porte, une figure féminine, portant un peigne dans la main droite et une clé dans l’autre, regarde en direction des deux autres personnages. La rubrique qui surplombe l’image de ce manuscrit n’indique rien qui puisse nous renseigner sur cette composition. Elle donne seulement le distique qui se lit un peu plus loin : « Ici commence le Rommans de la Rose / ou l’art d’amours est toute enclose » (f. 1v). L’image est donc proleptique. Elle annonce la suite narrative du texte, c’est-à-dire dans le désordre : l’arrivée de Danger et l’intervention d’Oiseuse dont on reconnaît les attributs8. L’identité du personnage alité, quelque peu ambiguë, est clarifiée par la présence des autres figures. Danger et Oiseuse appartenant tous deux au récit onirique, le dormeur ne peut être que l’Amant et non Guillaume nous relatant dans le prologue qu’il a fait un rêve cinq ans plus tôt. On trouve également dans un certain nombre de manuscrits une variation analogue à celle-ci, variation qui me semble confirmer mon hypothèse. Dans ce cas, l’image se divise en quatre vignettes distinctes mais composant un tout (par exemple dans le ms. fr. 24388 du xive siècle, f. 2). Dans ces quatre représentations, le lecteur découvre successivement : le dormeur (en h. à g.), l’Amant s’habillant après avoir fait sa toilette (en h. à dr.), puis le jeune rêveur écoutant le chant d’oiseaux perchés sur des arbres (en b. à g.), et enfin son entrée dans le verger (en b. à dr.). La succession présente bien les étapes principales de l’arrivée dans le jardin. L’absence de Danger dans ces frontispices circonscrit d’ailleurs plus exactement la séquence narrative qui ne déborde plus du moment clé de l’entrée. Or le texte de Guillaume insiste bien sur ce début où le protagoniste est encore au lit et ce en deux temps qui bordent la description de l’éveil de la nature9. Les trois images appuient encore une fois cette version. Dans le manuscrit évoqué, la rubrique qui sous-titre l’illustration n’est toujours pas plus prolixe et se contente de répéter le même distique10.
8La situation rencontrée dans le ms. fr. 1570 en introduction est bien minoritaire dans ce corpus. Elle n’est toutefois pas unique et forme avec trois autres exemplaires un groupe qu’il faut séparer en deux, l’un suscitant un intérêt en raison de la rubrique liminaire, l’autre par l’image qui l’illustre à cet endroit. Le ms. fr. 1570 fait donc couple avec un autre, le ms. fr. 805, également du xve siècle. Dans les deux cas, l’illustration se contente de figurer un dormeur, seul dans le ms. fr. 1570, complété d’une représentation de l’Amant faisant sa toilette dans le cas du ms. fr. 80511 (f. 1). Les rubriques en revanche sont remarquables. Nous connaissons celle du ms. fr. 1570. Le texte du ms. fr. 805 est peut-être encore plus surprenant : « Cy commence un notable livre appellé le Rommant de la Rose, lequel fist maistre Jehan de Meun12 » (f. 1). La paternité revient ici exclusivement à Jean. Guillaume est effacé, ni vraiment sur l’image d’ouverture, ni présent dans la rubrique.
9Le second groupe évoqué se remarque cette fois pour son illustration. Le ms. fr. 1569 (extrême fin du xiiie siècle ou début du xive) représente ainsi une double miniature en frontispice (f. 1), laquelle propose à droite une iconographie mettant en scène un dormeur et Danger. En revanche, dans la partie gauche, on peut voir un maître assis derrière un pupitre, un livre ouvert devant lui et faisant la leçon / lecture à un parterre d’auditeurs13. Cette représentation pour originale qu’elle soit, ne laisse pas d’être problématique. Qui faut-il reconnaître sous les traits du maître : Guillaume ou Jean ? Herman Braet penche pour le second alors que Sylvia Huot y voit Guillaume14. Le premier fait toutefois remarquer que le livre ouvert laisse deviner deux mots : « ma/ in/te » sur la page de gauche et « die » sur celle de droite, c’est-à-dire les premier et dernier mots du premier vers de la première Rose. On pourrait donc pencher pour voir Guillaume, l’auteur de ce vers, en docteur. Ce serait alors l’une des très rares représentations de Guillaume en maître, à défaut d’être figuré en auteur, et la seule de mon corpus15. On mesurera mieux la remarque après avoir exploré les images placées à la transition entre les deux parties du récit. Mais on peut d’ores et déjà apprécier la singularité de cette représentation et l’importance qu’elle revêt pour le présent propos. Elle se situe d’ailleurs, d’une certaine façon, dans une position qui tranche vivement avec ce qu’énonce la rubrique du ms. fr. 805, attribuant le Roman de la Rose au seul Jean de Meun. Elle investit en tout cas Guillaume de Lorris d’une autorité que la plupart des textes ne lui accordent pas.
