Chapitre 7. Les accidents de la vie quotidienne
p. 103-124
Texte intégral
1L’ex-voto peint nous offre un témoignage visuel des dangers de la vie quotidienne d’autrefois. Certains de ces risques sont liés à des circonstances particulières, comme le travail, le déplacement, sur terre ou sur mer, ou encore la guerre. Mais commençons tout d’abord par examiner ceux qui relèvent du quotidien le plus courant. Parmi eux, les chutes constituent, sans conteste, le groupe le plus important, puisqu’elles représentent plus de 8 % du total des ex-voto. On les rencontre à toutes les époques, du xviie au xxe siècle. Cependant, dans les cas où la date précise de l’événement nous est connue, c’est l’été qui est la saison la plus propice à ces accidents.
Les chutes
2Il s’agit le plus souvent de chutes se produisant à l’extérieur. La plus banale est la chute d’un arbre, par perte d’équilibre lors de la cueillette de fruits, ou encore parce qu’une branche cède sous le poids de celui qui est monté dessus, comme ce jeune homme, en 1807 (ph. 1) : il tombe lourdement à terre, mais ne se blesse pas gravement, grâce à la protection de Marie. Il tend le bras gauche vers le ciel, l’index pointé en direction de sa protectrice, vêtue d’une longue robe blanche, partiellement couverte par un tissu drapé bleu ; elle a les mains jointes, en signe de prière d’intercession auprès de Dieu.

Ph. 1. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Papier, 26 x 22 cm.
3Les enfants sont souvent les victimes de ces chutes. C’est particulièrement vrai lorsqu’ils tombent d’une fenêtre, car les maisons des villages provençaux sont généralement à étages, et les rambardes de protection, lorsqu’elles existent, de hauteur insuffisante. Dans le village varois du Val, le 28 juillet 1890, il semble que la jeune Louise Colmar échappant à la vigilance de ses parents - sa mère s’est peut-être absentée quelques instants pour prendre de l’eau à la fontaine - soit montée sur une chaise, à proximité de la fenêtre ouverte et qu’elle ait basculé dans le vide par-dessus le garde-corps (ph. 2). Elle chute du premier étage, la tête en avant, mais s’en tire sans grand mal, peut-être en tombant dans les bras d’un homme qui passe devant la maison. L’ex-voto rend grâce à la « B(onne) Mère », qui est représentée en haut à droite du tableau : Vierge couronnée qui tend le bras droit vers l’enfant ; des rayons lumineux prolongent le geste du bras, matérialisant l’intervention protectrice.

Ph. 2. Notre-Dame de Paracol au Val. Toile, 39 x 31 cm.
4Quelques années plus tard, dans un autre village varois, Solliès-Pont, toujours dans la chaleur de la fin du mois de juillet, sous un soleil de plomb, toutes les persiennes sont fermées pour empêcher le soleil de pénétrer dans les pièces (ph. 3). Toutefois, pour laisser entrer un peu d’air dans cette chaleur étouffante, la famille Divizia a laissé grande ouverte la fenêtre du second étage, qui ne semble protégée par aucun garde-corps. Le jeune Georges a dû se pencher vers l’extérieur et a basculé dans le vide. Sa chute aurait pu être mortelle. Dans la rue vide, une femme, probablement la mère de l’enfant laissé un moment sans surveillance, court les bras levés au ciel. Heureusement, sainte Christine, figurée en haut du tableau, dans le ciel d’azur, entourée de nuées, veille sur lui. Un rayon lumineux émane de la sainte protectrice en direction de l’enfant. Le peintre, E. Lauret, a représenté avec précision le décor de la scène : on sent le village écrasé sous la chaleur estivale du milieu de journée, avec ses courtes ombres portées ; les façades, au crépi de couleur claire, qui donnent sur la rue, sont peintes avec un goût certain du détail : la génoise du toit, les tuyaux d’évacuation d’eau de pluie. La maison paysanne des Divizia a deux étages, surmontés d’un grenier ; au rez-de chaussée, à côté de la porte d’entrée, on note les deux vantaux d’une grande porte en bois donnant sur une étable ou une remise. La maison voisine, à droite, est plus bourgeoise ; elle a trois étages, avec un balcon au premier, et au rez-de-chaussée de grandes fenêtres protégées par des barreaux, donnant probablement sur des pièces habitables.

