Chapitre 5. Une langue concertée : théologie et poésie
p. 123-149
Texte intégral
La « foy vive » : une formule de compromis
1Nous avons jusqu’à présent pu constater l’existence de figures et d’espaces de médiation entre l’évangélisme en France et l’évangélisme en Italie, ce qui nous a permis de montrer la vitalité des liens unissant deux mouvements trop longtemps étudiés de manière distincte. Après avoir insisté sur les individus et les lieux, il est temps d’explorer un troisième volet de cette sensibilité spirituelle réellement européenne, en se concentrant sur l’existence d’un langage sinon commun, certainement très proche ; il s’agit d’un rapprochement qui d’ailleurs se fonde sur le partage de positions théologiques analogues. Dans son étude sur le langage des évangéliques français Isabelle Garnier-Mathez, à partir de l’analyse de quelques textes de Marguerite de Navarre, de Guillaume Farel, de Lefèvre d’Étaples, de Louis de Berquin, et de plusieurs pamphlets anonymes issus du cercle fabriste pendant les années 20, a pu identifier un répertoire d’expressions et d’adjectifs récurrents tels que « seul », « vray », « vive foy », que ces auteurs utilisent systématiquement comme signes d’appartenance à une langue concertée1. Si l’on élargit cette analyse à d’autres œuvres de Marguerite et des disciples de Lefèvre le résultat ne change guère. De telles choix linguistiques signalent l’appartenance à un groupe, à un réseau, mais surtout contribuent à diffuser une proposition théologique bien précise, et irréductible aux positions luthériennes.
2Certes, le terme de « foy vive » apparaît parfois sous la plume de Luther ou de Melanchthon, mais le recours presque obsessionnel à cette expression est le choix des évangéliques, qui par là veulent souligner l’existence d’un lien entre la foi et les œuvres. C’est en effet à travers ce concept, ambigu et pas toujours facile à argumenter, que les partisans d’un catholicisme réformateur parviennent à élaborer – même du point de vue du langage – un compromis entre le dogme de la justification par la foi seule et la nécessité de la charité chrétienne. Dans les Epistres & Evangiles pour les Cinquante & deux sepmaines de l’an, le texte le plus important de l’évangélisme français, publié en 1525, il est précisé que : « Se nous n’avons charité, tous ces dons icy ne nous proffitent riens. Et mesmement la foy que nous avons sans charité, ce n’est point foy, car ce n’est que une foy morte, une foy imparfaicte et non pas vive, car la foy vive œuvre par charité2 ». Dans un autre passage de l’œuvre, pour expliquer le miracle accompli par le Christ envers la femme guérie au touché du manteau de Jésus en raison de la confiance que ce geste exprimait, un accent tout particulier est mis sur l’explication de la foi à l’œuvre dans l’épisode évangélique : « Mais ceste foy est une foy vive qui œuvre par charité. Le soleil qui enlumine et ne eschauffe point, il ne vivifie riens, aussi ne faict la foy sans charité. Se tu as ceste foy que Jesuchrist est mort pour toy, et pour effacer tes pechez, il est ainsi, et tes peches sont effacés3 ». Il n’est pas surprenant de constater que précisément ce passage des Epistres attirera l’attention des censeurs de la Faculté de Théologie de Paris.
3Le terme de « foy vive » est souvent mis en relation avec une autre image évangélique, celle de la foi comparée à un arbre dont les fruits représentent les œuvres. Dans l’Almanach spirituel et perpetuel nécessaire à tout homme sensuel et temporel – un pamphlet anonyme publié en 1530 à Alençon par Simon Du Bois – il est dit : « Aujourd’hui faict bon croire en la parolle de Dieu, car la foy est bon arbre qui produit charité divine et esperance4 ». Nous avons vu que le prédicateur dominicain Aimé Meigret aussi y fait une référence explicite à Grenoble en 15245. Les deux images de la foi vive et de la foi-arbre en entraînent une troisième, fondée sur la distinction entre foi vive et foi morte ou foi historique, que l’on retrouve régulièrement dans les écrits évangéliques. Sans multiplier les exemples, nous pouvons nous limiter à un seul, tiré d’un autre pamphlet anonyme, le Brief recueil de la substance et principal fondement de la doctrine évangélique, publié en septembre 1525 toujours par Simon Du Bois :
Plusieurs se mal contentent qu’on attribue tant de puissance, vertu et dignité à foy et aymassent mieulx que on enseignast et preschast les œuvres. Mais ce sont ils pourtant qu’ilz n’entendent point de quelle foy nous parlons. Car ce n’est point de celle laquelle la puissance raisonnable de l’homme saint d’avoir comme de ceulx qui croient bien estre vray ce qu’est escript en l’histoire de la saincte escripture, car ceste là convient à l’apparence presque à tous. Mais nous parlons de foy laquelle est la vraye congnoissance de Dieu, la quelle engendre au cueur du fidèle la crainte et amour du sainct nome de dieu et charité envers son prochain et tous bons fruictz. Car icelle foy est le bon arbre qui ne peult estre sans faire bon fruict6.
4Il s’agit de la distinction entre la foi évangélique dans les promesses de Dieu et la foi historique, que l’on peut retrouver parfois formulée par Melanchthon, Luther et Zwingli, mais qui acquiert dans les écrits fabristes une centralité et un poids différent. Meigret, Caroli, D’Arande, Farel, Louis de Berquin, Marguerite, reprennent tous maintes fois cette opposition dans leurs œuvres.
5Nous pouvons donc constater que des expressions telles que « foy vive », et des images comme la foi comparée à un arbre, ou encore la distinction entre foi morte et foi vive, par leur récurrence, deviennent des marqueurs d’une identité évangélique dans la France des années 20 et 30, pour ces hommes et ces femmes, qui, bien que fidèles à l’Église romaine, ne cessent de rechercher un compromis avec les innovations théologiques de la Réforme allemande et suisse. Il existe encore une autre image, toujours d’origine biblique, qui s’impose dans ces mêmes milieux évangéliques : celle des noces mystiques entre l’âme du fidèle et le Christ. Influencée par sa correspondance avec l’évêque de Meaux Guillaume Briçonnet7, Marguerite l’utilise à plusieurs reprises. Par exemple, dans un passage du Miroir de l’âme pécheresse elle écrit8 :
Il vous plaist bien luy donner aultre nom,
Votre espouse la nommez, et de vous,
Vous appeller son mary, et espoux :
Luy declairant comme d’ung franc courage
Avez d’elle juré le mariage.
Par le baptesme luy avez faict promesse,
De luy donner vostre bien et richesse.
Ses maulx prenez : car riens que peché n’ha,
Lequel Adam son père luy donna.
Doncques ne sont ses tresors que pechez,
Lesquelz sur vous vous avez attachez ;
Entierement avez payé sa debte :
Et de vos bien et très grande recepte,
L’avez si bien enrichie et douée,
Que se sentant de vous femme advouée,
Se tient quicte de tout ce qu’elle doibt,
Peu estimant ce que ça bas ell’ voit.
Son vieulx père, et tous les biens qu’il donne,
Pour son espoux de bon cueur habandone.
6Dans les mêmes années les évangéliques consacrent à ce thème un pamphlet entier, le Traité du souverain Bien, publié en 1527 toujours chez Simon Du Bois ; un développement particulièrement important y est consacré à l’image de l’union entre l’époux divin et l’âme pécheresse9. Il est important de relever que le petit traité présente une dédicace à « tres haulte et tres illustre princesse Madame duchesse d’Alençon et de Berry : sœur du roy treschrestien François premier de ce nom ». Les citations explicites tirées du Cantique des Cantiques sont nombreuses, mais les principes mis en avant restent conformes à la pensée de l’évangélisme du Seizième siècle. Le mariage permet à l’épouse de se laver des péchés et d’atteindre, grâce à l’époux divin, le salut. L’auteur précise alors que :
Tout ce qu’a peu jamais thesaurizer l’espouse est peché qui n’est rien, car l’espoux l’a effacé et osté du mylieu l’attachant à sa croix : quant a porté sur ses espaules toutes les iniquitez de son espouse. Il a donc despoullé icelle son espouse memes de ses pechez et iniquitez : la delaissant toute nue pour la revestir de ses robes desquelles il s’est comme devestu et desnue pour la couvrir et revestir. Il s’est appaouvry affin que de sa paouvreté fust l’espouse enrichie10.
7Dans ce pèlerinage vers le ciel, le nouvel Adam revêt donc les habits du Christ et se transforme en être divin grâce à sa foi dans la Sainte Écriture et à la pratique de la charité. Mais, bien entendu, le pécheur à lui tout seul ne pourrait rien obtenir : tout mérite lui vient de son époux divin. C’est en effet bien l’époux « celluy auquel seul appartient honneur et gloire ; pourquoy cherchera elle [l’âme fidèle] en aultre que en luy gloire et honneur et luy vouldra prendre et rober ce que luy appartient11 ? ». Décisive, dans ce pèlerinage vers le ciel, est l’étape de la mort, considérée comme un moment de passage qui permet à l’âme pécheresse de quitter la cité terrestre pour se lancer dans les champs à la recherche de son futur époux, et avec lui accéder ensuite au ciel. Le « souverain Bien » est donc, dans un certain sens, la mort elle-même dans la mesure où c’est la mort qui tue le péché12 et libère l’âme de sa prison corporelle, lui offrant l’accès à l’héritage divin13.
8Les formules employées et l’exaltation de la mort comme libération seront reprises quelques années plus tard par Marguerite et deviendrons typiques de son écriture. Notamment l’expression « par mort a esté la mort morte » que l’on retrouve souvent dans les textes de Marguerite figure déjà dans le Traité du souverain Bien14. L’élan mystique du traité, selon lequel l’objectif final de l’âme serait son union avec le Christ et l’annulation de sa volonté en lui, présente des aspects parfois obscurs et ouverts à plusieurs interprétations, sans jamais toutefois franchir les frontières d’une pensée orthodoxe : l’union entre l’âme et le Christ s’effectue en effet après la mort. La doctrine la plus suspecte que le texte affiche concerne le rôle des Écritures sacrées : certes, comme l’épouse interroge les habitants de la cité terrestre pour obtenir des informations sur le lieu où se trouve l’époux, il est nécessaire pour les fidèles de connaître et de questionner la Bible, qui offre quelques indications, la direction de marche et surtout l’espoir du salut. Mais – précise le traité – « en science des Escriptures n’est le Bien Souverain, veu qu’il fault passer plus outre. Et à bien dire possible n’est par science ou congnoissance obtenir Bien Souverain15 ».