10Enfin, le dernier manuscrit pris ici en considération (ms. fr. 1563), propose aussi une vignette qui figure un dormeur accompagné, au pied de son lit, d’un personnage plus petit, tenant sur ses genoux un rouleau de parchemin sur lequel il est en train d’écrire (f. 1). Mieux encore que dans le manuscrit de la bibliothèque d’Oxford commenté par Herman Braet, peut-être en raison même de sa dimension restreinte, l’image illustre la double instance narrative présentée par le prologue du Roman qui distingue un Je rêveur et un Je énonciateur. Ici le rêve est transcrit au moment même où il est rêvé.
11 Quatre manuscrits seulement sur un total de soixante-dix exemplaires, soit à peine plus de 5 % des témoins signalent une présence auctoriale au début du Roman ; et encore faut-il ôter de cette courte liste le ms. fr. 805 qui attribue à Jean la paternité de l’œuvre. Les scènes d’ouverture du texte, de façon écrasante, rangent le Roman de la Rose parmi les productions anonymes et n’enregistrent pas du tout l’intervention de Jean de Meun qui désanonymise ce dernier en lui conférant une double identité a posteriori. Ceci ne veut pas dire pour autant qu’un lecteur, surtout tardif, ne connaissait pas les auteurs de la première et de la seconde partie du Roman lorsqu’il en ouvrait une version. Le texte était trop bien connu pour pouvoir le penser. Néanmoins, la stratégie des copistes, des rubricateurs et des enlumineurs du Roman a suivi une ligne nette qui privilégie systématiquement le texte sur l’auteur ou les auteurs et préserve l’anonymat voulu par le premier d’entre eux.
12Tout autre, en revanche, est le parti pris parvenu à la transition de l’œuvre. Le lieu est remarquable et a été très remarqué16. C’est là qu’on trouve représenté un personnage assis devant un livre. Cette figure d’auteur a donc capté l’attention de la critique de façon peut-être quelque peu (trop) appuyée. L’aura prêtée à ce statut, la volonté d’y déceler son émergence, puis sa progressive affirmation, ont sans doute été pour beaucoup dans cette attitude. Elle ne doit pourtant pas éclipser les autres stratégies déployées à cet endroit clé, à commencer par une position neutre qui, comme celle rencontrée à l’ouverture, ne signale pas, ou si peu, le passage de témoin. Ainsi, le ms. fr. 1566 daté du xive siècle se contente-t-il d’un saut à la ligne (f. 24v), ou encore le ms. fr. 801 (xve siècle) qui affiche également un saut de ligne, occupé par une rubrique neutre : « L’Amant » (f. 25v). Nos éditions modernes ne procèdent pas autrement qui signalent par un léger blanc, voire un simple changement de page, le passage de Guillaume de Lorris à Jean de Meun17.