Ph. 3. Sainte-Christine à Solliès-Pont. Toile, 60 x 49 cm.
5Les fenêtres aux étages ne sont pas les seuls lieux à risque pour les chutes d’enfant. Le 6 septembre 1820, le jeune Jean-Baptiste Bastide de Pignans est tombé dans une trappe dont le couvercle en bois avait été laissé ouvert (ph. 4). Il est sorti de cette mauvaise situation par trois hommes, dont l’un qui l’extrait à bout de bras. Derrière eux se tiennent trois femmes, l’une est tournée vers l’enfant auquel les hommes portent secours, la deuxième assiste à la scène, les mains jointes en geste de prière ; la troisième tourne le dos à la scène humaine, car elle est agenouillée, les bras levés et les mains jointes en geste d’invocation envers la Vierge à l’enfant qui apparaît dans une aura lumineuse entourée de nuages. Il y a deux espaces dans ce tableau : à droite la scène profane de l’accident, à gauche la représentation céleste et la prière humaine ; au centre, faisant le lien entre les deux espaces, on aperçoit une colline du massif des Maures, avec au sommet, le sanctuaire de Notre-Dame des Anges. Une inscription en latin peut se lire sur le rayon lumineux qui descend de la Vierge vers l’orante et l’enfant : Exaudivi orationem tuam (J’ai exaucé ta prière). L’emploi du latin, langue du culte, est rare sur les tableaux votifs, en dehors de l’expression ex-voto.

Ph. 4. Notre-Dame des Anges à Pignans. Carton, 31 x 40 cm.
6Les escaliers représentent aussi un risque pour les enfants. Or, intérieurs ou extérieurs, ils sont fréquents dans les villages provençaux, comme ici au Val (ph. 5). Bien que datant de 1856, ce tableau ne reprend qu’en partie les codes habituels des ex-voto du xixe siècle. Dans la partie inférieure de la composition est figuré le lieu de l’accident : une descente d’escalier, autour de laquelle deux femmes et un homme lèvent les bras au ciel. Mais la représentation de la chute de l’enfant est traitée de manière inhabituelle : la petite fille qui tombe est tenue par la main par un ange gardien qui la protège dans sa chute. Cet ange, aux larges ailes bleues, est sur un nuage placé légèrement en dessous d’un vaste espace céleste qui occupe toute la partie supérieure du tableau où une Vierge secourable, dont la tête est surmontée d’un vaste nimbe lumineux, tourne le regard et tend la main vers l’enfant.

Ph. 5. Notre-Dame de Paracol au Val. Toile, 56 x 45 cm.
7Mais les enfants ne sont pas les seuls à tomber. À Hyères, c’est une adulte, madame Raymond qui fait une chute de plusieurs mètres dans la cour intérieure d’un immeuble, couverte par une verrière, dont une des vitres a cédé sous son poids. Sur cet ex-voto de 1881, l’espace céleste est absent, laissant toute la place à la scène humaine (ph. 6). Cependant la Vierge est représentée, d’une manière assez discrète, sur le mur de gauche, comme si elle était sur un tableau, dans ce qui semble être une grande ouverture, surmontée d’une imposte.

