Les caricatures antisémites1 (1860-1943)
p. 279-314
Texte intégral
1Les antijuifs d’Algérie se sont emparés de la caricature2 pour mieux éclairer leurs points de vue et donner une plus grande audience à leur propagande en la mettant à la portée du plus grand nombre. Ils se situent ainsi dans une tradition déjà vieille de plusieurs siècles puisque la caricature est traditionnellement un mode d’expression politique et satirique qui a tenu le devant de la scène en France dès le xvie siècle lors des guerres de religion, au xviie siècle à l’époque de la Fronde, au xviiie siècle avec les querelles jansénistes puis avec la Révolution qui voit leur essor qualitatif et quantitatif et enfin au xixe siècle à partir de la monarchie de juillet3.
2Ce type de dessin s’élabore au croisement de l’histoire politique, sociale et culturelle, selon un processus qui tient compte de l’actualité, de l’idéologie, du lectorat, et se constitue comme un genre artistique particulier poursuivant un processus de création autonome4. Il possède un réel pouvoir d’influence car la répétition continue de ses messages imprègne et façonne l’imaginaire social et politique du lecteur autant qu’elle le reproduit. Une définition en a été donnée au xviiie siècle dans L’Encyclopédie de D’Alembert et Diderot5 pour laquelle faire une caricature consiste à dessiner un portrait très ressemblant, soit de « type6 », soit de personnes réelles, qui exagère les opinions ou les vices représentés afin d’obtenir la charge la plus forte possible pour susciter la dérision ou la critique. On peut ajouter que la caricature est le reflet de la façon dont le dessinateur voit la société et en rend compte. Habituellement dominée par « une intention offensive, critique et polémique7 », elle regarde le monde en fonction des a priori de son auteur et n’est pas en général une attaque radicale du sujet traité. Mais la caricature antijuive cherche, elle, à faire admettre sur la longue durée que la société juive entière, enfermée dans sa logique interne, reste en marge de ce qu’il convient de faire et d’être. En conséquence de quoi, elle reste finalement et malgré tout étrangère à la civilisation à laquelle on refuse de la voir appartenir.
3Les caricatures antijuives proposées en cartes postales8 depuis la fin du xixe siècle et les textes manuscrits des expéditeurs qui les accompagnent éventuellement ne sont pas seulement à regarder comme un divertissement mais sont aussi un reflet d’une époque et des stéréotypes qui l’imprègnent. Replacées dans le contexte événementiel et culturel algérien, elles mettent l’idéologie à la portée de tous ceux qui les regardent. Avec l’économie de moyens qui leur sont propres et qui passent par un dessin facile à interpréter et par le recours presque constant à une légende ou à un titre qui leur donne une plus grande signification, ces archives visuelles synthétisent, simplifient, éclairent la dynamique, les thèmes, l’évolution de l’idéologie. Elle deviennent une arme de subversion et de combat d’autant plus efficace qu’elles sont facilement accessibles, observées et analysées par un large public, y compris parmi « ceux que l’écriture n’a pas encore touchés » selon la phrase d’Édouard Drumont9.
4Les lacunes de la documentation ne permettent pas de faire une étude quantitative stricte mais les images et les écrits qui les accompagnent sont suffisamment nombreux et réguliers pour donner un point de vue qualitatif de premier ordre. Ceci permet de faire émerger les représentations mentales, de comprendre le mode de fonctionnement de la pensée antijuive ainsi que son évolution dans le temps long comme dans le temps court, puisqu’elles indiquent les liens avec les sociétés et avec les courants politiques existants, les intentions des auteurs et les actions à mener.
La caricature antijuive en Algérie
5Il faut attendre le courant des années 1860 pour que les journaux interviennent modérément en Algérie sur d’autres terrains que celui de l’économie, de l’état civil ou des nouvelles locales, et les caricatures apparaissent en très petit nombre lorsque sont créés des hebdomadaires qui disposent d’une page illustrée. Ces premières représentations se situent peu avant 1870 et le développement des campagnes à caractère antisémite. La propagande nationaliste et rapidement judéophobe, on peut même dire « alterophobe » puisqu’elle peut se montrer hostile aux migrants européens et aux Indigènes, s’empare alors de la figure des Juifs qui bouleversent le jeu électoral, et connaît deux paroxysmes qui correspondent aux deux grandes crises, celle de la fin du xixe siècle et celle de l’entre-deux guerres. Au xixe siècle, ces caricatures conservent une certaine réserve et la violence idéologique est partiellement bridée par rapport au texte des articles de journaux antijuifs, qui parlent aisément de juives maquerelles ou décrites dans des situations scabreuses, ce que les caricatures ne montrent pas. Mais une partie de ces pudeurs tombe dans l’entre-deux-guerres où la caricature devient carrément ordurière, voire scatologique.
6Parmi les caricaturistes les plus importants d’Afrique du Nord ayant eu une production en partie antijuive, citons Édouard Herzig10 (1860-1926), Paul Néri (1910-1965), Chagny et Drack-Oub, Mouly. Il faut ajouter Salomon Assus (1850-1919) et Joseph Sirat (1869-1936) qui sont tous les deux Juifs et jouent un rôle particulier. Les caricatures ne paraissent pas que dans les périodiques, certaines sont aussi éditées en cartes postales11, principalement entre 1900 et 1910 ; elles sont soit réimprimées, soit conservées par les collectionneurs, de telle façon que certaines sont encore envoyées par la poste dans tout le Maghreb et en métropole jusqu’à la fin des années 1950, donc après la mort de la plupart de leurs auteurs.
La caricature en tant qu’objet12 actif
7L’image et le texte de la caricature antijuive deviennent des armes de combat politique et idéologique13 qui permettent au fantasme14 de s’imposer comme une évidence, quelle que soit la réalité concrètement vécue. Ils se constituent comme des genres artistiques et littéraires particuliers avec leurs thèmes de prédilection, leurs images convenues, leur langage codé et parviennent à fixer les stéréotypes dans les mémoires en utilisant quelques recettes simples. Leur démonstration joue sur l’aspect physique, l’accent, la parole et le discours, les actions des protagonistes, elle a recours à l’idéologie et à l’imaginaire au moins autant qu’à la réalité sociale. C’est ainsi qu’apparaissent et se maintiennent au fil du temps, des figures d’hommes, de femmes et même d’enfants, qui symbolisent les tares supposées des Juifs. En miroir, les non juifs représentent, comme à l’accoutumée, l’idéal physique, social et politique auquel on s’identifie chez les antijuifs (fig. 1). Fabriquées avec les autres cartes postales15 en Algérie (Alger) ou au Maroc (Casablanca), les cartes postales antijuives16 indiquent un intérêt, au moins sur le mode humoristique, d’une partie des Européens pour les idées représentées. Et cet intérêt est renouvelé quand le destinataire regarde ses cartes postales, qui donnent à son antisémitisme une dimension universalisante en ce qu’elles sont pour lui un reflet du Juif archétypique et, par contraste, du non juif.
8Les caricatures des journaux sont reproduites presqu’exclusivement en noir et blanc et la couleur, sous la forme d’une seule touche, apparaît sur quelques vignettes à la fin des années 1860. Le nombre des dessins augmente au fil du temps, pouvant atteindre plusieurs vignettes par page dans l’entre-deux-guerres. Leurs dimensions varient mais elles occupent en général deux ou trois colonnes en largeur sur une vingtaine de lignes en hauteur. Certaines images s’étalent, principalement avant 1914, sur une demi-page ou occupent la première page d’un périodique ; d’autres encore, légèrement plus petites que les pages des journaux, sont imprimées sur des feuilles volantes et glissées dans le journal. Le dessin les rend attrayantes, elles sont destinées à tout le monde, depuis le lecteur qui achète le journal, apprécie la qualité du dessin ou de la légende, jusqu’au promeneur qui s’amuse de la représentation imagée accrochée aux devantures des kiosques à journaux.
9Les caricatures produites au Maghreb développent les stéréotypes communément réservés à chaque type de population, depuis les petits cireurs des rues musulmans jusqu’aux passants européens et aux Juifs. Elles exposent des idées, des sentiments, suscitent des réflexions ; dans le cas précis des caricatures antijuives, elles forment autant de slogans énoncés sous une forme qui se veut en général humoristique et qui, performatifs, produisent de l’hostilité en même temps qu’ils la formulent17. L’historienne M.A. Matard-Bonucci explique comment l’emploi des représentations antisémites stéréotypées et réitérées dans l’image et le texte qui l’accompagne tiennent lieu de démonstration. Les articles, entrefilets, pamphlets, poèmes, chansons accumulent les « preuves » et les détails, « les images popularisent et diffusent les thèmes, concentrent le propos, gomment les différences, donnent à voir ce qui était pensé ». Donc on dessine et on écrit pour faire croire, pour imposer ou promouvoir un imaginaire social, pour emporter l’adhésion des lecteurs et condamner18.
10Le système fonctionne au fil du temps en vase clos puisque le nombre de stéréotypes antisémites n’est pas infini et que les caricaturistes, comme les écrivains, réutilisent fréquemment les mêmes, l’actualité repeignant le propos à neuf. Il se forme ainsi chez les lecteurs une culture commune disposant d’un univers de symboles, de figures, d’un langage graphique, d’un imaginaire politique stable qui peut être d’une grande violence symbolique quand il légitime le discours d’exclusion et met l’accent sur les points en litige. Ces diverses représentations prennent plus ou moins rapidement place dans l’imaginaire social, car on ne ressent pas réellement le besoin de critiquer une rumeur ancienne, persistante et qui correspond à un sentiment personnel profond.