13 Des rubriques ponctuent souvent ce passage. Plus ou moins développées, elles signalent un changement mais sans révéler l’identité du premier auteur, comme c’est le cas par exemple, dans le ms. fr. 814 : « Cy commença le romans maistre Jehan de Meun et le parfist tout jusquez en la fin18 » (f. 24v, xve s.). Il faut en fait rapprocher sur ce point cet exemplaire et ceux qui contiennent : 1) une image, parfois accompagnée d’une rubrique, mais illustrant un autre moment du récit que celui de la transition et 2) une représentation canonique d’auteur travaillant à son livre, parfois sans rubrique, mais la plupart du temps complétée d’un commentaire textuel lequel n’évoque que Jean. C’est cette seconde image qui a retenu l’attention des chercheurs et qui a du même coup éclipsé la première. On la retrouve pourtant à quatre reprises dans le corpus, dans les mss. : fr. 1559 (xiiie s., f. 34), fr. 1567 (xive s., f. 30v), fr. 1575 (xve s., f. 30v) et fr. 1576 (xive s., f. 20v). On peut y voir respectivement : l’Amant et Raison, l’Amant et Bel Accueil (ou peut-être Raison), vraisemblablement à nouveau l’Amant et Raison et enfin dans le dernier, qui est aussi le plus complexe, l’Amant, en clerc tonsuré, au pied du château de Jalousie regardant un personnage sonnant du cor. On peut encore observer une porte close sur la façade du mur d’enceinte, quelques fleurs (des roses) dépassant légèrement les créneaux et un couple face à face, visible dans l’encadrement d’une fenêtre. S’agit-il de Bel Accueil et de la Vieille – Guillaume ne parle que d’une vieille – ou d’une projection de l’Amant et de la Dame (moins probable), ou encore d’un couple de fins amants idéalisés au sein de cette construction ? Dans tous les cas, le doute peut demeurer, car à l’exception du ms. fr. 1559, aucune de ces illustrations n’est accompagnée d’une rubrique qui en éclaircirait le sujet. Et dans le dernier cas, le texte ne précise pas l’identité des protagonistes mais annonce : « Ci commence maistre Jehan de Meun » (f. 34). Toutes ces illustrations séparent donc très distinctement les deux textes de la Rose mais sans s’attacher à en proposer en abyme l’auteur au travail. Néanmoins, elles relèguent toutes Guillaume dans l’anonymat qui est encore le sien à cet endroit du récit. Et d’ailleurs aucun de ces quatre manuscrits n’avait révélé son identité à l’ouverture du Roman.
14Viennent donc ensuite les nombreux manuscrits où les enlumineurs ont choisi de représenter Jean à la jonction des deux parties. Outre qu’il faille sans doute distinguer dans ces représentations Jean-lecteur et Jean-auteur19, ce qui pour mon propos reste marginal puisque dans tous les cas c’est toujours lui qui est figuré en auteur unique, il est surtout nécessaire de séparer les images accompagnées d’une rubrique évoquant Jean seulement, de celles où le texte précise, d’une façon ou d’une autre, la passation de pouvoir ente les deux auteurs, révélant ainsi pour la première fois l’identité de Guillaume de Lorris. Dans ces dernières, l’image auctoriale ne change pas, seule la rubrique évoque avec plus ou moins de précision le passage de témoin entre Guillaume et Jean. Mais avant de revenir plus en détails sur le méta-discours tenu (anonymement), abordons rapidement le cas unique pour le corpus retenu du ms. fr. 24390 (f. 29). L’image est connue (illustration 19). On y voit deux personnages assis à leur pupitre, un livre ouvert devant chacun d’eux. L’ensemble est divisé verticalement par une bordure. Malgré cette démarcation, les deux auteurs sont placés en vis-à-vis et si leurs habits et leurs couvre-chefs, entre autres, les distinguent, le pupitre devant eux est identique de part et d’autre. Munis chacun d’instruments d’écriture (Guillaume tient une plume, Jean a aussi un grattoir dans la main gauche), on les surprend à l’œuvre et ce d’autant plus précisément que Guillaume a déjà tracé sur sa page : « Maint[es] gent[s] dient que un songes na se [.] fabl[es]… » et Jean : « Et si (?) lai ie (?) perd[u] », c’est-à-dire les premiers mots de leur partie respective. Le texte dans l’image ajoute ici une précision supplémentaire au texte hors de l’image qui pourtant le complète : « Comment mestre Jehan de Meun le parfist a la requeste mestre Guillaume de Lorriz etc. » (f. 29). L’aspect exceptionnel de cette illustration ne doit pourtant pas nous faire oublier qu’elle est unique et ne représente donc pas le choix habituel des copistes et des enlumineurs du Roman de la Rose. Il s’agirait plutôt d’un hapax et il faut, me semble-t-il, le traiter comme tel.