9Dans cette formule ambiguë, « passer oultre », se résume toute la complexité d’une spiritualité mystique qui attribue, en fin de compte, une centralité particulière à la conscience individuelle et à l’illumination divine, en s’éloignant par-là assez franchement des confessions protestantes aussi bien que de la théologie catholique la plus traditionnelle. La conclusion du raisonnement permet toutefois de récupérer la dimension orthodoxe de la centralité des œuvres humaines, lorsqu’il est précisé que connaître parfaitement et avoir l’intelligence des Écritures ne peut suffire. Il faut pouvoir démontrer de posséder la foi à travers les œuvres : « Mais celluy qui ha foy a icelles par oeuvres demonstrée ». Par conséquence, le jour du jugement dernier, plusieurs de ceux qui auront eu l’intelligence des Écritures ne seront pas reconnus par Dieu16, car, comme le dit Saint Paul : « De rien sert scavoir tous les secret et mystères des Escriptures et n’avoir point charité17 ».
Une langue en mouvement
10Cette langue évangélique se fonde pour la plupart sur l’emploie de formules et d’images tirées de la Bible, mais, en moins en partie, aussi sur la reprise d’expressions déjà adoptées par les protestants. La démarche que nous pouvons remarquer à l’œuvre est celle d’une réécriture des textes luthériens de la part des évangéliques français, qui s’approprient certaines de ses locutions et les utilisent dans une perspective différente, de réforme de l’Église sans le recours au schisme. Francis Higman a bien montré comment Farel réécrit et modifie par l’introduction de quelques adjectifs ou l’adjonction de quelques phrases le sens des paraphrases luthériennes au Notre Père et au Credo18. Avant de prendre un autre exemple de réécriture luthérienne, moins exploré par les spécialistes, qui permettra de montrer l’existence de liens entre l’évangélisme français et l’évangélisme italien, il est utile de préciser la méthode de travail. À l’exclusion du prélat génois Federico Fregoso qui fut en effet en contact avec le réseau de Marguerite et, ensuite, une des figures les plus importantes de l’évangélisme italien, il pourrait paraître exagéré d’établir un lien direct entre la stratégie discursive des évangéliques français et celle des évangéliques italiens19. Les choix théologiques ou linguistiques en commun pourraient en effet dépendre simplement d’une approche similaire au problème du salut et s’inspirer des mêmes sources bibliques ou patristiques. Pour cette raison il est donc préférable de ne pas trop insister sur une analyse fondée sur le rapprochement de textes italiens et français, pour en venir plutôt à une démonstration centrée sur l’étude d’un cas de circulation d’un même texte entre la France et l’Italie. Ce langage commun à l’échelle européenne ne se forge pas en abstrait.
11Il s’agit de l’une des premières traductions de Luther en français, la Préface à l’épitre aux Romains de Saint Paul. Publiée une première fois en allemand en 1522, la Préface connut rapidement une traduction en latin faite par Justus Jonas, dans laquelle il est possible de remarquer des adjonctions par rapport à l’original allemand. Le texte de Luther dans la version latine de Jonas fut très tôt réimprimé à Strasbourg chez Johann Knoblauch en 1523 et puis encore chez Johann Herwagen en 1524 et en 1525 toujours à Strasbourg. Comme cela est bien connu, pendant les années 20 les évangéliques français traduisent, réécrivent et diffusent en français plusieurs textes du jeune Luther. Ce fut le cas aussi de son commentaire à l’épître de Saint Paul, dont nous pouvons lire une traduction française sous le titre Declaration d’aucuns motz, desquelz use souvent sainct Pol en ses epistres, à l’intérieur d’un recueil de textes sur la prière mentale, L’oraison de Jesuchrist, éditée une première fois en 1525 par l’imprimeur parisien, très proche du cercle de Marguerite de Navarre, Simon de Colines20.
12Dans la version française, toutefois, certaines parties, plus polémiques à l’égard de l’Église, sont censurées pour adapter au contexte du royaume de France l’œuvre luthérienne et faciliter sa mise en circulation21. Les passages oubliés dans la version française sont des jugements féroces envers les commentateurs de la Scholastique22, des prises de distance par rapport aux Pères de l’Église23, des condamnations trop explicites des partisans des œuvres humaines24, ou encore des comparaisons polémiques entre les traditions humaines et la peste, et, pire encore, entre les décrets du pape et les décrets du diable25. Il s’agit bien d’une démarche récurrente chez les évangéliques qui ont l’habitude de redécouper, réécrire, nuancer certains passages de Luther, sans pour autant modifier sur le fond ses propos théologiques. Mais l’élément le plus intéressant et qui jusqu’ici n’a jamais été signalé est le fait qu’il ne s’agit pas d’un cas isolé : on retrouve en effet exactement les mêmes découpages faits par les évangéliques français dans une version du commentaire luthérien issu d’un contexte linguistique, géographique et religieux complètement différent. Nous sommes en effet vingt ans plus tard, en 1545 à Venise : chez l’éditeur Comin da Trino paraît la Prefatione del reverendissimo cardinal di santa Chiesa messer Federigo Fregoso nella Pistola di san Paolo à Romani.
13Il s’agit bien du même texte de Luther, mais désormais les responsables de la publication ne se contentent plus de se cacher derrière l’anonymat et préfèrent utiliser le nom d’un prestigieux cardinal catholique, proche de Gasparo Contarini et apprécié des protestants, pour masquer la traduction luthérienne. Selon Silvana Seidel Menchi le choix de Fregoso relèverait simplement d’une stratégie éditoriale pour permettre à la publication de circuler plus facilement dans l’Italie des années 40. Dans tous les cas – nous rassure Seidel Menchi – l’opération éditoriale n’aurait rien à voir avec le cardinal génois, qui d’ailleurs était mort quatre ans plus tôt, en 154126. Toutefois les choses semblent un peu plus compliquées, et se présentent à nous de manière différente si l’on réfléchit à la trajectoire biographique de Fregoso, qui – nous l’avons dit – avait été en contact dans les années 20 avec le cercle de Marguerite de Navarre pendant son exil à la cour de France27.
14Avant de revenir sur cette question il est également utile de rappeler que – comme nous l’avons démontrer – dans un autre texte de Fregoso, celui-ci incontestablement de sa main, le Tratato dell’oratione, des références et même des citations directes de Luther sont récurrentes : Fregoso est donc un lecteur du Père de la Réforme, dont il partage certaines positions théologiques et auquel il emprunte des expressions et des images bibliques à propos de la prière mentale28. Nous sommes donc amenés à nous demander si une opération de ce genre ne pourrait pas être éventuellement à la base de la publication de Comin da Trino en 1545, qui, comme cela avait été fait avec d’autres œuvres du cardinal restées manuscrites, se serait limité à les publier après sa mort. Nous sommes confortés dans cette hypothèse par la lecture de la dédicace de l’œuvre dans laquelle l’histoire éditoriale du texte est retracée brièvement. Rinaldo Corso s’adressant à Barbara da Correggio affirme : « Vi mando la presente operetta, la quale fu già, come intendo, dal reverendissimo cardinale della Chiesa romana messer Federigo Fregoso in lingua latina scritta, et è stata poi da chi che sia in nuova lingua tradutta29 ». À l’origine de la traduction italienne de l’œuvre de Luther se trouverait donc une version latine. Coup de chance, une version manuscrite en latin de la Préface luthérienne appartenant à Fregoso existe bien et a été conservée par les inquisiteurs parmi les documents du procès de l’évêque de Bergame Vittore Soranzo30. La confrontation entre la traduction latine manuscrite appartenant à Fregoso et la traduction italienne imprimée en 1545 montre qu’il s’agit du même texte, et que les deux présentent des parties censurées par rapport à l’original latin de Luther-Jonas imprimé à Strasbourg en 1523.
15Les phrases absentes dans les deux textes, latin et italien, des années 40, correspondent exactement aux phrases censurées dans la version imprimée par les évangéliques français en 1525. Il semble donc évident que la version latine que possède Fregoso et qui sera retrouvée par les inquisiteurs au moment de l’arrestation de Soranzo, se fonde sur la version française et non pas directement sur l’édition de Jonas de la préface luthérienne. Cette petite découverte philologique nous permet donc d’établir un lien direct entre la traduction italienne de l’œuvre de Luther et le cardinal Fregoso : sans aucun doute c’est bien lui qui emporte en Italie la version latine du texte fondée sur la version française, et qui sera plus tard à la base de la traduction italienne de Comin da Trino. Le choix de son nom de la part de l’éditeur n’est donc pas anodin et ne relève pas uniquement d’une stratégie de divulgation.
16La découverte est intéressante parce qu’elle permet de tirer des conclusions bien plus vastes à propos de la circulation d’une même spiritualité et d’une approche similaire aux textes du jeune Luther dans l’Europe de la première partie du Seizième siècle, dans des contextes aussi proches que les contextes français et italien. Dans les deux cas il existe des mouvements réformateurs internes au clergé catholique mais intéressés à relire et à adapter les textes du Père de la Réforme à leur propre contexte national. Cette circulation de traductions luthériennes adaptées se fait par la médiation d’hommes comme Fregoso qui jouent un rôle important des deux côtés des Alpes pendant les décennies qui séparent l’édition française (1525) de l’édition italienne (1545). Mais l’élément à retenir est que, dans ce cas au moins, l’une des rares traductions de Luther en italien se fonde non pas directement sur le texte allemand ou latin promu par les disciples de Luther, mais sur la version qu’en donnent les disciples de Lefèvre et de Marguerite. À la base de ce projet culturel de relecture de Luther en France comme en Italie se situe la volonté de mettre en valeur les éléments les plus positifs et les plus spirituels de la pensée luthérienne.
L’origine française du Beneficio di Cristo ?
17En 1545, lorsque Comin da Trino imprime à Venise le commentaire luthérien à la lettre de saint Paul aux Romains sous le nom de Federico Fregoso, sort des presses lyonnaises la première traduction du Beneficio di Cristo. L’éditeur qui s’en charge est Jean de Tournes, un homme lié depuis des années au cercle de Marguerite de Navarre, et qui restera attaché, même lors des guerres de religion, à cette spiritualité de l’entre-deux confessionnel31. L’entreprise éditoriale montre bien les affinités entre la spiritualité du Beneficio et le contexte évangélique français ; d’ailleurs lorsqu’on relit le célèbre texte promu par les « spirituali », avec à l’esprit les œuvres et les pamphlets publiés dans les années 20 et 30 par Marguerite et les disciples de Lefèvre, on ne peut qu’être frappés par l’existence de points de contact sur le plan théologique bien évidemment, mais aussi sur le plan de la langue. Commun est le désir de promouvoir une spiritualité centrée sur la doctrine de la justification par la foi seule, sur la médiation du Christ, sur la primauté de la prière mentale ; mais il s’agit d’une spiritualité qui en même temps affiche une distance à l’égard de la Réforme par un désir de ne pas rompre avec Rome, et de réduire au minimum les références critiques à la papauté romaine.
