Antoine Peint, un homme d’affaires avisé
p. 39-62
Texte intégral
1À la question qui se pose de savoir ce qui prime dans l’accumulation de capital, le capital monétaire ou bien le capital d’influence et de liens sociaux, Fernand Braudel répondait en 1979, les deux121, ce qui se confirme dans ce court livre d’Antoine Peint, comme nous allons le voir.
2Le livre de raison d’Antoine Peint compte 394 notices touchant différents sujets que nous avons regroupés en 10 thèmes. Quatre de ces notices touchant deux thèmes dans le même texte, nous les avons enregistrées deux fois, les calculs qui suivent ont donc été faits sur un total de 398.
3Le graphique 1 ci-après, qui illustre la répartition des différents thèmes relevés dans le livre d’Antoine Peint, montre la part prépondérante de la rubrique « Prêts », 54 %122 des notices.
4Comme l’écrit Georges Pichard : « Les placements, prêts, échanges, en l’absence de banques, font de chaque bourgeois ou noble à la tête d’un bien de quelque importance, une sorte de banquier pour son entourage et ses connaissances123 ». Antoine Peint n’échappe pas à cette fonction : il consacre une grande partie des notices qu’il a placées dans ce livre de mémoire aux prêts. Il prête de l’argent dans 206 cas sur les 215 consacrés à cette activité, soit 96 %. La transaction peut faire l’objet d’un acte devant notaire (14,6 % des 206 notices), le débiteur peut faire une reconnaissance de dette (cédule) (11 %), ou laisser des objets en gages (5,3 %) ; le prêt peut se faire en présence de témoins (7 %). Rarement, Antoine Peint demande une caution (1 %) ; enfin, ce prêt est encore plus rarement remboursable sous forme de pension (0,5 %) ou par compensation de créances (0,5 %). Certains remboursements se font en nature, ainsi c’est en blé que le Pierre Toche dit le Sage paie ses dettes124, Pierre de Beaucaire rembourse une partie en argent et le reste en balais, pois et châtaignes125, le capitaine la Touche fournit de l’argent et un cheval126. Antoine prend même une fois en hypothèque, neuf bœufs ! Mais la plupart (60 %) se font sans cédule ni acte notarié, la proximité sociale, relationnelle, étant suffisante. On remarque que la signature de certains débiteurs apparaît sur le livre à partir de 1591 ; il n’y a alors plus de référence au notaire, à une caution ou un témoin.
5Les autres prêts sont marginaux et peuvent relever de l’entraide et de la solidarité apportées à l’entourage127 : du mortier que Gabriel de Lavabre doit rendre ou payer, une grande faucille à son beau-frère, une cuve au maçon qui travaille pour lui, un trident à son fâhier, au même un peu d’argent pour faire soigner son mulet, quelques « barraux » de vin, une arquebuse à son compère dit Carme – ceci en 1590 et il est vrai que les temps sont troublés –, du coton pour les voiles du moulin d’un autre de ses compères (nous reviendrons sur l’utilisation de ce mot que l’on trouve fréquemment sous la plume du scripteur). C’est un peu dans cette même idée de proximité, ici spirituelle, que se situe le prêt consenti à un parent de la nourrice de Gaucher pendant qu’il était en prison, prêt qui, n’ayant pas été totalement remboursé, est effacé en raison du fait que Gaucher est devenu parrain du fils de cet homme128.
6Les sommes prêtées s’étalent largement, de 25 sols à 2 139 écus129, avec une forte proportion de sommes modestes, de ce fait, moyenne et médiane, diffèrent fortement : la première est de 78 écus alors que la seconde est de 20 écus (voir tableau II en annexes). Antoine Peint prête donc dans la moitié des cas une somme inférieure ou égale à 20 écus. Lorsque la raison du prêt est évoquée, pour ces petites sommes, il peut s’agir de l’achat d’une dinde, de vin, de pain ; le débiteur peut aussi emprunter une modeste somme (inférieure ou égale à 5 écus) pour payer ou nourrir ses travailleurs agricoles, faire face aux dépenses occasionnées par la maladie d’un proche ou encore l’entrée dans une compagnie de Pénitents.
7Au contraire, quelques prêts, trois seulement, dépassent 1 000 écus. En 1591, Antoine Peint prête 1 200 écus à des marchands de Marseille habitués des opérations commerciales à Arles130, écus qui lui sont rendus en monnaie espagnole, des réaux, 15 jours plus tard. Les deux autres prêts d’importance ont probablement un caractère politique. Datant respectivement d’août et septembre 1592, ces deux prêts, respectivement de 1 969 écus et de 2 139 écus, sont le fait de celui que l’auteur qualifie de « maître de la monnaie131 » pour le premier et d’un groupement d’hommes dont Nicolas de la Rivière le Vieux, le parrain du consul tué en mars de la même année132, pour le second. Antoine s’entoure de précautions pour des sommes de cette importance, pas moins de trois témoins parmi des hommes connus sur la place et une durée de prêt qui se limite à 8 jours pour le premier (en fait, Antoine reçoit 1 500 écus le 3 septembre 1593, mais rien n’est dit sur la somme restante) ; quant au second, l’acte est dressé par le notaire de la maison commune, maître Bruni133.
8Si Antoine Peint centre ses activités sur le prêt, il ne fournit aucune indication sur les conditions du remboursement. Rien ne nous permet de connaître le taux d’intérêt pratiqué, mais, étant donné le nombre de prêts qu’il consent, l’opération doit être rentable. Est-ce l’interdiction de l’intérêt par l’Église qui explique le silence sur les conditions de remboursement des prêts, alors que, pour certaines affaires commerciales, la mention du profit se révèle présente ? Ainsi que l’écrit Pierre Jeannin, pour les hommes du xvie siècle, « la notion d’intérêt avait ordinairement la force d’une réalité naturelle attestée dans les gestes des marchands vendant à crédit et des masses de prêteurs et emprunteurs134 ». Lors d’une transaction à crédit, comme le prêt, le prix sur lequel s’entendait les deux parties était lié au terme convenu pour le remboursement ; l’intérêt était donc incorporé dans la somme mentionnée, supérieure au montant réellement emprunté. Dans les notices du livre de raison d’Antoine Peint, la durée du prêt, lorsqu’elle est indiquée, est très variable, souvent très courte de huit jours à un mois, elle peut atteindre six, huit mois voire exceptionnellement un an. Le terme fixé coïncide parfois avec une échéance importante localement comme la tenue de la foire de la Magdeleine à Beaucaire en juillet, ou une fête religieuse Pâques, Noël ou Carême entrant, Saint-Michel ou Saint-Antoine. Nous n’avons noté dans le manuscrit qu’un cas de retard de paiement et un de remboursement anticipé : le premier, un prêt de 700 écus consenti aux représentants d’une levaderie (association de propriétaires fonciers agissant pour l’entretien des levées du Rhône), acte enregistré devant notaire le 5 février 1590, avec pour terme la Magdeleine (22 juillet), n’est remboursé que le 3 octobre 1592135 ; une mention marginale indique que des intérets ont été payés pour les années 1590 et 1591 sans indication de leur montant. En sens contraire, le second, un prêt sur gages de 15 écus le 11 avril 1590, dont le terme est Pâques 1591 est remboursé par anticipation le 27 juin 1590 sans qu’il soit fait mention d’une quelconque escompte136.
9Le rédacteur de ce livre est aussi un marchand qui achète et vend : 13 % des notices de son livre « mémorial » en témoignent. Son commerce s’organise principalement autour du blé : plus de la moitié des 53 notices qui dévoilent cette partie de ses activités parlent de vente de blé, ceci est fort compréhensible étant donnée l’importance cette denrée, la richesse du terroir d’Arles en céréales à cette époque et la proximité du Rhône et de la mer qui en favorise le transport. On peut être surpris, d’ailleurs, qu’aucune notice ne concerne les crues du fleuve qui se multiplient à partir de 1565 et se succèdent en 1573, 1576, 1578, 1579, 1580 pour culminer en octobre 1587, occasionnant alors un changement de cours du Rhône137. Or, fin 1586 ou début 1587, Antoine Peint est associé à l’achat d’un radeau et il ne fait pas de doute que celui-ci doit être acheminé par voie d’eau ; les conditions de navigation sur le fleuve font donc partie des informations nécessaires au scripteur même si le transport de ce radeau n’a pas été contrarié par le changement brutal de cours du fleuve intervenu plusieurs mois après la date de la notice. Plus globalement, les rares mentions climatiques relevées dans le livre concernent les dégâts causés aux terres que le rédacteur possède en Trébon et dans la Crau en 1588138.