15Laissons donc de côté ce singulier exemplaire pour revenir aux cas plus courants qui unissent une image d’auteur et une rubrique d’auteurs du même genre que celle du ms. fr. 24390. Plusieurs remarques peuvent être faites à partir de ce modèle. D’abord l’étrangeté de cette « requeste » qu’aurait faite Guillaume à Jean. Rien dans le roman ne vient la soutenir. Au contraire, Amour précisera qu’un laps d’une quarantaine d’années sépare les deux auteurs (v. 10554-10560). Mais plus important peut-être pour notre propos est l’écart qui sépare le texte et l’image. En effet, alors que la miniature figure un auteur, le texte en désigne deux. Sans qu’il y ait de réelle contradiction puisque l’illustration prend en charge le début de la continuation, due au seul Jean de Meun – alors que le passage de l’un à l’autre est expliqué par le texte – il n’en demeure pas moins qu’une faille se fait jour. Faille d’autant plus perceptible si on met en regard les ouvertures de la plupart des manuscrits et le passage en question. Le parallèle accuse alors la différence de traitement entre un Guillaume de Lorris peint en dormeur et un Jean de Meun présenté en auteur. Bien qu’il assume le début du Roman et qu’il se présente dans le prologue comme l’auteur de son propre rêve, ou à tout le moins comme le « copiste » de ce rêve, et alors que, par sa position seconde et le choix d’une continuation sans solution de continuité, Jean de Meun n’a pas écrit de prologue à sa partie, c’est pourtant lui et lui seul que les architectes des manuscrits représentent en figure d’auteur. Guillaume dort pendant que Jean écrit20 et ceci reste valable du xiiie au xve siècle.
16Il faut pourtant nuancer ces résultats à l’aune de l’ensemble des manuscrits pris en compte. Les chiffres ne permettent pas de trancher de façon aussi nette l’écart entre Guillaume et Jean. Seize manuscrits portent la mention de Jean seul alors que onze soulignent la participation double de Jean et de Guillaume à l’élaboration du Roman de la Rose. Sur les soixante-dix manuscrits considérés, l’écart est trop faible pour être absolument probant21. Une analyse menée sur la totalité des exemplaires conservés modifierait peut-être ce résultat22. Mais je ne crois pas que ce critère seul suffise. Il faut élargir le champ d’investigation à d’autres indices pour faire mieux apparaître la différence qui se creuse entre les deux auteurs et l’appréhension qu’en ont pu avoir les lecteurs du Moyen Âge. J’annonçais en début de travail que trois lieux étaient à considérer où la présence des auteurs se manifestait. Il est donc temps d’aborder le dernier, à savoir celui-là même où leur nom, pour le lecteur moderne et médiéval, est révélé.
17On y retrouve d’abord une stratégie déjà observée aux lieux précédents et qui consiste à ne pas signaler la présence des deux noms d’auteur. C’est le cas, par exemple, du ms. fr. 812 (f. 192v ; xve siècle) qui n’utilise pas de lettrines ou de pieds de mouche pour mettre en exergue les vers où se lisent les noms de Guillaume de Lorris et de Jean de Meun23. Ce manuscrit nous donne sur ce point un texte tout à fait semblable à une édition moderne. Mais qu’en est-il des autres marques rencontrées précédemment ? La surprise est alors de constater que ces repères n’apparaissent pas dans la très grande majorité des témoins de notre corpus. Le passage, on le sait, est contenu dans le discours d’Amour, discours que ce dernier adresse aux barons de son armée. Auparavant, le dieu avait dialogué avec l’Amant qu’il revoyait pour la première fois depuis son serment d’allégeance et le « chastoiement » qui s’était ensuivi. Les rubriques choisissent ainsi de faire porter l’attention du lecteur sur cet aspect du discours d’Amour. On lit ainsi : « Comment li dieu d’Amours parle a ses barons et leur dit pourquoi il les a mandés » (ms. fr. 24388, f. 72v). Et de façon symétrique, le discours des barons est également ponctué : « Comment li baron de l’ost rendent response au dieu d’Amours » (f. 73v). Le dialogue entre le dieu et ses gens est donc l’élément retenu et mis en évidence. Le discours et plus encore la diégèse – toute cette assemblée est réunie pour prendre d’assaut le château de Jalousie et délivrer Bel Accueil – l’emportent sur l’origine du récit ici mise à nu. Les manuscrits illustrés reprennent en général le même motif. Certains suivent aussi les rubriques qui, juste avant la prise de parole du dieu aux barons, annoncent l’arrivée pour le moins déterminante d’Abstinence Contrainte et de Faux Semblant. On sait d’ailleurs que l’issue dépendra essentiellement de l’intervention du second qui permettra au camp d’Amour d’emporter une étape décisive dans la bataille en neutralisant Male Bouche. On trouve donc, presque toujours, avec ou sans image, une rubrique annonçant cette arrivée : « Ci dit l’Amant comment Abstinence Contrainte amena Faus Semblant par la main devant li dieu d’Amours » (ms. fr. 24388, f. 72v). Encore une fois, la diégèse supplante l’origine du discours. Notre appréciation moderne et les commentaires qu’elle a produits ne correspondent pas à ce que les témoins manuscrits nous révèlent de la réception « contemporaine » du Roman. Loin s’en faut.