18Un autre élément de rupture vis-à-vis de Luther ou de Calvin est le choix d’une spiritualité joyeuse et confiante dans la miséricorde divine, qui s’élargirait à tous les croyants sans se limiter aux élus. Sur le plan de la langue on remarque que plusieurs des expressions et des images sur lesquelles nous avons insisté dans la première partie consacrée au langage de Marguerite, reviennent sous la plume de Benedetto da Mantova et de Marcantonio Flaminio, les deux auteurs du Beneficio. Je pense tout particulièrement à cette insistance sur la douceur du Christ et la centralité de son sang dans le processus de salut :
Oh grande ingratitudine ! Oh cosa abominevole ! Se, facendo noi professione di cristiani, e intendendo ch’el Figliuolo di Dio ha tolto sopra di sé tutti gli peccati nostri, i quali esso ha tutti scanzellati col suo preciosissimo sangue, lasciandosi castigare per noi in croce, nondimeno pretendiamo di volerci giustificare e impetrare la remissione de’ nostri peccati con le nostre opere, quasi che i meriti, la giustizia, il sangue di Cristo a ciò far non basti, se non vi aggiungemo le nostre sozze giustizie e macchiate di amore proprio, di interesse e di mille vanità, per le quali abbiamo più tosto da domandare a Dio perdono che premio32.
19Il en est de même pour l’image des noces mystiques entre l’âme fidèle (« anima fidele » dans le Beneficio) et le Christ, auxquelles est consacré le début du quatrième chapitre :
La Chiesa, cioè ciascuna anima fidele, è sposa di Cristo e Cristo è sposo di lei. Noi sappiamo il costume del matrimonio, che di due divengono una medesima cosa, sendo due in una carne, e le facultà tutte di amendue divengono comuni, onde lo sposo dice che la dote della sposa è sua, e la sposa similmente dice che la casa e tutte le ricchezze dello sposo sono sue. […] In questo medesimo modo Dio ha sposato il suo dilettissimo Figliuolo con l’anima fidele, la qual non avendo cosa alcune che fusse sua propria se non il peccato, il Figliuol di Dio non si è disdegnato di pigliarla per diletta sposa con la propria dote, ch’è il peccato ; e, per la unione ch’è in questo santissimo matrimonio, quello che è dell’uno è ancora dell’altro. Cristo dice adunque : ‘La dote dell’anima, sposa mia cara, cioè i suoi peccati, le transgressioni della Legge, l’ira di Dio contro di lei, l’audacia del diavolo contro a lei, lo carcere dell’inferno e tutti gli altri suoi mali sono devenuti in poter mio e sono in mia propria facultà, e a me sta a negoziare di essa come più mi piace, e perciò voglio gettarla nel fuoco della mia croce e annichirlarla’. Vedendo adunque Dio il suo Figliuolo tutto imbrattato de’ peccati della sua sposa, lo flagellò uccidendolo sopra el legno della croce ; ma, perché era suo dilettissimo e ubbidientissimo Figliuolo, lo suscitò da morte a vita, dandogli ogni podestà in cielo e in terra e collocandolo alla destra sua. La sposa similmente dice con grandissima allegrezza : ‘Gli reami e gli imperi del mio diletto sposo sono miei, io son regina e imperatrice del cielo e della terra, le ricchezze del mio marito, cioè la sua santità, la sua innocenza, la sua giustizia, la sua divinità con tutte le sue virtù e potenze sono mie facultà ; e perciò son santa, innocente, giusta e divina : alcuna macula è in me ; sono formosa e bella, percioché il mio dilettissimo sposo non è maculato, ma formoso e bello, e, sendo tutto mio, per conseguente tutte le cose sono mie, e, perché quelle sono sante e pure, io divento santa e pura33.
20Ou encore à l’opposition entre une foi historique et une foi vive :
Niun s’inganni quando ode dire che la fede sola senza le opere giustifica, stimando egli, come fanno i falsi cristiani, quali tirano ogni cosa al vivere carnale, che la vera fede consista nel credere alla istoria di Iesù Cristo nella maniera che si crede a quella di Cesare e di Alessandro. Questo modo di credere è una fede istorica, fondata in mera relazione di uomini e di scritture e impressa leggiermente nell’animo per una certa usanza ; et è simile alla fede de’ Turchi. […] Questa istorica e vanissima fede con le opere, che gli sono aggiunte, non pur non giustifica, ma precipita nel profundo dell’inferno le persone, come quelle che non hanno olio nelli vasi loro, cioè viva fede nei cuori. La fede, che giustifica, è una opera di Dio in noi, per la qual il nostro uomo vecchio è crocifisso, e noi tutti transformati in Cristo, diventiamo nuova creatura e figliuoli carissimi d Dio34.
21Enfin, proche des textes évangéliques est la reprise de la comparaison entre le couple foi/œuvres et le couple arbre/fruits :
Di qui procede che da questa viva efficacia siamo incitati al bene operare, e tanta potenza e tanta inclinazione a ciò conseguiamo, che siamo paratissimi a fare e tolerare ogni cosa intolerabile per amor e gloria del nostro benignissimo padre Dio, il quale per Cristo ci ha arricchiti di così abondante grazia e benevolenza, e fattici di nemici carissimi figliuoli. Questa vera fede non è donata da Dio così tosto all’uomo, ch’egli è spinto da un violento amore alle buone e a rendere frutti dolcissimi a Dio e al prossimo, come ottimo albero : sì come è impossibile accendere un fascio di legna, ch’egli non mandi fuori la luce35.
22Les exemples d’expressions et d’images du Beneficio que l’on retrouve dans les écrits de Marguerite et des siens pourraient être encore multipliés : le « chirographe » effacé par le sacrifice du Christ, les fidèles qui deviennent des « membres » du corps du Christ, ou qui « s’habillent de sa justice », l’héritage du fils de Dieu, etc.36
23Comme l’historiographie italienne l’a bien montré ces trente dernières années, le Beneficio s’inspire de plusieurs sources et de multiples auteurs : d’auteurs anciens – Saint Paul, Saint Augustin et d’autres Pères de l’Église – mais aussi d’auteurs contemporains tels que Luther, Melanchthon, Érasme, Calvin ou Juan de Valdés. Ce dernier est lui aussi un lecteur assidu des œuvres de jeunesse de Luther ; les passages ou les expressions du Beneficio qui lui ont été attribués dans l’édition critique de Salvatore Caponetto se retrouvent en réalité souvent déjà sous la plume du Père de la Réforme : par exemple le couple flamme/chaleur comparé à la foi et aux œuvres. Deux œuvres de Luther plus que d’autres sont reprises systématiquement dans les pages du Beneficio : La liberté du chrétien et la Préface à la letre de saint Paul aux Romains, deux textes – nous l’avons constaté – que les évangéliques français apprécient, citent et font circuler en langue vernaculaire. Il en va de même, dix ans plus tard, dans les milieux réformateurs de la péninsule. Ces remarques invitent donc à nuancer la lecture du Beneficio comme d’une œuvre d’inspiration valdésienne37 ; si ses auteurs, Benedetto da Mantova et surtout Marcantonio Flaminio, furent certainement des disciples de Valdés, l’apport du penseur espagnol dans la construction du texte ne semble pas décisif sur le plan du langage. Source d’inspiration directe fut plutôt le père de la Réforme : toutefois, le Luther que l’évangélisme italien et les « spirituali » prennent comme modèle est un Luther en quelque sorte « français », c’est-à-dire filtré par le cercle de Lefèvre, comme le montre bien le cas éditorial et la circulation européenne, de l’Allemagne à la France et puis de la France à l’Italie, de la Préface luthérienne.
24En conclusion, la « religion de Marguerite » – pour reprendre une célèbre expression de Lucien Febvre38 – s’exprime à travers une « langue de Marguerite » ; ce qui la rend plus intéressante encore est que cette religion et cette langue ne sont pas seulement le fait d’un individu solitaire, bien qu’exceptionnel et influent, comme le croyait le fondateur des Annales, mais elles furent partagées à l’époque par bien d’autres croyants, par un véritable réseau d’hommes et de femmes, en France comme en Italie. Le tableau qui se dessine est donc celui d’un évangélisme à l’échelle européenne qui trouve dans le groupe de Marguerite et de Lefèvre un centre de rayonnement, et qui est capable sur plusieurs décennies de faire circuler ses croyances et son langage aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des frontières du royaume39.
Poètes en exil : Antonio Caracciolo et Antonio Brucioli
25Moins connus comme poètes mais dignes d’attention pour leur importance dans l’histoire des relations religieuses entre l’Italie et la France au début du Seizième siècle sont deux exilés à la cour de François Ier, Antonio Brucioli, que nous avons déjà rencontré à Lyon au milieu des années 20, et Antonio Caracciolo : tous deux auteurs de rimes spirituelles. Caracciolo appartenait à une ancienne famille napolitaine, apparentée à la lignée pro-française de la famille Sanseverino, et était le fils de Giovanni Caracciolo, prince de Melfi, capturé par Lautrec en 1528 puis passé au service de François Ier. Avec le reste de sa famille, le prince prit le chemin de l’exil en France, où il trouva hospitalité à la cour des Valois. Il se lia d’amitié avec les autres exilés italiens, des hommes influents et appréciés tels que Benedetto Tagliacarne, précepteur des fils du roi, ou Giulio Camillo Delminio ; il fréquenta le cercle de Marguerite de Navarre, à laquelle il confia la formation culturelle et spirituelle de son jeune fils Antonio40. Nous disposons de quelques éléments à propos de la sensibilité religieuse du prince de Melfi à partir de la décennie suivante, lorsque, en tant que gouverneur du Piémont au nom du roi de France, il se distingua par sa grande tolérance à l’égard de la propagation de l’hérésie41.