Les procédés
11De la même façon que les histoires drôles et les articles de presse, la caricature antijuive peut proposer un fragment d’idéologie pure sous forme d’anecdote, parler d’un personnage connu, se situer dans un contexte d’histoire ou d’actualité politique et sociale de telle façon que le lecteur soit amusé, convaincu, édifié ou même dérangé dans ses opinions. Elle met en scène une histoire simple, prise dans un contexte lisible19 pour être immédiatement comprise du lecteur grâce à un langage20 littéraire de base et à un langage pictural qui montre ce que ne dit pas le texte, voire ce qu’il contredit. Elle utilise aussi bien l’actualité politique et sociale que l’histoire plus ancienne qu’elle réactive21 ; ceci, en suivant au moins deux approches : l’une sociale et artistique en donnant à voir les personnages qu’on peut immédiatement reconnaître dans la vie courante, l’autre intellectuelle en y insérant des valeurs, des figures, des faits idéologiquement construits qui mettent l’accent sur les manières d’être, le langage, les activités, les vices supposés de la population juive.
12Les traits des personnages ou des types juifs représentés sont exagérés mais dans les limites du reconnaissable et, si l’on ose dire, de l’achetable car il ne faut pas décevoir le lecteur ni rompre la connivence avec lui au point qu’il renonce à acheter le journal ou la carte postale. D’où, pour être efficace, une double exigence à la fois de manipulation des faits et de pédagogie en direction de ce lecteur : coexistent ainsi d’une part des traits attestés et vérifiables dans la vie de tous les jours tels que vêtements, métiers, accents et, d’autre part, un contenu idéologique présenté sur un même plan que les faits vérifiables et qui stigmatise les comportements, les mœurs, les pratiques, les vices, les opinions politiques attribués aux Juifs… Le rapport à l’événement est décalé tout en restant plausible et incarné22 dans la vie réelle puisqu’il porte sur un point ou un autre de la culture commune à tous les lecteurs ; cela donne à la caricature une grande efficacité qui conduit à une certaine confusion entre ce qui existe et ce qui n’est que pensé, crée une évidence puis une conviction qui permet d’imposer un imaginaire, lequel se propage dans l’inconscient collectif.
13Comme les écrits, la caricature remémore les griefs anciens par ses rappels du passé reconstruit idéologiquement, elle les actualise dans le présent, ce qui creuse le fossé entre Juifs et « bons Français », voire « bons européens » et « bons indigènes », et rend les Juifs incompatibles avec l’identité nationale et ses valeurs politiques, économiques et sociales. En miroir, elle fait passer un discours des antijuifs sur eux-mêmes, représentés comme vertueux et hors de toute critique politique et sociale, afin de produire chez le lecteur une séparation mentale entre le « eux » juifs et le « nous » bons Français qui facilite son adhésion à l’antisémitisme organisé ou vécu. Enfin, elle y ajoute le classique projet, soit non formulé qui se déduit de la lecture, il faut rejeter les Juifs, soit directement exprimé, il faut s’unir contre eux, s’en débarrasser. À travers leurs attaques stéréotypées et leurs représentations physiques outrées, les caricaturistes mettent le réel en scène, exposent leur conception globale de la société, ce qui inclut le présent et l’avenir, la sphère domestique et la sphère publique. Ils balayent la politique, l’économie, la vie sociale, les mœurs, les normes et habitudes sociales qui régissent les rapports entre les hommes et les femmes et donnent à la société son mode de fonctionnement23. Ils fustigent tout ce qui va à l’encontre de la conception des principes républicains et sociaux en vigueur et spécifiquement tout ce qui remet en cause la suprématie masculine qui est à l’époque un des fondements implicites de la République. L’image antijuive pose donc le problème de l’altérité dans le cadre universaliste de la Révolution française sous l’aspect non seulement antisémite mais aussi sous l’aspect anti féminin, l’un et l’autre étant très fréquemment mis en scène corrélativement. Elle met l’accent sur l’inclusion-exclusion des Juifs de l’espace démocratique public mais aussi, sur l’inclusion-exclusion des Françaises de l’espace politique et sur leur place seconde dans la société.
Désigner et marginaliser
Montrer et stigmatiser le Juif
14La caricature devient propos antisémite par son discours qui conjugue image et symbole dans le but de désigner et marginaliser le Juif. Elle fait en sorte que l’idée ou les protagonistes mis en scène soient reconnus au premier coup d’œil, ce qui est le fruit d’une certaine ressemblance physique ou d’une référence culturelle. Il s’ensuit pour les Juifs une mise en avant répétitive d’un certain nombre de traits physiques et moraux négatifs. Les codes de l’image, du titre et de la légende qui cadrent l’intrigue deviennent un lieu commun, une représentation attendue, une base culturelle qu’on n’interroge pas et qui s’intègre d’emblée dans un imaginaire construit par imprégnation continue et couches successives, en partie variables en fonction de l’actualité.
15Les scènes représentées se déroulent le plus souvent dans la rue où les diverses populations se croisent, parlent ou commercent, montrent leur bon ou leur mauvais visage. Mais on peut aussi rencontrer un seul personnage dans l’exercice de son métier ou réfléchissant, s’il s’agit d’un Juif, à quelque action suspecte à accomplir24. Plus largement, les caricatures mettent en scène l’ensemble de la société juive : principalement les hommes mais aussi les femmes et, assez souvent les enfants mâles. Apparaissent et se maintiennent au fil du temps des types de Juifs porteurs des tares qui leur sont idéologiquement assignées, et cette critique systématique passe par la violence des mots et des actes, elle fournit au lecteur les conditions intellectuelles et psychologiques qui lui permettent progressivement d’admettre, voire de légitimer les actions antisémites. Caricature, journal et lectorat sont en fin de compte liés par une même façon de voir le monde.
16Une première catégorie d’images, en particulier les plus anciennes, se contente de mettre les Juifs à part du reste de la société en raison de leur comportement. Les rares caricatures des années 1860 témoignent de cette position traditionnelle qui relève des opinions, des croyances et va dans son expression jusqu’à la diffamation et au stéréotype. Elles restent plutôt suggestives que directement injurieuses25, comme on le remarque dans une série publicitaire nommée « types algériens », où chaque personnage est comparé avec un humour approximatif à un oiseau26. Sont représentés un militaire, une femme légère, un matelot, un Juif, tous associés à une phrase qui veut symboliser leur comportement. Ce dessin, publié dans l’hebdomadaire Le Lorgnon illustré quelques mois avant la naturalisation collective des Juifs d’Algérie, se situe à un moment où l’antisémitisme est encore embryonnaire ; il révèle un état d’esprit ambiant, généralisé mais non encore directement offensif. Le Juif représenté est bien habillé à l’indigène (fig. 3), il se promène dignement, mains derrière le dos, son oisiveté apparente étant une première indication à charge. La légende indique d’ailleurs : « Inutile à détailler, espèce très connue, remarquable sous tous les rapports ». Le consensus recherché avec le lecteur passe ici par le non-dit, l’ellipse, le jeu contradictoire entre le dire, le voir et le penser. Il n’y a aucune injure précise, mais tout le monde comprend la charge du dessin et de l’image qui fait du Juif représenté un injurié sans qu’une injure ait même été prononcée. Plus tard, le caricaturiste Herzig montre des familles juives en voie de francisation : les parents habillés à l’ancienne, l’enfant entièrement vêtu à l’européenne. Les trois personnages sont dépeints comme étant insensibles au reste de la population, ombrageux et hautains (fig. 4). Ce genre de caricatures résume la pensée d’une partie de la population européenne pour qui les Juifs sont arrogants et s’isolent, autant qu’elle habitue le lecteur à leur marginalisation dessinée et écrite.
17L’injure et la stigmatisation sont d’un emploi très fréquent dans les divers supports de l’antisémitisme qui se complètent au fil du temps les uns les autres à ce sujet. Les caricatures multiplient les exemples de Juifs assoiffés d’or au détriment de toute justice ou morale. Cet amour de l’argent se manifeste en dépit de toute charité quand un ploutocrate juif répond par un jet de salive à la main tendue d’une fillette27, quand un patron juif donne une miette de son réveillon à un ouvrier28 ou quand un Juif retient un homme qui veut sauver quelqu’un qui se noie et à qui il doit « cent sous29 ». De leur côté, les articles de journaux dénoncent le « voleur juif » prêt à « voler les naïfs qui franchissent la porte de sa caverne » tandis que le « pauvre compatriote » voit les clients passer sans s’arrêter et plonge vers la faillite30. Une faillite qui rime pour lui avec ruine alors que, pour les Juifs qui faussent les comptes, elle rime avec richesse. Par opposition, les « Français » et les « Françaises » interviennent soit comme complices quand ils sont judaïsants, soit comme victimes, adversaires ou vainqueurs des Juifs.
18Pendant les années 1930, le premier conflit mondial fut instrumentalisé pour cristalliser le mythe du Juif profiteur de guerre et détroussant jusqu’aux soldats morts pour la France, comme on peut le voir avec les « deux vautours » (fig. 5) juifs qui survolent une tranchée et dont l’un ne s’intéresse qu’à la « belle bague » d’un soldat étendu face contre terre. Dans un autre dessin, deux mutilés de guerre non juifs regardent un bourgeois juif fumant cigare31, et ils en tirent pour eux la triste conclusion que « La guerre, c’est nous qui l’avons faite, c’est lui qui l’a gagnée ».
Le maintien des stéréotypes dans le temps
19En 1896, une caricature signée par J. Sirat, Le conseil municipal et le décret Crémieux montre un Juif, qui est vraisemblablement Simon Kanoui, vêtu à l’indigène, parlant avec l’accent et les fautes de français attribuées aux Juifs, ce qui le replace dans son statut d’indigène non assimilable. En face de lui, le maire Arthur Gobert est impeccablement habillé d’un costume trois-pièces et coiffé d’un bonnet phrygien qui le situe dans une stricte éthique républicaine. « Fi entention mon zami, i va cassi » conseille Kanoui (fig. 6). Deux sociétés s’affrontent ici : la société européenne, moderne et républicaine, voulant annuler la naturalisation en masse de 1870 et la société juive obscurantiste qui revendique le maintien du funeste décret. En un dessin et sans paraître prendre parti ou sortir de l’ironie, le caricaturiste a fixé l’image du Juif et celle du Français, situé les objectifs de chacun, et fait de son dessin une synthèse, valable pour le xixe comme pour le xxe siècle, de leurs positions concernant la citoyenneté.