18Sept manuscrits seulement ont pris en compte la nomination et l’ont signalée à leurs lecteurs. Ce sont les mss. fr. 1561 (xive siècle, f. 65v) ; fr. 1569 (xiiie siècle, f. 68v) ; fr. 12590 (xve siècle, f. 71v) ; fr. 24390 (xive siècle, f. 71) ; fr. 24391 (xive siècle, f. 67v) ; fr. 24392 (xve siècle, f. 85v) et fr. 25523 (xive siècle, f. 88v). Rubriques et/ou illustrations ont été mises à profit pour souligner le passage. Toutes n’ont pas adopté cependant la même stratégie. Bien que les mss. fr. 12590, fr. 24390 et fr. 24391 n’aient usé que de rubriques, une légère différence sépare le premier des autres. En effet, les deux derniers exemplaires reprennent en fait le modèle que l’on trouve habituellement à la transition des deux textes. On lit : « Ici commence mestre Jehan de Meun qui siet sus Loire » au f. 71 du premier et : « Ychi commenche maistre Jehan de Meun » au f. 67v du second. Ces rubriques peuvent apparaître incongrues qui signalent en fait un faux début. Mais en examinant la place exacte où sont insérées ces marques méta-textuelles, on constate dans le cas du ms. fr. 24391 qu’elle signale bien le début de la continuation de Jean de Meun puisque le vers qui suit n’est autre que le premier de sa partie : « Et si l’ai ie perdue espoir etc24. ». Dans le dernier cas de ce groupe, la solution se présente comme plus complète – en ce qu’elle dispose deux rubriques, l’une pour Guillaume, l’autre pour Jean – et plus confuse car le texte de chacune n’est pas en adéquation avec ce qui est dit par le discours, juste avant ou juste après25. Néanmoins, ce cas vaut d’être relevé par son souci d’équilibre des auteurs, contrairement aux deux manuscrits précédents.
19Les quatre autres témoins offrent en lecture une image pour illustrer le propos du dieu à l’endroit des auteurs du Roman de la Rose. Je laisserai volontairement de côté pour le moment le cas du ms. fr. 24392 que je commenterai plus tard. Les trois autres manuscrits se divisent comme précédemment en deux groupes, bien qu’aucun d’eux ne procède de façon strictement identique. Les mss. fr. 1561 et fr. 25523 proposent deux scènes de lecture : dans le premier, le dieu d’Amour fait la lecture à Jean de Meun et à ses disciples (f. 65v26) alors que le second présente un lecteur27 (f. 88v), sans commentaire. Reste donc le ms. fr. 1569 qui est le seul à assumer la passation de pouvoirs – reconstruite – entre Guillaume de Lorris et Jean de Meun28. L’image est placée au même endroit que la rubrique du ms. fr. 24390 et le texte qui l’accompagne est très proche : « Ci commence mestre Jehan de Meun » (f. 68v). Il faut cependant remarquer que, si l’illustration met clairement en évidence le rôle commun de Guillaume et de Jean, la rubrique ne se conforme pas au modèle déjà rencontré où l’on précise que Jean a entrepris de continuer le récit à la « requeste maistre Guillaume », ce qui aurait fait sens ici. L’accent est encore une fois mis davantage sur le continuateur que sur son prédécesseur.