10Compte tenu du seigle et de l’avoine, 70 % des 53 notices concernent les céréales. Pour cette raison, la lecture du livre de raison d’Antoine Peint ne permet pas de découvrir qu’il est, comme le serait, selon Antoine Gautier-Descottes, son père, marchand drapier, ce qui pose, une fois encore la question de l’existence d’autres livres comptables utilisés dans l’exercice de son négoce. Hormis les céréales, le reste des marchandises dont le manuscrit porte traces de la vente est très varié : si l’on trouve bien du chanvre, de la laine, du tissu ou même du cuir, Antoine Peint vend aussi du vin, du fer, des perches de bois, un âne et un cheval.
11Il n’y a que trois allusions dans le livre à la marge que le vendeur retire de ses ventes : le rédacteur souligne qu’il fournit sans marge, à sa belle-sœur Barthélemie Vendrane, du chanvre peigné, à une autre femme du chanvre aussi et, de même, lorsqu’il vend du vin au compère Pierre, aubergiste du Lion d’or, il indique qu’il ne fait pas de bénéfice139. Comme nous l’avons indiqué plus haut pour le prêt à intérêt, la marge, à laquelle justement Antoine Peint fait allusion lorsqu’il n’en prend pas, existe lors de la vente à crédit : elle n’apparaît pas explicitement dans les notices, mais le prix de vente étant fixé par les deux parties, la rémunération du crédit y est incluse. Nous citerons deux exemples de rémunération du crédit non explicite : spéculant sur le prix qu’atteindra la précieuse céréale à la soudure, le 13 octobre 1590, le scripteur vend 18 sétiers de blé que l’acheteur lui paiera le prix que la céréale se vendra en avril 1591 ; c’est le cas aussi en novembre 1592, où il vend 13 setiers ½ de blé au prix qu’il se vendra en avril 1593140. Dans l’exemple qui suit, nous pouvons réaliser dans quelle proportion Antoine Peint joue, ainsi que le font les marchands, sur prix d’achat et prix de vente d’une denrée : le premier février 1591, il achète avec deux associés 400 sétiers de blé à 7 florins 6 sols le sétier, blé qu’il vend, deux ou trois jours plus tard, à un marchand de Marseille 9 florins moins 6 liards141 le sétier, soit une marge d’environ 18 % ; lors de cette vente, l’acheteur paie comptant 320 écus et les 390 écus restant à crédit, sans indication de durée. Contrairement aux Pays-bas où une ordonnance de 1540 rend « licite l’intérêt entre marchands142 », ce n’est pas encore le cas à la fin du xvie siècle à Arles où il reste masqué.
12Comme nous l’avons déjà mentionné, la vente du blé occupe effectivement beaucoup la société arlésienne en cette fin de siècle : tout ce que la ville compte d’élites nobles ou bourgeoises143 mais aussi de marchands et d’artisans s’occupe à vendre ou à charger sur des bâtiments la précieuse céréale ; les patrons des bateaux, qui en effectuent le transport, ont la responsabilité de vendre la cargaison aux meilleures conditions. Les quantités de blé transportées peuvent être impressionnantes : par exemple, en 1583, 4 608 setiers sont chargés par François Constantin bourgeois – qui est par ailleurs marchand drapier ou « chaussatier144 » – sur neuf bateaux à destination de Six Fours145 ou encore, en août 1588, 28 personnes vendent 6 130 setiers de blé qui sont transportés sur neuf bateaux de la Ciotat ; en prenant comme prix du blé celui de juillet 1588, sept florins le setier146, la somme investie dans ces chargements atteint 8 582 écus.
Graphique 1 (données en annexes, tableau I) Répartition, en fréquences, des notices suivant le thème abordé

La lecture du diagramme, se fait en commençant par le secteur bleu franc « achat, vente commerce », puis se poursuit dans le sens des aiguilles d’une montre.
13Antoine Peint ne résiste pas non plus à l’attrait exercé par ce commerce maritime, risqué, mais sûrement fort lucratif : en août 1586, il charge, sur le bateau du patron arlésien Pierre Granier, 400 setiers de blé, à charge pour ce dernier de débarquer et vendre la cargaison « où bon lui semblera sauf aux terres des ennemis du Roi » et, un mois plus tard, il confie, dans les mêmes conditions une quantité identique de blé147 au patron Antoine David de Berre ; toujours ce même été, il vend au marchand marseillais André Picquet, 27 setiers de blé constituant une modeste partie de la cargaison de 500 setiers que ce dernier charge pour Marseille148. Curieusement, ces opérations ne figurent pas dans le livre d’Antoine Peint, pas plus d’ailleurs que les cuirs qu’il fait transporter par un patron de Trinquetaille à quatre reprises en 1583 ni le chargement de cuirs et de châtaignes qu’il effectue sur un bâtiment de Martigues en janvier de l’année suivante en direction de Marseille149. Ce constat nous amène à revenir sur un point, très brièvement évoqué plus haut, à savoir, le moment où Antoine Peint a commencé à tenir son livre. Les premières notices sont indiscutablement écrites a posteriori. En observant le livre lui-même, il semble que la tenue ne débute qu’en 1587 juste après un « memorial d’ung razel que a este achepte par Monsr Anthone Brunel, Anthone Rasclet, Anthone Peint, la gardo Royron et Christol Pillier que a couste ce que ensuit150 ». Ce texte suit une notice du 16 novembre 1586 et précède celle du 16 mars 1587. À partir de là, les années sont mises en évidence au centre de la page et les notices, qui ne sont cependant pas toujours datées, se succèdent sans qu’il puisse y avoir de confusion ou presque sur l’année où l’opération a eu lieu. Peut-être la nécessité de noter les éléments complexes de la composition de cet important radeau qu’avec ses associés il négocie, a-t-elle incité Antoine Peint à ouvrir son livre dans lequel il a porté dans les premières pages, laissées probablement blanches initialement, tout que qui, les années précédentes, lui semblait être digne ou nécessaire d’être mémorisé ? Nous pouvons penser que la tenue de ce livre a correspondu à une expansion ou une complexification des affaires de son rédacteur qui en a alors ressenti l’utilité. Le graphique 2, qui montre la répartition annuelle des notices, met en évidence le gonflement du nombre de celles-ci entre mars 1587 et février 1593 ; dans les années qui précédent, les mentions sont peu nombreuses et étalées dans le temps entre 1565 et 1586. Cela confirme l’idée que les 51 folios laissés par Antoine Peint ne présentent, de manière régulière (exhaustive ?), les mentions et comptes de ses affaires de prêteur et de commerçant qu’entre 1587 et février 1593, les notices précédentes ne servant que d’aide mémoire.
14Dans une proportion moindre, en terme de nombre de notices, que pour les prêts et le commerce local, Antoine Peint monte des opérations commerciales ponctuelles, appelées compagnies dans son livre, pour lesquelles il s’associe avec d’autres marchands ou bourgeois.
15Elles font l’objet de 32 notices mais ne concernent que 17 associations car plusieurs notices traitent d’une même compagnie, tout changement, tel complément d’investissement, comptes intermédiaires ou final, intervenants supplémentaires etc. justifiant d’une note dans le livre d’Antoine. Les trois premières compagnies sont déjà dissoutes lorsque Antoine en laisse la trace dans son livre, elles datent respectivement de 1574, 1584 et de fin 1586 ou début 1587 : la première avait été montée pour le commerce d’huile avec deux associés151, la seconde pour l’achat avec quatre co-propriétaires d’une barque appartenant à un patron de San-Remo (260 écus)152 enfin, la troisième concerne l’achat du radeau de bois mentionné plus haut dont la valeur dépasse de loin les sommes mises en jeu dans les deux autres (2 646 écus). En 1588, il prend part à trois compagnies, l’une concerne 50 setiers de blé transportés et vendus à Marseille153, les deux autres, sont, l’une, notée le 24 septembre, une association avec un patron arlésien qui va acheter du chanvre à Nice alors qu’il y a pénurie à Lyon154 et l’autre, le jour suivant, rassemble cinq personnes dont un patron qui va acheter du vin à Marseillan – petit port du Languedoc155.
16En 1589, la seule association commerciale dans laquelle Antoine Peint s’investit a pour but d’acheter de la toile pour faire des sacs afin de transporter de la farine à Martigues dont les moulins ont été mis hors d’usage par les troupes de Monsieur de la Valette. L’affaire semble avoir été très fructueuse car, pour un investissement en toile de 31 écus, il retire 64 sacs de farine dont il vend 50 à un fournier pour 110 écus, auquel s’ajoutent les 14 sacs qu’il garde pour le « service de la mezon156 » ; toutefois, les informations contenues dans la notice nous semblent lacunaires car le prix de revient de la farine faite pour remplir les sacs n’y figure pas.