20Dans l’entre-deux-guerres, les Juifs, qui ont été émancipés, « régénérés » et largement « francisés », fréquentent depuis longtemps les écoles de la République ; certains font même des études poussées qui leur ouvrent les portes de métiers prestigieux, ils parlent et s’habillent à l’européenne, notamment les hommes et les jeunes des deux sexes, et tous respectent les lois françaises. Toutefois les critiques concernant leur aspect physique, leur comportement et leur moralité ne disparaissent pas, elles s’adaptent. Dans les dessins, leurs traits physiques restent globalement caractéristiques bien que quelquefois moins accentués, leurs vêtements suivent désormais la mode européenne mais sont très mal portés, voire de façon obscène. Le maintien n’est jamais naturel, les personnages se ridiculisent à imiter le comportement supposé des « Français », mais le langage, la mauvaise prononciation et l’accent restent spécifiques.
21Dans les textes et les images des années d’entre-deux-guerres, les politiciens d’origine juive Jean Zay et Léon Blum sont l’objet d’injures d’autant plus fortes qu’ils détiennent le pouvoir. De leur côté, les Juives ont acquis de la visibilité dans les images, elles sont souvent représentées désormais en actrices de leur propre vie. Cependant, elles partagent avec la société masculine juive un certain nombre de tares tandis que d’autres leur sont propres. Comme les hommes, elles restent imperméables aux valeurs de la société française et participent à leur échelle à la construction d’un être juif bisexué immuable, perceptible sous le vernis français. Par ailleurs, leur être juif féminin renforce la misogynie et l’antiféminisme ambiant puisqu’il comprend tous les défauts reconnus comme féminins ou ayant un aspect féminin32 : l’absence de spiritualité, l’amour de l’argent et du luxe, l’utilitarisme, la coquetterie, la ruse et enfin la luxure délétère, qui rend toutes les Juives dangereuses pour les mâles français. Ainsi, les Juifs francisés restent, aux yeux de leurs adversaires, physiquement et moralement étrangers à la nation française. C’est ce que montre une petite vignette de La Libre Parole d’Alger de 1936 où un maître d’école aux traits bien français interroge, à propos de l’histoire de la Gaule, un enfant juif aux cheveux noirs bouclés, au nez crochu33, aux jambes grêles et arquées, vêtu de noir et bien éloigné des représentations habituelles de jeunes français. Une phrase censée irriter, ou faire pouffer le lecteur lui fait dire : « Autrefois, la France s’appelait la Gaule et nos aïeux les Gaulois. » Tout le monde aura compris en voyant cette caricature que le Juif, même francisé, reste exclu du passé français qui conditionne pour les antijuifs l’appartenance au présent et au futur de la nation. Dans une autre caricature, c’est l’élève qui se montre cruel. À cet enfant qui se dit « national » parce toute sa famille l’est, son professeur Jean Zay demande ce qu’il serait si ses parents étaient des fripons et des voleurs et l’enfant répond simplement « Juif, m’sieu34 ». Cette injure frontale est spécifiquement formulée pour Zay, que les antisémites de métropole et d’Algérie considéraient comme un Juif, parce que sa mère était de religion juive, mais qui était de culture et de conviction protestantes.
Les illustrateurs juifs et la caricature antijuive
22Il est difficile pour un caricaturiste juif de mettre en scène ses coreligionnaires, de faire simplement de l’humour ou de se dresser lui-même contre l’antisémitisme, et sa position devient intenable lorsque l’antisémitisme de son journal s’accroit. Ce fut le cas de Joseph Sirat, un Juif d’Alger très apprécié pour ses vignettes, qui cessa de faire paraître ses caricatures dans les journaux qui l’employaient lorsque l’antisémitisme y devint trop virulent35. Et même si le caricaturiste présente de façon neutre ou plus positive des Juifs en situation, tous les arguments en leur faveur peuvent se retourner contre eux dans le regard des lecteurs. C’est ce que montre la production de deux autres illustrateurs juifs d’origine : Alphonse Lévy (1843-1918) et Salomon Assus (1850-1919), qui ont également produit des caricatures humoristiques, souvent pleine de tendresse pour les Juifs, mais qui ont pu être admises par les antijuifs comme une arme efficace36.
23Pour illustrer cette ambiguïté de fait, prenons une image d’Alphonse Lévy, célèbre illustrateur de scènes de la vie juive en Alsace et en Afrique du Nord, dont les dessins forment aujourd’hui un important témoignage de vie quotidienne et de spiritualité juives de l’époque. Envoyée de métropole et publiée le 24 octobre 1869 par La vie algérienne, la caricature titrée « Une question d’état-civil » (fig. 7) met en scène un couple de « Juifs indigènes » traité avec naturel et dignité, qui se présente dans un beau costume traditionnel devant le maire. À la question : « acceptez-vous de prendre pour épouse » puis « pour époux », le fiancé répond « oui, mais à la juive » quand la fiancée répond « oui, mais à la française ». L’ambiguïté de la caricature vient de la lecture qu’on peut en faire en tant qu’antijuif à la mode algérienne : les Juifs et les Juives ne se rapprochent de la France que par intérêt. Plus précisément encore, le mari veut se mettre en règle avec les lois françaises sur le mariage mais malgré tout conserver ses droits religieux anciens sur sa femme. De son côté, la femme se met, contre son mari, sous la protection de la loi française qui lui est plus favorable que la loi traditionnelle. En somme, l’un souhaite adopter la loi française pour son profit personnel quand l’autre veut se protéger en bénéficiant des règles de vie françaises, ce que montre d’ailleurs strictement le caricaturiste en pensant faire sourire. C’est, dans les deux cas, se retrouver en dehors des normes requises de strict respect de la législation pour elle-même, c’est montrer qu’on veut se servir de la loi plus qu’on ne se met à son service, ce qui est contraire à « l’esprit français » où c’est le citoyen qui se met au service de la loi qui par ailleurs le protège et le guide.
24Le deuxième dessinateur, Salomon Assus était un illustrateur très connu en Algérie et producteur d’images publiées dans des organes de presse tels que Le Turco ou Le Charivari oranais et algérien avant d’être reproduites en cartes postales. Les deux périodiques qui le publiaient ne relevant plus uniquement de l’humour mais de l’injure et des violences antijuives, le caricaturiste cessa d’y publier ses œuvres en 1898. Connaissant bien son ami et ancien collaborateur au Turco, Ernest Mallebay renonça à lui transmettre une demande pressante et répétée de Drumont qui proposait de publier ses caricatures, même non signées, sachant qu’il refuserait de collaborer avec le plus notoire des antisémites français. Toutefois, les caricatures d’Assus présentaient parfois à nos yeux une certaine ambiguïté. Dans l’une d’entre elles, Assus fait couper le nez d’un rang entier de Juifs par un immense rasoir tenu par un haut fonctionnaire qui révise les listes électorales (fig. 9), ce qui pose question, si l’on considère l’imaginaire qui pèse sur le nez des Juifs et surtout si l’on pense à l’exclusion de la citoyenneté que la caricature symbolise. Et que dire quand Assus signe en couverture du recueil Cagayous antijuif (1894) un dessin représentant ce même Cagayous (fig. 8), avant de le dessiner à nouveau en 1903, après la grande vague antijuive, dans une carte postale montrant l’accueil fait par les diverses populations d’Algérie au président Loubet descendu du bateau qui l’amenait de France ? Il faut bien admettre que ces représentations d’un personnage connu pour son antisémitisme virulent donnent une certaine légitimité et représentativité à l’antisémitisme local.
Du discours à l’action
Un fragment de discours dogmatique
25L’idée du complot juif contre la République ou contre les individus est constamment présente dans les journaux antijuifs37 où le discours idéologisé se développe, comme le discours d’opinion, autour du mythe des Juifs responsables de tous les méfaits, y compris les guerres et les révolutions. Un des thèmes les plus porteurs de ce discours concerne les liens des « bons Français » à la République, à la nation et à la patrie puisque ces valeurs de l’identité nationale sont l’objet d’un véritable culte en Algérie. Ceci d’abord par attachement sentimental et ensuite parce que la proximité morale, sociale et politique avec la métropole est ressentie comme primordiale, non seulement pour des raisons de patriotisme exacerbé hors de métropole mais aussi, revenons sur ce point, par prudence et par intérêt. Et, puisqu’on croit savoir que les Juifs bafouent l’hospitalité qui leur est accordée, défendre la « cause française » devient synonyme d’antisémitisme. « Qil malhor ! L’Algérie y sera plus not’Palistine » (fig. 10) s’écrient cinq minuscules Juifs et Juives vêtus traditionnellement et que disperse le fouet d’un Édouard Drumont éradicateur. L’observateur saisit que les Juifs, lâches prédateurs étrangers et archaïques, se conduisent en Algérie comme en pays conquis alors même qu’ils ne prennent justement pas rang parmi les conquérants du sol algérien, ce qui justifie une sévère action purificatrice.