Ph. 6. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 45 x 30 cm.
8En 1855 à Aups, c’est un jeune homme qui fait une chute dans la vaste cage d’escalier, pourtant bien protégée par une rampe (ph. 7). Pour montrer la rapidité de la chute, le peintre représente le chapeau que portait le jeune homme, deux mètres au-dessus de lui, car plus léger, il tombe moins vite. Dans son malheur, ce garçon a une chance : sa chemise s’accroche, comme à une patère, à un crochet situé dans la cage, lui évitant, se s’écraser au bas de l’escalier. Il attribue cet heureux hasard à la protection de la Vierge à l’enfant, figurée dans un nuage, derrière le garde-corps du palier.

Ph. 7. Notre-Dame d’Inspiration à Aups. Bois, 35 x 26 cm.
Chutes dans un puits
9Les puits, très nombreux à l’époque où ils constituaient la principale ressource en eau, sont également des endroits dangereux, notamment pour les enfants. En 1745, le jeune François Toussaint Rambert est tombé dans un puits assez profond (ph. 8). Il est sorti de cette mauvaise situation par un homme qui s’est attaché à la corde habituellement utilisée pour descendre le seau. Sur cet ex-voto d’ancien style, le tableau est partagé en deux : à droite la scène humaine, au décor à peine esquissé, montre trois hommes s’affairant pour sortir l’enfant du puits ; à gauche, c’est un second temps qui est représenté : les parents du rescapé, ainsi qu’une fillette, sont agenouillés en prière d’action de grâce, au-dessous de la Pietà qui occupe le quart haut et gauche de la composition.

Ph. 8. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Carton, 35 x 41 cm.
10En 1797, dans la région de Moustiers, un homme, Jean-Baptiste Roubion, tombe dans un puits, en voulant accrocher à la poulie la corde permettant de remonter le seau (ph. 9). Monté pour ce faire sur la margelle, assez haute, il bascule et chute. Le peintre situe cette scène dans un décor agreste. Une femme est agenouillée, les bras croisés sur la poitrine. La Vierge à l’enfant, couronnée, est représentée dans des nuages, entourée de visages d’anges. Mais, comme le proclame la légende, bien lisible au bas du tableau, en lettres majuscules noires sur fond blanc, c’est en Dieu que le donateur place sa confiance.

Ph. 9. Notre-Dame de Beauvoir à Moustiers. Bois, 22 x 26 cm.
11C’est un tableau de facture naïve qui est remis en 1839 à Notre-Dame de Rochefort (ph. 10). Une jeune femme est tombée dans un puits. Pour l’en sortir deux hommes s’emploient, l’un tire sur une corde qu’on lui a passée sous les épaules, alors qu’un autre, descendu dans le puits, aide à la hisser vers le haut. Un quatrième personnage, dont on ne voit que la tête, démesurément grande, regarde la scène. Tournant le dos à celle-ci, un homme (le mari ?) est agenouillé en prière face à une Vierge à l’enfant dans les nuages, située en haut et à gauche du tableau. Malgré la rusticité du trait, on remarque le mécanisme ingénieux associé au puits : une pompe manuelle permet d’alimenter un bassin, d’où l’eau peut sortir par un robinet et couler dans un réservoir.

Ph. 10. Notre-Dame de Rochefort. Bois, 29 x 41 cm.
12L’ex-voto remis en 1836 par la famille Audibert à Notre-Dame du Beausset-Vieux relate deux événements (ph. 11). Le jeune François a failli tomber dans un puits à la margelle très basse, mais il a été retenu au dernier moment par sa mère. Son frère aîné, Edouard, a été lui sauvé par son père d’un risque d’étouffement, étant tombé d’un arbre, « restant malheureusement pendu par son chapeau ». Dans les deux cas c’est donc bien l’intervention parentale qui a sauvé les enfants, mais cependant ceux-ci tiennent à remercier la Vierge dont la protection est matérialisée par deux rayons lumineux. Bien que les deux événements se soient probablement déroulés à quelque temps l’un de l’autre, ils sont représentés simultanément et dans un espace continu, à gauche le puits, à droite l’arbre, et faisant la liaison entre les deux lieux, un lavoir, simple réservoir à même le sol, que l’on imagine alimenté par l’eau du puits. Les costumes sont ceux des paysans de l’époque : pantalon en toile bleue, chemise blanche à manches retroussées sur laquelle est passé un gilet noir pour l’homme, robe sombre avec un tablier bleu, coiffe blanche recouverte par un large chapeau noir, pour la femme. Si la scène humaine est double, l’évocation céleste est aussi multiple : la Vierge à l’enfant occupe le centre du tableau, entourée d’une aura lumineuse, surmontée de l’inscription « dédié à notre dame du beausset vieux », alors que la chapelle où l’ex-voto est déposé figure en haut à gauche de la composition, au sommet de la colline.

