En quête d’une politique éditoriale
p. 289-292
Texte intégral
1Malgré une industrie papetière de mauvaise qualité1 et des coûts d’impression prohibitifs2, le xvie siècle fut considéré, en matière d’édition, comme une « époque de splendeur3 ». En revanche, ce fut loin d’être le cas au siècle suivant. Les piètres impressions réalisées au xviie siècle interdirent à des auteurs tels que Cervantès, Lope de Vega ou encore Quevedo de voir leurs ouvrages dignement imprimés4 alors que ce siècle était considéré comme le plus brillant de l’histoire de la littérature. Il fallut attendre le milieu du xviiie siècle pour que l’ensemble des métiers liés à l’industrie éditoriale se développât. Et on remarque que le contraste entre les livres édités au xviie siècle et ceux imprimés tout au long du xviiie est saisissant, comme le souligne Francisco Aguilar Piñal :
Ce qui attire en tout premier lieu notre attention lorsque l’on tient entre ses mains des livres édités à différentes époques du xviiie siècle est la continuelle évolution dans l’amélioration de l’industrie éditoriale. L’impression est de très mauvaise qualité au début du siècle, les caractères usés, écrasés à force d’être utilisés, ne sont ni remplacés, ni rénovés. Il n’y a pas dans les entreprises la moindre inquiétude pour la modernisation, en opposition avec les célèbres éditions de l’italien Bodoni, par exemple. De plus, il y a une différence notable, tout au long du siècle, entre les améliorations qui s’introduisent progressivement dans les imprimeries madrilènes, et certaines situées en province, qui accumulent des années de retard5.
2 Déjà sous Ferdinand VI, le caractère protectionniste de l’auto de Curiel avait pour objectif, outre le contrôle des écrits, de protéger l’édition espagnole et de relancer l’économie du pays par le biais des imprimés. Mais ce fut lorsque Charles III monta sur le trône d’Espagne en 1759 qu’une véritable politique éditoriale fut mise en place. Au-delà de l’aspect utilitaire et pédagogique des livres, le monarque comprit très vite que la publication et le commerce des imprimés revêtaient des enjeux économiques importants. En effet, comme le précise Lucienne Domergue, encourager le développement de la librairie, art et négoce à la fois, revenait à « développer une branche de commerce particulier, donner de l’ouvrage à un ensemble de corps de métier : art du papier, de la typographie, de la reliure, diffuseurs et revendeurs, sans même parler des auteurs6 ». Néanmoins, la Couronne eut tôt fait d’apprécier « les pesanteurs dont elle pâtissait7 ». Aussi, Charles III décida-t-il en 1762, plus précisément le 14 novembre, sur proposition de Campomanes8, de supprimer la taxe sur les livres. Avec cette mesure, il laissait aux libraires la liberté de les vendre au prix qu’ils souhaitaient, à l’exception de ceux de « première nécessité », c’est-à-dire indispensables à l’éducation de la population9. Toutefois, pour lever toute ambiguité, il fut précisé, le 22 mars de l’année suivante, quels seraient les livres taxés tout en réaffirmant la volonté de permettre aux librairies et aux auteurs de fixer librement le prix des autres imprimés10. Puis, pour éviter tout monopole d’un imprimeur sur un ouvrage, le deuxième point de cette même Ordonnance royale spécifiait que seuls les auteurs pourraient disposer d’un privilège d’impression, l’objectif étant double : développer le commerce littéraire et, par ce biais, favoriser la diffusion des avancées scientifiques et techniques :
Désirant développer et faire progresser le commerce des livres dans ces Royaumes, dont la liberté est si bénéfique et utile pour les Sciences et les Arts ; j’ordonne, que dorénavant il ne soit concédé à personne de privilège exclusif pour imprimer le moindre livre, si ce n’est au seul auteur qui l’aura composé ; et suivant cette règle, il sera toujours refusé à toute Communauté séculière ou Régulière. Et si l’une de ces Communautés, ou institution possède un tel privilège, il devra cesser dès à présent11.
3Les propos tenus étaient on ne peut plus clairs. Il s’agissait d’encourager l’édition en donnant l’exclusivité d’impression aux seuls auteurs et en adoptant une politique régaliste puisque ce point excluait les communautés religieuses et leur ôtait les droits sur les livres de prières acquis sous Philippe II. Attendu que ces dispositions produisirent les effets escomptés pour le développement de l’imprimerie et le commerce des livres, Charles III les confirma et les entérina définitivement par Ordonnance royale du 14 juin 177812. Pour parachever ce dispositif qui contribua grandement à la diffusion « des Sciences et des connaissances utiles13 », il décida d’élargir son champ d’action. Il imposa par la Résolution royale du 21 août 1783 la libre circulation des imprimés entre les Royaumes de Castille, d’Aragon et de Navarre en procédant, par la même occasion, à la mise en place d’une législation éditoriale commune à l’ensemble de la Péninsule placée sous l’égide du Conseil de Castille14. En effet, si Philippe V avait, dès 1713, imposé aux Royaumes d’Aragon et de Catalogne les lois castillanes pour l’industrie éditoriale par les Décrets de la Nueva Planta en guise de châtiment pour avoir soutenu l’Archiduc Charles d’Autriche lors de la Guerre de Succession, il avait laissé, en revanche, le privilège de ses fueros à la Navarre qui avait été tout acquise à sa cause.