17En 1590, le rédacteur du livre multiplie les compagnies, la première des trois compagnies de l’année, dans laquelle il place 27 écus, concerne l’achat de neuf esclaves157 (Turcs sous la plume d’Antoine Peint) ; cette opération, en collaboration avec quatre associés, fournit un profit de 53 écus : la formulation « nota que auxsusdicts turcs ya heu 53 [escus] de proffit158 » suggère qu’il s’agit d’un profit global pour la compagnie et non pour le scripteur seul. Les parts des différents associés sont ici différentes : quatre d’entre eux ont fourni chacun 40 écus et Antoine Peint, qui a fait entrer son cousin Cavalier pour un tiers de sa part, n’en a fourni que les deux tiers soit 26 écus 2/3, si bien que ces deux derniers sont respectivement dans la compagnie pour 2/3 et 1/3 de part. Le rédacteur ne fournit pas le montant chiffré de son profit ni celui des autres associés. Après cette opération, Antoine Peint entre dans une compagnie constituée de trois personnes pour l’achat, le transport et la vente de 400 setiers de blé destinés à Narbonne avec une cargaison de retour prévue, sardines ou fer d’Espagne ; cette fois-ci, le sort lui est contraire car les frégates de Monsieur de Montmorency font le blocus du port ligueur de Narbonne et empêchent le navire marseillais d’y arriver. Le marchand marseillais, à l’origine de cette association, rembourse son associé des sommes investies mais sans profit159. Avec le vermeil, les choses se passent mieux : trois associés, dont Peint, achètent du vermeil en commun, le font préparer et l’envoient à Marseille, toujours par bateau, à un marchand chargé de le vendre au mieux. Pour un prix d’achat entre trois et neuf sols la livre, ce vermeil s’est vendu à 28 sols la livre à Marseille160.
18En 1591, ce sont 400 sétiers le blé qui font l’objet d’un achat à crédit en association avec trois autres personnes, blé qui est revendu dans la notice suivante à un marchand de Marseille161 et réglé en pièces espagnoles, des réaux, mais le rédacteur en donne pas de compte final entre les associés ; nous avons seulement pu réaliser, comme nous l’avons mentionné plus haut, qu’Antoine Peint vendait ce blé au Marseillais nettement plus cher qu’il ne l’avait acheté.
Graphique 2 (données en annexes, tableau III) Répartition du nombre de notices par an

En abscisse les années, en ordonnée le nombre notices annuelles.
19L’année suivante, 1592, en collaboration avec un patron, Antoine vend du bois à un groupement de marchands ou peut-être de patrons de la côte ligure et leur livre à Villefranche162, le port du duché de Savoie ; ceux-ci le paieront trois mois après sa livraison, en pièces de huit (réaux), le tout se montant à environ 1 800 écus. Les conditions du transport de ce bois ne sont pas évoquées : est-il acheminé sous forme de radeau ou est-il embarqué sur un bâtiment au port d’Arles ? Le 13 mars 1592, jour de l’assassinat du premier consul La Rivière, le rédacteur passe acte d’association avec quatre hommes qui, par recoupement avec d’autres sources, nous paraissent être des patrons163, pour la commercialisation d’un radeau qu’il avait acheté d’un marchand de Digne pour la somme de 2 366 écus ; enfin, la laine fait l’objet, cette même année, d’une nouvelle compagnie qui achète de la laine à Eyguières et Istres et la fait transporter à Marseille pour la vendre ; cette compagnie a un capital important puisque chacun des trois associés fournit 1 005 écus 40 sols, mais les éléments, indiqués en marge et en dessous de la notice, ne permettent pas d’avoir une idée du compte final164. Entre juillet et octobre 1592, une série de notices intitulées « companies » indiquent des achats de blé effectués par le scripteur associé à l’un de ses « compères » et à quatre puis cinq patrons. En octobre, Antoine Peint règle des comptes avec l’un des patrons, en présence de deux autres associés mais il n’y a rien de plus ensuite dans le livre à propos de cette companie ce qui nous empêche de savoir s’il y a eu des bénéfices et, si c’est le cas, leur répartition. Nous rappelons que le livre est manifestement s’interrompt brusquement début 1593. Il reste à signaler pour cette année 1592, l’association d’Antoine pour un quart dans l’arrentement du domaine de la Furane en Camargue appartenant à l’archevêque d’Arles et dont le consul Gérard Chivalier est le rentier principal. Antoine note méticuleusement les sommes qu’il fournit aux « prifachiers » pour les travaux agricoles commandés par Chivalier ; une autre notice présente les comptes avec le responsable des travaux le 31 janvier 1593165.
20Le livre d’Antoine Peint montre la croissance de ses affaires et, tout particulièrement, celles qu’il fait en association avec d’autres hommes entreprenants comme lui. Cependant, leur ampleur n’atteint pas encore en 1582 le niveau de celles que les registres de notaires arlésiens, interrogés pour cette année-là, mettent en évidence. Nous y avons trouvé les actes de constitution de compagnies pour le commerce maritime liant deux, trois voire cinq ou six hommes, écuyers, bourgeois, marchands, notaires, parfois même artisans et un patron dont le port d’attache est souvent un port de la côte orientale de la Provence ou de Ligurie166 ; les sommes mises en jeu dans ces associations atteignent souvent, cette année 1582, près de 1 000 écus. Il faut attendre l’année 1592 pour que les affaires d’Antoine Peint se hissent à un niveau comparable.
21Pour tenter d’avoir une idée un peu plus précise de l’envergure des affaires d’Antoine Peint, nous avons calculé le montant annuel des sommes qu’il investit à la fois dans les prêts qu’il consent, dans ses opérations de commerce et dans les compagnies commerciales auxquelles il participe. Nous avons essayé d’être au plus près des notices mais l’une des compagnies, constituée pour la vente de bois, ne donne pas d’indications sur l’investissement de départ et trois ventes ne mentionnent pas les prix (une plaque de fer pour faire la platine d’un moulin, et deux ventes de blé dont le prix doit être fixé au printemps suivant). Le tableau IV en annexes rassemble les résultats que nous avons illustrés par le graphique 3 suivant. Il confirme ce que la répartition annuelle du nombre de notices nous avait appris, les années 1588 à 1592 et, tout particulièrement cette dernière, sont celles où Antoine Peint est le plus actif.
22L’augmentation des sommes prêtées, comme des parts prises dans des compagnies commerciales (comme le montrent aussi, en nombre de notices, le tableau et le graphique V en annexes) est particulièrement sensible au cours de l’année 1592, année de la radicalisation la plus extrême de la Ligue ; cette année-là, il prête un total de 7 660 écus et participe à hauteur de 5 692 écus à des compagnies de commerce.
23C’est probablement l’augmentation progressive de ses activités de prêteur dès la seconde moitié des années 1580, qui lui permet d’avoir les fonds nécessaires pour répondre à la demande grandissante au fur et à mesure que la crise politique s’aggrave. On voit même que le scripteur emprunte lui-même dans ces années-là, probablement à meilleur taux que celui qu’il pratique : entre 1590 et mai 1592, il emprunte à cinq reprises un total de 862 écus dont 417 en 1592 justement. Au cours de cette période, les activités de marchand, elles, se maintiennent en terme de nombre de notices (tableau et graphique V en annexes), mais elles ne mettent pas en jeu des sommes comparables.
24La conjoncture politique est intimement liée aux opérations que nous dévoile le livre d’Antoine Peint. Les prêts se multiplient au cours des années où la Ligue s’affirme et le gonflement des sommes avancées par Peint provient pour partie des deux prêts qu’il consent à l’automne 1592 aux hommes qui gouvernent la ville. Celle-ci, aux abois, est obligée, dès les premiers mois de 1590, d’emprunter 10 000 écus167 et la spirale de l’endettement se poursuit les années suivantes ; l’approvisionnement des habitants dans un territoire ravagé, la défense armée contre les troupes tant royalistes que huguenotes qui menacent la ville de tout côté, tout contribue à créer une situation explosive dont certains, comme Antoine Peint dont la clientèle s’élargit alors, savent tirer profit.
Graphique 3 (données en annexes, tableau IV) Montant, en écus, des sommes investies dans des opérations financières et commerciales

Le montant de la somme en écus, figure en ordonnée, les années en abscisse.
25Les notices relatives à l’investissement foncier, elles, permettent de constater qu’Antoine Peint, comme les hommes de son époque, place une partie des profits, qu’il tire de ses opérations de prêteurs et de marchands, dans la terre. Comme les Nicolay, François dans les années 1590 dont le livre de raison a été étudié par Bruno Bourjac168, et son neveu Honoré dont Jean Boyer a présenté l’étude du livre, Antoine Peint montre aussi l’attachement que ces représentants « d’une catégorie sociale venue elle-même de la paysannerie porte à la terre169 ».