Ph. 11. Notre-Dame du Beausset-Vieux. Toile, 36 x 46 cm.
Accidents divers
13Dans une ville comme Martigues, située à l’entrée de l’étang de Berre et traversée par les canaux, la chute peut entraîner noyade, surtout pour des enfants. Ici, en 1857, ce sont deux hommes qui portent secours aux enfants Cheilan, tombés du quai dans le canal situé entre les quartiers de l’Isle et de Jonquières (ph. 12). Mais c’est Marie qui est remerciée pour ce sauvetage. Il est vrai que l’événement se situe au pied de l’église de Jonquières qui occupe tout l’arrière-plan du tableau. On remarque que celle-ci ne possède pas encore de clocher, qui ne sera construit que quatre ans plus tard, avec fondations de pieux en bois.

Ph. 12. Notre-Dame de Miséricorde à Martigues. Carton, 42 x 32 cm.
14Par une belle journée estivale, deux jeunes hommes, Louis Fabre et Jacques Bernard, se promenaient au bord de mer, sur un littoral escarpé de la côte varoise (ph. 13). Ils évitent de peu une chute de plusieurs mètres sur les rochers, en se retenant, l’un aux aspérités du sol, l’autre, les pieds dans le vide, à la jambe de son compagnon. C’est que Marie veillait sur eux, comme en témoigne le rayon lumineux qui prolonge le geste de la Vierge en direction du malheureux en mauvaise posture. Le peintre de l’ex-voto a soigné la représentation du paysage, et notamment des rochers, véritables protagonistes de la scène, car c’est la hauteur de la falaise qui permet d’évaluer le danger encouru.

Ph. 13. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 50 x 40 cm.
15Le 18 septembre 1939, Georges Rossi, un petit garçon de deux ans qui est en train de jouer, tombe malencontreusement dans le mécanisme d’alimentation en eau d’un bassin d’arrosage (ph. 14). La scène se situe au sud de la ville de Hyères, dans le quartier des Nartettes, qui est proche de la chapelle Notre-Dame de Consolation. Les parents attribuent à la protection de la Vierge le fait que leur jeune fils sorte indemne de l’accident. J. Fauchety, le peintre à qui est confiée la réalisation du tableau, donne une représentation vivante de la scène : le petit Georges bascule en arrière, jambes et bras en l’air, le mécanisme de pompage est en marche : l’eau coule en abondance, le soleil de septembre fait un jeu d’ombre avec le feuillage de l’arbre, mais dans le ciel bleu, à part quelques nuages blancs, on ne voit rien : pas de Vierge protectrice ; sur cet ex-voto tardif, seule la scène humaine trouve place.

Ph. 14. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 45 x 55 cm.
16Le 29 juin 1877, à Aubagne, une violente explosion se produit dans une usine, au pied d’une haute cheminée (ph. 15). Le mur d’enceinte vole en éclats, projetant sur la route qui passe à côté, des pierres et des poutres en bois. Le donateur, Charles Ruit, est probablement l’homme qui passait à ce moment devant l’usine, en charrette tirée par un cheval. Une des poutres est tombée juste derrière l’attelage, évitant de peu d’écraser celui-ci. À l’entrée de l’usine, on aperçoit deux hommes levant les bras au ciel, en geste d’affolement plutôt que d’imploration. Dans le ciel, saint Jean est représenté de face, sans lien avec la scène humaine, en protecteur immanent. Cet ex-voto est l’un des rares exemples, dans le corpus provençal, d’accident lié à la société industrielle.