26À l’âge de vingt ans environ, en 1535, sous le pseudonyme d’« Amomo » et avec la collaboration de l’exilé Florentin Gabriele Simeoni, son fils Antonio imprima à Paris chez Simon de Colines – éditeur proche des fabristes – un recueil de vers d’inspiration pétrarquiste dans lequel était évoqué le milieu de la cour, étaient valorisés les réfugiés italiens, notamment le poète napolitain décédé depuis peu, Iacopo Sannazaro42, et était magnifié le triomphe de la poésie italienne au-delà des Alpes43. Parmi les nombreuses compositions d’argument amoureux et courtisans, déjà à cette date Caracciolo manifestait son adhésion précoce à des positions ambiguës en matière de doctrine, comme semble le suggérer l’invocation à Dieu incluse dans le recueil44 :
Padre del ciel che al tuo figliuol verace
Prender facesti in terra humane tempre
Entro el Virginal chiostro di Maria,
L’infinita virtù che usasti sempre
Per dare a noi mortali etterna pace
Quella mente sincera santa e pia
Volgi padre a mirar la vita mia
Et questi anni passati
Fra miserie e peccati
Tutti drizzati a la sinistra via
Dove l’empio signor de Averno et Stige
Apparecchia tormenti
A noi dolenti e quanto può na afflige.
Padre pietoso che salvando l’huomo
Il tuo santo figliuolo humile et pio
Prender facesti al dispietato legno
Dove col sangue suo pagò quel fio
Che lasciò il padre de l’antico pomo
O dolce caro et pretioso pegno
De l’amor di là su perpetuo segno
Ah mondo ingrato e cieco
Non scorgi il ben che hai teco ?
Volse il tuo creator per farti degno
De le siedi celesti et torti tante
Insopportabil salme
Chiodarsi ambe le palme ambe le piante.
[…]
E la tua gratia sola
Padre cortese ogni fedele aspetta
Adempi hoggi signore il mio disegno
Che questa alma meschina
Sia cittadina del celeste regno.
27L’insistance sur la passion du Christ, sur la doctrine du « gratia sola » comme seul moyen pour l’humanité de parvenir au salut éternel et sur la bonté et la miséricorde du Père céleste, généreux distributeur de grâces et de précieux bénéfices, caractérisait déjà la production poétique de Marguerite de Navarre et de ses disciples45 ; nous retrouverons par la suite ces éléments, avec des allusions similaires, dans les textes en vers et en prose des principaux membres de l’évangélisme italien.
28Quelques années plus tard, Caracciolo devint l’un des principaux représentants du cercle de la reine de Navarre, qui plaida pour sa nomination en tant qu’abbé de Saint-Victor. Pour l’occasion, en 1544, Caracciolo écrivit le Mirouer de vraye religion, toujours publié par Simon de Colines : empreint de spiritualité évangélique, son travail reposait sur une proposition de réconciliation entre des positions extrêmement critiques à l’égard des abus du clergé, certainement proches des affirmations luthériennes, et la nécessité de promouvoir un renouveau au sein même de l’institution ecclésiastique, sans rupture ni bouleversement, qui aurait dû s’entamer à partir de la réforme de la vie monastique46. L’invitation adressée à ses moines était précisément de se consacrer à des œuvres de charité envers les veuves, les déshérités, les orphelins, les affligées, les pèlerins et les pauvres plutôt qu’aux cérémonies extérieures47.
29Néanmoins, Caracciolo réaffirmait l’inutilité des œuvres humaines en vue du salut puisque seul le sang du Christ pouvait ouvrir les portes du ciel aux hommes48. Cependant, dans sa réflexion théologique les œuvres conservaient un rôle fondamental dans la mesure où elles étaient conçues comme l’expression d’une foi vive et le témoignage de la sauvegarde du libre arbitre des hommes49. En plus de la charité, l’abbé faisait l’éloge de la pratique de la méditation sur la passion du Christ et de la prière mentale, capable d’éteindre le péché, d’assurer une protection efficace aux fidèles contre la tentation du diable50 : il avait donc recours à des métaphores et des images récurrentes dans le vocabulaire évangélique telles que « s’habiller en Christ », « les armes de lumière51 », « l’arbre de la croix52 », l’héritage du ciel obtenu grâce au fils de Dieu53, le Christ comme époux de l’âme pécheresse54. Faisait également partie de sa proposition la diffusion des Écritures sacrées – une des pierres angulaires du projet évangélique – disponible à bas prix et en langue vernaculaire pour les plus pauvres et les moins instruits55.
30Quelques années plus tard, l’intervention de la sœur du roi permit à Caracciolo d’obtenir l’évêché de Saint-Jean-de-Maurienne, puis celui de Troyes. Comme beaucoup de disciples de Marguerite et de Lefèvre, à une époque d’opposition croissante entre les orthodoxies rivales en construction, Caracciolo tenta la voie difficile d’une réforme diocésaine à mi-chemin entre Rome et Genève, par la mise en place d’une pastorale mixte qui, dans ses intentions, aurait dû permettre une coexistence pacifique entre différentes confessions56. Très vite, des accusations d’hérésie à son égard furent diffusées par le clergé hostile de son diocèse de Troyes et reprises par les inquisiteurs de Rome. En 1550-1551, l’ouverture d’une enquête du Saint-Office mettant en question sa présence à Troyes, poussa Henri II à intervenir directement en sa faveur et força Caracciolo à présenter lui-même sa « justification » au nonce. Malgré l’opposition de quelques cardinaux inquisiteurs influents – Juan Alvarez de Toledo et Gian Pietro Carafa lui-même, malgré les liens de sang unissant sa famille à celle de Caracciolo – qui jugèrent « fausse l’abjuration de Caracciolo », la procédure n’aboutit pas à une condamnation. Nonobstant les suspicions sans fin quant à sa religiosité, le prince évêque pût finalement s’installer dans son propre diocèse57.
31Dans l’espoir, ensuite déçu, d’obtenir le chapeau de cardinal il passa quelques années à Rome, séjour au cours duquel il fréquenta la résidence du cardinal et protecteur Jean du Bellay, et renforça son amitié avec le poète Joachim Du Bellay, dont la production poétique présentait de nombreuses affinités spirituelles avec la sienne58. À la veille du déclenchement des guerres de religion, Caracciolo était impliqué aux côtés du cardinal Odet de Coligny et de son entourage, à la demande de Catherine de Médicis, dans la recherche d’une solution de compromis non schismatique entre protestants et catholiques. Pour cela il n’hésita pas à se présenter à Genève face à Jean Calvin, portant la soutane et la mitre épiscopale sur la tête. Il finit pourtant par se rendre face à l’inévitable fracture qui suivit l’échec de l’assemblée de Poissy en 1561. L’accusation d’hérésie de la part des catholiques les plus intransigeants et l’hostilité des calvinistes portèrent à la marginalisation progressive de Caracciolo à l’intérieur du clergé gallican, jusqu’à sa destitution en tant qu’évêque en décembre 1562. Cependant, son activité de réforme demeure un témoignage significatif d’un projet partagé par une partie non négligeable des prélats du royaume de France en faveur d’un renouveau de l’Église, alternatif aux deux confessions en construction, expression d’une spiritualité évangélique irréductible aux exigences de la Réforme protestante ainsi qu’aux diktats de la Contre-Réforme catholique59.
32De cette spiritualité évangélique non encore entièrement réformée, christocentrique et centrée sur le thème de la Passion du Christ, un recueil de rimes sacrées, en italien et en français, reste un précieux témoignage. Conservé manuscrit à la Bibliothèque nationale de France, le recueil Tre libri di rime sacre de Caracciolo présente de nombreuses et flagrantes ressemblances avec la production poétique de Marguerite et de ses poètes évangéliques60. Sans entrer dans une analyse détaillée des trois volumes, que l’on peut dater entre les années 40 et 5061, il suffira de souligner leur très forte affinité thématique et linguistique avec la production contemporaine ou antérieure issue des milieux évangéliques, en France et en Italie. La reprise d’images exploitées par Marguerite et Lefèvre, puis diffusées dans la péninsule par le Beneficio di Cristo, dont Caracciolo – en quelque sorte – propose une transposition en rimes, est frappante. Les exemples les plus évidents concernent le thème de la foi historique62 :
Non è fede il pensar che vera sia
L’Historia sacra ; ma il creder che Christo
Col sangue suo la vita e’l ciel ne dia ;
et che nessun può farsi degno acquisto
se Christo sua giustitia esser non crede,
et de quel l’opre non fa sue per fede.
33Ainsi que le recours à la métaphore du feu et de la chaleur afin de qualifier le rapport entre la foi et les œuvres63 :
Come il fuoco non è senza calore
O senza luce, così l’huom che crede
E a cui data ha Dio la vera fede
Non è senza opere buone, o senza amore.
Et come il sol traspar dal vetro fuori,
quando con raggi suoi lo scalda et prende
così di fuor per sante opere si vede
l’Amor di Dio che scalda et brucia nel cuore
Ma Dio solo l’inspira et solo il dona
La Fede et de lassù piove la gratia
Che ne fa giusti e i nostri error perdona
Però di ben oprar mai non si satia
Chi Dio conosce ; ma d’ogni opra buona
La superna Bontà loda et ringratia.
34Dignes d’intérêt sont également les vers consacrés aux conséquences de la foi (« effetti della fede ») : une foi toujours qualifiée de « vive », en parfaite syntonie avec les textes des fabristes64 :
La viva fede ci fa grati a Dio
Per che per quella siam giustificati,
Per quella e’ nostri vitii, et i peccati
Restan sepolti nell’eterno oblio.
Fede, certezza et sicurtà chiam’io
Che per figliuoli Dio c’habbia adottati,
et ab eterno eletti et preservati
per popol suo santificato, et pio.
La viva fede placa et rasserena
Le torbide tempeste et le procelle,
Onde la nostra conscientia è piena :
Per che l’humano spirto adorna et veste
Dell’innocenza dell’ucciso Agnello,
con la quale pare a Dio pregrato et bello.
35Les vers de Caracciolo sont en réalité une traduction en langue italienne de la spiritualité poétique de la reine de Navarre, dont ils reprennent les images, les inspirations ascétiques et mystiques, les élans de dévotion et les convictions théologiques65. Ce n’est pas un hasard si, au fond de son recueil de rimes sacrées, Caracciolo insère une composition affectueuse écrite à l’occasion de la mort de Marguerite, qui semble, à certains égards, reprendre des motifs déjà présents dans le sonnet consacré par Alamanni à la disparition de Louise de Savoie vingt ans plus tôt66 :
Alma real ch’un scettro assai più bello
Lassù nel ciel possiedi
Che il già lasciato qui di gemme et d’oro :
Et seguendo di Dio l’amato Agnello
Calchi con santi piedi
Dell’albergo celeste il bel lavoro
Che pena et che martoro,
Oimé, lasciato c’ha la tua partita
Tu sei nel ciel salita
A’ goder di quel Regno eterno, et vero,
Dove prima habitavi col pensiero ;
Et noi piangiamo in terra
Non la tua pace, ma la nostra guerra.
Perché rimasi in tenebre e ‘n lamenti,
Sicurtà non troviamo
In questa vita debile, et fallace :
el Cielo empiendo di sospiri ardenti
Fermamente speriamo
Di godere ancor noi della tua pace.