26À la fin du xixe siècle, l’affaire Dreyfus arrive à point nommé de métropole pour légitimer l’idée du Juif traître par essence, dans une Algérie secouée par la première crise antijuive. L’Affaire joue un rôle de catalyseur et d’amplificateur de l’antisémitisme métropolitain dans un pays qui le pratique depuis longtemps et les caricatures d’époque représentent les Juifs en traîtres à la nation qui les a émancipés, déchirant le drapeau tricolore, brisant sa hampe ou plantant un couteau dans le dos de la République qui vacille (fig. 11). On voit aussi l’ensemble des Juifs soutenir le « traître Dreyfus » tandis que les articles de journaux antijuifs reprennent en permanence le thème du complot juif antinational et universel dont le stéréotype occupe également la presse en métropole. En 1936, le Juif, comploteur-né, devient à la place d’Eugène Deloncle38, cofondateur de La Cagoule, « le vrai cagoulard39 », marchant courbé dans l’ombre sur la pointe des pieds et qu’on reconnaît sous sa cagoule noire à son nez courbé. Il anime le complot judéo-maçonnique, il est l’artisan du judéo-bolchevisme, fait le malheur de l’Espagne en compagnie de Staline et domine avec lui un monde politique asservi. « Retournez le bolchevik » dit-on et, comme dans un jeu d’enfant, vous trouverez le Juif, qui reste ainsi partout et souterrainement, le maître du jeu (fig. 12).
Une action directe
27Puisque les Juifs ne changent pas et ne changeront jamais, dit-on, il revient à ceux qui ne sont pas Juifs de prendre conscience de la situation, de s’unir et d’agir contre eux. Ce qui nécessite l’union de tous les antijuifs et la multiplication des actions punitives. La prise de conscience que chacun et chacune doit accomplir en permanence pour devenir et rester antijuif fournit l’occasion de passer en revue les thèmes les plus populaires de l’antisémitisme. Comme dans les écrits antijuifs, le Juif prédateur est souvent bestialisé, dessiné comme un pou, un coléoptère dévorant les fourmis « françaises » ou encore comme une araignée (fig. 13 et 14) enserrant le monde entre ses pattes. Mais il peut aussi, dans une caricature de 1936, être ce ploutocrate qui traie contre son gré une France « vache à lait40 », tandis que d’autres Juifs honorent à genoux le Veau d’or, destinataire final de l’opération. La morale est donnée par la légende : « Quand donc, ô vache à lait, lasse d’entretenir le veau d’or à son apogée, sauras-tu pour les juifs qui veulent te tarir, être enfin la vache enragée ? »
28La caricature ne va guère au xixe siècle jusqu’à représenter des Indigènes levant le poing contre des Juifs, cela aurait été ressenti comme un mauvais présage et une incitation au passage à l’acte, certes contre les Juifs mais surtout ensuite, craignait-on, contre les Français et les Européens. Raison pour laquelle les Musulmans servent alors principalement de fond de décor, à moins qu’on ne dénonce leurs diverses exactions et leur désir de repousser les Français à la mer. Dans l’entre-deux-guerres, on cherche davantage à les attirer vers l’antisémitisme en les montrant hostiles aux Juifs (fig. 16) ou victimes potentielles des Juifs. Ils apparaissent en tant qu’acteurs dans des rôles plus variés, comme enfant ou comme adulte parfois associé aux « Français » contre les Juifs et les piétinant, eux, leurs sacs d’or et leurs coffres forts sur fond de drapeau tricolore et de croissant musulman (fig. 15). La dénonciation du complot juif est destinée à les convaincre de lutter contre un « péril juif » d’extrême gauche protéiforme qui les menacerait aussi puisqu’on leur promet mort et désolation si les Juifs parvenaient à « bolcheviser l’Afrique du Nord » : « Camarades musulmans, est-ce cela que vous voulez ? » (fig. 16 bis) lit-on sur une caricature de 1937 représentant un Juif en costume militaire armé d’un revolver et d’une torche enflammée, le sol est jonché de morts musulmans tandis qu’un douar brûle dans le fond de l’image. Cette caricature cherche à promouvoir l’unité entre tous les non-juifs contre les Juifs, les Francs-maçons, les bolcheviques auxquels les Juifs sont toujours associés. Les Musulmans, que l’on craint du fait de leur masse et de leur hostilité présumée, sont appelés ici à la rescousse car leur participation donnerait à la lutte antijuive une ampleur concrète et symbolique considérable. Quant aux femmes musulmanes, que ce soit au xixe ou au xxe siècle, elle n’apparaissent pas dans les caricatures en tant qu’actrices et à peine comme fond de décor, car la question des femmes est la plus sensible et la plus difficile à traiter en raison des réactions à craindre de la masse des Indigènes.
29Par le biais de l’image et du texte, les journaux servent de relais entre les diverses personnalités antijuives qui donnent des directives, et l’opinion qui doit agir. Par le choix de thèmes porteurs, les ardeurs sont ravivées chez les militants et sympathisants, et les actions antisémites légitimées. « Remettre les juifs à leur place » passe cependant par deux démarches difficiles à obtenir en fin de compte du public antijuif : le vote en faveur du candidat antijuif et le soutien financier41. Une manière de faire agir la population est d’en appeler au souvenir de la Révolution de 1789, toujours vif dans les esprits. Pendant la crise des années 1895-1902, ces rappels prennent, dans les écrits, la forme de demandes de réunion d’États généraux pour régler la question algérienne, d’appels à la révolution, de déclarations de Drumont pour qui l’antisémitisme est aussi important que la Révolution de 1789. En finir avec les Juifs peut prendre la forme d’une nouvelle prise de la Bastille, comme ce fut le cas en 1898 où Le Petit Africain avait montré pour le 14 juillet les antijuifs montant à l’assaut de la Bastille juive occupée par Simon Kanoui, le grand rabbin Netter et une grande quantité de Juifs affairés à se défendre (fig. 17). Réutilisée en 1936 sur un mode beaucoup plus ordurier, la Bastille juive est devenue dans La Libre Parole d’Alger (fig. 23) un simple coffre-fort surmonté du drapeau rouge et de l’étoile de David, où se sont réfugiés quelques petits Juifs simiesques et favorables selon la légende au communisme. Cette fois, c’est la population dans toutes ses composantes, hommes et femmes de toutes origines et toutes classes sociales, qui se dresse contre les Juifs. « La révolution est à refaire » dit la légende : « Français, refaisons-là ensemble. Tous unis, montons à l’assaut de la nouvelle Bastille. Celle de la féodalité financière juive inspiratrice et commanditaire du communisme42 ».
30Enfin, si, au milieu du xixe siècle, le Juif est encore souvent considéré comme une sorte d’étranger de l’intérieur, peut-être régénérable après un très long temps, au xxe la thématique des Juifs définitivement étrangers et dangereux43 est désormais acquise44. Cette idée du Juif indigène étranger en Algérie, son propre pays depuis des siècles, supposait que les Français se soient implantés durablement sur place et se pensent réellement, en plus de le dire, les vrais propriétaires du pays. Et puisque le Juif était un étranger, les caricatures le montrent expulsable sous la forme d’un ballon rond rejeté de la planète par la jambe d’un footballeur à l’occasion du 11 novembre (fig. 18). On retrouve la même volonté dans les slogans indéfiniment repris : « À la porte les juifs ! », « chassons de notre pays cette bande de youdis ». Les antijuifs pensent qu’il est prudent d’exclure les Juifs afin de se retrouver entre soi, à l’abri de leur influence, de telle sorte que le corps sain national ne soit pas contaminé par le corps nocif étranger. Si bien que, dans les années 1930, la politique antisémite du nazisme allemand qui veut éliminer les Juifs fait l’envie des antijuifs d’Algérie et donne l’occasion de plusieurs caricatures cruelles, montrant l’armée allemande procédant à l’exclusion de Juifs45.
Représenter les hommes et les femmes
31Dans les caricatures antijuives, le visible (vêtements, comportements sociaux et politiques) permet de déceler ce qui est sous-jacent (archaïsme, obscurantisme, absence de républicanisme…). Ces stéréotypes se mettent en place en Algérie et en métropole à la fin du xixe siècle, à une époque où le racisme doctrinal s’installe dans la culture européenne et place « l’homme blanc » au-dessus des autres, et notamment au-dessus des différents peuples colonisés46. Le travail idéologique se remarque dès le temps des premières vignettes, quand les figures du « Juif » et de la « Juive » mais aussi du « Français » et de la « Française » se matérialisent, se simplifient, se standardisent. Au fil du temps se crée, comme dans les écrits, un référentiel culturel composant un système où circule la pensée antijuive et où chaque élément répond aux autres, les complète et s’alimente auprès d’eux47. Leur élaboration suit un processus complexe qui tient compte de l’époque, de l’idéologie et de l’imaginaire du lectorat.
Des êtres repoussants
32Représenter des Juifs, hommes, femmes et enfants avec des traits repoussants est une invitation indirecte à les mettre à l’écart, ce que justifie leur comportement qui suit toujours la même mauvaise pente, et ce sont les mêmes vices qui sont sans cesse stigmatisés, la même condamnation d’ensemble qui s’adapte aux évolutions de la société. Jour après jour le lecteur retrouve ainsi dans son journal ou dans ses livres une atmosphère connue de lui, légitimée par la répétition des stéréotypes qui réactivent et réactualisent son antisémitisme.
33Au xixe siècle, les représentations tiennent peu compte des degrés de francisation des Juifs selon les âges, les éducations, les milieux sociaux, les métiers professés et, dès les années 1870, le dessin charge les portraits selon une vulgate largement répandue sur place et en Europe. Physiquement, les Juifs sont contrefaits : hommes et femmes ont des traits grossiers et charbonneux, un nez proéminent et crochu, de larges oreilles décollées ; le corps est gras et mou ou décharné et flasque chez les femmes, les jambes sont arquées et les pieds en dedans chez les hommes. Professionnellement, les Juifs sont petits boutiquiers, colporteurs, mendiants, rarement ploutocrates et vêtus alors d’une queue de pie et coiffés d’un haut de forme. Ils sont d’abord systématiquement vêtus à l’indigène (fig. 19) : sarouel48, turban, lévite49 ou boléro, babouches ou chaussures montantes. De leur côté, les femmes sont mal fagotées : leurs longues robes informes, échancrées, laissent voir des membres disgracieux ; elles se chaussent de babouches, de vilaines bottes ou vont pieds-nus, portent de nombreux bijoux « indigènes » et sont coiffées d’un voile, d’un turban ou de la coiffure conique traditionnelle. Elles adoptent progressivement de vilaines robes qui se rapprochent vaguement mais toujours mal des modèles européens.