Ph. 15. Saint-Jean de Garguier à Gémenos. Carton, 34 x 64 cm.
La chasse
17La chasse était une activité très répandue en Provence. Même avant la Révolution, où elle est en principe un privilège nobiliaire, elle semble pratiquée par des roturiers. En 1784, dans les collines boisées de l’arrière pays varois, un homme est parti à la chasse ; il est armé d’un fusil et porte une gibecière (ph. 16). Il épaule, tire, le coup part, mais provoque une explosion au niveau du chien, à proximité de son visage. Alors que sa proie s’envole, il sort indemne de cet accident de chasse qui aurait pu le défigurer. Pour remercier la Vierge à qui il attribue cette protection, il fait réaliser un ex-voto, qui sera déposé dans la chapelle figurant dans le paysage, au lointain, sur le tableau.

Ph. 16. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Bois, 27 x 33 cm.
18La Révolution ayant supprimé le privilège nobiliaire de la chasse, cette activité va devenir très répandue dans les villages provençaux au xixe siècle. En effet, en Provence, la plupart des terroirs villageois comportent, à côté des terres cultivables, un saltus, composé de garrigues ou de bois, qui abrite du gibier et donc propice à la chasse. Les hommes se retrouvent dans les sociétés de chasse. L’ex-voto témoigne de cette activité sociale, à travers la représentation des accidents évités. Mais sur les tableaux votifs, la chasse est rarement collective, l’événement le plus fréquemment montré étant lié à un fonctionnement défectueux de l’arme de chasse. C’est le cas pour Blaise Verlaque, parti chasser avec son chien, le 8 septembre 1837, dans les environs du Val (ph. 17). Au moment où il vise un vol de perdrix, une explosion se produit au niveau du percuteur de son fusil, sans le blesser. Le peintre auquel il s’est adressé pour réaliser son ex-voto ne s’est pas particulièrement appliqué : le paysage est peint à grands traits, mais l’essentiel y est : la Vierge dans les nuages, le chasseur, le chien, le gibier qui s’envole, et le fusil qui crache le feu, de manière amplifiée, à coup de traits de pinceaux en rouge.

Ph. 17. Notre-Dame de Paracol au Val. Carton, 25 x 35 cm.
19Si l’accident est du même type, la représentation est très différente sur l’ex-voto de Fortuné Decugis, qui se situe 35 ans plus tard. La scène est montrée en plan plus rapproché (ph. 18). Le chasseur est vêtu d’un pantalon rentré dans de larges bottes, et d’une veste assez courte. Il est coiffé à la mode de l’époque, avec des rouflaquettes, et porte un chapeau mou. L’action se situe dans un paysage boisé de chênes, à la limite d’une clairière. La proie, très certainement un oiseau, vu la manière dont le chasseur tient son fusil, ne figure pas sur le tableau ; au contraire, bizarrement, c’est la Vierge à l’enfant, dans sa guirlande de nuages, qui est placée dans l’arbre, dans l’axe de tir. La légende qui complète l’image est bien mise en valeur, en lettres majuscules noires sur fond blanc, au bas du tableau. Outre la date et le nom du donateur, elle nous précise son âge, trente ans.