26Le scripteur tend à agrandir la terre qu’il déjà au Trébon par des achats successifs de parcelles la confrontant, ce qu’il fait en trois achats en 1579, 1581 et 1584170. En 1587, il a hérité de son père171 d’une terre qui confronte aussi les deux précédentes ce qui élargit son domaine ; il prend grand soin de noter les travaux qu’il y fait faire et les comptes avec son fermier ; en 1590, toujours dans la même logique, il arrondit encore sa terre172 et se défait de la petite terre qu’il possédait près de la chapelle de la Genouillade173. Enfin, c’est pour rentrer dans les fonds qu’il avait avancés à Richard de Sabatier174, que le scripteur se trouve propriétaire, dans ce même quartier, appelé d’ailleurs Mouleyrès, d’un moulin et du terrain qui l’entoure, arrentant le tout contre une rente en blé175.
27Le rédacteur du livre porte un intérêt comparable aux biens immobiliers qu’il a en ville. Son livre s’ouvre sur des notices rapportant de manière très détaillée les travaux qu’il fait faire, en 1570 à la mort de son beau père et, au moment du règlement de sa succession, à la maison appartenant à sa femme que le couple habite traverse Saint-Jacques176. En 1587, son propre père mort, il hérite, non seulement de la terre en Trébon signalée ci-dessus mais aussi d’une petite maison située près du pont de l’Observance177 (illustration 6 : plan de la ville ; illustration 7 : détail avec ce pont, place de St Cille, la porte de la Cavalerie, St Julien). Cette maison est échangée contre une maison probablement plus grande puisque l’échange s’accompagne de ce qu’il appelle une plus value de 256 écus ; elle est située près du rempart de la Cavalerie, confronte l’église Saint-Cille, plus connue sous le nom de Saint-Isidore178, et Antoine Peint la loue à son ancien propriétaire. Il possède aussi une autre maison, qu’il qualifie de « petite maison de mes enfants » et dans laquelle il fait faire, comme dans la grande maison, celle qu’il habite, des travaux de maçonnerie et de serrurerie. Quelle est cette maison, s’agit-il d’une maison voisine de la sienne où logent ses nombreux enfants qui ont, à la date de la notice d’où est extraite cette mention, fin 1588, entre un et quatorze ans ? Cependant, à partir de 1590, cette petite maison est louée à la commère Marguerite ; où sont alors logés les enfants ? Les agrandissements de la maison principale permettent-ils, à ce moment-là, de loger toute la famille ? En 1592, nous l’avons vu, les affaires d’Antoine Peint prospèrent et il achète la maison d’un notable arlésien, Sire Louis Tavernier, consul en 1584, trésorier de la ville en 1589179 qui, royaliste180, voit peut-être sa situation matérielle compromise au cours des années de domination ligueuse et se trouve contraint de se défaire de son bien.

Illus. 6 : Plan de la ville d’Arles dressé par Nicolas Quiqueran de Beaujeu en 1743 (BMA, CP 209).

Illus. 7 : Détail du plan dressé en 1743 par Nicolas Quiqueran de Beaujeu (BMA, CP 209) où l’on peut situer le pont de l’Observance, le couvent des Récollets qui était, à l’époque où le plan fut dressé, occupé par les Observantins. On y voit la paroisse Saint Antoine qui porte aussi le nom de Saint Julien. La porte de la Cavalerie est mentionnée au niveau du bastion de la muraille au nord de la ville. L’église Saint Cille ou Saint Isidore ne figure pas sur ce plan, elle a été démolie, nous pouvons seulement l’imaginer à la fin du xvie siècle près de la porte de la Cavalerie à l’intérieur du rempart (il semble y avoir sur le plan une sorte de jardin qui pourrait avoir remplacé le cimetière de Saint Cille).
28Enfin, une curieuse affaire d’héritage amène Antoine Peint en 1585 à renoncer à une maison dont il aurait hérité de la femme d’un certain Aubert qui paraît, au vu de son engagement dans l’affaire, être parent du ligueur qu’est le notaire Vincent Aubert, « compère » de Biord181. Que cet héritage soit la manifestation d’une reconnaissance sociale ou autre, il est d’autres éléments qui traduisent qu’Antoine Peint a, dès la seconde moitié des années 1570, une certaine notoriété dans la ville. En effet, son livre rappelle qu’en 1576 les recteurs de l’hôpital l’ont pris pour trésorier et qu’il a exercé ces fonctions pendant neuf ans, puis, la même année, il a été sollicité, comme associé avec trois autres, par le rentier des gabelles d’Arles ; le montant de cet arrentement est de 25 000 florins, soit 5 000 écus, ce qui signifie que chacun des cinq rentiers répond de 1 000 écus. La solvabilité du rédacteur est suffisante pour que le rentier principal fasse appel à lui, ses co-rentiers sont d’ailleurs des hommes dont les noms reviennent souvent son livre, sous le qualificatif « compère » qu’il affectionne comme le font aussi des contemporains, François Nicolay par exemple (nous reviendrons plus loin sur ce terme de compère).
29C’est aussi dans le sens de cette reconnaissance, en tant que citoyen responsable et solvable, qu’il faut comprendre la charge de tutelle des enfants orphelins d’un sourd muet, charge que « Monsr le juge par sentence m’auroit promeu de tuteur outre ma volonte de la quelle je serois este appelant par devant Monsr le lieutenant lequel auroit confirme la sentence du juge…182 » et qui, donc, lui est imposée, à son grand déplaisir.
30Les charges et fermes sont révélatrices de la position sociale et constituent un moyen de conforter son ascension sociale. Dès 1581, la ferme de la boucherie « nous a este délivree pour un an183 » écrit Antoine Peint. Est-il seul dans ce fermage ou le « nous » correspond-il à un groupement d’individus ? Quoiqu’il en soit, il entre dans cet organisme de la ville. En 1583, il est fermier principal des gabelles pour six ans pour une somme de 35 000 florins (7 000 écus) payables de trois mois en trois mois ; il ne mentionne pas s’il s’entoure d’associés, tout au plus a-t-il une caution, celle du marchand Sire Jehan Thomas, l’un des associés impliqués déjà avec lui dans cette charge en 1576 ; puis à nouveau, en 1589 « les gabeles de la vile d’Arles [lui] ont este arrantees pour le temps de six ans… au prix de 37 500 florins…184 ». En 1589, il tient à noter que ce sont les consuls dont il cite les noms, – parmi eux se trouvent les consuls bourgeois : le chef ligueur Nicolas de la Rivière et le notaire Simon Loys que connaît si bien Antoine Peint, car il instrumente fort souvent pour lui –, qui lui ont arrenté l’impôt sur le bœuf et le mouton qui se tuent à la boucherie pour un an. Il accueille des sous-rentiers à cette ferme dont le compère Jehan Gavot et le secrétaire de la ville qui n’est autre que le notaire Vincent Aubert. Chacun d’entre eux a versé pour la rente, 357 écus 30 sols, au trésorier de la ville, Sire Louis Tavernier. Enfin, lorsque la ferme de la boucherie est délivrée pour un an, en 1591, à ce même Jehan Gavot, celui-ci y accueille, à son tour, Antoine Peint avec cinq autres dont un boucher et un patron185. L’ouverture des charges aux métiers qui apparaît ici est à lier à l’évolution de la composition de la Ligue. Bruno Bourjac souligne que 15 des 25 conseillers nouveaux apparaissant cette année-là pour la première et la dernière fois au conseil de ville, sont « honorables maîtres, marchands et bourgeois » tels Jean Arnaud qui est notaire, Jean Meynier, cardeur ou Antoine Giraud dit Couque, pêcheur186.
31Comme l’écrit Gilbert Buti, « la distinction entre négociant et marchand a été souvent malaisée187 ». À quelle place situer Antoine Peint, à partir de son court livre de raison (il ne couvre en gros que les années 1580-1592), en prenant pour guide la définition-portrait du « négociant » européen que nous propose l’auteur ? La polyvalence des activités que nous avons mise en évidence ci-dessus est, au xvie siècle et, pour longtemps encore, jusqu’au xviiie siècle, une caractéristique commune à tous les marchands mais à des degrés divers. Antoine Peint fait commerce de marchandises variées, spécule sur le prix de certaines, vend à profit, se fait banquier par les prêts qu’il consent pour des montants divers, développe des relations professionnelles avec des marchands extérieurs, mais géographiquement relativement proches, essentiellement de Marseille, ce qui l’amène cependant à participer au mouvement commercial qui relie le couloir rhodanien et le port phocéen. Outre ses opérations commerciales et de « banque », il s’investit dans les rouages de l’administration de la cité par les biais de charges, qui lui permettent d’acquérir une certaine notoriété dans la commune, aspect complémentaire de l’enrichissement acquis par ses activités de marchand.