34Après la Première Guerre mondiale et du fait de leur européanisation en marche, un certain nombre de remarques qui pouvaient être faites aux Juifs concernant leur langage, leurs vêtements, voire leur comportement d’anciens dhimmis, ne sont plus d’actualité. Suivant l’évolution générale de la société, le nombre des pauvres diminue, les classes moyennes prennent de l’ampleur. Mais la critique s’adapte à ces transformations, les stéréotypes se maintiennent, les caricaturistes actualisent leurs reproches pour mieux correspondre à la société du présent et montrer que, sous des traits européanisés, perdure le juif étranger dans les comportements et le langage, qui est meilleur mais encore affligé d’un accent et d’un jargon caractéristiques. Au plan professionnel, les hommes sont commerçants, financiers ou industriels, et portent dans ce cas chapeau melon et habit bourgeois. Les femmes sont montrées chez elles ou bien dans la rue à l’occasion d’activités diverses critiquables et les enfants reproduisent toujours à leur échelle les vices des parents et l’inadaptation à la société française. Désormais, les vêtements sont modernes mais souvent obscènes pour les femmes, tire-bouchonnés et portés vulgairement pour les hommes. Le costume des plus jeunes, garçons et filles, s’est européanisé aussi mais toujours de façon décalée, confirmant l’inadaptation de la « race juive » à la modernité et aux codes européens. Les traits physiques sont encore déformés mais de façon plus discrète et laissent voir les tares morales des personnes mises en scène car le regard louche ou le sourire en coin peut laisser transpercer l’ironie.
35Ce fond de symboles exprime en miroir les notions d’identité défendues par les antijuifs. À l’inverse des Juifs, les hommes, les femmes et les enfants « français » sont représentés comme se conformant au code européen, les femmes sont belles, les enfants propres, les hommes virils, tout le monde s’habille convenablement. Leur langage est correct, parfois un peu populaire, pour montrer que les antijuifs se rencontrent bien dans l’ensemble de la population. Ce sont des gens ordinaires, dignes et naturels qui montrent que l’être français est opposé à l’être juif. Le monde européen, individus et corps social, peut donc s’identifier positivement à sa représentation.
Des défauts spécifiques
36Jusqu’à la Première Guerre mondiale, la religion reste peu abordée dans les illustrations, non seulement du fait de l’indifférence religieuse ambiante mais parce qu’il est essentiel de démontrer que la lutte antijuive n’est pas une lutte religieuse mais une lutte politique et sociale, voire raciale contre une catégorie de la population totalement condamnable en elle-même. Les dessins illustrent un fait réel ou une intrigue fictive qui se produit dans l’espace public ou domestique et qui sont construits sur un stéréotype. Ils présentent le rôle et la place de chaque sexe et de chaque âge ainsi que leur évolution dans le temps long et, si les hommes réunissent le plus de tares supposées juives, les femmes50 et les enfants confirment et enrichissent le modèle stigmatisant à leur manière.
37Dans la famille juive, le père domine, le fils l’accompagne et lui obéit, les femmes sont soumises, la solidarité familiale reste totale, même lorsque le père est déconsidéré socialement ou politiquement. Les garçons sont soumis à un être juif qui les conduit à reproduire très tôt les vices des adultes : amour de l’argent, antipatriotisme, tripotages financiers. Les petites filles et les très jeunes filles portent les mêmes défauts physiques et le même esprit de clan que le reste de la famille.
38Deux caricatures expriment parfaitement l’appât du gain en milieu juif. L’entrée d’Isaac dans le monde, (fig. 20) parue en 1898 nous montre la précocité et l’âpreté des garçons juifs dans la recherche des biens de ce monde : dans un intérieur dénudé ou chacun est habillé traditionnellement, une parturiente étique, vient d’accoucher sur un grabat de misère. Juste sorti du ventre de sa mère, le nouveau-né traverse l’espace pour se saisir d’une montre à chaîne que tient son père, qui compte ainsi conduire l’enfant jusqu’au linge que tient la sage-femme pour l’envelopper. Par son aptitude dès la naissance à désirer les objets de valeur, il suscite l’admiration de la mère et des femmes qui assistent à la scène ainsi que le sourire entendu de son géniteur. Cette critique existait déjà dans La juiverie algérienne de Fernand Grégoire qui rapporte un propos d’une victime de « race française » des Juifs, selon lequel « dans les accouchements laborieux le tintement d’une pièce d’argent près de la patiente suffisait pour faire apparaître le moutard juif les mains tendues et que, à toutes les époques, le tintement d‘une pièce d’or provoquait une fausse couche immédiate51. » De même, une carte postale du caricaturiste Chagny52 (fig. 21) du début du xxe siècle montre un père et un fils partageant le même appétit pour le gain. Celui-ci conduit le père à exiger de son fils, qui gagne de l’argent en jouant avec de jeunes indigènes peu recommandables à ses yeux, qu’il continue à jouer et à « gagner » sous peine de sanctions53.
39Les caricatures peuvent mettre l’accent sur le fait que les Juifs, exclusivement centrés sur eux-mêmes, se soutiennent réciproquement ; étant d’une entière malhonnêteté, ils trompent les non juifs sans remords et se trompent même entre eux si nécessaire. Car ce qui leur importe est de réussir une transaction, une alliance matrimoniale ou une affaire commerciale avantageuses. Parmi les vices les plus dénoncés, se rencontrent la duplicité et le mensonge. Chaque Juif et chaque Juive peuvent suggérer ou dire une chose et en faire ou en vouloir une autre, le discours contredisant à l’occasion la pensée profonde. C’est par exemple le cas de femmes54 qui supplient à genoux en 1898 des hommes politiques d’instaurer un long service militaire de trois ans, quand tout le monde en Algérie croit savoir que les Juifs sont lâches, incapables de tenir un fusil et définitivement hostiles au service militaire. Pour l’observateur, la manœuvre de ces femmes accompagnées de leurs petits enfants est grossière et contredite par l’attitude insolente et méprisante des hommes qui se tiennent debout à côté d’elles et dont elles sont les porte-parole. D’ailleurs, les hommes politiques assis derrière la table ne sont pas dupes.
Le vice généralisé
40Au xxe siècle, les Juifs et les Juives conservent les défauts majeurs qui les caractérisaient autrefois. Un dessin de 1937 présente une mère et sa fille recevant un prétendant au mariage en l’absence inexpliquée du père. Bien qu’habillées à l’européenne, les deux femmes sont encore sous l’influence de la tradition : les portraits des grands-parents vêtus et coiffés traditionnellement ornent le mur, les nombreux bracelets sont de facture indigène, la mère utilise un français approximatif qui lui fait demander à sa fille assise au piano, « Rebecca, tôche le morceau à Monsieur » (fig. 22) Cette mère paraît très vulgaire en dépit de son face-à-main, sa robe laisse apercevoir ses jambes et son fessier à travers un tissu plus que léger tandis que la fille semble avide et même carnassière, si l’on se réfère à son attitude, à son sourire et à ses yeux effilés. Enfin, la critique politique est elle aussi présente puisque cette jeune fille porte une robe constellée de faucilles et marteaux qui rappellent le reproche fait aux Juifs d’être proches de l’extrême gauche de l’échiquier politique. Entre elles, le futur fiancé, qui est à peu près de la même taille, respire lui aussi la vulgarité et même la malhonnêteté. Il est mal fagoté dans son habit de cérémonie, se tient peu élégamment – sa main gauche est plongée dans la poche de son pantalon, il fume un cigare devant les dames – ; il ouvre un large sourire de convenance mais ses yeux sont dans le vague, il est comme absent de la scène. Cet homme semble bien peu recommandable, ce que confirment ses chaussures noires et blanches, identiques à celles portées à l’époque par les malfrats. On ne ressent aucunement la joie, la fraîcheur, l’amour et l’émotion qui devraient présider à une telle scène. Au contraire, on comprend que ces trois-là jouent un rôle, celui du bon goût et de la francisation, mais qu’il ne peuvent cacher leur être profond. En somme, la francisation a mal fonctionné, les trois personnages restent éloignés des valeurs françaises et demeurent foncièrement des êtres à rejeter55.
41Les images ne sont pas les seules à s’exprimer sur ces situations, les écrits montrent aussi le manque d’honnêteté des mères et des filles, avec des mots crus et précis, qui font qu’une mère peut en venir à conseiller sa fille pour qu’elle puisse prouver une virginité usurpée le soir de ses noces, avant de se moquer de son mari le reste de sa vie. Ainsi, le vice est non seulement transgénérationnel mais aussi transgenre puisque les femmes ne valent pas mieux que les hommes ; on est bien ici face à des gens qui font semblant d’être ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire des « Français » et des « Françaises » convenables, des personnes loyales sur qui l’on peut compter sans réserve. La volonté est de faire sentir à quel point ce milieu est dangereux, y compris pour les Juifs entre eux puisqu’ici tout le monde trompe tout le monde.
42Les reproches évoluent avec le temps ; au xixe siècle, on déplore chez les Juifs leur aspect « indigène », leur moralité douteuse et leur piètre attachement à la République. Entre les deux guerres, les Juifs conservent, en dépit de leur francisation apparente, leur totale stigmatisation, leur grotesque haïssable, ce qui révèle la plasticité et la réversibilité du discours. Ce qui était exigé dans un premier temps pour faire du Juif un Français – s’habiller comme un Français, apprendre la culture, les mœurs et la langue françaises – sert dans un second temps à en refaire un Juif : malgré sa francisation que dénotent ses vêtements, son intérieur, il conserve sa vulgarité, son accent, il est seulement grimé en Français, ses défauts (absence de morale, souci de ses seuls intérêts, manque de patriotisme) restent les mêmes.