Ma l’aspettar ne’ spiace
Senza te, nostro specchio, et nostro essempio,
Di pudicitia tempio,
Che mostravi con opre et con parole,
Come luceva in te l’eterno sole,
Come il divino Amore
Fa il spirto della carne vincitore
Hor somigliamo proprio al pellegrino,
Rimaso senza guida
Fra monti alpestri, o fra le selve oscure :
Che de trovar il suo dritto cammino
A pena si confida
Assalito da mille aspre paure
Dell’humane sventure ;
Ma tu che sei nel ciel già cittadina
Et non più pellegrina,
Et, riposando nel celeste Amore,
Sei dove non s piange, et non si more,
Non ne sii già si vaga,
Che non ti doglia della nostra piaga.
Vedi la Francia tua, ch’un largo fiume
Versa per gli occhi, et nera
Invece della porpora, ha la vesta ;
Perciò ch’ito all’Occaso è il suo bel lume.
Et la sua primavera
Mutata in verno, in pioggia et in tempesta :
Né doglia pari a questa
Ha sentita, cred’io, molti anni sono ;
Che di bello, et di buono
Troppa gran parte gl’hai tolta, partendo :
Hai quasi spenta la Patria morendo :
Ben che le resta in pegno
Il dolce frutto del tuo sacro ingegno.
Restono a noi le tue degne fatiche,
Le riccheze, il tesoro,
Che Tempo o Morte haver non ponno in preda ;
che coronate han le tue tempie antiche
d’uno immortale alloro
Qual con ragione non lo si ad altre ceda ;
O più bell’opre veda
Parnaso, o Pindo, o il monte di Sione,
Che in gran parte è cagione
Che pur si disacerbe il nostro pianto,
Rimanendo di te frutto sì santo ;
Ch’al cor di chi lo mira
L’odor di Christo et la dolceza spira.
Hor canti con Davide et Esaia
Gl’hinni sacrati et santi
Con più bel pettro et più soave voci,
Del Figliuol glorioso di Maria
Narrando i dolci pianti
E ’l dolce sacrificio della Croce :
Hor più ti scalda et cuoce
Il fuoco dell’Amor ; che sei vicina
All’ardente fucina
Ove l’alma, brucciando, ogn’hor s’alluma ;
Né mai perciò si strugge, et si consuma
Ma della fiamma amica
Dolcemente si pasce, et si nodrica.
Se si felice sei,
Canzon che volar possi insino al Cielo,
Vedrai senza quel velo
Che copria la bellezza sua divina
Resplender com un sol, la mia Regina.
36Le cas de Caracciolo est loin d’etre un cas isolé ; un deuxième exemple de poète exilé nous interesse. Comme nous l’avons vu précédemment, le séjour lyonnais dans les années 20 fut un moment décisif de la trajectoire spirituelle de Brucioli. Revenu dans la péninsule et installé à Venise, le florentin n’oublia jamais les fréquentations françaises, noua des liens avec les ambassadeurs du roi auprès de la Sérénissime et dédia plusieurs de ses œuvres à des membres de la famille royale : Marguerite bien évidemment, mais aussi François Ier, Renée de France et sa fille Anne d’Este. Mais c’est sur le plan religieux que Brucioli démontra une fidélité irréprochable aux positions de l’évangélisme français, malgré le lent déclin à la cour et dans le royaume du pouvoir d’attraction et d’influence du cercle fabriste. Nous en avons un témoignage éloquent lors du procès inquisitorial auquel il fut soumis à la fin des années 40, mais aussi grâce à un recueil poétique manuscrit disponible en plusieurs versions67. L’une de ces versions, conservée aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France, nous ramène aux fréquentations françaises de Brucioli, car elle présente une dédicace à Catherine de Médicis, depuis peu montée sur le trône avec son époux Henri II68.
37La précieuse reliure du volume ainsi que le contenu des vers, tous centrés sur une religiosité fortement christocentrique de matrice évangélique, montrent d’une part à quel point la jeune reine tenait à ce don et d’autre part suggèrent une certaine affinité spirituelle avec le vieux lettré florentin69. Comme cela a été souligné, il s’agit d’une première ébauche du recueil poétique Dello Amore divino cristiano, offert, dans la décennie suivante, à un autre représentant de la famille des Médicis, le duc de Florence Cosimo70. Malgré les fréquentations valdésiennes du jeune duc, le choix de Cosimo en tant que deuxième destinataire dépend de logiques courtisanes plutôt que d’une affinité d’ordre spirituel, comme semble le suggérer l’insistance dans la dédicace à Cosimo sur des questions et des événements politiques. Insaisissable et difficile à classer à plusieurs égards, la spiritualité complexe et polymorphe de Brucioli trouve, peut-être, son expression la moins filtrée et la plus sincère dans ses compositions poétiques. Sa pensée religieuse a été, de temps à autre, associée à celle d’Erasme71, de Calvin72, de Butzer73 ou même rapproché de la spiritualité des disciples de Valdés74.
38Aucune de ces interprétations ne semble, cependant, pleinement satisfaisante : d’une part parce qu’elles ne prennent pas en compte les réelles fréquentations religieuses de l’exilé florentin, et de l’autre parce qu’elles sous-estiment certaines nuances de sa réflexion théologique. Comme Caracciolo l’avait fait dix ans plus tôt, dans la dédicace Brucioli aussi s’éloigne du genre de la poésie amoureuse, des « chansons d’amour lascives », qui suscitent « des appétits tordus chez les jeunes et peut-être également chez les vieux », avec l’ambition de « pousser les hommes à chanter les louanges du créateur plutôt que des créatures, et à passer de l’amour aveugle et plein de ténèbres […] à l’amour lumineux et paradisiaque ». La structure des rimes sacrées apparaît immédiatement caractérisée par un fort christocentrisme et une attention particulière portée à certains thèmes récurrents de la poésie d’inspiration évangélique, tels que l’insistance sur les mérites du Christ opposée aux fautes des pécheurs, sur les « bénéfices » reçus par l’humanité entière grâce à la passion et au sacrifice du Christ, sur la générosité et de la gratuité du créateur75 :
Perché tutti i remedi erano scarsi
alla piaga crudel dell’antiguo angue
senza l’aiuto di questo signore
che in croce ci donò il suo proprio sangue
non potendo altrimenti mai placarsi
il padre eterno se non col suo amore.
39Récurrente et semblable à ce qu’on peut retrouver de manière presque obsessionnelle dans la production poétique de Marguerite de Navarre, est l’image du sang du Christ versé dispersé sur la croix pour la rédemption de l’humanité76 :
Signore sien priego i miseri peccati,
de servi tuoi, nel sangue benedetto,
del tuo figliuolo, re nostro cancellati.
40De la même manière, en reprenant les positions de l’évangélisme français, Brucioli valorise la grâce divine en tant que moyen unique d’accéder au ciel et la doctrine d’un salut large et inclusif77, accordé par l’infinie douceur et bonté de Dieu, et pour cela ouvert à tous les pécheurs sans aucune distinction :
Et quei che sono della tua chiesa fuore,
illumina Giesù col divin volto
acciocché solo a tutti sia signore
ciascun sotto di te sia raccolto
sotto di te che beato puoi fare
chiunque alla gratia tua si sia rivolto78.
41Il s’agit de thèmes et d’images certainement présents dans le Beneficio di Cristo (1543), mais qui, en réalité, circulent largement dans les milieux de l’évangélisme français depuis au moins deux décennies. Lors de son séjour à Lyon, Brucioli a eu l’occasion de lire quelques œuvres manuscrites de la sœur de François Ier, dont certainement le Dialogue en forme de vision nocturne ; il a par la suite adopté un langage et des positions doctrinales similaires dans ses commentaires aux textes sacrés, dans ses introductions à la Bible ou dans certains de ses Dialogi publiés entre la fin des années 20 et le début des années 40, bien avant la diffusion dans la péninsule des textes valdésiens et même du Beneficio di Cristo79.
42Par un recours persistant à la métaphore de la lumière et au thème de l’illumination des consciences des fidèles de la part de Dieu, le poète s’auto-représente non seulement comme inapte à accéder au « cloître céleste » par ses seules forces, mais aussi comme incapable de trouver les mots adéquats pour louer Dieu80. Selon une approche platonicienne chère à Marguerite, la nature humaine est présentée comme partagée en deux : la prison d’un corps enchaîné aux biens de la terre et source de tout malheur, et l’âme en exil, désireuse de s’envoler au paradis, mais ayant besoin d’une intervention divine pour rejoindre le corps céleste81. Plus originaux et utiles pour pouvoir situer Brucioli dans la polémique religieuse de son temps sont les vers qu’il consacre à la description de l’Église de l’époque, comparée à un navire à la dérive, qui s’adresse à Dieu afin de décrire sa condition de misère, son affliction et son impuissance82 :
Lassa, ch’io non so più in qual parte io vada
perché chiusa mi veggio intorno intorno,
a poter ire, al ciel la vera strada.
Et già veggo sparito il vero giorno,
che soleva dar luce agli occhi mia,
perché il suo sole à noi non fa ritorno.
Ne veggo dove quella gratia sia,
per la qual già un tempo mi difesi,
[309v] Dalla malignità del mondo ria
et io ch’assai di mie bellezze accesi,
non pur nel luogo dove nacqui prima,
ma fuori anchor de’ primi miei paesi.
A tale sono hor, che più nessuno stima,
Quel ch’io mi dica et anchor manco cura
che la virtù dal cielo in me si imprima.
La vita ognun col comodo misura,
et spreza anchor le mie minor sorelle,
afflitte, et in continua paura.
Le quali in ver non pare che sieno più quelle
ch’esser solieno, sì misere le veggio,
discinte scalze, vili et poverelle.
Et non basta di questo, che di peggio,
ogni hor si teme, et gratia non si impetra
al nostro aiuto dal celeste seggio,
Fuggita è in ogni loco quella pietra,
che sol può reparar nostra ruina,
et che da lor dureza i cuori spetra.
Et questo avvien perché ciascun camina
[310r] come lo muove la sua voglia insana,
Del tutto fuor d’ogni luce divina.
Ma chi dal vero albergo si allontana,
di fumo e vento si pasce la sera,
veggendo stolta ogni speranza humana.
Ma io mi dolgo che ciascuno spera,
farsi dal cielo per le sue forze degno,
fuor d’ogni retta via, et luce vera.
Et così non ho più forza, arte o ingegno,
salvare alcuno, perché una scura notte,
soprastar sento al mio afflitto legno,
afflitto legno, che ha sparte et rotte,
l’arbor, le vele, et perduto il timone,
et le genti che porta mal condotte.