32Le livre de raison qui nous est parvenu montre la capacité du scripteur à mettre ses affaires en ordre et à les présenter avec clarté : une écriture soignée, des formules simples, un résumé de l’affaire dans la marge ; nous avons noté, toutefois, quelques erreurs dans les années. Il utilise des chiffres arabes, sauf pour certaines dates, ce qui sous-entend que ses calculs ne sont pas faits à l’aide d’une abaque à jetons ; il maîtrise parfaitement les paiements par compensation de créances qui se trouvent développés de manière assez complexe dans quelques comptes et bilans qu’il rédige, on en veut pour exemple l’acte de cession, qu’il passe devant notaire en 1591, d’une créance de 531 écus sur deux marchands de Martigues que lui fait son beau-frère Lagnel pour régler une partie des 594 écus qu’il doit au scripteur188.
33À son actif aussi, l’aptitude à convertir les différentes monnaies dans lesquelles se font les transactions. À partir de juillet 1590, on trouve mention de nouvelles pièces, les pinatelles que l’atelier monétaire d’Arles produit, mais aussi de monnaies étrangères, espagnole ou italienne, dont Antoine Peint maîtrise visiblement la conversion ; la présence de ces monnaies espagnoles résulte des échanges commerciaux nombreux avec l’Espagne au xvie siècle, mais ces exemples se multipliant en 1591 et 1592, elle pourrait être, plus particulièrement, liée à la présence du duc de Savoie en Provence et à Arles189 ; elles peuvent aussi résulter des échanges avec les marchands marseillais pour lesquels le commerce « de l’argent monnayé est une nécessité, leurs activités les orientant principalement vers l’Italie et le Levant, pays auxquels on achète plus qu’on ne vend190 ». Nous nous sommes interrogée sur l’origine des éléments de conversion qui figurent dans les notices : sont-ils le fruit de la consultation de manuels d’arthmétique à l’usage des marchands dont un certain nombre au xvie siècle comportaient des éléménts de métrologie et aussi parfois de conversion des monnaies191 ou résultent-ils d’échanges de savoir-faire avec les marchands, venus d’horizons différents, comme Marseille mais aussi Nice et la Ligurie d’un côté ou la Catalogne de l’autre, qui fréquentent le port d’Arles et la foire de Beaucaire192 ?
34Cependant, le marchand Antoine Peint ne possède pas de compétences comptables étendues : il n’utilise pas l’écriture en partie double, les folios ne sont pas numérotés, les notices suivent un ordre chronologique et sont écrites les unes après les autres au fur et à mesure que la vente, le prêt ou le contrat a lieu, il n’y a pas d’index permettant de relier les notices qui traitent des mêmes affaires et l’usage de la lettre de change n’est qu’occasionnelle. En effet, son livre ne nous ne fournit qu’une seule notice où s’en trouve mentionnée une : le scripteur fait un prêt de cent soixante écus à un boulanger qui participe à une companie montée pour un commerce de laine, à l’aide d’une lettre de change ; nous supposons qu’il a dû l’endosser mais ce n’est pas Antoine Peint qui va chercher le règlement, un autre associé devra s’en charger à Pélissanne. Ce dernier aura-t-il dû l’endosser à son tour pour obtenir du débiteur le paiement de la somme indiquée sur le document193 ? La notice ne fournit pas d’informations sur l’utilisation de cet instrument. Nous pouvons ajouter, qu’à la différence des marchands ayant un vaste rayon d’activités, il n’effectue pas de changements complexes d’unités de poids et de mesures nécessitant l’utilisation de la si pratique règle de trois puisque ses affaires restent locales ; c’est la même chose pour la monnaie : il fait un change de réaux ou doublons espagnols en florins ou en écus, mais il n’intervient dans la conversion que sur des monnaies ayant cours dans deux pays différents. Par ailleurs, les comptes des compagnies dans lesquelles il prend part ne fournissent pas la répartition des bénéfices entre les associés : son propre profit est parfois indiqué, mais lorsque le capital n’est pas identique pour tous les actionnaires, comme c’est le cas par exemple pour la vente des esclaves turcs, le scripteur n’indique que le profit global pour la compagnie194. Nous pouvons ajouter, comme nous l’avons vu plus haut, que le commerce en gros et l’armement maritime ne sont pas ses principales activités commerciales mais que, touche à tout comme les marchands de l’époque, il participe à des associations ayant pour objet le transport et la vente de denrées par voie maritime195, et que, si ses horizons économiques sont principalement centrés sur la ville d’Arles et ses environs proches, Saint-Rémy-de-Provence, Istres, Eyguières, il étend ses affaires un peu plus loin, en direction de la Méditerranée.
35Les faiblesses identifiées ci-dessus nous amènent à nous interroger sur la formation que ce marchand a reçue. Pierre Jeannin souligne l’importance de « la formation acquise “sur le tas”, dans et par le travail à côté d’un maître ou d’un aîné196 ». Antoine a-t-il bénéficié d’une telle situation ? Cela pourrait être le cas si Gaucher, son père, était, comme le suggère Achille Gautier-Descottes, marchand. Toute fois, complémentaire, la maîtrise de la lecture, de l’écriture et du calcul passait, déjà dans l’enfance d’Antoine dans les années 1550, par la fréquentation de l’école. En effet, les petites écoles sont attestées au xve siècle à Arles et le premier collège se situe, en 1489, à l’emplacement du théâtre antique. Les maîtres pouvaient être aussi bien laïcs que religieux – en 1485, Frances Berardi vient de Turin, et Jaumes Olim du Puy, l’année suivante c’est un frère mineur assisté d’un « bachelier » qui vient enseigner aux jeunes Arlésiens197 (illustration 8 : Classe d’arithmétique par Bertran Boysset).

Illus. 8 : La classe d’arithmétique par Bertran Boysset (fin xive-début xve siècle).
(Le maître arpenteur tient de la main droite un terme ou borne).
(Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine, Ms 327, fol. 26 v, IRHT).
36Il est difficle de se faire une idée du contenu de l’enseignement dispensé dans ces écoles, mais le recours aux manuscrits, puis, à la fin du xve siècle aux ouvrages imprimés, utilisés dans cet enseignement et, d’ailleurs souvent écrits par les maîtres eux-mêmes, permet d’y rémedier. Ils apparaissent à cette époque en France, à l’image des manuels utilisés un siècle plus tôt en Italie dans les écoles d’abaque. Les mathématiques devenant de plus en plus nécessaires aux marchands au fur et à mesure de la complexification de leurs opérations, ces ouvrages se multiplient. Ils visent à l’apprentissage de la lecture des nombres, à leur écriture avec des symboles puis à la maîtrise des quatre opérations sur les nombres entiers d’abord puis sur les fractions (nombres rompus, fractions entre 0 et 1). En l’absence de nombres décimaux, les résultats rationnels sont donnés sous forme mixte : entier et nombre rompu juxtaposés sans signe d’addition198. Pour acheter, vendre, savoir gérer ses affaires, la seule règle à connaître est la règle de trois. En 1485, Jehan Certain, Marseillais d’adoption, dans son Kadran aux marchans, fournit une application de cette règle adaptée aux petites compagnies de deux ou trois associés permettant un partage des gains proportionnel à l’apport de chacun199, que ne semble pas connaître ou utiliser Antoine Peint200. La liste des ouvrages s’allonge au cours du xvie siècle : ce sont essentiellement des traductions ou des éditions d’ouvrages étrangers auxquels on peut ajouter l’Instruction et manière de tenir livres de compte par parties doubles, ouvrage, cité plus haut, de Pierre de Savonne, natif d’Avignon, qui traite avec compétence à la fois de l’arithmétique et de la tenue comptable201.
37Si nous ne sommes pas capables de cerner réellement quelle fut la formation de marchand d’Antoine Peint, nous avons la certitude que celle de son fils Gaucher fut plus importante : celle reçue « sur le tas » chez son père est certainement solide ; compte tenu des projets ambitieux qu’il semble avoir pour son fils, le père y a sûrement veillé. Il n’a certainement pas négligé non plus la fréquentation d’une école ou peut-être, beaucoup plus hypothétiques, les leçons d’un précepteur et, dans cet environnement, la présence de livres spécialisés est nécessaire. La situation géographique du port Arles en fait un centre commercial relativement important : le flux montant amène, dans la vallée du Rhône et au grand centre qu’est Lyon, les marchandises de la Méditerranée arrivées par Marseille et, à la descente, les denrées de l’intérieur du royaume et de Lyon gagnent la mer via Arles ; à ces trafics, s’ajoute celui occasionné par l’importante foire de Beaucaire qui attire de nombreux marchands. On peut aisément concevoir que, dans la seconde moitié du xvie siècle, il soit possible de se procurer à Arles des livres imprimés ce que peut suggèrer, d’ailleurs, la présence de livres dans des cargaisons de navires tant la montée qu’à la descente202. Après l’enseignement scolaire, à 16 ans, Gaucher bénéficie d’un an d’apprentissage auprès d’un marchand de Marseille203 : son père, Antoine, qui écrit « pour luy servir en chozes ecrites selon son pouvoir » souligne bien ce qu’il entend que son fils apprenne, la tenue des livres de comptes certes mais aussi tout ce que cela sous-entend de connaissances relatives au commerce : arithmétique commerciale, poids et mesures, monnaies, lettres de change… Donc des choses écrites dans la tenue des livres du marchand mais aussi choses écrites dans les livres spécialisés204.
