Chapitre 6. La foudre, le feu, l’eau et le vent
p. 89-102
Texte intégral
1Les hommes ont toujours craint les déchaînements de la nature. Les risques naturels, par leur caractère à la fois brutal et puissant, ont tout pour effrayer. C’était particulièrement vrai dans la société chrétienne traditionnelle où des clercs n’hésitaient pas à attribuer ces manifestations naturelles à la colère divine contre l’impiété. Par ailleurs, le risque, dans ce cas, est celui d’une mort subite. Or la mort subite était celle que l’on craignait le plus : elle ne permettait ni de régler ses affaires ici-bas, ni de se préparer au grand passage vers l’au-delà. Une invocation religieuse traduisait bien l’angoisse d’avoir à comparaître devant le tribunal céleste sans avoir eu le temps de s’y préparer : « De morte repentina, libera nos, Domine » (De la mort subite, préserve-nous, Seigneur).
2De ces risques naturels, celui qui a laissé le plus de traces sur les ex-voto provençaux est, de loin, la foudre. Les orages violents, fréquents sous le climat méditerranéen, étaient craints des populations car ils pouvaient, en quelques minutes, détruire les récoltes. Pour s’en prémunir, en cas de danger, on faisait sonner les cloches des églises. Mais la foudre, qui les accompagnait généralement, en était la manifestation la plus effrayante, qui, en un éclair, pouvait tuer bêtes et hommes. Ce feu venu du ciel suscitait la peur1. C’est pourquoi, lorsque la boule de feu était passée à portée, et que l’on avait survécu, l’on pensait à rendre grâces de ce qui n’avait pu être advenu sans une protection céleste. Pourtant, jusqu’à la fin du xviiie siècle les ex-voto représentant la foudre sont assez rares : rappelons qu’à l’époque, le type prédominant est l’ex-voto de simple action de grâces, où le donateur est représenté en prière, sans que le motif de l’intervention céleste soit précisé. Dans certains cas, il devait s’agir de la foudre2.
La foudre pénètre dans la maison
3Avant que ne se développe l’usage des paratonnerres, il n’était pas rare que la boule de feu pénètre dans la maison, saisissant les habitants dans leur activité. Sur l’ex-voto déposé en 1786 par Rose Reynière, épouse de Louis Queirane, la foudre est matérialisée par un éclair en zigzag, qui pénètre dans la maison par la cheminée (ph. 1). La donatrice est représentée debout à côté de la cheminée, avec un geste de surprise devant l’irruption de cette boule de feu. Le mari apparaît dans l’embrasure de la porte : il est en chemise et bonnet de nuit, le bruit du tonnerre a dû le tirer du lit. Enfin deux jeunes garçons sont agenouillés, en prière d’action de grâces. Peut-être est-ce parce qu’ils ont été épargnés par le passage de la foudre dans la maison que la donatrice a fait peindre l’ex-voto. Dans les nuages apparaissent les personnages célestes protecteurs : la Vierge des douleurs, percée des sept glaives, et Benoît Labre, né dans le diocèse d’Arras, et mort à Rome en 1783 en odeur de sainteté, après avoir parcouru l’Europe en pèlerin mendiant. C’est donc seulement trois ans après sa mort, qu’il est invoqué comme protecteur, associé à Marie, sur cet ex-voto.

Ph. 1. Chapelle des pénitents gris, Villeneuve-les-Avignon, carton, 32 x 46 cm.
4La grande majorité des ex-voto représentant la foudre datent du xixe siècle. Ils ont en commun, mais c’était déjà le cas sur les quelques exemples du siècle précédent, d’évoquer le parcours erratique de l’éclair par une ligne rouge continue, mais brisée. Chacun d’eux nous fait pénétrer dans un intérieur où les habitants sont saisis, dans leur activité, par l’intrusion de la boule de feu. Les peintres d’ex-voto ont l’habitude, à cette époque, de montrer avec précision le cadre de la scène humaine, même si cette représentation ne peut être assimilée à une photographie. Aux détails que fournit l’image, on a parfois joint une légende qui précise les circonstances dans lesquelles s’est produit l’événement. Ainsi sur l’ex-voto de Pierre-Joseph Autran, du Cannet (ph. 2), il est noté que le 29 octobre 1827 à sept heures du soir « le tonnerre s’introduisit dans la cuisine à l’issue du repas par le tuyau de la cheminée qu’il démolit, perça la cloison d’une chambre voisine, répandit le vin d’un tonneau, et fit incendier un grenier à foin au voisinage ».