Perché nessun più la sua speme pone
in quella prima pietra, o vivo sasso,
che i due muri in un ferma et compone.
Et quando io veggo quanto afflitto et lasso,
hor mai si resti tutto il fondamento,
senza il quale non è ben muovere un peso
[310v] Piu si raddopia anchora il mio tormento
et nessuno il mio duolo ascolta o intende,
o sicura del mio grave lamento
cosi rovina tale sopra me pende,
che io che la conosco, lassa tramo,
se dal cielo qualche aiuto non ascende.
Et così senza cagion pavento et temo,
veggendo come l’edificio santo,
ridotto tutto sia quasi allo estremo
et il mondo si sta pure in festa et in canto
et io sento squarciare il divin templo,
il divin templo che amato ho tanto.
O gran ruina senza alcuno esemplo,
che pe nostri peccati il ciel minaccia,
se il tempo andato a dietro ben contemplo
volta tu signor mio, ver noi la faccia,
et mostrame qual sia il vero sentiero,
et fa che quel da ciaschedun si faccia.
Che a me non vale in sembiante severo
o in humile a questo, o a quel mostrarmi
[311r] perché ciascun troppo è contrario al vero,
ritorna dunque priego a visitarmi,
che tu mia guida sei, maestro, et donno.
Et puoi della miseria ove io son trarmi
ch’i non posso svegliar dal pigro sonno,
mentre in discordia tutto il mondo langue.
Quei c’han di me più parte, et che più ponno
che gran forza ha quel primo crudel angue,
crudele che mai da me gli occhi suoi torse,
ch’ogni hor pascersi vuol del nostro sangue.
Lassa che questo dubito anchor forse,
non sia per fare in me qualche aspra piaga,
tanto quel suo venen ne petti scorse
onde io del mal commune fatta prefaga,
prima che il mio valore sia spento in tutto,
pregno ogni alma ch’è del suo ben vaga,
a dio si volti, et non col volto asciuto.
43C’est un Brucioli, d’une certaine manière, toujours attaché à l’idée d’une foi encore catholique, certainement incapable d’accepter la fracture causée par ceux qui « s’éloignent de la véritable auberge » (« dal vero albergo si allontana »), et, au contraire, désireux d’un renouveau radical mené de l’intérieur et centré sur la doctrine de la justification par la foi seule plutôt que sur les œuvres et les mérites des hommes (« Ma io mi dolgo che ciascuno spera, / farsi dal cielo per le sue forze degno, / fuor d’ogni retta via, et luce vera ») : un renouveau qui puisse empêcher la catastrophe du schisme et redonner une certaine dignité et autorité à une Église endormie, paresseuse, inapte à assurer le salut des fidèles sans le secours divin. Néanmoins, Brucioli insiste aussi sur le thème de la persécution perpétrée par ceux qu’il définit les « adversaires du Christ83 » – probablement à identifier avec les inquisiteurs qui l’accuseront d’hérésie à partir de 1548, ou plus généralement avec ces catholiques intransigeants, gardiens zélés de l’orthodoxie et ennemis de la diffusion du message évangélique en langue vernaculaire à tous les croyants84.
44L’expérience spirituelle et la production poétique de Brucioli confirment ainsi l’existence, dans le christianisme du début du Seizième siècle, d’un courant modéré, désireux de s’approprier certains des fondements de la pensée réformée85, mais attaché à une idée de l’Église non schismatique : à partir de l’approbation du décret tridentin sur la justification, en janvier 1547, et de la « prise du pouvoir » qui s’ensuit de la part de l’Inquisition romaine au sommet de la curie, les marges de manœuvre pour des hommes comme Brucioli sont inévitablement vouées à se réduire de plus en plus, jusqu’à la nécessité inéluctable de choisir son camps : d’un côté ou de l’autre de la frontière confessionnelle. L’analyse de la documentation des procès de l’Inquisition qui le concernent à partir de la fin des années 40 offre aussi une image d’un Brucioli évangélique plutôt que crypto-reformé : lors des interrogatoires, contrairement à d’autres suspects, il renonça à adopter une ligne de défense prudente et simulée, mais préféra garder intactes ses convictions, en particulier pour ce qui concerne la foi et le libre arbitre86, qu’évidemment il ne cessait de considérer comme compatibles avec l’ancienne foi. Le florentin semble ainsi continuer à « croire en un profond renouveau religieux et culturel d’origine humaniste, mais avec des apports substantiels de la Réforme, sans pour autant s’opposer à l’Église catholique87 ».
45La rencontre entre les évangélismes, français et italiens, se fit donc aussi sur le terrain littéraire et poétique : comme les cas d’Alamanni, de Caracciolo, celui de Brucioli confirme l’évolution d’une partie des lettrés italiens, mais pas seulement italiens, d’une poésie classique et des sujets amoureux vers des intérêts spirituels. En ce sens, il est important de remarquer que, parallèlement aux brochures, aux livres, aux feuilles volantes et aux sermons, les vers et les strophes étaient également considérés des moyens efficaces et des outils fonctionnels pour la mise en circulation des convictions spirituelles et la diffusion d’un programme de réforme de l’institution ecclésiastique, bientôt considéré trop proche de l’hérésie. En ce sens aussi, le monde évangélique français représenta un modèle précoce auquel s’inspirer à la fois pour des choix lexicaux, des options doctrinales et des stratégies de communication88.
Notes de bas de page
1 Isabelle Garnier-Mathez, L’épithète et la connivence : écriture concertée chez les Évangéliques français (1523-1534), Genève, Droz, 2005.
2 Lefèvre d’Étaples, Epistres et evangiles pour les cinquantes et deux semaines de l’an, op. cit., p. 113.
3 Ibid., p. 359.
4 Almanach spirituel et perpetuel nécessaire à tout homme sensuel et temporel, [Alençon, S. Du Bois, 1530], sn.
5 Voir chapitre 3.
6 Brief recueil de la substance et principal fondement de la doctrine évangélique, [s.d.] 1525, p. Biiv.
7 Le 11 novembre 1521 Briçonnet insiste sur l’image de la robe nuptiale offerte à l’humanité par le Christ : « Madame, vous m’escripvez par la fin de voz lettres, que, aiant osté vostre layne et que craingnez quelque gelure à cause de l’yver, estant seure que au grant convive du Roy l’on donne robbe de nopces, desirez en recouvrer une (que demandez par pitié et aulmosne) qui soit agreable au bon Seigneur pour n’estre chassée de sa table. Madame, à celuy qui est l’invitateur du grant convy, luy mesmes le convy, viande et pasture, qui se administre, donnateur et le don, qui seul est tout et hors luy rien, debvez faire demande. En donnant il se communicque convy, rasaisiant en soy incomprehensiblement par satisfaction le desir insatiable, lequel tousjours demeure en assouvissement très-desireulx. La donnée des robbes a precedé longtemps la semonce dudict convy, auquel ne se fault actendre d’en recouvrer qui ne luy portera. Il est maleureulx qui, par faulte de robbe, en est excluz et gecté hors. La robbe nuptiale est faicte de la layne de la brebis innocente donnée à nature humaine pour la innover en son innocence ou, pour mieulx parler, il sest donné robbe innocente sans macule, dont nature humaine a esté en son innovation vestue. Aultre robbe n’y a que luy mesmes qui se communicque particulièrement à chacune creature en se faisant robbe nuptiale, dont nostre vilité et nudité est couverte, qui est ce que dict Monsieur Saint Pol : “Induimini dominum nostrum Jesum Christum” qu’il nous fault vestir ou que soions vestuz du doulx et debonnaire Jesus sy nous voulons estre receuz au grand convy royal. C’est Madame, la robbe nuptiale que demandez, et l’avez eye au sainct sacrement du baptesme, auquel avez esté crucifiée, morte, ensevelie et resuscitée avec le doulx Jesus, voz piedz, mains et cousté perchéz et vostre corps configuré à Jesus, vostre verité » (Briçonnet, Marguerite d’Angoulême, Correspondance (1521-1524), op. cit., p. 50-51). Sur les noces mystiques voir aussi ibid., p. 167.
8 Marguerite de Navarre, Miroir de l’âme pécheresse, 1531, éd. Renja Salminen, Helsinki, Suomalainen Tiedeakatemia, 1979, p. 34-35 (fol. 220-239).
9 Le traicté du souverain bien, par lequel le vray chrestien pourra apprendre (à l’ayde des sainctes escriptures) à contemner la mort : mesmes icelle desirer pour avoir claire vision de dieu par Nostre Seigneur Jesuchrist, [Paris, S. Du Bois, 1526 ?].
10 Ibid., p. F vv.
11 Ibid., p. C vir.
12 « Nous scavons que nostre viel homme est crucifié avec luy pour destruire le corps de péché affin que nous ne servions plus a péché ; car qui est mort, il est iustifié de péché. Et si nous sommes morts avec Christ, nous croions que aussi nous vivrons avec Christ » (Ibid., p. E vv).
13 « Car par icelle mort il n’a seulement satisfaict ou payé nostre debte, mais nous a acquis et gaigné vie eternelle. Donc ce que nous mourons est seulement pour obtenir la vie et heritaige qu’il nous a acquis, lequel ne pouvons avoir, sinon qu’à la conformité de luy mourions : pour estre puis après conformes à luy en sa gloire » (Ibid., p. E viiir).
14 Ibid., p. E viiv.
15 Ibid., p. C viiir.
16 « Au jour de la desponsation plusieurs qui auront eu l’intelligence des Escriptures : et auront icelles annoncées, seront incongneuz de l’espoux, et leur sera dit : Allez ouvriers d’iniquité, je ne vous ay point congneu » (Ibid., p. C viiirv).
17 Ibid., p. C viiiv.
18 Francis M. Higman, Introduction, in Guillaume Farel, Le Pater Noster et le credo en français, éd. Id., Genève, Droz, 1982, p. 7-27.
19 Dans les volumes consacrés récemment aux échanges religieux entre la France et l’Italie il n’est jamais question d’évangélismes croisés entre les deux contextes, et la première partie du Seizième siècle est souvent ignorée. Voir Benedict, Seidel Menchi, Tallon, dir., La Réforme en France et en Italie, op. cit. ; Gigliola Fragnito, Alain Tallon, dir., Hétérodoxies croisées. Catholicismes pluriels entre France et Italie, xvie-xviie siècles, Rome, École Française de Rome, 2015.
20 [Guillaume Farel], L’oraison de Jesuchrist, qui est le Pater noster, et le Credo, avec la declaration d’iceulx, La salutation angelique, Les dix commandements, Les sept pseaulmes et autres choses très utiles. Le tout en francoys, [Paris, Simon de Colines, 1525], p. H vr-L ivv.