20Si d’une façon générale, la tradition manuscrite a accordé peu d’intérêt à la révélation de l’identité des deux auteurs au moment où celle-ci est révélée, elle en a signalé, dans presque un tiers des témoins consultés, un événement connexe. Nombre de manuscrits, à l’instar du ms. fr. 12595 (xve siècle) mettent en évidence ce que les rubriques nomment « la priere du dieu d’Amours pour maistre Jehan de Meun ». Le ms. fr. 12595 illustre même la scène au f. 78v (illustration 20). Or la critique, quant à elle, a toujours négligé cet élément, certainement parce qu’il disparaît dans les éditions. Mais pour un lecteur du Moyen Âge, l’attention est souvent attirée par ce « détail » du récit, détail qui semble former un tout avec le discours d’Amour à ce moment précis, et peut être donc assimilé à la scène générale d’« annonciation » des deux auteurs. On le perçoit cependant, Jean de Meun en est le seul bénéficiaire. Rien dans ce cas ne vient équilibrer les rôles respectifs de Guillaume et de Jean. Tout se polarise à nouveau sur le continuateur. Additionnée à tout ce qui précède de la mise en relief si distincte des positions de Guillaume de Lorris – en dormeur – et de Jean de Meun – en auteur – la prière du dieu tend à incliner le fléau de la balance en faveur du second. Certes, dans la fiction voulue par le continuateur, Guillaume est déjà mort et la prière ne peut s’adresser qu’en direction du futur du texte. Mais, ruse d’auteur, stratégie de scribes ou d’enlumineurs, la réception manuscrite du Roman de la Rose permet de mesurer néanmoins l’avantage, même faible, que prend la figure de Jean de Meun, comme auteur, au détriment de Guillaume, prisonnier de sa fiction et relégué dans les limbes de son rêve. Les manuscrits recueils qui apparaissent dès le milieu du xive siècle autour du nom de Jean de Meun permettraient de mieux évaluer cet avantage. Dans ce déplacement, son autorité grandissante aura comme effet secondaire de reconduire Guillaume de Lorris à l’anonymat qui était le sien avant qu’il ne l’en sorte.
21Double geste donc, d’une exhumation assortie d’une mise à mort. La naissance de l’auteur se ferait sur les cendres d’un double anonyme qui, pour le besoin, doit être identifié, sans quoi on ne pourrait y prendre appui. C’est ainsi qu’on peut lire le choix de Jean de ne se dévoiler qu’au moment où il nomme Guillaume de Lorris. Tout a lieu en un seul et unique instant qui conjoint les deux postures dont l’une sera appelée à disparaître alors que l’autre connaîtra une longue postérité. Dans une certaine mesure, la rubrique du ms. fr. 1570 avec laquelle nous débutions en était l’indice qui accordait au continuateur la qualité de clerc, Guillaume n’étant que notable et discret. Mais un manuscrit a peut-être voulu saisir sur le vif l’instant que j’évoquais de cette apparition-disparition. Datant du xve siècle, le ms. fr. 24392 choisit en effet de mettre en image ce que le texte dit à la lettre, en représentant tout à la fois le tombeau de Guillaume de Lorris et l’autorité de Jean de Meun sous les yeux du jeune Amant guidé par Amour (illustration 21, f. 85v29). Demeurant fidèle au texte du Roman, il a peint en couleur la naissance de l’un fixant la mort de l’autre.
Notes de bas de page
1 Tous les manuscrits dont je parlerai provenant de la Bibliothèque nationale de France, je ne le préciserai plus dorénavant et ne les mentionnerai que par leur cote précédée de ms.
2 Mon propos n’est pas de revenir sur cette question abondamment traitée. Je mentionnerai simplement quelques uns des ouvrages à l’avoir abordée : Roger Dragonetti, Le Mirage des sources, Paris, Seuil, coll. « Connexion du champ freudien », 1987 ; David F. Hult, Self-Fulfilling Prophecies. Readership and Authority in the First Roman de la Rose, Cambridge, Cambridge University Press, 1986 ; Sylvia Huot, The Romance of the Rose and its Medieval Readers : Interpretation, Reception, Manuscript Transmission, Cambridge, Cambridge University Press, 1993.
3 Mon corpus est constitué de (presque) tous les manuscrits actuellement conservés à la Bibliothèque nationale de France et qui sont aujourd’hui lisibles en ligne sur le site Gallica. L’ensemble comprend un peu plus de soixante-dix témoins allant du xiiie au xve siècle. Quelques exemplaires ne sont toutefois pas encore disponibles sur Gallica. Dans ce cas, j’ai consulté le site consacré au Roman de la Rose (romandelarose.org) qui propose également un certain nombre de textes en ligne, dont ceux des manuscrits suivant : mss. fr. 1563, fr. 1574, et n.a. fr. 28047.
4 Un élément supplémentaire pourrait être ajouté au dossier de cet exemplaire. L’explicit qui clôt le Roman est le suivant : « Explicit la fin du Romans de la Rose » (f. 182v). Or on a généralement : « explicit le Roman de la Rose ». La présence du mot fin pourrait laisser entendre de la part du copiste qu’il savait que la seconde partie était un ajout plus tardif.