38Antoine Peint apparaît, en somme, comme un marchand avisé qui fait habilement fructifier ses biens en utilisant de manière judicieuse la conjoncture ; sur les quelques années pour lesquelles nous possédons son écrit, nous pouvons juger de l’expansion de ses affaires et de sa réputation qui en fait un personnage vers lequel la commune se tourne pour la sortir des difficultés qui la pressent mais qui, au début de 1593, reste un acteur local.
39Nous n’attendrons pas davantage pour aborder la sociabilité du scripteur, ses réseaux familiaux, amicaux, sa clientèle et sa position politique. Est-il resté ou a-t-il tenté de rester neutre dans la crise majeure qui déchira la ville et, en particulier, son gouvernement ? A-t-il choisi un parti ce que pourrait dévoiler ses relations ?
Notes de bas de page
121 Georges Pichard, « Un grand corpus provençal : les livres de raison… », op. cit., p. 337 et note 20.
122 214 notices sur 398.
123 Georges Pichard, « Un grand corpus provençal : les livres de raison, … », op. cit., p. 337.
124 BMA, ms 365, fo 11 vo, 14 vo, 24.
125 BMA, ms 365, fo 11.
126 BMA, ms 365, fo 19 vo.
127 Voir sur cette entraide « une habitude, mieux art de vivre », Sylvie Mouysset, « Tenir ses comptes : une écriture minimale de soi », in Jean-Pierre Bardet et François-Joseph Ruggiu, dir., Les Écrits du for privé en France de la fin du Moyen Âge à 1914…, op. cit., p. 179.
128 BMA, ms 365, fo 9.
129 Afin de réaliser l’importance de ces sommes, nous les avons déflatées en sétiers de blé, en utilisant le prix de 99,04 sols le sétier en 1590 (BMA, ms 225, prix Bonnemant), puis en utilisant la correspondance proposée par Sophie de Laverny (Les domestiques commensaux des rois de France au xviie siècle, Paris, PUPS, 2002, p. 244) fondée sur le Mémoire sur les variations de la livre tournois depuis le règne de Saint Louis jusqu’à l’établissement de la monnaie décimale, Paris, Imprimerie impériale, 1857, écrit par Natalis de Wailly : 1 écu d’or contient environ 3,23 g d’or fin. Tenter d’utiliser cette relation pour obtenir une conversion des écus en euros ne nous a pas semblé réaliste en raison des très grandes différences structurelles du travail entre la fin du xvie siècle et nos jours mais aussi du fait que l’euro ne repose pas sur une masse métallique. Ainsi, pour une meilleure appréhension des sommes mise en jeu, nous avons plutôt choisi de les exprimer aussi en journées de travail d’un artisan. Selon Micheline Baulant (Micheline Baulant, Prix et salaires à Paris au xvie siècle. Sources et résultats. in Annales. Économies, sociétés, civilisations. 31ᵉ année, no 5, 1976. p. 954-995. DOI : https://0-doi-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/10.3406/ahess.1976.293762 www.persee.fr/doc/ahess_03952649_1976_num_31_5_293762 (consulté le 13 février 2019)), p. 981, le salaire journalier d’un maçon entre 1585 et 1589 est de 22 sols tournois et de 20 sols entre 1594 et 1598 ; l’auteur souligne aussi qu’il y a une grande similitude dans les salaires des ouvriers du bâtiment entre Lyon et Paris (Ibid., p. 987). Les calculs de la dernière colonne du tableau ci-dessous, ont été faits en prenant un salaire moyen de 21 sols, en transformant les écus en sols (un écu valant 60 sols) et en émettant l’hypothèse que ce salaire peut s’étendre à Arles sans erreur trop grossière. Le résultat, arrondi, est un temps de travail ininterrompu qui ne tient pas compte des jours fériés, des périodes de chômage ni des saisons.
130 L’un au moins des quatre marchands débiteurs, Jehan Blandin, s’oblige dans la ville, en 1585, pour le transport de 340 setiers de blé du cru chargés sur le bateau du patron Adam Sicard d’Arles, blé qui est déchargé à Marseille (ACA, CC 838, en date du 20 septembre 1585). Un autre de ces marchands marseillais, Sire Jehan Antoni (BMA, ms 365 fo 24 vo, 27 mars 1590) fait à plusieurs reprises des affaires avec Antoine Peint.
131 Des recherches sur ce Sieur Ripe sont été infructueuses ; la seule certitude que nous ayons c’est, qu’à la date de l’emprunt, le maître de la monnaie est Jean-Baptiste Lazari (Lazaro, voir p. 25, note 56), agent du duc de Savoie. S’est-il fait représenter pour la transaction ?
132 BMA, ms 300.
133 Les témoins de la transaction entre Antoine Peint créancier et le débiteur, Sire Jehan Ripe, maître de la monnaie (voir avant dernière note) – Arles a un atelier monétaire depuis juin 1590, atelier qui frappe en particulier des Nesles ou pinatelles – sont Sire Jehan Dame, un marchand arlésien avec lequel Antoine Peint est en relation, Anthoine Beuf et l’orfèvre Sire Anthoine Agard. Ceux qui se tournent vers Antoine Peint pour emprunter 2 139 écus sont, outre Nicolas de la Rivière, Sire Jacques Romieu et Louis Tavernier qui fut trésorier de la maison commune en 1589. Le prêt consenti l’est pour 10 mois, une durée plutôt longue vu le contexte politique. Le notaire qui instrumente étant celui de la maison commune cela nous permet d’envisager que cette somme est l’une de celles que le pouvoir communal recherche désespérément pour faire face à la situation financière désastreuse qui est la sienne pendant cette période de troubles.
134 Pierre Jeannin, Marchands d’Europe. Pratiques et savoirs à l’époque moderne, Paris, Éditions rue d’Ulm, 2002, p. 409.
135 BMA, ms 365, fo 23 vo.
136 BMA, ms 365, fo 25 vo.
137 Georges Pichard, « L’environnement naturel et matériel : les fondements agraires de la vie arlésienne…, » op. cit., p. 532-533.
138 BMA, ms 365, fo 9 et 14 vo.
139 BMA, ms 365, fo 15 vo, fo 15, fo 47 vo.
140 BMA, ms 365, fo 30 vo, fo 50.
141 BMA, ms 365, fo 33 vo.
Le prix de vente est de 8fl 10s 6d soit, malgré l’anachronisme, en valeur décimale « 8,875 florins ». Le bénéfice sur la vente est d’environ 18 1/3 %.
142 Pierre Jeannin, Marchands d’Europe…, op. cit., p. 409.
143 ACA, CC 838. Dans ce registre d’obligations, on trouve les noms des différents consuls, du juge Monsieur de Saint-Andiol, de la « jugesse », sa femme on peut le penser, du lieutenant de la Sénéchaussée Pierre Biord, de madame la « lieutenante », sa femme, Catherine de Forbin ; l’église ne reste pas à l’écart de ce commerce : nous rencontrons ainsi le primicier Gilles, le bénéficier messire Mariny.
144 Laurent Bonnemant, Nobiliaire de la ville d’Arles, op. cit., BMA, ms 299.
145 La destination effective peut, en fait, différer de celle portée sur l’obligation, ce dont nous pouvons nous rendre compte lorsque le certificat de déchargement est porté sur l’obligation.
146 BMA, Pierre Véran, ms 494, 5e partie, Monnaies anciennes, prix des denrées et autres marchandises de la ville d’Arles servant de suite à l’essai sur la statistique d’Arles et son terroir, par le Sieur Véran de ladite ville, secrétaire à la préfecture du département des Bouches du Rhône et chef de bureau de la statistique, Marseille, 1806. Autre référence, le manuscrit 225 de la bibliothèque municipale d’Arles qui donne les prix du blé entre 1502 et 1708, rassemblés par l’abbé Bonnemant, indique une somme légèrement supérieure pour 1588, soit 1 écu 24 sols 10 deniers ou 7 florins 2 sols. En comparant les prix de vente pratiqués par Antoine Peint avec ceux donnés dans les manuscrits cités ci-dessus, il semblerait que ce dernier vende le blé un peu plus cher en 1588, 8 florins et 7 florins 5 sols le sétier, mais, les années ultérieures et surtout en 1592 lorsque les prix flambent, les 14 ou 15 florins qu’il demande correspondent aux prix relevés aussi bien par Pierre Véran que par l’abbé Laurent Bonnemant.