21 Francis M. Higman, Les traductions françaises de Luther, 1524-1550, in Id., Lire et découvrir : la circulation des idées au temps de la Réforme, Genève, Droz, 1998, p. 208-209, 226-232.
22 « Praesertim cum scirem eam, quam solam Elenchon et unicam methodum esse oportuit, sic ineptis quorundam commentariis et vanis argutiis obscuratam, ut eius scopum, qui tamen simplicissimus est, itidem a multis seculis paucis scriptores viderint » (Martin Luther, Praefatio methodica totius scripturae in Epistolam Pauli ad Romanos, e vernacula Martini Lutheri in latinum versa per Iustum Ionam, Strasburgo, Knoblauch, 1523, p. 2v).
« Hic ergo licet agnoscere quam Sophistae et scholastici doctores toto coelo errarint, quam impia et blasphema docuerint, quamdo asseruerunt operibus posse nos praeparare ad gratiam. Qui enim praeparem me ad gratiam opere, quod corde facio difficili et affectu repugnante ? Qui nam gratum sit opus hoc Deo, quod non sponte, sed cum magna molestia, magnoque legis odio facio ? » (Ibid., p. 4r).
23 « Proinde sive Hieronymus sit, sive Augusti sive Ambrosius, sive Origenes, Breviter, quicunque tandem sint scriptores, qui has voces aliter usurpant, nihil te moveat autoritas hominum, sed tanquam pestem fuge omnes » (Ibid., p. 7v).
24 « De illis ergo vere bonis operibus, iusticiarii illi, qui nihil aliud crepant quam opera, opera, opera, nihil prorsius norunt, sedi psi sibi frigida quaedam opera finxerunt, quae cum nemicam quide habeant fidei, aliena sunt prorsus ab omnibus affectibus spiritualibus, gaudio, pace conscientiae, fiducia illa animosa, et plane putris arboris putres sunt fructus » (Ibid., p. 10r).
25 « Ultimum caput complectitur salutationes atque his subiicit vere Apostolicam et valde necessariam admonitionem, scilicet vitandas esse tanquam pestem, tanquam extremam luem fidei, doctrinas et traditiones hominum, quibus praeter Evangelium et verbum Pseudapostoli seducunt corda simplicium. In spiritu enim vidit Apostolus, è Roma et è Romanis, Romanistas quosdam (neque enim digni sunt Romanorum nomine) exorituros, qui per impias et blasphemas suasque bis Satanicas Decretales, et totam hanc humanarum legum traditionum lernam, non aliter atque per vastum diluvium quoddam non modo hanc Epistolam, sed et universam scripturam, omnemque piam doctrinam fidei et spiritus, submergerent, extinguerent et perderentm, ut nihil nobis sit reliquum, nisi idolum hoc VENTER, cuius cultores, cum hic, tum etiam in Philip.eos palam nominat. Nam complures ambulant, de quibus saepe dixi vobis, nunc aut et stens dico, inimici Crucis Christi, quorum finis perditio est, quorum Deus venter est, et gloria in dedecore ipsorum, qui terrestria curant. Deus pacis conterat Satanam et regnum eius sub pedibus nostris » (Ibid., p. 15rv). Un dernier passage supprimé est le suivant : « Mox, exemplo Macedonum ceu exordioli vice aut insinuationis praemisso » (Ibid., p. 14v).
26 Silvana Seidel Menchi, « Le traduzioni italiane di Lutero nella prima metà del Cinquecento », Rinascimento, n° 17, 1977, p. 81-89.
27 Alonge, Condotiero, cardinale, eretico, op. cit., p. 75-159.
28 Voir chapitre 3.
29 Federico Fregoso, Prefatione del reverendissimo cardinal di Santa Chiesa M. Federigo Fregoso nella Pistola di san Paolo a Romani, Venise, Comin da Trino, 1545, p. 2v-3r.
30 Devant les inquisiteurs Soranzo aurait affirmé le 28 juin 1551 : « La prefattione in novum Testamentum con la interprettatione ad Romanos è di Luthero, fatta raccopiar qui in Roma da uno essemplar in stampa, o forse copiata da me ch’io non mi ricordo, il quale me fu prestato, né so da chi » (Firpo, Pagano, I processi inquisitoriali di Vitore Soranzo (1510-1558), op. cit., vol. 1, p. 401-402 ; pour la transcription du texte voir ibid., vol. 2, p. 494-512). Massimo Firpo, Vitore Soranzo vescovo ed eretico : riforma della Chiesa e inquisizione nell’Italia del Cinquecento, Rome, Laterza, 2006, p. 94 et 103.
31 Natalie Zemon Davis, « Le monde de l’imprimerie humaniste : Lyon », in Histoire de l’édition française, I, Le livre conquérant, Paris, Promodis, 1983, p. 265-268 et Simonetta Adorni Braccesi, « ‘Nostre foy’ : spiritualismo e paradosso in alcune edizioni di Jean I de Tournes (1544-1546) », Actum Luce, n° 40, 2011, p. 379-411.
32 Benedetto da Mantova, Il Beneficio di Cristo, con le versioni del secolo XVI, documenti e testimonianze, éd. Salvatore Caponetto, Chicago-Florence, The Newberry Library-Sansoni, 1972, p. 22-23.
33 Ibid., p. 27-28.
34 Ibid., p. 41-42.
35 Ibid., p. 33.
36 Le rapprochement entre le Beneficio di Cristo et les œuvres des disciples de Lefèvre avait été esquissé par Carlo Ossola il y a plusieurs décennies (Carlo Ossola, « Lutero e Valdès : intorno alla formula ‘Beneficio di Cristo’ », in Lutero e la riforma, Vicenza, Accademia Olimpica, 1985, p. 35-47).
37 Différente la position de Massimo Firpo, Juan de Valdés e la Riforma nell’Italia del Cinquecento, Rome-Bari, Laterza, 2016, p. 156-159.
38 Lucien Febvre, Autour de l’Heptaméron. Amour sacré, amour profane, Paris, Gallimard, 1944, p. 164.
39 Nous en avons encore un exemple dans les œuvres du bénédictin Denis Faucher, lui aussi proche du réseau évangélique, qui en 1548, s’adressant à sa fille spirituelle, la religieuse Delphine, l’invite à entreprendre une « ré-forme » intérieure à l’image du Christ : « Qu’est d’autre qu’être reformé de cœur, et d’esprit… sinon revêtir l’homme nouveau, c’est-à-dire le Christ, et être transformé en lui par une manière de vivre semblable, de sorte qu’ayant été en nous recomptés au nombre des fils de Dieu ? Car l’âme raisonnable faite à l’image et à la ressemblance de Dieu par la nature, et rendue difforme par la faute, a besoin d’être reformée par la grâce divine » (Vénard, « Humanisme monastique et réforme. Denis Faucher entre l’Italie et la Provence », art. cit., p. 275).
40 Il est probable qu’à mettre en relation Marguerite et les Caracciolo fut l’ambassadeur à Venise Lazare de Baïf, qui, à plusieurs reprises dans sa correspondance avec la cour à la fin de 1529, recommanda le prince de Melfi et sa famille.
41 Giovanni Jalla, Storia della Riforma in Piemonte fino alla morte di Emanuele Filiberto : 1517-1580, Florence, Claudiana, 1914, p. 60-65 ; Rémy Scheurer, Caracciolo, Giovanni, in Dizionario biografico degli italiani, vol. 19, p. 382-83 ; Rosanna Gorris Camos, « “Entro nella biblioteca dei duchi”. Présences de Gabriele Simeoni à la cour des Savoie, exemplaires et dédicaces », in Silvia D’Amico, Catherine Magnien-Simonin, dir., Gabriele Simeoni (1509-1570 ?). Un florentin en France entre princes et libraires, Genève, Droz, 2016, p. 394.
42 Il n’est pas anodin, à ce propos, de souligner l’usage que fait un moine évangelique comme Denis Faucher du De partu Virginis de Sannazaro dans son œuvre de réforme monastique à Tarascon (Vénard, « Humanisme monastique et réforme. Denis Faucher entre l’Italie et la Provence », art. cit., p. 272).
43 Pour l’attribution de l’œuvre à Caracciolo cf. Nicole Bingen, « Amomo (1535) : Jean de Maumont ? Ou Antonio Caracciolo… », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, no62/3, 2000, p. 521-559 ; voir aussi Franco Tomasi, « La poésie italienne à la cour de François Ier : Alamanni, Martelli et autres cas exemplaires », in Jean-Eudes Girot, dir., La poésie à la cour de François Ier, Paris, Pups, 2012, p. 78-79 ; sur le rôle de Simeoni cf. Jean Balsamo, « Gabriel Syméoni, figure de l’italianisme français », in D’Amico, Magnien-Simonin, dir., Gabriele Simeoni (1509-1570 ?), op. cit., p. 77-78. Après des études faites ensemble dans leur jeunesse, Simeoni et Caracciolo auraient maintenu un lien durable, même au cours des décennies suivantes, quand, à la mort de son père Giovanni, Antonio accueillit le poète florentin pendant quelques années dans son entourage épiscopale. Cf. Chiara Lastraioli, « La vena satirica di Gabriele Simeoni », in D’Amico, Magnien-Simonin, dir., Gabriele Simeoni (1509-1570 ?), op. cit., p. 196 ; Franco Tomasi, dir., « Vita di M. Gabriel Symeoni, di natione fiorentino, et d’obbligo lucchese », in D’Amico, Magnien-Simonin, dir., Gabriele Simeoni (1509-1570 ?), op. cit., p. 539, 546-549.
44 Les citations sont extraites de l’édition italienne : Rime toscane d’Amomo per madama Charlota d’Hisca, Venezia, 1538, p. D viv-D viiir.
45 En 1525, à l’occasion de la guérison suivie à une grave maladie pendant sa captivité à Madrid, certainement sous l’influence de sa sœur, François Ier aussi a recours à ce même langage, quand il évoque l’intervention miraculeuse des « bénéfices » divins (Farge, « François Ier : de la tolérance à la répression », art. cit., p. 294).
46 Wanegffelen, Ni Rome ni Genève, op. cit., p. 233-235 ; Le Gall, « Marguerite de Navarre : The reasons for remaining Catholic », art. cit., p. 73-87.
47 Antonio Caracciolo, Le mirouer de vraye religion, par révérend père messire Antoine Caracciolo, de Melphe, abbé de Sainct Victor, Paris, Simon de Colines, 1544, p. 4v-5r.