Ph. 18. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Bois, 32 x 41 cm.
20À la différence des trois cas précédents, l’ex-voto que Joseph Pisan remet en 1886 à Notre-Dame de Valcluse, près de Grasse, le représente dans un geste d’action de grâce, le bras tendu vers la Vierge, et non à l’instant de l’accident (ph. 19). Son fusil est à terre : il s’agit d’une arme à double canon, dont l’un a cassé lors du tir. Un paysage arboré et montagneux est représenté à l’arrière-plan. Le chien, comme son maître, lève la tête vers la Vierge à l’enfant qui apparaît dans une aura lumineuse, au milieu de nuées. L’écrit se résume au nom et à la date, et à quatre lettres majuscules V.F.G.R., qui signifient il a fait le vœu, il a reçu la grâce : Votum Fecit Gratiam Recepit.

Ph. 19. Notre-Dame de Valcluse. Toile, 35 x 50 cm.
Les animaux
21Dans la société rurale traditionnelle, l’animal, et pas uniquement celui que l’on chasse, est très présent dans la vie quotidienne. Le danger absolu, celui qui fait peur, c’est l’animal sauvage, comme le montre l’ampleur que prit l’histoire de la bête du Gévaudan, qui défraya la chronique, jusque dans la capitale, dans les années 1765-1767. Il n’y eut pas d’équivalent en Provence. Cependant l’ex-voto remis par Joseph Fabre en 1788 à Roquebrune-sur-Argens, après avoir été blessé par une bête sauvage, semble s’inscrire dans la même tradition (ph. 20). L’homme est seul, lorsqu’il est attaqué par un animal sauvage de grande taille, qui, avec ses pattes avant, le blesse à la tête. Joseph Fabre, sans arme, se défend en essayant de repousser l’animal avec ses bras et en lui donnant un coup de pied. Comme pour la bête du Gévaudan, sur la nature de laquelle on s’interrogeait, l’animal représenté sur l’ex-voto tient du lion comme du loup. Son agressivité envers l’homme est traduite par sa position, debout sur ses pattes de derrière, et par sa gueule ouverte laissant voir des mâchoires impressionnantes. Dans ce combat singulier entre l’homme et l’animal sauvage, seule l’aide céleste permet à l’homme d’échapper à la mort.

Ph. 20. Notre-Dame de Pitié à Roquebrune-sur-Argens. Carton, 30 x 42 cm.
22Mais l’animal familier peut aussi se montrer dangereux. Les morsures des ânes ou des mulets sont particulièrement à craindre. Ce fut le cas de Louis-Philippe Laure en 1845 (ph. 21). La scène se situe dans un milieu rural, à La Farlède, hameau des Laures, près de Toulon. Pour une raison inconnue, l’âne a mordu le bras du jeune paysan. Les trois femmes présentes s’affairent autour de l’animal, le frappant à coup de bâton, pour lui faire lâcher prise. Si le décor de la scène est à peine esquissé, les vêtements des personnages sont peints avec précision : pantalon beige et chemise blanche ouverte sur la poitrine pour la victime, caraco sombre, vert ou marron, sur jupe plus claire pour les femmes, qui portent aussi un châle de couleur sur les épaules, et une coiffe blanche nouée sous le menton. La représentation céleste est très atypique, puisqu’il s’agit d’un Dieu le Père, représenté en vieillard barbu, la main sur le globe terrestre ; il est vrai que le sanctuaire où le tableau a été déposé est le seul en Provence de cette titulature, la Sainte-Trinité, à posséder des ex-voto peints.

Ph. 21. Sainte-Trinité à la Farlède. Carton, 48 x 55 cm.
23Trente ans plus tard, à quelques kilomètres de là, dans le village de La Crau, c’est dans l’écurie, que Fortuné Delueil est lui aussi mordu au bras par un mulet vindicatif (ph. 22). Là encore, son compagnon essaye d’intervenir en frappant sur la bête pour lui faire lâcher prise. Mais à la différence de l’ex-voto précédent, le décor de la scène est ici montré avec précision par le peintre : on peut voir les outils utilisés pour la nourriture des bêtes, comme le seau ou la fourche pour disposer le foin dans la mangeoire, au mur est accroché un licol. Le toit est en planches et l’on aperçoit l’arrière train d’un mulet déjà harnaché qui sort de l’écurie. Les paysans sont tous deux vêtus d’un pantalon bleu ou gris et d’une chemise blanche aux manches retroussées. La Vierge seule, les bras ouverts apparaît dans des nuées placées en haut et à droite du tableau, sous les poutres du toit, sans souci de vraisemblance.