Genre, antiféminisme, misogynie
43La masculinité et la virilité, qui sont particulièrement mises en valeur dans le contexte colonial56, jouent un rôle important dans les caricatures et s’accompagnent de misogynie. Avant 1914, images et textes confortent l’ordre social et la hiérarchie traditionnelle des sexes57. Les hommes sont acteurs et représentés dans des scènes variées, les femmes interviennent dans quatre fois moins de vignettes et principalement au cours de mises en scène symboliques éloignées de l’événement et qui touchent peu les femmes réelles. Physiquement, elles sont moins individualisées, moins diversifiées que les hommes et dessinées le plus souvent à la maison dans leur rôle d’épouses, de mères et de filles ou encore dans le cadre d’une intrigue métaphorique. Elles symbolisent une tare juive, sont dans l’ombre des hommes qu’elles aident et admirent dans l’exercice de leurs vices et qui peuvent les manipuler et les envoyer agir à leur place ; elles-mêmes les instrumentalisent à l’occasion. À l’opposé du stéréotype de féminité juive, le stéréotype de féminité française respecte au xixe la hiérarchie sexuelle et l’ordre moral. Les femmes « françaises » font l’harmonie du foyer, elles sont sincèrement amoureuses, bonnes épouses et bonnes mères.
44Les textes d’auteurs éclairent et complètent le message des caricatures. Il arrive parfois que les écrivains58 antijuifs complimentent les femmes juives mais leurs marques d’amabilité sont toujours à double entrée : d’une part ils les félicitent pour leur charme et leur beauté juvéniles, leur intelligence qui n’a rien à voir avec « l’entêtement haineux du cerveau de l’homme59 » et ils dénoncent la situation qui leur est faite dans la société et la religion juives60. Mais, d’autre part, ils les condamnent pour leur comportement et leurs défauts. En 1886, Drumont plaint ainsi les Juives soumises à la tutelle et à l’arbitraire des hommes mais dénonce leur vénalité et immoralité ainsi que leur incapacité en tant que femmes à éprouver des émotions sincères ou à suivre un idéal comme le font les chrétiennes, que par ailleurs il juge incontrôlables quand elles sortent du giron de l’Église61. Ces éléments sont repris dans les caricatures, où certains personnages correspondent à des femmes réelles, d’autres sont de simples allégories représentant l’avidité, la tromperie, l’avarice et la place des femmes dans la société. Les hommes sont les seuls acteurs ; entourés le plus souvent de femmes qui les secondent, ils gardent, les armes à la main, un Max Régis62 enchaîné, portent la lanterne et le drapeau allemand en signe de ralliement à Dreyfus, tandis que d’autres collent une affiche d’injures à la France et de glorification des Juifs. Ils dominent le monde, asservissent les élites « françaises » montrées à leur botte.
45Dans l’entre-deux-guerres, les femmes juives mises en caricatures ont acquis de la présence et de l’individualité, elles ne sont plus aussi soumises qu’autrefois à la domination masculine et les hommes leur laissent même parfois l’initiative ; elles-mêmes peuvent prendre la parole pour soutenir un « escroc » juif ou suivre Léon Blum sans se poser de questions et sans en être empêchées. Les femmes françaises entrent de leur côté dans le monde du travail et du militantisme, disposent de tous les attributs d’une féminité recommandable : beauté, professionnalité, fermeté de caractère, patriotisme. Ces femmes actives possèdent des traits charmants et sont actrices de leur propre vie : elles travaillent hors de la maison par exemple en tant qu’infirmière63 et peuvent manifester énergiquement en compagnie de nombreux hommes contre la Bastille juive en levant leur balai et en criant contre les Juifs assiégés sur leur coffre-fort (fig. 23).
46Textes et images insistent sur la différence des sexes, sur les rôles sociaux et les modèles reconnus et imposés aux uns et aux autres. De ce fait, les caricatures antijuives participent à la discrimination qui touche politiquement et socialement les femmes dans la société de l’époque. Les figures du Juif et de la Juive, bien individualisées, participent à la définition d’une altérité masculine et féminine condamnée par les antijuifs. On dénonce, en prenant des exemples parmi les femmes réelles, le rapport des Juives à l’argent et à l’escroquerie, à la luxure et à la prostitution64 et on souligne l’ambivalence constante de leurs propos et de leurs comportements. En ceci, les Juives ne se différencient pas des Juifs qui manifestent les mêmes défauts avec des nuances masculines qui nous ramènent aux stéréotypes habituels. Parallèlement, une « Française » qui « reste à sa place » et dans son rôle traditionnel peut être intégrée dans le combat antijuif à une place honorifique ou subalterne mais elle est critiquée dans les textes et les images quand elle sort des chemins de traverse qui lui sont réservés par l’ordre patriarcal. Au tournant du xxe siècle, plusieurs caricatures ridiculisent et injurient une « Française » accusée de « porter l’écharpe » à la place du maire de Blida, Alexandre Mauguin65 (1838-1916) (fig. 24). Sur l’une d’entre elles, l’homme politique, déjà âgé, occupe le bas de l’image, affichant une face naïve et insensible à la situation. Derrière lui, la jeune femme qui est considérée comme étant au centre de sa vie privée porte l’écharpe. Sa face de biais concentrée vers le bas, son rictus de satisfaction, ses yeux cernés, indiquent ses mauvaises intentions. En haut de la caricature, dans le noir, une tête de Juif enturbanné regarde de ses yeux, également cernés, dans la même direction que la femme, ce qui suggère qu’il exerce ou pourrait exercer sur elle une influence. L’illustrateur indique ainsi l’illégitimité de cette femme qui endosse par procuration un rôle politique auquel elle n’a pas droit et qui, en tant que femme, risque d’être soumise, comme le maire par contrecoup, à une influence catastrophique pour la société, celle du Juif. Sortant des normes sexuées largement favorables aux hommes, cette femme, susceptible d’être soumise aux Juifs, est considérée comme étant nocive pour la politique, la société et l’ordre masculin.
Masculin, féminin et antisémitisme dans les symboles nationaux
47Le drapeau tricolore est le seul emblème national français mais comme symbole républicain, il voisine avec la Marseillaise, le coq gaulois, la devise républicaine, Marianne… Tous ces symboles prennent place dans l’imaginaire des Français en Algérie, et, parmi les symboles républicains, le drapeau et Marianne, souvent utilisés dans les caricatures antijuives, se prêtent particulièrement bien à une observation sous l’angle du masculin-féminin, qui révèle l’ordre politique et social sous-jacent.
Les trois couleurs dans les caricatures
48En métropole et en Algérie, les trois couleurs deviennent, sous le régime républicain, le drapeau de tous les Français, celui qui symbolise les victoires de la Révolution et de la liberté, les conquêtes coloniales, le patriotisme. Il fait partie de la vie quotidienne, se déploie au-dessus de l’entrée des bâtiments publics et c’est en passant sous lui qu’on se rend dans les cours d’école ou à la mairie pour aller voter. L’école apprend aux jeunes garçons à aimer leur fusil pour défendre le drapeau et le sol national66 et c’est à l’armée que le service du drapeau prend tout son sens. En somme, selon les mots de l’historien Raoul Girardet, « la patrie vit dans cet emblème67 », qui est au-dessus des pouvoirs et des institutions. En bref, il est un objet sacré dans les plis duquel meurt le soldat et qu’on vénère avec émotion, sans même prononcer son nom sacré.
49L’imaginaire politique antisémite instrumentalise cette symbolique républicaine des trois couleurs très cultivée en Algérie et fait du drapeau un symbole national viril par excellence, qui ne trahit pas, mais fait face et accompagne les victoires comme les défaites et légitime les actions des protagonistes. Cela se traduit dans les caricatures par un traitement des trois couleurs entièrement positif et respectueux. Le drapeau apparaît en signe de victoire républicaine, derrière Édouard Drumont et Charles Marchal, après les élections législatives de 1898 qui ont vu « leur victoire au plus fort de la mobilisation antijuive à Alger68 ». Plus tard, dans une caricature de l’entre-deux-guerres, il préside aux alliances souhaitées entre « bons français », « bons naturalisés » et « bons arabes » c’est-à-dire opposés à la « République judéo-bolchevique ». Cette alliance peut même se sceller par un serment de tous prêté à main levée (fig. 25).
50Les Juifs, considérés comme non patriotes, profanent jusqu’aux symboles patriotiques les plus chers et les plus vénérés comme on l’a vu pendant l’affaire Dreyfus, avec la caricature où les Juifs détruisent et souillent un drapeau sur lequel sont inscrites les victoires de l’Empire69. En 1936, une vignette met en scène le ministre de l’Éducation nationale du Front populaire, Jean Zay à une époque où les caricatures le concernant sont particulièrement violentes, rappelant l’affaire d’un texte pacifiste malencontreux qu’il avait écrit en 1924 à l’âge de 19 ans à l’université au cours d’un simple jeu littéraire dans lequel il traitait le drapeau de torche-cul. Ce texte d’ordre privé refit surface pendant les années 1936 alors que le drapeau tenait toujours une place privilégiée dans l’imaginaire politique français et que les attaques contre lui étaient jugées inacceptables, car insulter le drapeau, symbole de la patrie, c’était la trahir. Dans la caricature qui utilise cet épisode, le ministre est assis sur le pot et la légende vante le « Torche-Zay » qui n’est autre que le drapeau national. Une seconde caricature du même journal (fig. 26) le représente accroupi par terre pour se soulager en compagnie d’un Juif, qui pense n’avoir plus le temps de passer à la fontaine et demande à essuyer ses doigts sales sur le drapeau français tenu par le ministre.