5 « Ici comence le Roumanz de la Rose » pour le ms. fr. 1573 (f. 1) et « Ci comence li Romanz de la Rose » pour le ms. fr. 12786 (f. 43).
6 Langlois déjà, dans son analyse de la version remaniée de Gui de Mori, parlait de ce manuscrit (surnommé Tersan en raison de son dernier possesseur) comme perdu. Voir : Ernest Langlois, « Gui de Mori et le Roman de la Rose », Bibliothèque de l’École des Chartes 68, 1907, p. 249-271.
7 Voir pour ce travail singulier de remaniement la récente édition d’Andrea Valentini, Le Remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori : étude et édition des interpolations d’après le manuscrit Tournai, Bibliothèque de la Ville, 101, Bruxelles, Académie Royale de Belgique, 2007.
8 Le texte dit bien : « En sa main tint un miroër, / si ot d’un riche treçoër / son chief trecié mout richement ». Cf. Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. Félix Lecoy, Paris, Champion, 1973, 3 vol., v. 555-557. Toutes les références au Roman se feront dorénavant dans le corps du texte avec la mention des vers. Pour ce qui est de Danger et de sa massue, on lit dans le second portrait qui en est fait : « Je le trovai en piez drecié, / fel par samblant et corocié, / en sa main un baston d’espine », (v. 3139-3141). L’image comporte donc une indication distante de plus de trois mille vers.
9 On lit ainsi : « Avis m’iere qu’il estoit mais, / il a ja bien .v. anz ou mais, / qu’en may estoie, ce sonjoie, / el tens enmoreus […] » (v. 45-48) et plus loin : « En icelui tens deliteus, / que toute rien d’amer s’esfroie, / songai une nuit que j’estoie. / Lors m’iere avis en mon dormant […] » (v. 84-87).
10 Les mss. fr. 1566 (f. 1) et fr. 1567 (f. 1) présentent un cas un peu plus ambigu en ce que le dormeur qu’ils figurent, la première fois très simplement et la seconde dans un ensemble luxueux, est tout seul. Rien n’intervient qui pourrait faire pencher le commentaire soit du côté du narrateur du prologue ou de l’Amant au début de son rêve.
11 On pourrait regrouper également le ms. fr. 1570 avec les deux manuscrits mentionnés à la note précédente, puisque rien non plus n’oriente sa miniature vers le rêve mais la laisse au seuil entre prologue et récit. Dans le cas du ms. fr. 805 il faut encore préciser que les deux images sont nettement séparées, chacune étant placée au-dessus d’une colonne du texte.
12 Herman Braet signale cette rubrique dans l’article suivant : « Du Portrait d’auteur dans le Roman de la Rose », Mediaevalia Lovaniensia 36, 2006, p. 81-99, et p. 90 pour la mention.
13 Herman Braet reproduit et commente cette image dans l’article cité à la note précédente (p. 89 et figure 8, p. 99).
14 Comme le signale d’ailleurs Herman Braet. Pour Sylvia Huot, voir From Song to Book. The poetics of writing in old french Lyric and lyrical Narrative Poetry, Ithaca, 1987, p. 104 et figure 6.
15 En sortant de ce corpus, on trouverait aussi la célèbre image du manuscrit Oxford, Bodleian Library, Douce 195. Herman Braet le commente toujours dans le même article.
16 On signalera, en plus de l’article de Herman Braet, celui de Lori Walters, « Author Portraits and Textual Demarcation in Manuscripts of the Romance of the Rose », Rethinking the Romance of the Rose. Text, Image, Reception, éd. Kevin Brownlee et Sylvia Huot, Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 1992, p. 359-373. Mais dans les deux cas, l’enquête ne me semble pas suffisamment systématique. Par ailleurs, on notera que l’auteur est le concept sur lequel se concentrent ces deux commentaires. Pour ce qui est des rubriques et de leur importance dans le Roman de la Rose en général et dans ce passage de transition en particulier, voir Sylvia Huot, « Ci parle l’aucteur : Rubrication of Voice and Authorship in Roman de la Rose Manuscripts », SubStance 17-2, 1988, p. 42-48.