48 « Pource que les œuvres et les mérites des hommes ne sont poinct de si grande souffisance, qu’ilz puissent mériter la vie éternelle, mais les mérites de Iesus Christ la nous ont acquise. Lequel tout seul a mérité pour tous, et a avecques son sang payé la debte et le tribut, que nous debuons à Dieu » (ibid., p. 5v)
49 « Il est bien vray que le bon Dieu (qui par nostre faulte nous veoions perduz, et par sa seulle grâce nous a iustifiez, et restitué en nostre première innocence) demande avoir quelque fruict de noz bonnes œuvres, en tesmoignage et corroboration du libéral arbitre, qu’il nous a rendu ; et de la iustice, laquelle par la foy de Iesus Christ, il nous a donnée » (ibid., p. 6r).
50 Ibid., p. 8v-9r.
51 Ibid., p. 10v, 30r.
52 Ibid., p. 8v, 11v.
53 Ibid., p. 13v.
54 « L’espoux de noz âmes, Iesus Christ, les voyant affligez, ou pour la mémoire de leurs péchez, ou par désir de veoir la face de Dieu, qui habite une lumière inaccessible, il les vient doulcement consoler, et leur monstre sa beaulté : qui surmonte celle de tous les humains » (Ibid., p. 16r).
55 Caracciolo évoque la publication des livres des Prophètes et des Évangiles « imprimez et à bien petit pris se vendent » (Ibid., p. 23r).
56 Wanegffelen, Ni Rome ni Genève, op. cit., p. 235-49.
57 Simeoni dans son autobiographie décrit de cette manière l’événement : « [Simeoni] Si messe con ogni studio a seguitare l’impresa, et trovato modo di guadagnare il Nuntio del Papa, che era un Triultio, vescovo di Tolone, gli condusse alla fine il Caracciolo innanzi, avertitolo prima molto bene de’ propositi che doveva tenere nella sua giustificatione, la quale fu così ben condotta (oltre a qualche favore ottenuto dalla Corte di Francia, et la dispositione del pontefice, che facendo contro al Re guerra per conto di Parma, haveva bisogno di danari, et di ricuperare i privilegii con l’entrate, emolumenti et obedienza, che già gl’era stata tolta in Francia, come a nimico publico della corona) che, contro alla volontà di due cardinali inquisitori (quali furono il Teatino et Burgos, che giudicarono la abiuratione del Caracciolo falsa, forse, come si presumeva, avvertiti dal capitolo et clero di Troia che non voleveno tal vescovo), finalmente furono le bolle spedite et portate da un suo Maiordomo detto Salevert » (Vita di M. Gabriel Symeoni, in D’Amico, Magnien-Simonin, dir., Gabriele Simeoni (1509-1570 ?), op. cit., p. 548-49). D’avis diffèrent le biographe de Caracciolo qui souligne – sur la base d’un témoignage de Pie IV, tardif et certainement intéressé à discréditer Paul IV – le rôle déterminant de Carafa pour couvrir l’évêque napolitain, auquel le rattachait des liens de sang (Joseph Roserot de Melin, Antonio Caracciolo, évêque de Troyes (1515 ?-1570), Paris, Letouzay et Ané, 1923, p. 62-63).
58 Voir Gilbert Gadoffre, Du Bellay et le sacré, Paris, Gallimard, 1978, p. 183-208.
59 Bonora, « I vescovi riformatori francesi che non andarono al concilio di Trento », art. cit., p. 66.
60 Pour une interprétation similaire de sa spiritualité voir Gorris Camos, « “Entro nella biblioteca dei duchi” », art. cit., p. 400.
61 À l’intérieur du recueil il y a des poèmes écrits à l’occasion de la mort de Paul III et de Marguerite, tous deux disparus en 1549, et un en honneur de la duchesse de Valentinois, probablement la fille de Cesare Borgia, Luisa, morte en 1553.
62 Antonio Caracciolo, Tre libri di rime sacre, in BnF, ms. it. 1384, fol. 34r.
63 Ibid., fol. 33rv.
64 Ibid., fol. 34r.
65 Pour l’analyse des œuvres de Marguerite et pour une réflexion sur les points de contacts avec la spiritualité et le langage du Beneficio di Cristo cf. Alonge, Condotiero, cardinale, eretico, op. cit., p. 178-185, 297-316.
66 Caracciolo, Tre libri, op. cit., fol. 85v-87v.
67 Matteo Fadini, « Un libro “non approvato né in parole né in sentenze” : Dello divino amore christiano di Antonio Brucioli », Italique, Poésie italienne de la Renaissance, n° 21, 2018, p. 101-135.
68 L’intitulé de la dédicace « Alla serenissima regina Caterina, regina di Francia » nous permet de dater l’envoi du texte après la mort de François Ier, au printemps 1547 (Antonio Brucioli, Hymni, cantici et psalmi dello amore divino christiano di Antonio Brucioli libri tre, in Bibliothèque nationale de France, Arsenal, ms. 8554, fol. 2r). Les années précédentes Brucioli avait déjà dédier à la jeune Catherine plusieurs éditions bibliques (Giorgio Spini, « Bibliografia delle opere di Antonio Brucioli », La Bibliofilia, 42, 1940, p. 149-50, 159-60).
69 Antonio Marsand, I manoscriti italiani della regia Biblioteca parigina, Paris, Stamperia Reale, 1835-1538, vol. 2, p. 237-239.
70 Matteo Fadini, L’inquietudine in versi. Le opere di Marcantonio Cinuzzi e la leteratura eterodossa, thèse de doctorat, Université de Trente, 2014, sous la direction de Andrea Comboni, p. 4-12. Sur le mouvement valdesien à Florence à l’époque de Cosimo voir Massimo Firpo, Gli affreschi di Pontormo a San Lorenzo, Turin, Einaudi, 1997.
71 Seidel Menchi, Erasmo in Italia, op. cit., p. 88-90, 187-88, 379-381 ; Id., « La circolazione clandestina di Erasmo in Italia : i casi di Antonio Brucioli e di Marsilio Andreasi », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa, n° 9, 1979, p. 576-584.
72 Tommaso Bozza, Calvino in Italia, in Miscellanea in memoria di Giorgio Cenceti, Turin, Bottega d’Erasmo, 1973, p. 411-419.
73 Ambrogio Catarino Politi, Compendio d’errori et inganni luterani contenuti in un libreto senza nome de l’autore, intitolato ‘Tratato utilissimo del benefitio di Christo crucifisso’, Rome, Ne la contrada del Pellegrino, 1544, p. 20v ; Spini, Tra Rinascimento e Riforma, op. cit., p. 228-231 ; Alida Caramagno, « Il percorso dottrinale di Antonio Brucioli, dal commento ai Salmi alle Pie et cristiane epistole », in Guido Dall’Olio, Adelisa Malena, Pierroberto Scaramella, dir., La fede degli italiani : Per Adriano Prosperi, vol. I, Pise, Edizioni della Normale, 2011, p. 53-65.
74 Massimo Firpo, Valdesiani e spirituali. Studi sul Cinquecento religioso italiano, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 2013, p. 139-140, 207-208 ; Firpo, Biferali, Immagini ed eresie nell’Italia del Cinquecento, op. cit., p. 174.
75 Brucioli, Hymni, cantici et psalmi, op. cit., fol. 137v.
76 Ibid., fol. 286v.
77 Cf. Ibid., fol. 117r-118r, 307v-308r, 316v-319r.
78 Ibid., fol. 299v.
79 L’interprétation de Matteo Fadini est différente : sans bien définir le concept employé d’« hétérodoxie », à cette date encore loin d’être catégorisé clairement d’une part et de l’autre de la barrière confessionnelle encore en construction, il insiste sur la dépendance entre l’écriture poétique de Brucioli et la théologie valdésienne, dont le Beneficio serait l’une des expressions ayant eu plus de succès (Fadini, L’inquietudine in versi, cit., p. 15-17).
80 Cf. Brucioli, Hymni, cantici et psalmi, op. cit., fol. 114v-115v.
81 Cf. Ibid., fol. 117r-118r, 121v-125r, 314r-316v.
82 La métaphore du navire fait référence à l’Église et non à l’âme du fidèle (Ibid., fol. 309r-311r).
83 « S’a nimici di poi ti volterai, / quanto ciaschedun s’ami et si compiaccia, / non certo senza sdegno ammirerai / dispergi questi, et della chiesa scaccia / et il lor consiglio sia da te distruto, / col furor della tua severa faccia / vedi che mai non son col volto aciutto, / per la persecution c’habbiam da questi, che lieti son di nostro pianto et lutto. / Et se gli aiuti, signor mio fien presti / i servi tuoi, ch’in reverentia t’hanno / dove si veggono hor per pianto mesti / per la allegreza ne giubilerano » (Ibid., fol. 301v). Voir aussi Ibid., fol. 302r-303r, 305r-306v.
84 « Così quella virtù che in lei s’appiglia / cerca di poi ch’è ritornata in terra / mostrare a chi dal vero camino erra / come un lume dall’altro virtù piglia » (Ibid., fol. 111v).
85 Si Brucioli adhérait fermement à la doctrine de la justification par la foi seule – une orientation théologique très répandue dans le monde catholique pré-tridentin –, et n’épargnait pas les louanges de la toute-puissance divine, il semble plus prudent à propos de la prédestination : sur la base d’une formation humaniste et en accord avec la spiritualité de l’évangélisme français, il semble la refuser, laissant un minimum de marge de manœuvre au libre arbitre humain. Voir par exemple Ibid., fol. 298r-300r. Pour une lecture opposée concernant la position de Brucioli sur la prédestination, cf. Fadini, L’inquietudine in versi, op. cit., p. 19-21. La frontière des interprétations théologiques entre l’exaltation de la grâce et les affirmations doctrinales en faveur de la prédestination peut parfois paraître très subtile, mais une analyse précise de la production de Brucioli, en prose et en vers, ne permet pas de le classer parmi les partisans du serf arbitre ni même d’une religion des élus. Sur la spiritualité évangélique de Brucioli, voir Alonge, Condotiero, cardinale, eretico, op. cit., p. 254-57.
86 Andrea Del Col, « Il secondo processo veneziano di Antonio Brucioli », Bolletino della Società di studi valdesi, n° 146, 1979, p. 90-92.
87 Ibid., p. 86-87 ; voir aussi Id., « Il controllo della stampa a Venezia e i processi di Antonio Brucioli (1548-1559) », Critica storica, n° 17, 1980, p. 469-470, 473-474.
88 Sur l’importance de la poésie dans l’action de propagande évangélique du réseau de Marguerite voir Reid, King’s Sister-Queen of Dissent, op. cit., p. 447-495.
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