Marianne
51Marianne, qui rassemble en elle la Nation et la République est, de son côté, une allégorie féminine et, comme telle, montrée faible et faillible dans les représentations antijuives, ce qui la place loin du discours univoque des trois couleurs. Son personnage joue sur les stéréotypes de la féminité et va du républicanisme le plus accompli à la trahison la plus vile quand elle se rallie aux Juifs. Au moment de l’affaire Dreyfus, elle est dessinée comme une bonne républicaine et une « vraie française », attaquée pour cela par les Juifs (fig. 11). C’est alors une femme noble et belle, palme du martyre et drapeau tricolore à la main ; hors de tout reproche, elle est blessée dans le dos par un Juif ploutocrate et chancelle avec douleur et dignité. Ailleurs, rendue exsangue par la crise politique de la fin du xixe siècle et entourée de Juifs qui dansent tout autour d’elle, elle agonise dans son fauteuil sous la surveillance d’un homme politique « enjuivé » qui lui prend le pouls. Dans l’entre-deux- guerres, le stéréotype féminin joue a contrario lorsque Marianne est représentée dans Le Cri d’Alger (1931) en grosse bonne femme placide venant, en compagnie de sa fille, l’Algérie, qui a le même aspect physique, questionner Viollette sur l’avenir de l’Algérie70, ce qui fait allusion au livre récemment publié par l’ancien gouverneur général : L’Algérie vivra-t-elle71 ? Dessinée sans grâce et sans finesse, Marianne est une ménagère déjà âgée, donc sans charme et sans attraits, qui semble sans envergure mais bonne mère. La critique est mitigée car le périodique n’a pas encore totalement versé dans l’antisémitisme.
52Le stéréotype de la séduction d’une femme par un amoureux se présente la même année dans ce journal. Jeune et jolie, élancée, avec un gentil sourire, les mains appuyées sur le bouclier républicain, Marianne écoute avec plaisir la cour que lui fait un homme politique qui se tient à genoux devant elle72. Ce sont « Les caprices de Marianne ». Mais cette charmante coquette peut devenir femme légère, quand elle donne le bras à Marcel Cachin et à Léon Blum en 193673 dans les pages de La Libre Parole d’Alger (fig. 27). Son mouvement du corps vers Blum, son sourire, ses yeux cernés en font une jeune femme peu vertueuse et sans morale politique, qui se laisse emmener en goguette par deux ouvriers de la gauche extrême, dont un Juif qui a ses faveurs. Sur le bonnet phrygien, l’étoile de David enserre la cocarde tricolore et, sur sa poitrine, Marianne arbore l’insigne socialiste. Séduite comme une femme plus que facile, elle est en train d’abandonner l’idée républicaine pour une politique détestée et placée sous le signe honni du judaïsme, on doit donc s’en méfier. Un pas de plus et, devenue illégitime, elle devra être rejetée et combattue. Et c’est ce qui arrive quand Marianne est totalement « enjuivée », c’est-à-dire accusée de suivre une politique dirigée par les Juifs, elle n’est plus qu’une banale caricature antijuive : traits grossiers et charbonneux, nez crochu, bouffie, goitreuse, empotée, sans âge, portant une robe de mauvais goût avec, en guise de bonnet phrygien, la coiffure conique traditionnelle des Juives74. Elle fait alors le désespoir de ceux qui pensent au sacrifice des poilus (fig. 28). Dans le même accoutrement et avec le même physique, elle devient l’instrument docile des Juifs lorsqu’elle accompagne, en queue de cortège, l’entrée de Blum, dit « Youpin Ier », à l’Assemblée nationale (fig. 29). Les yeux baissés, les mains sur le ventre, elle a perdu toute grandeur, toute dignité et toute volonté propres. Trois Juifs, un ploutocrate, un rabbin, un mauvais garçon, la précèdent. Marianne est ici soumise aux Juifs de tout acabit qu’elle suit avec passivité. À l’issue de la transformation, Blum est lui-même devenu une Marianne-Semeuse75 qui jette à la volée un grand nombre d’étoiles de David, de faucilles et marteaux, de flèches socialistes. Toutefois, Marianne peut en dernier ressort se rebeller dans le cadre domestique et utiliser les armes qui sont les siennes contre l’influence juive à une époque où le Front populaire est en difficulté. Elle est alors une petite ménagère boulotte, avec chignon rond et savates aux pieds qui s’écrie « Ah non ! tu exagères » et envoie ses ustensiles de cuisine à la tête de Blum, son mari juif et Franc-maçon qui s’enfuit sous l’orage (fig. 30).
53Ainsi décrits et instrumentalisés dans les caricatures, le drapeau et Marianne sont emblématiques non seulement de la culture antijuive en Algérie mais aussi, plus largement, des traditionnels déséquilibres des rapports sociaux entre les hommes et les femmes et des stéréotypes antiféminins que les antijuifs, comme l’ensemble de la société, entérinent. Au drapeau vont les actions nobles, courageuses, la loyauté, l’indéfectible patriotisme, même entre les mains des ennemis de la République ; il constitue un symbole totalement fiable et dont on peut être fier en toutes circonstances, raison pour laquelle les Juifs veulent le détruire. À Marianne revient un rôle de représentation d’une vie politique et d’institutions fragiles et incertaines car Marianne, être féminin, est entre les mains des hommes, elle est influençable, manipulable et condamnable quand elle se donne aux Juifs ; son domaine d’excellence reste celui de la séduction, de la maternité et du foyer. On ne peut donc lui faire politiquement entièrement confiance car elle peut trahir. Sous cet angle, la caricature participe bien à la construction et à la confirmation de l’incapacité des femmes en matière politique. En imposant des codes de l’image et de la légende, les caricatures antijuives ont contribué à fixer dans l’imaginaire européen une représentation stéréotypée des Juifs et des Juives d’Algérie et en ont fait les figures dénigrées d’une altérité totale. Elles ont imposé, réifié, dans cet imaginaire, une identité juive masculine, féminine et collective tenace, construite jour après jour. Ces images simples et convenues, très difficilement modifiables, traversent les époques et les espaces. Elles sont d’une grande utilité en période de crise quand les antijuifs veulent soulever les masses populaires et servent, par temps plus calme, de mises en garde contre le monde juif. Elles aident enfin à construire l’identité nationale en contre-modèle de l’identité juive supposée.
Notes de bas de page
1 Les illustrations qui suivent sont produites pour illustrer un contexte historique et en aucun cas on ne pourra penser que l’auteur ou l’éditeur entretiennent quelque complaisance que ce soit envers leur contenu. Ndlr.
2 Les sources de cette étude comprennent des périodiques et des cartes postales déposés pour la plupart à la Bibliothèque nationale de France, aux ANOM et au CDHA d’Aix-en-Provence. Une partie des cartes postales provient d’une collection particulière. Ce chapitre est la synthèse et le développement d’études antérieures, dont La caricature comme élément du discours antisémite euroépéen en Algérie (1860-1939), dans Marie-Anne Matard Bonucci, ANTISÉmythes, l’image des juifs entre culture et politique (1848-1939), op. cit. ; Hommes et femmes dans la caricature antijuive algérienne (1860-1939), dans Juliana Unterberger, Histoire des Juifs d’Algérie racontée par des non-juifs, Reims, acsireims éd., 2007.
3 Cf. Antoine de Baeque, La caricature, Paris, Les éditions du CNRS, 1998, vol. 1, p. 13-21. Todd Porterfield, éd., The Efflorescence of Caricature, 1759-1838, Farnham, Ashgate, 2011. Laura O Brien, The republican line : caricature and French republican identity, 1830-52, Manchester University Press, 2015.
4 Annie Duprat, Images et Histoire. Outils et méthodes d’analyse des documents iconographiques, Paris, Belin, 2007, p. 143.
5 L’article de Diderot sur la « charge » donne une bonne définition des procédés suivis par la caricature : « C’est la représentation, sur la toile ou le papier, par le moyen des couleurs, d’une personne, d’une action ou plus généralement d’un sujet, dans laquelle la vérité et la ressemblance exactes ne sont altérées que par l’excès du ridicule. L’art consiste à démêler le vice réel ou d’opinion qui était déjà dans quelque partie et à le porter par l’expression jusqu’à ce point d’exagération où l’on reconnaît encore la chose, et au-delà duquel on ne la reconnaîtrait plus ; alors la charge est la plus forte qu’il soit possible. » Diderot, article « charge » de L’Encyclopédie (1751), cité par : Techniques et procédés de la caricature - Expositions virtuellesexpositions.bnf.fr/daumier/pedago/02_4.htm
6 Au sens de modèle idéal qui définit une catégorie déterminée de personnes, d’idées ou de choses.
7 Antoine de Baeque, La caricature, op. cit.
8 Voir à ce sujet : David Prochaska, Jordana Mendelson, Postcards : Ephemeral histories of Modernity (2010) ; « R-The archive of Algeria imaginaries », History and anthropology, vol. 4, no 2, 1991/01/01, p. 373-420.
9 La Libre Parole illustrée, 17 juillet 1893.
10 D’origine suisse, Herzig s’était embarqué à l’âge de 23 ans pour l’Algérie où il avait suivi les cours de l’école des Beaux-Arts. C’était un peintre et un caricaturiste apprécié.
11 La carte postale, alors sans illustration, fit son apparition officielle le 1er octobre 1869, en Autriche, à Vienne. La France l’autorisa en 1872 et les premières illustrations apparurent en 1873, leur essor datant de 1883. Dans Aline Ripert, Claude Frère, La carte postale, son histoire, sa fonction sociale, éditions du CNRS, 1983.