Ph. 22. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Papier, 30 x 36 cm.
24Sans qu’il se montre particulièrement agressif l’animal peut être dangereux lorsqu’il échappe à la surveillance de l’homme. C’est le cas de ce cheval, ni scellé, ni harnaché, qui se cabre (ph. 23). La victime, un jeune enfant, est à terre, le sabot du cheval lui a écrasé la main, qui saigne. L’homme, à qui le cheval a peut-être échappé, met la main au front en signe d’impuissance, alors que la femme s’agenouille et lève les bras au ciel en geste d’invocation de la Vierge, qui apparaît couronnée, l’enfant Jésus au bras ; un vaste rayon lumineux descend des personnages célestes, non pas vers la victime, mais vers l’orante. Le décor de la scène est à peine esquissé : au premier plan un ruisseau, au fond des draps qui sèchent sur un étendage. Le peintre a tracé un cadre noir tout autour du tableau ; cette forme d’encadrement à même la toile ou le bois, en noir ou en rouge, n’est pas rare sur les ex-voto.

Ph. 23. Notre-Dame de Rochefort. Toile, 37 x 45 cm.
25Sur cet ex-voto varois de la deuxième moitié du xixe siècle, l’animal n’est pas directement responsable de l’accident (ph. 24). Un jeune garçon est monté sur une charrette où sont chargés deux tonneaux. Au moment de l’atteler, la charrette bascule vers l’arrière, et les tonneaux roulent, écrasant la jambe de l’enfant. Le peintre a soigné les détails de la scène villageoise. Au fond une maison haute avec son grenier et sa poulie, au premier plan la maison d’habitation à deux étages, à droite le local où sont peut-être entreposés les tonneaux. Le muletier, qui tient la bride de sa bête, porte la blouse bleue et le large chapeau communs à sa profession, alors que le travailleur qui apporte son aide à l’enfant, est coiffé d’une casquette et a un tablier sur le pantalon.

Ph. 24. Notre-Dame du Glaive à Cabasse. Toile, 46 x 53 cm.
Les fêtes
26Les fêtes sont, depuis longtemps, une part constitutive importante de la vie sociale en Provence1 : fêtes patronales et votives, carnaval, bravades, etc. Elles peuvent, à l’occasion, être un moment d’affrontement entre jeunes de communautés villageoises différentes ou de danger, et ainsi laisser trace sur les ex-voto. À vrai dire, ces ex-voto sont rares, cinq seulement, dont voici deux exemples.
27Le premier se situe en Camargue, pays de Bouvino, où l’homme aime jouer avec le taureau, et plus particulièrement aux Saintes-Maries-de-la-mer, qui doit son nom aux Saintes Femmes, Marie Salomé et Marie Jacobé, qui, selon la tradition, y auraient accosté (ph. 25). Bien que la légende du tableau ne précise que l’année, 1825, sans mentionner le jour, on peut penser que la scène se situe lors du grand pèlerinage du 25 mai, qui attire des pèlerins de toute la région. En effet, le donateur du tableau, Inri (Henri ?) Trinquié, n’est pas des Saintes, mais de Beaucaire dans le Gard. D’autre part, à l’arrière-plan, on voit les charrettes et de nombreux pèlerins, tenant des bannières. À l’occasion des festivités accompagnant le pèlerinage, on a procédé à un lâcher de taureaux, alors que l’on fait éclater une « boîte », sorte de gros pétard. Les hommes courent avec les bêtes, qu’ils doivent toucher, sans se faire renverser. Le donateur, qui est un jeune homme, puisque l’inscription précise qu’il est le fils de Pierre Trinquié, syndic de la marine, et de Rose Pont, est lui-même marin. Le taureau lui donne un coup de cornes, qui lui fait perdre l’équilibre, son chapeau tombe à terre, mais heureusement les Saintes, dont c’est la fête, veillent sur lui, et sa blessure sera sans gravité. Marie Salomé et Marie Jacobé sont figurées dans leur barque, dans un cartouche en haut et à gauche de la composition. On notera l’absence de Sara, qui ne sera vénérée que plus tardivement aux Saintes, avec le développement du pèlerinage gitan.