Ph. 2. Notre-Dame de Vie à Mougins. Papier, 39 x 50 cm.
5La représentation se veut fidèle et tente de montrer l’ensemble de la scène, bien que le peintre maîtrise mal la perspective. La cheminée est adossée au mur du fond de la pièce : l’éclair en sort, et des gravats qui tombent en montrent l’écroulement. Sur la grande table en bois recouverte d’une nappe blanche, qui n’est pas encore desservie, il y a des assiettes, une bouteille et une chandelle. Il n’est que sept heures du soir, mais nous sommes en automne et la nuit est tombée. Autour de la table deux hommes sont assis sur des chaises en paille, l’un ayant un petit enfant sur les genoux. Au bout de la table un troisième personnage (homme ou femme) assis dos à la cheminée est penché sur la table, la tête entre les mains ; la boule de feu est passée juste derrière lui ; c’est lui qui semble le plus choqué. À l’autre bout de la table, de dos, se tient un adolescent, alors qu’à gauche un homme est jeté à terre et semble touché, plus que par la foudre, par des pierres projetées par le passage de l’éclair dans la cheminée. Derrière lui un meuble en bois bien reconnaissable, le pétrin, constitué d’une partie basse de rangement avec deux portes, et d’une partie haute, l’auget, en forme de pyramide inversée où l’on pétrissait, et conservait le pain3. Outre la famille saisie par la foudre dans la cuisine, le peintre a voulu représenter les autres méfaits effectués par cet éclair hors norme, justifiant d’autant plus le dépôt d’un ex-voto. À droite, dans une deuxième pièce séparée de la cuisine par une cloison que franchit l’éclair, la foudre vient frapper un tonneau. Mais son parcours ravageur n’est pas fini, puisqu’elle vient mettre le feu à un grenier à foin voisin : on aperçoit en effet, à travers les carreaux de la fenêtre un grenier en flammes. Le peintre a placé la Vierge à l’enfant, qui malgré la puissance de cet éclair a protégé la vie des habitants, dans sa guirlande de nuage, au-dessus du tonneau de vin.
6C’est aussi par la cheminée que la foudre s’est introduite dans la cuisine de cette famille du quartier Saint-Isidore à Hyères le 29 septembre 1852 (ph. 3). Puis l’éclair est sorti de la maison par la pile, sorte d’auge en pierre servant d’évier, sur laquelle est posée une cruche où se trouve l’eau. Le mobilier est ici réduit à une table et une chaise, mais la famille est représentée au complet : le père sur le pas de la porte ouverte, la mère avec le plus jeune enfant dans les bras, et les deux garçons. Ils semblent plus surpris qu’effrayés, car une grande Vierge à l’enfant veille sur eux, Jésus leur tendant des bras secourables.

Ph. 3. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 24 x 32 cm.
7Dans ce même sanctuaire, une vingtaine d’années plus tard, un autre ex-voto lié à la foudre est remis par Caroline Augias, épouse de Baptistin Pomet, du village de La Crau, près de Hyères (ph. 4). Le 10 septembre 1875, la foudre a pénétré dans leur maison, venant du toit et s’enfuyant par le sol sous la fenêtre, après être passée sous la chaise où Caroline Augias était assise. À côté d’elle une autre femme plus âgée, peut-être sa mère, est aussi assise sur une chaise, et mains jointes, fait face à la Vierge qui apparaît dans son nuage, entourée d’un halo de lumière. Une troisième femme, plus jeune et sans coiffe, est debout. Les trois femmes portent toutes un tablier sur leur jupe, indiquant un milieu populaire, probablement paysan. Le mari arrive de l’extérieur, vêtu d’un pantalon bleu et d’une blouse blanche, chapeau sur la tête, dans l’embrasure de la porte. Trois des quatre personnages ont les bras levés de stupeur, frappés par l’intrusion brutale de la foudre dans leur logement.