12 D’Almeida Fabrice, Images et propagande, Paris, Casterman, coll. « xixe siècle », 1995.
13 Geneviève Dermenjian, « La caricature… », dans Marie-Anne Matard Bonucci, ANTISÉmythes, l’image des juifs entre culture et politique (1848-1939), op. cit., p. 395-410.
14 Pour les prolongements psychologiques et psychanalytiques de l’antisémitisme, voir Werner Bohlebe, « La construction de communautés imaginaires et l’image des juifs. Déterminants et inconscients de l’antisémitisme en Allemagne ». Disponible sur cairn.info.
15 Prochaska et Mendelson recensent 21 compagnies fabricant avant 1914 des cartes postales à Alger (il en existe alors une centaine pour la métropole dont 7 à Paris).
16 Les cartes postales ont, jusque dans les années 1920, une dimension d’environ 14 centimètres sur 9 ; après cette date, les dimensions sont un peu plus grandes : 14,8 centimètres sur 10,5 centimètres dans la plupart des cas.
17 Marie-Anne Matard-Bonucci, « L’Image, figure majeure du discours antisémite », dans Vingtième Siècle, novembre-décembre 2001, p. 27-39.
18 Marie-Anne Matard Bonucci, « L’Image, figure majeure du discours antisémite », op. cit., p. 27-39.
19 Annie Duprat, Images et Histoire, op. cit., p. 146.
20 Marie-Anne Matard Bonucci, « L’Image, figure majeure du discours antisémite », op. cit., p. 27-39.
21 Bernard Tillier, « Une grammaire de la caricature », dans La caricature et si c’était sérieux ?, Paris, nouveau monde édition, 2015, p. 31-37.
22 Annie Duprat, Images et Histoire, op. cit., p. 145.
23 Marina Allal, La caricature antisémite et la hiérarchie de genre, op. cit., passim.
24 M’sieu Abraham, caricature de Chagny, carte postale envoyée en 1908. Un juif âgé réfléchit les yeux fermés et se dit : « … je crois ji viens de trouver la bonne pétite affaire… ».
25 Cf. Christophe Régina, « L’injure-culture. L’art de médire et “d’instruire” autrui à Marseille au xviiie siècle », dans Jacques Guilhaumou, Karine Lambert et Anne Montenach, dir., Genre, Révolution, Transgression, op. cit., p. 227-238.
26 La prostituée est un « genre d’oiseau très commun à Alger », le militaire (Chasseur) un « oiseau à très beau plumage », le canotier une « espèce éteinte ».
27 « Calèche et mendiants », Supplément illustré de L’Antijuif algérien, 1900.
28 La Libre Parole d’Alger, 24 décembre 1936.
29 La Libre Parole d’Alger, 6 juin 1936.
30 La Cravache oranaise, 18 juillet 1896.
31 La Libre Parole d’Alger, 11 mai 1936.
32 Marina Allal, La caricature antisémite et la hiérarchie de genre, op. cit. ; Christina von Braun, « “Le Juif” et “la femme” : deux stéréotypes de l’“autre” dans l’antisémitisme allemand du xixe siècle », Revue germanique internationale, 1996, 5, Germanité, judéité, altérité, rgi.revues.org, Old Series - PUF II. Germanité, judaïté, sexualité ; Gisèle Sapiro, « Antisémitisme et antiféminisme dans le champ intellectuel », Regards Sociologiques, no 37-38, 2009, p. 139-147.
33 Le premier exemple de Juif représenté avec un nez crochu se trouverait sur un coffret émaillé datant des années 1170 représentant la crucifixion et conservé au musée du Louvre à Paris. Dans Sara Lipton, The Invention of the Jewish nose, disponible en ligne ; Voir aussi Sara Lipton, Dark Mirror : The Medieval Origins of Anti-Jewish Iconography, Henry Holt and Company Inc., 2014.
34 La Libre Parole d’Alger, 14 janvier 1937.
35 Une descendante d’un Juif caricaturiste ayant travaillé dans ces journaux nous a souligné la nécessité économique qui avait obligé son aïeul à travailler le plus longtemps possible dans ces organes de presse.
36 Aujourd’hui encore, sur les sites Internet d’achat de cartes postales, on peut voir à l’occasion des caricatures d’Assus présentées comme antisémites, ce qui n’était bien entendu pas la démarche du dessinateur. Ce contresens était déjà relevé en 1999 dans l’ouvrage qui lui était destiné : André Assus, Jean Pierre Badia, Salomon Assus, illustrateur humoristique de l’Algérie, Nice, éditions Jacques Gandini, 1999, note p. 7.
37 Geneviève Dermenjian, Le juif est-il français ? Antisémitisme et idée républicaine dans l’Algérie coloniale (1830-1939) dans L’identité des juifs d’Algérie, Schmuel Trigano, dir., Paris, Les éditions du Nadir, 2003, p. 47-69.
38 Eugène Deloncle (1890-1944) est le cofondateur de La Cagoule (organisation secrète d’action révolutionnaire nationale), une organisation d’extrême droite terroriste, anti-républicaine et anti-communiste, ayant perpétré des assassinats. Sous Vichy, Deloncle est collaborationniste, il est assassiné en 1944.
39 La Libre Parole d’Alger du 30 décembre 1937.
40 La Libre Parole d’Alger, 10 décembre 1936.
41 « Le sou antijuif », La Libre Parole d’Alger, 22 avril 1937.
42 La Libre Parole d’Alger, 14 juillet 1936.
43 La Libre Parole d’Alger, 24 avril 1936.
44 Geneviève Dermenjian, Le Juif est-il français ?, op. cit., p. 47-67.
45 ANOM Oran 2531, 25 juin 1936.
46 Charles-Robert Ageron, Les Algériens muaulmans et la France, op. cit., p. 11 sq.
47 Marie-Anne Matard Bonucci, L’image, figure majeure du discours antisémite, op. cit., p. 27-39.
48 Pantalon large et bouffant porté par les Algériens.
49 Longue redingote d’homme.
50 Pour les questions de genre, voir Marina Allal, La caricature antisémite et la hiérarchie de genre, p. 125-141.
51 Fernand Grégoire, La juiverie algérienne, op. cit., p. 8-9.
52 Chagny est présenté dans le Dictionnaire de la cartophilie francophone de Paul Henri Armand de 1990 comme caricaturiste éditeur à Alger, 24 rue Michelet.
53 La Libre Parole d’Alger, 6 juin 1936. Plus violent, un article de La Silhouette du 26 juillet 1896 décrit ainsi l’enfant juif : « Le petit youtre ! Ce petit monstre hideux qui a dans la tête un veau d’or ! Cette semence de voleur… cet infect bambin… […] Qu’on supprime donc pour ces petites vipères toutes les distributions de prix et toutes ces écoles où ils apprennent à nous mieux tromper ».
54 Le Nouvel antijuif algérien, 5 mars 1898.
55 Geneviève Dermenjian, Le juif est-il français ?, op. cit., p. 49-67.
56 Christelle Taraud, « Les femmes, le genre et les sexualités dans le Maghreb colonial (1830-1962) », dans Clio, Femmes, Genre, Histoire, 33, 2011, Colonisations. Alain Corbin, Jean-Jacques Courtine, Georges Vigarello, dir., Histoire de la virilité, t. 2, Le triomphe de la virilité, Le xixe siècle, Paris, Seuil, coll. « L’Univers historique », 2011. T. 3 : La virilité en crise ? xixe-xxie siècle, Paris, Seuil, 2011.
57 Marlène Coulomb-Gully, Présidente : Le grand défi Femmes, politique et médias, Paris, Payot, 2012.
58 Édouard Drumont, La France juive, op. cit., p. 20, 92. Anatole Leroy-Beaulieu, Israël chez les nations, Paris, Calmann-Lévy, p. 17.
59 Édouard Drumont, La France juive, op. cit., p. 82.
60 François Bournand, Raphaël Viau, Les Femmes d’Israël, Paris, Librairie A. Pierret, 1898, p. 8.
61 Édouard Drumont, La France juive, op. cit., p. 82.
62 Supplément illustré de L’Antijuif algérien, 9 avril 1899.
63 La Libre Parole d’Alger, 6 juin 1936.
64 « Les juives », poème, La Cravache oranaise, 29 décembre 1894.
65 Alexandre Mauguin, imprimeur de son métier, fut député de 1881 à 1885 et sénateur de 1885 à 1914.
66 Ernest Lavisse, Questions d’enseignement national, Paris, Armand Colin, 1885, « L’enseignement de l’histoire à l’école primaire », p. 209-210.
67 Raoul Girardet, Les trois couleurs, ni blanc ni rouge, op. cit., p. 7·35.
68 Supplément illustré de L’Antijuif algérien, 1898.
69 Supplément illustré de L’Antijuif algérien, 17 juillet 1898.
70 Le Cri d’Alger, 2 octobre 1931.
71 Maurice-Gabriel Viollette, L’Algérie vivra-t-elle ?, Paris, Félix Alcan, 1931.
72 Le Cri d’Alger, 24 octobre 1931.
73 La Libre Parole d’Alger, 6 juin 1936.
74 La Libre parole d’Alger, 6 juin 1936.
75 La Libre parole d’Alger, 15 octobre 1936.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les sans-culottes marseillais
Le mouvement sectionnaire du jacobinisme au fédéralisme 1791-1793
Michel Vovelle
2009
Le don et le contre-don
Usages et ambiguités d'un paradigme anthropologique aux époques médiévale et moderne
Lucien Faggion et Laure Verdon (dir.)
2010
Identités juives et chrétiennes
France méridionale XIVe-XIXe siècle
Gabriel Audisio, Régis Bertrand, Madeleine Ferrières et al. (dir.)
2003
Des hommes à l'origine de l’Europe
Biographies des membres de la Haute Autorité de la CECA
Mauve Carbonell
2008