17 Ainsi Félix Lecoy reproduit-il approximativement ce qu’il voit dans son manuscrit de base (le fr. 1573 dont nous avons déjà parlé) en laissant vide la fin de la page sur laquelle s’achève la partie de Guillaume et fait commencer le texte de Jean sur une nouvelle page. Ernest Langlois, dans son édition, passe aussi d’une page à l’autre mais sans blanc ou saut de ligne (cf. Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. Ernest Langlois, Paris, Firmin Didot et Librairie Ancienne Edouard Champion, 1914-1924, 5 vol. Le passage de témoin se trouve aux pages 203-203 du volume 2). Quant à Armand Strubel, qui utilise deux manuscrits pour son édition, dont le ms. fr. 12786 qui ne contient que le texte de Guillaume, il inscrit des points de suspension après la fin de Guillaume et reproduit ensuite, comme le lui propose son témoin, la fin anonyme avec une nouvelle numérotation. Il faut encore ajouter qu’il est le seul de ces éditeurs à signaler au début de la partie de Jean de Meun, la rubrique qui se trouve dans son témoin et qu’il reproduit et traduit. Cf. Guillaume de Lorris et Jean de Meun, Le Roman de la Rose, éd. Armand Strubel, Paris, LGF, coll. « Lettres Gothiques », 1992, p. 262-268.
18 Deux manuscrits du xve siècle, les mss. fr. 800 et fr. 1572, proposent une variation intéressante sur ce modèle en donnant une rubrique, en latin qui mentionne l’existence de deux auteurs mais en les laissant dans l’anonymat : « Explicit auctoris primi tractatus amoris / Incipit alter ibi laus sit honorque sibi » (ms. fr. 1572, f. 30).
19 Herman Braet signale cette distinction d’importance, art. cit., p. 88.
20 On a vu que la miniature d’ouverture du ms. fr. 1563 présente une image de la scène. Nous y avions vu Guillaume en auteur, on se rend compte que ce pourrait aussi être Jean écrivant le rêve de son prédécesseur.
21 Ce qui en pourcentage donne les résultats suivants : 22,85 % contre 15,71 %, soit un écart d’à peu près 7 points.
22 Le critère quantitatif n’est peut-être pas négligeable. Lori Walters affirme ainsi que plus de la moitié des manuscrits qu’elle a eu la possibilité de voir personnellement renferme une image d’auteur à cet endroit. Elle ne dit rien en revanche des rubriques qui les accompagnent. Cf. Lori Walters, « A Parisian Manuscript of the Romance of the Rose », The Princeton University Library Chronicle 51, 1989, p. 31-55, p. 50 pour cette affirmation.
23 Je m’étais d’abord livré à un recensement des manuscrits qui pointaient les vers où apparaissent les deux noms. Je n’aborderai néanmoins pas cet aspect. Je note simplement qu’environ la moitié des témoins signale le vers suivant : « Puis vendra Jehan Chopinel » (v. 10535), en le faisant débuter d’une lettrine pour le P.
24 Il n’en va pas de même du ms. fr. 24390 qui place la rubrique juste avant le vers : « Puis vendra Jehans Clopynel », ce qui ne me semble pas faire sens, même si le nom du continuateur apparaît ici.
25 Le texte de ces rubriques est le suivant (f. 71v) : « Ci dit jusques ou maistre Guillaume de Lorris fist de cest rommant » suivi du vers : « Ve cy Guillaume de Lorris » pour la première et : « Ci dit de maistre Jehan Clopinel dit de Meun ou il prit a faire du livre » suivi de : « Lors vendra Jehan Clopinel » pour la seconde. Il semble que l’attraction nominale soit ici la plus forte et qu’elle ait déterminé l’emplacement de ces rubriques qui, contrairement à ce qu’elles annoncent toutes deux, n’introduisent pas le texte de Guillaume ou de Jean.
26 C’est ce que précise la rubrique : « Comment li dieu d’Amors lisoit a mestre Jehan de Maun [sic] et a ses deciples ».
27 Un peu comme ce qui a été noté auparavant, on pourrait voir dans cette image une illustration de Jean, lecteur de Guillaume. Sinon l’identité du personnage reste plus obscure.
28 Herman Braet commente cette image dans son article, cf. art. cit., p. 88.
29 Une rubrique donne le commentaire de cette image, mais placée au bas du f. 85. Le texte en est le suivant : « Ci parle le dieu d’Amours comme Guillaume de Lorris mourut et comme maistre Jehan Chopinel dit de Meun parsuit ce livre ».
Auteur
Université de Lausanne, Suisse
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