Ph. 4. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Toile, 28 x 38 cm.
Le tonnerre dans les montagnes
8Mais la foudre est encore plus à craindre à l’extérieur. En ce 26 juillet 1803, dans les montagnes du haut Var, le ciel est très bas : de gros nuages noirs porteurs d’orage obstruent l’horizon (ph. 5). À proximité d’une cabane d’estive un paysan, sa femme et sa fille, sont surpris par l’orage. Le tonnerre a frappé : deux des trois ânes ont été foudroyés ; la fille, à terre, a été commotionnée. Mais la Vierge à l’enfant veille sur eux dans le Ciel ; la femme l’invoque, les bras levés, alors que son mari, Gaspard Taxi, a les mains jointes et la tête levée vers le ciel. On notera, sur cet ex-voto émanant d’un milieu paysan, l’orthographe approximative de la légende du tableau : ex-voto prend deux « t » et arrivé, un seul « r ». Même l’orthographe des prénoms des donateurs est fautive : Gaspar, Mariane, Thérèze.

Ph. 5. Notre-Dame de Beauvoir à Moustiers. Bois 55 x 80 cm.
9Près d’un siècle plus tard, en octobre 1894, c’est encore dans les montagnes préalpines que V. Chais, née de Gaudemar, est surprise sur la route par un violent orage (ph. 6). Le paysage est dantesque : sous un ciel d’encre, une pluie violente s’abat sur les rares voyageurs, deux cyclistes et les occupants d’un cabriolet ; la foudre tombe, mais épargne la donatrice qui remercie saint Maxime, vénéré à Riez dont il fut l’évêque au ve siècle après avoir été abbé de Lérins, de l’avoir protégé dans ces circonstances effrayantes.

Ph. 6. Saint-Maxime à Riez. Toile, 26 x 41 cm.
Du feu de cheminée à l’incendie
10La foudre, on l’a vu ci-dessus (ph. 2), risque aussi de provoquer un incendie. Celui-ci peut également avoir d’autres causes, et reste un danger fréquemment encouru, aussi bien en milieu rural qu’urbain. La cheminée est le moyen de chauffage le plus fréquent, et sert de foyer pour la cuisson ; mais le feu qu’on y fait n’est pas sans risque, notamment pour les enfants. Ainsi, en 1858, la jeune Elisa Joséphine Barthélémy, s’est approchée trop près de l’âtre et sa jupe s’est enflammée (ph. 7). Heureusement son père et sa mère se précipitent pour la sauver des flammes ; mais c’est à la protection de Vierge Marie qu’ils attribuent le sauvetage.

Ph. 7. Notre-Dame de Pitié à Marignane. Toile 45 x 65 cm.
11Le tableau nous fait pénétrer dans un intérieur modeste au milieu du xixe siècle : dans la grande pièce qui sert de cuisine et de salle à manger, une table est mise avec des assiettes, des verres et une bouteille de vin. Dans la cheminée au foyer ouvert, le feu brûle. À côté, on peut voir des étagères avec la vaisselle et un chaudron. De petits rideaux bleus à motif blanc masquent les rangements de la partie inférieure ; le même tissu décore le manteau de la cheminée. Au mur un tableau encadré, peut-être un motif religieux. Aux volutes de fumée que dégage la robe de la fillette qui prend feu, font écho les nuées au sein desquelles on peut voir Marie, nimbée d’une aura lumineuse, les bras écartés en signe de sollicitude. De la même taille que le père qui accourt, elle apparaît dans la salle à manger comme une protectrice non pas lointaine, mais toute proche, venant simplement prêter son concours céleste à cette famille.
12Le 21 décembre 1869 c’est dans la cave d’une maison du centre de Marseille, place aux Hommes, qu’un incendie se déclare tôt le matin (ph. 8)4. Elle ne contient pas d’objets de valeur, mais une certaine quantité de bouchons. La fumée gagne les étages où elle risque d’asphyxier les habitants de cette maison de trois étages. À une fenêtre apparaît une femme avec son enfant qui appelle au secours. Heureusement un voisin, Étienne Fabre, qui a une fabrique de chaussures, donne l’alerte. Les pompiers se rendent rapidement sur les lieux, actionnent une pompe à main et maîtrisent l’incendie. Il n’y a pas de victimes. Étienne Fabre, qui outre son appel aux pompiers, avait invoqué Notre-Dame de la Garde, fait réaliser l’ex-voto (ph. 8).