Ph. 25. Saintes-Maries-de-la-Mer. Papier, 23 x 33 cm.
28Le deuxième ex-voto relatif à une fête correspond, également, à une tradition locale (ph. 26). Il s’agit de la bravade de saint Maxime à Riez. La bravade est une fête où des tirs de fusil sont effectués à blanc, pour rappeler un épisode historique de lutte de la communauté contre les Sarrazins. La bravade avait lieu pour le « Triomphe de saint Maxime », le mardi de Pentecôte. Saint Maxime, qui avait succédé comme abbé de Lérins à son fondateur, Honorat, était devenu évêque de Riez en 434, et le resta jusqu’à sa mort une vingtaine d’années plus tard. Il y fit construire deux églises et son tombeau attira de nombreux pèlerins. Il devint le saint patron de la ville. Chaque année, pour sa fête, sa statue était descendue en procession de la chapelle construite au sommet de la colline qui domine la ville, vers la cathédrale de la ville basse. Mais cette fête religieuse se doublait d’une fête profane, dont la bravade était le cœur. L’ex-voto de 1842 montre bien ce mélange de profane et de religieux, symbolisé par le drapeau tricolore avec l’inscription « saint Maxime ». C’est lors de l’aspect profane de la fête que l’accident a lieu : la fanfare militaire est rassemblée devant le café « Chez Gasquet », pavoisé. À la fenêtre du premier étage apparaissent des personnalités, dont l’une, verre et bouteille en main. Devant la porte, un bravadeur tire un coup de fusil, mais l’arme lui explose dans les mains. Grâce à la protection de Maxime, représenté en habit épiscopal dans des nuages, l’accident est sans gravité, ce qui justifie la remise d’un ex-voto.

Ph. 26. Saint-Maxime à Riez. Toile, 56 x 45 cm.
29Deux ans plus tard, lors de la même fête, Adolphe Proal, n’eut pas la même chance. Lorsqu’il donna le signal de la bravade, son mousquet éclata, lui emportant la main gauche. Rongé par le tétanos il mourut quelques jours plus tard2.
30Ainsi, dans les siècles passés, des dangers de la vie domestique à ceux de la vie sociale, l’ex-voto peint porte témoignage. Mais la vie de tous les jours c’est aussi, et d’abord, le travail, et ses dangers spécifiques. Là encore notre document se révèle un témoin privilégié, donnant à voir des événements du quotidien qui ont rarement laissé des traces dans les archives écrites.
Notes de bas de page
1 Les travaux et publications sur la question sont nombreux. Parmi les ouvrages de synthèse : Michel Vovelle, Les métamorphoses de la fête en Provence de 1750 à 1820, Paris, Aubier-Flammarion, 1976. François Gasnault, Pierre Gombert, Félix Laffé et Jacqueline Ursch, dir., Récits de fêtes en Provence au xixe siècle. Le préfet statisticien et les maires ethnographes, Marseille, Archives départementales des Bouches-du-Rhône – Milan, Silvana Editoriale, 2010. Régis Bertrand et Laurent-Sébastien Fournier, dir., Les fêtes en Provence, autrefois et aujourd’hui, Aix-en-Provence, PUP, 2014.
2 Saint-Maxime. Chapelle, ermitage, source, plaquette publiée par les Amis du Vieux-Riez, 2003.
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