147 Ce blé a été acheté à Guillaume Monfort, l’un de ses « compères », comme nous le verrons ultérieurement.
148 ACA, CC 838, en date des 7 août 1586, 5 septembre 1586 et 20 août 1586. Les trois cargaisons ont été déchargées à Marseille les 22 août 1586, 27 septembre 1586 et 24 septembre 1586 et les obligations cancellées. Ce même livre d’obligations qui ne dépasse pas l’année 1586, contient un petit billet signé de la main de Peint, daté du 8 mai 1586, relatif au transport de 200 quintaux de brai sur la barque du patron François Bonnevie.
149 ACA, CC 62, registre du droit du « 2 % » : sont chargés sur le bateau du patron Jehan Marchant de Trinquetaille, fo 22vo le 1er juin 1583, 50 cuirs de bœuf avec le poil, fo 107 le 21 septembre 1583, 35 cuirs de bœuf avec le poil, fo 122 le 25 octobre 1583, 12 cuirs de bœuf et 12 de chèvre avec le poil, fo 136 vo le 25 novembre, 1583, 40 cuirs de bœuf ou de vache avec le poil destinés à Beaucaire, sur le bateau du patron Jacques Eysseleme de Martigues 150 cuirs de bœuf toujours avec le poil et deux sacs de châtaignes destinés à Marseille et enfin, le 22 janvier 1585 c’est sur le bateau d’un patron de Toulon qu’il expédie 100 cuirs de bœufs avec le poil à Marseille (ACA, CC 63).
150 BMA, ms 365 fo 7 vo.
151 BMA, ms 365, fo 1. Antoine note que les comptes ont déjà été faits et ne donne aucune indication sur les sommes en jeu.
152 BMA, ms 365, fo 6 vo. C’est la seule notice relative à l’armement.
153 BMA, ms 365, fo 11 vo.
154 BMA, ms 365, fo 12 vo. Le profit n’est pas mis en évidence dans la notice mais en utilisant l’écart entre le prix de revient et le prix de vente du vermeil, nous avons évalué que la petite mise de cinq écus procure au scripteur un profit d’environ 30 %.
155 BMA, ms 365, fo 12 vo. Dans ce cas le capital mis et le profit reçu sont mentionnés, nous pouvons alors exprimer en pourcentage ce profit : 13 %.
156 BMA, ms 365, fo 16 vo. Le profit réalisé par une mise de fond de 31 écus 32 sols 6 deniers rapportant 110 écus est de près de 249 % ! Mais le calcul est faux car le prix de revient de la farine, que le scripteur a fait faire avec ses associés, n’est pas chiffrée dans la notice ni même dans une notice antérieure.
157 Voir à propos de « l’existence de l’esclavage à Rome et dans les États de l’Église au milieu du xvie siècle, esclavage qui ne prit fin qu’au début du xixe », Rudt de Collenberg Wipertus, « Le baptême des musulmans esclaves à Rome aux xviie et xviiie siècles. I. Le xviie siècle » in Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée, t. 101, no 1. 1989. p. 9-181. DOI : https:// doi.org/10.3406/mefr.1989.4026www.persee.fr/doc/mefr_1123-9891_1989_num_101_1_4026. L’auteur cite « le cas du peintre Caravage qui, en récompense de son tableau la « Décollation de Saint Jean » reçut, à La Valette, du grand-maître Wignacourt, avant de partir pour Rome, deux esclaves » p. 10-11.
158 BMA, ms 365, fo 22 vo. Cette formulation nous suggèe qu’il s’agit d’un profit global pour la compagnie et non pour le scripteur seul.
159 BMA, ms 365, fo 25.
160 BMA, ms 365, fo 28. Le vermeil une fois acheté et manufacturé a donné trois quintaux et demi, soit 350 livres. Vendu 28 sols la livre, le vermeil a rapporté 163 écus 20 sols, chacun des trois associés a dû recevoir environ 54 écus 27 sols, cela sans compter les frais de transport ni la commission du marchand marseillais dont le scripteur ne dit rien.
161 BMA, ms 365, fo 33 vo.
162 BMA, ms 365, fo 39 vo.
163 BMA, ms 365, fo 40 vo. Antoni Bernard dit Colomb apparaît dans les registres d’imposition du « 2 % » comme patron d’une guindelle et il fait le transport du sel sur le Rhône ; il apparaît aussi aux commandes de la frégate que les consuls entretiennent sur la rivière du Rhône (Archives départementales des Bouches-du-Rhône, (désormais ADBduR), 405E 607, quittance en sa faveur en date du 6 juin 1589). Mermet Terrier est souvent cité par Antoine Peint avec lequel il fait différentes affaires et il est qualifié de patron par Antoine lui-même ; Pierre Fleche commande aussi un des bâtiments que la ville entretient pour patrouiller sur le fleuve afin d’assurer la protection de la ville (ADBduR, 405E607, en date du 6 juin1589, quittance « de la solde de 9 soldats qu’il a sous son commandement à la conduite de la bette entretenue vers la brassière de Fourques… »). Enfin, Barthélémy David est un patron marseillais sur le bateau duquel le marchand André Piquet (avec lequel Antoine Peint est en affaires à plusieurs reprises) charge en septembre 1587 du blé pour la cité phocéenne (ACA, CC 838, en date du 26 septembre 1587)..
164 BMA, ms 365, fo 44.
165 BMA, ms 365, fo 45 vo et fo 50.
166 ADBduR, 402E313, des patrons d’Antibes comme Melchiot André ou Jehannon Bousquet ou de San Remo comme Octavio Palma. Ainsi, fo 240 vo, le 1er août 1582, sont associés le Commandeur de Saliers, Jacques de Guillor écuyer, Simon Nicolay bourgeois, Louis Romany couturier et François Gleize bourgeois et le patron Melchiot André d’Antibes pour le commerce de 725 setiers de blé et 52 de seigle.
167 Bruno Bourjac, Mémoires et oublis de la Ligue arlésienne…, op. cit., p. 98.
168 AMA, ms 343. Bruno Bourjac, La République et son ombre : métamorphoses du politique à Arles entre la Ligue et la Fronde, …, op. cit., p. 278, note 1049.
169 Jean Boyer, Le livre de raison d’Honoré de Nicolay…, op. cit., p. 67.
170 BMA, ms 365, 1579, fo 5 et 21, 1581, fo 6, 1584, fo 7, 21.
171 BMA, ms 365, fo 21.
172 BMA, ms 365, fo 31.
173 BMA, ms 365, fo 31. Cette chapelle existe toujours, elle est située dans le quartier du Mouleyrés et se trouve à l’entrée Est du Parc des ateliers.
174 BMA, ms 365, fo 34 vo. Richard de Sabatier, fils de Jean de Sabatier et de Pierre de Camaret épouse Marthe de Cadenet en 1576 ; à cette date, il est dit « écuyer et gentilhomme servant de la chambre du Roy ». Il ne remboursera pas sa dette qu’Antoine Peint récupèrera en partie le 22 mars 1591 sous la forme de la vente d’un moulin et de trois céterées de terre : 40 écus comptant et 100 écus sur les 216 dûs. Les 116 restants, auxquels s’ajoutent les 13 qu’il emprunte le même jour de 1591, resteront probablement dûs. La question des dettes de ce personnage a fait l’objet d’une sentence d’arrangement de ses créanciers rendue par le lieutenant de Sénéchal en 1605 (BMA, Nobiliaire de la ville d’Arles, ms 300, op. cit.).
175 BMA, ms 365, fo 39 v°. Le rentier est Thomas Gouniet un jardinier, « compère » d’Antoine auquel celui-ci prête en 1587, 4 écus. En 1591, 1592, 1594, nous le trouvons rentier du jardin de la communauté situé près de la porte du Marché Neuf comme l’indiquent les livres trésoraires ACA, CC 351, 352 et 354 de ces années-là.
176 La traverse Saint-Jacques n’a pas pu être localisée mais les baptêmes successifs des enfants ayant lieu à l’église Saint-Julien, nous pouvons penser que cette traverse est située dans la paroisse du même nom.