Ph. 8. Notre-Dame de la Garde à Marseille. Toile, 46 x 38 cm.
13Fabre s’adresse à Jules Roméo, peintre d’ex-voto, qui tient boutique d’encadreur à proximité, rue du Grand Puits, au 17. Les initiales du commanditaire figurent au bas du tableau. La scène est dépeinte avec une grande précision, jusque dans les détails, comme la boutique du chapelier du rez-de-chaussée. Le bâtiment est une typique maison marseillaise à trois étages. Au premier habitait un commissionnaire au Mont-de-Piété, avec sa femme et ses six enfants, au second un professeur avec sa femme et ses deux fils, et le troisième se partageait en deux appartements, l’un où logeait le chapelier, l’autre le bouchonnier dont la cave avait pris feu. Aux gestes de la femme à la fenêtre répondent ceux d’un homme et d’une femme, bras levés, dans la rue. Mais les pompiers sont déjà là, et la Bonne Mère, dans son nuage, veille sur ces Marseillais !
14Le 1er mai 1926 le feu a pris, durant la nuit, dans la chambre à coucher de Dominique Gagna (ph. 9). La couverture du lit est la proie des flammes, et le feu s’est transmis au berceau qui se trouve à côté du lit. La mère n’a que le temps de prendre dans ses bras son enfant et de s’enfuir, nus pieds et en chemise de nuit, par la porte : la fumée déjà emplit la chambre et se répand dans l’appartement. Elle attribue ce sauvetage in extremis à la protection de Notre-Dame de Consolation : la Vierge à l’enfant lui a permis de sauver son enfant. Le tableau qu’elle fait déposer dans le sanctuaire hyérois, est l’œuvre d’un des derniers peintres d’ex-voto provençaux, resté anonyme. Il est l’auteur de trois autres ex-voto, de facture comparable, déposés dans le même sanctuaire. Tout en demeurant fidèle au modèle iconique traditionnel du tableau votif, il met son espace céleste au centre du registre supérieur de la composition et y place une représentation de statue de Vierge avec l’enfant, tous deux de blanc vêtus, et irradiants de rayons de lumière, telle qu’on en voit dans plusieurs sanctuaires.

Ph. 9. Notre-Dame de Consolation à Hyères. Papier, 23 x 29 cm.
15Les incendies ont ravagé, d’été en été, des centaines d’hectares de forêt provençale dans la deuxième moitié du xxe siècle. Le développement des routes et du tourisme a aggravé ce risque ancien dans les zones où la végétation était peu entretenue, soumise à la sécheresse estivale, le mistral activant la propagation du feu. Si ces sinistres ont laissé peu de traces sur l’ex-voto peint, c’est qu’à cette époque la pratique de ce don votif est en net recul en Provence. On en a toutefois un exemple, avec l’ex-voto remis en août 1960 à Notre-Dame de Bon Secours à Carnoules (ph. 10). Il n’y a plus, à cette époque, de peintres d’ex-voto en Provence et le donateur a dû réaliser lui-même le tableau ou faire appel à un peintre amateur de sa connaissance. La représentation est assez simple : on y voit la chapelle, au-dessus de la quelle est placée la Vierge à l’enfant, sous les traits d’une statue couronnée, et à l’arrière-plan, des flammes immenses qui embrasent la forêt de pins.