4L’intérêt des monarques pour le développement et la modernisation de l’industrie éditoriale commença par conséquent timidement sous le règne de Ferdinand VI. Cependant, ce fut sans conteste l’ensemble des mesures législatives prises par Charles III tout au long de son règne en matière d’imprimerie et de librairie qui, non seulement, contribua activement à l’essor du monde de l’édition mais, aussi, favorisa le commerce littéraire. Fort de ce constat, Charles IV ne revint nullement sur les décisions prises par son père en la matière.
Notes de bas de page
1 Jaime Moll, « Valoración de la industria editorial española del siglo xvi », in Livre et lecture en Espagne et en France sous l’Ancien Régime, Colloque de la Casa de Velázquez, Paris, Édition ADPF, 1981, p. 80 ; Id., « Para el estudio de la edición española del Siglo de Oro », in Livres et libraires en Espagne et au Portugal (xvie-xxe siècles), Paris, CNRS, 1989, p. 18.
2 Id., « Para el estudio de la edición española del Siglo de Oro », art. cit., p. 21.
3 Id., « Valoración de la industria editorial española del siglo xvi », art. cit., p. 79 : « Si nos reducimos al ámbito hispánico [de l’industrie éditoriale, précisait-il avant] fácil será hablar de una época de esplendor del libro en el siglo xvi. »
4 Francisco Aguilar Piñal, Introducción al siglo xviii, op. cit., p. 113.
5 Ibid., p. 113-114 : « Lo primero que llama la atención al tener entre las manos libros editados en diferentes etapas del siglo xviii es la continua evolución en la mejora de la industria editorial. La impresión es de malísima calidad a comienzos del siglo, los tipos están gastados, machacados por el uso, sin variación ni renovación alguna. No hay en las empresas la menor inquietud por la modernización, en contraste, por ejemplo, con las nombradas ediciones del italiano Bodoni. Además, hay una notable diferencia, a lo largo de todo el siglo, entre las mejoras que paulatinamente se van introduciendo en las imprentas madrileñas, y algunas provinciales, que acumulan años de retraso. »
6 Lucienne Domergue, Censure et Lumières dans l’Espagne de Charles III, op. cit., p. 15.
7 Ibidem.
8 François Lopez, « Los textos de primera necesidad en la España del siglo xviii », in P. Garelli, G. Marchetti, eds., Un hombre de bien : saggi di lingue e litterature iberiche in onore di Rinaldo Froldi, I, Alessandria, Edizioni dell’Orso, 2004, p. 91.
9 Nov. Recop., Lib. VIII, Tít. XVI, L. XXIII, p. 135-136 : « Absoluta libertad en la venta de libros, sin la tasa prevenida por la ley del Reino, a excepción de los de primera necesidad. He resuelto abolir la tasa que por ley del Reino se pone en los libros para poderlos vender : y mando, que en adelante se vendan con absoluta libertad al precio que los autores y libreros quieran poner ; pues siendo la libertad en todo comercio madre de la abundancia, lo será también en este de los libros ; y no ser justo, que no habiendo tasa alguna para los extranjeros, hayan de ser sólo los Españoles los agraviados por sus propias leyes : pero considerando al mismo tiempo, que esta libertad puede traer graves perjuicios al Público en aquellos libros que son de un uso indispensable para instrucción y educación del pueblo, valiéndose los libreros de la necesidad de comprarlos, para hacer más gravosa al Público su avaricia ; he resuelto que esta especie de libros, que son de primera necesidad, estén sujetos a la tasa del Consejo como hasta aquí. »
10 Ibid., Lib. VIII, Tít. XVI, L. XXIV, p. 136 : « Declaración de los libros sujetos a tasa […]. Por mi Real orden de 14 de Noviembre de 1762 (ley anterior) mandé abolir la tasa que el Consejo ponía a los libros, mandando al mismo tiempo, que el Gobernador del Consejo informase de aquellos que por indispensables para la instrucción del Pueblo deberían quedar sujetos a dicha tasa, a fin de evitar el monopolio que pudieran hacer los libreros : y en vista de lo que me ha expuesto, he resuelto, que los libros únicos, que de aquí adelante ha de ser tasados por el Consejo, sean los siguientes : Catón Cristiano, Espejo de cristal fino, Devocionario del santo Rosario, Via-Crucis, y los demás de esta clase : las cartillas de Valladolid ; los catecismos del Padre Astete y Ripalda, y los demás que están en uso en las escuelas de Primeras letras de estos Reinos ; preparatorios de para la sagrada Confesión y Comunión, acción de gracias, examen diario de la conciencia, meditaciones