177 Annie Tuloup-Smith, Rues d’Arles, qui êtes-vous ?, Arles, Éditions les Amis du Vieil Arles, 2001, 334 p. Le couvent de l’Observance dans lequel est enterrée Jehanne Vendrane, femme d’Antoine Peint, est l’ancien collège Mistral, lui-même ancien couvent des Récollets, proche de la Cavalerie. Le pont de l’Observance est un pont situé en face du couvent qui portait, à l’époque, le même nom ; il enjambait la Roubine du Roy qui était alors entièrement aérienne ; il figure sur le tableau d’Antoine Raspal intitulé, Les lavandières du pont de l’Observance vers 1785. Antoine Peint est résolument un homme de la paroisse Saint-Julien : les baptêmes de ses enfants s’y font, ses biens immobiliers urbains y sont situés.
178 Michel Baudat, Arles, ville sainte. Les églises célèbres et oubliées, Arles, Actes Sud, 2002, p. 93. L’auteur souligne que cette paroisse – attestée dès 1123 – « renfermait des maisons de petite valeur, c’étaient celles des laboureurs, pêcheurs, brassiers et des pastres ». Saint-Isidore sera rattachée à Saint-Julien en 1657.
179 En 1591, il semble être toujours trésorier puisqu’en avril 1591, Antoine Peint note que Monsieur le trésorier Tavernier lui « doit 1 écu 1sol pour lui avoir donné de mandemant plus que je ne debvois à la ville » (BMA, ms 365, fo 35).
180 Bruno Bourjac, Mémoires et oublis…, op. cit., p. 131, note 228. L’auteur fournit, grâce à son étude détaillée des conseils de la ville, une liste des conseillers ligueurs et une des conseillers royalistes.
181 Ibid., p. 82. Bruno Bourjac indique que le bouillonnement ligueur se fait le plus vif en août 1588 au moment où « Biord se rend à Aix accompagné de Vincent Aubert, son compère, pour rencontrer Hubert de Vins alors chef de l’aile savoyarde de la Ligue en Provence ».
182 BMA, ms 365, fo 3 vo, en date du 20 juillet 1584.
183 ACA, ms 365, fo 6 vo, en date du 15 août 1581.
184 ACA, ms 365, fo 18 vo. Le montant de la rente est, en écus, de 7 500.
185 Esteve Brunet est boucher et Guillaume Allord est un patron de barque de Trinquetaille.
186 Bruno Bourjac, Mémoires et oublis…, op. cit., p. 126.
187 Gilbert Buti, « Le négociant européen », Encyclopédie pour une histoire nouvelle de l’Europe [en ligne], 2016, mis en ligne le 15/01/2018, consulté le 04/03/2019. Permalien : https:// ehne.fr/node/1185.
188 BMA, ms 365, fo 36 vo. Le compte se complique ensuite : Lagnel fournit au scripteur du drap dont une partie de la valeur lui est donnée comptant par Antoine ce qui permet à Lagnel d’obtenir des liquidités pour rembourser l’un des marchands ; le reste de la valeur des draps reste aux mains d’Antoine. Le compte final fait apparaître que Lagnel lui doit encore 23 écus. En mai 1592, il note qu’il a « faict comte final avec mon beau frère [qui m’a] payé de tout le passé ».
189 On en voit un exemple dans le propos rapporté par Emile Fassin, dans la Revue le Musée, 1878, 4e série, nos 11 et 12, p. 82 et 87 : le maître de l’atelier monétaire d’Arles, Jean-Baptiste Lazaro, (ou Lazari, voir p. 25, note 56) agent du duc de Savoie d’ailleurs, aurait accompagné le consul la Rivière à la porte de la Cavalerie mais n’aurait pas assisté à sa mort car il se serait rendu à Martigues pour y chercher les fonds, 1 400 écus de réaux, pour payer les troupes du duc de Savoie.
190 Joseph Billioud, « le commerce de Marseille de 1515 à 1599 », in Gaston Rambert, dir., Histoire du commerce de Marseille, Paris, Plon, 1951, t. 3, p. 299.
191 Pierre Jeannin indique que « les données métrologiques ne sont pas présentées de manière systématique ; c’est une matière qui, comme celle des monnaies ou parfois des changes sert à illustrer le maniement de la règle de trois (Marchands d’Europe…, op. cit., p. 398) ; il cite en outre, le Manuel des Marchands (Pays-Bas, 1540-1550), compilation documentaire renseignant sur les mesures et les monnaies (Ibid., p. 381 et note 2). Paul Canestrier que nous avons cité dans en annexe, tableau VII, cite, pour sa part, le Niçois Johan Franses Fulconis qui, dans la Cisterna Fulcronica publiée à Lyon en 1562, fournit un tableau d’équivalence entre les monnaies qui avaient cours légal dans le Haut-Var, la monnaie française, la monnaie de la maison de Savoie et celle d’Espagne (« Que la France se nomme diversité : l’économie d’un village alpin au xvie siècle », in Annales, Économies, Socités et Civilisations, 7e année, no 4, 1952, note 1 p. 444).
192 C’est à partir de 1590, qu’apparaissent les premières mentions de monnaies espagnoles dans les comptes du scripteur : des réaux et doublons comme gages fournis par des débiteurs (BMA, ms 365, f° 26 vo et 31 en 1590 et fo 46 vo et 49 en 1592) puis dans deux notices dans lesquelles il est indiqué que les marchands marseillais feront le paiement de la vente pour l’une et le remboursement d’un prêt pour l’autre en réaux (BMA, ms 365, fo 33 vo et 34). En 1592, Antoine et son associé le patron Mermet Terrier vendent et sont tenus d’acheminer un radeau de bois à Villefranche, le port savoyard, qui leur est payé en « pièces de huit », le total se montant à 1100 pièces de 8 (réaux). Toutefois, les monnaies espagnole ou italienne apparaîssent aussi dans quelques transactions avec des artisans locaux qui règlent avec des ducatons, réaux ou doublons ; le rédacteur fournit alors une correspondance utile avec les livres ou les florins (BMA, ms 365, fo 28 vo, 39 vo).
193 BMA, ms 365, fo 44.
194 Calcul qui peut se faire en utilisant la proportionnalité c’est-à-dire la fameuse règle de trois. Ainsi des 53 écus de profit, les quatre associés ayant mis un capital de 40 écus ont dû recevoir chacun 10 écus 36 sols, Antoine Peint ayant fourni 2/3 de la part des autres associés, a dû recevoir 7 écus 4 sols et le cousin Cavalier ayant fournit 1/3 de la part des associés principaux, 3 écus 32 sols.
195 En ce qui concerne l’armement, il n’y en a qu’un exemple et la barque achetée est assez rapidement revendue (BMA, ms 365, fo 6 vo, en 1584, Antoine Peint achète le quart d’une barque à un patron de San Remo) ; par contre, le scripteur participe à l’achat et l’acheminement de trois radeaux dont l’un est destiné à Villefranche. (BMA, ms 365, fo 7 vo, hiver 1586-87, fo 39 vo, février 1592 et fo 40 vo mars 1592) et monte un certain nombre d’associations et compagnies de transport par voie fluvio-martime dont nous avons parlé plus haut.
196 Pierre Jeannin, Marchands d’Europe…, op. cit., p. 311.
197 Marie-Rose Bonnet, « Une école communale à Arles au xve siècle », in Bulletin des Amis du Vieil Arles, no 91, décembre 1995, p. 23-32.
198 Maryvonne Spiesser, « La naissance s’un genre, le traité d’arithmétique commerciale (xive-xvie siècles) », article paru le 10 octobre 2017 sur le site images.math.cnrs.fr : http:// images.math.cnrs.fr/La-naissance-d-un-genre-le-traite-d-arithmetique-commerciale).
199 Ibid., p. 8.
200 Voir l’exemple développé dans la note 194.
201 Pierre Jeannin, Marchands d’Europe…, op. cit., p. 389. Ouvrage édité en 1567 et 1581.
202 En effet, dans les registres du droit du « 2 % », en 1582-1583, trois chargements de bâtiments contenant des livres à bord remontent le fleuve et sept descendent en direction de la mer (ACA, CC 61). En 1584-1585, il y a quatorze déclarations de marchandises se dirigeant vers l’Espagne dans lesquelles se trouvent des livres (Patricia Payn-Echalier, Les marins d’Arles à l’époque moderne, Aix-en-Provence, PUP, 2007, p. 45).
203 BMA, ms 365, fo 24.
204 Un testament de 1442, celui du marchand revendeur arlésien Michel Pinhan, est instructif sur le sujet de la formation des enfants de marchands dès cette époque. Le testateur indique à son fils aîné héritier et successeur les obligations qu’il aura pour subvenir à l’éducation de son demi frère cadet. L’aîné devra envoyer son frère à l’école, lui procurer « un enseignement correct et suffisant et le pourvoir en livres nécessaires… » jusqu’à ce qu’il ait 18 ans s’il veut faire des études ; dans le cas contraire, à 16 ans, il devra le faire entrer dans le métier qui lui plaira. (Marie-Rose Bonnet, « Une école communale à Arles… . », op. cit., p. 29 et 30).
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