Ph. 10. Notre-Dame de Bon Secours à Carnoules. Bois, 48 x 37 cm.
Les eaux déchaînées de la Durance et du Rhône
16La foudre et le feu ne sont pas les seuls risques naturels qui guettent les Provençaux. Sous l’Ancien Régime un dicton avait cours : « Mistral, Parlement et Durance sont les trois fléaux de la Provence ». Il mettait évidemment en cause la rigueur de la Cour de justice qui siégeait à Aix, et qui était associée, comme aussi nuisible, à deux éléments naturels porteurs de risque : l’eau, parfois indomptable, de la Durance, et le violent vent du Nord. Ces deux derniers dangers ont laissé des traces sur les ex-voto peints. Un tableau, déposé à Notre-Dame de Toutes-Aures à Manosque, montre une crue de la Durance qui le 19 septembre 1862 engloutit une charrette : Joseph Turcan est emporté par le courant ; heureusement un compagnon, qui s’agrippe lui-même à une branche d’arbre, le retient par la main. Mais, plus que les eaux de la Durance, ce sont celles du Rhône que l’on voit semer le danger sur les ex-voto. C’est au sanctuaire de Notre-Dame de Rochefort, situé près du fleuve, sur sa rive droite, qu’on les rencontre.
17Le 20 novembre 1840, le jeune Jean David, de Villeneuve-les-Avignon est surpris par une rapide montée des eaux du fleuve. Il trouve refuge dans les branches hautes d’un arbre. Il sera délivré de sa position inconfortable par un homme et deux femmes qui viennent le récupérer en barque. Il attribue ce sauvetage miraculeux à la Vierge, qu’un groupe de femmes agenouillées, et représenté sur la berge, implore (ph. 11).

Ph. 11. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 38 x 42 cm.
18L’église Saint-Didier d’Avignon recèle un ex-voto relatif à la même crue de 1840. On y voit un homme et une femme pris au piège d’un édifice inondé par la crue. Les eaux sont montées jusqu’au premier étage de leur maison, dont ils doivent s’échapper par les fenêtres de l’étage supérieur pour être recueillis par une barque de sauveteurs. Un demi-siècle plus tard, c’est encore une crue du Rhône, qui est à l’origine d’un ex-voto dans le même sanctuaire (ph. 12). Au niveau de l’île d’Oiselay sur le Rhône, un peu en amont d’Avignon, le 2 novembre 1896, les cinq donateurs, Anna, François, Julie, Joseph et Jean étaient sur une barque qui a sombré dans les eaux tumultueuses du fleuve. Ils s’accrochent à des branches, pour ne pas être emportés par le courant. Heureusement « le courageux Louis Bastergues » les recueille sur son bateau. Ils lui rendent hommage dans la dédicace de leur ex-voto, mais c’est par l’intercession de Marie qui les protège du haut des cieux qu’ils estiment avoir été sauvés. Sur l’ex-voto, à la fin du xixe siècle, secours humain et recours céleste se complètent. Sur le tableau, on voit bien que les eaux du Rhône sont montées jusqu’à noyer le rez-de-chaussée d’une maison et le tronc des arbres. Au fond on aperçoit le paysage : le château de Villeneuve-les-Avignon et les reliefs de la rive droite du fleuve, où se situe le sanctuaire Notre-Dame de Rochefort.