devotas para cada día, todas las Novenas y otras devociones semejantes. Estos son los libros que por precisos para la educación han de quedar sujetos a la tasa que les ponga el Consejo : los demás han de quedar libres de conforme a mi citada resolución de 14 de Noviembre ; a que se debe añadir la circunstancia de que, una vez que el Consejo conceda la licencia para imprimir y vender uno los libros que no tienen tasa, no ha de ser necesaria la segunda, que ahora acostumbra dar, para publicar y vender, por ser suficiente la primera y evitarse esta gabela, que nuevamente se ha introducido sobre los nuevos libros. En los que quedan sujetos a la tasa, quiero, que ésta se observe mejor que se ha hecho hasta aquí en los demás libros, y que por el Consejo se tomen la más efectivas providencias para conseguirlo ; y a este fin se mandará, que al principio de cada uno de los referidos libros, por pequeños que sean, se ponga la tasa de ellos, con una nota que diga, que el librero que vendiese a más precio del que está tasado aquel libro, o que se niegue a venderle, le dé de balde al comprador, y que pague además la multa de seis ducados al delator, y las costas que se causaren. » On pourra également consulter à ce sujet : François Lopez, « Los textos de primera necesidad en la España del siglo xviii », art. cit., p. 89-100.
11 Ibidem : « Deseando fomentar y adelantar el comercio del libro en estos Reinos, de cuya libertad resulta de tanto beneficio y utilidad a las Ciencias y Artes ; mando, que de aquí en adelante no se conceda a nadie privilegio exclusivo para imprimir ningún libro, sino al mismo autor que lo haya compuesto ; y por esta regla se negará siempre a toda Comunidad secular o Regular ; y si alguna de estas Comunidades, o lo que se llama Mano-muerta tiene concedido tal privilegio, deberá cesar desde el día. »
12 Ibid., Lib. VIII, Tít. XVI, L. XXVI, p. 137 : « Confirmación de las anteriores leyes, con varias declaraciones respectivas a privilegios de impresiones. Enterado circunstanciadamente de todas las ordenes que he mandado expedir, dirigidas al fomento del Arte de la Imprenta, y al comercio de los libros de estos mis Reinos, y de los buenos efectos que han producido ; he venido confirmar y revalidar las de 14 de Noviembre de 1762, de 22 de Marzo […] de 63 […]. »
13 Ibidem « […] pero considerando, que para complemento de estas benéficas disposiciones, dirigidas a fomentar un Arte y un comercio que tanto contribuyen a la cultura en general, y a la propagación de las Ciencias y conocimientos útiles, se necesitan todavía algunas declaraciones […]. »
14 Ibid., Lib. VIII, Tít. XVI, L. XXX, p. 140 : « Instrucción sobre el modo de introducir en las provincias de Castilla, y Aragón los libros impresos en Navarra. Enterado de la instrucción inserta, formada por el mi Consejo para el modo de introducir en las provincias de Castilla y Aragón los libros que se impriman en Navarra ; he venido en aprobarla, y mando se guarde, cumpla y ejecute en todo y por todo, sin contravenirla en manera alguna.
Instrucción para el cumplimiento de lo dispuesto en la ley 10 de las últimas Cortes de Pamplona. 1 Será libre la introducción de las impresiones de Navarra, que con las licencias necesarias se hayan hecho hasta aquí ; observando en su venta y despacho la cédula y autos acorados que tratan de la venta y comercio de libros. 2 Por la misma razón correrán, y se venderán libremente los libros impresos en los Reinos de Castilla y Aragón, en el Reino de Navarra con las debidas licencias, sin impedimento ni embarazo alguno. 3 Esta libertad de comercio se entenderá igualmente con las impresiones que en adelante se hicieren en Castilla, Aragón y Navarra sin diferencia alguna ; no exigiendo en las Aduanas y Tablas derechos algunos, aunque sea a título de reconocimiento, por estar los libros exentos de todo impuesto a beneficio de pública instrucción. 4 El Consejo de Navarra, en las licencias que conceda, observará las mismas diligencias y formalidades que por estilo, leyes, cédulas y auto acordados están en práctica en los citados Reinos de Castilla y Aragón, para que sea uniforme el método en todo, y se eviten inconvenientes y abusos ; a cuyo efecto se le pasará a dicho Consejo de Navarra certificación de lo que actualmente observa el Consejo de Castilla, y de lo que en adelante convenga prevenir. »
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