Ph. 12. Notre-Dame de Grâce à Rochefort. Toile, 31 x 36 cm.
Coup de vent
19Le mistral, quand il souffle avec violence, peut provoquer d’importants dégâts matériels. Il peut aussi s’avérer dangereux pour les hommes, surtout s’ils sont surpris sur les chemins, sans abri. Ainsi, en 1743, dans le terroir marseillais, au lieu-dit « vallon Piscatory », qui est un étroit défilé entouré de falaises abruptes, cheminent trois ânes chargés de lourds paniers d’osier ; un coup de vent brutal jette à terre un homme et une femme qui accompagnaient les bêtes. Mais la Vierge veillait sur eux ! Remis de leurs émotions, ils font faire un ex-voto qu’ils déposent à l’église Notre-Dame de Nazareth à Saint-Marcel. En 1827, une scène du même genre se produit sur les chemins muletiers qui descendent du Ventoux (ph. 13). Deux hommes accompagnent des mulets chargés de bât en osier tressé. Sur cet étroit chemin qui serpente à travers les rocailles, aucune végétation ne les protège du mistral. Une bourrasque plus forte que les autres fait voler leurs chapeaux. L’un des hommes qui tient les bêtes par la bride se baisse pour offrir moins de prise au vent. Son compagnon est littéralement emporté dans les airs, provoquant une chute que l’on peut penser être brutale. Heureusement, perçant les nuages noirs, la Vierge à l’enfant est là qui veille et évite que l’accident ne vire au drame. Le « miraculé » fait peindre un ex-voto qu’il dépose au sanctuaire de Notre-Dame des Accès à Crillon.

Ph. 13. Notre-Dame des Accès à Crillon. Toile, 34 x 45 cm.
20Mais les dangers causés par le vent peuvent aussi être indirects. Dans la nuit du 24 février 1853, dans le village varois du Beausset, un jeune garçon, âgé de huit ans, Joseph Daumas, dort dans son lit, protégé du froid hivernal par son bonnet de nuit. Dehors le vent se déchaîne ; la bourrasque emporte les pierres de la cheminée, qui s’écroule sur l’enfant. La mère le découvre « sous les décombres », mais « sauvé par l’intercession de la Vierge du vieux Beausset ». Elle s’adresse à Eusèbe Nicolas, le peintre d’ex-voto du village, pour faire réaliser un petit tableau qui sera déposé dans la chapelle (ph. 14). Le dessin mêle réalisme et symbolisme. Bien que l’accident ait eu lieu à l’intérieur, le peintre choisit de placer son regard à l’extérieur, pour bien montrer l’action du vent. Comme sur des tableaux mythologiques figurant Éole, le souffle du vent sort de la bouche d’un visage situé dans les nuages. Ce souffle violent, matérialisé par des rayons dorés, fait exploser la partie supérieure, en pierre, de la cheminée située sur le toit. Les décombres pénètrent par le conduit de la cheminée et tombent sur l’enfant qui dort. Le peintre a choisi de le montrer à travers une fenêtre grande ouverte, délaissant le réalisme du reste du tableau où l’on distingue nettement les volets fermés, à cause de la nuit et du vent. Autre entorse au réalisme, la porte d’entrée de la maison est ouverte, permettant de situer la mère en prière devant la maison. Plaçant son point de vue à l’extérieur, le peintre peut ainsi représenter, à la fois la Vierge couronnée, dans son halo de nuage, et la chapelle Notre-Dame du Beausset-Vieux sur la colline, entourée de cyprès. De la main tendue de Marie part un rayon lumineux qui vient atteindre l’enfant, et matérialise la protection qu’elle lui a accordée en cette circonstance exceptionnelle.

Ph. 14. Notre-Dame du Beausset-Vieux. Papier, 25 x 32 cm.
21Ainsi les risques naturels, facteurs de danger, trouvent place sur l’ex-voto peint. Mais ils y sont beaucoup moins fréquents que ceux liés à l’activité humaine.
Notes de bas de page
1 Jean Delumeau, La peur en Occident, xive-xviiie siècles, Paris, Fayard, 1978, notamment p. 65-66.
2 Voir la photo 18 du chapitre 3 : la tradition familiale permet de savoir que l’ex-voto était un remerciement pour avoir été épargné par la foudre. Mais le peintre ne l’a pas représentée, car il était plus important, à l’époque, de montrer la prière d’action de grâces, comme d’ailleurs l’hypertrophie des mains jointes du personnage agenouillé l’exprime bien.
3 Guillaume Janneau, Meubles provençaux, Paris, Hachette, 1974.
4 Je m’appuie sur l’enquête faite par Félix Reynaud dans la presse marseillaise du 22 décembre 1869. Félix Reynaud, Ex-voto de Notre-Dame de la Garde. La vie publique. Marseille, La Thune, 1997, p. 20-21.
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